Curiosité et Libido sciendi de la Renaissance aux Lumières
Objets – Fictions – Images
Entre vision et fantasme : la réception en France des « curieux microscopes » (1660-1800)
Texte intégral
1La tâche de l’épistémologie aujourd’hui est en partie paradoxale. Elle doit défaire ses propres schémas d’explication, revenir sur d’anciennes représentations trop positivistes de l’histoire des sciences, effectuer un travail de Pénélope assez ingrat : il est plus satisfaisant pour l’esprit de représenter l’évolution d’un phénomène par une courbe régulière et rationnelle. Chercher au contraire à éclairer des stagnations, à analyser des résistances conduit à replacer les événements de l’histoire scientifique dans leur contexte socio-culturel et, en conséquence, à convoquer des explications étrangères à l’épistémologie. Une telle démarche s’impose pour étudier la réception des premiers microscopes en France dans la seconde moitié du xviie siècle. Si nombre d’hommes de science eurent conscience de l’immensité des nouveaux champs d’investigation que leur ouvrait ce nouvel instrument, bien des voix s’élevèrent pour exprimer un profond scepticisme et une sourde méfiance. Dans les discours des premiers comme des seconds, on peut noter, mêlés aux arguments scientifiques, d’étranges enthousiasmes ou angoisses. Le microscope « poussa » sur un terreau de fantasmes qui feront l’objet de cette étude.
- 1 Some Account of Mr. Leeuwenhoek’s Curious Microscopes, Lately Presented to the Royal Society, Philo (...)
- 2 J.-F. Dufieu, Dictionnaire raisonné d’anatomie et de physiologie, Paris, Cellot, 1766, art. « Génér (...)
2 L’importance, dans ces textes scientifiques ou parascientifiques, du champ lexical de la curiosité est à ce titre très révélatrice. Elle relève moins d’une réflexion sous-jacente sur la démarche cognitive qu’elle n’est de l’ordre du symptôme ou de la polémique. Présenter les nouvelles découvertes faites au microscopes sous l’angle de la curiosité témoigne à l’évidence d’une résistance sceptique à ces innovations. En 1723, Martin Folkes, vice-président de l’éminente Royal Society de Londres, présente un rapport sur les dernières découvertes de Leeuwenhoek, l’un des premiers grands scientifiques à avoir exploité et perfectionné le microscope. Il intitule sa communication Compte rendu sur les curieux microscopes de M. Leeuwenhoek présentés récemment à la Royal Society. L’adjectif reflète à lui seul toute la teneur d’un exposé qui balance entre étonnement et suspicion, déférence et incrédulité. Par-delà l’hommage très académique rendu à son vénérable collègue, Folkes regrette de n’avoir pu lui-même reproduire les expériences de ce « curieux gentleman1 ». L’ironie est ici transparente. Elle tourna souvent à la franche polémique. Dans la guerre que se livrèrent pendant tout le xviiie siècle ovistes et animalculistes, le microscope fut une arme tantôt brandie, tantôt dénigrée. L’article « Génération » du Dictionnaire raisonné d’anatomie de Dufieu dresse en 1766 une caricature féroce des « célèbres Hartseker, Louvenoeck, armés de leurs fameux microscopes » ; ne reculant devant aucun paradoxe, Dufieu les accuse d’avoir eu seuls « l’avantage de voir, quoique vieux, sans lunettes, ce que des yeux bien constitués pouvoient à peine apercevoir à la faveur des meilleurs microscopes ». Leur supposée découverte des animaux spermatiques ne saurait dès lors être pour le lecteur autre chose qu’une « curiosité » sans fondement scientifique, bonne à ranger dans l’histoire des égarements de l’esprit humain2.
3Ces traces de scepticisme ne sauraient être comprises comme l’une des formes que prit la querelle des Anciens et des Modernes. Ce serait en revenir à un schéma d’explication positiviste qui décrirait la difficile victoire du progrès scientifique sur les forces réactionnaires de la tradition. Les gènes et enthousiasmes que provoquèrent les découvertes faites au microscope témoignent d’oppositions plus complexes. Ils sont l’écho de fractures profondes dans l’imaginaire et le savoir d’une époque : d’une part, une fracture d’ordre épistémologique si l’on considère le rôle que joua le microscope dans l’émergence des sciences expérimentales ; d’autre part, une fracture d’ordre idéologique en ce sens où ces découvertes préparèrent la remise en cause de l’explication théologique du réel.
- 3 En 1777, le médecin de Lignac éprouve encore le besoin de rappeler sous une planche représentant un (...)
4 Avec l’utilisation des premiers microscopes, un Nouveau Monde fut révélé. La référence à la découverte, deux siècles plus tôt, de l’Amérique, est implicite dans nombre des textes qui rapportèrent les premiers pas faits dans l’infiniment petit. Les romanciers ne tardèrent d’ailleurs pas à projeter dans un ailleurs fictif ces terres inconnues apparues sous la lentille des hommes de sciences : en premier lieu Jonathan Swift et ses Voyages de Gulliver (1726), où le héros découvre un monde microscopique (Lilliput) avant d’être à son tour objet microscopique à Brobdingnag, puis Micromégas, où le microscope permet aux héros d’ouvrir un dialogue avec les minuscules humains. Si l’ Antilope qui mène Gulliver à Lilliput rappelle la Santa Maria de Christophe Colomb, la découverte de l’infiniment petit se fit moins naturellement. Avec le microscope, la nature ne se donnait plus à voir, mais était découverte au moyen d’une invention de l’esprit humain. Le visible cessait tout d’un coup d’être cet espace unidimensionnel qui s’agrandissait par simple déplacements topographiques du point de vue : venait s’y ajouter une représentation médiate du réel, née de la modification artificielle du regard humain. On peut penser que cette révolution épistémologique fut assez longue à « digérer », tant elle modifiait des repères physiques et idéologiques. Un temps d’adaptation avait été nécessaire pour que l’on comprenne et accepte les dissections anatomiques qui elles aussi avaient révélé une dimension inaccessible du réel après sa « préparation » par la main de l’homme3. Les progrès techniques subirent le contrecoup de cette période d’acclimatation : non seulement la découverte du microscope remit en cause certaines connaissances acquises au xviie siècle en dioptrique, mais la micrographie elle-même, après avoir connu de nombreux progrès dans la seconde moitié du xviie siècle (observation par transparence, adjonction de miroirs permettant de réfléchir la source lumineuse), stagna sous les Lumières : on varia plus les dimensions du microscope qu’on ne chercha à l’améliorer ; il faut attendre 1811 pour trouver, réalisé par le Florentin Amici, le premier microscope à miroir performant.
- 4 R. Hooke, Micrographia : or Some Physiological Descriptions of Minute Bodies Mode by Magnifying Gla (...)
- 5 Maupertuis, Vénus physique, 1745, cité in J. Roger, Les Sciences de la vie dans la pensée française (...)
5Bouleversement de la perception du réel, mais aussi bouleversement de la conception des facultés humaines : tous les commentateurs de la découverte du microscope insistèrent sur le coup qu’il portait à la supposée perfection humaine. Ils eurent curieusement tendance à présenter le nouvel instrument moins comme un progrès des sciences que comme un perfectionnement de l’homme. Pour l’Anglais Robert Hooke, inventeur du premier microscope composé (à plusieurs lentilles), « il faut veiller, s’agissant des sens, à suppléer leur infirmité au moyen d’instruments et peut-on dire par l’addition d’organes artificiels aux organes naturels [...] avec l’aide des microscopes, il n’y rien de minuscule qui puisse échapper à nos investigations : ainsi, c’est un nouveau monde visible découvert à l’entendement4 ». À cette vision quelque peu mécaniste de l’homme succéderont sous les Lumières des analyses insistant plus sur le décuplement des forces humaines par l’action instrumentale : le microscope nous donne, pour Maupertuis, « des sens au-dessus de notre portée » et « nous rend, selon Lieberkühn, pour ainsi dire d’aveugles clairvoyans5 ». Derrière ces enthousiasmes se profile le mythe d’un homme nouveau ; il sera abondamment développé dans les discours des Révolutionnaires appelant de leurs vœux une régénération de l’homme par les progrès de la science.
- 6 Cité in Roger, op. cit., p. 163.
6La réplique à la démesure de ces professions de foi était toute trouvée : si le microscope change à ce point le réel et les capacités de l’homme, qu’est-ce qui nous assure de la véracité des images qu’il délivre ? Le « spectacle merveilleux » d’une goutte de sperme observée au microscope (Maupertuis) n’est-il pas surnaturel ou magique ? « Je me demande, s’interroge Vallisneri, si parfois les Microscopes ne font pas les miracles au lieu de les voir6. » La médiation de l’instrument semble annuler toute l’objectivité de la démarche scientifique ; certaines expériences furent contestées à cause du seul vice de forme que constituait le recours au microscope. Quand Voltaire repoussa l’hypothèse de Leeuwenhoek sur l’animalité des polypes d’eau, son argumentation reposa non sur une défense du fixisme, mais sur un rejet de l’image microscopique ; il se fit le défenseur d’une rationalité philosophique contre les élucubrations imaginaires d’apprentis-magiciens :
- 7 Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, 1771, art. « Polype », in Œuvres complètes, Paris, Garnier (...)
« En qualité de douteur, il y a longtemps que j’ai rempli ma vocation. [...] Ce n’est pas que je n’aime l’extraordinaire, le merveilleux, autant qu’aucun voyageur et qu’aucun homme à système ; mais pour croire fermement, je veux voir par mes yeux, toucher par mes mains, et à plusieurs reprises. Ce n’est pas même assez ; je veux encore être aidé par les yeux et les mains des autres7. »
- 8 A. Furetière, Dictionnaire universel, 1690, Paris, SNL-Le Robert, 1978, art. « Curiosité ».
7Le sous-entendu voltairien est clair : il s’agit pour lui de ramener du « trop nouveau » à du « trop ancien », de faire du microscope un objet secret et mystérieux, un instrument de sorcellerie. Furetière déjà avait rangé l’optique aux côtés des vaines sciences (astrologie judiciaire, chiromancie, magie), comme autant d’exemples de « sciences curieuses [...] qui sont connues de peu de personnes, qui ont des secrets particuliers8 ».
- 9 Cf. la présentation, par le baron Gleichen, de la polémique animalculiste : « La première classe se (...)
- 10 B. le Bovier de Fontenelle, Éloge de Hartsoëker, in Œuvres, Paris, Salmon, 1825, t. Il, p. 143.
- 11 Le Cat, « Discours sur l’utilité et la nécessité de l’anatomie », 1736, in Traité des sensations et (...)
- 12 S.-F. Ducrest de Saint-Aubin, comtesse de Genlis, Les Jeux champêtres des enfans et de l’île au mon (...)
8 Il se développa autour du microscope toute une mythologie ésotérique. On fit de l’optique une activité secrète pratiquée par quelques initiés, loin des préjugés du public. On opposa comme autant de sectes ceux qui admettaient les merveilleuses images du microscope et ceux qui leur déniaient toute réalité9 ; la polémique scientifique se trouvait ainsi ramenée à une question de croyance. Les propres acteurs de la recherche se complurent dans cet imaginaire. Dans l’éloge qu’il consacre à Hartsoeker, Fontenelle présente la découverte des spermatozoïdes comme un secret qui fut soigneusement conservé : « Quand on les faisait voir à d’autres, on leur disait que c’était de la salive10. » Le médecin Le Cat fait en 1767 l’éloge des recherches menées dans l’infiniment petit du corps humain (« cette anatomie fine ou plutôt obscure, où l’on ne va que le microscope à la main ») en usant lui aussi du champ lexical de l’ésotérisme : « Le microscope, les préparations ingénieuses en nous introduisant dans ce sanctuaire de la nature nous initient dans les plus grands de ses mystères où nous devons être ses ministres11. » Écho littéraire à cette mythologie, un conte de Madame de Genlis du début du xixe siècle, où une fée punit une jeune fille prétentieuse en l’affublant d’yeux microscopiques transformant le réel en « île aux monstres12 ». Le microscope conserva longtemps dans l’imaginaire des pouvoirs surnaturels ; ce faisant, on oblitéra l’acte scientifique qui justifiait son utilisation ; on parla moins de la prospection méthodique d’une dimension du réel jusque-là insoupçonnée, que l’on ne fit l’éloge d’une nature qui se révélait à certains initiés. Une dimension transcendantale était ainsi maintenue dans le rapport au réel. Les doutes de Voltaire rappelés plus haut, sa volonté de ne croire que ce qu’il pouvait voir par ses propres yeux, montrent pourtant à quel point le microscope modifiait la démarche des hommes de science : ces derniers ne disposaient pas des schémas d’explication qui leur auraient permis d’admettre et d’accepter ce qui surgissait soudain de l’invisible.
- 13 Voltaire, op. cit., p. 241.
- 14 D. Tauvry, Traité de la génération et de la nourriture du fœtus, Paris, B. Girin, 1700, préf., s. p
- 15 Id., Nouvelle anatomie raisonnée, ou les usages de la structure du corps de l’homme, Paris, E. Mich (...)
- 16 J.-J. Rousseau, Émile ou de l’éducation, 1762, éd. Michel Launay, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, (...)
9Car il faut prendre les objections de Voltaire au pied de la lettre ; ce qu’il apercevait par la lentille du microscope ne pouvait le convaincre : « Nous avons examiné ce jeu de la nature avec toute l’attention dont nous sommes capables. Il nous a paru que cette production appelée polype ressemblait à un animal moins qu’une carotte ou une asperge. En vain nous avons opposé à nos yeux tous les raisonnements que nous avions lus autrefois ; le témoignage de nos yeux l’a emporté13, » Par-delà l’ironie et la polémique, Voltaire conserve du regard une conception presque ontologique. Le témoignage de l’œil est pour lui porteur d’une autorité, d’une vérité essentielle. Sa méfiance envers le microscope vient du refus de déléguer le pouvoir de sa raison à un instrument, d’aliéner son propre entendement. Tous ceux qui, comme Voltaire, émirent des doutes sur les révélations du monde microscopique étaient les tenants d’une tradition spéculative. Le médecin Tauvry refusa ainsi de croire en l’existence des spermatozoïdes, ces « petits vers qu’on croit voir avec le microscope14 » ; dix ans auparavant, il avait décrit comment le médecin se doit d’utiliser non pas un instrument mais sa propre imagination pour se représenter les ressorts trop délicats du corps humain : « Quand les yeux de nostre corps ne peuvent pas nous faire voir quelques parties de nostre machine, nostre raison doit suppléer à ce défaut, en nous faisant imaginer des structures conformes à ce qui paraît15. » Soixante ans plus tard, Rousseau dénonce dans l’Émile ces instruments scientifiques qui, en se substituant aux sens de l’homme, les vident de leur énergie et accélèrent l’effémination des civilisés : « Plus nos outils sont ingénieux, plus nos organes deviennent grossiers et maladroits : à force de rassembler des machines autour de nous, nous n’en trouvons plus en nous-mêmes. » Très logiquement, Émile « ne saura ce que c’est qu’un microscope et un télescope16. » Nombreux sont donc ceux qui ne virent dans les découvertes de l’optique aucun progrès, mais tout au contraire l’indice d’une régression, d’un retour à l’obscurantisme moyenâgeux ou d’un appauvrissement des compétences de l’esprit humain.
- 17 Roger, op. cit., p. 193.
- 18 « Quoiqu’il soit persuadé que ses observations sont justes & qu’elles ont été faites avec toutes le (...)
10À côté de ces positions de repli, les utilisateurs du microscope procédèrent à une vraie définition du regard scientifique : « La science est en train de découvrir l’expérimentation, et de s’apercevoir qu’il ne suffit pas de regarder pour voir » (Jacques Roger17). Les capacités d’observation étaient déjà revendiquées par les médecins pour légitimer leurs privilèges sur les chirurgiens, aux compétences uniquement manuelles. L’utilisation du microscope demandait une méthode d’investigation précise sans laquelle l’amateur risquait de ne rien voir. Nombre des réactions parues au xviiie siècle dans les publications scientifiques émanent de curieux frustrés de n’avoir pu reproduire les experiences nouvelles, comme ce journaliste reprochant aux Lettres de Leeuwenhoek d’exposer des résultats sans décrire ni les microscopes utilisés dans l’expérience, ni la procédure suivie18. Les qualités de l’observateur (méticulosité, patience, attention constante) constituent ce que Réaumur appelle « l’esprit d’observation » et décrit dans le discours préliminaire de ses Mémoires pour l’histoire des insectes (1734). Il est remarquable que Réaumur ne fasse dans ce texte aucune référence au microscope : l’instrument n’est rien sans l’art de s’en servir, sans ces « yeux philosophiques » qui manquaient à Voltaire. Pour distinguer dans l’image microscopique du polype autre chose qu’une asperge, il aurait fallu pour Réaumur avoir des yeux « devenus curieux », ne pas s’en tenir au témoignage du premier regard mais multiplier méthodiquement les observations. La curiosité acquiert dans l’analyse de Réaumur une nouvelle légitimité : elle désigne cette absence indispensable de préjugés dans l’esprit du chercheur, prêt à voir sans avoir rien prévu.
11Pour mesurer toute l’originalité de ce point de vue, il faut se souvenir qu’aux origines de la démocratisation du savoir, on commença à opposer l’activité de pure curiosité et la démarche scientifique proprement dite : d’un côté, des aristocrates ou grands bourgeois excités à l’idée de jouer aux savants pour leur seul plaisir narcissique ; de l’autre, des chercheurs auréolés d’une reconnaissance académique travaillant pour le seul bien public. Dans l’Encyclopédie, les articles consacrés à la microscopie reflètent cette opposition : aux côtés d’une série d’entrées détaillant les différents types de microscopes et probablement destinées à un public déjà averti, un très long article « Objet microscopique » se présente comme une initiation à la microscopie, encourage les « curieux » à ne pas abandonner leur microscope faute de savoir quoi observer :
- 19 Encyclopédie, 1751-1780, Stuttgart-Bad Cannstatt, F.F. Verlag, 1966, art. « Microscopique, objet », (...)
« Nous tâcherons de les détromper par quantité de faits que nous mettrons, dans l’occasion, sous les yeux du lecteur ; et peut-être que par ce moyen nous engagerons des curieux à employer agréablement et utilement leurs heures de loisir dans la contemplation des merveilles de la nature, au lieu de les passer dans une oisiveté pleine d’ennui, ou dans la poursuite de quelque passion ruineuse19. »
- 20 Spallanzani, « Discours préliminaire » aux Nouvelles Recherches sur les découvertes microscopiques (...)
- 21 D. Diderot, art. « Génie » in Œuvres esthétiques, éd. P. Vernière, Paris, Bordas (coll. « Classique (...)
12À l’inverse de ces efforts de démocratisation, nombreuses sont à la même époque les éloges des grands savants qui, le microscope en main, suivaient d’autres objectifs que le simple divertissement. Spallanzani présente les Nouvelles Recherches sur les découvertes microscopiques de Needham en rappelant que « le microscope n’est pas toûjours entre les mains de l’Observateur un amusement vain, une curiosité stérile, & qu’un œil intelligent sera peut-être assez heureux pour y saisir de nouveaux objets qui seraient utiles aux grandes vuës que nous avons sur la nature [...]. M. de Needham a des vuës étendues & sages ; il voit les choses en grand, & il les rapporte toûjours à une intelligence suprême20 ». La « grande vue », l’aptitude à synthétiser la somme des connaissances fragmentaires et microscopiques, deviendra bientôt l’un des attributs de l’homme de génie, qui pour Diderot sait « poser le microscope sur un point imperceptible, et ne croit avoir bien vu qu’après avoir regardé longtemps [...] ; il jette sur la nature des coups d’œil généraux et perce des abîmes21 ». L’inspiration du génie s’oppose bien ici à la curiosité de l’amateur : alors que le dernier a pour seul plaisir l’utilisation du microscope, le grand homme de science ne recourt à l’instrument que pour vérifier une prescience qu’il a déjà du monde.
- 22 R.-A. Ferchault de Réaumur, Mémoires pour servir à l’histoire des insectes, Paris, Imprimerie royal (...)
- 23 Ibid., p. 8.
- 24 Ibid., p. 10.
- 25 J. Le Clerc, Bibliothèque choisie, Amsterdam, 1710, p. 158.
13Si l’« esprit d’observation » prôné par Réaumur s’oppose au rationalisme sceptique d’un Voltaire, il est également loin de la mythologie du génie clairvoyant qui prend racine dans la France des Lumières. Réaumur reconnaît même que les recherches en histoire naturelle sont riches en « amusements » qu’il refuse de qualifier de « frivoles22 ». Le plaisir du curieux sert les buts de l’homme de science : « J’ai suivi l’histoire des Teignes : le plaisir que j’avois à observer l’admirable industrie qu’elles me découvroient, ne m’a point séduit, il ne m’a pas empêché de chercher les moyens les plus efficaces de les faire périr23. » Si le nombre d’observations « purement curieuses » excède toujours celles s’avérant utiles, rien ne permet au départ de distinguer les premières des secondes : « Souvent ce que nous ne regardions que comme curieux, tient de bien près à l’utile ; souvent quand l’utile est découvert, on voit que ce qui ne semblait que de pure curiosité, nous a conduit à le découvrir24. » Se trouve ainsi annulée l’opposition entre la recherche de l’amateur, mû par une curiosité toute libidinale et celle du scientifique tournée vers le seul bonheur de la collectivité. Par-delà l’originalité du point de vue de Réaumur, on comprend mieux pourquoi les microscopes furent au xviiie siècle souvent qualifiés de « curieux ». Parce qu’ils ne furent pas reçus par l’ensemble de la communauté scientifique, ils restèrent en partie aux mains des amateurs qui les perfectionnèrent et les promenèrent sans méthode aux quatre coins du visible. Un article de la Bibliothèque choisie le rappelle, l’espace microscopique est en tout corps étonnant « comme les observations des Curieux nous l’ont appris25 ».
- 26 Heliodore de Paris, Discours sur les sujets les plus ordinaires des désordres du monde, Paris, Èdme (...)
- 27 R. Mauzi, L’Idée du bonheur dans la littérature et la pensée françaises au xviiie siècle, 1979, Par (...)
- 28 Cf. Réaumur, op. cit., p. 25, à propos des commentaires admiratifs de la beauté des ailes de papill (...)
- 29 Voltaire, op. cit., « Athée, athéisme », section II dans laquelle Maupertuis, archétype du physicie (...)
14Le motif polémique de la curiosité semblerait n’avoir somme toute été convoqué à la réception des premiers microscopes qu’en réaction à leur caractère trop novateur, aux modifications trop importantes de l’appréhension du visible qu’impliquait leur utilisation. Mais à s’en tenir à cette attitude frileuse et réactionnaire, on retombe sur un schéma d’explication positiviste sans comprendre mieux ni la sourde angoisse, ni les étranges enthousiasmes que déclenchèrent les découvertes de l’espace microscopique. Ce dernier n’était-il pas en effet jusque-là inaccessible à l’œil humain, et par là-même domaine réservé de Dieu ? Certains traités de morale insistent au xviie siècle sur l’aptitude du regard divin à fouiller chaque recoin, chaque « atome26 » de notre âme, pour y déceler la moindre trace de corruption. D’autres discours théologiques cherchèrent à accompagner les progrès des sciences en les présentant comme autant de preuves a posteriori de l’existence de Dieu : dans chaque parcelle de la nature, dans chaque vision microscopique, on trouva l’indice d’une bonté du Ciel. Le défenseur le plus ardent de cette « providence du détail » (Robert Mauzi27) fut certainement l’abbé Pluche dont le Spectacle de la nature connut, de 1732 à 1750, un important succès. Le bon abbé s’y extasie sur une tache d’aile de papillon ou la perfection d’une patte de mouche, fait preuve d’un finalisme naïf qui ne manqua pas de déclencher les sarcasmes des hommes de sciences (Réaumur28) et des philosophes, tel Voltaire faisant rappeler à Maupertuis qu’« on a trouvé Dieu dans les plis de la peau du rhinocéros ; on pouvait, avec le même droit, nier son existence à cause de l’écaille de la tortue29 ».
15Il était somme toute assez simple de contrer un tel optimisme : attribuer à la découverte scientifique une origine céleste tient d’ailleurs plus au siècle des Lumières de la précaution oratoire que de la profession de foi. Le souvenir d’un texte autrement plus complexe, consacré dans les Pensées de Pascal à la « Disproportion de l’homme », dut en revanche gêner plus les découvreurs du monde microscopique. L’espace de l’infiniment petit y est le lieu où se démontre la nullité de l’homme : le vertige qu’on éprouve en se représentant la minutie de l’anatomie d’un insecte est en soi le signe de la toute-puissance de Dieu. Et pourtant ce faisant, « nous n’enfantons que des atomes » : dans une surenchère argumentaire, Pascal invite son lecteur à augmenter le grossissement mental de son œil intérieur :
- 30 Pascal, Pensées, fragment 72 (édition Brunchvicg) / 199 (édition Lafuma).
« Qu’est-ce qu’un homme dans l’infini ? [...] Qu’un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours ; il pensera peut-être que c’est là l’extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là-dedans un abîme nouveau. Je veux lui peindre non seulement l’univers visible, mais l’immensité qu’on peut concevoir de la nature, dans l’enceinte de ce raccourci d’atome. Qu’il y voie une infinité d’univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible ; dans cette terre, des animaux et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné [...] qu’il se perde dans ces merveilles [...]. Qui se considérera de la sorte s’effraiera de soi-même, [...] il tremblera dans la vue de ces merveilles ; et je crois que sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu’à les rechercher avec présomption30. »
16Que l’espace détaillé par Pascal soit entièrement spéculatif et abstrait, qu’il n’y ait ici aucune référence aux débats apparus à la réception des premiers microscopes importe assez peu. L’aspiration de l’homme à connaître la nature dans ses moindres recoins, cette insatiable curiosité dont le microscope n’est lui-même que le risible emblème, est dénoncée par Pascal comme l’un des avatars de l’homme sans Dieu. La provocation du philosophe (le point minuscule est en lui-même un univers) rappelle quelle est la disproportion de l’homme à l’égard de la nature qu’il a l’orgueil de vouloir parcourir et connaître. La critique pascalienne ne porte ici aucunement sur le divertissement que constituerait à ses yeux l’utilisation par l’amateur d’un microscope ; elle vise le fondement de toute science qui, tournée vers une nature en elle-même corrompue, prétend faire l’économie de Dieu. La seule vraie recherche est celle, toute intérieure, de la foi. La pensée chrétienne de Pascal se retrouve au siècle suivant chez les moralistes qui appelèrent à une pratique chrétienne plus intériorisée et condamnèrent dans le même temps les tentations du monde. La jouissance ne peut pour Caraccioli se trouver qu’en soi-même ; toute connaissance extérieure est en regard pauvre et puérile :
- 31 L.A. de Caraccioli, La Jouissance de soi-même, Autrecht, H. Spruit / Amsterdam, E. van Harrevelt, 1 (...)
« On a beau cacher son ignorance à l’ombre de quelques in-folio, étayer son savoir sur de brillans télescopes, étaler avec faste des Machines propres à pomper l’air, ou à rendre des tons, s’annoncer enfin le microscope & l’équerre à la main, il n’en sera pas moins vrai que nos études ne sont souvent que des jeux propres à amuser des enfans31. »
- 32 N. Andry de Boisregard, De la génération des vers dans le corps de l’homme, Paris, L. d’Houry, 1700 (...)
17La lecture que certains hommes de science firent de l’argument pascalien fut bien moins respectueuse de son esprit. Cette condamnation de l’outrecuidance inhérente à toute science servit parfois même de caution à des recherches nullement spirituelles. L’exemple de la démarche d’Andry de Boisregard est frappant : défenseur de la théorie des vers spermatiques, ce médecin entreprend en 1700 de démontrer qu’un être microscopique peut bien avoir déjà une forme humaine et, confondant allègrement Pascal et Malebranche, il convoque le fragment des Pensées à l’appui de ses dires : « Une petite partie de matiere, qui se cache à nos yeux, est capable, comme dit l’Auteur de la recherche de la vérité, de contenir un monde, dans lequel il se trouveroit autant de choses, quoique plus petites à proportion, que dans le monde où nous vivons. [...] De sorte qu’un ciron est à nôtre égard, ce que ces animaux le sont à un ciron32. » L’introduction dans le débat du microscope vient confirmer de manière paradoxale les analyses du théologien : entre l’homme et la nature, il n’y a plus une disproportion absolue et transcendantale, mais une proportion relative et mathématiquement mesurable. Comme Pascal, Andry de Boisregard propose une représentation imaginaire de cet infiniment petit, non pour que son lecteur se perde dans ses spéculations et en vienne à reconnaître sa nullité intrinsèque, mais pour qu’il puisse mesurer les progrès scientifiques rendus possibles par le nouvel instrument :
- 33 Id., De la génération des vers dans le corps de l’homme, Paris, L. d’Houry, 1700, p. 302 ; notons q (...)
« Dieu aurait pû faire des hommes, à l’égard desquels nous ne serions que la millieme partie d’un ciron. Il en aurait pû faire d’autres, à l’égard desquels ceux-là même seraient petits ; que serions-nous par rapport à ces plus grands ? Ils nous chercheroient peut-être avec des microscopes, & si quelques Philosophes parmy eux, les vouloient assûrer de nôtre existence, ils regarderoient, sans doute, leurs discours comme de belles fictions. Mettons-nous à la place de ces hommes, considerons le tort que nous aurions de ne pouvoir comprendre qu’il y eût des hommes si petits par rapport à ce que nous serions, & avoüons que nulle petitesse, quelque inconcevable qu’elle soit, ne doit nous donner le moindre scrupule, & que s’il n’y a pas d’autre difficulté dans le sisteme, que nous venons de proposer, rien ne doit nous empêcher de l’embrasser33. »
18Le discours a visiblement changé de registre : on est passé du raisonnement théologique à la science-fiction. La démarche d’Andry de Boisregard est exemplaire, mais non isolée ; elle aide à comprendre pourquoi la découverte des spermatozoïdes eut pour premier effet non pas une meilleure compréhension de la génération, mais le début de la querelle entre animalculistes et ovistes. Si le microscope permit d’élargir le champ des connaissances, il ne modifia pas pour autant les structures de pensée qui les organisaient : à partir de la révélation expérimentale des animalcules, les hommes de science de l’aube des Lumières élaborèrent à nouveau des hypothèses dans la plus pure tradition spéculative. Après avoir établi que les spermatozoïdes ressemblaient à des « grenouilles naissantes », Hartsoeker imagina qu’ils renfermaient des hommes et des femmes miniatures. À une vue succédait une vision. Les sceptiques n’avaient pas entièrement tort : le microscope fit naître autant de savoirs que de fantasmes.
- 34 Chevalier de Causans, Éclaircissemens sur le péché originel, Cologne, Ch. Marteau, 1755, p. 91.
- 35 Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, art. « Anatomie », op. cit., t. 17, p. 222-23.
19En faisant de la disproportion ontologique théorisée par Pascal un simple relativisme rationnel, les scientifiques tuaient symboliquement le Père, préparaient inconsciemment la démonstration de l’inexistence de Dieu. Certes, on tenta d’adapter les nouvelles découvertes aux dogmes anciens : en avançant que la semence devait contenir les germes passés et à venir de la race humaine, Hartsoeker démontrait « scientifiquement » la descendance adamique. Mais en tentant d’expliquer l’origine de la vie, les hommes de science touchaient à un interdit majeur, renversaient un tabou. Nombre d’entre eux eurent conscience de cette transgression et réaffirmèrent l’absolu mystère de l’origine : les hommes de science pourraient démonter pièce par pièce la machine humaine, ils buteraient toujours sur la cause de la vie. Seule la métaphysique pouvait corriger l’incomplétude consubstantielle à la science : « Le Mycroscope, rappelle le chevalier de Causans, nous découvre manifestement le développement des germes, & non la formation en détail. La raison & la Religion nous l’assûrent34. » L’article « Anatomie » des Questions sur l’Encyclopédie de Voltaire oppose à chaque découverte nouvelle de la cartographie du corps humain un mystère échappant de manière absolue au pouvoir de la science : « On peut se flatter d’avoir pénétré jusqu’à la ligne qui sépare à jamais les tentatives des hommes et les secrets impénétrables de la nature. [...] Nous avons des bibliothèques entières sur la génération ; mais personne ne sait encore seulement quel ressort produit l’intumescence dans la partie masculine35. » Il ne s’agit plus comme chez Pascal d’énoncer l’impuissance à connaître aucune chose, mais de préserver dans le réel une dimension métaphysique. Défense de la foi et rigueur intellectuelle se rejoignent parfois pour combattre l’outrecuidance scientifique : dans le « Discours préliminaire » aux Nouvelles Recherches sur les découvertes microscopiques de Needham, Spallanzani dénonce les hypothèses fantaisistes échafaudées sur les images révélées par le microscope pour mieux réaffirmer la toute-puissance d’un tabou :
- 36 Spallanzani, op. cit., p. xxi-ii.
« Contentons-nous de porter nos regards sur les objets que le microscope nous rend sensibles, & soyons assez sages pour ne point nous élancer au-delà. Cette carriere est déjà assez vaste, & peut-être trop peu connue, pour vouloir reculer les bornes qui ont été posées par la nature. N’est-ce pas assez pour nous de croire que nous nous sommes avancés jusques sur les bords de ce bassin où elle travaille à la première formation des corps, & que nous y avons vû nager l’homme & les animaux ? Si cette vérité nous reste, elle doit nous suffire36. »
20Les débats suscités par les découvertes microscopiques furent traversés d’énoncés inconscients. Certains révèlent, on vient de le voir, les angoisses suscitées par l’apparition, dans l’histoire des sciences, de scénarios œdipiens. D’autres témoignent à l’inverse de véritables investissements fantasmatiques de la scène originelle. Le microscope fut le déclencheur de ces rêveries : il révélait ou permettait de se représenter, bien au-delà des quatre murs de la chambre parentale, les mystères de l’union originelle. Passer de la vue des spermatozoïdes à la représentation imaginaire de leur devenir dans l’utérus, c’est en effet bâtir une scène primitive :
- 37 Deux parergues anatomiques, ou dissertations d’aprés l’œuvre sur l’origine & la nourriture du Fœtus(...)
« Il y en a qui disent que ces animaux sont autant d’hommes, qui dans la chaleur de l’action, montent à l’envi, & escaladent l’ovaire, & que s’empressans tous à se loger dans le premier œuf, il n’y en a qu’un qui a le bonheur de s’y établir, & de le rendre fœcond, pendant que les autres meurent à la porte. [...] Dans leur premiere pensée, [ces chercheurs] semblent être favorisés d’Hartsoecher, qui dit que ces animaux seminaires ont la figure de grenoüille : le reste de la Scene paraît bien rêvé37. »
- 38 C. Brunet, Traité raisonné sur la structure des organes des deux sexes destinez, à la génération, P (...)
- 39 Baron de Gleichen, Dissertation sur la génération, éd. cit., p. 1-2 : « Combien n’en est-il pas qui (...)
- 40 Ibid., p. 6-7.
21Les hommes de science qui s’adonnèrent à ces romans de l’origine de l’humanité sont nombreux ; certains purent dissimuler leur pulsion de savoir derrière un apparent aveu d’impuissance : « Il n’y a point d’organe dans toute la machine animée que les Anatomistes aient plus foüillez & moins connus que les parties des deux sexes destinées à la generation. II semble que Dieu ne s’en est reservé la connoissance, que pour faire comprendre aux superbes l’étenduë de leur ignorance dans la recherche des secrets de son Ouvrage divin38 », énoncé qui n’empêche pourtant pas son auteur de consacrer le reste de son traité à empiéter sur ce domaine réservé... À la fin du xviiie siècle, le baron de Gleichen peut sans trop de risque ironiser sur les résistances des tenants de l’orthodoxie chrétienne39, et célébrer en retour la grandeur de l’observateur qui « à l’aide de l’instrument microscopique » peut faire « un pas en avant dans le sancturaire de la nature40 »...
- 41 J’ai étudié cette question dans un article à paraître : « La science face à l’obscène : dire le sex (...)
- 42 Cité in Roger, op. cit., p. 295.
- 43 Cité in É. Guyenot, Les Sciences de la vie aux xviie et xviiie siècles. L’idée d’évolution, Paris, (...)
- 44 Cf. ce compte rendu paru dans les Nouvelles de la République des Lettres à propos d’un traité sur l (...)
- 45 A.G. Meusnier de Querlon, Apologie des modernes ou réponse du cuisinier français à un patissier ang (...)
22Mais les réactions de défiance que suscitèrent les arpenteurs de l’infiniment petit furent de plusieurs ordres : elles ne se limitèrent pas à une simple défense de l’explication chrétienne de la création. Le microscope fut également entouré d’un halo de suspicions plus sourdes : on l’associa plus ou moins explicitement à l’obscénité. Rappelons que les hommes de science devinrent au siècle des Lumières des hommes publics, ayant à rendre compte autant de leurs recherches que de leur intégrité morale : pas un traité d’anatomie qui ne commence à l’époque par de plates excuses sur l’emploi de tel ou tel terme pouvant choquer la pudeur41. Ceux des utilisateurs du microscope qui se penchèrent sur les mystères de la génération furent tout aussi concernés par ce regard public. Plusieurs exemples d’autocensure en témoignent : dans une lettre de novembre 1677, Leeuwenhoek avoua le profond dégoût qu’il avait ressenti après avoir observé pour la première fois du sperme42 ; deux ans plus tard, il jura dans une autre lettre n’avoir jamais fait d’expérience à partir de sa propre semence. Buffon déclara un demi-siècle plus tard qu’il renonçait à observer au microscope « la liqueur que les femmes répandent » car « toutes les expériences ne sont pas permises, même aux philosophes43 ». Par ces réactions, les hommes de science rejetaient l’accusation de lubricité portée à l’encontre de leur curiosité. Un semblable procès était mené contre les anatomistes, suspectés de fouiller le corps humain et ses parties honteuses moins pour trouver des remèdes que pour se donner du plaisir44. Mais si l’on conçoit aisément qu’on ait pu imaginer des médecins nécrophiles, il est moins simple d’analyser ces étranges griefs émis contre le microscope. Comment comprendre par exemple l’ironie féroce d’un Meusnier de Querlon sous-entendant, dans un pamphlet contre les modernes, que les recherches microscopiques ne seraient motivées que par des obsessions sexuelles : « Et où en serions-nous sans l’invention des Lunettes & des Microscopes ? Eût-on jamais pû découvrir la conformation des Insectes, le sexe important des Abeilles, l’histoire des Gallinsectes, les pinces des Moucherons, les testicules des Cirons, l’anus des Puurons [pour pucerons], & c45 ? »
- 46 L. de Puget, Observations sur la structure des yeux de divers insectes, et sur la trompe des papill (...)
23Quelque excessif qu’il puisse paraître, ce procès d’intention répondit plus ou moins consciemment à l’intense investissement fantasmatique qui caractérisa la démarche d’un grand nombre des chantres de l’infiniment petit. On a montré plus haut ce qu’avait d’œdipienne cette volonté d’affronter, au moyen du microscope, l’Être suprême sur son « propre terrain » en levant le voile sur les secrets de l’origine. Le microscope fut en quelque sorte autant un instrument de connaissance qu’une arme de pouvoir, et pour tout dire, un phallus imaginaire. Les témoignages permettant d’appuyer une telle hypothèse sont bien sûr à rechercher plus entre les lignes de traités savants que dans d’hypothétiques journaux secrets d’hommes de science. Ils sont pourtant parfois exprimés avec la plus nette clarté. Le traité que Louis de Puget consacra à la structure des yeux d’insectes est composé de lettres envoyées au révérend père Lamy où sont détaillées ses expériences et ses préparations anatomiques. L’enthousiasme de Puget face aux merveilles de la nature que lui font découvrir ses recherches n’est terni que par la certitude que son correspondant ne pourra reproduire ses expériences, ne disposant pas d’un aussi bon microscope que le sien ; de nombreux passages du traité sont entièrement consacrés à la comparaison des grosseurs et capacités de grossissement des instruments des deux chercheurs. Rien n’égale la joie de Puget quand il peut faire part au père Lamy de sa dernière acquisition, un « nouveau petit Microscope [...] que M. de Vilette m’a fabriqué pour porter à la poche où il n’occupe guere plus de place que l’étui d’un curedent ; ce petit volume n’empêche pas qu’il ne soit composé comme la plupart des grãds Microscopes, de trois lentilles, au travers desquelles on aperçoit les objets46 ». Quand on connaît les connotations sexuelles attachées au xviiie siècle au mot d’« étui », quand on prend en compte la récurrence et l’intensité de cette autosatisfaction de Puget à l’égard de ses capacités instrumentales, il est difficile de ne pas entendre derrière le sérieux compte rendu du curieux l’énoncé de fantasmes très primaires d’un enfant œdipien. Le merveilleux microscope de poche n’est d’ailleurs pas utilisé par Puget pour observer quelque phénomène naturel qu’on n’aurait pu transporter dans son cabinet. Il l’utilise avant tout pour observer par transparence les yeux d’insectes et substituer à son propre œil la vision aux mille facettes de l’animal ; le plaisir des sens prime là encore sur la recherche pure.
- 47 Mémoires de Suzon, sœur de D** B*****, 1776, Paris, Fayard (coll. « L’Enfer de la Bibliothèque nati (...)
24Ce ne fut peut-être que dans des textes de fiction que purent s’énoncer littéralement les fantasmes phalliques attachés aux instruments d’optique. Une gravure du roman pornographique des Mémoires de Suzon, sœur de Dom Bougre représente l’héroïne rendant visite à un savant fou qui passe ses journées à scruter le ciel au moyen d’étranges appareils : « Je m’occupai à considérer les instruments de son art, dont son cabinet était rempli. À leur forme, je jugeai dans l’instant que mon homme ne respirait que la foutrerie [...]. Le corps d’un télescope, qui était sur la table, représentait un vit d’une grosseur énorme, à l’extrémité duquel pendaient deux couilles couvertes d’un poil noir et touffu47. » Le caractère marginal de l’exemple est en soi intéressant en ce qu’il témoigne de la diffusion des motivations libidinales attachées ou imputées à l’activité scientifique. Le Rêve de d’Alembert de Diderot énonce lui sans aucun détour les fantasmes qui pouvaient accompagner l’utilisation scientifique du microscope ; la référence à cet instrument est la seule voie que trouve mademoiselle de l’Espinasse pour décrire ce qu’elle se refuse de voir, la masturbation nocturne de d’Alembert :
- 48 D. Diderot, Rêve de d’Alembert, 1769, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1951 (...)
« Ensuite il s’est mis à marmotter je ne sais quoi de graines, de lambeaux de chair mis en macération dans de l’eau, de différentes races d’animaux successifs qu’il voyait naître et passer. Il avait imité avec sa main droite le tube d’un microscope, et avec sa gauche, je crois, l’orifice d’un vase. Il regardait dans le vase par ce tube, et il disait : “Voltaire en plaisantera tant qu’il voudra, mais l’Anguillard [Needham] a raison ; j’en crois mes yeux ; je les vois : combien il y en a ! comme ils vont ! comme ils viennent ! comme ils frétillent48 !...” »
25Par son génial aveuglement, la méprise de mademoiselle de l’Espinasse fonde en un seul geste, en une seule pulsion, la recherche effrénée de l’origine, l’intensité de la démarche scopique du chercheur, le maniement du microscope et le geste onaniste.
- 49 Cf. l’analyse, par ailleurs très discutable, que J. Baudrillard a proposé de la pornographie : « C’ (...)
- 50 E. Cassirer, La Philosophie des Lumières, 1932, trad. Pierre Quillet, Paris, Fayard (coll. « Agora (...)
26On voit combien cet apparent détour par les images phalliques qu’on associa aux microscopes permet de fermer une boucle : une même défiance s’exprima à l’égard d’une part de l’utilisation de cet instrument et des pulsions scopiques qu’il satisfaisait, et d’autre part des objets secrets qui se trouvaient ainsi dévoilés. N’est-ce pas alors au-delà de l’instrument scientifique la curiosité pour le détail qui fut tenue pour obscène ? Le détail est tout à la fois ce que recherche toute forme de voyeurisme, qu’il soit ou non pornographique49, et ce qui pour les Lumières ne pouvait plus constituer une base solide de la démarche heuristique. Ère des grandes synthèses, des systèmes globaux, le xviiie siècle exprima sans relâche une profonde défiance pour l’anecdotique, le fait insignifiant, le détail isolé. Au centre de cette opposition fondamentale avec la conception humaniste du savoir, se dresse la figure de Pierre Bayle. On sait depuis les travaux de Pierre Rétat combien le siècle des Lumières utilisa en la déformant sa pensée. Sans compter les reproches qui furent adressés à son goût pour l’obscénité, on peut penser que c’est plus profondément toute sa démarche intellectuelle qui fut jugée indécente : son goût pour les analyses partielles, son attention portée pour le moindre détail valurent à Bayle l’irrespectueux surnom de minutissimarum rerum minutissimus scrutator50. Bayle était coupable d’obscénité autant par les propos indécents qu’il se plaisait à rapporter que par son regard anormalement grossissant. On ne s’étonnera alors pas que Gauchat ait recouru pour faire le procès du philosophe de Rotterdam à l’image si symbolique du microscope :
- 51 G. Gauchat, Lettres critiques ou analyses et réfutations de divers écrits modernes contre la religi (...)
« Supposons dans un homme des yeux de télescope qui découvrent des objets très-éloignés, & confondent ceux qui sont tout près ; ou bien des yeux de microscope qui percent l’écorce des objets, qui les grossissent, qui en apperçoivent jusqu’aux fibres intimes ; cette vuë, si sublime en apparence, ne serait proportionnée ni à l’univers, ni à notre corps, ni à nos besoins ; en sorte qu’une vuë simple & bornée comme la nôtre serait infiniment préférable. [...] Ce parallele peint au naturel l’esprit de Bayle. [Une science plus bornée] offre des yeux bien proportionnés ; & ce philosophe sceptique, des yeux de microscope ; il voit ce qu’on peut ignorer, & il ignore ce qu’on doit essentiellement savoir51. »
27Tout comme dans Le Rêve de d’Alembert, la référence au microscope vient ici synthétiser un ensemble complexe de discours et de réseaux fantasmatiques qui traversèrent des pratiques scientifiques, des démarches intellectuelles, des interrogations métaphysiques.
28Le parcours de tant de polémiques sur l’infiniment petit, de tant de textes où le microscope servit à l’expression d’énoncés tout autres que scientifiques interdit de se contenter d’une simple histoire des progrès que permit l’invention de cet instrument optique. Parce qu’il apparut à une période de bouleversements des repères de la pensée occidentale, parce qu’il resta en partie pendant plus d’un siècle entre les mains d’amateurs et de curieux, le microscope donna naissance à un imaginaire fort riche dont la littérature fantastique du xixe siècle saura exploiter les potentialités. Son utilisation frénétique par bon nombre de passionnés permet également de mieux comprendre quelle énergie anime la pulsion de curiosité. Dans Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, Freud a démontré combien l’investissement cognitif avait comme origine le devenir en chacun de nous de la pulsion d’investigation sexuelle infantile, cette curiosité du jeune enfant pour sa propre origine. Entièrement refoulée, cette interrogation sur la sexualité peut entraîner l’inhibition totale et névrotique de la pulsion de savoir ; préservée, elle peut tout au contraire se sublimer entièrement dans la recherche intellectuelle. Il est enfin un cas intermédiaire décrit par Freud comme un refoulement partiel des questionnements de l’enfant sur son origine, aboutissant souvent à une pratique intellectuelle dépendante de ces interrogations oubliées et partiellement satisfaites :
- 52 S. Freud, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, 1910, trad. Altounian, Bourguignon, Cotet, Rau (...)
« Quelque temps après la disparition de l’investigation sexuelle infantile, l’intelligence, une fois fortifiée, offre, en souvenir de ses anciens liens, son aide pour contourner le refoulement sexuel, et l’investigation sexuelle réprimée revient de l’inconscient, sous forme de compulsion de rumination, déformée certes et non libre, mais suffisamment puissante pour sexualiser la pensée elle-même et pour imprimer aux opérations intellectuelles la marque du plaisir et de l’angoisse inhérents aux processus sexuels proprement dits52. »
29Une telle analyse éclaire cette intrication entre activité libidinale et recherche savante qu’on a pu repérer chez certains découvreurs de l’espace microscopique. Mais il ne faudrait pas non plus négliger le bouleversement profond que l’invention puis l’utilisation du microscope imposa à la démarche scientifique dans son ensemble. Par elles, toute la tradition du réflexe déductif se trouvait a priori révoquée, une nouvelle « logique du vivant » était à inventer.
Notes
1 Some Account of Mr. Leeuwenhoek’s Curious Microscopes, Lately Presented to the Royal Society, Philosophical Transactions, vol. XXXII, Londres, W. and J. Innys, 1724, p. 450.
2 J.-F. Dufieu, Dictionnaire raisonné d’anatomie et de physiologie, Paris, Cellot, 1766, art. « Génération », t. I, p. 434.
3 En 1777, le médecin de Lignac éprouve encore le besoin de rappeler sous une planche représentant un testicule disséqué qu’il ne s’agit pas là d’une reproduction fidèle de la réalité : « Je n’ai pas besoin de prévenir le Lecteur, que dans les Planches qui exposent les différentes parties du Testicule, ces parties sont préparées de manière à laisser voir celles qu’elles recouvrent dans l’état naturel. Il faut supposer que le Testicule étoit disséqué lorsqu’on a fait le dessein », De l’homme et de la femme, considérés physiquement dans l’état du mariage, Lille, J.-B. Henry, 1772, t. II, p. 170.
4 R. Hooke, Micrographia : or Some Physiological Descriptions of Minute Bodies Mode by Magnifying Glasses, 1665, Londres, J. Martyn, 1667, « préfacé », s. p., nous traduisons ; le texte original est le suivant : « The next care to be taken, in respect of the Sences, is a supplying of their infirmities with Instruments, and, as it were, the adding of artifïcial Organs to the natural [...] by the help of Microscopes, there is nothing so small, as to escape our inquiry : hence there is a new visible World discovered to the understanding. »
5 Maupertuis, Vénus physique, 1745, cité in J. Roger, Les Sciences de la vie dans la pensée française du xviiie siècle, 1963, Paris, Albin Michel, 1993, p. 480 ; J.N. Lieberkühn, Description d’un microscope anatomique, 1748, in Dissertationes quatuor, Londres, 1782, p. 21.
6 Cité in Roger, op. cit., p. 163.
7 Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, 1771, art. « Polype », in Œuvres complètes, Paris, Garnier frères, 1877-83, t. 20, p. 240.
8 A. Furetière, Dictionnaire universel, 1690, Paris, SNL-Le Robert, 1978, art. « Curiosité ».
9 Cf. la présentation, par le baron Gleichen, de la polémique animalculiste : « La première classe sera composée de ceux qui ont vu ces animalcules de leurs propres yeux, pour la plupart, ou qui, sur la parole d’autrui, les ont pris pour un commencement visible d’animal, ou qui leur ont supposé une autre destination. Ceux qui les ont vus sans y croire, ou qui ne les ont ni vus ni crus, formeront la seconde classe », Dissertation sur la génération, les animalcules spermatiques et ceux d’infusion, trad. de l’allemand, Paris, Imprimerie de Digeon, an VII, p. 22.
10 B. le Bovier de Fontenelle, Éloge de Hartsoëker, in Œuvres, Paris, Salmon, 1825, t. Il, p. 143.
11 Le Cat, « Discours sur l’utilité et la nécessité de l’anatomie », 1736, in Traité des sensations et des passions, Paris, Vallat-La-Chapelle, 1767, p. 15, nous soulignons.
12 S.-F. Ducrest de Saint-Aubin, comtesse de Genlis, Les Jeux champêtres des enfans et de l’île au monstre, Paris, A. Marc, s. d.
13 Voltaire, op. cit., p. 241.
14 D. Tauvry, Traité de la génération et de la nourriture du fœtus, Paris, B. Girin, 1700, préf., s. p.
15 Id., Nouvelle anatomie raisonnée, ou les usages de la structure du corps de l’homme, Paris, E. Michallet, 1690, préf., s. p.
16 J.-J. Rousseau, Émile ou de l’éducation, 1762, éd. Michel Launay, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p. 227 et 269.
17 Roger, op. cit., p. 193.
18 « Quoiqu’il soit persuadé que ses observations sont justes & qu’elles ont été faites avec toutes les précautions, qu’il y falloit apporter ; il auroit pu penser qu’en ces matieres, il ne faut point exiger de foi aveugle, de ses Lecteurs, mais leur donner le moyen de s’en convaincre eux-mêmes. La moindre circonstance oubliée, si elle est nécessaire pour faire l’observation, empêche qu’on ne la puisse faire après lui, ni par conséquent s’assurer de sa verité. [...] Sans cela, il reste toûjours dans l’esprit quelque doute, que les instruments dont on s’est servi, n’aient pas été appliquez, comme il falloit ; où même que l’imagination, qui se joint imperceptiblement à la vision, sur tout si l’on croit avoir trouvé la raison de certaines choses que l’on voit, & qu’on s’en entête tant soit peu, ne fassent, pour ainsi dire, voir ce qu’on ne voit point », Jean Le Clerc, éd., Bibliothèque ancienne et moderne, Amsterdam, D. Mortier, 1714-27, t. 11, p. 419-420.
19 Encyclopédie, 1751-1780, Stuttgart-Bad Cannstatt, F.F. Verlag, 1966, art. « Microscopique, objet », t. X, p. 491.
20 Spallanzani, « Discours préliminaire » aux Nouvelles Recherches sur les découvertes microscopiques de J.T. Needham, Paris, Lavombe, 1769, t. I, p. iii et xliii.
21 D. Diderot, art. « Génie » in Œuvres esthétiques, éd. P. Vernière, Paris, Bordas (coll. « Classiques Garnier »), 1988, p. 13.
22 R.-A. Ferchault de Réaumur, Mémoires pour servir à l’histoire des insectes, Paris, Imprimerie royale, 1734-1742, t. I, p. 4.
23 Ibid., p. 8.
24 Ibid., p. 10.
25 J. Le Clerc, Bibliothèque choisie, Amsterdam, 1710, p. 158.
26 Heliodore de Paris, Discours sur les sujets les plus ordinaires des désordres du monde, Paris, Èdme Couterot, 1684, p. 15 : « Les yeux de Dieu voyent la moindre ordure de vos ames, le moindre atome de vanité, de paresse, d’aversion est aussi present à ses yeux que l’orgueil que l’oisiveté, que l’inimitié, que les crimes les plus énormes. »
27 R. Mauzi, L’Idée du bonheur dans la littérature et la pensée françaises au xviiie siècle, 1979, Paris, Albin Michel (coll. « Bibliothèque de “L’Évolution de l’Humanité” »), 1994, p. 548.
28 Cf. Réaumur, op. cit., p. 25, à propos des commentaires admiratifs de la beauté des ailes de papillon : « De vouloir que l’auteur de la nature ne les leur ait données presque que pour la simple parure, [...] c’est assurément avoir des idées trop petites de la sagesse suprême. [...] Tout ce que nous voulons conclure, c’est que nous devons être extrêmement retenus sur l’explication des fins que s’est proposées celui dont les secrets sont impenetrables : que nous louons souvent une sagesse qui est si fort au-dessus de nos éloges. Décrivons le plus exactement qu’il nous est possible ses productions, c’est la maniere de la louer qui nous convient le mieux. »
29 Voltaire, op. cit., « Athée, athéisme », section II dans laquelle Maupertuis, archétype du physicien athée, est chargé de répondre aux arguments des adorateurs de Dieu.
30 Pascal, Pensées, fragment 72 (édition Brunchvicg) / 199 (édition Lafuma).
31 L.A. de Caraccioli, La Jouissance de soi-même, Autrecht, H. Spruit / Amsterdam, E. van Harrevelt, 1759, p. 139.
32 N. Andry de Boisregard, De la génération des vers dans le corps de l’homme, Paris, L. d’Houry, 1700, p. 298-299.
33 Id., De la génération des vers dans le corps de l’homme, Paris, L. d’Houry, 1700, p. 302 ; notons qu’on a ici l’amorce du conte de Micromégas de Voltaire.
34 Chevalier de Causans, Éclaircissemens sur le péché originel, Cologne, Ch. Marteau, 1755, p. 91.
35 Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, art. « Anatomie », op. cit., t. 17, p. 222-23.
36 Spallanzani, op. cit., p. xxi-ii.
37 Deux parergues anatomiques, ou dissertations d’aprés l’œuvre sur l’origine & la nourriture du Fœtus, s. 1., 1705, p. 44, nous soulignons.
38 C. Brunet, Traité raisonné sur la structure des organes des deux sexes destinez, à la génération, Paris, L. d’Houry, 1696, préf., s. p.
39 Baron de Gleichen, Dissertation sur la génération, éd. cit., p. 1-2 : « Combien n’en est-il pas qui rejettent la réalité dont leurs yeux sont frappés, pour se repaître d’idées métaphysiques, de vieilles traditions et de chimères ; qui trouvent bien plus commodes de badiner avec leurs idées, de se jouer de mots, que de s’occuper d’observations microscopiques, sur-tout de celles qui exigent de la suite ; qui quand ils se déterminent à manier le microscope, le font d’une manière gauche et absolument dépourvue d’intelligence ? »
40 Ibid., p. 6-7.
41 J’ai étudié cette question dans un article à paraître : « La science face à l’obscène : dire le sexe sous les Lumières », La Transmission du langage scientifique. Actes du 119e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques (Amiens, octobre 1994).
42 Cité in Roger, op. cit., p. 295.
43 Cité in É. Guyenot, Les Sciences de la vie aux xviie et xviiie siècles. L’idée d’évolution, Paris, Éd. Albin Michel (coll. « L’évolution de l’humanité »), 1941, p. 236.
44 Cf. ce compte rendu paru dans les Nouvelles de la République des Lettres à propos d’un traité sur la génération : « Jamais on n’a tant foüillé dans le corps de l’homme que depuis un siecle, pour en découvrir la structure surprenante. Mais de toutes les parties qu’on a examinées avec une incroyable curiosité, il n’y en a point qu’on ait plus exactement épluchées que celles qui servent à la generation. Ce n’est pas assûrément afin d’en reduire en methode les operations, & de les perfectionner, comme on perfectionne tous les jours les Arts, & les Sciences, car on sçait trop bien qu’il y a long-temps que cette affaire a été conduite à la perfection par les seules forces de la Nature. Les Sciences ne sont rien à cela, & les plus ignorans y sont pour l’ordinaire les plus grands Maîtres. Mais on a d’autres vûës qui peuvent avoir de grands usages pour la guerison des maladies, & en tout cas pour satisfaire la curiosité de l’esprit. L’Auteur de ce livre égaye fort cette matiere, & on voit bien que le jeu luy plaît. On y trouve de l’érudition, & des remarques curieuses », P. Bayle éd., Nouvelles de la République des Lettres, Amsterdam, H. Desbordes, 1684-1687, t. I, p. 533.
45 A.G. Meusnier de Querlon, Apologie des modernes ou réponse du cuisinier français à un patissier anglais, s. I. n. d. [1740], p. 19.
46 L. de Puget, Observations sur la structure des yeux de divers insectes, et sur la trompe des papillons, Lion, L. Plaignard, 1706, p. 4.
47 Mémoires de Suzon, sœur de D** B*****, 1776, Paris, Fayard (coll. « L’Enfer de la Bibliothèque nationale », vol. 3), 1985, p. 322-323.
48 D. Diderot, Rêve de d’Alembert, 1769, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1951, p. 893 ; deux passages de la page suivante lèvent s’il en était besoin toute ambiguïté sur l’activité de d’Alembert : « J’ai voulu lui tâter le pouls, mais je ne sais où il avait caché sa main. [...] J’avais espéré que le reste de la nuit serait tranquille [...] Bordeu. – Cela produit ordinairement cet effet. »
49 Cf. l’analyse, par ailleurs très discutable, que J. Baudrillard a proposé de la pornographie : « C’est l’hallucination du détail qui règne – déjà la science nous a habitués à cette microscopie, à cet excès de réel dans son détail microscopique, à ce voyeurisme de l’exactitude, du gros plan sur les structures invisibles de la cellule, à cette notion d’une vérité inexorable qui ne se mesure plus du tout au jeu des apparences et que seule la sophistication d’un appareil technique peut révéler. Fin du secret.
[...] Que fait d’autre le porno, dans sa vision truquée, que de nous révéler lui aussi cette vérité inexorable et microscopique du sexe ? », in De la séduction, 1979, Paris, Denoël (coll. « Folio/Essais »), 1988, p. 51.
50 E. Cassirer, La Philosophie des Lumières, 1932, trad. Pierre Quillet, Paris, Fayard (coll. « Agora »), 1986, p. 271.
51 G. Gauchat, Lettres critiques ou analyses et réfutations de divers écrits modernes contre la religion, 1755-1759, Genève, Slatkine reprints, 1973, p. 423.
52 S. Freud, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, 1910, trad. Altounian, Bourguignon, Cotet, Rauzy, Paris, Gallimard (coll. « Connaissance de l’inconscient »), p. 84.
Table des illustrations
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Titre | Anonyme, Mémoires de Suzon, sœur de D** B**’***, Paris, 1776 (cote BN Enfer 105 – cliché BN) |
URL | http://books.openedition.org/enseditions/docannexe/image/24528/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 192k |
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