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Palerme, illégalismes et gouvernement urbain d’exception

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Fabrizio Maccaglia

Le sac de Palerme

Introduction

Texte intégral

  • 1 Y. Ashihara, L’ordre caché. Tokyo, la ville du xxie siècle ?, 1994.

1Tout ce que nous voyons, ressentons et percevons imprime sa marque sur la réflexion qui est menée. Plutôt que de rejeter cet état de fait en feignant de nier son existence ou de croire que sa mise à distance annule son influence, nous avons fait le choix de l’intégrer et de l’utiliser. La réticence que l’on éprouve encore dans les sciences sociales à exploiter ce que les sens disent plonge sans doute ses racines dans les catégories philosophiques occidentales qui opposent essence et apparence, substance et forme… Il ne s’agit pas de prendre l’apparence pour la réalité mais d’utiliser les perceptions et les ressentis pour construire une problématique. L’idée de désordre est un élément structurant de l’urbanité palermitaine et de l’imaginaire qui lui est attaché. Le mot lui-même revient fréquemment dans la bouche de ceux qui visitent Palerme et y vivent. C’est sans doute également l’un des premiers mots que nous avons nous-même utilisé pour raconter la ville à notre entourage et nous la raconter. Ce désordre s’exprime de différentes façons. Là, il prend la forme de l’illégalité territoriale avec l’abusivismo edilizio (habitat illégal), les parcs de stationnement clandestins (en lieu et place bien souvent des parcs de stationnement publics) ou les décharges sauvages en plein centre-ville. Ailleurs, il se manifeste sous les traits de la mafia dont les activités altèrent les mécanismes de l’économie de marché, désorganisent le tissu productif local et alimentent une logique prédatrice de développement. Plus loin encore, il transparaît dans un urbanisme développé en dehors des plans et des règles censés le régir (espaces verts projetés mais non réalisés, parcs de stationnement dessinés sur les plans mais cruellement absents, édification sur des sols protégés ou impropres, espacement entre les bâtiments non respecté…). Palerme apparaît comme une ville où s’expriment la spontanéité, la souplesse et l’irrégularité (dans tous les sens du terme). L’idée de désordre ne doit s’entendre ni comme un jugement de valeur ni comme une remarque à caractère esthétique ou empreinte d’exotisme, mais comme une construction au même titre que l’ordre. Cela signifie que l’un et l’autre peuvent s’objectiver, c’est-à-dire être appréhendés de manière scientifique : nous pouvons en dévoiler les facteurs explicatifs et mettre en évidence les conséquences, en faire l’histoire, la géographie et la sociologie, en analyser les significations culturelles, sociales ou anthropologiques. Ordre et désordre peuvent tout d’abord être considérés comme une construction mentale. Ils sont une vue de l’esprit, une représentation produite par l’écart entre ce que le chercheur a l’habitude de voir et ce qu’il observe sur son terrain de recherche. Cette vue de l’esprit perd son statut de simple observation et acquiert un intérêt scientifique lorsqu’elle pose la question des significations, des causes et des effets. Dans cette perspective, ordre et désordre sont appréhendés comme des constructions sociales, autrement dit des situations produites par la collectivité dans son ensemble. Le désordre urbain palermitain est à la fois le résultat d’un mode de gestion du territoire par les pouvoirs publics et de son utilisation par les habitants. Le désordre comme l’ordre s’enracinent dans l’histoire de la ville, les modes de vie, les relations sociales, l’aménagement et le développement du territoire. L’enjeu consiste à découvrir l’ordre qui sourd au creux de ce désordre, en un mot découvrir « l’ordre caché »1.

2L’urbanisation contemporaine de Palerme a consisté en un mouvement d’expansion continu et désordonné qui a abouti à une saturation complète de la Conque d’or, faisant disparaître en l’espace de trois décennies un cadre de vie avec son architecture, son paysage et son imaginaire. La spéculation immobilière conjuguée à la pratique de l’habitat illégal a constitué le moteur principal des transformations urbaines depuis un demi-siècle. Quelle part de responsabilité les pouvoirs publics ont-ils dans le développement de ces processus ? Quelle vision du territoire et de la société a sous-tendu la politique d’urbanisme ? La ville existante a complètement été ignorée, reniée, au nom d’une logique d’urbanisation productiviste et prédatrice. Rétrospectivement, nous avons le sentiment que du passé il fallait faire table rase comme s’il était un obstacle à une urbanisation moderne. Il ne faut pas y voir un signe des temps, une fatalité, car au même moment la ville de Bologne s’engageait dans une ambitieuse politique d’urbanisme, associant un projet de conservation du centre historique avec un programme d’expansion urbaine contrôlée. Quels problèmes d’aménagement ce territoire pose-t-il aujourd’hui ? De quelle manière sont-ils traités ? À quels obstacles l’action publique se heurte-t-elle ? Cette première partie est construite autour des héritages territoriaux légués par le processus d’urbanisation contemporain. L’idée d’héritage territorial est envisagée à la fois sous sa forme matérielle (le paysage urbain, l’état du bâti, l’organisation du territoire) et sa forme immatérielle (les usages et les représentations du territoire), autrement dit dans la structure de la ville et le mode d’habiter la ville.

Cartes 5a et 5b. Caractéristiques sociodémographiques des circonscriptions administratives de Palerme

Notes

1 Y. Ashihara, L’ordre caché. Tokyo, la ville du xxie siècle ?, 1994.

Table des illustrations

Légende Carte 4. Palerme
URL http://books.openedition.org/enseditions/docannexe/image/1492/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 381k
Légende Cartes 5a et 5b. Caractéristiques sociodémographiques des circonscriptions administratives de Palerme
URL http://books.openedition.org/enseditions/docannexe/image/1492/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 366k

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