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Panoramas urbains

 | 
Jean-Louis Biget
, 
Jean-Claude Hervé

... Aux États-Unis

Histoire urbaine des États-Unis : apports d’une approche historiographique

Michel Coquery

Texte intégral

Introduction : le contexte (personnel) de la démarche envisagée

1Dans toute la mesure du possible et aussi difficile que cela ait été pour moi, je me suis efforcé de m’en tenir, s’agissant de l’historiographie américaine, aux travaux d’historiens. Or, je ne suis pas historien et au cours des quelque vingt dernières années, mes travaux et mes enseignements se sont inscrits certes dans le champ urbain, mais à partir de ma spécialité de géographe-urbaniste. Plus j’ai avancé, dans ce domaine, plus j’ai été convaincu de l’absolue nécessité du regard de l’historien.

  • 1 – Si l’on veut bien excepter une note de bibliographie commentée, à l’usage des agrégatifs, sur le (...)

2Je n’ai jamais vraiment écrit sur les États-Unis1 et pourtant, depuis 1972, l’année de mon premier séjour dans ce pays (comme boursier Fullbright), je n’ai jamais cessé d’observer ce pays, ses villes, d’y acquérir, au fil des ans, les ouvrages qui me semblaient essentiels pour les comprendre et les décrypter. Une quinzaine de missions, un nouveau séjour de 6 mois (en 1987), m’ont permis de garder un contact permanent avec les réalités et les publications sur l’urbain.

3Il m’a donc fallu, pour cette intervention dans le séminaire du Centre d’Histoire Urbaine, sortir mes livres des rayons et séparer les historiens des sociologues, des urbanistes, des géographes, des architectes.... Non pas qu’une approche croisée aurait manqué d’intérêt, bien au contraire (car il n’est pas indifférent de pouvoir cerner les moments d’émergence d’ouvrages issus des différents secteurs des sciences sociales, et je me propose bien de le faire un jour), mais simplement parce qu’il y avait déjà assez à faire avec les seuls historiens et que l’histoire de l’histoire urbaine américaine, par l’historiographie, m’est apparue comme un thème effectivement délimitable et surtout révélateur de débats essentiels sur l’histoire et la société américaines.

Repérage d’un moment significatif d’observation du cadre conceptuel et du corpus

4On peut dater du milieu des années 1960, aux États-Unis, la mise en pleine lumière de l’histoire urbaine comme l’une des composantes majeures des sciences sociales en général et de l’histoire en particulier. Cela ne veut pas dire que les historiens ne se sont pas intéressés aux villes avant 1960 : la liste de leurs travaux serait longue à dresser et comporte des publications éminentes, qu’il nous faudra évoquer à l’occasion. Au reste, l’éclosion des premières grandes synthèses, l’exposé des problématiques, des objectifs et des méthodes de recherche, manifestes au fil des années 1960, n’auraient été ni possibles ni concevables sans un long travail de maturation antérieur. Les historiens n’étaient pas seuls sur ce « chantier » : sociologues, politologues, économistes, géographes, architectes et urbanistes menaient, chacun de son côté, des cheminements où la ville apparaissait bien au cœur de leurs préoccupations (faut-il rappeler l’impact du mouvement dit « École de Chicago » entre les deux guerres ?). Nous ne pourrons faire abstraction de cet « environnement » multidisciplinaire, même si notre objet est bien de cerner l’apport propre des historiens.

5Sous réserve d’inventaire, je vois deux raisons principales à cette mise sur orbite universitaire et scientifique de l’histoire urbaine dans les années 1960 :

  • l’une est une raison de fond, propre aux historiens américains, à leurs débats sur leur discipline et finalement au rôle décisif (qu’ils semblent désormais unanimes à reconnaître) joué par les villes dans l’histoire américaine, qu’il s’agisse des fronts pionniers, de l’histoire démographique, économique, sociale ou culturelle. Par quelque bout qu’on prenne l’histoire, ce qui se passe dans les villes ne peut être ignoré : autant se colleter de front avec ce problème pour mieux restituer et comprendre l’histoire de la nation américaine.

  • l’autre raison pourrait à première vue sembler circonstancielle, ce qui ne veut pas dire d’importance négligeable : il s’agit de la crise urbaine du début des années 1960 (révoltes et émeutes des ghettos noirs, émergence des problèmes de gestion et de rénovation urbaine, à l’aube des premières réflexions théorisées sur la société post-industrielle). Politiques... et sociologues se trouvent en première ligne.

6Les historiens se rendent compte qu’il serait peut-être temps de ne pas laisser urbanistes et anthropologues, architectes ou géographes, voire journalistes, s’adjuger le mérite et l’exclusivité de brosser (un peu vite) des tableaux historiques et se substituer à ceux auxquels ce travail devrait revenir naturellement (les historiens) même si, aux États-Unis, les cloisonnements disciplinaires sont moins étanches que dans la tradition universitaire française. Or il est urgent de recourir à une vision-explication inscrite dans une plus longue durée que celle requise pour faire face aux problèmes urbains du moment. Qu’il s’agisse des mouvements de population (immigration, migrations intérieures), de leurs modalités et incidences (en termes d’intégration ou d’exclusion, de tensions ethniques et culturelles), des émeutes raciales ou liées au monde du travail, de la pauvreté urbaine (emplois, chômage, logement...), des formes prises par les villes au fil des générations, de leur fonctionnement etc., les historiens avaient d’évidence leur mot à dire. Il ne s’agissait pas simplement de diffuser l’apport de leurs travaux, dans un débat devenu national, mais aussi de renouveler leurs problématiques et de diversifier leurs approches.

7Au reste, si l’actualité américaine du début des années 1960 se focalise sur les problèmes urbains (bien que ce soit ni la première ni la dernière fois), il y a convergence avec un mouvement d’intérêt plus général sur l’urbanisation, ses manifestations et ses problèmes dans le monde. En témoigne la multiplication, dans les universités américaines, des cursus centrés sur l’étude de l’urbanisation (cursus de graduation et de post-graduation)... et donc des publications de manuels et ouvrages destinés au public de ces cursus. Les historiens ne sont pas seuls dans cette barque, tant s’en faut ; du moins sont-ils désormais activement présents. Un numéro spécial du Scientific American de septembre 1965 illustre ce courant, cette préoccupation, pour le grand public et donne lieu, fait assez rare, à une édition en livre de poche (Penguin) en 1967. Sociologues et urbanistes y déploient leurs analyses et leur discours.

8Un ouvrage collectif devient le livre de chevet de générations d’étudiants américains ; pendant une quinzaine d’années il figurera comme lecture obligatoire n° 1 dans la bonne trentaine d’universités ayant ouvert un cursus d’études urbaines : The Study of urbanization, sous la direction de Philip M. Hauser et Leo F. Schnore, New York, John Wiley and Sons, 1965, 554 p. Hauser était professeur à l’Université de Chicago et président de la Commission Urbanisation du SSRC (Social Science Research Council), mise en place en 1958, à la suite d’un colloque dont ce livre publie les actes ; Schnore était professeur d’histoire à l’Université du Wisconsin.

9L’objectif du colloque (et du livre) était de faire un état des lieux, des cadres majeurs de la recherche sur l’urbanisation dans les disciplines suivantes : économie, géographie, histoire, sciences politiques, anthropologie sociale et sociologie. En fait, cette rencontre interdisciplinaire était une première et donna lieu à de vifs débats. Le constat général sur les antécédents et les conséquences de l’urbanisation fut que les lacunes étaient plus importantes que les acquis :

  • la plupart des généralisations sur l’urbanisation comme variable dépendante ou indépendante ne reposaient pas sur des justifications empiriques adéquates ;

  • ce qu’on connaissait ou croyait connaître restait fondé sur des observations limitées dans l’espace et dans le temps et principalement cantonné dans le domaine des cultures occidentales ;

  • l’aspect positif fut la prise de conscience de la nécessité et de l’intérêt de promouvoir des recherches interdisciplinaires et comparatives, notamment dans les pays en voie de développement.

  • 2 – L’ouvrage se compose de 3 parties :
    1 – L’étude de l’urbanisation dans les Sciences sociales (5 ch (...)

10Le livre est publié six ans après le colloque2, car il inclut des contributions dont le besoin avait été reconnu et qui ont été rédigées par la suite : c’est en particulier le cas de l’état des lieux et de la bibliographie en histoire urbaine, préparée par Charles N. Glaab. Ce que les Américains appellent un « overview paper » (état de la question et bibliographie commentée) n’avait jusqu’alors pas d’équivalent en histoire urbaine. On notera que l’ouvrage concerne les sciences sociales, exclut le regard et l’apport des architectes et des urbanistes (il fallait sans doute d’abord faire le ménage chez soi) et qu’il s’ouvre et s’achève sur l’apport de l’histoire.

11À l’époque, Glaab était professeur à l’Université du Wisconsin. Il avait publié, deux ans auparavant (1963), l’un des premiers manuels d’histoire urbaine américaine : The American City. A documentary History, Dorsey Press, Homewood, Illinois, 1963, 478 p., très utile recueil de textes essentiels, dont celui de Richard Wolh : « Urbanism, urbanity and historian », repris de la revue The University Kansas City Review, octobre 1955, pp. 53-57, un des premiers textes de réflexion sur l’histoire urbaine américaine. L’apport de Charles N. Glaab est donc un moment important de l’historiographie américaine. En tout cas, c’est un bon point de départ ou d’ancrage : il valait d’être retenu comme tel.

L’état des lieux dressé en 1965 par Charles Glaab

12Glaab fait d’abord le constat que les historiens américains sont venus assez tard à l’étude des villes. Lorsqu’au tournant du siècle, les historiens ont secoué le cocotier de l’histoire rigide et formaliste du XIXe siècle (événementielle, purement politique et diplomatique) pour ouvrir le champ de la recherche historique, il faut bien reconnaître que l’intérêt pour les villes ne faisait pas partie du programme de rénovation de l’histoire. La « nouvelle histoire » se réorientait vers l’histoire culturelle, économique, le rôle de la « frontière » etc. Frédéric Jackson Turner fut une figure de proue de ce mouvement. Même si cet historien a toujours reconnu l’importance de la ville et suggéra même une réinterprétation urbaine de l’histoire américaine, il fallut attendre les années 1930 pour qu’à propos de l’histoire sociale, on commence à s’intéresser aux villes, comme partie de l’essor industriel d’après la guerre de Sécession. Cela est bien relevé par Eric E. Lampard dans son article « American historians and the study of urbanisation », American Historical Review n° 67, octobre 1961.

13Constat est fait aussi (mais où est la cause, où est l’effet ?) que l’histoire urbaine n’avait pas acquis la « respectabilité » universitaire (cursus, textbooks etc.) et n’avait pas vraiment défini ses objectifs, ses concepts, ses méthodes, à la différence d’autres sciences sociales. Il y a seulement de-ci, de-là des cours sur l’histoire de la ville américaine, l’histoire de la société urbaine etc. et les contenus, en fait, variaient encore plus que les titres : à la limite, histoire de n’importe quoi, dès lors que ça s’était passé dans les villes. Cela dit, il y avait un héritage de quelques travaux pionniers :

  • Le 5e tome de la volumineuse Histoire des États-Unis (1921) contenait un excellent développement sur « la migration urbaine des années 1815-1848 », par Edward Channing. Dans la collection Histoire de la vie américaine, on relevait aussi plusieurs contributions d’histoire sociale urbaine.

  • Un texte fondateur, celui d’Arthur Schlesinger, The rise of the City,
    1878-1898, publié en 1933. Il y déplorait, dans sa bibliographie, le manque d’études d’histoire urbaine.

  • À la fin des années 1930, commencent à se multiplier des monographies de villes et lorsqu’on 1952 Blake Mc Kelvey tente un premier essai bibliographique, il relève une quarantaine d’ouvrages publiés après 1930.

    • 3 – Dans la Mississippi Valley Historical Review, june 1940, pp. 43-66, texte repris et révisé sous l (...)

    En 1940, Schlesinger publie son stimulant The City in American History3 qui pose vraiment le champ de l’histoire urbaine et espère réorienter l’histoire vers la ville comme Turner l’avait réorientée vers la frontière. Mais c’était sans doute trop tôt, il n’est pas vraiment suivi. On recule même, Diamond attaquant le concept de ville et disant que ce que Schlesinger attribuait à la ville pouvait aussi bien l’être à l’industrialisation et au développement technique. Ce débat se poursuit dans les années 1950 (Holt 1952, Richard Wohl 1954) et au delà (Lampard, 1961). Il mériterait une analyse plus approfondie, car c’est de l’objet et du cadre conceptuel même de l’histoire urbaine qu’il s’agit.
    O. Handlin y avait pris sa part dès 1941 et à nouveau, avec J. Burchard, en 1963 (voir plus loin, à propos du thème de l’immigration).

14L’état des lieux dressé par Charles Glaab en 1965 suggérait bien qu’on était en somme à la croisée des chemins : ou bien l’histoire urbaine resterait confrontée à ses débats, à la relative pesanteur de ses héritages, balancée entre l’amour des vieilles pierres et l’hagiographie locale (je pousse un peu le trait !) ou bien elle s’engagerait résolument, à partir des problématiques clairement énoncées et résumées par Glaab, vers la pleine prise en main de ses objectifs et, en bref, passerait à l’âge adulte, dans la communauté scientifique. Cela, Glaab ne le dit pas explicitement mais il laisse entendre que le point de mûrissement est atteint, que des manuels (text books) sont en préparation, avec la reconnaissance universitaire enfin apportée à des cursus où l’histoire urbaine se trouve en position-clé.

15De fait, on assiste dans les quelques années qui suivent (fin des années 1960) à une pluie d’ouvrages dont il n’y avait guère l’équivalent auparavant. Ils traduisent bien une nouvelle étape dans l’historiographie américaine.

L’histoire urbaine américaine à l’heure de la maturité : balisage bibliographique commenté (1965-1993)

  • 4 – Il arrive qu’on soit alléché par un titre, une jaquette, un sommaire... et déçu par le contenu. J (...)

16Plus de 80 ouvrages sont cités ici : le chiffre peut impressionner, mais il est faible en regard des centaines de références qu’il ne serait pas difficile d’aligner à partir des bibliographies souvent conséquentes et parfois commentées des ouvrages que j’ai retenus, simplement parce que je les possède et que je les ai lus. Les spécialistes ne manqueront pas de relever les lacunes mais je rappelle qu’à ce stade, il s’agit d’une simple approche et, si j’évoque certains travaux de second ordre4, je m’attarde plus longuement sur plusieurs ouvrages importants, dont la valeur et l’impact sont reconnus. Les uns ne vont pas sans les autres : mes coups de cœur ou de raison, dans un champ que j’ai cultivé par simple curiosité, en marge des recherches et des enseignements que j’assumais par ailleurs, ont conduit à un échantillonnage que je crois néanmoins assez bien représentatif de la production éditoriale anglo-américaine dans le domaine de l’histoire urbaine des États-Unis.

17Dans l’esprit de la démarche retenue, j’ai pris le parti de citer ces travaux dans l’ordre chronologique de leur publication (et non par ordre alphabétique d’auteur) mais aussi d’introduire quelques rubriques, au risque de briser le fil de la chronologie. L’éventuel utilisateur de ce papier pourra toutefois aisément croiser ou recomposer ces listes, selon le critère souhaité. L’envie lui viendra peut-être aussi d’engager la vraie recherche historiographique, qui consisterait, au départ, à relever systématiquement toutes les références disponibles, y compris bien sûr les articles de revues, et à les traiter (à l’aide de l’outil informatique) pour mettre en évidence, sur des graphiques appropriés, l’émergence chronologique quantitative et qualitative des thèmes, lieux et périodes abordés en histoire urbaine américaine au cours des 30 à 40 dernières années.

18Ce que je propose ici n’est encore qu’une esquisse, une incitation à la curiosité, qu’il faudrait reprendre avec des historiens pour lui donner la dimension d’une véritable analyse où seraient pris en compte les cheminements des problématiques, des méthodes et des résultats, en bref, un travail d’équipe. On voudra donc bien admettre que les « rubriques » retenues ici ne constituent pas un cadre rigide : elles pourraient être repensées et ordonnées tout autrement.

19Il m’a cependant paru nécessaire d’ouvrir sur les publications traitant de l’histoire urbaine américaine prise comme un tout, à l’échelle de l’ensemble des États-Unis. On relèvera qu’ils sont assez nombreux dans les années 1960 (avec quelques grands textes fondateurs) traduisant alors ce véritable état de mûrissement évoqué plus haut, pour se raréfier ensuite jusqu’à ce qu’une nouvelle génération d’historiens prenne le relais, après avoir investi des fronts et champs de recherches plus spécialisés, d’où ils porteront à leur tour un regard sur l’ensemble.

20Ce sont quelques-uns de ces thèmes plus spécifiques ou de ces attentions plus focalisées qui font l’objet des « rubriques » proposées ensuite. Leur contenu pourrait certes être regroupé ou redistribué selon d’autres thèmes ou critères : s’il invite à la réflexion et au questionnement, mon propos est atteint.

A. Histoire urbaine générale des États-Unis

211965 Constance Mc Laughlin Green, The rise of urban America, Harper & Row, New York, et Harper Colophon Books, N.Y., 1967, 208 p.

22Historienne, originaire de Chicago, où elle a enseigné jusqu’en 1946, l’auteur s’est fixée ensuite à Washington, pour travailler à l’histoire de la Croix-Rouge américaine et de l’armée pendant la seconde guerre mondiale. Elle assure en 1951 un cycle de conférences sur l’histoire des ville américaines à l’Université de Londres, dont elle fera un livre (1957, réédité en 1965). Elle passe ensuite au service du Ministère de la Défense, comme historienne appointée. Financée par la fondation Rockefeller, elle publie une histoire de Washington DC, qui reçoit en 1963 le prix Pulitzer pour l’Histoire (Washington, village and capital, 1800-1878). Son père, Andrew Cunningham, avait eu le prix Pulitzer en 1936. C. Mc Laughin Green a donc un profil professionnel assez original... et son prix Pulitzer a dû contribuer à sa renommée, dans le monde de la presse et de l’édition, sinon dans le monde universitaire, dont elle ne fait pas vraiment partie. Il est intéressant de noter qu’en 1965 elle réédite en livre de poche American cities in the growth of the nation et publie l’ouvrage donné en référence ici.

23Le premier s’inscrit bien dans le contexte évoqué d’une histoire urbaine qui se cherche et balbutie encore : ce n’est pas autre chose que la juxtaposition d’une dizaine de monographies de villes, sans aucun fil conducteur véritable. Même si chacune se lit très agréablement et comporte une documentation précise et colorée, souvent passionnante (comme durent l’être les conférences faites à Londres), on ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit un peu d’un travail d’amateur ou du moins, car le trait est méchant, que le titre de l’ouvrage est un peu abusif par rapport au contenu. Du moins était-il prémonitoire et... dans le vent !

24Le second corrige le tir et s’inscrit dans le contexte des préoccupations d’une histoire urbaine américaine soucieuse d’une périodisation adéquate. C’est une tentative intéressante de vulgarisation, destinée au grand public plus qu’aux universitaires (appareil critique absent, bibliographie réduite, sous forme de suggestions « for further reading »). Mais précisément, ce livre a dû contribuer à sensibiliser un public élargi : à ce titre il participe bien au mouvement de mise en orbite de l’histoire urbaine américaine.

251965 John W. Reps, The making of urban America. A history of city planning in the United States, Princeton University Press, N.J., 574 p.
Professeur émérite (à l’époque) en planification urbaine et régionale au Collège d’architecture de Cornell University, Reps fait bien œuvre d’historien dans cet ouvrage monumental (réédité en paper back en 1992), considéré depuis longtemps comme un classique. En 1967, une édition résumée a été publiée en livre de poche (473 p. quand même, en plus petit format) sous le titre Town Planning in Frontier America, Princeton University Press.
La rigueur de la démarche, l’abondance des sources mobilisées et répertoriées (notamment cartes, plans et gravures) et analysées donnent à l’ouvrage tout son intérêt. Pour la période traitée (de l’arrivée des premiers Européens jusqu’à la veille de la première guerre mondiale) il n’a pas à ce jour d’équivalent. C’est la genèse spatiale cadastrale et parcellaire de la plupart des villes américaines qui est traitée ici, avec plus de 300 cartes et figures à l’appui (toutes minutieusement répertoriées) ainsi qu’une substantielle bibliographie. Le plan, assez subtil avec ses 18 chapitres, allie la chronologie, les grandes divisions géographiques de l’espace américain et des thématiques retenues comme opératoires. On serait bien mal venu de penser que, puisque l’objet est la planification urbaine et l’urbanisme, cela n’intéresse que secondairement l’histoire urbaine américaine. Il s’agit en fait d’une histoire précise des formes prises par l’affectation des sols à la ville, une relation minutieuse du contexte des actes fondateurs des villes. On trouvera dans cette somme de remarquables développements sur la fameuse grille de division du sol (le mile et ses subdivisions) mais aussi l’attention portée à nuancer fortement, à la lumière des faits, l’idée toute faite et toujours plus ou moins véhiculée que ces grilles ont été le manteau uniformisateur et unique de la prise de possession de l’espace aux États-Unis. Bref, un livre de référence, qui venait en son temps et qui n’a pas pris une ride.

261965 Georges E. Mowry, The Urban Nation 1920-1960, Hill and Wang, N.Y., 278 p.
Cet ouvrage est le dernier d’une série de six livres de poche regroupés sous le titre Making of America et destinés à donner un panorama de l’histoire américaine pour un public d’étudiants. Pas d’appareil critique infrapaginal mais une solide bibliographie commentée à la fin (pp. 249-269). L’auteur est historien (professeur à l’Université de Caroline du Nord en 1965), spécialiste de la période postérieure à la première guerre mondiale. Certes, l’objectif et les contraintes de la collection ne permettent pas de dire qu’il s’agit d’histoire urbaine (et le terme n’apparaît dans le titre d’aucun des 5 volumes précédents). Il s’agit d’un ouvrage d’histoire générale des États-Unis. Mais le fil conducteur, pour la période de référence, est bien celui de l’importance décisive prise par la ville dans l’histoire.

271965 Charles Abrams, The City is the Frontier, Harper Colophon Books, N.Y.
Pour mémoire, car il ne peut être question ici d’élargir les références à tous les ouvrages publiés à l’époque et titrant sur l’urbain, en sociologie, géographie, sciences politiques, économie etc., même si ce constat ne serait pas inutile pour situer les ouvrages proprement consacrés à l’histoire urbaine dans leur « environnement » scientifique et éditorial.
L’auteur est un sociologue urbain de grande renommée. Son livre se situe délibérément au cœur des problèmes urbains auxquels les États-Unis sont confrontés en ce milieu des années 1960. Le titre de la première partie, « Problèmes urbains dans notre âge urbain », donne la tonalité. La seconde partie forme l’essentiel du livre ; elle est consacrée à ce que Abrams appelle « la prescription » (au sens médical du terme), c’est-à-dire la rénovation urbaine (thème qui a nourri une abondante littérature à l’époque).

281966 Allan R. Pred, US Urban Industrial Growth 1800-1914. Interpretive and théorical essays, MIT Press. L’auteur est géographe-économiste. Sur la question de la croissance industrielle en milieu urbain au XIXe siècle, cet ouvrage constitue toujours une base indispensable.

291967 Charles N. Glaab et Theodore Brown, A History of Urban America, Mac Millan, London, & the University of Wisconsin, Milwaukee, 328 p., (3e édition en 1983).
Les auteurs sont historiens et Glaab, nous l’avons vu, était l’auteur de l’état des lieux en histoire urbaine tel que publié en 1965 dans The Study of Urbanization. Ce livre est, je crois, la première synthèse tentée pour restituer l’histoire urbaine américaine. Disons le premier manuel, solide, à destination évidente d’un public d’enseignants et d’étudiants (à l’échelle américaine, cela finit par faire pas mal). Le texte est dense et fait passer – sans appareil critique bas de page ou fin de chapitre – un maximum d’informations structurées, fruit de vingt années d’enseignement de l’histoire urbaine. La bibliographie renvoyée in fine n’est pas démentielle (pp. 309-318) : commentée, elle est conçue comme un véritable guide de travail et de réflexion et ne comporte que les textes essentiels dans le champ de référence. À la date de publication (1967), c’était le meilleur outil jamais mis à la disposition des étudiants (même s’il ne comporte aucune illustration). Son intérêt majeur, sa conception même, reposent sur l’idée-clé qu’une histoire de l’Amérique urbaine devait pouvoir reposer sur une périodisation significative qui lui soit propre (et soit justifiée) et non se calquer sur les périodisations usuelles, voire routinières, de l’histoire américaine. Pari gagné et donc contribution notable de l’histoire urbaine au réexamen de l’histoire tout court.

301968 Lyle W. Dorsett éd., The Challenge of the City 1860-1910, Collection « Problems in american civilization », D.C. Health. Lexington, 114p.
Exemple type de « Reading » ou recueil de textes repris d’autres ouvrages ou de revues regroupés par un « éditeur » (ici, un professeur à l’Université du Missouri, St-Louis) pour servir d’ouvrage de référence (disons de manuel scolaire) dans un cursus universitaire comportant obligation de lire et examen sur ou à partir de ces textes. 18 textes sont rassemblés ici pour les besoins de la cause, regroupés sous quatre rubriques : 1) la ville comme problème moral et politique, 2) la rédemption de la ville, 3) l’espoir de la ville, 4) urbanisation et formation de l’Amérique du XXe siècle. Quel que soit l’intérêt de ces textes, pris séparément, disons tout de suite que le tout est un peu désordonné, malgré les efforts de l’introduction pour prouver le contraire... En bref, ce livre n’a de sens que par rapport aux enseignements dispensés dans tel ou tel cursus universitaire (complément et support du cours). Accessoirement il permet l’accès à des textes pas tous toujours faciles à trouver, sauf recherches en bibliothèque.
Il y en a une vingtaine d’autres, de ce genre. Celui-ci est un simple exemple, sans valeur particulière autre que significative d’un genre éditorial. Celui édité par Callow en 1969, commenté plus loin, a en revanche une toute autre valeur.

311968 Christopher Tunnard, The Modern American City, D. Van Nostrand C°, Princeton, N.J., 191 p. (livre de poche).
L’auteur est professeur d’urbanisme à Yale University. La première phrase de l’introduction est aussi provocatrice que significative (après tout, nous sommes en 1968) : « Quel aspect de la ville américaine pourrait être plus moderne que son historiographie ? ». Pour l’auteur, c’est en effet un front pionnier, qui commence tout juste à être reconnu comme champ de recherche, sur le point d’entrer dans les cursus de universités et des collèges et d’obtenir la reconnaissance, comme tel, des institutions académiques... On ne saurait mieux dire : l’auteur a trouvé son créneau. Son objet n’est pas l’histoire proprement dite, mais les réflexions que lui ont inspiré une trentaine d’années de travaux, d’enseignement, d’observation, de familiarité avec l’architecture et l’art américain, l’urbanisme, la technologie, la vie socio-économique.
L’ouvrage est en 2 parties : la première, en une centaine de pages et 8 chapitres, constitue en somme un « essai », au reste assez brillant, sur le thème de la ville moderne américaine et la seconde, un recueil d’une quarantaine de morceaux choisis, destinés à illustrer ou à compléter les 8 chapitres du texte proprement dit de Tunnard. C’est donc aussi un livre principalement destiné aux étudiants et aux enseignants.

  1. la ville moderne américaine ; point de départ : après la guerre civile. L’auteur rappelle quelques définitions, voire quelques évidences sur ce qu’est une ville, sur les mythes et attitudes sociales. Réflexions sur le qualificatif d’« américaine » accolé à la ville, et le rappel que la ville est un marché.

  2. Réflexions sur la « grille » et l’influence de Jefferson (du coup on est revenu avant la guerre civile)... mais tout cela pour mieux justifier la coupure : après la guerre, rythme accéléré de l’urbanisation et émergence du thème de la métropolis.

  3. La ville pittoresque et l’émergence de la technologie (architecture, transports...) Les différents styles et le rôle de quelques grands architectes et promoteurs ou concepteurs, pour qui la ville doit donner le sentiment d’une liberté élargie (Olmsted).

  4. The City Beautiful (1880-1893)

  5. The city Beautiful (1893-1910) (1893 Exposition de Chicago)

  6. Plans et planificateurs (1910-1930)

  7. La ville américaine en difficulté

  8. 20 et 30 et 40 ans

32... Bref, si tout cela est intelligent, cela reste un peu désordonné et surtout, c’est une vision, pour l’essentiel, d’architecte. En ce sens, il n’est pas inintéressant de voir comment il découpe l’histoire américaine.

331969 Blake Mc Kelvey, The City in American History, Georges Allen & Unwin, London, Collection « Historical Problems : studies and documents ».
Même principe éditorial que le précédent : un texte d’une centaine de pages (en 10 chapitres) et 120 pages de documents (37 textes, regroupés sous les rubriques des chapitres du texte. Même usage du livre : un public d’étudiants, de toute évidence. C’est au reste le thème explicite de l’avant propos : pourquoi encore un livre texte et documents, alors qu’il y en a déjà tellement ?
Du moins ici l’auteur est-il historien (il se qualifie même de « city historian ») et a-t-il déjà publié deux ouvrages : The Urbanization of America, 1860-1915, 1963, et The Emergence of Metropolitan America, 1915-1966, New Brunswick, N.J., 1968, qu’il utilise dans ce livre scolaire.
Le plan de son essai vulgarisateur est strictement chronologique. La périodisation retenue (du XVIIIe siècle aux années 1960, découpage en 8 ou 9 tranches) a le mérite de la clarté, même si pour l’essentiel elle se cale sur une périodisation générale de l’histoire américaine. En fait, il apparaît clairement que ces chapitres n’ont d’autre but que de donner un contexte et quelques lignes directrices aux étudiants... qui auront à plancher sur la collection de textes, dans le cadre de leurs études. Mais c’est certainement un livre qui a été utile et témoigne de l’intérêt pour l’histoire urbaine à la fin des années 1960.

341969 Alexandre B. Callow Jr éd., American Urban History. An Interpretive Reader with Commentaries, Oxford University Press, N.Y., London, Toronto, 674 p.
Ce sera le dernier ouvrage cité, dans la série des « morceaux choisis », à mettre au compte des années 1960 finissantes, mais c’est, et de loin, le meilleur. Je dirais volontiers qu’avec celui de Charles N. Glaab publié en 1963, The American City. A Documentary History, premier du genre dans le domaine, ce sont les deux seuls à retenir véritablement pour notre propos, au compte des années 60, à supposer qu’il convienne de regarder cette décennie cruciale comme un tout. Quand de bons historiens se mettent sur un chantier comme celui de l’histoire urbaine, cela peut donner vraiment de bons résultats. Les autres ouvrages cités (à l’exception de celui de Reps et de celui de Glaab et Brown) sont certes dans le courant dominant de cette période et peuvent, occasionnellement, avoir leur intérêt, indépendamment du fait qu’ils répondaient surtout à une demande éditoriale, pour un public déterminé.
L’ouvrage publié sous la direction de Callow (professeur d’histoire à l’Université de Californie, Santa Barbara) a une toute autre portée, une autre ampleur. C’est un recueil intelligent de textes fondateurs qui, à ce titre, peut certes servir de manuel pour les étudiants, mais surtout d’ouvrage de référence pour les chercheurs et les enseignants. Je considère qu’il demeure un ouvrage de base pour qui s’intéresse aujourd’hui à l’histoire urbaine des États-Unis. C’est le premier ouvrage recourant au terme d’urban history dans son titre, (même si les deux termes ont été souvent accolés antérieurement) et je serais tenté de dire que l’histoire urbaine américaine, avec ce livre, est définitivement passée à l’âge adulte. La « crise » des années antérieures, dont Glaab rendait compte en 1965, paraît terminée : non pas qu’il y ait fermeture des débats (on le verra bien tout au long des années 1970 et 1980), repliement sur un pré-carré aux frontières définies, installation dans l’establishement universitaire, mais simplement – et fortement – parce qu’une étape est franchie, chez les historiens et face à l’environnement des autres sciences sociales, où pourtant sociologues et économistes ont les dents longues sur l’urbain : le champ de l’histoire urbaine, sa pleine intégration dans l’histoire, le rôle décisif qu’elle peut y jouer et a commencé à y jouer, sont reconnus, ne peuvent pas ne pas l’être après la publication d’un ouvrage comme celui-là. Les autres spécialistes attachés aux problèmes urbains, à leur contemporanéité (anthropologues, politistes, géographes, urbanistes, économistes...) sont désormais bien obligés de reconnaître qu’on ne peut pas bricoler, s’agissant de l’histoire, ou se substituer à l’histoire, aux historiens, que leur apport est indispensable pour aborder la plupart des problématiques du contemporain. On le savait déjà dans d’autres domaines. On le saura désormais s’agissant des villes et des sociétés urbaines.
Le mieux est ici de se reporter à la table des matières du livre. Le début de l’introduction ne laisse aucun doute sur l’objectif de l’ouvrage, sur sa raison même d’être : C’est une tentative pour percevoir, pour mettre en perspective un phénomène qui dans le passé a été une force unificatrice décisive de notre histoire et qui, dans le présent, a été décrit comme notre problème n° 1 : la ville américaine.
La conception même de ce livre le différencie de la plupart des précédents : ce n’est ni un simple recueil de morceaux choisis, ni une collection de textes d’archives ou de sources de première main, ni une combinaison d’interprétations conflictuelles. C’est une tentative pour mettre ensemble, chronologiquement et thématiquement, des textes essentiels dispersés qui éclairent thèmes et problèmes importants en histoire urbaine américaine et permettent une approche analytique de l’étude de la ville. Aucun de ces textes n’est définitif, certains brassent large, d’autres concernent des sujets pointus, la plupart sont destinés à provoquer des réactions et tous sont bien écrits. C’est donc essentiellement un livre d’idées. Idées organisatrices, concepts qui façonnent l’ossature, l’anatomie intellectuelle de l’histoire urbaine américaine et donnent forme et sens aux innombrables faits concernant la ville américaine.

35Le plan retenu répond bien à cet objectif. Il se déroule certes au fil de la chronologie, de l’histoire, de la période coloniale à la période contemporaine, mais sans se rigidifier, ni s’enfermer dans des cases, des périodes. Il y a une intelligence de la périodisation par le recours aux thèmes et problèmes majeurs susceptibles de caractériser une période, mais avec le sens des prémisses et des prolongations qui fait qu’on peut anticiper ou revenir en arrière, d’un chapitre à l’autre, sans en être choqué, étonné, bien au contraire : le fil de l’histoire n’en est que mieux compris. D’une génération à la suivante on voit comment le relais est pris, ou non, transformé, infléchi. Bref, c’est de la belle ouvrage.

361969 Ray Ginger éd., Modern American Cities, Quadrangle Books, Chicago, (a New York Troner Book), 292 p.
L’auteur est historien (« Urban historian » sur la jaquette).
Il a rassemblé et présente ici une sélection d’articles du New York Times parus dans la 2ème moitié du XIXe siècle et jusque dans les années 1960, dans la grande tradition du journalisme américain d’investigation. Très intéressantes visions et relations des problèmes urbains américains.

371971 Mell Scott, American City Planning since 1890, University of California Press, Berkeley, L.A., 745 p., (1ère édition, 1969).
L’auteur est enseignant associé à l’institut d’Études Politiques de l’Université de Californie à Berkeley. C’est un urbaniste. L’ouvrage est une véritable somme (avec appareil critique et bibliographie conséquente). À lire en parallèle avec C. BOYER (1983, cf. plus bas « approches thématiques »), beaucoup plus critique sur l’histoire de la planification urbaine aux États-Unis. Cela dit, cet ouvrage fourmille d’informations intéressantes et utiles à l’historien.

381971 Pour mémoire, mais quelle mémoire ! Charles Abrams, The Language of Cities. A glossary of terms, Equinox Books, N. Y, 365 p.
Le grand sociologue urbain américain a donné là un outil de référence remarquable... dont je ne connais malheureusement pas l’équivalent plus récent. Or, à 20 ans de distance, il y a eu bien des évolutions qui justifieraient une nouvelle ou une autre édition.

391972 Sam B. Warner Jr, The Urban Wilderness : a History of the American City, Harper & Row, N.Y., 303 p.
L’auteur est historien, professeur à l’Université du Michigan, responsable du « program in Education for social change ».
Il avait déjà publié deux ouvrages d’histoire urbaine : The Private City. Philadelphia in Three Periods of its Growth, 1968, et Street Car Suburbs : the Process of Growth in Boston, 1870-1900, 1962.
Le plan de l’ouvrage, sans exclure naturellement de solides références chronologiques, est résolument thématique, l’objectif étant de mobiliser l’attention sur la longue durée pour mieux cerner et comprendre les problèmes du présent. Dans son introduction, Warner rappelle d’entrée de jeu que tout canevas assez large en histoire urbaine américaine recoupe nécessairement les frontières de disciplines établies et requiert de l’auteur appui et critique de sources d’origine très variée, y compris iconographique. De fait l’ouvrage est abondamment illustré (116 photographies, une dizaines de cartes). Le titre est provocateur, difficile à traduire, quelque chose comme l’état sauvage, pour qualifier l’urbain. L’auteur s’en explique au début, relatant sa propre expérience de citadin : J’ai vécu avec le sentiment d’exister comme un habitant dans de petites clairières au milieu d’un désert urbain (ou d’une urbanité sauvage, au sens de : la nature sauvage). Il dit avoir consacré toute sa vie professionnelle à essayer de comprendre ces immensités urbaines sauvages en recherchant l’arrière-plan historique de leurs problèmes.
Sa conviction est qu’une longue tradition a pesé sur les échecs sans fin des Américains à construire et à assurer la maintenance (si l’on peut dire) de villes humaines. Il ne croit pas, contrairement à beaucoup, qu’il y ait jamais eu un « bon vieux temps » : toutes les recherches approfondies qu’il a faites, sur l’histoire de Boston, de Philadelphie, n’ont fait que renforcer ce sentiment, tout comme sa pratique de citadin-citoyen engagé. De ces expériences, Warner conclut que les Américains n’ont pas d’histoire urbaine : ils vivent dans un des pays les plus urbanisés du monde comme si c’était un désert sauvage, dans l’espace et dans le temps ! Si l’on excepte quelques mythes civiques et ethniques et quelques souvenirs de la famille et de la vie de leur quartier, les Américains n’ont pas conscience qu’ils ont un passé et que, par leurs actions, ils contribuent à façonner le futur. Quand ils font face aux problèmes présents, ils n’ont pas le sens d’où viennent les villes où ils vivent, comment elles ont poussé, dans quels grands courants de force elles ont été ou sont impliquées. Sans aucun sens de l’histoire, ils croient lutter contre les crises actuelles mais semblent ne disposer d’aucun moyen pour choisir leurs cibles, pour comprendre les tendances auxquelles ils sont confrontés, avec lesquelles ils doivent travailler ou qu’ils doivent éviter... Bref, pas de boussole.
Le but du livre est donc de rassembler ce qui maintenant est connu sur les villes, de donner, sous forme d’essais historiques orientés sur le présent, un cadre de compréhension du monde urbain géant et confus auquel sont confrontés les Américains. Dit autrement, l’objectif est d’essayer d’utiliser l’histoire pour remettre en place les peurs diffuses et les paniques sporadiques qui caractérisent aujourd’hui les perceptions populaires des villes. L’espoir est qu’en présentant aux gens leur histoire, la panique cède le pas à la compréhension et qu’ils puissent être amenés à choisir intelligemment, en toute connaissance de cause, ce qu’il faut faire pour construire des villes humaines en Amérique.
On peut certes aborder la question sous différents angles, mais on peut appréhender la ville à la mesure de trois finalités classiques : compétition ouverte, communauté, innovation (considérées comme des idéaux de la société américaine), sans qu’il s’agisse d’une triade harmonieuse a priori. Innovation et compétition peuvent être favorisées au détriment de la communauté (définie comme la recherche d’un environnement sain, sûr, décent, à la réalisation duquel chacun participe, riche ou pauvre), comme le montre souvent la logique du système capitaliste. Une politique strictement égalitariste peut fermer la compétition, bloquer la modernisation d’une ville. Des groupes se sont fermés à d’autres (exclusion). La compétition n’est jamais loyale et ouverte etc. Telles sont quelques unes des idées sous-jacentes au livre de Warner et qui ont finalement conduit au plan retenu. L’ouvrage se propose de passer en revue les séquences historiques essentielles ayant contribué à former les villes actuelles, regroupées en 3 grandes parties :

401) La prise de possession de l’espace
1 – L’urbanisme populaire des temps pionniers en Nouvelle Angleterre et sa destruction ou : la tradition comme déterminant
2 – Sauver la propriété d’autrefois : notre tradition de la gestion des sols face au zonage, à l’urbanisme contemporain, aux autoroutes

412) La construction d’une nation de villes
Le développement économique et ses incidences sur la structure interne des villes
3 – Le moteur de l’entreprise privée : New York 1820-1870
4- La ville ségréguée : Chicago 1870-1920, usines, chemins de fer et gratte-ciel
5- La nouvelle liberté : Los Angeles à partir de 1920 : bureaucratie, racisme et automobile

423) Le passé dans le présent
Immigration et migration à la source d’une culture urbaine nationale et des sous-cultures de classe, race, et religion locales. Les premiers efforts de rationalisation
6 – L’héritage des quartiers
7- Faire face à l’environnement urbain : crises publiques et profits privés ; réponses en terme de charité, de réforme, de science
8- La vie quotidienne négligée. Mettre de l’argent dans de vieilles institutions, logement, santé.
9 – Choix et continuité

431974 Bayrd Still, Urban America. A History with Documents, Little Brown & C°, Boston, 566 p.
Abondant appareil critique (pp. 489-542) et utile bibliographie commentée (pp. 543-562). Je rappelle que l’auteur, professeur à New York University, est l’un des maîtres de l’histoire urbaine américaine. C’est un recueil de textes et documents essentiels, dans le domaine, à utiliser en parallèle avec le Callow (1969). 4 grandes parties (chronologiques) : 1) la ville dans l’Amérique des débuts (XVIIe siècle – 1820) ; 2) la croissance urbaine (1820-1870) ; 3) l’expansion urbaine (1870-1920) ; 4) l’ère métropolitaine (1920-années 1970). À l’intérieur de chaque période (dont les délimitations ont été justifiées) plan par thèmes et questions. La simple lecture attentive du sommaire donne un très utile outil de référence.

441984 Peter B. Hales, Silver Cities. The Photography of American Urbanization, 1839-1915, Temple University Press, Philadelphie, 315 p.
Ouvrage certes destiné au grand public mais qui, précisément, participe au mouvement général sur l’impact de l’histoire urbaine. Cela dit, l’ouvrage a bien été conçu et construit par un chercheur universitaire (l’auteur a mûri ce livre en qualité de professeur dans le cursus de civilisation américaine de l’Université du Texas, à Austin). Il a, pendant 5 ou 6 ans, fouillé les archives photographiques pour rassembler la matière de son livre. Il ne s’agit donc pas du genre « cartes postales » d’autrefois. Son fil conducteur (et sa périodisation) est celui de l’évolution des techniques et des genres de la photographie, en liaison avec les grandes étapes de l’histoire urbaine américaine.

451985 Kenneth T. Jackson, Crabgrass Fronder. The suburbanization of the United States, Oxford university Press, N.Y., Oxford, 396 p.
L’auteur est professeur d’histoire à Columbia University.
Sur un thème qui a nourri une très abondante littérature (citée ici de façon approfondie et critique), c’est l’ouvrage le plus marquant, la synthèse la plus élaborée parue à ce jour avec celle de Stilgoe signalée plus loin.

461985 Raymond A. Mohl, The New City : Urban America in the Industrial Age, 1860-1920, « The American History Series », Duke University Brooklyn College, Harlan Davidson Inc., Arlington Heights, Illinois, 1985, 242 p., Collection destinée principalement aux enseignants et étudiants.
L’auteur, historien, a fait ses études à New York University, puis a enseigné à l’Université de l’Indiana, à la Northwest, Gary, et à Florida Atlantic University, où il est en poste en 1985. Il fait partie du comité de rédaction du Journal of Urban History. Ce livre, dit-il, est le fruit de vingt ans de lectures, de recherches, d’enseignement de l’histoire urbaine américaine et doit beaucoup « à la grandissante cohorte des historiens qui, depuis les années 1960, s’intéressent à l’histoire urbaine ».
De fait, sa bibliographie (pp. 208-230) est conçue, vingt ans après celui dressé par Glaab, comme un état des lieux critique : « Bibliographical Essay » ; en bref, une bibliographie commentée, en 4 rubriques (selon le plan du livre) :

  • les dynamiques de la croissance urbaine (pp. 209-215)

  • gouvernement urbain et politique (pp. 215-221)

  • ville et société (pp. 221-229)

  • XXe siècle (pp. 229-230)

47Il fait précéder cette présentation bibliographique

48– d’un rappel des ouvrages généraux sur l’histoire urbaine américaine :

49.1972 Sam B. Warner Jr, The Urban Wilderness : a History of the American City.

50.1973 Blake Mc Kelvey, American Urbanization : a Comparative History, Glenview, Ill.

51.1973 Raymond A. Mohl et James F. Richardson éd., The Urban Experience : Themes in American History, Belmont, Calif.

52.1974 Bayrd Still, Urban America : A History with Documents, Boston, (Still a été le professeur de Mohl à N.Y. University).

53.1979 David R. Goldfield et Blaine A. Brownell, Urban America : From Downtown to No Town, Boston.

54.1981 Howard P. Chudacoff, The Evolution of American Urban Society, 2e ed., Englewood Cliffs.

55.1983 Charles N. Glaab et A. Theodore Brown, A History of Urban America, N. Y, 3e ed. (1ère ed. 1967).

56– de références sur approches théoriques et interprétations de la ville pré-industrielle et de la transition vers une société moderne industrialisée : G. Sjoberg, L. Mumford, O. Handlin, E. Lampard, in Dyos et Wolff éd., The Victorian City, 1972.

57– des ouvrages-clés sur la période industrielle, notamment :

58.1933 Arthur M. Schlesinger, The Rise of the City 1878-1898 N.Y.

59.1963 Blake Mc Kelvey, The Urbanisation of America 1860-1915, New Brumswick, N.J.

601976 Maury Klein et Harvey A. Kantor, Prisoners of Progress : American Industrial Cities 1850-1920, N.Y.

61L’objectif de la collection dans laquelle est publiée le livre de Mohl est rappelé en avant propos : Le but pratique de notre historiographie est de nous donner un sens plus assuré du chemin que nous avons pris pour arriver là où nous sommes. Les directeurs de la collection poursuivent sur le thème bien connu : chaque génération redéfinit ses problématiques et ses orientations, parce qu’elle a à faire face à de nouveaux problèmes, à des changements de valeurs, à la nécessité de forger de nouveaux outils institutionnels pour répondre à de nouveaux besoins etc. De fait, en regard de C. Glaab et du moment fondateur du milieu des années 1960 évoqué plus haut, R.H. Mohl appartient bien à la nouvelle génération d’historiens urbains américains.

621986 Jon C. Teaford, The 20th Century American City, Problems, Promise and Reality, The Johns Hopkins University Press, 177 p.
L’auteur est professeur d’histoire à Purdue University. Il a aussi écrit
The Unheralded Triumph : City Goverment in America 1870-1900, Johns Hopkins University Press (que je n’ai pas lu). Très limpide mise au point sur l’histoire urbaine américaine au XXe siècle :

  • période 1900-1919

  • les promesses des années 20

  • interlude au développement urbain (1930-1945)

  • la banlieue triomphante (1945-1964)

  • un âge de crises urbaines 1964-1979

  • fragmentation de la métropolis.

631988 John R. Stilgoe, Origins of the American Suburbs, 1820-1939, Yale University Press, New Haven and London, 353 p. L’auteur est professeur d’histoire du paysage à Harvard University et ses ouvrages précédents (Commun Landscape of America, 1580 to 1845, Yale University Press, 1982, et Metropolitan Corridor : Railroads and the American Scene, Yale University Press, 1983) font autorité. C’est parce qu’au début des années 1980 Stilgoe avait fait un cours à Harvard sur les paysages suburbains de l’après seconde guerre mondiale qu’il a été conduit à concevoir cet ouvrage, bref à remonter aux sources. Son livre ne suit pas pour autant la chronologie, ou plus exactement c’est à partir de l’approfondissement de six thèmes majeurs qu’il construit une périodisation significative. Abondance de l’iconographie, rigueur de l’appareil référentiel et originalité de la démarche en font un ouvrage passionnant dont la lecture, croisée avec celle du livre de Jackson (1985), appellerait plus ample commentaire de cette épopée de banlieues américaines (formes, processus et impacts).

B. Immigration, immigrants et histoire urbaine : mythes et réalités du « melting pot »

64C’est un thème majeur de l’histoire américaine, qui demeure au cœur des problématiques des sciences sociales. Il a engendré et continue à susciter une très abondante littérature. Sociologues, géographes, économistes et historiens se partagent ce « champ » constamment nourri par l’aval (immigration latino-américaine et asiatique contemporaine) et par l’amont, avec la permanente actualité ou réactualisation des problèmes raciaux et ethniques, héritages de migrations antérieures. Domaine d’analyse privilégié des sociologues et des anthropologues (intégration, exclusion, acculturation), il a plus récemment retenu l’attention des économistes et des politologues ; mais les historiens ont assez précocement attiré l’attention sur la nature et l’impact de ces phénomènes en milieu urbain, sans pour autant aussitôt, ni tous, prétendre qu’ils faisaient de « l’histoire urbaine ». Ils n’en ont pas moins progressivement contribué, par leurs recherches en histoire sociale, économique et culturelle, à mieux caractériser l’objet même d’une histoire urbaine. Nombre de ceux qui figurent aujourd’hui parmi les maîtres de l’histoire urbaine américaine ont, si j’ose dire, fait leurs premières armes sur ce thème-clé de l’histoire des États-Unis : l’immigration et la mobilité migratoire.

65Le risque longtemps encouru, pas seulement par les historiens, a été celui d’une fragmentation du regard, des curiosités et des sensibilités, conduisant, à l’échelle du vaste espace américain, à se cantonner dans la monographie locale, toujours susceptible en effet de restituer ou de révéler des particularités bien ancrées et toujours vivantes. On étudiait aussi bien, mais séparément, les Irlandais, les Slaves, les Allemands que les Juifs ou les Noirs, même si ces derniers devaient être « raccrochés » à une immigration (forcée) bien lointaine. Les grandes villes, ou celles qui allaient le devenir, offraient l’éventail de situations le plus ouvert (New York, Chicago, Boston etc)... et le plus propice aux premières synthèses. Le problème noir a fait surgir, dans les années 1960 – et au delà – une littérature « urbaine » spécifique : il fallait comprendre ces « ghettos » qui se révoltaient. J’ai cru devoir l’inclure dans la présente « rubrique » (même si aux États-Unis elle en est le plus souvent disjointe) car elle participe d’une démarche somme toute identique : caractériser, dans leur espace, leur histoire, des groupes de population considérés, se considérant ou conduits à se considérer comme distincts.

66Dans ce contexte, longtemps dominé par les sociologues, il faut reconnaître à un certain nombre d’historiens (et à quelques géographes) le mérite d’un regard plus étendu dans le temps et le souci de restituer, à l’échelle de villes entières ou de séries de villes, les processus, les formes et les effets de dynamiques socio-spatiales plus générales.

671941 Oscar Handlin, Boston’s immigrant, 1790-1880. A Study in Acculturation, réédité en 1959, nouvelle édition en 1991 (édition du 50e anniversaire), Harvard University Press, 382 p. C’est dire le succès et l’audience de cet ouvrage, désormais considéré comme un classique.

68L’auteur, né en 1915, est professeur émérite à Harvard. C’est un des pères fondateurs de l’histoire urbaine aux États-Unis. Il rappelle, dans sa préface de 1991, qu’en 1941 il n’existait pas, pour la recherche ou l’enseignement, de champs qui se seraient intitulés histoire urbaine ou histoire ethnique. Personne n’avait encore songé à mettre en relation la politique ou la religion avec la ville ou avec l’immigration. Il fallut aussi attendre un certain temps pour que l’histoire des mentalités soit instaurée comme un champ digne d’intérêt... Et pourtant ce livre aborde ces aspects. En ce sens, c’est un ouvrage pionnier, un texte fondateur, qui aurait pu figurer dans la rubrique générale précédente. Apparemment, il ne répondait pas, à l’époque, à une demande sociale. De plus, c’était le premier livre de cet historien. Arthur Meir Schlesinger avait certes déjà écrit sur les villes et sur l’immigration mais, au dire d’Handlin, « il se serait senti très mal à l’aise face au terme d’histoire urbaine et d’histoire ethnique », il aurait pris cela – on aurait pris cela – pour des « enclaves », restreignant le champ de ce que Schlesinger pensait faire, de l’histoire sociale. C’est pourtant lui qui a suggéré à Handlin le sujet de ce livre, presque par hasard, un étudiant ayant abandonné ce sujet de thèse. Handlin le reprit, sans état d’âme et travailla 5 ans, sans avoir l’impression que Schlesinger l’ait influencé dans sa recherche par quelque cadre théorique ou méthodologique que ce soit... ce qui ne veut pas dire qu’il ne s’en soit pas forgé un.

69En 1963, Oscar Handlin (avec John Burchard) publie The historian and the city, MIT Press. Il n’est donc pas inintéressant de rappeler que l’un des pères fondateurs de l’histoire urbaine américaine a fait ses premières armes sur le melting pot urbain. Au reste, cette « veine » n’a pas cessé d’irriguer la littérature américaine sur l’urbain.

70Boston, qui apparaît donc comme l’une des premières villes américaines à susciter une recherche en « histoire urbaine », restera par la suite objet de nombreuses études – j’en cite quelques-unes plus loin – et notamment de ce qui est devenu un classique de la sociologie urbaine : Herbert J. Gans, The urban villagers. Group and Class in life of Italian-Americans, Free Press, New York, 1962, 367 p., ouvrage qui, comme celui d’Handlin, figure dans la plupart des listes de lectures obligatoires pour les étudiants américains en histoire et études urbaines.

711962 Moses Rischin, The Promised City ; New York’s Jews, 1870- 1914, Harvard University Press, 342 p. Édition de poche en 1970 et 1977.
L’ouvrage est dédié à... Oscar Handlin. Aucun doute sur la volonté de l’auteur de l’inscrire dans le champ de l’histoire urbaine naissante. (Pour la suite de l’histoire des juifs à New York, voir 1981, Moore).

721965 Kenneth Clark, Ghetto noir (Dark Ghetto), Petite Bibliothèque Payot, 1966 (Pour mémoire).

731966 Gilbert Osofsky, Harlem : The Making of a Ghetto, Negro New York, 1890-1930, Harper Torchbooks, N.Y., 2e édition 1971, 276 p.
Bibliographie commentée (pp. 203-214), appareil référentiel (pp. 215-264). L’auteur enseigne l’histoire à l’Université de l’Illinois.

741967 Allan H. Spear, Black Chicago. The Making of a Negro Ghetto, 1890-1920, The University of Chicago Press, 254 p.
Allan Spear enseigne l’histoire à l’Université du Minnesota. Note sur sources & bibliographie pp. 231-241.

751969 Karl E. Taeuber et Alma F. Taeuber, Negroes in Cities. Residential Segregation and Neighbourhood Change, Atheneum, N. Y, 284 p.
Sociologie et démographie.
Chapitre initial : bref panorama historique et statistique. Intérêt : approche à l’échelle des USA, années 50-60.

761970 William K. Tabb, The Political Economy of the Black Ghetto. Why the mass of black americans has been forced to accept economic deprivation in an age of prosperity, W. W, Norton & C°, N. Y, 152 p.
L’auteur enseigne l’économie à Queen College, City University of New York.

771970 William M. Tuttle Jr, Race Riot. Chicago in the Red Summer of 1919, Atheneum, N.Y., « paperback » 1972, 305 p.
L’auteur est professeur d’histoire à l’université du Kansas. Solide appareil critique & bibliographie.

781971 David Ward, Cities and immigrants. A Geography of Change in Nineteenth Century America, Oxford University Press, N.Y., London, 164 p.
L’auteur est géographe, son livre est une vulgarisation destinée aux étudiants et résulte de son enseignement. Il inaugure une collection de géographie historique ou d’histoire de la géographie. C’est une précieuse synthèse (la bibliographie est un bon état de la connaissance au début des années 1970), avec production des faits majeurs (cartes, tableaux). Utile outil de référence.

791972 Brindley Thomas, Migration and Urban Development. A Reappraisal of British and American Long Cycles, Methuen and C°, London, 259 p.
L’auteur est professeur d’économie à l’Université de Cardiff. La mise en perspective comparée des cycles longs (XIXe-XXe siècle) est intéressante pour le propos, le Royaume-Uni ayant passablement nourri l’immigration aux États-Unis.

801976 Kenneth L. Kusmer, A Ghetto Takes Shape. Black Cleveland, 1870-1930, University of Illinois Press, Urbana, 305 p.
L’auteur enseigne l’histoire à Temple University (histoire urbaine et histoire sociale).

81Plan chronologique : 1) L’héritage du XIXe siècle (avant 1870) ; 2) La communauté noire en transition, 1870-1915 (4 Chap.) ; 3) Un ghetto prend forme (1915-1930). Solide appareil critique & bibliographie commentée. Utiles cartes.

821981 Deborah D. Moore, At Home in America. Second Generation New York Jews, Collection « The Columbia History of Urban Life », Columbia University Press, N.Y., 303 p.
L’auteur enseigne au Département des Études Juives, Vassar College. La période couverte est celle de l’entre-deux-guerres (années 1920 et 1930).

831985 Elizabeth Ewen, Immigrant Women in the Land of Dollars. Life and Culture on the Lower East-Side, 1890-1925, Monthly Review Press, N.Y., 303 p.
L’auteur est historienne, spécialiste d’histoire sociale américaine du XX
e siècle. Elle enseigne à la State University of N.Y. at Old Westbury. Son livre, inscrit dans un quartier de New York, est attachant et se lit un peu comme un recueil de nouvelles. C’est une succession de 14 histoires de vie, avec chacune sa couleur et son thème dominant. C’est aussi un contrepoint au mythe construit du melting pot.

841987 Nancy Forner éd., New Immigrants in New York, Columbia University Press, 318p.
N. Forner est professeur d’anthropologie à la State University de New York, Purchase. Son livre rassemble une dizaine de contributions d’auteurs, en majorité des sociologues et des anthropologues. Par « nouveaux immigrants » on entend ici ceux arrivés à New York depuis 1965. Mais ce n’est pas seulement leur date d’arrivée qui les différencie des « vieux » immigrants, c’est surtout les pays d’où ils viennent (Caraïbes, Amérique latine, Asie) et le fait que la proportion de femmes, de clandestins et de « professionnals » (personnels de service, tertiaire) est plus importante. Utile repérage pour d’ultérieures recherches d’historiens.

851987 John Bodnar, The Transplanted. A History of Immigrants in Urban America, Indiana University Press, Bloomington, 294 p.
L’auteur est professeur d’histoire et directeur du centre de Recherche Orale à Indiana University et spécialiste d’histoire sociale américaine (XIXe-XXe siècles).
Ouvrage important, qui fait date et autorité. C’est la meilleure interprétation actuelle de l’immigration aux États-Unis entre 1830 et 1930, dans une littérature assez abondante sur le thème (comme en témoignent l’appareil critique, pp. 219-266, et la bibliographie, pp. 267- 285, excellente). C’est une synthèse, dont la brillante et claire introduction donne les clés : l’histoire d’une constante et rude adaptation aux réalités économiques, aux impératifs du capitalisme conquérant. L’observation serait banale et universelle si l’auteur ne soulignait d’emblée sa valeur dans le cas des villes et de la société urbaine américaines à la fin du XIXe siècle. Sans méconnaître les spécificités (origines, cultures) des vagues successives d’immigrants, l’auteur estime devoir dépasser les classiques approches « ethniques » (du type les Irlandais ou les Italiens à Boston, les Allemands à Cincinnati, ou les « Chicanos » à Los Angeles). C’est la saga entière de l’immigration qui est son objet d’étude, confrontée aux défis du capitalisme et de la modernité et à ses ancrages urbains. D’où le plan original et convaincant retenu.

861989 David Ward, Poverty, Ethnicity and the American City, 1840- 1925. Changing Conceptions of the Slum and the Ghetto, Cambridge University Press, 263 p.
Je dirai la même chose de cet ouvrage qui finalement dispense d’en lire bien d’autres sur une question qui se trouve enfin ici traitée avec intelligence, rigueur. Décidément, ce professeur de géographie à l’Université du Wisconsin, Madison, a bien œuvré pour l’histoire urbaine américaine. Son livre mériterait une analyse longue et circonstanciée. À mes yeux, il est le complément indispensable du précédent.

871989 James R. Grossman, Land of Hope. Chicago, Black Southerners, and the Great Migration, The University of Chicago Press, Chicago, 384 p.
L’auteur est directeur d’un centre de recherches historiques à l’Université de Chicago.
Abondant appareil critique (pp. 277-353) et bibliographie (pp. 355-370). Le livre (malgré ou en raison des titres de chapitres à première vue déconcertants) est très bien composé et situe la genèse du ghetto de Chicago dans le contexte de la migration des noirs du sud vers la ville. Toute la chaîne, les processus, sont donc étudiés, dans l’espace et en durée. Cet ouvrage, novateur à bien des égards, est l’un des plus pertinents, en ce qu’il donne à une démarche d’histoire urbaine toute son ampleur et sa portée. Cela dit, il s’inscrit dans un thème que les historiens avaient abordé avant lui : cf. August Meier et Elliot Rudwick, From Plantation to Ghetto, Hill et Wang, N.Y., 1966 (édition révisée 1970).

88Les livres de J. Bodnar (1987) et de D. Ward (1989), retenus ici parce que centrés sur le thème de la mobilité, de la transplantation et du brassage en longue durée, auraient pu figurer dans la rubrique A (histoire urbaine générale des État-Unis). Ils participent, avec quelques autres, comme celui de J. Grossman (1989), au renouvellement, à la fin des années 1980, de l’histoire urbaine américaine ; ils en marquent un tournant au moins aussi important que celui observé au début des années 1960. Ces recherches reposent en effet sur un réexamen décapant des sources et conduisent souvent à une remise en cause des explications jusqu’alors généralement admises. Elles constituent aussi, et ce n’est pas leur moindre intérêt, une mise en garde face aux tendances ultra- « ethnicisantes » qui semblent vouloir se partager, en le fragmentant à l’extrême, le champ de l’urbain. À l’aube des débats sur le « politically correct », qui ont envahi les sciences sociales au début des années 1990, ces auteurs prennent sereinement, et clairement, leurs distances. On ne saurait trop leur en savoir gré.

C. Aspects régionaux et thématiques du développement urbain dans l’histoire des États-Unis

89Les ouvrages cités dans cette rubrique concernent pour la plupart des villes distinctes et des périodes déterminées. Certains auraient pu figurer dans la précédente rubrique, ou renvoyés à une approche géographique ou thématique plus finement élaborée. Rien n’interdit au reste de le faire. La plupart s’apparentent au genre de la monographie, mais l’apport de plusieurs dépasse largement l’intérêt local et contribue aux avancées de l’histoire urbaine américaine en ouvrant de nouvelles perspectives de recherche et de nouveaux débats.

901959 Richard C. Wade, The Urban Frontier. Pioneer Life in Early Pittsburg, Cincinnati, Lexington, Louisville and St-Louis, The University of Chicago Press, 360 p.

91L’auteur est « Distinguished » professeur d’histoire à la City University of New York. Titre et thème évocateur. Un des ouvrages... « pionniers » en histoire urbaine américaine sur une période fondatrice (1790-1830) et à une échelle qui exclut la vision monographique étriquée. Cela reste un livre de base et de référence (il figure toujours en bonne place dans les bibliographies remises aux étudiants américains et sur les rayons des librairies universitaires) ; écrit par l’un des meilleurs historiens urbains américains. Son propos est clair : « L’ouest rural a eu de nombreux historiens. Sa croissance, son influence et son importance sont bien connues. Pourtant il n’a pas toujours été compris que, presque dès le début, il y a eu aussi un ouest urbain ».

921959 (voir 1968 Whitehill)

931962 Sam B. Warner Jr., Streetcar Suburbs. The Process of Growth in Boston (1870-1900), Harvard University Press, 2e édition 1978, 206 p.
Une ville, un thème et la période dans laquelle il s’inscrit de façon significative. C’est l’épopée des tramways et l’une des premières recherches sur la relation entre l’urbanisation, les transports en commun et l’émergence des banlieues.

941968 Sam B. Warner Jr., The Private City. Philadelphia in Three Periods of its Growth, University of Pennsylvania, Philadelphia, 236 p.
De la ville du XVIII
e siècle à la métropole industrielle des années 1930. Voilà de la bonne histoire urbaine (cf., rubrique A, l’analyse de son principal ouvrage – 1972).

951968 Walter M. Whitehill, Boston. A Topographical History, Harvard University Press, 2e édition augmentée (1ère édition 1959), 299 p.
L’auteur est une notabilité bostonienne, conservateur de la bibliothèque de l’Athénée, sur Beacon Hill. Edition plus que soignée, avec de nombreuses illustrations (cartes, plans, gravures, photographies) comme le sujet l’appelait. Monographie minutieuse, restitution attentive des documents d’archives retraçant les étapes et formes successives de prise de possession du sol urbain. Incontestablement, c’est bien une contribution à l’histoire d’une ville, et pas n’importe laquelle !

961969 Harold M. Mayer et Richard C. Wade, Chicago : Growth of a Metropolis.
Plus de 1000 illustrations et 50 cartes. L’architecte et l’historien ont rassemblé une imposante documentation. Des années 1830 aux années 1960, l’histoire de la ville est décomposée en six étapes ou phases retenues comme significatives. L’objectif principal est de rendre compte des processus et formes spatiales de développement de la ville. C’est une mine d’informations et une véritable somme.

971970 (1890) Jacob A. Riis, How the Other Half lives, edited by Sam B. Warner Jr. with photographs by Riis, Harvard University Press, Cambridge Mass., 246 p.
L’ouvrage réédité par Warner fut publié pour la première fois en 1890. L’auteur était un grand journaliste. Son livre, avec des photographies de l’époque, est devenu une « source » pour les historiens. Il pourrait figurer dans toute rubrique. Il n’a pas pris une ride à l’heure de la (re)découverte du problème des « homeless ». C’est un grand classique, à mettre au panthéon de l’histoire urbaine américaine.

981971 (1873) Joel T. Headley, The Great Riots of New York, 1712-1873, Dover Publication, N.Y., 335 p.
Réédition, en fac-similé, de l’édition de 1873 ; introduction de James Mc Cague. La vie n’a pas toujours été drôle à New York. Voilà une chronologie et une description de toutes les émeutes urbaines de New York. C’est plus une chronique de ces mouvements sociaux violents que leur analyse proprement dite, mais quel souffle !

991973 Stephan Thernstrom, The Other Bostonians. Poverty and Progress in American Metropolis, 1880-1970, Harvard University Press, « Harvard Studies in urban History », 345 p.
Histoire sociale et histoire quantitative.
Solide contribution à l’histoire de Boston.

1001977 Selwyn K. Troen et Glen E. Holt éd., Saint-Louis, New Viewpoint, N. Y, Collection « Documentary History of American Cities », 220 p. (Il existe aussi un Detroit, 1976, et un Pittsburg, 1976, dans cette collection).
Troen enseigne l’histoire à Tel Aviv et Holt est Directeur du Département d’études urbaines à Washington University, St-Louis. Histoire de St-Louis, en 3 parties : du poste colonial à la ville de la frontière (1763-1830), de la petite à la grande ville (1830-1910), de la ville à la région (1910-1975). Le texte introductif justifie et caractérise la périodisation. Le livre se compose ensuite pour l’essentiel de textes et documents de l’époque.

1011978 Douglas Shand-Tucci, Built in Boston. City and Suburb, 1800- 1950, avant propos de W.M. Whitehill (cf. plus haut), University of Massachussets Press, Amherst, 1968, 270 p. (« paperback » 1988).
Essentiellement un livre d’histoire de l’architecture à Boston. Parmi d’autres sur le sujet, celui-ci comporte une abondante illustration (231 photos et croquis ou cartes).

1021979 Richard Griswold Del Castillo, The Los Angeles Barrio, 1850- 1890. A Social History, University of California Press, Berkeley, 217 p. (« paperback » 1982).
Histoire du passage d’une population de langue espagnole d’une région frontière mexicaine à l’état de groupe ethnique marginal vis-à-vis des cultures espagnole et anglo-américaine. Démarche d’anthropologie historique et culturelle en milieu urbain.

1031982 David R. Goldfield, Cotton Fields and Skyscrapers. Southern City and Region, The Johns Hopkins University Press, 232 p.
L’auteur est professeur d’histoire à l’Université de Caroline du Nord, Charlotte. Plan chronologique : 1) Perles sur la côte et lumière dans la forêt : Père coloniale ; 2) Urbanisation sans villes : l’ère d’avant la guerre civile ; 3) Le vieux Sud sous de nouvelle conditions : 1861-1920 ; 4) Une sorte de rayon de soleil : 1920-1980. Une histoire urbaine du Sud. Sur le thème et la région, voir aussi et surtout :

1041983 Blaine A. Brownell, « The Idea of the City in the American South », in Derek Fraser et Anthony Sutcliffe éd., The Pursuit of Urban History, Edward Arnold, London, 1983, pp. 138-150.
Brownell est professeur d’Études urbaines et d’histoire à l’Université de l’Alabama à Birmingham. C’est l’un des historiens américains ayant le plus travaillé et publié en histoire urbaine depuis une quinzaine d’années. Il est directeur de publication du Journal of Urban Studies.

105L’ouvrage est pour l’essentiel consacré à l’histoire urbaine britannique et prend figure d’un hommage à H.J. Dyos. Le chapitre 20 est une très intéressante mise au point de François Bedarida sur l’approche française de l’histoire urbaine et les tendances méthodologiques récentes (pour mémoire, ici).

106Venant de l’auteur de The Urban Nation, 1920-1980 (1981), de From Downtown to no town (1979) et de The urban Ethnos in the South, 1920- 1930 (1975), l’article mentionné ici prouve l’intérêt de ce grand spécialiste pour une approche régionale de l’histoire urbaine, d’où il était parti pour penser à l’échelle nationale, où il revient, pour approfondir son propos.

107Son hypothèse de base est que, idées, images et autres formes de perception des villes ne flottent pas de façon erratique dans un air raréfié mais sont enracinées dans le contexte social et culturel d’une période déterminée. Le Sud a toujours été la région la plus rurale des États-Unis, mais (on a trop tendance à l’oublier) le Sud a été aussi, parmi les colonies anglaises, l’une des plus urbanisées, même si cela a été à un moindre niveau que la Nouvelle-Angleterre. Comme ailleurs, les villes étaient plus importantes que leur taille ou leur nombre pouvaient le suggérer. Charleston, Savannah, Richmond et la Nouvelle-Orléans, furent des centres administratifs et des centres de commerce, comme d’autres villes de l’intérieur, fonctions essentielles face à la dispersion des fermes et des plantations. Comme ailleurs aux USA, c’est au début du XIXe siècle que les taux de croissance ont été plus rapides pour les villes. La guerre civile n’a pas freiné le renforcement du réseau urbain, même si les villes furent sérieusement endommagées. Birmingham devint une ville industrielle. Certes, en 1860, le taux d’urbanisation n’était encore que de 7,1 % ; il passe à 8,6 % en 1870, très loin derrière le Nord-Est et le Middle West ; 15,2 % en 1900 (c’est-à-dire la moyenne nationale observée en 1850). Mais après 1900, forte augmentation des rythmes d’urbanisation (+ 355 % entre 1900 et 1940, contre 112 % dans le Nord), essor du Texas et de la Floride aidant. Le mouvement s’est encore accentué après la seconde guerre mondiale. Ces records sont pourtant demeurés estompés par le persistant stéréotype régional faisant du Sud une région de fermes et de plantations, d’esclavage et de racisme, de ruraux arriérés etc. Ce courant de cité-phobie a largement nourri la pensée et la littérature du Sud. C’est l’objet de l’article de tirer au clair cette question. On plonge au cœur de l’histoire sociale, de l’histoire des mentalités, préalable indispensable à l’histoire urbaine du Sud. La démonstration est remarquablement conduite.

1081986 Paula M. Nelson, After the West Was Won. Homesteaders and Town-Builders in Western South Dakota, 1900-1917, University of Iowa Press, 220 p.
Épopée de la dernière frontière, minutieusement restituée ; l’envers du décor et la réalité du western. Du bon travail d’historien.

1091986 Cynthia J. Shelton, The Mills of Manayunk. Industrialization and Social Conflict in the Philadelphia Region, 1787-1837, The Johns Hopkins University Press, Baltimore, 227 p.
Du solide travail d’historien.
Histoire industrielle, histoire sociale, histoire urbaine.

1101988 William Wyckoff, The Developers frontier. The Making of the Western New York Landscape, Yale University Press, New Haven, 239 p.
L’auteur est géographe, l’ouvrage ne concerne pas particulièrement les villes. Mais quelle rigueur, et quel apport dans l’analyse et la restitution des modalités et des formes de prise de possession de l’espace, au temps où l’ouest de l’État de New York était encore la « frontière ». Cadastration et appropriation de l’espace, dans leurs processus initiaux.

1111990 Lizabeth Cohen, Making a New Deal. Industrial Workers in Chicago, 1919-1939. Cambridge University Press, Cambridge, N. Y, 526 p.
L’auteur est professeur associé à New York University.
Ouvrage d’histoire sociale et ouvrière, certes, mais indispensable pour restituer l’histoire urbaine de Chicago dans l’entre-deux-guerres.

1121991 William Cronon, Nature’s Metropolis. Chicago and the Great West, W.W. Norton and C°, N.Y., 530 p.
L’auteur est professeur d’histoire à l’Université du Wisconsin, Madison. L’ouvrage est une somme impressionnante qui renouvelle singulièrement l’histoire urbaine de Chicago et l’analyse en longue durée des rapports ville/campagne. La seconde partie, entre autres, réexamine systématiquement l’impact sur la ville et dans la région, des céréales, du bois et de la viande. Le chapitre sur le bois et la ville (pp. 148-206) mérite une attention particulière. C’est désormais le livre sur Chicago, parce que la ville et son histoire sont replacées dans le grand MidWest. Il ne se substitue pas à l’autre ouvrage monumental sur Chicago (Mayer-Wade 1969). À 20 ans de distance, les deux volumes se complètent.

D. La question du logement dans l’histoire urbaine américaine

113Certes, la plupart des ouvrages déjà cités, ou cités dans les rubriques suivantes, abordent ce thème. Mais certains sont centrés sur cette question, focalisent l’attention soit sur l’aspect morphologique (le bâti urbain, son extension, sa restructuration...) et souvent ce sont des ouvrages écrits par des architectes, urbanistes, voire géographes, soit sur les aspects sociaux du logement (housing problem) et ce sont surtout des sociologues, des politologues qui les abordent. Ce qui ne veut pas dire que les historiens ne sont pas attachés à cette question. Les quelques références ci-dessous en témoignent, parmi d’autres. Au reste ce « thème » est nourri en amont par un lien évident avec la question des pauvres, « the urban poor » (cf. plus haut A. Riis), et en aval par le problème des « homeless ».

1141975 P. Crusta et al., L’Urbanistica del Riformismo, USA 1890-1940, Mazzotta, Milan, 233 p.
Équipe d’auteurs italiens, certes, dont les sources sont évidement américaines et bien répertoriées et utilisées. Bonne synthèse sur la question du logement social dans les villes américaines, des origines à la veille de la seconde guerre mondiale

1151981 Gwendolyn Wright, Building the Dream... A Social History of Housing in America, MIT Press, 329 p.
L’auteur est architecte... mais fait preuve de solides qualités d’historienne. Ouvrage de synthèse très utile. Abondant appareil critique. Elle a publié plus récemment (1991) un livre remarquable sur l’urbanisme colonial français (Maroc, Madagascar, Indochine) qui n’a pas d’équivalent dans la littérature de langue française. Je la considère plus comme une historienne que comme une architecte.

1161986 Ronald Lawson éd., The Tenant Movement in New York City, 1904-1984, Rutgers University Press, New Brunswick, N.J., 288 p.
L’auteur est professeur au Département d’Études urbaines de Queen College, City University of New York.
Six études remarquable sur la question. Les auteurs sont en majorité historiens. Histoire sociale : les locataires dans la ville.

1171987 Rick Beard éd., On Being Homeless : Historical Perspectives, Museum of the city of New York, 176 p.
Catalogue (remarquable) de l’exposition sur ce thème et notable contribution, ouverte au public, à l’histoire urbaine.

1181989 Elizabeth Blacmar, Manhattan for Rent, 1785-1850, Cornell University Press, 348 p.
L’auteur enseigne l’histoire à Columbia University. Remarquable monographie. À lire en parallèle avec Lawson. Mériterait une plus longue analyse.

1191990 Elizabeth C. Cromley, Alone Together. A History of New York’s Early Apartments, Cornell University Press, Ithaca, 252 p.
L’auteur est professeur d’architecture à la S.U.N.Y., Buffalo.
Étude minutieuse (et bien illustrée), à l’échelle des ilots, des immeubles et des logements eux-mêmes. La période couverte est essentiellement le XIXe siècle.

1201990 Richard Plunz, A History of Housing in New York City, Columbia University Press, N.Y., 422 p.
L’auteur est architecte et historien. Il enseigne à Columbia University. Abondamment illustré, cet ouvrage est un peu une somme sur la question. Indispensable pour suivre les formes et les étapes de « l’urban fabric » à New York.

E. Autres approches thématiques spécifiques, à l’échelle des États-Unis

1211971 S.B. Sutton éd., Civilizing American Cities : a Selection of Frederick L. Olmsted’s writings on City Landscape, MIT Press, 310 p. (« paperback » 1979).
Recueil de textes essentiels d’un des plus célèbres urbanistes américains, qui a largement influencé la pensée sur l’urbain à la fin du XIXe siècle, à l’époque de la montée du mouvement des cités-jardins.

1221973 James Marston-Fitch, American Building. The Historical Forces that Shaped It, Schoken Books (collection architecture/histoire sociale), N.Y., 2e édition révisée (1ère édition 1947).
L’auteur est professeur d’architecture à Columbia University.
L’ouvrage, bien illustré, brasse toute l’histoire américaine (du XVIIe siècle à nos jours avec découpage en 8 périodes). Ce survol mériterait certainement examen. Mais l’intérêt du livre est bien de montrer les « agents » du façonnement construit des villes américaines (idées, hommes, moyens, techniques et évolution du secteur du Bâtiment et Travaux Publics).

1231975 Thomas Bender, Toward an Urban Vision. Ideas and Institutions in 19th Century America, The Johns Hopkins University Press, Baltimore, 277 p.
L’auteur est professeur d’histoire à New York University.
Contribution notable à l’histoire des institutions urbaines aux États-Unis et aux débats qu’elles ont suscités.

1241980 Gunther Barth, City People. The Rise of Modern City Culture in 19th Century America, Oxford University Press, 289 p.
L’auteur est professeur d’histoire à Berkeley.
Histoire des mentalités, histoire culturelle. Contribution importante à l’histoire urbaine américaine.

1251983 M. Christine Boyer, Dreaming the Rational City. The Myth of American City Planning, MIT Press (« paperback » 1990).
L’auteur est professeur en architecture à Columbia University. Elle a fait une communication, très critique et provocatrice, au colloque CNRS sur les villes américaines à l’automne 93 à Paris. Critique décapante... mais rigoureusement ordonnée.

1261986 David Schuyler, The New Urban Landscape. The Redefinition of City Form in 19th Century America, The Johns Hopkins University Press, Baltimore, 237 p. À consulter en liaison avec les textes d’Olmsted (cf. plus haut).
L’auteur est professeur en « Études américaines » à Baltimore. Livre-clé sur espaces verts, parcs urbains et conception de la ville.

1271991 Elizabeth Wilson, The Sphinx in the City. Urban Life, the Control of Disorder, and Women, University of California Press, 191 p.
L’auteur est professeur de sciences sociales à Londres.
L’ouvrage ne concerne pas que l’histoire urbaine américaine. Mais c’est une relecture féminine des conceptions et réalisations masculines de la ville. Intéressant !

128En guise de conclusion d’une approche historiographique à poursuivre et à bâtir véritablement, le simple renvoi à quelques articles récents de la revue Journal of Urban History.

1291992 Josef W. Konvitz, (sous la direction de), n° spécial du Journal of Urban History, février 1992, vol 19, n° 2, consacré à la Mégapolis (pp. 3-125, Princeton dans la mégalopolis, Los Angeles).

1301992 Raymond A. Molh, « In memoriam. Bayrd Still, Pioneer Urban historian (1906-1992) », Journal of Urban History, mai 1992, Vol. 19, n° 3, pp. 3-6.

1311992 Andrew Wiese, « Places of Our Own : Suburban Black Towns before 1960 », Journal Urban History, mai 1992, Vol. 19, n° 3, pp. 30-54.

1321993 Samuel P. Hays, « From the History of City to the History of the Urbanized Society », Journal of Urban History, Août 1993, vol. 19, n° 4, pp. 3-25 (reprise d’une communication faite en décembre 1992, comme allocution d’ouverture à la Réunion de l’Association d’Histoire Urbaine, à Washington DC).
Ils témoignent de la nouvelle recherche d’un « état des lieux » et des débats actuels qui font de l’histoire urbaine un secteur particulièrement vivant de l’histoire et des sciences sociales aux États-Unis. La communication de S.P. Hays suggère une nouvelle remise en question de l’histoire urbaine et de son objet : elle vient donc à sa place pour clore cette communication.

Notes

1 – Si l’on veut bien excepter une note de bibliographie commentée, à l’usage des agrégatifs, sur le thème « villes et sociétés urbaines aux États-Unis du début du XIXe siècle à 1914 » (multigraphié, 14 pages, ENS Fontenay/St-Cloud, mai 1991) ; un recueil d’articles de presse (New York Times, Washington Post...’) consacrés aux différents aspects de l’urbanisation et de la vie urbaine, sorte de chronique suivie (de janvier à juin 1987) recomposée par thèmes sous le titre American Urban life and problems. A « side » review of some Eastern newspaper reports, Occasional Paper, W. Wilson Centre, Washington DC, june 1987, 220 p. multig. ; et un dossier d’analyse du fait urbain sur le cadre bâti et non bâti, Méthodes et documents : le cas de Boston, ENPC., 1975, 27 p. multig.

2 – L’ouvrage se compose de 3 parties :
1 – L’étude de l’urbanisation dans les Sciences sociales (5 chapitres disciplinaires : histoire, géographie, sciences politiques, sociologie, économie)
2 – Recherche urbaine comparée
. pays en développement et pays industrialisés
. l’urbanisation en Asie
. la géographie urbaine et les aires non occidentales
. la structure spatiale des villes dans les Amériques
3 – Quelques problèmes de recherche
. frontière de la recherche en géographie urbaine
. croissance économique urbaine et développement dans un système national de villes
. les théories et types de continuité/discontinuité campagne/ville et les formes d’éthnocentrisme occidental
. aspect historique de l’urbanisation

3 – Dans la Mississippi Valley Historical Review, june 1940, pp. 43-66, texte repris et révisé sous le titre « The city in american civilization » in Paths to the present, New York, 1949, puis réédité in COLLOW (A.) éd., American Urban History, 1969, pp. 25-41.

4 – Il arrive qu’on soit alléché par un titre, une jaquette, un sommaire... et déçu par le contenu. Je ne me gêne pas pour le dire quand cela est nécessaire.

Auteur

Professeur à l’Institut Français d’Urbanisme de l’Université de Paris VIII, Directeur de l’Ecole Normale Supérieure de Fontenay/Saint-Cloud

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