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    Plan détaillé Texte intégral La conception de l’être générique objectif Problèmes, questions ouvertes et perspectives Notes de bas de page Auteur

    Nouvelles perspectives pour la reconnaissance

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    Table des matières

    L’être générique objectif

    Remarques sur l’actualité philosophique de Karl Marx

    Michael Quante

    Traduit par Alexandre Léger, Alain Patrick Olivier et Maiwenn Roudaut

    p. 121-134

    Texte intégral La conception de l’être générique objectif Trois aspects centraux de la conception marxienne de l’être générique objectif La valeur intrinsèque de la dépendance humaine Problèmes, questions ouvertes et perspectives Problèmes Questions ouvertes Perspectives Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    Mes rapports avec Hegel sont très simples. Je suis un disciple de Hegel, et le bavardage présomptueux des épigones qui croient avoir enterré ce penseur éminent me paraît franchement ridicule. Toutefois, j’ai pris la liberté d’adopter envers mon maître une attitude critique, de débarrasser sa dialectique de son mysticisme et de lui faire subir ainsi un changement profond.
    K. Marx, Le Capital1

    1La conception de « l’être générique objectif » (gegenständliches Gattungswesen), que Karl Marx a développée dans les Manuscrits de 1844, constitue un élément de la philosophie marxienne qui s’avère pertinent au plan systématique pour les questionnements sociaux et philosophiques actuels. On pourrait objecter à cette thèse centrale de ma contribution qu’elle présuppose une compréhension préalable de ce qui est systématiquement pertinent en philosophie, mais également qu’elle a recours à deux prémisses controversées : premièrement que l’on peut comprendre la théorie marxienne comme une philosophie ; et deuxièmement qu’il y a une continuité fondamentale du point de vue philosophique entre la pensée marxienne telle qu’elle se forme à partir de 1843 et la pensée marxienne telle que nous la trouvons jusque dans ses derniers travaux sur le Capital. Comme il ne m’est pas possible de fonder ces deux prémisses dans cette contribution, je les présuppose dans mes réflexions suivantes.

    2La conception de l’être générique objectif n’est pas seulement importante parce que sans elle deux des concepts marxiens probablement les plus importants, à savoir l’aliénation et la réification, ne seraient pas du tout compréhensibles : elle est également une ressource conceptuelle attractive au plan systématique pour la philosophie pratique actuelle. Dans ce qui suit, je présenterai les traits fondamentaux de cette conception de l’être générique objectif et expliquerai ce qui la rend attractive2, puis j’aborderai les problèmes, questions ouvertes et perspectives qui en découlent si nous voulons aujourd’hui avoir recours à la conception marxienne de l’être générique objectif dans le contexte de la philosophie pratique.

    La conception de l’être générique objectif

    3Le concept marxien d’aliénation ne peut être expliqué sans la conception de l’être générique objectif, parce que, sans elle, Marx ne pourrait justifier la cohésion interne des quatre dimensions de sa conception de l’aliénation. Mais que veut dire Marx en affirmant que l’homme est un être générique objectif ?

    4Du point de vue de l’histoire de la philosophie, la conception marxienne de l’être générique objectif constitue une synthèse de trois sources : la conception philosophico-anthropologique de Feuerbach, la vision sociale de l’unité de Moses Hess et le modèle d’objectivation de l’agir emprunté à Hegel3. Concernant Feuerbach, il est important pour mon propos que l’on considère ses écrits jusqu’en 1844 comme des contributions à l’anthropologie philosophique. Dans les travaux plus tardifs, l’anthropologie de Feuerbach prend toujours plus la forme d’un naturalisme tourné vers le scientisme, où la structure philosophique de base a tendance à passer au second plan. En revanche, le caractère philosophique du naturalisme feuerbachien de ces années est essentiel pour expliquer le caractère philosophique de la conception marxienne de l’être générique objectif. Concernant Hegel, deux précisions sont nécessaires : d’abord, à côté du modèle d’objectivation de l’agir, Hegel accorde également une importance à la relation entre les sexes dans le cadre de sa philosophie de la nature4. Ensuite, les affirmations qui vont suivre concernant l’interprétation marxienne de la philosophie de Hegel n’impliquent pas que Marx a présenté une interprétation de Hegel qui soit juste sur le plan systématique.

    Trois aspects centraux de la conception marxienne de l’être générique objectif

    5Marx reprend, pour sa conception de l’être générique objectif, le cadre fourni par Hegel avec le modèle sujet-objet de l’esprit et le modèle de l’objectivation de l’agir en y intégrant trois développements fondamentaux.

    61) Le premier de ces développements consiste à mettre l’accent sur la constitution sociale de l’homme. Les théories de la reconnaissance de Fichte et de Hegel apportent la preuve que la conscience de soi et l’autodétermination ne peuvent être expliquées, au niveau philosophique, que dans et par des relations d’interaction. Ainsi, au niveau ontologique, l’individualisme méthodologique de la philosophie pratique perd tout fondement parce que les formations sociales ne peuvent pas être comprises comme des institutions constituées par des sujets auparavant déjà autonomes5.

    7Dans le contexte de sa critique de la religion, Strauss a argué que l’essence de Dieu et celle de l’homme ne pouvaient pas se réaliser dans un individu mais seulement dans l’humanité dans son ensemble. Cette critique de la conception individualiste de l’autonomie, qui dépasse le niveau ontologique, vise la dimension évaluative du principe d’autonomie. Ainsi, l’autodétermination individuelle ne peut plus être comprise comme la valeur unique ou la plus haute de l’autoréalisation humaine. Puisque l’essence de l’homme ne peut se réaliser que dans l’espèce, il faut attribuer une valeur intrinsèque aux relations intersubjectives et aux institutions sociales6.

    82) Le deuxième développement est porté par l’intérêt pour l’anthropologie philosophique, où c’est l’homme et non le moi ou la subjectivité qui constitue le principe le plus élevé de la philosophie. On trouve en effet chez Marx, à la suite directe de Feuerbach, la caractérisation de l’être générique comme « objectif », ainsi que le montre le passage suivant des Manuscrits de 1844 :

    Que l’homme soit un être de chair, une force naturelle, un être vivant, réel sensible, objectif, cela signifie qu’il a des objets réels et sensibles pour objets de son être et de l’expression de sa vie, ou bien qu’il ne peut exprimer sa vie qu’à même des objets réels et sensibles. Être objectif, naturel, sensible, et aussi bien, avoir en dehors de soi objet, nature, réalité sensible, ou bien être soi-même objet, nature, réalité sensible pour un tiers : tout cela signifie la même chose.7

    9Jusque dans ses écrits tardifs, Marx a conservé les deux hypothèses centrales de Hegel selon lesquelles la subjectivité est essentiellement une activité et que cette activité doit être analysée comme une objectivation au sens du transfert d’un subjectif vers un objectif. C’est pourquoi il critique dans les Thèses sur Feuerbach le sensualisme de ces thèses ainsi que la conception empiriste fondamentale de la conscience qui y est inscrite. Mais en même temps, il suit Feuerbach en mettant le rôle de la corporéité de l’homme au centre de la philosophie et en ne réduisant pas le caractère objectif de l’homme à un élément interne de la structure sujet-objet de la conscience de soi. Même lors de ce rejet de l’idéalisme – sur la base d’une anthropologie philosophique – dont le système de Hegel constitue de manière paradigmatique l’achèvement, on trouve chez Marx la caractérisation de l’être générique comme « objectif ».

    103) En se détournant à nouveau de Feuerbach, Marx reprend la thèse de Moses Hess selon laquelle l’expression primaire de l’essence de l’être générique « homme » s’accomplit dans sa production et reproduction matérielles :

    Si les sensations, les passions, etc. de l’homme ne sont pas seulement des déterminations anthropologiques, au sens étroit du terme, mais sont véritablement des affirmations ontologiques de son être (de sa nature) – et si elles ne s’affirment réellement qu’à la condition que leur objet existe pour elles de façon sensible, alors on peut comprendre […] 4) que ce soit seulement une fois l’industrie développée, c’est-à-dire uniquement par la médiation de la propriété privée, que la nature ontologique de la passion humaine parvienne à s’affirmer aussi bien dans sa totalité que dans son humanité ; [que] la science de l’homme soit donc elle-même un produit de l’activation de soi pratique de l’homme ; 5) que le sens de la propriété privée – abstraction faite de son aliénation – soit l’existence des objets essentiels pour l’homme, tant comme objets de la jouissance que comme objets de l’activité.8

    11Avec cette caractérisation de l’interaction sociale dans un contexte de production et de reproduction, Marx réussit à rassembler sa critique de Hegel avec son héritage hégélien et à comprendre l’homme à la fois comme un être générique essentiellement actif, corporel et social.

    12En tant qu’« affirmations […] de son être (de sa nature) », ces déterminations ontologiques ont également une dimension axiologique9. Comme j’aimerais désormais le montrer, c’est cela qui rend la conception marxienne intéressante pour la philosophie pratique actuelle.

    La valeur intrinsèque de la dépendance humaine

    13La pensée de Marx se situe dans la tradition de l’idéalisme allemand et est, au fond, une philosophie perfectionniste de l’autoréalisation de l’homme. En revanche, Marx n’a pas développé sa théorie comme une théorie de la conscience de soi ou de l’autodétermination comme ont pu le faire Fichte et Hegel dans leur système idéaliste, mais comme une conception de l’être générique objectif dont la raison pratique et théorique est pensée comme liée au corps et à la société. L’homme ne peut se réaliser, ou plutôt réaliser son essence, qu’en tant qu’être corporel. En considérant que la réalisation de l’essence ne comporte pas seulement une structure métaphysico-ontologique mais également une dimension évaluative, la conception marxienne offre ainsi la possibilité d’accorder à la corporéité et à la détermination de l’homme comme être de besoins non seulement le statut de condition de possibilité causale et de véhicule instrumental de l’agir autonome, mais également de les doter d’une valeur intrinsèque en tant que partie intégrante de l’autonomie humaine.

    14En même temps, l’homme ne peut réaliser son essence que dans des institutions sociales et par des interactions avec d’autres hommes. Mais dans la conception marxienne, cela ne peut pas seulement avoir le sens d’une simple nécessité ou d’un fait à considérer de manière instrumentale qu’il faudrait respecter lors de la réalisation de l’autonomie individuelle. C’est parce que l’essence de l’homme ne peut se réaliser complètement que dans une organisation sociale bien ordonnée que l’interdépendance sociale devient également une valeur intrinsèque. Philosophiquement, elle ne peut ainsi être pensée ni seulement comme une condition générale ni comme une simple limite de l’autoréalisation individuelle.

    15Une philosophie de l’autodétermination et de l’autoréalisation ainsi orientée déploie un potentiel critique intéressant sur le plan systématique eu égard à la constitution de nos sociétés occidentales10. Sous la domination de modèles néolibéraux de société et sur la base de conceptions individualistes de l’autonomie de la philosophie pratique libérale, une pratique normative s’est établie dans laquelle le respect de l’autonomie est souvent réduit au respect de décisions individuelles devant simplement satisfaire une liste d’exigences minimales de rationalité. Dans celles-ci pourtant, des dimensions centrales de l’autonomie personnelle d’êtres constitués par leur corps et par la société (comme les hommes le sont de fait) ne peuvent pas être adéquatement saisies.

    161) Dans le domaine de l’éthique biomédicale, il y a un malaise vis-à-vis d’une telle compréhension réduite de l’autonomie. Cela se voit, par exemple, au fait que l’on a actuellement de nouveau recours aux catégories marxiennes de l’aliénation et de la réification, afin, par exemple, de développer une conception adéquate de l’autonomie personnelle ou d’identifier les problèmes de division épistémique du travail dans des procédures et situations de décision complexes. En raison de son rapport à l’être générique, la conception marxienne de l’aliénation permet ainsi de dépasser la norme des préférences purement individuelles et de critiquer ces dernières elles-mêmes comme des rapports à soi déformés par les organisations sociales (c’est, au sens le plus large, une conception critiquant l’idéologie qui peut par exemple déployer sa force philosophique dans le contexte de la discussion au sujet de l’enhancement – c’est-à-dire de la médecine dite d’amélioration –, de la médecine exauçant les désirs ou dans la controverse au sujet de l’évaluation des dystopies du transhumanisme)11. Dans des contextes d’interaction complexe où il y a souvent un grand écart entre les expertises – que l’on pense par exemple au discours social sur les technologies à grande échelle et aux mesures économico-politiques ou encore à la situation plutôt individuelle de l’expression d’un accord informé dans un contexte d’agir médical –, la catégorie de la réification peut servir à révéler l’association des caractéristiques socialement constituées d’une situation à des nécessités suivant les lois de la nature.

    172) Même les questions concernant les limites à apporter dans le traitement technique de la nature humaine et concernant la valeur intrinsèque du naturel peuvent se formuler plus adéquatement sur la base de la conception marxienne de l’être générique objectif que dans le cadre de théories orientées vers l’individu ou vers la rationalité idéale uniquement. C’est une idée centrale de Marx que reprennent les essais de la philosophie analytique actuelle quand ils cherchent à remplacer l’autonomie idéale par des conceptions de l’autonomie relationnelle, socialement située ou encore incorporée des personnes humaines12. Une autonomie reliée ainsi à l’anthropologie saisit également d’un point de vue évaluatif d’autres points de vue et conduit potentiellement à d’autres réponses matérielles qu’une philosophie pratique orientée vers une rationalité idéale ou des procédés purement formels13. Pour ne donner ici qu’un exemple : la réponse libérale à la question de savoir si, sur la base d’une décision informée et suffisamment volontaire, on peut interdire aux sujets autonomes de vendre un de leurs organes sera sûrement différente de celle fondée dans le cadre d’une éthique développée fortement à partir de l’anthropologie. Cette dernière attirera l’attention sur les conséquences évaluatives qui en résultent tant au niveau de l’individu qu’à celui de la société tout entière lorsque la logique de la valeur d’échange analysée par Marx s’applique à la relation des personnes à leur corps14. En revanche, une morale formaliste de type déontologique s’orientant vers la forme, typique pour le droit, des contrats librement consentis, mettra ici simplement en avant le caractère volontaire de la décision correspondante et soumettra à ce point de vue compris comme une défense contre des abus paternalistes d’autres aspects ne pouvant être articulés que dans une éthique (minimale) fondée sur le perfectionnisme15.

    183) Le troisième aspect systématiquement significatif de la conception marxienne de l’être générique objectif consiste en ce qu’on ne fasse pas seulement des institutions fondées sur l’autoréflexion collective le lieu de réalisation de l’autonomie, mais qu’apparaisse également la dignité de l’être générique « homme » dans les contextes quotidiens et évidents pour l’homme de production et de reproduction matérielle de la vie. Ainsi dans ce domaine, ce sont les relations sociales réelles qui deviennent les lieux essentiels de la réalisation des exigences fondamentales auxquelles les hommes, en vertu de leur humanité, ont droit dans leurs relations professionnelles quotidiennes, dans leurs perspectives de vie ou encore dans la répartition juste des risques de santé, dans une société organisée sur la division du travail. C’est ainsi en tout cas que peut être aujourd’hui actualisée la conception de l’émancipation humaine que Marx a introduite, dans le contexte de la dispute autour de la Question Juive, contre la conception de l’émancipation politique de Bruno Bauer16.

    19Il n’est pas besoin de plus d’explications pour comprendre qu’une éthique de la santé publique s’appuyant sur une conception de l’être générique objectif aura une forme différente des théories libérales de la justice qui dominent aujourd’hui17.

    Problèmes, questions ouvertes et perspectives

    20L’œuvre marxienne comporte des tensions et, si l’on comprend les textes qui nous ont été transmis par lui comme une théorie, également des inconsistances. De plus, la compréhension qu’a Marx de lui-même est en grande partie marquée par sa relation complexe vis-à-vis de la philosophie de Hegel et par sa socialisation hégélienne de gauche tout aussi hétérogène : elle fait obstacle de ce fait à toute tentative visant à hériter de sa théorie comme une philosophie pratique. Il découle donc des propositions d’interprétation et d’actualisation que nous avons présentées des questions et problèmes concernant leur rattachement à la théorie de Marx. J’aimerais préciser dans cette seconde partie lesquels sont, selon moi, les plus centraux. Je terminerai ensuite par une brève présentation des perspectives qui s’ouvrent alors à nous.

    Problèmes

    21Le problème général consiste en ce que Marx a cessé à un moment donné de comprendre son propre travail théorique comme de la philosophie et, ainsi, n’a plus saisi sa critique de l’économie politique comme une théorie philosophique. L’histoire funeste qui est née du mot d’ordre d’une vision scientifique du monde fait apparaître une telle résolution du problème comme peu séduisante18. L’affirmation, que l’on entend souvent mais qui demeure concrètement assez vague, selon laquelle la critique marxienne de l’économie politique serait un type complètement nouveau de théorie n’a jusqu’à présent été ni clairement définie ni encore moins démontrée. Une solution assez évidente à ce problème consiste à dire que Marx n’a refusé qu’une forme spécifique de philosophie, en l’occurrence l’idéalisme absolu de Hegel, au profit d’un autre type de philosophie, que je nomme pour ma part anthropologie philosophique.

    22Le problème spécifique de l’interprétation que j’ai ici proposée de la conception marxienne de l’être générique objectif est sa dimension évaluative qui, au premier regard, est inconciliable avec l’immoralisme marxien explicite19. Mais même en comprenant d’emblée la théorie marxienne comme philosophie, il ne s’ensuit pas pour autant que nous ayons affaire à un contenu évaluatif que l’on puisse exploiter fructueusement dans le cadre d’une philosophie pratique. Ici aussi, on peut être tenté de limiter le domaine de validité de la critique marxienne aux conceptions déontologiques de Fichte ou de Kant, où la validité morale est expliquée sur une base purement apriorique20. Car ainsi, l’anthropologie philosophique est compatible en tant qu’éthique de la réalisation de l’être au sens d’une théorie aristotélicienne. Selon moi, cette interprétation est celle qui convient le mieux au projet d’ensemble de la critique marxienne de l’économie politique. Elle n’en est pourtant pas contraignante, parce que des hypothèses essentialistes peuvent être déployées même sans recourir à des prémisses évaluatives21.

    Questions ouvertes

    23Si l’on comprend la conception marxienne de l’être générique objectif comme une anthropologie philosophique, deux questions (au moins) restent toujours ouvertes.

    24Il faut, premièrement, savoir sous quelle forme les contenus évaluatifs de l’essentialisme marxien peuvent être développés. Comme Marx ne fait pas que de la réalisation de l’être (Wesensverwirklichung) le motif directeur de sa critique de l’économie politique, mais qu’il met en même temps au centre l’autodétermination de l’espèce et de l’individu, il faut montrer comment, sur le fond, son éthique perfectionniste du bien peut être assurée face à la contingence de la nature humaine, d’un côté, et à la pluralité des représentations de la vie réussie de l’autre22. Ce n’est pas seulement la conception marxienne qui est confrontée à cette tâche constituant un défi central, mais toute éthique du bien à teneur matérielle.

    25La seconde question ouverte concerne la relation entre l’individu et l’espèce (Gattung) qui se pose à chaque fois que l’autoréalisation individuelle et la réalisation de l’être générique objectif entrent en conflit. Les dangers d’un paternalisme se référant à des représentations objectives du bien et dominant les besoins individuels ou les représentations de la vie ne peuvent être balayés d’un revers de main. L’instrumentalisation et la dévalorisation complète de l’individu au profit de l’espèce n’est certainement pas conciliable avec la conception marxienne. Pourtant, le diagnostic abstrait selon lequel, au niveau philosophique, il faudrait comprendre le conflit entre l’espèce et l’individu uniquement comme une expression de l’aliénation ne peut pas fournir de réponse satisfaisante face à la complexité des sociétés modernes, à la pluralité des conceptions de vie et à la pénurie de biens à laquelle on ne peut complètement remédier. Si l’on abandonne la conception évaluative trop forte d’une identité ininterrompue entre l’homme et l’espèce, alors il faut que la philosophie pratique réponde à la question de la priorité des prétentions entre les deux et à la question des institutions sociales où les prétentions des individus et de la communauté peuvent être réalisées en toute sécurité23.

    26Marx aurait probablement rejeté de telles questions comme l’expression d’un idéalisme philosophique raté : sa critique de la philosophie du droit de Hegel ainsi que sa critique de la conception de l’émancipation politique de Bruno Bauer vont en ce sens. Cependant, on ne devrait pas le suivre sur ce point. On ne peut en effet reprendre systématiquement la philosophie marxienne sans révisions et cette révision ne sera possible qu’en abandonnant certains des théorèmes centraux de sa conception d’ensemble24. Quant à savoir lesquels de ses théorèmes on est prêt à abandonner, cela dépend naturellement aussi bien des intérêts de connaissance de chacun que des objectifs systématiques de l’interprète. C’est pour cette raison qu’il ne peut pas y avoir, en fin de compte, une interprétation de l’œuvre marxienne qui soit univoque, probablement même pas une qui serait la mieux fondée.

    Perspectives

    27Avec la conception marxienne de l’être générique objectif, on ne peut donc pas recueillir un héritage inaltéré, ni un héritage dont l’explication philosophique systématique serait tout simplement évidente. Nous ne devrions cependant pas renoncer purement et simplement à l’héritage philosophique de Marx, parce que poursuivre ce projet de manière systématique offre deux perspectives.

    28Premièrement, on peut développer sur cette base une conception de l’autonomie personnelle réalisable pour des êtres finis, corporels et essentiellement sociaux. Si l’on réduit à un niveau vivable pour l’homme et les sociétés complexes le caractère utopique de la conception marxienne de l’aliénation, qui déploie certes une énergie immense si on l’utilise comme toile de fond pour critiquer la situation sociale existante, mais qui en même temps conduit à une trop grande sollicitation éthique des individus et de nos institutions sociales, on peut alors utiliser la conception de l’être générique objectif pour corriger certaines conceptions de l’autonomie purement individuelles ou qui travaillent avec des idéalisations inexploitables25. De plus, une telle conception réaliste de l’aliénation ouvre la possibilité de remettre à une échelle humaine le perfectionnisme de la conception marxienne d’ensemble. Cela est également systématiquement nécessaire afin d’éviter au niveau de la fondation évaluative un paternalisme débordant qui pourrait évincer l’autonomie personnelle de l’individu seul au profit d’un perfectionnement de l’espèce.

    29Deuxièmement, on perçoit ici aussi bien la possibilité systématique que la nécessité concrète d’intégrer une conception de l’autonomie personnelle ainsi conçue dans une éthique englobante de la vie généralement bonne pour l’homme et individuellement réussie. Cela me semble toujours être un but philosophiquement profitable que la pensée de Marx peut, aujourd’hui encore, nous aider à atteindre.

    Notes de bas de page

    1 K. Marx, Le Capital. Livres 2 et 3, trad. M. Rubel, Paris, Gallimard, 1968, note p. 1090.

    2 J’ai proposé une explication détaillée de la conception marxienne de l’aliénation dans « Kommentar », p. 247-262, dans Ökonomisch-Philosophische Manuskripte. Studienausgabe mit Kommentar, K. Marx, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2009, p. 209-410.

    3 Voir plus en détail M. Quante, « After Hegel. The realization of philosophy through action », Routledge Companion to 19th Century Philosophy, D. Moyar dir., Londres, Routledge, 2010, p. 197-237.

    4 Voir M. Quante, « Kommentar », art. cité, p. 263 et suiv. C’est surtout pendant la rédaction de sa thèse que Marx s’est confronté en détail à la philosophie hégélienne de la nature ; il était donc certainement conscient du lien intrinsèque qui l’unissait à sa propre pensée.

    5 Voir M. Quante, Die Wirklichkeit des Geistes, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2011, chap. 12, et D. Schweikard, Der Mythos des Singulären. Eine Untersuchung der Struktur kollektiven Handelns, Paderborn, Mentis, 2011.

    6 Ce jugement axiologique résulte de la perspective du philosophe et ne doit pas inévitablement correspondre aux valeurs des individus impliqués eux-mêmes. Dans des conditions sociales déterminées, il apparaîtra à l’individu que ces dimensions, qui possèdent une valeur intrinsèque et qui sont constitutives de l’être générique humain, ont simplement une grande valeur au niveau instrumental. Si je ne m’abuse, cela constitue une application de l’inversion du but et du moyen, centrale pour l’aliénation.

    7 K. Marx, Manuscrits économico-philosophiques de 1844, trad. F. Fischbach, Paris, Vrin, 2007, p. 166.

    8 Ibid., p. 194 (trad. modifiée).

    9 Si l’on est prêt à comprendre l’expression marxienne de l’« affirmation » sans connotation évaluative, on peut également interpréter son essentialisme comme un essentialisme historico-philosophique ou comme un naturalisme scientiste. Tirer de l’essentialisme une normativité substantielle pour la philosophie pratique n’est par conséquent pas logiquement contraignant. Pourtant, eu égard à la construction d’ensemble de la philosophie marxienne, cela me semble pouvoir être bien fondé et, de manière systématique, essentiellement plus attractif que ces possibilités de reconstruction alternatives.

    10 Voir M. Quante, « Bevölkerungsgesundheitsgerechtigkeit? Eine unzeitgemäße Betrachung », Leben – Wissen – Ethik, J. S. Ach, B. Lüttenberg et M. Quante dir., Münster, Mentis, 2014, p. 247-257.

    11 Voir M. Quante, « Pragmatistische Anthropologie und Ethik in Anwendung: eine philosophische Skizze », Anthropologie und Ethik, J.-C. Heilinger et J. Nida-Rümelin dir., Berlin, De Gruyter, 2015, p. 37-58.

    12 Comme le dirait Marx : « Ils ne le savent pas, mais ils le font ! »

    13 Voir M. Quante, « Bevölkerungsgesundheitsgerechtigkeit? Eine unzeitgemäße Betrachung », art. cité ; A. Vieth et M. Quante, « Chimäre Mensch? », Die menschliche Natur, K. Bayertz dir., Paderborn, Mentis, 2005, p. 192-218, ainsi que S. Derpmann et M. Quante, « Money for blood and markets for blood », Healthcare Ethics Committee Forum, no 27, 2015, p. 331-345.

    14 Pour un essai visant à rendre fécondes ces réflexions sur le plan de l’évaluation éthique de la commercialisation de la transplantation médicale, voir M. Quante, « My body, my ware-house? », Acta Universitatis Lodziensis. Folia Philosophica, no 21, 2008, p. 59-74.

    15 Si l’on pense surtout que beaucoup d’auteurs en droit ou en économie interprètent l’expression quotidienne « mon corps » comme un cas de relation de propriété (au sens de la propriété privée), on pourrait se contenter de déplorer cette absence d’imagination au niveau du langage. Mais il peut également nous venir à l’esprit la remarque faite par Marx, reprenant implicitement Moses Hess, selon laquelle le capitalisme réduit tous nos rapports humains au monde, à la société et à soi à de la possession.

    16 Sur la première phase de la querelle au sujet de la Question juive, tournant autour de ces conceptions, voir plus en détail M. Quante, « Bruno Bauer, Karl Grün und Karl Marx zur Emanzipation der Juden », Kunst—Religion—Politik, A. P. Olivier et E. Weisser-Lohmann dir., Munich, Fink, 2013, p. 321-336.

    17 Voir sur ce point mes réflexions dans M. Quante, « Bruno Bauer, Karl Grün und Karl Marx zur Emanzipation der Juden », art. cité, et « Bevölkerungsgesundheitsgerechtigkeit? Eine unzeitgemäße Betrachung », art. cité.

    18 170 ans après que Marx et Engels ont mis un terme à leur travail sur leur liasse de manuscrits aujourd’hui connus sous le nom de L’idéologie allemande, c’est probablement cette année que sortira enfin la version de cet écrit dans le cadre de la deuxième édition critique de leurs œuvres. La première publication de cet écrit en 1932 ne devint pas seulement, dans l’histoire de la réception, le manuscrit fondateur du matérialisme dialectique comme vision scientifique du monde, mais se révèle également dans notre perspective actuelle comme l’artefact d’une composition éditoriale guidée par les besoins idéologiques de cette époque.

    19 Voir les articles dans E. Angehrn et G. Lohmann dir., Ethik und Marx, Königstein, Athenäum Hain, 1986, ainsi que dans F. von Magnis, Normative Voraussetzungen im Denken des jungen Marx, Fribourg, Alber, 1975.

    20 D’un point de vue de la philosophie de l’histoire, cette interprétation peut inscrire à son crédit le fait que c’est précisément cette morale déontologique que Hegel a profondément critiquée dans sa Philosophie du droit de 1820. Au plan systématique, elle peut de surcroît s’appuyer sur le fait qu’une telle conception déontologique de la morale possède une forme fortement juridique, si bien que la critique marxienne du droit et sa critique de la morale peuvent être réunies.

    21 Voir plus en détail sur ce point M. Quante, « Kommentar », art. cité, p. 268-275, et « Karl Marx », Oxford Handbook to German 19th Century Philosophy, M. Forster et K. Gjesdal dir., Oxford, Oxford University Press, 2015, p. 149-170.

    22 En 1845, Karl Marx s’est vu lui-même confronté à la critique fondamentale de toute forme d’essentialisme ou de perfectionnisme portée par Max Stirner. Résoudre ce problème n’est pas seulement l’objectif de la critique détaillée de Stirner dans les écrits sur L’idéologie allemande, mais en même temps également, dans sa stratégie théorique, une caractéristique décisive du développement de l’anthropologie philosophique des Manuscrits de 1844 jusqu’aux réflexions de Marx et Engels dans les deux années suivantes, résumées dans ce qu’on appelle le « chapitre sur Feuerbach ».

    23 Voir à ce sujet D. Düber, Selbstbestimmung und das gute Leben im demokratischen Staat. Der Paternalismus-Einwand gegen den Perfektionismus, Münster, Mentis, 2016.

    24 C’est de toute façon le prix qu’il faut payer puisque, comme je l’ai déjà admis dans cet article, l’œuvre marxienne ne peut selon toute vraisemblance pas être prouvée comme consistante si on la comprend comme une conception d’ensemble. Même si l’on se limite au projet marxien d’une critique de l’économie politique et qu’on ne prend pas en compte les écrits de jeunesse de Marx, on ne pourra probablement pas éviter cette conséquence, car il est plus que douteux que les textes qui nous ont été transmis sur ce projet et qui, à l’exception des extraits de Marx qui vont avec, se trouvent à présent édités dans leur intégralité dans la deuxième section de la MEGA, représentent une théorie consistante. Les raisons qui accréditent l’hypothèse que, à partir du milieu des années 1850 et jusqu’à sa mort, Marx a modifié la conception de sa critique de l’économie politique à de multiples reprises et d’une manière incompatible les unes avec les autres, sont détaillées par Michael Heinrich et ont, je le pense, sans aucun doute été bien dégagées. Voir M. Heinrich, « Entstehungs- und Auflösungsgeschichte des Marxschen “Kapital” », Kapital und Kritik, W. Bonefeld et M. Heinrich dir., Hambourg, VSA, 2011, p. 155-193.

    25 La tentative visant à découpler complètement la conception de l’être générique objectif de la conception de l’aliénation est en revanche condamnée à l’échec. En raison de la forme spécifique du modèle d’objectivation de l’agir, que Marx applique également à la réalisation de l’essence au sein du paradigme sujet-objet, l’appropriation de l’être propre ne peut se dérouler que par les étapes de l’extériorisation et de l’aliénation.

    Auteurs

    Michael Quante

    Professeur de philosophie pratique à la Westfälische Wilhelms-Universität de Münster. Ses domaines de recherche sont l’idéalisme allemand (en particulier Hegel et Marx), la philosophie de la personne, la théorie de l’action et l’éthique. Il est l’auteur de : Le concept hégélien de l’action, A. P. Olivier trad., Presses universitaires de Rennes, 2012 ; Spirit’s Actuality, Paderborn, Mentis / Brill, 2018 ; Der unversöhnte Marx, Münster, Mentis, 2018.

    Alexandre Léger (trad.)

    Agrégé d’allemand, ses thèmes de recherche portent sur l’œuvre d’Axel Honneth, en particulier sous l’angle du travail, ainsi que sur Karl Marx. Son mémoire de master en études germaniques à l’université de Nantes est intitulé Les Marx de Honneth. Il a participé en 2016 à une master class avec Axel Honneth à Lucerne sur le thème « Towards a Critical Theory of markets ».

    Alain Patrick Olivier (trad.)

    Professeur de philosophie à l’université de Nantes. Ses domaines de spécialités sont la philosophie allemande, la philosophie de l’éducation, la philosophie de l’art. Il a édité (avec A. Gethmann-Siefert) les Vorlesungen zur Ästhetik. Vorlesungsmitschrift Adolf Heimann (1828-1829) de G. W. F. Hegel, Munich, Fink, 2017 ; dirigé (avec M. Roudaut) la traduction de La « reconnaissance » comme principe de la Théorie critique de Hans-Christoph Schmidt am Busch, Lyon, ENS Éditions, 2015. Il a publié « Théorie de l’éducation et philosophie politique selon Axel Honneth », Penser l’éducation, no 35, 2014.

    Maiwenn Roudaut (trad.)

    Maîtresse de conférences en histoire des idées allemandes à l’université de Nantes, membre du Centre de recherches Identités, Nations, Interculturalité (CRINI EA 1162). Ses domaines de recherches sont la philosophie des Lumières (Aufklärung) ainsi que la Théorie critique. Elle est l’auteure de l’ouvrage Tolérance et reconnaissance en débat. Des Lumières allemandes à l’École de Francfort, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2015, et dirige actuellement un séminaire de recherches consacré à la traduction des notes de Karl Marx sur James Mill à la MSH Ange Guépin de Nantes.

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    1 K. Marx, Le Capital. Livres 2 et 3, trad. M. Rubel, Paris, Gallimard, 1968, note p. 1090.

    2 J’ai proposé une explication détaillée de la conception marxienne de l’aliénation dans « Kommentar », p. 247-262, dans Ökonomisch-Philosophische Manuskripte. Studienausgabe mit Kommentar, K. Marx, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2009, p. 209-410.

    3 Voir plus en détail M. Quante, « After Hegel. The realization of philosophy through action », Routledge Companion to 19th Century Philosophy, D. Moyar dir., Londres, Routledge, 2010, p. 197-237.

    4 Voir M. Quante, « Kommentar », art. cité, p. 263 et suiv. C’est surtout pendant la rédaction de sa thèse que Marx s’est confronté en détail à la philosophie hégélienne de la nature ; il était donc certainement conscient du lien intrinsèque qui l’unissait à sa propre pensée.

    5 Voir M. Quante, Die Wirklichkeit des Geistes, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2011, chap. 12, et D. Schweikard, Der Mythos des Singulären. Eine Untersuchung der Struktur kollektiven Handelns, Paderborn, Mentis, 2011.

    6 Ce jugement axiologique résulte de la perspective du philosophe et ne doit pas inévitablement correspondre aux valeurs des individus impliqués eux-mêmes. Dans des conditions sociales déterminées, il apparaîtra à l’individu que ces dimensions, qui possèdent une valeur intrinsèque et qui sont constitutives de l’être générique humain, ont simplement une grande valeur au niveau instrumental. Si je ne m’abuse, cela constitue une application de l’inversion du but et du moyen, centrale pour l’aliénation.

    7 K. Marx, Manuscrits économico-philosophiques de 1844, trad. F. Fischbach, Paris, Vrin, 2007, p. 166.

    8 Ibid., p. 194 (trad. modifiée).

    9 Si l’on est prêt à comprendre l’expression marxienne de l’« affirmation » sans connotation évaluative, on peut également interpréter son essentialisme comme un essentialisme historico-philosophique ou comme un naturalisme scientiste. Tirer de l’essentialisme une normativité substantielle pour la philosophie pratique n’est par conséquent pas logiquement contraignant. Pourtant, eu égard à la construction d’ensemble de la philosophie marxienne, cela me semble pouvoir être bien fondé et, de manière systématique, essentiellement plus attractif que ces possibilités de reconstruction alternatives.

    10 Voir M. Quante, « Bevölkerungsgesundheitsgerechtigkeit? Eine unzeitgemäße Betrachung », Leben – Wissen – Ethik, J. S. Ach, B. Lüttenberg et M. Quante dir., Münster, Mentis, 2014, p. 247-257.

    11 Voir M. Quante, « Pragmatistische Anthropologie und Ethik in Anwendung: eine philosophische Skizze », Anthropologie und Ethik, J.-C. Heilinger et J. Nida-Rümelin dir., Berlin, De Gruyter, 2015, p. 37-58.

    12 Comme le dirait Marx : « Ils ne le savent pas, mais ils le font ! »

    13 Voir M. Quante, « Bevölkerungsgesundheitsgerechtigkeit? Eine unzeitgemäße Betrachung », art. cité ; A. Vieth et M. Quante, « Chimäre Mensch? », Die menschliche Natur, K. Bayertz dir., Paderborn, Mentis, 2005, p. 192-218, ainsi que S. Derpmann et M. Quante, « Money for blood and markets for blood », Healthcare Ethics Committee Forum, no 27, 2015, p. 331-345.

    14 Pour un essai visant à rendre fécondes ces réflexions sur le plan de l’évaluation éthique de la commercialisation de la transplantation médicale, voir M. Quante, « My body, my ware-house? », Acta Universitatis Lodziensis. Folia Philosophica, no 21, 2008, p. 59-74.

    15 Si l’on pense surtout que beaucoup d’auteurs en droit ou en économie interprètent l’expression quotidienne « mon corps » comme un cas de relation de propriété (au sens de la propriété privée), on pourrait se contenter de déplorer cette absence d’imagination au niveau du langage. Mais il peut également nous venir à l’esprit la remarque faite par Marx, reprenant implicitement Moses Hess, selon laquelle le capitalisme réduit tous nos rapports humains au monde, à la société et à soi à de la possession.

    16 Sur la première phase de la querelle au sujet de la Question juive, tournant autour de ces conceptions, voir plus en détail M. Quante, « Bruno Bauer, Karl Grün und Karl Marx zur Emanzipation der Juden », Kunst—Religion—Politik, A. P. Olivier et E. Weisser-Lohmann dir., Munich, Fink, 2013, p. 321-336.

    17 Voir sur ce point mes réflexions dans M. Quante, « Bruno Bauer, Karl Grün und Karl Marx zur Emanzipation der Juden », art. cité, et « Bevölkerungsgesundheitsgerechtigkeit? Eine unzeitgemäße Betrachung », art. cité.

    18 170 ans après que Marx et Engels ont mis un terme à leur travail sur leur liasse de manuscrits aujourd’hui connus sous le nom de L’idéologie allemande, c’est probablement cette année que sortira enfin la version de cet écrit dans le cadre de la deuxième édition critique de leurs œuvres. La première publication de cet écrit en 1932 ne devint pas seulement, dans l’histoire de la réception, le manuscrit fondateur du matérialisme dialectique comme vision scientifique du monde, mais se révèle également dans notre perspective actuelle comme l’artefact d’une composition éditoriale guidée par les besoins idéologiques de cette époque.

    19 Voir les articles dans E. Angehrn et G. Lohmann dir., Ethik und Marx, Königstein, Athenäum Hain, 1986, ainsi que dans F. von Magnis, Normative Voraussetzungen im Denken des jungen Marx, Fribourg, Alber, 1975.

    20 D’un point de vue de la philosophie de l’histoire, cette interprétation peut inscrire à son crédit le fait que c’est précisément cette morale déontologique que Hegel a profondément critiquée dans sa Philosophie du droit de 1820. Au plan systématique, elle peut de surcroît s’appuyer sur le fait qu’une telle conception déontologique de la morale possède une forme fortement juridique, si bien que la critique marxienne du droit et sa critique de la morale peuvent être réunies.

    21 Voir plus en détail sur ce point M. Quante, « Kommentar », art. cité, p. 268-275, et « Karl Marx », Oxford Handbook to German 19th Century Philosophy, M. Forster et K. Gjesdal dir., Oxford, Oxford University Press, 2015, p. 149-170.

    22 En 1845, Karl Marx s’est vu lui-même confronté à la critique fondamentale de toute forme d’essentialisme ou de perfectionnisme portée par Max Stirner. Résoudre ce problème n’est pas seulement l’objectif de la critique détaillée de Stirner dans les écrits sur L’idéologie allemande, mais en même temps également, dans sa stratégie théorique, une caractéristique décisive du développement de l’anthropologie philosophique des Manuscrits de 1844 jusqu’aux réflexions de Marx et Engels dans les deux années suivantes, résumées dans ce qu’on appelle le « chapitre sur Feuerbach ».

    23 Voir à ce sujet D. Düber, Selbstbestimmung und das gute Leben im demokratischen Staat. Der Paternalismus-Einwand gegen den Perfektionismus, Münster, Mentis, 2016.

    24 C’est de toute façon le prix qu’il faut payer puisque, comme je l’ai déjà admis dans cet article, l’œuvre marxienne ne peut selon toute vraisemblance pas être prouvée comme consistante si on la comprend comme une conception d’ensemble. Même si l’on se limite au projet marxien d’une critique de l’économie politique et qu’on ne prend pas en compte les écrits de jeunesse de Marx, on ne pourra probablement pas éviter cette conséquence, car il est plus que douteux que les textes qui nous ont été transmis sur ce projet et qui, à l’exception des extraits de Marx qui vont avec, se trouvent à présent édités dans leur intégralité dans la deuxième section de la MEGA, représentent une théorie consistante. Les raisons qui accréditent l’hypothèse que, à partir du milieu des années 1850 et jusqu’à sa mort, Marx a modifié la conception de sa critique de l’économie politique à de multiples reprises et d’une manière incompatible les unes avec les autres, sont détaillées par Michael Heinrich et ont, je le pense, sans aucun doute été bien dégagées. Voir M. Heinrich, « Entstehungs- und Auflösungsgeschichte des Marxschen “Kapital” », Kapital und Kritik, W. Bonefeld et M. Heinrich dir., Hambourg, VSA, 2011, p. 155-193.

    25 La tentative visant à découpler complètement la conception de l’être générique objectif de la conception de l’aliénation est en revanche condamnée à l’échec. En raison de la forme spécifique du modèle d’objectivation de l’agir, que Marx applique également à la réalisation de l’essence au sein du paradigme sujet-objet, l’appropriation de l’être propre ne peut se dérouler que par les étapes de l’extériorisation et de l’aliénation.

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    Quante, M. (2019). L’être générique objectif (A. Léger, A. P. Olivier, & M. Roudaut, trad.). In A. P. Olivier, M. Roudaut, & H.-C. Schmidt am Busch (éds.), Nouvelles perspectives pour la reconnaissance (1‑). ENS Éditions. https://doi.org/10.4000/books.enseditions.13437
    Quante, Michael. « L’être générique objectif ». In Nouvelles perspectives pour la reconnaissance, édité par Alain Patrick Olivier, Maiwenn Roudaut, et Hans-Christoph Schmidt am Busch, traduit par Alexandre Léger, Alain Patrick Olivier, et Maiwenn Roudaut. Lyon: ENS Éditions, 2019. https://doi.org/10.4000/books.enseditions.13437.
    Quante, Michael. « L’être générique objectif ». Nouvelles perspectives pour la reconnaissance, édité par Alain Patrick Olivier et al., traduit par Alexandre Léger et al., ENS Éditions, 2019, https://doi.org/10.4000/books.enseditions.13437.

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    Olivier, A. P., Roudaut, M., & Schmidt am Busch, H.-C. (éds.). (2019). Nouvelles perspectives pour la reconnaissance (1‑). ENS Éditions. https://doi.org/10.4000/books.enseditions.13359
    Olivier, Alain Patrick, Maiwenn Roudaut, et Hans-Christoph Schmidt am Busch, éd. Nouvelles perspectives pour la reconnaissance. Lyon: ENS Éditions, 2019. https://doi.org/10.4000/books.enseditions.13359.
    Olivier, Alain Patrick, et al., éditeurs. Nouvelles perspectives pour la reconnaissance. ENS Éditions, 2019, https://doi.org/10.4000/books.enseditions.13359.
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