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Le temps donné aux tableaux

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Jean-Claude Passeron
, 
Emmanuel Pedler

Première partie. Le temps donné aux tableaux, Compte rendu d’une enquête réalisée en 1987 au Musée Granet d’Aix-en-Provence, Jean-Claude Passeron, Emmanuel Pedler.

Chapitre 1

La visite du musée

Jean-Claude Passeron et Emmanuel Pedler

Note de l’éditeur

Sauf mention contraire, les tableaux utilisés dans ce chapitre proviennent de l’enquête « Musée Granet » (printemps 1987).

Texte intégral

I. Les visiteurs du musée Granet

A. Un flux de surdiplômés et de visiteurs étrangers

1Le prélèvement opéré lors de l’enquête sur le musée Granet montre une sur-représentation des sujets les plus diplômés par rapport aux chiffres habituellement utilisés pour décrire la composition du public des musées français. C’est cette distribution des diplômes dans notre échantillon, qui, avec plus d’un tiers de sujets ayant poursuivi des études plus de quatre ans après le baccalauréat, constitue une première surprise. On voit d’ailleurs que cette distribution n’est pas très différente dans les deux sexes.

T.1.01. Le diplôme selon le sexe

Diplôme / Sexe Inf. au Bac Bac à Bac + 3 Bac + 4 et plus Total
Hommes 24 % 35 % 41 % 100 %
Femmes 25 % 40 % 35 % 100 %
Ensemble 24 % 38 % 38 % 100 %
  • 1 Pierre Bourdieu et Alain Darbel, L’amour de l’art, Paris, Éditions de Minuit, 1966.

2Rappelons pour comparaison les chiffres de L’amour de l’art, dont l’enquête opérait à l’échelle nationale, et qui donnaient en 1970 la distribution des différents diplômes dans un échantillon des visiteurs de 123 musées français : non diplômés = 9 %, CEP = 11 %, BE et BEPC = 17 %, Bac = 31 %, diplômes au-delà du Bac = 24 %1. On voit que les titulaires du baccalauréat et plus étaient de l’ordre de 55 % (31 % + 24 %) alors qu’ils sont ici de 76 % (38 % + 38 %) si l’on agrège deux découpages différents.

  • 2 Ministère de la Culture, Les pratiques culturelles des Français : 1973-1989, Paris, La Découverte, (...)

3Si nous utilisons ici les chiffres d’une enquête déjà ancienne c’est parce qu’ils proviennent d’un sondage qui, à la taille et à la représentativité près, est comparable au nôtre, puisqu’il était effectué dans des conditions probabilitaires analogues, celles d’un prélèvement aléatoire sur un flux de visiteurs. On peut d’ailleurs supposer que, malgré le temps passé, la structure des chances de visiter un musée d’art en fonction du diplôme n’a pas beaucoup changé, comme le prouvent les données issues des enquêtes réitérées par le SER en 1973, 1981 et 1988 : si le niveau scolaire a continûment monté dans la population française pendant la période considérée, ni les chances des plus diplômés de visiter les musées, ni le poids des plus hauts diplômes dans la population des visiteurs de musée ne se sont sensiblement accrus2.

  • 3 Ministère de la Culture, Service des études et de la recherche, Pratiques culturelles des Français (...)
  • 4 Ministère de la Culture, Pratiques culturelles des Français : description socio-démographique, ouv (...)

4Les chiffres qui donnent, dans les enquêtes réalisées par le SER en 1981 et 1988 sur les pratiques culturelles des Français3, la part des différents niveaux de diplôme dans la population ayant visité au moins une fois un musée dans l’année, ne sont évidemment pas comparables directement à ceux qui chiffraient dans notre échantillon la part des titulaires du baccalauréat et plus à 76 % dans un flux de visiteurs. Le chiffre étonnamment plus bas de 33 % dans l’échantillon PCF pour cette même catégorie de diplômés4 dans la population des visiteurs de musée ne permet pas de prédire la part des diplômés d’enseignement supérieur que l’on risque de trouver lors d’un sondage aléatoire sur un musée réel. En effet les individus qui pratiquent le plus fréquemment la visite des musées (et qui sont proportionnellement plus souvent titulaires d’un plus haut diplôme, comme le montrent toutes les enquêtes) sont évidemment dotés de plus de chances d’apparaître dans un échantillonnage opéré sur un flux de visiteurs que ceux qui n’y mettent les pieds qu’une fois dans l’année. Ils sont, dans un modèle probabilitaire, comme des boules qui seraient remises plusieurs fois dans l’urne après chaque tirage et qui ont plus de chances d’être tirées que celles qui n’ont droit qu’à une chance.

  • 5 C’est là le produit d’un affinement du questionnaire, qui permet de voir que, en 1988, les chances (...)

5Il faudrait, pour évaluer l’ordre de grandeur du décalage entre la qualification scolaire des visiteurs du musée Granet et celle de la moyenne des visiteurs de musées français, opérer au moins deux détours si l’on veut se référer à l’enquête PCF 1989 : (a) recalculer la part des titulaires du baccalauréat et plus parmi les seuls visiteurs de musée ayant une haute fréquence de visite au sein de l’échantillon PCF, par exemple ceux qui ont effectué 5 visites ou plus sur l’année ; (b) séparer dans ce calcul (ce que permet PCF 19895) la visite des musées des beaux-arts et d’art moderne de celle des autres types de musées. On constate dans le premier cas que les diplômes supérieurs au baccalauréat représentent 58 % des visiteurs de musée qui ont fait dans l’année 5 visites ou plus. On constate dans le second cas, par un calcul indirect que nécessite la présentation des pourcentages, que les diplômes supérieurs au baccalauréat constituent 49 % des visiteurs d’un musée d’art. On voit qu’on est encore loin, avec ce 49 % et même ce 58 % des 76 % que nous dénombrons sur l’échantillon Granet.

6En bref, le poids des diplômes supérieurs au baccalauréat et, parmi ceux-ci, de ceux qui supposent plus de quatre ans d’études après cet examen est un trait spécifique de l’échantillon que nous avons prélevé sur les visiteurs du musée Granet. Cette caractéristique décale notre échantillon par rapport à la moyenne nationale, y compris quand on le réfère au public des seuls musées d’art.

  • 6 Voir « Introduction ».

7Les explications de cette spécificité sont diverses. La principale tient sans doute au choix méthodologique que nous avons fait d’éliminer les « pratiques conjointes » en raison des problèmes qu’elles posaient à la mesure individualisée des temps, ce qui nous a conduits à procéder à un prélèvement au hasard mais portant exclusivement sur des visiteurs non accompagnés6. Autrement dit, c’est sur la partie du flux de visiteurs du musée qui pratiquaient en solitaires que le prélèvement a été aléatoire. Un prélèvement qui aurait pris en compte couples et groupes familiaux ou autres aurait probablement révélé une composition moins diplômée. Il est possible aussi que la période de notre enquête ait favorisé une composition plus diplômée du flux de visiteurs (la période de Pâques favorise le tourisme culturel, du moins dans le Sud de la France), de même que l’implantation du musée dans une « ville d’art ».

  • 7 Alain-Marc Rieu, Les visiteurs et leurs musées. Le cas des musées de Mulhouse, Paris, La Documenta (...)

8Plus généralement, le phénomène doit être inscrit dans l’extrême variabilité de la composition socioculturelle du public à travers les différents types de musées. Celle-ci varie fortement selon que l’on restreint la définition du musée à celle du musée de peinture (voire à celle du « grand musée » ou de la « grande exposition », comme y est enclin le lecteur, et même le lecteur-sociologue, lorsqu’il réagit au pourcentage des divers niveaux d’instruction ou des différentes classes sociales parmi les « gens qui visitent les musées ») ou selon qu’on prend en compte la diversité des offres muséologiques, par-delà l’offre de peinture au sens restreint : dans les musées de Mulhouse par exemple (musée de l’Automobile, Écomusée, musée de l’Impression sur Étoffes, musée du Chemin de Fer), la population modale des visiteurs à un niveau d’études inférieur au baccalauréat, comme dans l’enquête PCF de 1981 qui agglomérait tous les types de musées7.

  • 8 On trouve dans le découpage utilisé dans PCF-1988, qui distingue pour les études supérieures le pr (...)

9Dès lors qu’on s’interdit de généraliser à la description du « public des musées » la spécificité de notre échantillon et que l’on se contente d’explorer les relations entre les propriétés attachées aux individus qui le composent, cette sur-représentation des études supérieures présente un avantage méthodologique : celui d’autoriser un découpage plus fin entre les diverses longueurs d’études après le baccalauréat et d’explorer ainsi d’éventuelles variations de comportement et d’attitudes entre les visiteurs ayant fait des études supérieures moyennes (Bac à Bac + 3) et ceux qui ont fait des études supérieures plus longues. On verra ci-après que la distinction entre ces deux types de « visiteurs cultivés » permet d’apercevoir que la variable de l’instruction n’agit pas de manière continue et homogène, comme le suggèrent les traitements statistiques qui agrègent toutes les longueurs d’études après le baccalauréat, laissant ainsi entendre qu’une attitude dont l’intensité ou la fréquence ont crû en allant du primaire au secondaire ou du secondaire au baccalauréat continue à s’accentuer à mesure que s’allongent les études. Toute une série convergente de croisements montreront au contraire, ci-après (voir chapitre 1, section II.A), une relation paradoxale où les études supérieures moyennes sont en position extrême et les études supérieures très longues en position intermédiaire, parfois même en position inférieure8.

  • 9 Voir Jacques Desabie, Théorie et pratique des sondages, Paris, Dunod, 1966, chap. i.

10En tout état de cause, il faut retenir que l’on rencontrerait avec ce caractère ultra-diplômé du public du musée Granet la limite de nos analyses, du moins si elles étaient menées en termes de statistique descriptive, c’est-à-dire si on prétendait « estimer » la distribution de variables dans l’ensemble des visiteurs de musées français à partir de leur distribution dans notre échantillon : les caractéristiques des enquêtés sont, s’agissant du musée Granet, celles d’une population beaucoup plus fortement diplômée et plus pratiquante que la moyenne nationale des visiteurs de musée. Mais cette limitation ne porte pas sur celles de nos analyses qui sont menées en termes de statistique analytique, c’est-à-dire qui mettent en évidence des « relations significatives » entre variables, indépendamment de la « représentativité » des groupes découpés par ces variables9.

T.1.02. La fréquence des visites de musée selon le diplôme

Sorties / Diplôme Jamais Au moins une fois Total 1 fois 2 fois 3 fois 4 fois et plus
Inf. au Bac 18 % 82 % 100 % 9 % 14 % 12 % 47 %
Bac à Bac + 3 15 % 85 % 100 % 2 % 11 % 5 % 67 %
Bac + 4 et plus 2 % 98 % 100 % 4 % 9 % 4 % 81 %
Ensemble 10 % 90 % 100 % 4 % 12 % 6 % 68 %

11La fréquence des visites montre aussi la spécificité du flux de visiteurs du musée Granet. On voit, en décomposant une case du tableau T.1.02, que des pourcentages élevés de notre échantillon pratiquent une fréquentation intensive des musées : sur les 68 % de sujets qui ont visité au moins 4 fois un musée dans l’année, 42 % ont fait de 4 à 10 visites annuelles ; et 26 % encore entre 11 et 55 visites. De même, si l’on calcule le nombre moyen des visites sur une année, il est ici (m = 10,4) bien plus élevé que dans PCF (m = 4), ce qui est énorme même si on tient compte, en ordre de grandeur, du raisonnement probabilitaire utilisé ci-dessus sur la différence qui sépare les chiffres d’une pratique constatés sur un échantillon représentatif rassemblant toutes les fréquences d’une pratique et les chiffres constatés lors d’un prélèvement sur un flux de pratiquants saisi sur le lieu de leur pratique.

12Cette surqualification scolaire est renforcée par le fait que la population étrangère, comparativement très nombreuse parmi les visiteurs du musée Granet (42 %), est surdiplômée par rapport aux Français.

T.1.03. Le niveau de diplôme selon la nationalité

Diplôme / Nationalité Inf. au Bac Bac à Bac + 3 Bac + 4 et plus Total
Française 32 % 40 % 28 % 100 %
Étrangère 16 % 34 % 50 % 100 %
Ensemble 25 % 37 % 38 % 100 %

D’une manière générale, étant donné la taille de l’échantillon (N = 144), nous ne donnons, dans le texte du compte rendu, que des tableaux croisés qui sont au moins significatifs au seuil de probabilité de .05 (au test du χ2). La plupart de ceux que nous utilisons sont en fait significatifs au seuil de .02 ou .0l. Les relations statistiques sur lesquelles se fonde le commentaire sont à chaque fois soulignées sur les tableaux par le caractère gras, selon le principe qui permet la comparaison des pourcentages sur des sous-ensembles comparables : est donc soulignée dans tous les tableaux de ce compte rendu la plus forte tendance par ligne lorsque le pourcentage est calculé par colonne et la plus forte tendance par colonne lorsque le pourcentage est calculé par ligne.

13La nationalité étrangère est associée dans notre échantillon à une plus grande probabilité de diplôme supérieur, mais ce seul fait ne suffit pas à expliquer l’ampleur de la sur-représentation des hauts diplômes dont nous parlions : les Français eux-mêmes restent plus diplômés dans l’échantillon que dans PCF : 68 % au lieu de 55 % dans l’enquête de référence utilisée ci-dessus.

14La part des visiteurs étrangers au musée Granet contribue aussi à élever la fréquence moyenne des visites sur un an, comme on le voit sur le tableau T. 1.04a où la nationalité étrangère est liée à une plus grande fréquence de visites.

T.1.04a. La fréquence de la visite des musées selon la nationalité

Fréquence / Nationalité Pas de visite et jusqu’à 3 visites 4 à 10 visites 11 à 55 visites Total
Française 45 % 38 % 17 % 100 %
Étrangère 17 % 48 % 36 % 100 %
Ensemble 43 % 42 % 25 % 100 %

B. La morphologie de l’échantillon et les principes de variation

15On s’était donné, afin de pouvoir procéder commodément à l’analyse comparative des comportements masculins et féminins devant l’art – point disputé s’il en est – une contrainte raisonnée du tirage aléatoire, celle de tendre à deux quotas sensiblement égaux : on ne peut donc tirer aucune conclusion descriptive du chiffre de notre sex-ratio. La répartition des âges dans l’échantillon, qui n’était pas raisonnée, montre, elle, un décalage par rapport aux tendances nationales, qui, comme le diplôme, spécifie le flux de visiteurs du musée Granet. D’interprétation toujours ambiguë, l’influence de l’âge est en tout cas certaine sur la plupart des comportements muséaux. Ce sont en fait d’autres variables – le milieu social, la distance aux professions artistiques ou l’intensité des pratiques muséales antérieures dont la portée typologique ressort de cette enquête – qui ont fait l’objet, avec le niveau de diplôme, des traitements les plus poussés.

1. Hommes et femmes : les différences ne sautent pas aux yeux

  • 10 Voir Ministère de la Culture, Pratiques culturelles des Français, ouvr. cité, p. 360-363.

16Pour rechercher d’éventuelles différences dans les modalités du rapport à la peinture, on s’est donné un échantillon où les hommes (46 %) et les femmes (54 %) s’équilibrent sensiblement. Ceci n’a guère d’inconvénients, y compris pour la statistique descriptive, puisque la fréquentation des musées se situe, comme on le sait grâce à la réitération des enquêtes PCF, dans une zone des pratiques culturelles où les deux sexes ne se démarquent guère : le sex-ratio ne s’écarte jamais beaucoup de l’égalité, dans la plupart des sorties culturelles (musées et expositions, antiquités, monuments historiques, concerts « classiques », opéra, festivals, variétés, cinéma, fêtes foraines et bals publics). Seuls quelques spectacles restent sexuellement marqués comme en témoigne le décalage des pourcentages de pratiquants : ce sont, pour les hommes, les matches ou spectacles sportifs (73 %), les meetings et défilés (67 %), les concerts de musique pop (61 %), les courses de taureaux (56 %) ; et pour les femmes, le ballet (59 %) et l’opérette (58 %)10.

  • 11 Voir infra, « L’espace du musée : trajets et déambulations » (section II. C), les caractéristiques (...)

17On verra dans la deuxième partie de ce compte rendu que le sort fait à des tableaux particuliers permet parfois de distinguer des propensions féminines et des propensions masculines ou des préférences propres à l’un ou l’autre sexe. Mais, en ce qui concerne les aspects généraux du comportement de visite du musée – et contrairement à la surestimation, tantôt sexiste tantôt féministe, des différences qui sépareraient les comportements culturels des deux sexes – les observations de cette enquête ne révèlent que peu de différences. On trouvera des exceptions, par exemple le type de déambulation qui est, chez les femmes, plus fréquemment « simple » qu’« exploratoire »11. L’adhésion à l’offre, c’est-à-dire à l’ordre de parcours que suggère la disposition spatiale de l’offre muséologique, constitue, peut-être, dans l’espace muséal, l’équivalent de la « docilité scolaire » comme adhésion à l’offre scolaire que les enquêtes en sociologie de l’éducation ont mis en évidence chez les étudiantes (avant comme après 1968).

T.1.04b. Le type de déambulation dans la salle A selon le sexe

Déambulation / Sexe Simple Exploratoire Total
Hommes 67 % 33 % 100 %
Femmes 84 % 16 % 100 %
Ensemble 76 % 24 % 100 %
  • 12 Le choix de mesure utilisé dans l’observation a consisté à retenir comme seuil au-dessus duquel le (...)

18Mais il faut ajouter qu’en ce qui concerne les formes les plus déterminantes de l’usage du musée hommes et femmes ne se distinguent guère : ainsi, par exemple, le nombre de tableaux ayant imposé l’arrêt (regard de plus de 3 secondes12), indicateur sensible à de nombreuses variables de notre enquête, ne distingue en rien comportements féminins et masculins.

19C’est seulement pour quelques effets liés que l’on voit s’amplifier, pour l’un ou pour l’autre sexe, des corrélations déjà nettement attestées entre d’autres variables indépendantes, comme le niveau de diplôme, et une variable dépendante mesurant un comportement muséal. C’est ce que montre le graphique G.1 où l’on voit que le temps consacré à la visite totale du musée, qui sur l’ensemble de l’échantillon atteint son maximum chez les diplômés « moyens » de l’enseignement supérieur et son minimum chez les diplômés « supérieurs », n’est jamais aussi long que chez les femmes possédant ce niveau d’études « moyen » (Bac à Bac + 3), ni aussi court que chez les femmes ayant le niveau d’études « supérieur ».

G.1. Les temps moyens consacrés à la visite du musée selon le niveau de diplôme

G.1. Les temps moyens consacrés à la visite du musée selon le niveau de diplôme

2. L’effet de l’âge : une grande régularité

20Au contraire du sexe, l’âge fait varier la plupart des comportements muséaux observés dans cette enquête. La principale caractéristique de cette influence, à la différence de celle du diplôme, plus irrégulière, est qu’elle s’exerce de manière continue, en allant des tranches d’âge les plus jeunes aux plus âgés. On sait la difficulté qui s’oppose, en toute enquête synchronique, à discerner sous une telle variation, l’effet de vieillissement et l’effet de génération. Les deux effets sont mêlés dans la plupart des différences que nous commenterons.

T.1.05. Le diplôme selon l’âge

Diplôme / Âge Inf. au Bac Bac à Bac + 3 Bac + 4 et plus Total
16-32 ans 11 % 60 % 29 % 100 %
33-47 ans 16 % 26 % 57 % 100 %
48 ans et plus 44 % 28 % 28 % 100 %
Ensemble 24 % 37 % 38 % 100 %

21Mais, malgré cette forte relation entre diplôme et âge croissant, ce n’est pas, le plus souvent, le diplôme qui agit à travers la variable de l’âge (lorsqu’on voit l’âge statistiquement lié à une variation de comportement muséal). On verra que dans la plupart de nos croisements, l’âge influe sur un comportement alors que ce même comportement est indifférent ou réagit autrement à l’action du diplôme. Ainsi, par exemple, le nombre de tableaux ayant imposé aux visiteurs un arrêt s’élève avec l’âge, alors que le diplôme n’influe pas dans le même sens sur cette variable.

T.1.06. Le nombre de tableaux regardés selon l’âge

Nombre / Âge Moins de 24 De 25 à 32 Total
16-32 ans 62 % 38 % 100 %
33-47 ans 53 % 47 % 100 %
48 ans et plus 38 % 62 % 100 %
Ensemble 51 % 49 % 100 %

3. Le milieu social : un principe d’engendrement des attitudes relativement autonome par rapport à la profession ou au diplôme

  • 13 Depuis L’œil à la page. Enquête sur les images et les bibliothèques (Jean-Claude Passeron, Michel (...)

22Comme pour de nombreux comportements culturels, la variable que nous avons appelée appartenance à un milieu social a un pouvoir explicatif plus grand que l’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle (PCS) : dans une enquête, celle-ci ne classe en effet que les « actifs », alors que notre variable reconstruite permet d’affecter toute la population – les « inactifs » comme les « actifs » – à un milieu, fût-ce indirectement par l’origine sociale, la profession du mari ou une profession, même sporadique ou ancienne, exercée par un chômeur ou un retraité13. Elle présente ainsi l’avantage de replacer tous les enquêtés dans l’espace social et familial dont l’action sur la formation ou le renforcement des attitudes est à la fois la plus constante et la plus profonde ou la plus persistante.

23Un test de la pertinence sociologique de cette variable est fourni par le fait que les tableaux qui sont construits en fonction du « milieu social » présentent souvent dans notre enquête une « relation paradoxale » (valeur intermédiaire d’une variable produisant l’effet maximum sur une autre), alors que les tableaux construits selon les PCS ne la présentent pas. Ainsi, dans le temps global donné au musée, on retrouve l’ordre hiérarchique habituel des catégories socioprofessionnelles, soit un temps moyen qui croît depuis les PCS populaires (32 minutes 26 secondes) en passant par les PCS moyennes (38 minutes 45 secondes) avec un maximum pour les PCS supérieures (40 minutes 53 secondes). Le découpage fin des niveaux de diplôme comme le découpage en trois milieux sociaux présentent au contraire un ordre qui situe au maximum du temps de visite tant les diplômés moyens de l’enseignement supérieur que les membres de milieu social moyen (43 minutes 28 secondes pour les premiers et 45 minutes 01 seconde pour les seconds) au-dessus des diplômés faibles ou très hauts comme des milieux inférieurs et supérieurs (41 minutes 16 secondes et 38 minutes 08 secondes ; 38 minutes 37 secondes et 39 minutes 19 secondes).

T.1.07. Le niveau de diplôme selon le milieu social

Diplôme / Milieux PCS directe ou indirecte Inf. au Bac De Bac à Bac + 3 Bac + 4 et plus Total
Milieu social inférieur Agriculteurs Ouvriers
Artisans Petits commerçants
64 % 27 % 9 % 100 %
Milieu social moyen Professions intermédiaires Employés 30 % 50 % 20 % 100 %
Milieu social supérieur Gros commerçants Industriels Cadres supérieurs
Professions libérales
16 % 32 % 52 % 100 %
Ensemble 25 % 37 % 38 % 100 %

24Malgré la forte corrélation entre l’appartenance à un milieu social et le niveau du diplôme (le T.1.07 est parfaitement diagonalisé), on pourra constater sur de nombreux croisements que cette variable fonctionne indépendamment du diplôme, c’est-à-dire que le diplôme n’explique pas le tout de son action. La variable du milieu social n’est donc pas un simple relais de l’effet du diplôme. La dé-liaison entre l’action des deux variables permettra par exemple d’isoler ce que l’on peut appeler des « manières de visite », par analogie avec les « manières de table », en ce sens qu’elles sont comme elles plus liées à un milieu social qu’à une formation scolaire.

4. « Professions artistiques » et « professions intellectuelles » : la proximité culturelle par le métier

  • 14 On verra au chapitre ii l’influence de l’investissement personnel dans le goût des images et de la (...)
  • 15 Le raisonnement sur les deux cultures plastiques est parallèle à celui que l’on peut tenir sur les (...)

25La méthode d’observation directe utilisée dans cette enquête ne permettait pas de recueillir les informations susceptibles de caractériser (comme dans l’enquête consacrée à la « description des tableaux », où les interviews autorisaient la construction d’un indice de « curiosité plastique »14) la proximité technique des enquêtés à l’acte de création plastique et, plus généralement, l’intensité de leur investissement personnel dans les images ou l’art des images. On verra alors plus précisément que la culture artistique « en acte » se distingue par de nombreux traits de la maîtrise littéraire ou lettrée d’un art (musical ou plastique)15, distinguant par là même deux groupes de pratiquants. Lorsqu’on peut mesurer la première variable, c’est la différence d’influence entre « l’indice d’investissement plastique » et l’effet du diplôme qui objective la différence entre les deux cultures, la culture professionnelle d’une part et la culture littéraire des arts non littéraires d’autre part.

  • 16 Nous avons distingué dans notre population trois composantes : les professionnels des arts plastiq (...)

26Ici, nous pouvons saisir quelque chose de cette différence en identifiant les traits ou les comportements qui distinguent, dans la visite du musée, les membres des professions artistiques au sens large (artistes, étudiants et enseignants d’écoles d’art, ou autres métiers liés à la manipulation ou au commerce des objets d’art) des membres des autres professions intellectuelles16.

27L’exiguïté de notre échantillon rend difficile, mais non impossible, le traitement statistique de quelques différences d’attitudes et de comportements entre ces deux populations : on verra ci-dessous certains traits de la culture plastique « en acte » s’isoler par l’opposition du comportement des professions artistiques à celui des professions intellectuelles et des autres groupes professionnels, ou au contraire se rapprocher du comportement des professions intellectuelles par opposition aux autres groupes de métier. La comparaison de ces oppositions, qui tantôt isolent les professions artistiques de tout le reste de la population, tantôt les rapprochent inégalement des professions intellectuelles, permet en principe de vérifier qu’on isole bien des caractéristiques de la culture plastique « en acte », elles-mêmes liées à la professionnalisation dans un métier d’art, et non à une différence plus générale – et donc englobante – caractéristique de l’ensemble des intellectuels et artistes confondus qui alors s’opposent ensemble au reste de la population.

28Un seul exemple de la distance entre les comportements muséaux des « professions artistiques » et des « professions intellectuelles » : la visite des expositions temporaires, moins automatiquement commandée par l’obligation culturelle ou touristique que la visite des musées proprement dits, distingue nettement le comportement des professions artistiques de celui des professions intellectuelles. Dans ce cas de figure, ces dernières occupent une position intermédiaire entre les « professionnels » et les autres groupes sociaux, comme on le voit sur le T.1.08.

T.1.08. La visite des expositions chez les professionnels, les intellectuels et les autres

Nombre / Catégories Pas de visite ou une seule 2 à 7 visites 8 à 60 visites Total
Professionnels 8 % 32 % 60 % 100 %
Intellectuels 18 % 46 % 36 % 100 %
Autres 34,5 % 43,5 % 22 % 100 %
Ensemble 27 % 42 % 31 % 100 %

5. L’intensité de la pratique muséale : les « habitués » ne constituent pas un groupe homogène

29On a vu ci-dessus sur le T.1.02 que la fréquentation antérieure des musées situait très haut dans l’assiduité notre flot de visiteurs, et, en même temps, qu’il distribuait cette population sur une gamme étendue des intensités (de 4 % des sujets qui n’avaient effectué qu’une visite dans l’année écoulée jusqu’à 26 % qui avaient fait plus de dix visites). Les forts utilisateurs de la visite du musée se présentent donc selon ce critère quantitatif comme une population d’« habitués ».

30Pour explorer la composition du groupe des habitués et analyser leurs comportements muséaux, on a construit un indice qui associait les visites opérées au cours de l’année précédente aussi bien dans les musées que dans des expositions temporaires. C’est cet indice qui a été croisé systématiquement avec les autres variables de l’enquête. Il a évidemment pour caractéristique de représenter de manière plus que proportionnelle les plus hauts diplômes au niveau supérieur de l’indice.

T.1.09. La fréquentation des musées et des expositions selon le niveau de diplôme

Fréquentation / Diplôme Faible Haute Total
Inf. au Bac 74 % 26 % 100 %
Bac à Bac + 3 46 % 54 % 100 %
Bac + 4 et plus 33 % 67 % 100 %
Ensemble 48 % 52 % 100 %

31On observe bien ici une relation directe, et non « paradoxale », entre l’allongement des études et l’accentuation d’une pratique culturelle : les diplômés « moyens » ne sont qu’en position moyenne, alors que, dans les nombreux croisements qui présentent la « relation paradoxale », leur score dépasse celui des plus hauts diplômés. C’est sans doute que le fait de la visite se suffit à lui-même lorsqu’il n’exprime, en sa forme la plus pure et la plus pauvre, que l’accomplissement de la fonction de distinction, n’engendrant aucune variation significative dans le type de visite ou le temps donné au musée et s’affirmant mécaniquement dans la réitération des visites. Dès qu’on mesure des formes plus spécifiées de la pratique muséale, les diplômés « moyens » de l’enseignement supérieur repassent devant les très hauts diplômés, comme on le voit sur presque tous les items de cette enquête.

32On peut essayer de répondre grâce à l’indice de fréquentation à deux questions : (a) Qui sont ces habitués, c’est-à-dire ces utilisateurs répétitifs de l’offre, publique ou privée, d’œuvres plastiques ? Et d’autre part (b) ont-ils des comportements spécifiques qui les singularisent dans l’utilisation qu’ils font du musée ?

33(a) La composition d’une population d’habitués de musée n’est certes pas le produit d’un prélèvement qui s’opérerait au hasard dans les groupes socioculturels découpés par les variables sociologiques habituelles : la liaison entre l’indice de fréquentation des espaces où sont offertes au regard des œuvres plastiques et les niveaux de diplôme est, en cette enquête comme dans d’autres, très forte (T.1.09) ; au musée Granet, elle se trouve de surcroît liée à la nationalité étrangère (voir ci-dessus, T.1.04a). Mais on aperçoit surtout grâce à cette enquête que la population des habitués est caractérisée par la sur-représentation en son sein des professions artistiques. Le tableau T.1.10, construit selon cette variable, fait apparaître la plus forte variation statistique parmi tous les tableaux où intervient l’indice de fréquentation.

T.1.10. La fréquentation des musées et des expositions selon les « professionnels », les « intellectuels » et les « autres »

Fréquentation / Profession Faible Haute Total
Professionnels 16 % 84 % 100 %
Intellectuels 36 % 64 % 100 %
Autres 59 % 41 % 100 %
Ensemble 59 % 41 % 100 %
  • 17 On trouve même parmi les tableaux « plats » de cette liste le tableau idéalement le moins signific (...)

34(b) Fortement caractérisée par la présence proportionnellement plus forte des « professionnels » que des « intellectuels », et en second rang, des « intellectuels » par rapport aux autres, la population des habitués ne constitue pas pour autant un groupe homogène qui adopterait, par opposition aux plus faibles utilisateurs des musées ou expositions, des attitudes et des comportements voisins. C’est ce que montre l’indépendance, par rapport à cet indice de fréquentation, de presque tous les comportements muséaux que mesurait notre enquête. Autrement dit quand on oppose les « habitués » aux pratiquants « sporadiques » du musée, il n’apparaît guère de différences dans l’usage que font les premiers du commerce soutenu avec la peinture, chacune des composantes du groupe hétérogène des habitués penchant alors vers le comportement que lui tracent ses autres appartenances. Alors que des critères comme le nombre de tableaux regardés, le temps global de la visite ou le temps passé dans les salles A et C, ou encore le taux de regards jetés en passant comme les retours devant les tableaux varient en fonction de la plupart des variables de l’enquête, on découvre que les habitués de musées ne se distinguent en rien des utilisateurs plus sporadiques ou des passants de hasard en ce qui concerne les pratiques muséales les plus sensibles17.

  • 18 On trouve là encore une différence qui oppose la fréquentation des œuvres plastiques à celle des œ (...)

35Les habitués des musées ou expositions sont constitués par l’agrégation de populations socioculturelles ou professionnelles distinctes qui n’ont presque rien en commun, sauf cette rencontre dans l’intensité de fréquentation des lieux d’exposition18.

II. Les types de visites

A. Le temps passé dans le musée

1. Une structure paradoxale de l’effet de diplôme

36Comment agit la possession des diplômes sur le comportement qui mesure le plus globalement le coût consenti par des visiteurs pour regarder de la peinture, à savoir le temps qu’ils consacrent au musée, entre l’entrée et la sortie ?

37On peut répartir tous les sujets dans un indice selon les trois niveaux du temps donné au musée qui définissent trois sous-groupes sensiblement de même taille. Le niveau « faible » isole les temps compris entre 10 et 27 minutes ; le niveau « moyen » isole les temps compris entre 30 et 47 minutes ; le niveau « fort » isole les temps compris entre 48 et 105 minutes (1 h 45).

T.1.11. Le temps donné au musée (indice) selon le diplôme

Indice / Diplôme Inf. à 30 min Entre 30 min et 47 min Au-dessus de 48 min Total
Inf. au Bac 23 % 51 % 26 % 100 %
Bac à Bac + 3 28 % 39 % 33 % 100 %
Bac + 4 et plus 40 % 36 % 24 % 100 %
Ensemble 31 % 41 % 28 % 100 %

38Les variations du temps donné au musée en fonction des différents niveaux de diplôme révèlent, comme en toute enquête du même genre, une corrélation statistique. Mais elle est d’une forme bien particulière, dès lors que, comme sur notre échantillon bien fourni en hauts diplômes, on peut distinguer au-delà du baccalauréat deux catégories. Les sujets les moins diplômés se retrouvent dans la zone moyenne de l’indice mesurant le temps donné au musée, tandis que les diplômés moyens de l’enseignement supérieur sont représentés plus que proportionnellement dans la zone haute de l’indice du temps donné au musée. Ce sont donc, paradoxalement, les sujets les plus hautement diplômés qui sont proportionnellement les plus représentés au niveau faible de l’indice (ce que souligne ici en gras la plus forte tendance par colonne). Autrement dit, en allant des temps les plus brefs passés dans les musées aux temps les plus longs, on rencontre d’abord (parmi les plus représentés) les sujets les plus diplômés, puis les moins diplômés, avant de rencontrer les sujets moyennement diplômés qui sont ceux qui passent le plus de temps dans le musée.

39En agrégeant autrement les sujets, c’est-à-dire en les caractérisant par le temps moyen donné au musée par leur catégorie de diplôme on trouve encore le même ordre inattendu.

T.1.12. Le temps moyen passé dans le musée selon le diplôme

Diplôme Inf. au Bac Bac à Bac + 3 Bac + 4 et plus Total
Temps moyen 41 min 16 s 43 min 28 s 38 min 08 s 40 min 54 s
  • 19 On en verra d’autres exemples ci-dessous.

40L’ordre croissant des temps moyens ordonne les diplômes dans l’ordre 3, 1, 2. Cette structure récurrente est bien celle qui caractérise en fonction du diplôme le temps global que les visiteurs donnent au musée19. On voit directement sous une forme graphique cette relation paradoxale dans l’histogramme G.2 : il faut désordonner l’ordre scolaire pour que l’histogramme présente une pente régulière correspondant à l’augmentation du temps donné au musée.

G.2. L’histogramme du temps donné au musée selon le diplôme

G.2. L’histogramme du temps donné au musée selon le diplôme

41Cette caractérisation globale de l’usage que les visiteurs font des musées constitue une première mesure de l’intérêt qu’ils portent à la peinture. En tout cas, l’observation directe qu’autorisait la méthode mesure une dimension de l’attention et de l’intérêt en acte dont les sujets ne sont jamais complètement conscients, comme le montrent les décalages avec les évaluations que recueillent les entretiens ou les questionnaires.

  • 20 P. Bourdieu et A. Darbel, L’amour de l’art, ouvr. cité, p. 60.

42Ce problème du décalage entre le temps estimé par les pratiquants eux-mêmes et le temps réel mesuré par un observateur extérieur à la pratique considérée a été souligné par diverses enquêtes en sociologie de la culture, notamment en ce qui concerne la visite des musées dans l’Amour de l’art. C’est ainsi que le décalage entre la croissance régulière du temps réel à mesure que s’élève le niveau d’éducation par opposition à l’absence de variations enregistrée dans les temps estimés était expliqué dans cet ouvrage par l’effort des « sujets les moins cultivés pour se conformer à la norme des pratiques légitimes »20.

  • 21 Ibid. La catégorie socioprofessionnelle semble être prise dans ce passage comme un indicateur de c (...)

43C’est cette action directe et régulièrement croissante de l’influence du diplôme sur les temps de visite des musées que nos résultats amènent à réviser, dès lors que la composition de notre échantillon nous permet de séparer les catégories moyennes et hautes au sein des diplômés de l’enseignement supérieur. Alors que dans l’enquête expérimentale réalisée au musée de Lille (par Y. Delsaut et M. Lemaire sous la direction de P. Bourdieu sur un échantillon de 121 visiteurs) « le temps moyen effectivement consacré à la visite […] s’accroît régulièrement avec l’instruction reçue, passant de 22 minutes pour les visiteurs des classes populaires à 35 minutes pour les visiteurs des classes moyennes, et 47 minutes pour les visiteurs des classes supérieures »21, notre enquête permet d’observer au musée Granet, ce que nous appelons une « structure paradoxale » – entendant par là qu’elle témoigne d’une action irrégulière de l’instruction – dans le cas des trois catégories de diplômés ainsi découpées (41 minutes 16 secondes pour les bas diplômés, 43 minutes 28 secondes pour les diplômés moyens et seulement 38 minutes et 09 secondes pour les plus hauts diplômés).

44Outre le niveau d’éducation, quelques autres variables influent sur le temps global donné au musée. On verra sur le tableau synoptique (T.1.15) que c’est l’opposition entre les visiteurs professionnels et tous les autres qui détermine dans ce temps global la plus forte variation. Le temps moyen global passé dans le musée par les professionnels, qui est de 48 minutes 50 secondes, est nettement plus long que celui des diplômés « moyens » les plus stationneurs : 43 minutes 28 secondes. C’est l’âge qui détermine ensuite une variation sensible de la durée de la visite : les plus âgés, avec un temps moyen de visite de 48 minutes 10 secondes, approchent le temps des professionnels. Le milieu social détermine aussi une variation qui a, nous l’avons vu, la forme de la relation paradoxale : les visiteurs de milieu social moyen stationnent nettement plus longtemps que les visiteurs de milieu social inférieur ou supérieur qui sont sensiblement à égalité (45 minutes 03 secondes contre 38 minutes 37 secondes et 39 minutes 19 secondes).

2. Attitudes extrêmes : les visites au ralenti et les visites au galop

45On peut songer à isoler les visites au galop et les visites au ralenti, c’est-à-dire celles qui se situent aux extrêmes de la distribution du temps donné globalement à la visite du musée pour s’interroger sur leur contenu.

G.3. Distribution des temps globaux de visite du musée pour l’ensemble de l’échantillon

G.3. Distribution des temps globaux de visite du musée pour l’ensemble de l’échantillon

46Cette distribution qui va de 10 minutes à 1 heure et 45 minutes présente une dissymétrie – un « butoir » en termes techniques – qui limite du côté des visites ultra-rapides l’étalement de la décroissance du nombre de visiteurs : décence culturelle ou rentabilisation de l’effort de visite ? On n’entre pas dans un musée pour en ressortir aussitôt, en tout cas pas avant 10 minutes au musée Granet.

47La forme de la distribution incite à isoler les 20 sujets qui ont passé entre 10 minutes et 20 minutes pour la visite entière du musée et, d’autre part, les 39 sujets qui ont consacré de 50 minutes à 1 heure et 45 minutes afin d’interroger d’éventuelles spécificités attachées à ces visites extrémistes.

48C’est seulement avec l’âge que l’on voit alors apparaître une très forte corrélation de l’opposition entre les visites ultra-lentes et les visites ultra-rapides.

T.1.13. Les visites au galop et les visites au ralenti selon l’âge.

Visite / Âge Au galop Au ralenti Total
18-32 ans 53 % 47 % 100 %
33-47 ans 44 % 56 % 100 %
48 ans et plus 9 % 91 % 100 %
Ensemble 34 % 66 % 100 %
  • 22 Si le tableau croisant les professions artistiques ou intellectuelles avec les comportements extré (...)

49On voit que c’est essentiellement par leur sur-représentation dans les visites ultra-lentes que les plus âgés obtiennent un temps moyen de visite parmi les plus élevés, qui les place en deuxième position après les « professionnels ». Ce profil de visite se différencie ainsi de celui des « professionnels » dont le temps moyen est aussi élevé, mais qui est, dans leur cas, le résultat du rassemblement du plus grand nombre d’entre eux dans la zone moyenne des temps de visite22.

B. L’utilisation de l’offre du musée

50Outre le temps donné au musée, toute une série d’observations et de mesures permettent de préciser l’utilisation que les visiteurs ont faite de l’offre du musée. Nous présenterons successivement l’utilisation qui est faite des diverses parties constitutives de cette offre, à savoir les différentes parties du musée (ci-dessous C. « L’espace du musée »), les usages inégaux de l’offre (ci-dessous D. 1. « Le problème des formes de sélectivité »), et enfin le traitement spécifique réservé à chaque tableau dans sa matérialité d’œuvre singulière (voir chapitre 2 : « Le sort fait à chaque tableau »).

51Considérons d’abord quelques chiffres moyens qui situent, pour les groupes identifiés par notre enquête, les traits caractéristiques de l’usage proprement visuel et/ou informatif qui a été fait de la visite du musée.

52Le nombre moyen de tableaux ayant fait l’objet d’un véritable arrêt dans les salles A et C, le temps moyen accordé à chacun de ces tableaux, le nombre moyen de retour devant un tableau et le nombre moyen de notices examinées auprès de chaque tableau ont pu être calculés à partir de la grille d’observation et figurent, pour quelques variables, dans le tableau synoptique T.1.14 ci-dessous.

  • 23 Remarquons que ce nombre d’arrêts élevé était prévisible : on sait depuis les travaux d’E. S. Robi (...)
  • 24 Pour cette valeur de 3 secondes, voir « Introduction », note 3 et infra, note 12.

53Le nombre moyen de tableaux regardés, sur les 32 exposés dans les salles A et C, où a été menée l’observation quantitative approfondie, est en moyenne de 23,623 ; les « tableaux regardés » sont ceux qui, par opposition aux tableaux omis ou « regardés en passant », ont fait l’objet d’un décompte de temps qui débutait lorsque la station arrêtée, identifiée par la posture, dépassait 3 secondes24. Le temps moyen par tableau s’entend des seuls tableaux ayant fait l’objet d’un tel arrêt, il neutralise donc le nombre variable de tableaux regardés par chaque visiteur et il représente l’approximation la plus grossière de l’intérêt accordé par chaque groupe aux tableaux regardés. Pour l’ensemble de l’échantillon ce temps moyen est de 12,8 secondes. Le nombre moyen de retours, qu’il y ait eu retour unique ou retours multiples, repose sur la réitération d’un arrêt séparé par la déambulation devant d’autres tableaux ; toujours dans les salles A et C, il a eu lieu en moyenne 1,3 fois par sujet. Plus élevé (6,1 soit 5 fois plus que le nombre moyen de retours), le nombre moyen de lecture des notices s’entend à la fois du regard rapide (mais clairement identifiable par la posture) et de la lecture attentive et complète que la grille d’observation distinguait : l’offre muséale d’information reste en moyenne, sur ces 32 tableaux, nettement moins utilisée que l’offre d’image et cela bien que la définition de la prise d’information ait été dans le codage moins exigeante (tout regard même rapide sur la notice) que la définition du regard attentif sur un tableau (arrêt « véritable » de plus 3 secondes).

T.1.14. Tableau synoptique des valeurs moyennes de quelques comportements muséaux pour quelques groupes, dans les salles A et C.

Valeurs moyennes / Groupes Nombre moyen de tableaux regardés Temps moyen par tableau Nombre moyen de retours Nombre moyen de notices lues Temps moyen de la visite
Professionnels 21,1 14,3 s 1,0 4,3 48 min 50 s
Intellectuels 24,6 12,7 s 1,8 5,2 38 min 03 s
Autres 23,3 12,5 s 1,2 7,0 39 min 11 s
Milieu social inférieur 22,0 13,0 s 0,7 5,8 38 min 37 s
Milieu social moyen 23,2 12,6 s 0,9 6,1 45 min 03 s
Milieu social supérieur 23,6 13,0 s 1,6 6,9 39 min 19 s
Diplôme Inférieur 24,1 11,8 s 0,9 7,8 41 min 16 s
Diplôme moyen 24,6 13,9 s 1,6 6,6 43 min 28 s
Diplôme supérieur 21,9 12,2 s 1,2 4,8 38 min 08 s
18-32 ans 21,9 12,3 s 0,7 4,9 37 min 23 s
33-47 ans 22,6 12,6 s 1,3 5,2 36 min 58 s
48 ans et plus 25,7 13,6 s 1,8 7,4 48 min 10 s
Moyennes générales 23,6 12,8 s 1,3 6,1 40 min 54 s

54La variation des valeurs moyennes utilisées dans le tableau synoptique T.1.15 pourrait être, à chaque fois, confirmée par les tableaux qui croisent ces mêmes variables découpées en deux ou trois niveaux hiérarchisés avec les mêmes variables indépendantes (proximité aux métiers des arts plastiques, milieux sociaux, niveaux de diplômes, tranches d’âge). Ainsi, le croisement de l’indice à trois niveaux des temps moyens passés devant les tableaux qui ont provoqué un arrêt « véritable » par les trois niveaux de diplômes confirme les résultats obtenus en comparant les moyennes des temps passés par ces trois groupes devant les tableaux qui les ont arrêtés, et manifeste comme elles la « relation paradoxale » (T.1.16).

T.1.15. Le temps moyen par tableau regardé selon les niveaux de diplôme

Indice / Diplôme Faible Élevé Total
Inf. au Bac 64 % 36 % 100 %
Bac à Bac + 3 37 % 63 % 100 %
Bac + 4 et plus 54 % 46 % 100 %
Ensemble 50 % 50 % 100 %

55On peut, pour accélérer la lecture, simplifier le tableau synoptique T.1.14, en construisant deux schémas (S.2 et S.3) qui résument les classements et les variations de rang opérés par les valeurs moyennes caractérisant les comportements des différents groupes.

1. La distribution du temps de visite

56Si le temps moyen de l’ensemble de la visite était, dans chaque groupe, l’expression directe d’un intérêt indivisible et amorphe porté à la peinture, le nombre de tableaux regardés et le temps moyen accordé aux tableaux regardés augmenteraient parallèlement en faisant ensemble croître le temps moyen de la visite. Or le schéma 2, qui résume les positions respectives des différents groupes sur l’échelle de ces valeurs moyennes (colonnes 1, 2 et 5 du T.1.15), révèle des distorsions significatives par rapport à ce modèle mécanique d’engendrement de la longueur de visite du musée.

Schéma S.2

Moyennes / Groupes Nombre moyen de tableaux regardés Temps moyen par tableau Temps global de visite
Professionnels + +
Intellectuels +
Autres +
Milieu social inférieur 0
Milieu social moyen 0 0 +
Milieu social supérieur 0 0 0
Diplôme inférieur 0 0
Diplôme moyen + + +
Diplôme supérieur 0
18-32 ans 0
33-47 ans 0 0
48 ans et plus + + +

Dans ce schéma les groupes sont caractérisés par un (0) lorsque leur moyenne les situe à hauteur de la moyenne de l’échantillon, par un (+) lorsque cette moyenne y est supérieure, par un (-) lorsqu’elle y est inférieure.

57Le modèle mécanique rend compte du temps global consacré au musée par les différentes tranches d’âge, puisque l’action régulière de l’âge sur l’ordre croissant des temps de visite se retrouve dans la croissance du nombre de tableaux regardés comme dans la croissance du temps moyen consacré à ces tableaux.

58Mais la répartition du temps de visite chez les « professionnels », les « intellectuels » et les « autres » fait ressortir le comportement singulier des « professionnels ». Ce sont eux qui donnent le plus de temps au musée, comme le montre la formule verticale qui ordonne les trois groupes (+, -, -), mais ils atteignent ce résultat en retenant beaucoup moins de tableaux que les « autres » (formule verticale : -, +, +), tout en consacrant à ces tableaux le temps moyen le plus élevé (formule verticale : +, -, -). Autrement dit, sur le schéma S.2 la formule horizontale qui résume leur comportement (-, +, +) les oppose, par la répartition des temps de visite, aussi bien aux « intellectuels » qu’aux « autres » qui ont tous deux la même formule horizontale (+, -, -).

59Le schéma S.2 montre encore que la « relation paradoxale » qui caractérise l’action du diplôme sur le temps moyen donné au musée, situe aussi les diplômés moyens au sommet des autres intensités muséales (nombre de tableaux regardés, temps moyen accordé aux tableaux). C’est en regardant plus de tableaux et plus longtemps que les sujets des autres niveaux de diplôme que les diplômés « moyens » obtiennent le temps moyen de visite le plus élevé. Leur formule horizontale (+, +, +) les distingue ainsi, dans l’obtention de ce résultat, de la formule des « professionnels » (-, +, +) où le (-) sur le nombre de tableaux atteste une forme de sélectivité.

60On comprend mieux la position paradoxale des plus hauts diplômés de l’enseignement supérieur qui ont un temps de visite inférieur non seulement aux diplômés moyens, mais même aux faibles diplômés en regardant leur formule horizontale (-, 0, -). C’est par un plus petit nombre de tableaux regardés (m = 21,9, contre m = 24,1) pendant un temps moyen supérieur à celui des bas diplômés (12,2 s contre 11,8 s) que les très hauts diplômés produisent un temps final de visite moins élevé que les bas diplômés. Les diplômés supérieurs se singularisent par le petit nombre de tableaux ayant obtenu d’eux un nombre d’arrêts caractérisés. On appellera si l’on veut sélectivité la formule qui, chez eux, compense le petit nombre de tableaux retenus par un temps de regard un peu plus élevé sur chacun d’eux ; mais il faut alors distinguer la sélectivité attentive des professionnels (peu de tableaux, fort temps moyen : formule horizontale, -, +) de la sélectivité distraite des plus hauts diplômés de l’enseignement supérieur (peu de tableaux, petit temps moyen : formule horizontale, -, 0).

2. Le retour devant les tableaux et la lecture des notices

61On peut organiser selon le même principe la comparaison entre les valeurs moyennes propres à chaque groupe en ce qui concerne les retours devant les tableaux et le nombre moyen des notices lues. C’est ce que présente le schéma suivant.

Schéma S.3

Moyennes / Groupes Nombre moyen de retours Nombre moyen de notices lues Temps moyen de visite
Professionnels +
Intellectuels + 0
Autres 0 +
Milieu social inférieur
Milieu social moyen 0 +
Milieu social supérieur + + 0
Dipl. inf. + 0
Dipl. moyen + 0 +
Dipl. sup. 0
18-32 ans
33-47 ans 0
48 ans et plus + + +

62La comparaison avec l’ordre selon lequel les groupes sont classés selon le temps moyen de visite permet de répondre à la question de savoir si le retour devant les tableaux fonctionne comme un simple mécanisme d’augmentation du temps de visite ou s’il constitue l’indicateur d’une attitude spécifique qui n’augmenterait pas nécessairement le temps passé dans le musée.

63C’est bien cette deuxième hypothèse que confirme la position des « professionnels » : leur nombre moyen de retour (m = 1,0) est en effet un des plus bas avec celui des diplômés de plus bas niveau scolaire (m = 0,9). On peut faire la même constatation en ce qui concerne la lecture des notices où ils ont aussi le nombre moyen le plus bas de tous les groupes.

64Le sens du comportement de retour devant les tableaux se précise lorsqu’on voit que, à l’inverse, les membres du milieu social supérieur ont, eux, un nombre moyen de retours supérieur à celui des autres milieux. La tendance au retour apparaît comme l’indicateur-type d’une « manière de visite », puisque la relation entre le niveau de diplôme et ce comportement d’intérêt superficiel atteste le caractère mondain d’une telle pratique : l’effet du diplôme sur la fréquence des retours garde, lui, la forme de la « relation paradoxale » qui met les diplômés « moyens » en position d’intensité maximale (m = 1,6) et non les plus hauts diplômés de l’enseignement supérieur (m = 1,2).

65La lecture des notices n’apparaît, elle, ni comme un comportement de professionnel ni comme une attitude scolaire : c’est la catégorie des plus bas diplômés qui creuse ici l’écart avec la moyenne de l’échantillon en atteignant une moyenne de 7,8 pour 32 tableaux. La lecture des notices a peut-être à faire avec les « manières de visite », puisque le milieu social supérieur la pratique plus que la moyenne. Mais comme l’autre catégorie des forts lecteurs de notices est celle des plus âgés (m = 7,4), on voit que ce comportement exprime surtout la dépendance ou la docilité à l’égard de l’institution, de son ordre et de ses propositions.

C. L’espace du musée : trajets et déambulations

66L’observation quantitative des comportements muséaux qui constituait l’objet propre de cette enquête repose, pour l’essentiel, sur la mesure directe du déploiement temporel des activités des visiteurs. La contrainte spatiale d’une offre muséale n’est jamais telle, en aucun musée, qu’elle ne laisse au visiteur la possibilité de ralentir ou d’accélérer, de s’arrêter devant chacune des toiles présentées ou d’omettre des ensembles, des séries, voire même des salles entières. Suivre le « feuilletage » du musée, ses changements de rythmes et ses itinéraires, c’est être directement en prise sur l’usage qui est fait de l’offre, souvent fort éloignée de celle qu’imagine le conservateur ou qu’il suggère dans ses guides de visite.

67La grille d’observation permettait d’enregistrer, en haut de l’escalier d’entrée, la direction que prenait chaque visiteur, tournant soit à droite, soit vers la gauche, partie du musée où était implanté notre dispositif d’enquête (les salles A, B et C). Le passage des visiteurs dans ces trois salles – observatoire privilégié de leurs comportements muséaux – peut être décrit de façon très détaillée : nous disposons outre des temps d’arrêt devant les 32 tableaux des salles A et C, des mesures des temps consacrés à chacune des trois salles A, B et C, des schémas de parcours dans les salles A et C, ainsi que des formes d’utilisations de l’espace, par exemple de l’usage fait des bancs situés au centre de ces salles.

Schéma S.4. Plan des ailes du musée (1er étage)

Schéma S.4. Plan des ailes du musée (1er étage)

68Quelques chiffres permettent ici d’approcher ce que les visiteurs ont fait du temps global donné au musée selon la manière dont ils ont distribué les temps locaux de leur visite, souvent sans conscience nette de leurs bifurcations ou de leurs stations. Le sort fait à chacune des deux ailes, le rythme sur lequel ils se sont acquittés de la visite des salles A et C selon qu’ils étaient en début ou en fin de parcours, les cheminements à l’intérieur de ces deux salles et enfin la forme des déambulations devant les tableaux.

1. Aile droite, aile gauche : deux présentations des œuvres

  • 25 Il s’agit d’un choix de la politique muséologique du musée Granet, qui a dévolu une aile à l’illus (...)

69Au musée Granet, l’opposition des deux espaces renvoie à la fois à une différence muséologique et à une différence dans l’offre : c’est dans l’aile droite que sont exposées des toiles les moins connues et en plus grand nombre (trois sur cinq des toiles accrochées) qui sont, de surcroît, présentées dans une optique historique25.

  • 26 Nous voulons dire qu’on ne s’en étonnera pas si l’on songe à la récurrence anthropologique du prim (...)

70Dans notre échantillon, 61 % des visiteurs ont commencé leur visite par l’aile droite du musée, 39 % ont effectué un cheminement inverse. Ce rapport ne se modifie pas si l’on fait varier les groupes que découpent les variables socioculturelles de l’enquête. Cette remarque suggère qu’aucun groupe en particulier n’a manifesté une tendance à organiser a priori un parcours de visite privilégiant l’une ou l’autre aile du musée. Mais une fois cette bifurcation choisie, qui privilégie – on ne s’en étonnera pas26 – le choix du côté droit, l’ordre de parcours choisi n’est pas sans conséquences sur le déroulement de la visite.

  • 27 L’aile droite contient 90 tableaux contre 60 dans l’aile gauche, soit les 3/5.
  • 28 Voir infra, « La visite d’un “professionnel” » (section II. E.1)

71Pour l’ensemble de l’échantillon, le temps moyen passé dans l’aile droite qui contient pourtant plus de la moitié des œuvres exposées27 est inférieur au temps moyen passé dans l’aile gauche : 18 minutes et 45 secondes contre 21 minutes et 15 secondes. L’effort de présentation historique dessert le temps donné à chaque tableau. Cette dévolution du temps ne varie que pour le regard du spécialiste : on verra en effet ci-dessous que la tendance ne s’inverse que dans la visite des « professionnels »28.

2. L’accélération des fins de visite

72La bifurcation initiale n’est pas sans conséquences non plus sur le temps consacré à la visite des salles A et C – où était installé notre dispositif d’enquête – selon que la visite de ces salles se situait en début ou en fin de parcours.

73Le temps moyen consacré aux tableaux ayant suscité les arrêts des visiteurs dans les salles A et C, comme le nombre de ces arrêts caractérisés varient en fonction de la bifurcation initiale et du sens de parcours qu’elle conditionne. Autrement dit, les temps moyens que les différents groupes de visiteurs ont consacré aux tableaux des salles A et C qui les ont arrêtés plus de trois secondes s’allongent fortement lorsque la visite commence par l’aile gauche (les salles A et C se situant à l’extrémité de l’aile gauche) et, corrélativement, diminuent pour le parcours inverse. On détecte l’existence de cet effet sur l’ensemble de l’échantillon dans le tableau T.1.16.

T.1.16. Temps moyens consacrés aux tableaux regardés dans les salles A et C selon le sens général de la visite

Temps moyen / Sens Jusqu’à 11,8 s De 11,9 s à 46,3 s Total
Visite commencée par l’aile droite 58 % 42 % 100 %
Visite commencée par l’aile gauche 35 % 65 % 100 %
Ensemble 49 % 51 % 100 %
  • 29 Ce gradient de fin de visite n’est saisi qu’a minimis dans un musée de petite taille comme le musé (...)

74Ce résultat semblera peut-être banal puisqu’il n’objective qu’un gradient de parcours que la psychologie expérimentale a mis en évidence dans les accélérations temporelles qui acheminent, dans l’espace, les sujets d’une expérience vers les fins de tâche. On peut parler plus simplement de fatigue ou d’approche de la sortie. L’intérêt de cet effet est de faire apercevoir qu’il y a toujours quelque chose d’une « tâche », pour ne pas dire d’un pensum, dans la visite d’un musée. En tout cas, on peut retenir que le pouvoir intrinsèque d’arrêt prêté inconditionnellement à la contemplation d’une œuvre singulière rencontre vite ses limites lorsqu’on le soumet à la mesure statistique. Les Cézanne du musée, lorsqu’ils figurent en fin de parcours, pour la partie de notre échantillon qui a bifurqué du « mauvais côté », ne suffisent dans aucun groupe à dissiper la loi d’airain de la fatigue29.

75La diminution du temps donné aux tableaux par les visiteurs selon l’étape du parcours où ils sont parvenus lorsqu’ils entrent dans les salles A et C ne s’accroît ni ne décroît relativement pour aucun des groupes construits par nos variables. La structure des différences est seulement déplacée. L’affaiblissement lié aux fins de parcours est général et proportionnel aux valeurs initiales. Un seul exemple de cette transposition. Le temps moyen passé dans le musée, par les sujets « moyennement » diplômés est, on s’en souvient, plus élevé chez eux que dans tous les autres groupes de diplômés. Cette structure « paradoxale » se maintient si l’on considère séparément les temps moyens consacrés par les différents groupes de diplômés aux tableaux qui les ont arrêtés plus de trois secondes, dans les parcours commencés par la droite comme dans les parcours commencés par la gauche ; mais les diplômés moyens subissent eux-mêmes (malgré ce que l’on appellera, si l’on veut, leur « bonne volonté culturelle ») l’effet de fin de parcours qui fait baisser leur temps moyen par tableau dès qu’ils approchent de la sortie.

T.1.17. Temps moyen consacré aux tableaux regardés selon le diplôme et selon le sens général de la visite

Sens de la visite / Diplôme Visite commencée par l’aile droite Visite commencée par l’aile gauche
Inf. au Bac 8,6 s 10,6 s
Bac à Bac + 3 11,2 s 12,2 s
Bac + 4 et plus 8,0 s 9,8 s
Ensemble 9,4 s 10,8 s

3. La salle A et la salle C : les Cézanne

76Une autre caractéristique muséologique repose sur la différence que crée la présence des Cézanne en salle C. On ne peut déceler cet effet-Cézanne dans la mesure des temps accordés respectivement aux salles A et C (tant par l’ensemble des visiteurs que par chaque groupe) : plus élevé en salle C qu’en salle A, le temps de visite reste cependant proportionnel au nombre de tableaux exposés dans l’une et l’autre salle. Mais la déambulation change entre les deux salles. En simplifiant les relevés de cheminement issus de l’observation directe et en opposant simplement les cheminements « normaux » (c’est-à-dire ceux qui, avec ou sans omission de tableaux, enchaînent les stations dans l’ordre imposé par le défilement spontané devant les murs) et les cheminements « exploratoires » (c’est-à-dire ceux qui croisent des trajets de manière plus ou moins complexe), on aperçoit que, sur l’ensemble de l’échantillon, la présence des Cézanne dans la salle C, attendus ou aperçus dès la porte, augmente nettement la proportion des parcours non normaux dans cette salle.

T.1.18. La déambulation dans les salles A et C tous groupes confondus

Déambulation / Salles Normale Exploratoire
Salle A 76 % 24 %
Salle C 60 % 40 %
Ensemble 66 % 34 %

Schéma S.5. Schéma des salles A et C (avec bancs)

Schéma S.5. Schéma des salles A et C (avec bancs)

La flèche indique le sens de visite des salles adopté par la majorité des visiteurs.

77On peut préciser le sens de cet effet perturbateur en considérant les groupes dans lesquels il est le plus marqué.

78En effet, le comportement de docilité déambulatoire qu’exprime le cheminement normal, par opposition au cheminement exploratoire, sûr de lui, de ses omissions comme de ses choix, obéit en général à des attitudes que les visiteurs transportent génériquement dans le musée. On en a vu un cas assez typique, ci-dessus, avec la propension des femmes à adopter la déambulation suggérée par la disposition spatiale de l’offre. On peut rapporter, au contraire, à un effet propre des œuvres, c’est-à-dire ici à la connaissance de la présence et de la légitimité des Cézanne, l’augmentation des déambulations complexes dans la salle C qui contient les œuvres de ce maître. Dans cette salle, ce sont en effet les « intellectuels » plus que les « professionnels » qui manifestent ce dérangement de l’ordre routinier de visite. De même, les visiteurs moyennement diplômés de l’enseignement supérieur – là aussi, par opposition aux très faibles et très hauts diplômés (structure paradoxale) – manifestent fortement la tendance à adopter une déambulation particulière en salle C, comme on le voit sur le tableau T.1.20, le fait que toutes ces variations tendent à faire apparaître la déambulation perturbée comme une politesse envers les œuvres « qui valent la visite » explique que c’est en fonction du milieu social que l’on voit la déambulation non normale en salle C varier le plus nettement (tableau T.1.19).

T.1.19. La déambulation en salle C selon le milieu social

Déambulation / Milieu social Normale Exploratoire Total
Inférieur et moyen 77 % 23 % 100 %
Supérieur 48 % 52 % 100 %
Ensemble 61 % 39 % 100 %

T.1.20. La déambulation en salle C selon le diplôme

Déambulation / Diplôme Normale Exploratoire Total
Inf. au Bac 76 % 24 % 100 %
Bac à Bac + 3 50 % 50 % 100 %
Bac + 4 et plus 62 % 38 % 100 %
Ensemble 61 % 39 % 100 %

D. La disposition à choisir

79Ce serait assurément une illusion de considérer comme « sélectives » en un sens équivalent toutes les visites qui ne s’intéressent, par l’arrêt ou le temps accordé à chaque œuvre, qu’à une partie raréfiée de l’offre telle qu’elle est proposée par une exposition de tableaux : certaines des visites non exhaustives sont réellement organisées par une stratégie de recherche visant à sélectionner les œuvres en fonction des intérêts ou des habitudes du visiteur ; mais d’autres, résignées au picorement de hasard, prélèvent les tableaux effleurés du regard ou contemplés un peu plus longuement sur des indices légers, des curiosités sporadiques ou des invites muséologiques (d’accroche, de localisation, d’éclairage, de taille). L’observation ethnographique persuade vite de la diversité des principes ou des événements de déambulation qui commandent l’usage inégal de l’offre du musée. On doit, si l’on veut caractériser une exploration sélective, associer plusieurs caractéristiques du comportement muséal afin d’isoler les catégories de sujets qui témoignent d’une disposition à choisir mise en œuvre avec cohérence et persévérance.

1. Le problème des formes de sélectivité : l’usage inégal du temps de visite

80En première analyse, on a caractérisé ci-dessus la sélectivité des visites par l’association du petit nombre de tableaux ayant fait l’objet d’un véritable arrêt avec un temps moyen élevé de visionnements par tableau : c’étaient, on l’a vu, les « professionnels » qui, dans cette définition approximative de la sélectivité, se révélaient les plus sélectifs. Mais cette sélectivité du « professionnel » ne se distinguait de la sélectivité des plus hauts diplômés que par la durée moyenne accordée aux tableaux retenus, c’est-à-dire, en somme, comme une sélectivité agissante se distingue d’une sélectivité distraite.

  • 30 La grille d’observation permettait de distinguer, à propos de chaque tableau, (a) les passages dev (...)

81Il est intéressant, afin de préciser l’attitude de sélectivité, d’utiliser une autre donnée de l’observation, celle du nombre de « regards jetés en passant »30 sur les tableaux qui n’ont pas imposé un arrêt véritable. On peut alors associer l’usage de cette technique du regard en passant au nombre de tableaux regardés plus de trois secondes par les mêmes visiteurs. L’association de ces deux traits rend en effet probable que les tableaux les plus longuement regardés aient été choisis dans un lot plus vaste de tableaux interrogés par ce regard d’exploration.

82Les visiteurs qui témoignent de cette sélectivité fondée sur une exploration économique ne sont pas n’importe lesquels. Outre la sur-représentation, qui n’étonnera pas, des « professionnels » dans le groupe activement sélectif, cette définition de la sélectivité permet de mieux comprendre la « relation paradoxale », que nous avons déjà présentée, entre le temps global passé dans le musée et le niveau de diplôme. Est-ce que les diplômés d’enseignement supérieur de niveau « moyen » ne seraient pas plus longs séjourneurs que tous les autres diplômés parce que et en ce sens qu’ils seraient les moins sélectifs ? Le tableau T.1.21 où l’on voit qu’ils sont moins sélectifs que les plus hauts diplômés, mais aussi que les faibles diplômés, répond nettement dans ce sens.

T.1.21. La sélectivité de la visite selon le diplôme

Sélectivité / Diplôme Absence Présence Total
Inf. au Bac 56 % 44 % 100 %
Bac à Bac + 3 65 % 35 % 100 %
Bac + 4 et plus 34 % 66 % 100 %
Ensemble 52 % 48 % 100 %

83L’indicateur de « sélectivité active » a été construit en constituant une population qui se caractérisait par un nombre moyen ou élevé de tableaux longuement regardés (position 2 et/ou 3 dans l’indice du nombre total de tableaux regardés en salles A et C). Dans cette population on a alors distingué les sujets sélectifs qui se caractérisaient par un nombre moyen ou élevé de regards jetés en passant dans ces mêmes salles et les sujets non sélectifs qui n’avaient que très peu utilisé la technique du regard en passant.

84La variable du « regard jeté en passant » est cependant quelque peu ambiguë. Par rapport au temps qu’elle contribue à faire passer dans le musée à un visiteur, elle peut produire deux effets inverses. Lorsqu’un grand nombre de tableaux sont ainsi effleurés du regard, ce peut être, certes, un moyen de mieux choisir les tableaux contemplés plus longuement (auquel cas l’abondance des regards donnés en passant fait croître le temps global) ; mais ce peut être aussi, lorsque la fréquence de ces regards furtifs n’est pas associée à de longues stations devant les tableaux sélectionnés, un indice de visite distraite pesant peu au total et pouvant même raccourcir le temps global passé dans les salles.

  • 31 Dans ce modèle typologique, on a utilisé comme temps global, non plus celui sur lequel on a raison (...)
  • 32 Sur chacune des trois variables qui composent ce modèle, le signe (+) et le signe (-) corresponden (...)

85Il faut donc, en fonction de son association ou de sa dissociation avec le temps global de la visite31 et de son association avec le nombre de tableaux ayant imposé un arrêt véritable, caractériser les sujets simultanément selon les trois critères que permet d’utiliser la méthode d’ethnographie quantitative que nous avons employée32.

Schéma S.6. Typologie de la sélectivité

Indicateurs / Types Regard en passant Temps passé dans les salles Nombre de tableaux regardés % dans échantillon
Sélectifs parcimonieux + + 8 %
Sélectifs généreux + + + 4 %
Visites indifférentes 1 + 32 %
Visites indifférentes 2 + + 6 %
Visites indifférentes 3 6 %
Sélectifs a priori + 5 %
Sérieux ennuyés + 6 %
Sérieux appliqués + + 33 %

86On voit sur le modèle théorique ci-dessus, qui épuise les combinaisons entre les trois variables, que la première ligne isole un type plus fréquent que le suivant (8 % contre 4 %), celui des sujets qui pratiquent l’exploration sélective aboutissant au choix d’un petit nombre de toiles : en ce cas, la fréquence des regards jetés en passant associée à un petit nombre de tableaux longuement regardés est à l’origine du fort temps global passé dans les salles (+, +, -). L’exploration généreuse qui vise à prendre en compte l’ensemble de l’offre par le regard en passant, mais qui retient un grand nombre de tableaux regardés longuement, conduit à l’utilisation la plus complète du musée (+, +, +) : le cas est rare. Dans les trois formules (+, -, -) ; (+, -, +) ; (-, -, -) qui donnent le moins de temps à la visite des salles, le regard en passant qui semble être de politesse ou de convention ou qui, même, se faire rare, comme la variation du nombre de tableaux vraiment retenus par le regard, suggèrent une hiérarchisation de ces visites indifférentes graduées ici 1, 2, 3. Les plus indifférentes de ces visites indifférentes ne sont pas les plus fréquentes (6 % chacune) ; c’est une indifférence atténuée par quelque sélectivité qui rassemble une part importante de l’échantillon des visiteurs (32 %). Définissant une visite bien caractérisée, la formule (-, +, -) pourrait suggérer le comportement de ceux qui savent ce qu’ils viennent voir dans un musée déterminé, n’ayant guère besoin du regard en passant, mais utilisant un très long temps pour un petit nombre de tableaux : c’est la formule de la sélectivité a priori, assez rare elle aussi (5 %). Restent les deux formules de la visite appliquée (-, -, +) ; (-, +, +) qui ont en commun de ne guère utiliser le regard en passant mais de s’imposer l’arrêt sur un grand nombre de tableaux ; quand cette application s’accompagne de l’accélération de la visite des salles, on peut y voir l’indice de l’ennui que génère l’accomplissement d’un pensum, alors que la visite appliquée poursuivie pendant un long temps constitue sans doute une bonne définition du sérieux culturel. Dans cette interprétation, on pourrait dire que 6 % seulement des visiteurs s’ennuient dans les musées et que 34 % d’entre eux sont des gens sérieux.

87L’exiguïté de notre échantillon n’autorise guère une exploration statistique de la composition sociale de ces groupes de visiteurs. Cependant, en opérant quelques regroupements, les tableaux croisés montrent que l’appartenance socioculturelle prédispose à certains des types de visite que nous venons de décrire. En opposant par exemple l’utilisation active du musée, qui s’exprime aussi bien dans le type du sélectif parcimonieux que dans l’exercice d’une sélectivité a priori, aux diverses formes de la visite indifférente ou de la visite appliquée, on voit sur le tableau T.1.22 que les « professionnels » sont proportionnellement plus représentés dans le type actif que les « intellectuels », qui le sont eux-mêmes plus que les autres.

T.1.22. Les sélectivités actives chez les « professionnels », les « intellectuels » et les « autres »

Types / Groupes Sélectivités actives Visites routinières Total
Professionnels 33 % 67 % 100 %
Intellectuels 16 % 84 % 100 %
Autres 9 % 91 % 100 %
Ensemble 19 % 81 % 100 %

2. La formulation d’une préférence pour des œuvres singulières

88Toute une tradition du questionnement sur les préférences, qu’elle procède par question ouverte ou liste fermée dans un questionnaire, présuppose par sa méthodologie que tous les sujets ont des préférences en matière d’art, préférences également formulées ou formulables par référence à des œuvres singulières. Et, à partir du moment où cette présupposition dispose d’un instrument de questionnement qui l’exprime, elle obtient toujours, fût-ce sur fond d’indifférence et parfois même au prix de l’artefact, les réponses qui la confortent.

89Ici le dispositif d’enquête qui visait à décrire et mesurer directement tableau par tableau, au travers du geste ou du temps donné, l’intérêt que leur portaient les visiteurs permet de vérifier, puisqu’une invite à formuler une préférence précise était faite par l’enquêteur à la sortie, (a) qu’il existe bien un décalage entre les préférences en acte et les préférences telles qu’elles sont verbalisées à la demande expresse d’un enquêteur et avec son aide ; (b) et aussi de saisir par la variation de ce décalage selon les groupes quelque chose du fonctionnement de la « préférence » en matière de goût. L’économiste ne considère comme une préférence du consommateur que celle dont il constate a posteriori l’action au travers des choix effectivement constatés sur un marché où s’opèrent des arbitrages. Cette démarche évite – Pareto le répétait à propos de l’« ophélimité » des biens de toute nature – de confier à un questionnaire d’opinion le soin de fixer a priori la hiérarchie des préférences en s’exposant à tous les risques de la complaisance et de l’illusion verbales. La sociologie des goûts gagnerait à contrôler plus souvent le langage des déclarations d’intérêt ou d’admiration par la mesure toute simple des dépenses consenties pour satisfaire la préférence alléguée. C’est de cet impératif que découle dans cette enquête la part faite à la mesure du temps donné au musée ou à chaque œuvre, forme objective et mesurable du coût consenti au profit d’un plaisir de perception.

90C’était, à la sortie du musée, dans un court entretien proposé par l’enquêteur au visiteur, une fois que la visite avait été observée en son entier et à son insu, qu’une question lui était posée de la forme : « Quels sont le ou les tableaux que vous avez préférés dans les trois dernières salles que vous venez de visiter ? ». Au cas où le sujet se référait à une toile particulière sans réussir à l’identifier complètement par sa description ou son auteur, l’enquêteur pouvait lui proposer de retourner dans une des salles pour la désigner in situ. Le cas était assez fréquent et on a pu constater dans cette enquête la rareté relative de la connaissance des titres d’œuvres, au sortir même d’une visite ; ce résultat est à mettre en relation avec la faible fréquence des lectures de notices. L’information ainsi recueillie permet donc de séparer assez sûrement la formulation d’une préférence vague (genre, école ou appréciations laudatives flottantes quant à leur objet), des formulations capables de se référer précisément, par un moyen ou par un autre, à une ou des toiles particulières. D’autre part, on voit aussi que la formulation de la préférence s’opérait ici à chaud et sur le lieu même du rapport qui avait pu ou non être noué avec des œuvres singulières, présentées en tout petit nombre et sous leur forme originale. L’écueil du questionnement sur les préférences est en général d’offrir au choix, peu coûteux, d’une réponse un univers d’œuvres trop vaste et souvent allusif où chacun trouvera toujours le chemin vers une préférence faible ou plausible.

91Ce ne sont pas tous les sujets – comme le supposent implicitement tant de questionnaires sur les goûts artistiques – mais, dans notre enquête, seulement 31 % des visiteurs qui ont clairement exprimé une préférence ou un plaisir particulier pour une œuvre nommément mémorisée ou désignée. 15 % des visiteurs n’ont pu ou voulu, soumis à cette contrainte de la précision, désigner aucun des tableaux des trois salles et 8 % ont esquivé l’épreuve par des formulations vagues de préférence ou d’admiration génériques. Le cas des 45 % de formulations d’une préférence pour un ou plusieurs Cézanne, nommés ou restitués lors d’une déambulation complémentaire, doit être ici traité à part, étant donné leur rôle emblématique au musée Granet qui rend difficile de séparer l’exercice personnalisé de la préférence du pouvoir de conformisation que génère la connaissance de la légitimité culturelle : tous les groupes de visiteurs tendent à nommer majoritairement les Cézanne dans les tableaux qu’ils ont préférés, mais seul le groupe des « professionnels » a réellement aligné par son comportement, c’est-à-dire par le temps donné aux tableaux, sa préférence en acte sur sa préférence alléguée (voir ci-dessous, E.1. La visite d’un « professionnel »).

92La taille de l’échantillon ne permet guère de traiter en croisement la précision dont sont capables les divers groupes de sujets dans la formulation de leurs préférences. On peut cependant opposer, qu’il s’agisse ou non des Cézanne, la désignation explicitement référée à la singularité d’une ou de quelques toiles à l’absence de cette démarche particularisante de l’appréciation ou à l’indifférence plus ou moins poliment dissimulée. Sous cette forme simplifiée, la sensibilité sinon à la singularité des œuvres, du moins à leurs titres, porte la marque d’une habitude scolaire. On retrouve donc, comme sur d’autres items de l’enquête la liaison de cette propension avec la forme « paradoxale » de l’effet du diplôme puisque, là encore, ce sont les diplômés supérieurs de niveau « moyen » qui la manifestent le plus. La plus forte relation significative s’établit pourtant avec l’intensité antérieure de la fréquentation des musées et expositions. C’est même, comme on le voit sur le T.1.23, le seul cas où l’intensité passée de la pratique de visite des lieux d’exposition détermine une forte variation d’un comportement muséal. Les habitués de la visite des musées, groupe hétérogène, ont, nous l’avons dit, peu de traits en commun ; ils partagent cependant l’aptitude à exceller dans la manipulation des noms d’auteurs et des titres d’œuvres comme dans la formulation précise de leurs préférences.

T.1.23. La formulation des préférences selon l’intensité de la pratique muséale

Préférences / Fréquentation Désignation précise Formulation vague Total
Passagers 65 % 35 % 100 %
Habitués 86 % 14 % 100 %
Ensemble 76 % 24 % 100 %

E. Profils comparés de visites

93Il est possible de hiérarchiser, à partir des différentes caractéristiques de visites examinées dans les pages qui précèdent, le degré auquel la physionomie des groupes de visiteurs s’affirme par contraste avec d’autres profils plus atténués. L’ordre décroissant du relief de ces portraits permet d’interpréter quelques caractéristiques de la visite du musée. Il est normal que l’on donne ici plus de poids au regard et aux gestes qui mettent concrètement les visiteurs en rapport avec les tableaux, c’est-à-dire au nombre de toiles effectivement regardées par un groupe, au temps moyen plus élevé qu’un groupe a accordé aux tableaux exposés dans les salles A et C, au temps moyen consacré à telle ou telle partie du musée ou même à la différence de déambulation entre les ailes du musée ou entre les salles A et C, dès lors que les différences entre ces espaces expriment une variation muséologique.

94Ces portraits sont donc construits a posteriori comme des bilans partiels du traitement statistique ; on ne les a pas décrétés en choisissant a priori des variables indépendantes : classe sociale, éducation, métier, sexe ou âge. Ce sont les principes d’une sociologie de la réception qui ont guidé, parmi l’ensemble des variables de comportement, le choix de celles où s’exprime le plus directement l’usage visuel et pratique, fait par les visiteurs du musée, de son offre de tableaux. Achevés ou lacunaires, ces portraits isolent donc quelques physionomies collectives de visiteurs, singularisés par la variable indépendante qui s’est révélée la plus opératoire pour rassembler des traits de comportement ou des attitudes spécifiques de l’usage du musée. On voit alors se préciser la singularité du comportement muséal de quelques groupes : les « professionnels », les visiteurs les plus âgés, les membres de milieu social supérieur, ou les sujets qui ont fait des études supérieures de longueur moyenne. La hiérarchie de consistance de ces profils repose sur les variables de comportement – les modes de déambulation, la lecture des notices, les retours en arrière ou les temps moyens consacrés par les groupes à l’ensemble de la visite, à certains espaces et à certains tableaux – qui ordonnent le mieux les groupes par l’usage visuel que les visiteurs de ces groupes font de leur visite lorsqu’ils répondent à l’offre picturale du musée.

95On se reportera pour le survol synoptique des comportements muséaux des différents groupes, outre les schémas S.2 et S.3 au T.1.14, au T.1.24 qui y ajoute, ci-dessous, les valeurs moyennes, pour tous les groupes de l’échantillon, des comportements les plus directement affectés par la présence des Cézanne en salle C.

T.1.24. Tableau synoptique de quelques comportements muséaux associés aux Cézanne

Temps moyen consacré à la salle A / % Temps moyen consacré à la salle C / % Temps moyen A + C / % Nombre de tableaux regardés en moyenne plus de 14 s Pourcentage de préférences pour les Cézanne Nombre de tableaux de Cézanne dans les 5 tableaux regardés le plus longuement
Professionnels 160,9 s 246,9 s 407,8 s 8 60 % 3
39,4 % 60,6 % 100 %
Intellectuels 138,3 s 288,8 s 427,1 s 5 41 % 2
32,4 % 67,6 % 100 %
Autres 162,7 s 267,8 s 430,5 s 3 60 % 1
37,8 % 62,8 % 100 %
Milieu social inférieur 140,0 s 236,6 s 376,6 s 6 44 % 0
37,2 % 62,8 % 100 %
Milieu social moyen 182,4 s 261,8 s 444,2 s 4 44 % 3
41,1 % 58,9 % 100 %
Milieu social supérieur 146,0 s 276,5 s 422,5 s 4 46 % 2
34,6 % 65,4 % 100 %
Diplôme inférieur 163,2 s 249,0 s 412,2 s 3 34 % 0
39,6 % 60,4 % 100 %
Diplôme moyen 165,0 s 323,0 s 488,0 s 3 47 % 1
33,8 % 66,2 % 100 %
Diplôme supérieur 149,0 s 226,2 s 375,2 s 2 50 % 3
39,7 % 60,3 % 100 %
18-32 ans 130,8 s 250,2 s 381 s 3 62 % 1
34,3 % 65,7 % 100 %
33-47 ans 151,4 s 261,0 s 412,4 s 4 55 % 2
36,7 % 63,3 % 100 %
48 ans et plus 190,6 s 290,7 s 481,3 s 4 20 % 1
39,6 % 60,4 % 100 %
Moyenne générale et total 158,5 s 267,8 s 426,3 s 3 45 % 2
37,2 % 62,8 % 100 %

1. La visite d’un « professionnel »

  • 33 Au sens large du rassemblement d’un ensemble de professions liées aux arts plastiques. Voir supra, (...)

96Un certain nombre de traits imposent le profil du « professionnel »33 comme celui qui, dans cette enquête, rassemble le plus de différences significatives et, surtout, les plus caractéristiques par rapport à l’usage du temps donné au musée ou par rapport au comportement visuel face à des tableaux.

  • 34 Seul un groupe découpé par la variable de l’âge stationne, en moyenne, presque aussi longtemps dan (...)

97La moyenne du temps que les « professionnels » consacrent à la visite complète du musée est la plus élevée de toutes celles enregistrées par les différents groupes que nos variables permettent de découper. Elle est, dans leur cas, de 48 minutes et 50 secondes alors qu’elle n’est que de 38 minutes pour les professions intellectuelles, et de 38 minutes aussi pour les sujets les plus diplômés34. Mais surtout, si l’on compare à d’autres la distribution que résume cette moyenne, on voit que les « professionnels » constituent le groupe le plus homogène dans son usage du temps donné au musée.

98Alors que la distribution des sujets selon le temps de visite présente chez les « intellectuels » ou chez les « autres » une courbe en cloche (avec les plus petits nombres de sujets dans les temps faibles ou forts), cette distribution se déforme chez les professionnels : dans ce groupe, on observe une absence des populations « extrêmes » (visitant à un rythme très rapide ou très lent) et un resserrement autour de la moyenne.

  • 35 Voir supra, note 25.

99En outre, ce temps moyen élevé n’est pas distribué dans l’organisation du trajet de la visite d’une façon analogue à ce qui se produit dans les autres groupes de l’échantillon : les « professionnels » sont ceux qui consacrent le plus de temps à l’aile droite du musée. Ceci est vrai en temps absolu : 22 minutes alors que les « intellectuels » y consacrent 18 minutes et les plus diplômés 16 minutes ; mais aussi pour la part relative dévolue à l’aile droite dans le temps global de visite du musée : 49 % chez les « professionnels » contre 45 % chez les « intellectuels » ou 43 % chez les plus diplômés. Or, on l’a vu, ces deux ailes proposent une lecture différente des œuvres : à droite, une lecture plus contextualisée et en tout cas plus médiate, à gauche, une présentation plus attendue, parce que plus conforme aux conventions contemporaines de l’accrochage35. Dans l’aile gauche, elle-même, le temps de visionnement des « professionnels », là encore plus attentifs à des œuvres moins consacrées, s’allonge relativement dans la salle A, elle-même plus historique ou érudite que la salle C, qui propose les Cézanne (ils donnent à la salle A 40 % du temps qu’ils passent dans les salles A + C, contre 32 % chez les « intellectuels », et 34 % chez les plus hauts diplômés).

  • 36 Voir supra, « Le problème des formes de sélectivité… » (section II. D. 1), les définitions plus ou (...)
  • 37 Voir au début de l’introduction la définition de « l’arrêt » qu’utilisait la grille d’observation.

100Les « professionnels » sont également plus sélectifs que les autres, comme le montrent les indicateurs les plus simples de la « sélectivité »36. En particulier, ils regardent moins de tableaux que tous les autres groupes alors qu’ils consacrent plus de temps au musée et donc à chacun des tableaux retenus. Les « professionnels » ont un nombre moyen d’arrêt de 21,1 (sur 32 tableaux présentés dans les salles A et C), alors que les « intellectuels » enregistrent un nombre moyen de 24,6 arrêts et les « autres professions » de 23,3 arrêts37.

101Si l’on veut apprécier concrètement cette attention plus longue et plus sélective des « professionnels », il faut se référer à la moyenne des temps de visionnement supérieurs à 3 secondes par tableau (arrêt « véritable ») : le temps moyen de contemplation d’un tableau étant de 12,8 secondes sur l’ensemble de l’échantillon, on voit que, chez les « professionnels » 10 tableaux arrêtent le regard plus longtemps que ce temps moyen, 6 seulement chez les « intellectuels » et 5 dans les professions « autres ». On peut aussi se référer à un seuil d’attention soutenue qui pourrait, sur notre flux de visiteurs, se situer aux alentours des 15 secondes : on constate alors que le nombre de tableaux auxquels les « professionnels » consacrent plus de 14 secondes est de 8, tandis qu’il est de 5 dans le groupe des « intellectuels » et de 3 chez les autres visiteurs (voir ci-dessus, T.1.24).

  • 38 Elles figurent quand même en troisième et quatrième positions dans le classement des temps moyens (...)

102Mais surtout ce sont les « professionnels » qui dérogent le plus nettement au classement des tableaux qu’ordonnent les temps moyens accordés par les visiteurs à chaque tableau pour les 32 toiles des deux salles A et C. Les « professionnels » sont les seuls qui aient consacré le plus de temps à trois toiles de Cézanne alors que tous les autres groupes ont nettement privilégié deux tableaux (François Ier faisant chevalier son petit-fils François II de P. Revoil, et Le cloître de la chartreuse Sainte Marie des Anges à Rome de F.-M. Granet), tableaux qui ont surtout en commun leur grande taille. En dépit de l’attraction – à laquelle ils n’échappent, au reste, que partiellement – exercée par ces deux grandes toiles38, le renversement est manifeste puisque le temps accordé à chaque tableau par les « professionnels » classe, chez eux, en tête Les baigneuses, puis Nature morte : sucrier, poires et tasse bleue et Portrait de Madame Cézanne. Pour tous les autres groupes, comme pour l’ensemble de l’échantillon, la liste des cinq tableaux qui ont arrêté le plus longuement le regard comporte, mais classés plus bas, toujours au moins deux de ces trois Cézanne. Les « professionnels » signent ici leur particularité par leur opposition au comportement des « intellectuels » ou des sujets les plus diplômés qui, en rejoignant le classement commun, ne témoignent pas d’une sensibilité aussi centrée sur la légitimité culturelle du nom de Cézanne. En s’attardant sur chacune des toiles de Cézanne deux fois plus que les « intellectuels » qui, eux-mêmes s’y attardent trois fois plus que les autres (alors que intellectuels et autres s’opposent ensemble aux « professionnels », comme on le voit sur le T.1.25), les « professionnels » témoignent que la légitimité des œuvres peut enclencher des comportements différents dans des publics même proches : intérêt littéraire pour les « Cézanne », voire politesse sociale superficielle s’accommodant de la rapidité de l’exploration ou de la semi-distraction dans un cas, intérêt technique et, pourrait-on dire, corporatif appelant une exploration visuelle soutenue pour le travail d’un maître dont la légitimité est appropriée, à ce degré de notoriété spectaculaire, comme emblématique du métier que l’on exerce, indépendamment de toute préférence.

T.1.25. Le temps moyen passé devant un Cézanne ou devant un des 32 tableaux exposés par les « professionnels » et les « intellectuels »

Temps moyen / Profession Cézanne Un ensemble X
Professionnels 21,0 s 14,3 s
Intellectuels 13,0 s 12,7 s
Autres 4,3 s 12,5 s
Ensemble 12,5 s 12,8 s

103Alors qu’on aurait pu penser que les professionnels pouvaient – par certaines caractéristiques au moins – se rapprocher du groupe des sujets appartenant à un milieu social supérieur ou des professions « intellectuelles », les « manières de visite » qui caractérisent le mieux le milieu social supérieur et qui – à un moindre degré – s’attachent aux comportements culturels des professions « intellectuelles » font singulièrement défaut aux « professionnels », qu’il s’agisse de la déambulation en salle C, chez eux plus volontiers simple qu’exploratoire, ou de la rareté des retours sur un tableau (T.1.26).

T.1.26. La fréquence des retours chez les « professionnels », les « intellectuels » et les « autres »

Retours / Catégories Pas de retours Retours Total
Professionnels 60 % 40 % 100 %
Intellectuels 36 % 64 % 100 %
Autres 55 % 45 % 100 %
Ensemble 53 % 47 % 100 %

104Par opposition à leur faible taux de retours devant les tableaux, les « professionnels » se caractérisent par le chiffre moyen le plus élevé de prise de distance par rapport aux tableaux, geste qui se révèle ainsi plus proche d’une attitude technique que d’un automatisme de « manière ».

105À un degré moindre, d’autres traits isolent le groupe des « professionnels ». Et d’abord le fait qu’ils sont les seuls qui aient réellement consacré le plus de temps aux tableaux qu’ils ont dit « préférer », en l’occurrence les Cézanne, en réponse à un questionnaire qui était administré à la sortie par un enquêteur ne faisant pas état de l’observation préalable de la visite et des temps d’arrêt : la mention de la préférence pour Cézanne est majoritaire dans l’échantillon (50 %) et encore forte chez les intellectuels (48 %), alors que le classement par le temps accordé déclasse, nous venons de le voir, les Cézanne derrière Revoil et Granet tant sur l’ensemble de l’échantillon que chez les « intellectuels ».

2. La visite du troisième âge

106L’élévation de l’âge fait croître le temps consacré à la visite du musée. Au vu du tableau T.1.27, le pourcentage des sujets d’âges différents qui se situent aux trois niveaux de l’indice du temps consacré au musée oppose surtout les visiteurs de plus de 48 ans à tous les autres. On ne peut pas dire que le temps passé dans un musée soit une fonction de l’âge, au sens où chaque année biographique supplémentaire augmenterait la probabilité de stationner plus longtemps dans un espace muséal ; mais on constate bien un seuil au-delà duquel prend forme une propension spécifique, propre sinon au « troisième âge », du moins à l’âge « grave ». La position des valeurs moyennes du temps global consacré au musée par les différents âges présente aussi ce phénomène de seuil : 37 minutes 23 secondes pour les plus jeunes sensiblement égales aux 36 minutes 58 secondes de l’âge intermédiaire contre 48 minutes 10 secondes pour les plus âgés.

T.1.27. Le temps moyen de la visite selon l’âge

Temps / Âge Inf. à 30 min Entre 30 min et 47 min Au-dessus de 48 min Total
18-32 ans 42 % 38 % 20 % 100 %
33-47 ans 43 % 35 % 22 % 100 %
48 ans et plus 10 % 50 % 40 % 100 %
Ensemble 31 % 41 % 28 % 100 %

107Plusieurs indices montrent que l’usage de ce long temps donné au musée suit, chez les plus âgés, les frayages d’habitudes traditionnelles de visite cumulant les signes d’attention. De tous les groupes, ils sont celui qui s’arrête devant le plus de tableaux (m = 25,7 sur 32 possibles) de même qu’ils ont le nombre moyen le plus élevé de retours devant les toiles (m = 1,8).

T.1.28. Fréquence des retours selon l’âge

Retour / Âge Rare Fréquent
18-32 ans 80 % 20 %
33-47 ans 70 % 30 %
48 ans et plus 60 % 40 %
Ensemble 70 % 30 %

108C’est aussi le temps dépensé dans l’aile gauche du musée – et non dans l’aile droite d’une muséologie plus érudite – qui distingue les plus âgés des autres tranches d’âge comme on le voit sur le T.1.29. Le T.1.30 montre la même relation à propos des salles A et C de l’aile gauche où était établi le dispositif d’observation.

T.1.29. et T.1.30. Temps consacré à l’aile gauche : temps consacré aux salles A et C selon l’âge

Aile gauche Salles A et C
Indice / Âge Faible Fort Total Faible Fort Total
18-32 ans 69 % 31 % 100 % 60 % 40 % 100 %
33-47 ans 53 % 47 % 100 % 53 % 47 % 100 %
48 ans et plus 37 % 63 % 100 % 38 % 62 % 100 %
Ensemble 52 % 48 % 100 % 50 % 50 % 100 %

109Enfin les plus âgés utilisent significativement plus le banc de la salle C pour observer les tableaux.

T.1.31. Banc salle C observation assis

Observation / Âge Présence Absence Total
18-32 ans 3 % 97 % 100 %
33 ans et plus 19 % 81 % 100 %
Ensemble 13 % 87 % 100 %

110Dans l’ensemble, le groupe le plus âgé a essentiellement pour caractéristique une conformité comportementale qui efface chez eux les singularités apparaissant dans les profils plus originaux de l’« intellectuel », du « professionnel » ou du visiteur marqué par les habitudes scolaires. La déambulation « complexe » dans l’espace du musée, c’est-à-dire celle qui déroge à l’automatisme du défilement, caractérisait, on s’en souvient, la sensibilité de certains groupes à l’offre particulière de la salle C où figurent les Cézanne : « intellectuels » ou diplômés moyens. Par contraste, la tendance à une déambulation complexe qui apparaît en salle A (sur le tableau T.1.32) chez les plus âgés manifeste une sensibilité inverse, plus soumise à l’exigence d’une visite bien tempérée, dont le sens se voit dans les groupes qui la partagent avec eux, par exemple les femmes par opposition aux hommes (voir supra, section II B. 1).

T.1.32. Le type de déambulation dans la salle A selon l’âge

Déambulation / Âge Simple Complexe Total
18-33 ans 85 % 15 % 100 %
34-47 ans 84 % 16 % 100 %
48 ans et plus 60 % 40 % 100 %
Ensemble 76 % 24 % 100 %

111C’est dans la même logique que les sujets les plus âgés se rapprochent des moins diplômés par le taux élevé de lecture de notices (m = 7,4 et m = 7,8 pour les bas diplômes, contre m = 6,1 pour l’ensemble de l’échantillon). L’usage appliqué fait de cette lecture explique sans doute qu’ils sont proportionnellement les plus nombreux à identifier précisément, par le nom d’auteur ou par le titre des toiles particulières lorsqu’on leur pose la question de savoir quels sont les tableaux qui ont retenu leur intérêt dans les salles A et C. Cette précision est d’autant plus remarquable qu’elle ne s’exerce pas dans la formulation de préférences pour les Cézanne pour lesquels l’identification générique fait monter le taux de préférence chez les plus jeunes comme dans la plupart des groupes. Le tableau T.1.33 montre que, d’une manière très significative, les plus âgés sont les meilleurs identificateurs de leurs préférences, sauf précisément lorsqu’il s’agit des Cézanne.

T.1.33. La formulation des préférences selon l’âge

Préférences / Âge Identification du tableau Cézanne Aucun numéro et préférence vague Total
18-33 ans 20 % 62 % 18 % 100 %
34-47 ans 21 % 55 % 24 % 100 %
48 ans et plus 50 % 20 % 30 % 100 %
Ensemble 31 % 45 % 24 % 100 %

112De même dans la liste des 5 tableaux qui ont retenu plus longtemps le regard (voir T.2.06), la tranche la plus âgée se singularise en n’y faisant figurer qu’un seul Cézanne (Nature morte), par où elle se rapproche des visiteurs de milieu social inférieur, comme on le verra dans la deuxième partie.

3. La visite de « bon ton »

  • 39 Voir supra, note 13.

113La variable de l’appartenance à un « milieu social » exprime, nous l’avons dit39, plus complètement que la profession actuellement et directement exercée par un individu, tout un ensemble d’habitudes sociales liées à un milieu de rattachement familial.

114Les comportements muséaux liés dans cette enquête à l’appartenance à un milieu « supérieur », « moyen » ou « populaire » le sont souvent aussi à l’appartenance au niveau de diplôme statistiquement le plus probable pour la catégorie : nombre d’enquêtes l’ont montré à satiété. On peut donc ne s’attacher ici qu’aux traits spécifiques de comportement que permet de saisir l’observation directe dans l’espace du musée. Ils isolent en effet quelques traits qui sont exclusivement liés à l’appartenance sociale, et qui présentent cette propriété intéressante de se révéler insensibles à l’action d’autres variables, comme le diplôme, ou même qui agissent en sens inverse, alors qu’en règle générale milieu social et diplôme agissent de concert. Ce sont ces traits, plus liés au milieu social qu’au diplôme ou à l’intensité de la fréquentation antérieure des musées ou expositions, qui permettent ainsi d’isoler ce qu’on appelle ici des manières de visite.

  • 40 En revanche aucune différence ne peut être constatée entre ces deux milieux sociaux pour les temps (...)
  • 41 Sur cet effet paradoxal lié au diplôme, voir supra, tableaux T.1.11 et T.1.12, par exemple.

115La moyenne des temps que les sujets appartenant à un milieu social supérieur consacrent à la visite complète du musée est inférieure à la même moyenne établie pour les sujets appartenant aux milieux moyens : 39 minutes et 19 secondes contre 45 minutes pour ces derniers40 ; par le temps qu’ils donnent au musée, ils se situent ainsi au niveau des milieux populaires. Cette corrélation inversée par rapport à la hiérarchie sociale se rencontre également pour les deux profils appariés : les plus hauts diplômés consacrent aussi, on s’en souvient, moins de temps à la visite complète du musée non seulement que les diplômés possédant un grade « moyen » de l’enseignement supérieur, mais même que les sujets les moins diplômés41. Montrer qu’on n’a pas la visite insistante ou pesante – renvoyée par la désinvolture de sa propre visite – à la naïveté du béotien docile ou à la sur-attention obsessionnelle du spécialiste relèverait-il de la « bonne manière » de visiter ?

  • 42 Les arrêts des premier et second retours étaient enregistrés séparément ; le temps de visionnement (...)

116La visite des visiteurs de « bon ton » se marque encore, parmi les traits que relève notre enquête, par la tendance au retour devant les tableaux qui ont déjà fait l’objet d’une station et d’un visionnement42. Les sujets de milieu « supérieur » s’opposent, sur le tableau T.1.34, à tous les autres par la liaison, statistiquement très forte avec cette tendance au retour (simple ou multiple), alors que ce comportement ne s’affirme dans aucune catégorie découpée par d’autres variables socioculturelles : le niveau de diplôme par exemple. Ni les études supérieures « moyennes » ni les études supérieures longues qui déterminent souvent des effets associés à ceux de l’appartenance sociale ne favorisent le retour.

T.1.34. La fréquence des retours selon le milieu social

Retours / Milieux sociaux Pas de retour Un retour ou plus Total
Inférieur et moyen 67 % 33 % 100 %
Supérieur 42 % 58 % 100 %
Ensemble 53 % 47 % 100 %
  • 43 Était comptée comme « prise de distance » l’accommodation qu’un ou plusieurs pas, en arrière ou en (...)
  • 44 Voir T.1.26.
  • 45 L’action du diplôme sur la prise de distance a la forme, récurrente dans notre enquête, de la rela (...)

117À l’inverse, certains traits assez automatiquement liés au regard curieux et averti porté sur une peinture, comme l’accommodation de la distance mise entre le tableau et le visionneur par des immobilisations successives43, visant à l’approximation d’un optimum perceptif, apparaissent comme des actes techniques qui ne manifestent aucune liaison avec les « manières de visite », alors qu’ils sont liés à l’effet de l’éducation scolaire ou aux habitudes professionnelles, comme le montre, par opposition à cette absence de corrélation, leur lien avec l’appartenance des sujets aux « professions artistiques »44 et surtout avec l’action scolaire en sa forme « paradoxale »45.

T.1.35. La fréquence des prises de distance selon le diplôme

Prise de distance / Diplôme Faible Forte Total
Inf. au Bac 54 % 46 % 100 %
Bac à Bac + 3 31 % 69 % 100 %
Bac + 4 et plus 53 % 47 % 100 %
Ensemble 45 % 55 % 100 %

118Quelques autres traits de l’attitude transportée par les visiteurs dans le musée semblent exclusivement liés à l’appartenance aux « milieux cultivés » – pris au sens large et définis seulement par une familiarité avec la culture qui n’est liée ni à un profil ou à un niveau particulier d’études, ni à une proximité par le métier. Relève semble-t-il des manières de visite le fait d’utiliser la station assise sur le banc d’une salle pour observer un ou plusieurs tableaux par opposition à la station de détente ou de conversation.

T.1.36. L’utilisation du banc de la salle A selon le milieu social

Milieu social / Banc Inférieur et moyen Supérieur Total
Assis au repos 100 % 0 % 100 %
Assis en observant 38 % 62 % 100 %
Non-utilisation 42 % 58 % 100 %
Ensemble 44 % 56 % 100 %

4. La visite du diplômé « moyen »

  • 46 Voir, ci-dessus, le texte en petits caractères avant le tableau T.1.07, puis section II. A. 1.
  • 47 Parmi les traits qui caractérisent proprement ces diplômés « moyens » et que nombre d’enquêtes, qu (...)

119On a vu ci-dessus que le temps passé dans le musée46 singularisait une tranche des diplômés d’enseignement supérieur – celle qui va du Bac à Bac + 3 – en définissant un maximum d’intensité qui ne s’accroît plus lorsque les diplômes augmentent. Les effets indistinctement associés par la plupart des enquêtes à la possession d’un diplôme d’enseignement supérieur, se donnent ici à observer, mais pour le degré « moyen » de cette scolarité supérieure, et non pour ses degrés les plus élevés. Cette singularité ne porte pas seulement sur le temps donné au musée, indice classique d’une « bonne volonté culturelle » objectivée dans le coût en temps et en comportement consenti au profit de l’art. Toute une série de traits confirment que ces diplômés « moyens » de l’enseignement supérieur – qui constituent dans notre enquête la population modale des sujets ayant fait des études supérieures – présentent une physionomie originale qui ne se réduit pas à un degré intermédiaire du Gradus ad Parnassum, conçu comme un décalque de l’échelle des diplômes47.

120On a vu ci-dessus le sens différent que revêt au musée Granet l’offre muséologique selon que les tableaux sont présentés dans l’aile droite (présentation historique d’intérêt érudit) ou dans l’aile gauche (présentation classique). Le temps de la visite, qui est maximum, rappelons-le encore, pour nos « diplômés moyens », est principalement utilisé par eux pour la visite de l’aile gauche, qui propose les Cézanne, comme on le voit sur le T.1.37 reproduisant la relation paradoxale entre diplôme et comportement muséal.

T.1.37. Le temps consacré à l’aile gauche (classique) du musée selon les niveaux de diplôme

Indice / Diplôme Faible Élevé Total
Inf. au Bac 50 % 50 % 100 %
Bac à Bac + 3 40 % 60 % 100 %
Bac + 4 et plus 66 % 34 % 100 %
Ensemble 52 % 48 % 100 %

121La distribution des temps donnés à l’aile historique par les différentes catégories de diplômés n’est pas symétrique du tableau précédent : le temps consacré à cette aile droite diminue régulièrement lorsqu’on s’élève d’un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat vers un niveau « moyen » et de ce niveau vers le niveau supérieur (au-delà de quatre années d’études supérieures). La corrélation que présente le T.1.38 est, insistons-y, une des rares qui, sur notre matériel d’enquête, fasse, par exception, correspondre terme à terme la hiérarchie des diplômes et une série croissante de valeurs ordonnées.

T.1.38. Le temps consacré à l’aile droite (historique) du musée selon les niveaux de diplôme

Indice / Diplôme Faible Élevé Total
Inf. au Bac 35 % 65 % 100 %
Bac à Bac + 3 43 % 57 % 100 %
Bac + 4 et plus 66 % 34 % 100 %
Ensemble 50 % 50 % 100 %

122C’est seulement lorsqu’il s’agit de minimiser la dépense de temps consacrée à la curiosité historique ou contextuelle associée à l’aile droite du musée, que les plus hauts diplômés retrouvent par rapport aux autres niveaux de diplômes leur pole position. Mais elle est alors négative : ils parcourent aussi vite, et plus vite que tous les autres, chacune des deux ailes, de même qu’ils étaient les plus hâtifs dans leur visite d’ensemble ; ce sont les diplômés moyens qui changent la structure de la relation entre le diplôme et le comportement muséal en faisant un sort particulier aux Cézanne de l’aile gauche. Les visiteurs les plus diplômés se distinguent ainsi fortement des diplômés « moyens » de l’enseignement supérieur, comme ils s’opposent au comportement des « professionnels » dont on a vu qu’ils se caractérisaient par l’intérêt accordé à l’aile érudite.

  • 48 Voir supra, « L’espace du musée : trajets et déambulation » (section II. C).

123Le sort inégal fait aux deux ailes du musée se reproduit dans le traitement dissymétrique accordé aux salles A et C où cette dernière salle est singularisée par le regroupement des Cézanne. Que les visiteurs se servent d’un guide ou qu’ils aperçoivent ces toiles depuis la salle B qui donne symétriquement accès et visibilité aux salles A et C, l’effet-Cézanne s’attestait, comme on l’a vu48, dans le fait que l’ordre mécanique du défilement devant les tableaux, ordinairement le plus fréquent, se trouvait perturbé par la présence des Cézanne dans la salle C.

124Le comportement des sujets diplômés « moyens » de l’enseignement supérieur est ici caractéristique en ce qu’il s’inverse en passant de la salle A à la salle C : ces visiteurs s’arrêtent devant plus de tableaux de la salle C que les autres catégories de diplômés et ils consacrent en moyenne plus de temps à ces tableaux (T.1.39 et T.1.40). Dans la salle A, au contraire, les diplômés moyens s’arrêtent devant moins de tableaux que les sujets dont le diplôme est inférieur et ils consacrent aussi moins de temps aux tableaux qui les ont retenus (T.1.41). Tous les comportements qui s’ordonnent à la légitimité culturelle s’accentuent donc en relation avec l’effet de diplôme, mais pas au plus haut niveau de certification scolaire.

T.1.39. Nombre moyen d’arrêts selon le diplôme pour les salles A et C

Salles / Diplôme Salle A Salle C
Inf. au Bac 8,7 14,3
Bac à Bac + 3 7,8 15,3
Bac + 4 et plus 7,3 12,9
Ensemble 7,8 14,2

T.1.40. Temps moyen consacré aux tableaux regardés selon le diplôme pour les salles A et C

Salles / Diplôme Salle A Salle C
Inf. au Bac 10,9 s 9,1 s
Bac à Bac + 3 10,3 s 12,0 s
Bac + 4 et plus 8,9 s 8,6 s
Ensemble 10,0 s 9,9 s

125Ce traitement différent des salles A et C par les visiteurs de diplômes supérieurs « moyens » se manifeste également dans la lecture des notices : alors que ces diplômés lisent en salle A 4,4 notices en moyenne (chiffre très élevé par rapport à la faible fréquence générale de ce comportement muséal et qui représente la valeur la plus élevée en salle A), leur comportement s’inverse comme d’autres aspects de la visite quand ils pénètrent en salle C où la lecture fréquente des notices devient caractéristique des plus faibles diplômés (m = 5,2)

T.1.41. Nombre de notices lues dans les salles A et C selon le niveau de diplôme

Salles / Diplôme Salle A Salle C Salle A et C
Inf. au Bac 2,6 5,2 7,8
Bac à Bac + 3 4,4 2,2 6,6
Bac + 4 et plus 3,2 1,6 4,8
Ensemble 3,4 3 6,4

126Ce dernier trait est caractéristique de la visite des sujets « moyennement » diplômés. Il peut se comprendre si on le rapporte à l’économie générale de la visite pratiquée par cette catégorie de « visiteurs cultivés ». Celle-ci semble être la manifestation d’un parcours programmé par une obligation culturelle très fortement normée. Les visiteurs, n’oubliant jamais qu’ils doivent voir les Cézanne, organisent leur visite à partir de cette obligation qu’ils actualisent le plus tôt et le plus solennellement possible : la salle contenant les toiles du maître est alors le lieu de comportements tranchant sur les autres moments de la visite, qu’il s’agisse de l’ordre de la visite des salles A et C ou du type de déambulation.

127Le relâchement du travail de contextualisation assuré par la lecture des notices – travail symbolisant la visite sérieuse qui caractérise en général le comportement muséal des diplômés « moyens » (m = 6,6) – pourrait s’expliquer en salle C par une sur-activation de la normativité culturelle. La lecture des notices, qui signale en général le sérieux culturel, risquerait aussi, en s’appliquant à des toiles trop réputées, de proclamer l’absence de familiarité préalable du visiteur avec ces toiles : en ne reconnaissant pas les toiles de Cézanne, ou mieux, en ne reconnaissant pas ces toiles de Cézanne, les sujets « moyennement » diplômés de l’enseignement supérieur se sentiraient sans doute stigmatisés par les signes d’une inculture un peu trop visible, dans l’interaction muséale qui, même silencieuse ou anonyme, rend chaque visiteur juge de tous les autres, et sur l’essentiel. On voit à ce trait du comportement public que c’est bien sur le diplômé « moyen » de l’enseignement supérieur que se concentrent les effets les plus classiques de l’action scolaire, celui en tout cas qui conduit à faire de la manipulation avertie de la légitimité culturelle le signe qui décide de la légitimité de l’acteur social.

128Mais, d’une manière générale, la variable scolaire accentue moins les différences du comportement proprement muséal que la variable professionnelle ou l’appartenance sociale. Les profils précédents ont montré que la curiosité professionnelle ou que les manières de visite typent plus fortement et avec plus d’ampleur statistique le comportement intra-muséal que ne le font les habitudes scolaires. La plupart des traits qui définissent le traitement proprement visuel réservé aux tableaux ne distinguent que par des dégradés assez faibles les sujets ayant effectué des études supérieures moyennement longues (baccalauréat jusqu’au baccalauréat et trois années supérieures) de ceux possédant un grade inférieur ou supérieur. Si, par exemple, les temps consacrés à la visite complète du musée distinguent les groupes de diplômés entre eux, selon un schéma que nous avons rencontré plusieurs fois, celui de la « relation paradoxale », les différences restent situées à l’intérieur d’une fourchette de 38 à 43 minutes, qui n’est pas très large au regard de l’étalement des temps moyens des autres groupes construits par notre enquête : on s’en souvient, la variation du temps des « professionnels » (48 minutes 50 secondes), par opposition aux professions intellectuelles (38 minutes) définissait une fourchette plus large. En matière de commerce avec les œuvres d’art, il faut se garder de voir à tout coup dans la variable du niveau d’éducation une variable omni-explicative.

III. Conclusion sur les variables du comportement muséal

129Il existe plusieurs variables agissant sur les comportements muséaux, c’est-à-dire sur les comportements qui expriment le plus directement l’usage concret fait de la visite d’un musée.

  • 49 P. Bourdieu et A. Darbel, L’amour de l’art, ouvr. cité.

130Si tant d’enquêtes retrouvent aussi exclusivement dans leurs résultats l’action régulière de l’ordre hiérarchique des diplômes – telle que la découvrait et la proclamait L’Amour de l’art49 – c’est aussi qu’elles choisissent par commodité ou routine de faire porter leurs mesures sur des comportements génériques envers le musée ou des catégories d’œuvres (décomptes d’entrées, d’intensité annuelle de fréquentation ou questionnements de préférence) en se désintéressant de la morphologie des comportements intra-muséaux.

131Si limités que soient les quelques gestes ou pratiques muséales dédiées à la singularité des œuvres qu’ait pu mesurer cette enquête, on aperçoit qu’au niveau des comportements proprement muséaux, il serait faux de considérer le niveau d’instruction comme une variable ordonnée ou ordonnable par des effets régulièrement croissants. Variable sans doute puissante de l’explication en sociologie de la consommation culturelle, son efficace change de sens et s’atténue lorsqu’on l’interroge sur les actes sémiques qui, donnant sens et structure aux œuvres, font l’objet propre d’une sociologie de la réception.

132En fait, il faudrait distinguer plusieurs dimensions du comportement intra-muséal. En s’appuyant sur quelques variables dont nous avons détaillé l’influence et sur la différence des comportements muséaux qu’elles font varier, on peut esquisser une typologie où se distingueraient :

  • des gestes ou des attitudes professionnelles, caractéristiques d’une proximité par le métier ou par l’apprentissage, qui ont pu être isolés, ici, des manières intellectuelles caractéristiques du rapport littéraire aux œuvres non littéraires ;
  • des comportements d’âge dont les caractéristiques sont généralement repérables dans d’autres domaines que celui du musée, comme il pourrait y avoir des comportements marqués par le sexe ; mais ces derniers sont, de fait, presque absents du matériel rassemblé par cette enquête ;
  • des habitudes scolaires qui, reproduisant la docilité envers les hiérarchies culturelles et réactualisant les disciplines mentales enseignées par l’école, doivent leur efficacité à la longue durée de cette influence. Mais efficacité ou marquage ne veut pas dire action mécanique et régulière. La relation entre la hiérarchie des diplômes ou des longueurs d’étude et ses effets se trouve, selon les effets qu’on analyse, prendre tantôt la forme « classique », tantôt la forme « paradoxale » : précieuse différence qui peut renseigner sur le sens d’un « effet scolaire » déterminé ;
  • des manières de visite qui, analogues à ce que sont dans un autre domaine les manières de table, transposent dans l’usage du musée, la recherche, consciente ou non, du « bon ton » lié à une appartenance sociale ;
  • et, distinctes de ces dernières, des manières de musée, propres aux habitués, qui pourraient être acquises dans l’exercice continu ou assidu de la visite des expositions. Malgré les prénotions qui s’attachent au stéréotype de « l’habitué », on n’a guère rencontré dans les comportements – dont certains pourtant assez spécifiquement muséaux – analysés dans notre enquête de traits qui typeraient indiscutablement un « habitué des musées et expositions », défini par l’intensité de sa pratique : il faudrait en effet que cette intensité de la pratique fasse se ressembler des groupes de visiteurs qui se distingueraient sous les autres rapports que nous venons d’énumérer50.

T.1.42. Tableau récapitulatif

Concept Indicateur Comportements muséaux sensibles ou significatifs
Manières de visite Milieu social supérieur Temps de visite du musée faible ; retour très fréquent ; utilisation fréquente du banc de la salle A pour observer.
Culture professionnelle Professions artistiques Temps de visite du musée élevée ; longue visite de l’aile historique ; longue visite de la salle A ; sélectivité ; palmarès au temps et préférences déclarées très proches ; prise de distance fréquente
Culture scolaire Études supérieures moyennes Visite du musée rapide ; nombre de tableaux élevé ; longue visite de l’aile classique ; nombre de tableaux plus élevé en salle C ; sur-attention aux Cézanne ; lecture de la notice fréquente en salle A
Comportements catégoriels Âge élevé Temps de visite du musée élevé ; nombre de tableaux élevé ; retour fréquent ; longue visite de l’aile classique ; courte visite de l’aile historique ; utilisation du banc de la salle C pour l’observation ; déambulation complexe en salle A ; lecture fréquente des notices ; palmarès aux temps et préférences déclarées proches
Sexe féminin Déambulation simple

Notes

1 Pierre Bourdieu et Alain Darbel, L’amour de l’art, Paris, Éditions de Minuit, 1966.

2 Ministère de la Culture, Les pratiques culturelles des Français : 1973-1989, Paris, La Découverte, La Documentation française, 1990, p. 204-205. On le voit aussi en comparant les tableaux de PCF (Pratiques culturelles des Français) 1981 et PCF 1988 : si on procède aux regroupements rendus nécessaires par le découpage différent des niveaux de diplôme d’une enquête à l’autre, on constate que les chances des titulaires du baccalauréat et plus de visiter annuellement au moins un musée sont toujours autour de 56 %, et la part de ces mêmes diplômés dans la population de ceux qui ont visité au moins une fois un musée l’année écoulée passe de 34 % à 36 %.

3 Ministère de la Culture, Service des études et de la recherche, Pratiques culturelles des Français : description socio-démographique, Paris, Dalloz, 1982, et Nouvelles enquêtes sur les pratiques culturelles des Français en 1989, Paris, La Documentation française, 1990.

4 Ministère de la Culture, Pratiques culturelles des Français : description socio-démographique, ouvr. cité, p. 363 et suiv.

5 C’est là le produit d’un affinement du questionnaire, qui permet de voir que, en 1988, les chances de visiter un musée vont de 16 % pour un musée d’art à 30 % tous musées confondus (Nouvelles enquêtes, ouvr. cité, p. 171). En 1981, au contraire, le questionnaire de PCF, reposait, on s’en souvient, sur une question qui ne permettait pas de resserrer les réponses sur les « vraies visites de musées », risquant ainsi d’agglomérer sous cette rubrique toutes les visites de collections d’objets, sous l’influence de l’usage commun de l’expression « visites de musée ». Instruites par la connaissance de ce biais que nous avions constaté lors des pré-enquêtes, les enquêtes que nous réalisons dans le programme de recherche sur la perception esthétique essaient au contraire de séparer ces différents types de visite. Les mesures opérées par l’observation directe au musée Granet portent, elles, par définition sur un musée de peinture avec son public spécifique et ne peuvent être comparées utilement qu’à des chiffres concernant les musées de peinture stricto sensu.

6 Voir « Introduction ».

7 Alain-Marc Rieu, Les visiteurs et leurs musées. Le cas des musées de Mulhouse, Paris, La Documentation française, 1988, p. 80. La phrase souvent citée de L’amour de l’art (ouvr. cité, p. 35) : « Sachant que le visiteur modal des musées français est bachelier… », est généralement entendue, par une extension indue, comme si elle s’appliquait à tous les musées indépendamment du contenu et des formes de leur offre muséologique.

8 On trouve dans le découpage utilisé dans PCF-1988, qui distingue pour les études supérieures le premier cycle de l’ensemble des deuxième et troisième cycles, des indications nettes sur le rôle de seuil joué par cette coupure dans de nombreuses pratiques culturelles. Mais, comme il s’agit de variations de fréquences de pratiques (par exemple dans les différents types de « sorties ») on y rencontre des exemples d’accentuation mais non d’inversion d’une relation mettant en jeu l’effet du diplôme (Ministère de la Culture, Les pratiques culturelles des Français : 1973-1989, ouvr. cité, p. 122-123).

9 Voir Jacques Desabie, Théorie et pratique des sondages, Paris, Dunod, 1966, chap. i.

10 Voir Ministère de la Culture, Pratiques culturelles des Français, ouvr. cité, p. 360-363.

11 Voir infra, « L’espace du musée : trajets et déambulations » (section II. C), les caractéristiques qui ont permis de distinguer ces deux types de parcours dans l’espace du musée.

12 Le choix de mesure utilisé dans l’observation a consisté à retenir comme seuil au-dessus duquel les temps étaient décomptés et au-dessous duquel le comportement était noté comme « regard en passant » ou non-regard, la station arrêtée pendant plus de trois secondes : les auteurs qui ont pratiqué une méthodologie faisant intervenir le pouvoir d’arrêt des objets d’exposition ont retenu des valeurs qui vont de 6/10 de seconde pour Melton (1935) à cinq secondes pour Screven (1976). [Arthur W. Melton, « Problems of installation in museums of art, Washington, D.C. », Publications of the American Association of Museums, New Series, no 1, 1935 ; Chandler G. Screven, « Exhibit evaluation: A goal-referenced approach », Curator. The Museum Journal, vol. 19, no 4, 1976, p. 271-290.]

13 Depuis L’œil à la page. Enquête sur les images et les bibliothèques (Jean-Claude Passeron, Michel Grumbach et al., Paris, Bibliothèque publique d’information, Service des études et de la recherche, 1985), nous avons souvent constaté, dans les enquêtes en sociologie de la culture, la constante supériorité classificatoire de cette variable « milieu social » sur l’usage classique de la CSP ou de la PCS.

14 On verra au chapitre ii l’influence de l’investissement personnel dans le goût des images et de la peinture, tel que le saisissait un indice de « curiosité plastique » (ICP), indépendamment de l’effet du diplôme. [Cette note de bas de page fait référence à un chapitre suivant de l’ouvrage initialement imaginé, dont Le Temps donné aux tableaux ne devait constituer que le premier chapitre. Cette suite n’a jamais paru (voir la préface), et cette note fait donc référence à une enquête sur la « description des tableaux » qui n’a finalement pas été publiée.]

15 Le raisonnement sur les deux cultures plastiques est parallèle à celui que l’on peut tenir sur les deux cultures en matière de musique. Une enquête portant sur les participants à une émission musicale bien connue montre que nombre de traits opposent les choix musicaux des professionnels de la musique aux choix des intellectuels : ces derniers sélectionnent une plus forte proportion d’œuvres musicales, pratiquent un répertoire plus étendu et recherchent les œuvres musicales écrites à partir d’un argument littéraire. Voir Emmanuel Pedler, « Les composantes protomusicales de l’écoute », Analyse musicale, no 19, 1990.

16 Nous avons distingué dans notre population trois composantes : les professionnels des arts plastiques, les intellectuels et le reste de la population. Ce découpage utilise la partition selon les PCS de cette même population.

17 On trouve même parmi les tableaux « plats » de cette liste le tableau idéalement le moins significatif de tous nos traitements, celui qui distribue la proportion d’habitués et la proportion de faibles utilisateurs dans les différentes tranches du nombre de tableaux regardés, « exactement comme » est distribué à la marge l’ensemble de l’échantillon dans ces tranches : cas fort rare.

18 On trouve là encore une différence qui oppose la fréquentation des œuvres plastiques à celle des œuvres musicales. Les habitués des concerts ont, eux, en commun, par opposition aux auditeurs fréquentant peu les lieux d’exécution des œuvres, toute une série de pratiques spécifiquement musicales qui sont l’homologue des comportements muséaux.

19 On en verra d’autres exemples ci-dessous.

20 P. Bourdieu et A. Darbel, L’amour de l’art, ouvr. cité, p. 60.

21 Ibid. La catégorie socioprofessionnelle semble être prise dans ce passage comme un indicateur de ce que serait le même croisement selon les niveaux de diplôme. Or, précisément, ce parallélisme semble démenti à propos de la mesure des temps réels de visite : sur notre échantillon Granet, nous trouvons bien la relation qui ordonne classiquement les temps de visite selon les PCS, mais nous constatons une relation qui les ordonne paradoxalement selon le niveau de diplôme. En effet, dans notre échantillon, nous avons aussi un ordre qui va des PCS populaires (32 min 26 s), au PCS moyennes (38 min 45 s) avec un maximum pour les PCS supérieures (40 min 53 s), mais nous constatons un ordre paradoxal pour l’action du diplôme, qui met alors la catégorie moyenne en position supérieure.

22 Si le tableau croisant les professions artistiques ou intellectuelles avec les comportements extrémistes ne révèle, lui, aucune variation, c’est en effet, comme on le verra ci-dessous (section II. B. 1), que les « professionnels » sont le groupe où les sujets sont le plus fortement agrégés autour de la valeur moyenne du temps de visite.

23 Remarquons que ce nombre d’arrêts élevé était prévisible : on sait depuis les travaux d’E. S. Robinson que le nombre moyen d’arrêts est proportionnellement plus élevé dans un « petit musée » (6 salles et 150 tableaux) que dans un « grand » (40 salles et 1 000 tableaux).

24 Pour cette valeur de 3 secondes, voir « Introduction », note 3 et infra, note 12.

25 Il s’agit d’un choix de la politique muséologique du musée Granet, qui a dévolu une aile à l’illustration de l’accrochage pratiqué du temps de Cézanne et à des peintres contemporains ou « précurseurs » du maître.

26 Nous voulons dire qu’on ne s’en étonnera pas si l’on songe à la récurrence anthropologique du primat symbolique accordé au côté droit tant dans les normes ou les habitudes gestuelles que dans les constructions linguistiques des codes ou des institutions. Voir, pour le point de départ de cette interrogation dans la comparaison ethnologique, Robert Hertz, « La prééminence de la main droite », Revue philosophique, 1909.

27 L’aile droite contient 90 tableaux contre 60 dans l’aile gauche, soit les 3/5.

28 Voir infra, « La visite d’un “professionnel” » (section II. E.1)

29 Ce gradient de fin de visite n’est saisi qu’a minimis dans un musée de petite taille comme le musée Granet : une pré-enquête au musée du Prado fait saisir à vue d’œil cette accélération ; il suffit d’un rien d’observation des flux de visites touristiques aux musées du Vatican ou au musée des Offices pour prendre la mesure de son ampleur.

30 La grille d’observation permettait de distinguer, à propos de chaque tableau, (a) les passages devant une toile, inférieurs à trois secondes ou signalés par une velléité brève d’immobilisation, ou encore par un regard d’inspection identifiable au mouvement de la tête, et (b) les trajets qui omettaient complètement un ou plusieurs tableaux, que ce soit par des raccourcis ou par un défilement proche des murs mais aveugle à l’offre, le regard anticipant déjà le visionnement d’un autre tableau.

31 Dans ce modèle typologique, on a utilisé comme temps global, non plus celui sur lequel on a raisonné jusqu’ici, mais le temps qui a précisément été dépensé par les sujets en visionnement prolongé dans les salles A et C où ont été décomptés tant le nombre de tableaux regardés que le nombre de tableaux n’étant l’objet que de regards en passant.

32 Sur chacune des trois variables qui composent ce modèle, le signe (+) et le signe (-) correspondent respectivement aux valeurs forte et faible d’un indice construit sur les données.

33 Au sens large du rassemblement d’un ensemble de professions liées aux arts plastiques. Voir supra, « “Professions artistiques” et “professions intellectuelles”… », (section I. B. 4).

34 Seul un groupe découpé par la variable de l’âge stationne, en moyenne, presque aussi longtemps dans le musée que les « professionnels », celui des plus de 48 ans, qui atteint un chiffre moyen de 48 minutes et 10 secondes. On doit écarter l’hypothèse que la proximité des temps de visite tienne à une superposition plus-que-proportionnelle entre ces deux groupes, c’est-à-dire à une sur-représentation des personnes âgées parmi les « professionnels » : au contraire, les « professionnels » contiennent proportionnellement plus de sujets jeunes que les autres groupes.

35 Voir supra, note 25.

36 Voir supra, « Le problème des formes de sélectivité… » (section II. D. 1), les définitions plus ou moins exigeantes que notre matériel d’observation permet de donner de la « sélectivité » d’une visite de musée.

37 Voir au début de l’introduction la définition de « l’arrêt » qu’utilisait la grille d’observation.

38 Elles figurent quand même en troisième et quatrième positions dans le classement des temps moyens des « professionnels ».

39 Voir supra, note 13.

40 En revanche aucune différence ne peut être constatée entre ces deux milieux sociaux pour les temps moyens de visite de la partie droite, érudite et historique, du musée qui retenait l’intérêt plus prolongé des professionnels.

41 Sur cet effet paradoxal lié au diplôme, voir supra, tableaux T.1.11 et T.1.12, par exemple.

42 Les arrêts des premier et second retours étaient enregistrés séparément ; le temps de visionnement d’un tableau est la somme de tous les temps d’arrêt.

43 Était comptée comme « prise de distance » l’accommodation qu’un ou plusieurs pas, en arrière ou en avant, rendaient possible.

44 Voir T.1.26.

45 L’action du diplôme sur la prise de distance a la forme, récurrente dans notre enquête, de la relation « paradoxale », où c’est le niveau « moyen » d’études supérieures qui a le maximum d’effet, voir T.1.35.

46 Voir, ci-dessus, le texte en petits caractères avant le tableau T.1.07, puis section II. A. 1.

47 Parmi les traits qui caractérisent proprement ces diplômés « moyens » et que nombre d’enquêtes, qui agrègent tous les diplômes supérieurs au baccalauréat, portent indistinctement au compte des diplômés d’enseignement supérieur, on rencontre dans notre enquête : la prise de distance par rapport aux tableaux (voir T.1.35), le nombre de tableaux déterminant un arrêt véritable (voir T.1.39), la lecture des notices (voir T.1.41), le temps moyen accordé aux tableaux regardés (voir T.1.40) ou le type de déambulation dans les salles (voir T.1.20).

48 Voir supra, « L’espace du musée : trajets et déambulation » (section II. C).

49 P. Bourdieu et A. Darbel, L’amour de l’art, ouvr. cité.

50 L’habitué des musées a sans doute moins de consistance comportementale que l’habitué des concerts.

Table des illustrations

Titre G.1. Les temps moyens consacrés à la visite du musée selon le niveau de diplôme
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Titre G.2. L’histogramme du temps donné au musée selon le diplôme
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Titre G.3. Distribution des temps globaux de visite du musée pour l’ensemble de l’échantillon
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Titre Schéma S.4. Plan des ailes du musée (1er étage)
URL http://books.openedition.org/enseditions/docannexe/image/16777/img-4.jpg
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Titre Schéma S.5. Schéma des salles A et C (avec bancs)
Légende La flèche indique le sens de visite des salles adopté par la majorité des visiteurs.
URL http://books.openedition.org/enseditions/docannexe/image/16777/img-5.jpg
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