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Mussolini socialiste : littérature et religion

Mussolini socialiste : littérature et religion

Texte 48

Porta Pia

Texte intégral

  • 1 En septembre 1870, profitant de la défaite de la France contre la Prusse à Sedan, l’armée italienn (...)

Le 20 septembre 1917, Mussolini publie dans Il Popolo d’Italia un article pour célébrer le 47e anniversaire de la brèche de Porta Pia1 et l’annexion de Rome au royaume d’Italie.

Porta Pia2

  • 2 D’après Il Popolo d’Italia, 20 septembre 1917, p. 1.

1Souvenons-nous, pour embrasser d’un seul coup l’immensité du chemin parcouru en cinquante ans, de l’invective amère de Giosuè Carducci :

L’Italie impréparée demandait Rome, ils lui donnèrent Byzance.

2Le 20 septembre 1870, à Porta Pia, dans les murs qui défendaient la capitale du monde catholique une brèche fut ouverte par quelques douzaines de coups de canon à peine. Dans ce bref combat, on n’arriva pas même à deux cents morts et blessés. Il n’y eut pas de bataille parce qu’entre les deux pouvoirs, ecclésiastique et civil, il manquait une antithèse nette. Les deux protagonistes, le pape et le roi, ne s’affrontaient pas armés de toutes leurs forces matérielles et spirituelles, prêts à jouer le tout pour le tout ; non : ils s’évitaient.

  • 3 Quintino Sella (1827-1884) fut à plusieurs reprises ministre des Finances du nouveau Royaume d’Ita (...)
  • 4 Original : « l’urbe cattolico » (« l’Urbs catholique ») ; OO : « l’orbe cattolico ». Nous avons op (...)

3Victor Emmanuel II se fit précéder d’une lettre, rédigée par Celestino Bianchi et apportée au pontife par le comte Ponza di San Martino, dans laquelle il demandait pardon au hiérarque suprême pour le pas qu’il était sur le point de franchir et auquel il avait été poussé, d’en bas par le mouvement mazzinien-garibaldien, et par l’œuvre tenace de ce fin marchand de toile qui répondait au nom de Quintino Sella, en vérité trop oublié de ceux qui vinrent après lui3. Le roi baissait son épée en signe de respect devant le Vatican, mais Pie IX n’osa pas lever sa « crosse pastorale » pour appeler le monde4 catholique au rassemblement. Le roi entra plus tard, en novembre, à Rome, non en conquérant, mais en voyageur, pas à cheval mais dans une voiture quelconque, sous une pluie qui obscurcissait le ciel ; et Pie IX n’osa pas même garder cette Cité léonine où les bersagliers de Cadorna n’étaient pas entrés. Le pape se contenta de protester avec une espèce d’auto-incarcération, rendant superflue la loi des Garanties qui vint ensuite.

4Dans sa phase extrême, notre drame national eut des protagonistes médiocres et des épisodes – dans leurs manifestations extérieures – à peine dignes d’un fait divers. Le pouvoir temporel des papes s’éteignit par épuisement sénile, sans violence, sans sang, dans un gris crépuscule. La monarchie s’affirma à Rome, au départ plus en hôte qu’en dominatrice. Mais le déroulement fade et modeste, en apparence, des événements advenus entre 1865 et 1870 – culminant avec l’entrée dans Rome – n’amoindrit pas l’immense signification historique de la fin du pouvoir temporel des papes. Le 20 septembre marque la mort de la plus grande monarchie mondiale.

  • 5 Le général Raffaele Cadorna (1815-1897) avait commandé les armées lors de la prise de Rome en 1870

5Mais les responsables, c’est dans le siècle précédent qu’il fallait les chercher. Le jour où depuis Paris fut lancée la déclaration des droits de l’homme, les années du Vatican – comme puissance profane – furent comptées. Un siècle, à peine. La dernière affirmation monarchique du Vatican eut lieu lors du concile œcuménique de 1869 qui proclama l’infaillibilité pontificale. Protestation d’agonisant. Puis vint Cadorna5. Les conséquences de la situation étrange et paradoxale qui se vérifia à Rome entre 1870 et 1871 n’ont pas encore complètement disparu. Notre vie nationale a été mortifiée – pendant presque cinquante ans – à l’extérieur par la guerre de 1866, à l’intérieur par ce dualisme des pouvoirs qui crée pour les catholiques militants des cas de conscience infinis.

6Mais pendant un demi-siècle, ce pays adorable et divin allait développer et mûrir les forces secrètes et puissantes qui le propulseraient à la tête des nations. Beaucoup de peuples antiques, qui s’élevèrent jusqu’à un très haut niveau de civilisation, tombèrent en décadence et périrent, et de leur passage dans le monde ne restent plus que des ruines matérielles et des reliques spirituelles. L’Italie peut tomber en décadence, mais elle ne peut pas mourir. Il n’y a pas dans son histoire une nuit, si noire soit-elle, qui ne soit suivie d’une aurore lumineuse. Comme le géant antique, ce peuple peut être jeté à terre mais ce contact avec la Magna Mater le fait se relever d’un bond.

  • 6 Eugène Rouher (1814-1884) était président du Conseil d’État sous le Second Empire.

7Après dix-huit siècles, l’Italie, exilée de Rome, rentre à Rome. Devant ce peuple [popolo] qui exprime sa grandeur, dans la plus grande conflagration de tous les temps et de tous les peuples [stirpe], le Vatican nous apparaît, sur fond d’une époque calamiteuse, extraordinairement rapetissé. La voix du Vicaire de Dieu est couverte par le tonnerre des canons qui retentissent sur le Carso pour briser un autre « jamais ». Le premier « jamais » fut prononcé à Paris en 1870, par l’ancien ministre Rouher6 qui devait être ensuite misérablement renversé, avec toute sa dynastie, par l’ouragan déchaîné par Bismarck ; le second fut prononcé à Vienne par un empereur. Mais l’Italie alla à Rome, l’Italie ira à Trieste.

  • 7 Voir le texte 39, « Le devoir de l’Italie », note 11.

8Comme il fut nécessaire, pour rejoindre Rome, de passer par Novare en 1849, par la Crimée en 1855, par San Martino en 1859, par Custoza en 1866 ; comme il fut nécessaire, pour rejoindre Rome, que Garibaldi, avec ses volontaires, fasse entrer, avec quarante batailles, la légende dans l’histoire ; comme furent nécessaire le sacrifice des martyrs, les insurrections populaires, l’anticipation tragique de Pisacane7, de même pour rejoindre Trieste et compléter l’Italie dans la matérialité de ses frontières et dans sa haute personnalité morale, il fut et il est nécessaire de rejeter l’ennemi au-delà de nos Alpes, de franchir un fleuve nouvellement sacré, de repousser l’Autriche sur le Carso, au-delà de Trieste et au-delà de la mer.

  • 8 Voir le texte 46, « Battisti ! ».
  • 9 Mussolini présenta le soldat italien Nazario Sauro, mort sur le front adriatique, comme un martyr (...)

9Avant 1870 il y a eu les potences de Milan et de Belfiore, après 1870 celles d’Oberdan, de Battisti8 et de Sauro9. L’Italie ne commence pas, elle continue.

  • 10 Mussolini fait référence à l’échec du débarquement à Sarpi mené par le patriote Carlo Pisacane. Vo (...)
  • 11 Le sanfédisme fut un mouvement populaire de réaction cléricale et anti-républicaine dans la région (...)

10Aujourd’hui, l’épreuve est plus dure. Ce sont les derniers pas de l’ascension qui requièrent la tension maximale de nos forces. Mais l’Italie a déjà surmonté son épreuve. Les péquenauds qui assassinèrent les idéalistes solitaires de Sapri10 ont maintenant émigré en Italie du nord et – comble de l’ironie ! – beaucoup d’entre eux arborent le drapeau tricolore au bras. Les sanfédistes s’appellent, aujourd’hui, socialistes officiels11. Ils ont la même âme, avec un raffinement, une exaltation de bestialité. Ils pensent arrêter le cours des choses avec les petits bâtons de leurs dogmes vermoulus, avec leurs grincements de dents, avec leur chantage continu, et ils ne se rendent pas compte qu’ils se séparent de la nation et s’exilent de l’histoire.

11Ils ne réussiront sûrement pas à faire que l’Italie « déserte » l’alliance de tout le monde civilisé contre les barbares.

12Milan, qui célèbre aujourd’hui la date du xx septembre, fera vibrer sa grande âme et lancera au reste de l’Italie l’incitation solennelle à résister.

13Recueillons-nous dans une attente pleine de foi.

  • 12 San Giusto est le centre historique de la ville de Trieste.

14Souvenons-nous de Porta Pia et regardons vers San Giusto12.

15Marchons !

Notes

1 En septembre 1870, profitant de la défaite de la France contre la Prusse à Sedan, l’armée italienne ouvre une brèche dans les murs d’enceinte au niveau de Porta Pia et s’empare de la ville. L’année suivante Rome devient capitale du royaume d’Italie.

2 D’après Il Popolo d’Italia, 20 septembre 1917, p. 1.

3 Quintino Sella (1827-1884) fut à plusieurs reprises ministre des Finances du nouveau Royaume d’Italie. Anticlérical convaincu, il fut favorable à la prise de Rome et inspira la formulation de la loi des Garanties, qui cherchait à résoudre la « question romaine ».

4 Original : « l’urbe cattolico » (« l’Urbs catholique ») ; OO : « l’orbe cattolico ». Nous avons opté pour la version de l’Opera Omnia, à cause de l’accord au masculin de l’adjectif « cattolico », laissant penser que « urbe » est effectivement une coquille.

5 Le général Raffaele Cadorna (1815-1897) avait commandé les armées lors de la prise de Rome en 1870.

6 Eugène Rouher (1814-1884) était président du Conseil d’État sous le Second Empire.

7 Voir le texte 39, « Le devoir de l’Italie », note 11.

8 Voir le texte 46, « Battisti ! ».

9 Mussolini présenta le soldat italien Nazario Sauro, mort sur le front adriatique, comme un martyr de la nation et lança en décembre 1918, par l’intermédiaire de son journal Il Popolo d’Italia, une large souscription pour venir en aide à sa mère.

10 Mussolini fait référence à l’échec du débarquement à Sarpi mené par le patriote Carlo Pisacane. Voir le texte 39, « Le devoir de l’Italie », note 11.

11 Le sanfédisme fut un mouvement populaire de réaction cléricale et anti-républicaine dans la région napolitaine, au moment de la République parthénopéenne.

12 San Giusto est le centre historique de la ville de Trieste.

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