1L’ouvrage que voici résulte d’un besoin et d’une interrogation : besoin de faire halte à un moment donné sur le chemin, de promener le regard alentour pour apprécier les données d’un paysage – paysage scientifique en l’occurrence – et tenter de mesurer les apports que laissent apercevoir des horizons plus ou moins lointains.

2Cette image résume assez bien l’esprit dans lequel nous avons, en 1992, décidé d’orienter, au moins en partie, les travaux du séminaire du Centre d’Histoire Urbaine de l’E.N.S. de Fontenay/Saint-Cloud.

3Lorsque nous avons fondé ce centre en 1983, nous avons souhaité ouvrir le plus largement possible son champ d’investigation en envisageant résolument le phénomène urbain sur la longue durée. L’ampleur d’un tel programme a néanmoins imposé à notre petite équipe d’enseignants d’Histoire de l’E.N.S. de privilégier quelques thèmes, évidemment traités sur le temps long, et dont certains ont abouti à la tenue de colloques : « Les cadastres anciens des villes et leur traitement par l’informatique » en 1985 et « Le Bois et la Ville du Moyen Âge au XX^e siècle » en 1988.

4 Tout en poursuivant cette politique – qui a été et sera matérialisée par le colloque de janvier 1994 sur « Les ségrégations urbaines au XX^e siècle » et celui de novembre 1995 sur « La brique aux époques antique et médiévale » – et tout en tenant nos séances de travail habituelles, nous avons, au printemps 1992, éprouvé le besoin de faire le point sur l’évolution récente et l’état actuel de la recherche française en histoire urbaine, alors que s’achève le cycle très fécond ouvert dans les années soixante par les grandes thèses sur Beauvais, Amiens, suivies par bien d’autres.

5Mais il nous est immédiatement apparu que s’en tenir au cas français n’avait qu’un sens limité et qu’il serait beaucoup plus éclairant de s’enquérir aussi sur la manière dont, dans les pays européens voisins, nos collègues historiens ont conçu la recherche en histoire urbaine. Dans cette perspective, la démarche s’infléchissait quelque peu : il ne s’agissait plus seulement de faire le point sur la production récente et actuelle dans ces pays mais aussi de remonter dans le temps pour tenter de saisir la naissance et l’évolution de la recherche en histoire urbaine dans diverses écoles historiques européennes.

6Bien que déjà beaucoup plus satisfaisante, cette manière de procéder n’a pourtant pas tardé à nous paraître trop européocentrique et, partant, insuffisamment instructive car, malgré la différence de leurs angles d’attaque, les historiens d’Europe occidentale se sont attelés à l’étude d’un phénomène urbain relativement homogène d’un pays à l’autre, dans ses composantes et ses structures comme dans son évolution.

7D’où l’idée de prendre quelques points de comparaison dans d’autres aires géographiques et culturelles. Le choix des États-Unis s’imposait assez naturellement en ce sens que le parallèle entre les deux rives de l’Atlantique Nord est entré dans les réflexes mais surtout dans la mesure où cette région du globe a affronté des problèmes d’espace et expérimenté des rythmes de développement urbain bien éloignés de ceux qu’a connus l’Europe. Par contraste, faire appel à l’Afrique noire nous a semblé tentant, d’autant plus que les publications récentes de Madame Coquery-Vidrovitch invitaient à la découverte d’un passé urbain méconnu. Quant aux villes musulmanes des rivages méridionaux et orientaux de la Méditerranée, sans doute y avons-nous songé, sans même en avoir vraiment conscience, par fidélité aux racines historiques de notre vieux continent : mare nostrum...

8Au total ce sont donc quelques points de comparaison seulement que nous avons retenus et notre tour d’horizon en matière d’historiographie urbaine est loin d’être complet : outre l’Europe centrale et orientale, manquent à l’appel l’Asie, l’Afrique du Sud et le continent américain à l’exception des États-Unis. Il nous a fallu trancher en fonction du temps et des moyens dont nous disposions, des possibilités des collègues auxquels nous faisions appel, et en tenant compte aussi de l’impératif lié à un dernier souhait.

9Tout en étant conscients des lacunes de notre entreprise, nous avons pensé en effet qu’il serait dommage de conserver par devers nous la riche moisson historiographique et bibliographique que nous allions collecter et de ne pas en faire profiter nos compagnons de recherche en histoire urbaine. C’était aborder le domaine de la publication qui, outre les problèmes qui lui sont propres habituellement, se trouvait encore compliquée par la nature même de notre quête : faire le point sur un état de la recherche et sur une production bibliographique à un moment précis exige la parution rapide de l’ouvrage qui en résulte, faute de quoi celui-ci est vite périmé. Cela supposait donc que nous n’étirions pas trop dans le temps les séances de séminaire consacrées à ce panorama d’histoire urbaine, ce qui a évidemment contribué à le rendre incomplet. Nous l’avons entamé à l’automne 1992 et achevé au printemps 1994. Grâce à la compréhension de la direction de l’E.N.S. et à la diligence du service des publications : « ENS Éditions » – auxquels nous exprimons ici notre très sincère gratitude – il sera publié dans le courant de l’année 1995 : c’est un délai court en matière d’édition mais, comme nous l’avons dit, c’est le laps de temps maximum pour ce genre d’entreprise.

10Celle-ci n’aurait évidemment pas été envisageable sans le concours précieux des collègues qui ont accepté, en dépit des lourdes charges qui sont les leurs, de venir exposer à notre séminaire la synthèse de leurs connaissances et de nous faire ainsi profiter de leur compétence. Nous leur présentons à eux aussi nos remerciements très chaleureux. La simple lecture de la page énumérant leurs noms suffit à montrer que nous avons fait appel à des maîtres et à des spécialistes éminents de l’histoire urbaine, de l’urbanisme et de l’histoire des pays étrangers auxquels nous nous intéressions, mais aussi à quelques nouveaux venus dont « la valeur n’attend pas le nombre des années », ce qui est une manière de prouver au passage que la relève est en passe d’être assurée et que, en dépit de certaines difficultés, l’histoire urbaine se porte bien.

11A tous ces collègues, nous avons, lorsque nous les avons contactés, exposé nos objectifs et l’esprit de notre démarche puis nous les avons, cela va de soi, laissés entièrement libres de concevoir et d’organiser leur communication. Il en résulte une indéniable variété dans l’approche des questions : larges survols historiographiques, solides revues bibliographiques, états des lieux, réflexions méthodologiques, ouverture de pistes de recherche, tel est le large clavier sur lequel ont joué nos auteurs, en insistant chacun à leur manière sur tel ou tel point. La richesse de l’ensemble n’en est que plus grande.

12Reste enfin à dire quelques mots sur la présentation de l’ouvrage, laquelle est de notre seule responsabilité. Nous l’avons conçue dans une optique à la fois utilitaire, pour faciliter la consultation du livre, et simplificatrice, pour en accélérer la publication. D’où le recours aux notes infra-paginales, qui rendent beaucoup plus aisée la lecture de chaque article, et le classement de ceux-ci par ordre géographique alphabétique puis, à l’intérieur des parties ainsi déterminées, par ordre chronologique. Chaque contribution étant bien centrée de ces deux points de vue – à l’exception de celle de Bernard Lepetit qui prend des exemples dans plusieurs pays européens – le lecteur saura donc immédiatement, en parcourant le sommaire, où porter ses pas. Il trouvera dans chaque article, soit dans le texte soit plutôt en notes (là encore, nous avons laissé aux auteurs leur entière liberté), toutes les données bibliographiques concernant le domaine qui l’intéresse.

13Conscients des limites de cet ouvrage, nous espérons néanmoins, par sa publication, être utiles à la communauté des chercheurs en histoire urbaine, en lui offrant à la fois un instrument de travail et un panorama de l’évolution et de la situation actuelle de l’histoire des villes d’Europe occidentale et de quelques régions du globe, envisagée sur la longue durée, du Moyen Âge à l’époque contemporaine.