Introduction

1L’allégorie poétique profane, qu’inaugure de façon magistrale le Roman de la Rose au XIIIe siècle, interroge les rapports du langage et du visuel, de l’écriture et de l’image. Dans l’allégorie le texte aspire à prendre forme visible, privilégiant des descriptions qui peu à peu s’animent en personnifications pour évoluer dans un décor étrange entre rêve et réalité. Lorsque s’y ajoute la fiction du songe, le montage se fait plus complexe mais aussi plus révélateur du projet qui sous-tend le choix d’une telle forme : donner à lire, à imaginer des représentations mentales, – fantasmata –, accorder un visage à des réalités psychiques, des notions morales ou encore des motifs poétiques. Le modèle du discours allégorique sera doublement celui des visions, mystiques ou amoureuses, et celui des arts plastiques, peintures et sculptures. « Machine visuelle captatrice » selon l’expression de R. Dragonetti, cette œuvre double mobilise les savoirs poétiques mais aussi noétiques de son époque. Elle traduit, en les intégrant à sa forme propre et à ses enjeux – faire une somme de l’art d’aimer » –, les conceptions optiques et philosophiques de la représentation des XIIe et XIIIe siècles.

2Si la vue, en effet, se tient à la charnière du sensible et de l’intellect, le visible ne sera jamais donné pour lui-même mais en fonction d’une signification à traduire, qu’elle soit érotique ou religieuse.

3Dans une poétique différente, les poètes du XVIe siècle cherchent à décrire, aussi bien que les charmes d’un corps ou la délicatesse fragile d’une branche, ce qui n’a ni forme ni corps. Décrire demeure toujours, à l’une et l’autre époque, inventer, c’est-à-dire, amplifier à partir d’une topique reçue, broder sur un canevas, une idée. L’image poétique ne saurait être représentation directe, mimétique, d’un objet ou d’un être, mais toujours reconstruction signifiante. L’accent se porte ainsi moins sur l’objet regardé que sur le sujet regardant, pris dans le monde de la représentation ou attirant l’objet de son désir dans le champ de son énonciation.

4La poésie produit ses propres effets de visible en reforgeant indéfiniment son modèle, non en s’y soumettant. Le monde s’y reflète comme en un miroir déformant et créateur d’une nouvelle réalité, d’une autre vérité. L’Art, en cela, même s’il n’est, d’après Jean de Meun, que « son singe » concurrence Nature dans sa tâche de création, dans son œuvre de vie.