Chapitre 3
Un nouvel espace rural
p. 51-64
Texte intégral
1A vivre quelque temps dans l’espace rural, on est frappé par des signes évidents de vitalité, même dans les villages qui se meurent. Les images de sclérose et de crise que multiplient les médias et nombre d’études demeurent, mais on est en droit de se demander si l’approche passéiste n’a pas trop interprété le modèle. Les récentes élections municipales ont témoigné de l’indépendance des élus, de l’attachement des populations à leur territoire, de la persistance de la vie locale. Les expériences quotidiennes obligent à s’interroger sur la valeur actuelle de l’image d’une France polarisée aux unités urbaines bien hiérarchisées à laquelle les études urbaines et commerciales nous ont habitués. L’hypothèse sous-jacente d’une rationalité des déplacements correspond-elle encore à la vie d’aujourd’hui ? La distance aux commerces garde-t-elle la même priorité avec l’évolution des moyens de transport et celle des méthodes commerciales ?
2La complexité des flux et le brassage effectif des populations nous semblent des indicateurs significatifs d’une évidente évolution du « mode de vie rurale » et de transformations plus profondes susceptibles de suggérer d’autres modèles de développement. Deux axes de recherche s’imposent : la détection des flux réels de l’espace rural trop souvent étudiés à partir des points nodaux, ce qui oblitère leur complexité ; l’évolution sociologique qui résulte du brassage des populations et du rythme de leur renouvellement.
1. La complexité des flux dans l’espace rural
La mobilité spécifique des ruraux
3Les flux qui innervent le milieu rural ont comme ailleurs de multiples causes. Nous voudrions insister ici sur la mobilité spécifique des ruraux qui habitent en permanence à la campagne. Elle diffère des déplacements de naguère à courte distance et de la régularité des navettes urbaines ou périurbaines. Il faut bien admettre aujourd’hui une complexité de plus en plus évidente des déplacements des différentes catégories de ruraux, une mobilité certaine de l’ensemble des populations qui vivent définitivement ou temporairement à la campagne. J.-P. Diry le remarque dans les espaces fragiles de l’Auvergne. Partout dans les territoires caractérisés à la fois par pertes d’emplois, régression démographique, dans lesquels agriculteurs et retraités constituent les deux composantes sociologiques majeures, on constate « une mobilité de plus en plus grande des ruraux »1.
4La tyrannie de la distance n’est plus ce qu’elle était. La mobilité a bénéficié de conditions particulières que nombre de pays étrangers peuvent nous envier. Le réseau routier a une densité exceptionnelle, l’entretien de ses différents types de voies est dans l’ensemble remarquablement assuré et les récentes lois de décentralisation ont permis une attention redoublée. Par ailleurs, le développement de l’automobile, sa vulgarisation, l’existence d’un important marché de la voiture d’occasion ont transformé la vie des ruraux ; dans l’espace rural, on compte souvent plusieurs véhicules par ménage même si un certain nombre d’entre eux ne cotent plus à l’argus. Cependant les transporteurs publics ou privés ont multiplié les services de distribution qui desservent au besoin les hameaux les plus isolés. Les nouvelles techniques de stockage ou de conservation donnent une plus grande liberté de manœuvre aux consommateurs, de mieux en mieux informés par la poste, la radio, la télévision des possibilités offertes par le marché.
5Aussi assiste-on à une profonde modification des habitudes et des déplacements que commandent la vie professionnelle, la satisfaction des besoins, le développement des loisirs. Autant de raisons de se déplacer, autant de réseaux qui se dessinent dans l’espace, autant d’aires que l’on peut circonscrire sans qu’elles se superposent systématiquement, sans que chacune connaisse d’incessantes métamorphoses, des faciès différents selon les métiers, les catégories sociales ou les modes.
Les bassins d’emploi
6Pour tous les ruraux qui ne sont pas agriculteurs, la recherche d’un emploi reste le le premier souci dans le contexte actuel. L’agriculture occupe de moins en moins de bras, les artisans se font moins nombreux, les entreprises sont rares et on se déplace de plus en plus pour travailler. Le colloque de Nantes a donné de nombreux exemples de ces bassins d’emploi qui s’étendent autour des bourgs, des petites villes2. La périurbanisation des noyaux urbains plus importants est née de ces migrations alternantes entre domicile et lieu de travail qui ont créé un milieu nouveau qui se démarque aussi bien des villes que des campagnes3. On s’est plu à cartographier ces déplacements, à circonscrire ces bassins de vie ; toutefois deux faits non négligeables pour l’avenir du marché du travail et l’organisation du territoire ne doivent pas être laissés dans l’ombre.
7En premier lieu, l’existence d’entreprises en développement dans l’espace rural dont il faudrait mieux connaître la répartition, la vitalité ou la vulnérabilité. La création des zones industrielles dont veulent se doter les moindres villes n’empêche que des affaires se créent en pleine campagne sans que leur localisation dépende d’une pure logique spatiale, celle-ci peut être dictée par la disposition d’un terrain, l’existence d’un petit commerce familial traditionnel à transformer, etc. ; ces créations ou ces mutations sont autant de pôles secondaires de flux qui rayonnent parfois à de grandes distances ; les exemples sont plus nombreux qu’on pourrait le croire de l’atelier de réparation de machines agricoles à l’ébénisterie, voire la clinique spécialisée. Certaines de ces entreprises finissent par se retrouver dans les nébuleuses urbaines avec l’extension des zones périurbaines, mais un certain nombre échappent à la règle de la concentration. Leur seul impératif reste la qualité du service rendu, la réputation acquise et méritée. Leur recensement est travail de bénédictin car il faut recourir à l’enquête. Des études menées conjointement dans les départements du Doubs et de la Dordogne ont ainsi montré que les entreprises artisanales y sont aussi nombreuses qu’il y a trente ans ; bien sûr, structures et méthode de « management » ont changé4.
8En second lieu, faut-il rappeler que l’existence d’entreprises ne signifie pas embauche automatique pour les générations qui arrivent sur le marché du travail ou pour les chômeurs victimes des restructurations de ces affaires qui doivent encore connaître l’expansion pour augmenter leurs effectifs. Dans ce marché du travail en plein bouleversement, en difficulté, les candidats à l’emploi acceptent fréquemment des allongements singuliers de la distance à parcourir pour signer un contrat. La distance de 60 km nous semble de plus en plus fréquente et les axes de déplacement dictés par la seule opportunité n’obéissent pas aux règles habituelles de concentration et de proximité d’une stricte logique économique.
9Soumis aux bouleversements actuels de la vie économique, aux aléas des extensions, des fusions ou des fermetures, ces bassins d’emploi ignorent les limites administratives et les frontières5, connaissent des métamorphoses fréquentes avec l’accélération de l’évolution des techniques. Valables aujourd’hui, ces bassins d’emploi se délimiteront-ils demain de la même manière ? Faut-il trouver de nouvelles mesures pour en permettre la vitalité et le fonctionnement ou s’engouffrer dans un nouveau découpage institutionnel qui peut être dépassé à brève échéance ? Enfin ces bassins d’emploi ne se superposent pas exactement aux bassins de chalandise qui assurent la satisfaction des besoins des ruraux.
Les bassins de chalandise
10Leur étude a donné lieu à des travaux de grande pertinence. Ceux-ci s’appuient tous sur les niveaux d’équipements commerciaux. Dans les travaux de PIATIER, le semis dense dans notre pays des petites villes et des villes moyennes a été expliqué par le rôle de la distance des habitations aux centres de commerce6 ; les études construites sur la distinction des achats courants, occasionnels ou exceptionnels auprès des centres de plus en plus importants par la taille et l’éventail des commerces offerts couvraient l’ensemble du territoire. Les travaux de l’INSEE et la publication de l’enquête Mirabelle7 ont permis de préciser et de corriger les schémas anciens. Toutefois ces recherches ont toujours insisté sur l’enclavement des ruraux8 sans tenir compte de leur disponibilité et de leur mobilité réelle. Un coefficient d’enclavement est une mesure statique qui se substitue à la mobilité des personnes. Maximal dans les petites communes de faible densité, il est moindre dans les communes les mieux peuplées et d’une certaine dimension. Mais les déplacements n’ont ni la même fréquence, ni la même signification pour un rural ou un urbain ; faut-il que tous les services soient à la portée de tous, ou que les individus aient les moyens de les atteindre, ce qui est affaire de technologie et de niveau de vie ? Ne voit-on pas trop les ruraux comme des citoyens à bas niveau de vie ?
11Cette méthode des équipements a permis en particulier d’établir les limites des zones de chalandise de la France de l’Est que les auteurs ont tenté de comparer aux bassins d’emploi9. La carte un peu complexe est intéressante mais n’est-ce pas prêter à chaque citoyen une logique d’économiste ou de statisticien ? Le contrôle par enquêtes s’impose pour tester la valeur des chiffres et des déductions. Les commerciaux savent bien qu’équipement ne signifie pas automatiquement fréquentation et la rotation des commerces en est la preuve.
12En fait de nombreux facteurs viennent compliquer le schéma. Les consommateurs reçoivent à domicile par la poste ou le téléphone d’incessantes sollicitations d’achats, d’occasions et sont tenus parfaitement au courant de la gamme des produits disponibles et de leurs coûts respectifs. Les réseaux de distribution à domicile se sont multipliés, les camions sillonnent les moindres routes secondaires quotidiennement pour livrer les commandes par correspondance qui assurent une part de plus en plus grande des achats de la maison, des vêtements, des livres et des articles pour le jardin. Le commerce ambulant dans les campagnes a changé de nature ; quelques petits commerçants se maintiennent çà et là tant bien que mal comptant sur la clientèle des personnes âgées, mais les passages plus espacés des grossistes, des usines agro-alimentaires sollicitent la clientèle avertie par correspondance.
13On affirme que ces ventes directes ne représentent que 6 % du chiffre d’affaire global des transactions commerciales. Malheureusement l’organisation de ce type de vente ne permet pas de distinguer clientèle urbaine ou rurale. En outre qu’en sera-t-il demain si la vente par télévision prend une plus grande ampleur comme aux Etats-Unis ? Moyens de déplacement, d’information, de distribution ou de stockage permettent finalement une grande liberté de manœuvre. Il faut aussi compter avec l’évolution des mentalités et l’habitude acquise des ruraux de se déplacer pour tout prétexte plutôt que de téléphoner avant de prendre la route. On n’hésite pas à parcourir cent kilomètres pour une pièce de machine, pour découvrir de nouveaux centres commerciaux et la régularité pendulaire des déplacements ne se vérifie pas toujours, même pour les achats les plus courants. Les déplacements de chalandise sont eux-mêmes à préciser. Va-t-on vers la ville ou vers sa périphérie ? Cette dernière gagne de plus en plus en importance ; l’implantation des grandes surfaces se modifie rapidement et la recherche de grandes superficies les éloignent des centres villes. Les ruraux disent aller en ville, mais ils restent le plus souvent dans la zone suburbaine.
Les autres déplacements
14De nombreux déplacements sont à porter au compte des affaires, de l’administration, de la formation et des loisirs. Les exigences croissantes de l’administration contraignent à de nombreux voyages vers le chef-lieu départemental ; la formation scolaire a couvert le territoire de circuits de ramassage des enfants de la maternelle au lycée10 ; en gros, ces déplacements se calquent sur la hiérarchie urbaine, mais les loisirs des ruraux de plus en plus proches du modèle urbain les entraînent volontiers vers de lointains objectifs qu’il s’agisse du dernier concert des Rolling Stones ou des 24 heures du Mans.
15En outre toute cette mobilité se complique avec les interférences des déplacements des saisonniers du tourisme vert dont nous reparlerons, avec la double domicilisation de citadins qui vivent alternativement à la ville ou à la campagne, phénomène difficile à évaluer dont les listes électorales ne donnent qu’une image approximative.
16Tous ces déplacements sont la preuve de l’intégration des ruraux dans le système actuel de production et de consommation. Cela ne signifie pas pour autant identité de réception et d’utilisation des moyens offerts par les techniques modernes. Demeurent des différences d’accès à ces techniques et de rythme de diffusion, des différences de niveaux de vie, des décalages de mentalités. La voiture individuelle tient lieu de transport en commun ; l’habitude de compter au plus juste a pour corollaire la difficulté de trouver des produits haut de gamme d’autant plus que la politique des emplois en milieu rural a jusqu’alors essentiellement misé sur la main-d’œuvre à bas salaire, argument fréquent des délocalisations industrielles. Même si à revenu égal, on vit mieux à la campagne qu’en ville, ne faut-il pas songer également aux emplois qualifiés dont le pouvoir d’entraînement et de maintien de servives serait supérieur à celui d’une population essentiellement ouvrière ?
17Tous ces facteurs interviennent différemment d’un endroit à l’autre selon l’héritage historique, la composition de la population, la situation par rapport aux centres de décision. Les différentes catégories sociales ne fréquentent pas toujours les mêmes centres commerciaux ou de loisirs. Une meilleure connaissance de toutes ces composantes serait nécessaire avant de conclure trop rapidement. L’anarchie des flux est plus faible dans les milieux périurbains, elle devient plus forte dans ces espaces qu’on qualifie « intermédiaires ». Il demeure que, dans l’hexagone où les distances restent moyennes, l’équilibre entre petits secteurs et zones de plus grandes dimensions, entre bassins d’emploi et bassins de chalandise aux logiques différentes, dépend de cette complexité des déplacements ; des relations s’y tissent également avec l’étranger ; il faudra en tenir de plus en plus compte dans les schémas d’aménagement.
18Cette dispersion des flux correspond-elle « à un phénomène de société de grande ampleur qui dérégule tous les modèles » ? « Ce mode de vie conduit chacun à se dessiner un territoire unique correspondant à la somme de ses allées et venues »11, ce qui entraîne une utilisation multiple et aléatoire du semis des bourgs et des villes dispersées dans un périmètre plus vaste que les zones de fréquentation de naguère et oblige à un nouveau regard et une nouvelle approche de la recherche et de l’aménagement.
2. Mutations sociales des campagnes
19On a pu souligner avec raison, l’important déplacement des populations vers les villes et décrire l’autre face de l’urbanisation, son corollaire immédiat partout au monde : le dépeuplement des campagnes. L’analyse des différentes vagues de l’exode rural, de celle des mal nantis à celle des agriculteurs-propriétaires, les descriptions du vieillissement de la population et l’absence de son renouvellement par solde naturel ont été longtemps le centre même des études rurales soucieuses de définir le seuil de fragilité au delà duquel la crise ne peut connaître de retour12. Thèmes et méthodes démographiques offrent aux chercheurs des pistes bien définies qui ont donné lieu à de nombreux travaux permettant une auscultation suivie du phénomène13. Au-delà des sources, il revient aux chercheurs de déceler les signes précurseurs de changements possibles. Ruralistes de toutes disciplines, responsables politiques n’ont pas manqué lors des derniers recensements, de noter tous les signes perceptibles du renversement de la tendance au déclin de la population rurale. Prenant en compte, non seulement la variation totale de la population, mais égalements les excédents naturels ou migratoires, le pourcentage de célibataires dans la tranche 40-49 ans de la population active, les auteurs ont pu établir des cartes qui affirment nettement ce renversement de tendance14 ; seuls les départements d’une partie du Massif Central accusent un déficit supérieur à 5 %. D’aucuns ont rétorqué qu’il était trop tôt pour parler de « renouveau », que le renversement n’était pas lié à une vitalité démographique mais seulement à des déplacements de population qui pouvaient être sans lendemain, qui sont effectivement plus marqués dans le milieu périurbain que dans les campagnes profondes. Pourtant d’un recensement à l’autre la tendance se confirme, invitant à une attention plus précise pour ces migrations de citadins vers le milieu rural. Car les recensements de population donnent de la répartition de la population des états à date fixe qui précisent à cet instant « t » les changements de domicile ou les migrations alternantes. On dispose ainsi de données statiques sans pouvoir mesurer l’importance des brassages pendant les périodes intermédiaires et des transformations sociales générées par la diversification des fonctions de l’espace rural et la modernisation de l’agriculture. Et ce sont bien là préoccupations de géographes à savoir la permanence des domicilisations, les conséquences de ces brassages de population dans un milieu traditionnel destiné semblait-il à se renouveler sur lui-même.
20Tous les travaux ont montré que les fonctions résidentielles et touristiques se sont affirmées au cours des dernières années, dans l’espace rural. En 1975, J.-P. Fruit avait étudié la place occupée par les populations ouvrières dans les campagnes15. Depuis lors, le phénomène s’est étendu à d’autres secteurs que la France de l’Est où elle était à cette date prédominante. Un bilan n’est pas facile à établir tant les cas sont variés ; de jour en jour, la prise en compte des coûts plus bas des loyers, de la possibilité de cultiver un jardin, de la qualité de la vie, etc., fixe des populations exogènes qui s’intégrent peu à peu aux anciens isolats villageois. La présence de résidents secondaires, le développement du tourisme vert entretiennent les réseaux d’artisans ; l’arrivée d’acheteurs étrangers attirés par les conditions du marché foncier français accentue les effets alors que s’élargit l’éventail social des communes, du cinéaste renommé, du financier international au chômeur réfugié hors la ville16. Les situations sont variables du village de Provence intérieure semblant sorti d’un film hollywoodien au hameau breton qui voit son manoir en ruines acquis et restauré par un citoyen britannique. Les mixages de population peuvent présenter de nombreux profils.
21Cette dimension sociologique des changements a une portée économique, psychologique d’importance et induit plus d’effets qu’on pourrait le croire. Il conviendrait de le montrer au-delà de la froide énumération académique des fonctions de l’espace rural. Quelles sont les incidences de ces échanges devenus permanents entre catégories sociales différentes par leur origine, leurs métiers, leurs habitudes antérieures ? Ou bien, y-a-t-il simple juxtaposition et montée de tensions larvées ou explosives ? Quelles sont les conséquences sur les exigences d’équipement ou sur les services de cet enchevêtrement de noyaux divers de population ?
22Sans vouloir nous substituer aux sociologues de métier, nous tenons à indiquer quelques axes qu’il nous semblerait opportun d’approfondir. Comment s’est opéré le changement radical de l’attitude des agriculteurs entre leur position syndicale d’il y a une quinzaine d’années qui refusait alors toute assistance directe et leur comportement actuel de calculateurs de primes, prisonniers d’une administration de plus en plus lourde ? Comment sont accueillis ici et là les jeunes agriculteurs venus d’ailleurs qui s’installent ? Ils ont un rôle capital à jouer pour la mise en valeur du territoire. Quel a été le rôle des femmes agricultrices ou femmes rurales dans cette évolution ?
23Souvent moins bien formées que leurs homologues citadines, de plus en plus nombreuses à entrer dans la vie active, elles jouent un rôle moteur de plus en plus reconnu, en particulier dans la sphère agricole ; elles sont à l’origine d’initiatives exemplaires dans la vie associative, la médiation sociale, la création de services, etc.17 Faut-il encore évoquer le choc des générations ou constater l’utilisation des anciens au service des jeunes générations dans leur combat permanent pour se maintenir ? Les nouveaux ruraux avaient naguère provoqué un grand intérêt. Connaît-on aujourd’hui les nouveaux venus de l’espace rural : retraités urbains sans attache rurale, cadres fatigués de l’ambiance urbaine ? Les étrangers ont été l’objet de premiers recensements tout à faits pertinents18.
24Ces profonds changements sociaux doivent être plus minutieusement étudiés. Si les approches partielles ne manquent pas, on ne saisit pas encore la cohérence de l’ensemble. Des indices multiples sont proposés à différents niveaux ; dans les brassages de population interviennent de plus en plus les relations interrégionales ou internationales ; on observe la substitution de plus en plus fréquente de rapports individuels aux anciens rapports collectifs ; de nouveaux réseaux relationnels se mettent en place à l’initiative d’individus ; des groupements se forment sur des territoires éclatés ; ce sont autant d’indices de rupture avec l’appartenance locale telle qu’elle était conçue hier ; on ne saurait les décrypter à l’aide des schémas usés des zones en perdition, des espaces qui se meurent ; ils représentent autant de formes nouvelles d’implantation, de relations à l’espace, de manières de vivre des nouvelles campagnes.
25L’état de la connaissance de toutes ces mutations, de toutes ces nouvelles formes de mobilité ne permet pas aujourd’hui de démêler l’écheveau de toutes ces tendances multiples, voire contradictoires dont on ne peut mesurer la durabilité. De même que les équilibres écologiques que décrit J. Tricart, ces équilibres humains de nos campagnes se caractérisent par la non-coïncidence des aires de relation à différentes échelles19. Les nombreuses dynamiques dont ils dépendent ont chacune leur rythme et leur devenir spécifique ; toute action sur l’une d’entre elles déstabilise les autres. Il est en outre nécessaire d’y distinguer entre « l’hérité et le relictuel », de s’interroger sur le véritable rôle que peuvent jouer les appartenances provinciales ou locales pour le maintien, la survie de certaines campagnes. Si l’on attend des sociologues une connaissance plus intime de ces mutations sociales, ne revient-il pas aux géographes de s’interroger sur les dynamiques spatiales des mutations sectorielles qui s’inscrivent sur le territoire, le modifient au fil des ans et sur les ruptures avec l’appartenance locale, sur la formation de nouveaux équilibres régionaux ou locaux, sur les coordinations horizontales que tissent les divers acteurs locaux en déterminant de nouveaux territoires ?
Notes de bas de page
1 DIRY J.-P., RIEUFORT L., 1995, Bourgs centres et espaces fragiles, colloque CNRS, « Bourgs et petites villes », Nantes, 23-24-25 mars (à paraître dans les Cahiers Nantais).
2 Cf. colloque cité note 1.
3 CHAPUIS (R.), 1995, La périurbanisation, Le cas bourguignon, Information géographique, n° 4, L’article donne définitions et références, bibliographie sur la question.
4 JACQUES-JOUVENOT D., TRIPIER P., 1994, Des hommes et des femmes créateurs d’entreprises en milieu rural, in journée du 28 avril, déjà citée.
5 GONIN P., 1994, Régions frontalières et développement endogène : de nouveaux territoires en construction au sein de l’Union Européenne, Hommes et Terres du Nord, n° 2-3, p. 61-70.
6 PIATIER A., 1979, Radioscopie des Communes de France. Ruralité et relations Villes/Campagnes : une recherche pour l’action, Paris, Economica, 550 p.
7 Enquête Mirabelle effectuée par l’INSEE lors du recensement 1990.
8 INSEE, Communoscope, Publication par département, cf. définition in Ardèche, p. 8 : « l’enclavement d’une commune est la moyenne des distances d’accès à une série de 49 équipements ».
9 SCHMITT B., avec la collaboration de MENETREZ Y., 1995, Pôles d’emplois, pôles de services, la place et le rôle des bourgs et petites villes dans la structuration de l’espace, colloque CNRS, « Bourgs et petites villes », Nantes, 23-24-25 mars.
10 BOUVERET-GAVER M., DELOBEZ A., BRON R., Les nouveaux espaces marchands périphériques, LIREES, (URA 1470, CNRS, ENS Cachan).
11 BEAUCHARD J., la ville pays, colloque CNRS, « Bourgs et petites villes », Nantes, 23-24-25 mars.
12 CERAMAC, 1992, Des régions paysannes aux espaces fragiles, colloque de Clermont-Ferrand, en hommage à André Fel (septembre 1991), Université Biaise Pascal, 767 p.
13 CHATELAIN P., BROWAEYS X., 1992, La France des 36000 communes. Méthode et document pour une étude locale du territoire, Paris, Masson, 342 p.
14 SEGESA, 1991, Guide du Diagnostic pour le développement rural, Paris, La Documentation Française, 36 p.
15 FRUIT J.-P., 1986, Campagnes ouvrières en France, Lille, ANRT, 1026 p.
16 BAROU J., PRADO P., 1995, Les Anglais dans nos campagnes, Paris, L’Harmattan, 237 p.
17 Ministère des Affaires sociales, Service des Droits des Femmes, SEGESA, 1995, Femmes en milieu rural.
18 Cf. rapport du Sénat, tome I, proposition de la Mission d’Information, n° 343, 1993-1994.
19 TRICART J., 1994, Ecogéographie des espaces ruraux, Paris, Nathan, 183 p.
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