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Des champs aux cuisines

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Margot Beal

Chapitre 5

Travailler chez autrui : la domiciliation au risque de l’exploitation (2)

Texte intégral

Domiciliation et charge de travail

  • 1  Pothiti Hantzaroula, The Making of Subordination, Domestic Servants in Greece, 1920-1945, thèse de (...)
  • 2  Henri Richard, Du louage de services domestiques, ouvr. cité.

1En plus d’un travail sexuel (imposé ou non), la domesticité est synonyme d’un travail agricole et ménager considérable. Toute la littérature historique et sociologique s’accorde sur le caractère chronophage et éprouvant du travail. Pothiti Hantzaroula précise que la domiciliation chez l’employeur alourdit cette charge de travail, puisqu’elle entraîne une disponibilité totale des corps des domestiques, intégralement mis au service du ménage employeur1. Aucune disposition légale n’encadre la durée du travail des domestiques au xixe siècle2.

  • 3  L’eau courante arrive à Lyon en 1856, et beaucoup plus tardivement dans la plupart des autres comm (...)
  • 4  Annick Tillier, Des criminelles au village : femmes infanticides en Bretagne, 1825-1865, Rennes, P (...)
  • 5  Déposition de Félicie Sauve du 4 décembre 1900, Affaire M. V. et al., 2U641, ADR.

2Les domestiques sont levé.es en premier, couché.es en dernier sur l’ensemble de la période 1840-1940. Dans les exploitations agricoles, dès 4 heures du matin il faut s’occuper des bêtes, partir faire les marchés. En été, tant que le jour le permet, le personnel travaille en continu, avec de brèves pauses pour les repas pris dans les champs. En ville, le lever se fait aussi avant 7 heures, y compris le dimanche : il faut s’habiller puis allumer le feu et aller chercher l’eau3 avant le lever des employeur.es. Le soir est occupé par le tissage en morte-saison4, ou se passe à attendre ou à accompagner (pour les cochers) les patron.nes de sortie. Les domestiques expriment leur fatigue : en 1900, Félicie Sauve, domestique de 20 ans, attribue sa fausse couche aux « fatigues inhérentes à [s]on métier » et décrit son état maladif de manière fataliste : « […] je ne pourrais m’en débarrasser que par le repos, ce qui n’est pas possible dans notre métier. »5

  • 6  Compte-rendu du juge d’instruction, 1851, Affaire V. C., BB20 154/2, AN. Valérie Calut croit pouvo (...)
  • 7  Déposition de Suzanne Félix du 30 août 1869, Affaire M. N., 4U176, ADL.

3Outre cette amplitude horaire, la domiciliation permet une gestion flexible de la main-d’œuvre puisque les domestiques sont toujours présent.es. Ainsi, les membres d’une même famille se « partagent » leurs domestiques dans certaines circonstances. Lors des fêtes de famille, les riches mettent en commun leur domesticité : en 1851 à Lyon, Valérie Calut, domestique des époux Chambaud, participe au service du dîner donné par leur parent M. Juibert, rentier, occasion pendant laquelle « plusieurs des domestiques des convives avaient accompagné leurs maîtres pour aider au service »6. Cette pratique économise au patronat la rémunération de travailleurs et travailleuses en « extra ». Ce modèle n’est pas limité aux plus aisé.es. En milieu agricole les pics d’activités (lors des récoltes) nécessitent des bras supplémentaires : avant d’engager des journaliers et journalières, les employeur.es « recrutent » les domestiques de leurs proches. Suzanne Félix, domestique, est enfin chargée de la formation de la nouvelle employée de la mère de son patron : puisque Maria Nonla ne connaît pas Roanne, il faut par exemple que Suzanne l’emmène au marché, ce qui la retarde7.

  • 8  Marie-Victoire Louis, Le droit de cuissage, ouvr. cité, p. 82.
  • 9  Michel Crozier, « De la bureaucratie comme système d’organisation », Archives européennes de socio (...)
  • 10  Annie Dussuet, Logiques domestiques. Essai sur les représentations du travail domestique chez les (...)

4En ce qui concerne les tâches à réaliser, la domiciliation joue également un rôle important : elle permet d’associer les domestiques à la quasi-totalité de la production domestique. Si les femmes ouvrières sont parfois elles aussi chargées de nettoyer leurs ateliers jusqu’au début du xxe siècle8, leurs processus de travail sont nettement délimités. Dans la domesticité, le contenu du travail, les prestations attendues sont rarement explicites. Un rapport de pouvoir s’instaure dès lors sur la division du travail à accomplir au sein du ménage et la délimitation des tâches devient un enjeu crucial. Pour les employeur.es de domestiques, l’absence de définition précise permet une grande flexibilité de leurs exigences, d’autant plus que les travailleurs et travailleuses sont à demeure. Le patronat est libre de demander à son personnel d’exécuter ce que précisément lui ne veut pas faire, et cette définition peut fluctuer dans le temps. Ce flou délibéré peut prendre des formes analogues aux « zones d’incertitudes » analysées par Michel Crozier, où le manque organisé d’informations est un outil de contrôle9. Encore aujourd’hui, les statisticien.nes et les travailleuses elles-mêmes ont du mal à évaluer le temps de ce travail10.

  • 11  Anne Martin-Fugier, La place des bonnes, ouvr. cité.
  • 12  Christelle Avril, « Le travail des aides à domicile pour personnages âgées. Contraintes et savoir- (...)

5Parce que la charge de travail des domestiques a déjà fait l’objet d’une production scientifique11, nous ne nous attarderons pas sur ces différentes tâches. Elles sont extrêmement variées (ménage, lessive, production de conserve, de nourriture, travail agricole, travail d’élevage, soins aux enfants, réparation de linge et d’outils…) et ont un impact socio-économique, mais aussi psychologique, et parfois sexuel, considérable pour les ménages employeurs. Les « contraintes relationnelles »12 – propres au travail du soin et renforcées par son exécution à domicile – font l’objet d’une analyse plus loin.

  • 13  Carolyn Steedman, Labours Lost, ouvr. cité, p. 228 et suiv.
  • 14  Fanny Faÿ-Sallois, Les nourrices à Paris, ouvr. cité, p. 123.
  • 15  Yvonne Cretté-Breton, Mémoires d’une bonne, ouvr. cité, p. 75.

6La charge de travail des domestiques varie suivant la vie familiale des ménages employeurs, leur type d’habitat et l’implication des membres du ménage, de leur appartenance genrée et de leur âge. Les enfants constituent une charge de travail considérable dans tous les milieux sociaux : Carolyn Steedman met en évidence pour l’Angleterre du premier xixe siècle la manière dont les domestiques essayent d’éviter les familles avec de jeunes enfants (soins constants et pleurs ajoutent un stress supplémentaire)13. Les nourrices assurent une disponibilité permanente, font fi des douleurs liées à l’allaitement et à la séparation de leur propre famille14. Dans les ménages employeurs sûrs de leur réussite sociale, les enfants peuvent se révéler insupportables d’arrogance15.

  • 16  Recensements 6MP279-6MP283, ADR : 86 femmes (et 18 hommes) travaillent pour des ménages ayant au m (...)
  • 17  Journal d’Henry Morel-Journel, entrée du 5 janvier 1932, t. 1, p. 47, 1 II 78, Archives municipale (...)
  • 18  Ibid., p. 31.
  • 19  Yvonne Cretté-Breton, Mémoires d’une bonne, ouvr. cité, p. 128.

7Les recensements soulignent que les femmes sont particulièrement mobilisées avec les enfants : alors que dans l’ensemble de l’échantillon lyonnais de 1876 les femmes représentent 77 % des domestiques, elles sont 82,7 % à être employées dans des ménages où il y a au moins deux enfants de moins de 15 ans16. Les archives judiciaires, elles, montrent que les pleurs des enfants sont plus remarqués par les femmes domestiques, qui sont les premières à tenter de les apaiser, en plus de leur charge de travail habituelle. Les soins aux enfants ne s’arrêtent pas à l’adolescence : les femmes de chambre servent d’escortes aux jeunes femmes lors de leurs sorties, parfois même après leur mariage pour les rigides bourgeois lyonnais17. Par ailleurs, n’oublions pas les soins physiques et émotionnels aux personnes malades ou mourantes (paroles rassurantes, linges à nettoyer, veillées nocturnes s’ajoutant au travail de journée)18. S’ajoute aussi la pénibilité spécifique de la prise en charge des personnes en situation de handicap pour des domestiques non formé.es19. Les recensements montrent que, entre 1851 et 1936, les domestiques et particulièrement les femmes ne sont pas toujours en mesure d’éviter ni les ménages avec des nouveau-nés, ni les familles nombreuses, nécessitant forcément plus de travail.

  • 20  Anne-Marie Sohn, Chrysalides : femmes dans la vie privée (xixe-xxe siècles), Paris, Publications d (...)
  • 21  Ibid., p. 202.
  • 22  Déposition de Louise Lamure du 25 septembre 1876, Affaire A. C., 2U366, ADR.
  • 23  Rapport de l’inspectrice Mme Golcz du 7 février 1931, 7M152, ADL.
  • 24  De façon assez révélatrice sur le fonctionnement du comité d’aide et de protection des femmes immi (...)
  • 25  Rapport de l’inspectrice Mme Golcz du 27 mars 1931 (daté de manière erronée en 1930), ibid.
  • 26  Rapport de l’inspectrice Mme Golcz du 29 novembre 1930, ibid.

8La taille de l’habitation et son équipement pèsent sur la quantité de travail ménager20. Les sols instables (peu de planchers ou de carrelage avant 1914) et un matériel de nettoyage rustique compliquent la tâche, de même que les nombreux va-et-vient entre l’intérieur et l’extérieur en milieu rural21. Les domestiques de ferme doivent également laver – même de manière sommaire – les espaces dévolus aux animaux, et entretenir l’outillage, participer aux récoltes, ce qui signifie déplacer de grandes quantités d’eau, de foin, de fumier. Adeline Carlet, domestique de ferme au milieu des années 1870, est à la fois chargée de mener paître le bétail, de traire les vaches, de faire les fromages et de faire la vaisselle, tout en participant au battage du blé en septembre22. La lessive, et donc le transport d’eau et de linge mouillé, est dévolue aux domestiques. Dans la Loire existent toujours dans les années 1930 des employeur.es particulièrement exigeant.es, comme les Vially, de Marclopt (plaine du Forez). Le père, Jean Vially, emploie une travailleuse polonaise, Jussyna Demuss. Mme Golcz constate que cette dernière est « chargée de travail pour deux personnes au moins » et qu’elle travaille « tous les après-midi des dimanches »23. Pierre Vially, le fils, emploie de son côté une autre travailleuse polonaise, Pauline Hubacz24, tout autant débordée de travail, y compris le dimanche25. Les Vially ne sont pas les seul.es employeur.es ligérien.nes à se montrer particulièrement exigeant.es sur la quantité de travail demandée : la même année, M. Mainaud continue de faire faire de longues et pesantes lessives au ruisseau des environs et d’éreintants lavages de parquet à son employée enceinte Mme Misiak26.

  • 27  Pour les détails concernant ces chiffres, nous renvoyons à notre thèse.

9Évaluer cette charge de travail paraît complexe. Il semble qu’elle augmente avec le temps. Dans nos échantillons, nous avons donc déterminé le ratio « nombre de personnes dans le ménage employeur » / « nombre de domestiques ». Chaque domestique doit assurer l’entretien de 2,83 personnes en 1851, et ce chiffre présente une remarquable stabilité jusqu’aux années 1890. Ensuite, il augmente plus rapidement : dans la première moitié du xxe siècle, chaque domestique entretient plus de trois personnes (jusqu’à 3,33 en 1936)27. Ces chiffres ne donnent toutefois qu’une impression sur un aspect spécifique (l’entretien des personnes). Une réelle mesure chiffrée et historique du travail domestique et des profits qu’il génère reste encore à mener.

Les bénéfices patronaux

10La question de bénéfices réalisés par les employeur.es de domestiques est souvent évacuée des études historiques sur la domesticité. Seules les épouses sont considérées comme profitant de la présence d’une « employée de maison ». Or selon nous, les gains économiques patronaux sont surtout masculins, et en partie liés à la domiciliation des domestiques.

  • 28  Les employeur.es de domestiques se comportent comme ces maris qui, selon Christine Delphy, s’appro (...)
  • 29  Michel Foucault, Surveiller et punir : naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 161.
  • 30  Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, ouvr. cité, p. 276.

11Pour le patronat, il ne s’agit pas uniquement d’avoir une maison d’une propreté parfaite à chaque instant, mais plutôt d’aménager, suivant les circonstances, le contenu du travail, allant de l’aide directe à la production à l’entretien du patrimoine mobilier et immobilier et à celui du réseau social (réceptions, stratégies de distinction, par exemple). En cela, les employeur.es bénéficient d’une arme de poids : ils et elles fixent seul.es les prestations attendues28. Comme le montre Michel Foucault, la disciplinarisation dans ce sens ne correspond donc pas réellement à un abrutissement par le travail mais à une volonté de maximiser le rapport « docilité-utilité »29. Au milieu du xixe siècle s’affinent des logiques de mise au travail des domestiques liées à un sens du « bénéfice » et de l’optimisation du rapport « docilité-utilité ». Une fois l’embauche réalisée, les employeur.es ont à cœur d’attribuer en priorité à leurs employé.es le travail qu’ils et elles ne souhaitent pas réaliser eux-mêmes ou elles-mêmes. Alléger son travail personnel est un objectif fondamental pour la majorité des riches30.

12Prenons l’exemple de Maria Barios, domestique de 45 ans dans les années 1860. Elle est l’unique domestique du couple Busson, sans enfant, tenant un commerce de « fantaisies » à Roanne (Loire). Originaire du Puy-de-Dôme, Maria Barios possède une longue expérience. Son arrestation et son procès pour vol domestique en 1863 nous permettent de connaître la manière dont s’organisent les liens entre domiciliation, production domestique et production marchande au sein de ce ménage. Le commerce est situé dans le même bâtiment que les pièces d’habitation : l’effet du travail « à demeure » s’avère ainsi particulièrement visible. Son patron, M. Busson, emploie également Louis Monnery, un commis, pour tenir son magasin, mais lui, contrairement à Maria Barios, ne dort pas sur son lieu de travail. Il décrit ainsi le fonctionnement habituel de la maison :

  • 31  Déposition de Louis Monnery du 13 mai 1863, Affaire M. B., 4U163, ADL.

Je ne couche pas dans la maison Busson, mes heures d’entrée au magasin, sont, suivant la saison, de 6h, 7h, 7h30 du matin même en hiver je trouvais le magasin ouvert par Marie qui était déjà revenue disait-elle de la messe où elle avait coutume d’aller. Pour l’ordinaire, M et Mme Busson ne descendaient que vers 8h 8h30.31

13C’est en effet la domestique qui ouvre le magasin et s’assure que tout est en place avant l’arrivée du commis, qui peut ainsi recevoir clientes et clients dès son arrivée, perspective qui laisse une heure de repos supplémentaire aux époux Busson sans diminuer le potentiel chiffre d’affaires de l’établissement. De même, M. Busson n’a pas à rémunérer Louis Monnery pour cette tâche pourtant « commerciale ». Les Busson préfèrent ajouter au travail domestique une tâche supplémentaire, l’ouverture du magasin, plutôt que de l’inclure dans le poste de leur commis. Ainsi, Maria Barios, qui probablement nettoie le magasin et ses vitrines, participe directement à l’activité rémunératrice de ses employeur.es.

  • 32  Evelyn Nakano-Glenn, « From servitude to service work », art. cité, p. 2.

14Le travail domestique ne joue pas le rôle d’une simple « reconstitution », d’une « reproduction » de la force des travailleurs et travailleuses, mais il est partie prenante du dispositif marchand, intégré à lui directement ou dans la substitution qu’il permet (activités génératrices de numéraire à la place du nettoyage de la maison, par exemple). Sans Maria Barios, les revenus du ménage seraient amoindris. Dans la mesure où ils et elles ne réalisent pas des tâches dévalorisées sur le plan monétaire, patrons et patronnes peuvent se consacrer à un travail plus rémunérateur, pouvant ainsi asseoir leur domination sociale en continuant de gagner plus d’argent que leurs employé.es32.

  • 33  Déposition de Jean-Baptiste Busson du 15 avril 1863, Affaire M. B., 4U163, ADL.
  • 34  Déposition de Joseph Rignard du 17 janvier 1936, Affaire M. M., 2U881, ADR.
  • 35  Lettre de Paul Eymard à Charles Eymard du 13 janvier 1910, citée par Catherine Pellissier, La vie (...)

15La continuité du travail domestique est importante également : M. Busson explique ainsi que son employée Maria Barios est libre de sortir le dimanche, à la condition qu’elle rentre à temps pour préparer le repas du soir33. Des situations similaires perdurent encore dans les années 1930. Domestique de ferme, Joseph Rignard est libre le dimanche seulement après les soins aux animaux : « Tous les dimanches vers 9h, après le pansage, j’allais chez moi dans l’Ain et je rentrais le soir vers les 5h. »34 Ce type de dispositif qui circonscrit le repos des employé.es aux tâches à réaliser illustre la nécessité permanente du travail ménager. La bourgeoisie s’angoisse de devoir elle-même réaliser certaines tâches : « Nos deux bonnes s’absentent simultanément à partir de demain : Marie pour la messe anniversaire de la mort de son père, Maria pour le mariage de son frère. Naturellement, on ne nous a pas demandé si ces absences étaient à notre convenance ! » écrit le riche Paul Eymard en 191035. Intervenant un dimanche, jour de parade, de retrouvailles familiales et donc moment de représentations cruciales pour sa sérénité socio-économique, le départ conjoint des domestiques fait craindre à Eymard de devoir s’atteler lui-même à certaines tâches ou recourir à des dépenses supplémentaires (l’embauche d’« extras »).

  • 36  Déposition de Jean Perrot du 28 mars 1856, Affaire C. R., 2U235, ADR.
  • 37  Déposition de Marie Rabillaud du 30 juillet 1901, Affaire E. D., 2U650, ADR.

16L’enjeu économique est encore d’autant plus évident en milieu agricole et commerçant qu’il permet parfois – de manière temporaire – une transgression des lignes de classe. Il arrive que des employeur.es réalisent des opérations « normalement » dévolues aux employé.es, en l’absence de domestiques : Perrot, cultivateur de 31 ans à Feyzin (Rhône), déclare en mars 1856 : « Depuis le mois d’avril de l’année dernière, mon père n’ayant plus de garçon domestique, je couche dans l’écurie de nos bestiaux. »36 Ces pratiques révèlent, par rapport à la domiciliation, que le choix de l’espace de repos et de sommeil nocturne est dicté par les impératifs de l’élevage et non pas par le seul statut social de la main-d’œuvre. Cette adaptabilité des patron.nes ne signifie pas que chacun.e ne connaît pas précisément sa place dans les rapports sociaux, mais témoigne de la prédominance des enjeux économiques. Ainsi, les domestiques de café travaillent tous les jours, le dimanche permettant des recettes importantes37. Au milieu des années 1930, quelques progrès sont à constater : les employeur.es libèrent quelques heures l’après-midi du dimanche, notamment dans les fermes.

  • 38  Geneviève Fraisse, Femmes toutes mains : essai sur le service domestique, Paris, Seuil, 1979, p. 6 (...)

17Dans quelle mesure peut-on substituer un.e domestique à un.e parent.e ? Les épouses et filles sont-elles les bénéficiaires de l’embauche de domestiques, comme le suggèrent, entre autres, Geneviève Fraisse ou Phyllis Palmer38 ? Avoir des domestiques paraît a priori soulager les autres femmes du foyer. Pour autant, plutôt que de se substituer l’un à l’autre, le travail des épouses et celui des employé.es sont souvent conjointement nécessaires pour le ménage. L’emploi d’un.e domestique intervient souvent lorsque l’épouse participe déjà directement à l’arrivée d’argent dans le foyer (agricultrice, commerçante…).

  • 39  En 1876, sur 1396 personnes servies par des domestiques dont nous connaissons le genre parmi nos é (...)
  • 40  Colette Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir, ouvr. cité, p. 35.
  • 41  Voir notre thèse.
  • 42  L’opposition entre femmes de classes sociales différentes, la domestique et la patronne, pour obte (...)
  • 43  Carolyn Steedman insiste sur le rôle des domestiques qui fournissent aux patronnes un sujet de pla (...)

18Surtout, les maris et les fils tirent de la présence de domestiques au sein de leur foyer un avantage matériel et immatériel plus important que les épouses. Parmi le patronat domestique, les hommes sont constamment surreprésentés sur la période 1851-1936, ce qui met en avant leur plus grand intérêt à embaucher des domestiques que leurs paires de classe femmes39. Par ailleurs, les hommes mariés ordonnent les ressources économiques des foyers : ils gèrent la présence (ou l’absence) de domesticité à leur avantage. Jusqu’en 1907, les femmes mariées ne disposent pas du contrôle sur leurs revenus40. L’argent qui provient de leur production appartient aux époux, ces derniers sont donc les décideurs en dernier ressort. Au sein des classes moyennes, ils embauchent ou licencient leur personnel principalement à l’issue d’un calcul rationnel, en payant des gages inférieurs aux richesses générées par l’emploi de leur épouse : agricultrice, tenancière d’un commerce, ou même ouvrière à domicile. En plus de ce profit économique, maris et fils bénéficient d’une disponibilité physique, émotionnelle et sexuelle accrue de leur épouse, mère ou sœur, moins harassée de travail ménager ou ne pouvant plus arguer de cette fatigue spécifique pour refuser cette disponibilité (lorsqu’elle n’aurait pas envie de l’accorder). Les recensements montrent que les hommes seuls, à niveau de revenu similaire, embauchent plus de domestiques que les femmes seules. Les ménages bourgeois ont tendance à employer plus de domestiques lorsqu’ils ont plus de garçons que de filles parmi leur progéniture41. Ainsi, les hommes de la bourgeoisie bénéficient dès leur plus jeune âge de plus de soins que leurs sœurs. Du point de vue des épouses, la présence de domestiques reconnu.es comme « professionnel.les » avec un revenu monétaire peut être à la fois un soulagement, une nouvelle source de pouvoir mais aussi de préoccupations supplémentaires, voire même une menace pour leur mariage42. Le profit économique n’est pas le seul bénéfice retiré par le patronat domestique. Des satisfactions sociales et psychologiques43 émanent aussi de cette position de domination.

  • 44  Pamela Sambrook, The Countryhouse Servant, Strand, Sutton and the National Trust, 1999, p. 69, ou (...)
  • 45  Edward Higgs « Domestic servants and households in Victorian England », Journal of Social History,(...)
  • 46  Elizabeth L. O’Leary, At Beck and Call, ouvr. cité, p. 165 notamment.

19Avoir un.e domestique au milieu du xixe siècle participe de stratégies de distinction sociale. Marquer le statut social inférieur des domestiques pour mieux valoriser les employeur.es peut passer par le port d’uniformes, de livrées comme au xviiie siècle. Ces habitudes, observées pour les grandes familles anglo-saxonnes44, n’apparaissent pas dans nos archives45. L’historiographie s’avère riche sur cet aspect, y compris dans la dimension raciale de ces procédés de distinction46. La domiciliation des employé.es est un dispositif de cette distinction : la taille d’une maison mesure sa réussite.

20Les formules stéréotypées comme « mon maître, ma maîtresse » pour décrire les positions sociales devant les forces de l’ordre montrent une compréhension profonde de l’organisation sociale. Leur non-remplacement, au fil des années, par des termes moins spécifiques comme « patron.ne » et « employé.e » indique une forme de continuité, discursive au moins. En dehors des représentations, la domiciliation de leur main-d’œuvre permet aux patron.nes de déléguer les tâches dont ils et elles ne souhaitent pas s’acquitter personnellement. Ainsi, la préparation de la maison avant le réveil le matin ajoute au prestige d’avoir une domesticité : dans les années 1850, l’accès au repos distingue la bourgeoisie des classes laborieuses. Pour les commerçant.es et les artisan.es, la satisfaction d’être servi.es accompagne la plus-value économique réalisée d’un sentiment de promotion sociale, alors même que leurs loisirs restent aussi limités. Enfin, une autre satisfaction pour le patronat consiste à pouvoir sortir sereinement, puisque en son absence, c’est la domesticité qui doit veiller à la préservation de son bien.

Garder le capital patronal

  • 47  « Le domestique est encore tenu de respecter ses maîtres et de veiller à la protection de leurs bi (...)
  • 48  Jean-Claude Farcy, La jeunesse rurale dans la France du xixe siècle, Paris, Éditions Christian, 20 (...)

21Les domestiques apparaissent en effet comme les premiers gardiens et gardiennes du capital mobilier et immobilier de leurs employeur.es. Les sources employées ici ne sont pas sans influence, puisqu’elles mettent en avant les infractions à la propriété et les cas où la police et la justice sont intervenues. La garde des biens est liée à la coïncidence entre lieu de travail et lieu de vie. Cette dimension du travail domestique apparaît explicitement dans la loi47 et elle est évidente pour les ménages d’employeur.es, qui attribuent souvent ce rôle aux hommes. Leurs sorties sont subordonnées au maintien d’un collègue « de garde »48, qui peut même être armé. Les forces de l’ordre se tournent vers ces hommes pour faire avancer leurs enquêtes : les domestiques fournissent de nombreuses descriptions de voleurs. La solidarité de classe ne fonctionne pas avec les « vagabonds ». Le zèle de certains domestiques à attraper les cambrioleurs s’explique aussi parce qu’ils et elles sont souvent les premiers et premières dépouillé.es, surtout à la campagne. Leurs possessions restent entreposées dans les bâtiments périphériques des fermes, fenils ou écuries, mal fermés, ce qui conduit d’ailleurs les domestiques à mettre au point de véritables stratagèmes pour garder leurs biens. Les exploitant.es ne garantissent pas la sécurité des biens de leurs employé.es (absence de lieux clos) et s’assurent une attention accrue de la part de leurs employé.es, poussant les domestiques à se montrer particulièrement vigilant.es. Puisque domicile des patron.nes et domicile des domestiques coïncident, la défense de leurs propres possessions conduit à protéger la propriété privée de leurs employeur.es.

22Déduire de leur collaboration avec les forces de l’ordre que les domestiques auraient intégré pleinement les valeurs de leurs patron.nes et protégeraient systématiquement leurs propriétés privées au détriment de leurs pair.es moins fortuné.es serait une erreur. Le vol domestique étant passible des assises et donc, en théorie, de la peine de mort, les domestiques témoins d’une soustraction doivent avant tout s’assurer qu’ils et elles ne seront pas poursuivi.es, car ils et elles sont généralement soupçonné.es en premier. Ensuite, si les travailleuses et travailleurs domestiques rapportent bien les vols, les archives judiciaires montrent que, quand ce ne sont pas leurs biens propres qui sont soustraits, les domestiques n’identifient généralement pas les voleurs, donnant des descriptions très vagues. Leurs attitudes sont cependant contrastées : il est difficile de laisser partir un voleur pour ceux et celles qui sont arrivé.es récemment dans un ménage employeur et pour qui les soupçons de malhonnêteté seraient forts.

  • 49  Michel Foucault, Surveiller et punir, ouvr. cité, p. 74.

23Cette fonction de gardiennage, aussi structurée soit-elle, place cependant les employeur.es dans une position de vulnérabilité : de gardiens et gardiennes, les domestiques peuvent aussi vite devenir voleurs et voleuses. La coïncidence entre domiciles des uns et des autres en dépit d’un rapport de classe asymétrique rend la tentation du vol forte pour les domestiques, et la suspicion ou la peur constantes pour les employeur.es. Le vol domestique reste passible de la peine de mort sous le Second Empire, même si depuis une révolte populaire en 1761, elle n’est plus appliquée49. Pour tenter de contrôler ce qui ce passe chez elles, les classes dominantes bâtissent des « murs » à l’intérieur même de leurs maisons en mettant sous clef les biens les plus précieux. Le forçage des serrures et des meubles devient alors un enjeu déterminant des relations entre employeur.es et employé.es, comme le montre le fait que l’effraction constitue une circonstance aggravante.

  • 50  Comptes-rendus des sessions d’assises de 1851 et 1856 de la Loire et du Rhône, BB20 154/2 et BB20 (...)
  • 51  Plusieurs thèses de droit français insistent sur cet aspect, notamment celle de Prosper-Georges-Ma (...)
  • 52  Citons l’exemple de Rose Bigat, une domestique qui est arrivée, aux dires de sa patronne, à subtil (...)
  • 53  Interrogatoire de Marwan du 14 octobre 1869, Affaire M., 4U176, ADL.
  • 54  Déposition de Paul Didier du 20 octobre 1869, Affaire M., ibid.
  • 55  Déposition de Jean Monnier du 21 octobre 1869, Affaire M., ibid.

24Les vols domestiques sont fréquents : en 1851 et 1856, vingt-cinq sont jugés aux assises dans les départements de la Loire et du Rhône (sur 324 affaires)50, soit presque 8 % des dossiers d’assises pour ces années alors même qu’ils ne sont pas toujours poursuivis (ni toujours jugés en assises)51. Les grandes maisons ne s’embarrassent pas à traiter avec la justice, d’autres préfèrent éviter tout scandale : que pourrait dire le ou la domestique incriminé.e ? N’est-ce pas aussi révéler l’échec de ne pas avoir su gérer son personnel ? De nombreuses affaires montrent l’ingéniosité des domestiques, leur dextérité et rapidité d’action, encore que ces cas ne disent rien des plus habiles qui n’ont pas été pris.es52. Nous avons déjà évoqué Marwan qui travaille en 1869 pour Paul Didier, directeur du théâtre de Saint-Étienne53. Lorsqu’il est embauché par Didier, Marwan assiste à la dissimulation d’une forte somme en liquide dans une cassette, fermée par « la clef du piano ». Didier enferme encore à clef cette cassette dans son armoire. Un mois plus tard, alors que Marwan accompagne Didier au théâtre, le domestique doit, lorsque Didier s’éclipse de sa loge, « garder montre et boutons de chemise restés sur la table »54. Marwan s’empare alors de la clef de l’armoire, et retourne à l’appartement de son patron, convainc le propriétaire de lui ouvrir55, dérobe la cassette et s’enfuit jusqu’à Marseille. Il est arrêté le lendemain, en possession de la cassette dans laquelle restent 2948 francs. Marwan se révèle ainsi ambitieux dans son larcin : au lieu de voler montre et boutons, il préfère prendre la clef de l’armoire qui contient la forte somme en liquide (un montant correspondant tout de même à cinq ans de ses gages). Marwan, comme un grand nombre de ses collègues domestiques, est donc parfaitement conscient après quelques semaines de « service » des opportunités de vol qui peuvent s’offrir à lui. En demandant spécifiquement à leurs employé.es de sauvegarder leurs biens, les patron.nes peuvent exposer les faiblesses de leur système de défense.

Domiciliation et vie communautaire des domestiques

  • 56  Déposition de Pierre Carette du 28 décembre 1875, Affaire C. T., 2U361, ADR.
  • 57  Compte-rendu de l’audience du 3 mars 1866, Tribunal de simple police de La Pacaudière, 8U6_49, ADL
  • 58  Jean-Claude Farcy, La jeunesse rurale dans la France du xixe siècle, ouvr. cité, p. 36.

25Cette domiciliation chez le patronat a une influence sur la vie sociale des domestiques. Du côté des hommes, en dehors de lourds horaires de travail et des dimanches « de garde », dormir chez son employeur n’empêche pas de sortir, mais il faut tout de même rentrer de manière à être en état de travailler le lendemain. Ces domestiques hommes semblent surtout à la campagne jouir dès les années 1840 d’une vie sociale riche, menée aux côtés de leurs pairs de classe (journaliers ou petits propriétaires) qu’ils croisent sur les routes, aux champs, dans les cabarets, aux veillées56. Si boire avec un « patron » demeure une exception, les hommes des classes populaires et moyennes sont eux arrêtés ensemble dans des affaires de tapage nocturne et d’ivresse sur la voie publique57. Perçus comme de courageux jeunes hommes aux bras et aux compétences recherchés, les domestiques s’inscrivent dans les sociabilités villageoises ou même urbaines habituelles. Jean-Claude Farcy estime qu’au moins un jeune sur quatre a passé une partie de sa carrière en « service »58 : banale, la domesticité est aussi une période de sociabilisation masculine pour les jeunes hommes, qui se forment, incorporent des normes de travail et des compétences valorisées.

  • 59  Annick Tillier, Des criminelles au village, ouvr. cité, p. 268-271.
  • 60  Celle-ci compte alors 265 habitants : 6MP280, ADR.
  • 61  Philomène Poulot, 20 ans, domestique à Lyon, est chargée en février 1866 d’aller chercher de l’arg (...)
  • 62  Philippe Dujardin et Pierre-Yves Saunier, Lyon (1850-1914). L’âme d’une ville, Lyon, Éditions lyon (...)
  • 63  Voir notre article « “Continuum lesbien” et solidarités féminines : compétences (de) minoritaires (...)

26Du côté des femmes, la sociabilité est plus difficile. Les amples horaires de travail posent des barrières concrètes à la construction d’un réseau social. Les employeur.es contrôlent strictement les allées et venues de leur personnel, pour extraire un maximum de travail. Cette surveillance est renforcée par un discours sur la respectabilité des domestiques, censée rejaillir sur les employeur.es. Une bonne maison est une maison où les membres d’une même famille respectent la morale établie et où leurs employé.es font de même59. Pourtant, les domestiques ne sont pas si « isolées » et « déconsidérées » sur le plan social qu’une certaine historiographie ne le laisse paraître, et en tout cas pas plus que la plupart des jeunes femmes des classes populaires. Des recherches comme celles d’Annick Tillier sur la Bretagne nous montrent le peu d’écart dans les modes de sociabilité des jeunes femmes de classes populaires de différentes professions, notamment entre ouvrières du tissage dans des petits ateliers, domestiques et journalières. Dans nos sources également, le traitement par les forces de l’ordre et le patronat de ces jeunes femmes de diverses professions se révèle similaire. D’après nos échantillons, seul.es 36,4% des domestiques vivent et travaillent au domicile de leurs employeur.es sans qu’il y ait d’autre domestique présent.e en 1851. Les domestiques exerçant dans les centres urbains comme Lyon et Saint-Étienne peuvent compter sur la présence dense de leurs paires au sein des riches enclaves : pas moins de 46 domestiques vivent place d’Ainay en 187660. Par ailleurs, une partie importante de leur travail se déroule en dehors du foyer de leurs employeur.es (ravitaillement et courses diverses sont des occasions de rencontre)61. Les rues des grandes villes sont le théâtre de manifestations publiques (kermesses, défilés…) : Bellecour à Lyon n’appartient pas seulement à la bourgeoisie qui y habite, mais est un lieu de promenade qui attire une population variée62. Cette proximité physique se traduit par conséquent par la naissance d’amitiés et de relations privilégiées entre femmes domestiques, parfois subversives sur le plan du genre et de la sexualité63.

  • 64  Déposition d’Antoine Poncet du 25 septembre 1876, Affaire A. C., 2U366, ADR.
  • 65  Déposition de François Chavanon du 19 mars 1866, Affaire J. M., 2U272, ADR.
  • 66  Déposition de Jean-Pierre Jamet du 29 janvier 1866, Affaire M. J., 4U168, ADL.
  • 67  La domestique Claudine Dourumier a ainsi eu un fils de Mingre, boulanger qui occupait un apparteme (...)

27Les archives judiciaires révèlent également une grande facilité de sociabilité mixte : hommes et femmes d’un même milieu social se côtoient facilement. En ville comme à la campagne, les nombreux déplacements sont l’occasion de raccompagner un.e ami.e, d’entamer un échange entre travailleurs et travailleuses d’employeur.es et de statuts différents. Pour autant, ces interactions restent contraintes par l’abondance du labeur. Les rencontres mixtes paraissent fréquentes à la campagne : en dépit de la répartition genrée du travail, hommes et femmes travaillent côte à côte même en dehors des pics d’activité saisonniers : en 1876, Antoine Poncet, domestique agricole, déclare : « […] je l’ai vue parler à des hommes quand elle était en champ » à propos de son ancienne amante Adeline Carlet, elle aussi domestique64. Plus encore, la coïncidence domicile/travail facilite les contacts entre travailleurs et travailleuses d’une même unité agricole (temps en commun pour les repas, les veillées). Ces interactions prennent souvent un tour romantique ou sexuel : François Chavanon a travaillé pendant huit ans comme domestique chez un agriculteur aux environs de Lyon avant d’épouser sa fille Jeanne65 ; Marie et Jean-Pierre Jamet, cousins et domestiques dans la même ferme de la Loire, reconnaissent aussi des relations sexuelles lorsqu’ils étaient « seuls à la maison »66. Dans les villes petites et moyennes, la domiciliation chez l’employeur.e n’empêche pas les femmes de fréquenter d’autres hommes du même âge et appartenant aussi aux classes populaires67.

28Mais qu’en est-il de l’intimité sexuelle des domestiques ? Les sources dont nous disposons sur ce plan restent limitées : les archives judiciaires disent rarement les relations (hétéro)sexuelles consenties et taisent systématiquement pour les femmes le plaisir que l’on peut y chercher. Ces interactions sont pourtant le plus souvent brèves et peuvent compromettre les femmes : toute grossesse entraîne le renvoi, une réputation compromise signe des difficultés à retrouver du travail et l’infanticide peut conduire à la peine de mort. Les interactions hétérosexuelles peuvent également s’avérer dangereuses pour l’intégrité physique des femmes. En 1850, Dupond, un tonnelier de 30 ans, est acquitté du viol de Marie Julliard, domestique :

  • 68  Compte-rendu de l’affaire F. D., 1850, BB20 150/1, AN.

Marie Julliard, domestique âgée de 19 ans, se trouvant au mois d’août 1850 au bal de la fête patronale de Fleury. Elle y accepta une tasse de café dans une chambre de François D. Elle consentit de plus à se faire raccompagner par celui-ci à 10h du soir chez ses maîtres à plus d’un quart de lieue de Fleury. Deux jeunes gens aperçurent que François D. cherchait à établir un rapport avec Marie Julliard qui faisait résistance. Le lendemain ces deux jeunes gens répandirent le bruit dans le village de sorte que Mariette Julliard qui n’avait rien dit à personne de ce qui lui était arrivé fut ainsi amenée à porter plainte contre François D. Il y eut ce qu’il devait y avoir, acquittement. Marie Julliard disait qu’en moins de 10 min le viol avait été consommé. […] En effet, en général, l’on condamne toujours bien mieux un viol tenté qu’un viol consommé.68

29Pour s’être rendue à un bal, Marie Julliard se retrouve à devoir faire face à une agression sexuelle doublée d’un nouveau stigmate social, sans aucun soutien : les deux témoins de l’agression n’interviennent pas et utilisent ce qu’ils ont vu pour accroître leur capital social en diffusant l’information. Poussée à rendre encore plus publics les faits, Marie Julliard n’est pas même reconnue comme victime par la justice. Si toutes les sorties des femmes domestiques ne se terminent pas de manière tragique, cette affaire souligne que la domiciliation chez des employeur.es habitant loin des structures collectives peut aussi être un facteur de danger. Pourtant, les jeunes femmes domestiques n’hésitent pas à se déplacer, pendant leur travail, mais aussi dans l’intention de changer d’employeur.es, montrant une grande capacité d’agir en ce qui concerne leur mobilité.

La domesticité, passeport pour la mobilité féminine

  • 69  Abel Chatelain, « Migration et domesticité féminine urbaine en France xviiie siècle - xxe siècle » (...)

30La mobilité des domestiques femmes est impressionnante sous le Second Empire69, et elle se maintient jusqu’aux années 1940. N’hésitant pas à parcourir des dizaines de kilomètres à pied ou à prendre le train, des femmes de 17-18 ans quittent facilement des places qui ne leur plaisent pas, ou leur paraissent moins intéressantes qu’ailleurs. Nous y reviendrons. Plus intéressant encore, à une époque où la mobilité des femmes seules reste rare voire suspecte, elle est légitimée par la domesticité comme le montre l’affaire Maria Nonla.

  • 70  « [Elle était] habillée des pieds jusqu’à la tête des vêtements de ma belle-mère ». Déposition de (...)
  • 71  La même année à Saint-Étienne, Marie Bruyère, auteure d’un important vol domestique, justifie ses (...)
  • 72  Déposition de Françoise Digonet du 30 août 1869, Affaire M. N., 4U176, ADL.

31Née au nord de l’Italie, Maria Nonla arrive à Roanne en août 1869. Elle se présente sous l’identité professionnelle de domestique, ce qui lui permet, malgré son absence de papiers, de séjourner à l’auberge puis de trouver une place. Quelques jours après son embauche, Nonla s’empare d’argent et de vêtements appartenant à sa patronne. Elle est arrêtée à la gare, confondue dans sa fuite par le gendre de son employeure, identifiée par son accent en dépit de son déguisement, composé des vêtements dérobés70. Maria Nonla donne de faux noms et « oublie » le nom de ses ex-employeur.es, empêchant les vérifications policières, car il est plus difficile de retrouver des employeur.es domestiques qu’industriels. Elle justifie ses possessions par un héritage familial, une technique répandue71, et se déclare une cuisinière expérimentée, bien que sa patronne comprenne vite que « cette fille ne savait rien faire de bien »72. En réalité, il semble que le statut de domestique lui permet de pénétrer sans effraction au sein des domiciles qu’elle peut dépouiller et justifie ses déplacements. La rapidité et la dextérité avec lesquelles Nonla agit chez sa patronne roannaise (bris à la hache du meuble contenant l’argent, départ de nuit avec un ballot de linge) après moins d’une semaine de travail laissent penser que cette femme n’est pas « domestique » mais bien « voleuse à temps plein ». La cour en semble en tout cas convaincue, la condamnant à cinq ans de prison. Pour les habitant.es de Roanne, il n’est pas rare de voir voyager des femmes domestiques, et leur venir en aide ne pose pas de problème : Nonla se fait aider par l’employé du chemin de fer, par son épouse, par le placeur qui lui trouve un emploi sans papiers. Tout au long des affaires rencontrées, hommes et femmes domestiques quittent régulièrement leurs places dans les fermes ou les foyers où le travail est trop dur, les gages peu élevés et la nourriture impropre et insuffisante. Maria Nonla paraît être une domestique mobile parmi d’autres aux yeux des Roannais.es, suscitant, par sa condition sociale, son genre et la couleur blanche de sa peau, de la sympathie.

Une timide amélioration des conditions de vie au xxe siècle

  • 73  Déposition d’Enrico Tonini du 8 février 1931, Affaire M. B., 2U853, ADR.
  • 74  Déposition de Maurice Pagay du 2 janvier 1931, Affaire J. D., 2U854, ADR.
  • 75  Frédérique El Amrani, Les jeunes filles des milieux ruraux populaires en Anjou, ouvr. cité, p. 21.
  • 76  Voir ibid., notamment p. 265-267 sur la surveillance maternelle des linges tachés par les règles e (...)
  • 77  Ibid., p. 250.
  • 78  Ibid., p. 324.
  • 79  Monique Luirard, La région stéphanoise dans la guerre et dans la paix (1936-1951), Saint-Étienne, (...)
  • 80  Vincent Viet, Histoire des Français venus d’ailleurs de 1850 à nos jours, Paris, Perrin, 2004, p.  (...)

32À partir des années 1920, la mobilité des domestiques blanc.hes est renforcée par un accessoire précieux pour la vie sociale rurale, la bicyclette. Elle fait gagner de précieuses minutes à ceux et celles qui ne disposent que d’un temps libre très réduit, en permettant de rejoindre les ami.es et désenclavent (légèrement) celles et ceux qui vivent dans des zones d’habitats dispersés. Autrement dit, et même sans bicyclette, les distractions des bourgs deviennent plus facilement accessibles. Les témoignages mentionnent très régulièrement des domestiques se rendant aux bals, aux fêtes, aux « vogues » dominicales : Marguerite Buvat serait allée à celle de Samoëns (Savoie)73, Maurice Pagay et Jules Dillurde à celle de Saint-Bel (Rhône)74. Si les semaines continuent d’être rythmées par le dimanche après-midi au café, au cabaret et à l’église locale, d’autres loisirs apparaissent. En ville, le cinéma, peu onéreux, plaît aux classes populaires. Les domestiques participent pleinement à cette nouvelle offre de loisirs progressivement laïcisés et diversifiés75. Si la surveillance parentale, patronale et communautaire paraît continuer de s’exercer avec vigilance surtout à l’égard des filles pubères76, les interactions de groupe sont plus tolérées77 lorsqu’elles se déroulent dans le cadre de la non-mixité proposée par les organisations de jeunesse, ou dans ce que Frédérique El Amrani appelle la sociabilité « péri-ecclésiale »78. Ces dernières constituent un cadre moral et très souvent religieux qui est suffisamment rassurant pour la famille tout en restant attractif pour les jeunes, dans les petits villages comme dans les villes moyennes ou grandes. À Saint-Étienne par exemple, les domestiques peuvent se regrouper au sein d’une confrérie de la paroisse Saint-Charles, en centre-ville (où la domesticité « à la personne » se concentre)79. Des organisations communautaires existent également à destination des étrangères et étrangers, comme pour les travailleurs et travailleuses polonais.es de la Loire l’Opieka Polska qui suscite bien des commentaires xénophobes, des accusations de repli sur soi80.

  • 81  Monique Luirard, La région stéphanoise dans la guerre et dans la paix, ouvr. cité, p. 35.
  • 82  Frédérique El Amrani, Les jeunes filles des milieux ruraux populaires en Anjou, ouvr. cité, p. 180
  • 83  Michel Gervais, Marcel Jollivet et Yves Tavernier, Histoire de la France rurale, t. 4, La fin de l (...)
  • 84  Rapport de l’inspectrice Mme Golcz du 7 février 1931, 7M152, ADL.
  • 85  Union du Sud-Est des syndicats agricoles, Manuel d’éducation ménagère agricole, Lyon, Union du Sud (...)
  • 86  Avec un effondrement des prix agricoles entre 1932 et 1935 : Dominique Brone et Henri Dubief, La c (...)

33En dépit des conditions de vie et de travail qui demeurent difficiles, les domestiques de l’entre-deux-guerres bénéficient d’un confort matériel nouveau, d’abord parce que le monde rural local sort, pour l’essentiel, de la misère après 191881. Les gages annuels des domestiques augmentent, le logement s’améliore. Issu.es de milieux où l’intimité est encore pendant l’entre-deux-guerres un plaisir fugace, où l’on doit dans l’enfance ou adolescence bien souvent partager son lit, les domestiques découvrent avec leurs premiers postes les charmes d’avoir « une chambre à soi »82. Même les valets de ferme goûtent à un confort nouveau. Certes, il subsiste des situations peu reluisantes83, surtout dans les zones de moyenne montagne de la Loire : Jussyna Demuss, travailleuse polonaise, est en 1931 logée « dans une petite pièce non chauffée (une sorte de grenier) »84. Mais les écuries qui étaient réservées jusque-là aux domestiques de ferme ne sont plus considérées comme un logement approprié, y compris par le patronat domestique85. Ces nouveaux acquis ne sont pas remis en cause par la crise économique des années 1930 qui touche aussi la paysannerie86. Par rapport à l’ensemble des domestiques, les pupilles placé.es par l’Assistance publique paraissent à cet égard relativement privilégié.es. Ils et elles bénéficient ainsi dès les années 1920 de conditions de vie supérieures à celles de leurs ancêtres du xixe siècle, mais surtout de la surveillance des directeurs d’agence, qui force en effet les agriculteurs et agricultrices à respecter la loi.

  • 87  Michel Gervais, Marcel Jollivet et Yves Tavernier, Histoire de la France rurale, t. 4, ouvr. cité, (...)
  • 88  Contrats de placement d’H. L. pour 1934, 1935 et 1936, Dossier H. L., 3X1500, ADR.
  • 89  Contrats de placement d’E. K. pour 1934 et 1935, Dossier E. K., ibid.
  • 90  Procès-verbal de gendarmerie du 2 janvier 1931, Affaire J. D., 2U854, ADR.
  • 91  Frédérique El Amrani, Les jeunes filles des milieux ruraux populaires en Anjou, ouvr. cité, p. 459
  • 92  Contrat de placement d’H. K. du 20 février 1936, Dossier H. K., 3X1500, ADR.
  • 93  Contrats de placement d’H. K. des années 1934, 1935 et 1936, Dossier H. K., ibid.
  • 94  Rapport de l’inspectrice Mme Golcz du 29 novembre 1930, 7M152, ADL.

34Autre élément de confort non négligeable : l’amélioration du vestiaire, qui concerne l’ensemble des classes populaires, y compris les domestiques87. Chez les garçons, les sabots s’accompagnent désormais de brodequins et de souliers, de pantoufles pour l’intérieur : huit paires au total sont acquises par le domestique Hubert Lerond entre 1934 et 1937. Cet adolescent achète également huit pantalons, un caleçon, plusieurs vestes et gilets, ainsi que deux chemises. Un chapeau et deux bérets, deux ceintures dont une en flanelle, deux paires de bretelles complètent ses acquisitions. Un essor de la coquetterie masculine transparaît dans le choix des accessoires : une déclinaison en fonction des saisons est appréciée88. Par ailleurs, les domestiques un peu plus âgés, comme Édouard Klanger (né en 1916)89 ou comme Jules Dillurde90, possèdent dès 18-19 ans un, voire deux, costumes complets, avec veston. Pour les femmes, le corset se raréfie91, mais ne disparaît pas : la jeune Hubertine Klanger, pupille de 16 ans gagée dans l’agriculture par l’Assistance publique du Rhône, en achète un en 193692. Les témoins interrogées par Frédérique El Amrani décrivent des tenues plus colorées, des tissus plus variés, surtout pour les jeunes femmes qui travaillent en ville. Entre février 1934 et février 1937, la même Hubertine Klanger s’offre deux robes, un corset, un parapluie, un paletot, une vareuse, un manteau, et même une fourrure et une tenue de tailleur complète, et même plusieurs passages par an chez le coiffeur93. Les jeunes filles des classes populaires trouvent dans l’amélioration de leurs vestiaires un plaisir qui n’est pas socialement réprouvé. Ces améliorations ne sont pas systématiques : Jussyna Demuss, domestique polonaise, n’est pourvue que de minces « habits en toile »94 par Vially, agriculteur pingre et têtu malgré les hivers ligériens rudes et pluvieux.

Conclusion : des interstices d’intimité

35La domiciliation chez leurs employeur.es rend pour les domestiques la construction d’une vie intime délicate, mais pas impossible. Les interstices que constituent la cuisine pour les cuisinières ou les malles sont très étroites mais pleinement investies. L’amplitude horaire considérable qui concerne toute la domesticité au xixe siècle s’explique par l’éventail très large des fonctions attribuées aux travailleurs et travailleuses. Toutes ces réalisations, aussi multiples et variées soient-elles, se font au bénéfice, direct et indirect, des employeur.es. Ces derniers et dernières constituent à cet égard des classes dominantes, même lorsque leur capital n’est pas élevé (fermiers ou petits commerçants). Les profits paraissent substantiels chez les plus riches : les domestiques font économiser des dépenses, permettent le développement de sociabilités d’affaires, entretiennent le patrimoine.

36Dans ces conditions, la mobilité des domestiques est un moyen pour s’assurer des moments de liberté. L’utilisation des sociabilités communautaires facilite la circulation d’informations sur le travail (possibilités d’embauche, réputation des employeur.es). Les hommes jouissent d’une liberté de mouvement supérieure à leurs consœurs, mais les domestiques femmes montrent elles aussi une grande capacité à se déplacer. Mieux, elles n’hésitent pas à utiliser la réputation de volatilité attribuée aux domestiques pour obtenir de l’aide de la part d’autres membres des classes populaires. Si la diversité de leurs attitudes face aux difficultés structurelles qu’elles rencontrent ne permet pas de leur attribuer un caractère uniforme, les domestiques ne sont certainement pas les rustaudes naïves dépeintes par la littérature bourgeoise.

37À partir du xxe siècle, l’augmentation des gages est un facteur important de cet accès nouveau à des biens de consommation un peu moins marqués par l’absolue nécessité. Pour les jeunes filles des classes populaires, l’apparence et la mode deviennent de nouvelles préoccupations. Les besoins essentiels étant assurés, ces jeunes filles peuvent désormais se permettre de tels loisirs. Même les pupilles de l’Assistance publique peuvent espérer un renouvellement de leur modeste garde-robe, qui leur permette de se sentir à l’aise et de montrer fièrement aux bals et aux fêtes leurs beaux atours. L’existence et la popularité d’organisations collectives participent d’un mouvement plus large de politisation, qui dépasse la seule domesticité. L’idée qu’être né.e pauvre condamne à une existence difficile et laborieuse pour assurer sa simple survie est progressivement remplacée par des aspirations à la justice sociale. L’espoir de transformations radicales portées par le Front populaire notamment sape l’idéologie de la domesticité patronale, suivant laquelle certaines personnes sont faites pour servir, d’autres pour être servies et que l’ordre des choses est immuable. Le patronat domestique n’entend cependant pas laisser son personnel s’émanciper de la sorte, et met en place des modes de gestion et de contrôle à la fois anciens et modernisés.

Notes

1  Pothiti Hantzaroula, The Making of Subordination, Domestic Servants in Greece, 1920-1945, thèse de doctorat, Institut universitaire européen de Florence, 2002, p. 254.

2  Henri Richard, Du louage de services domestiques, ouvr. cité.

3  L’eau courante arrive à Lyon en 1856, et beaucoup plus tardivement dans la plupart des autres communes de la Loire et du Rhône : Yvonne et Renaud Parzy, « L’eau courante », Saint-Genis-les-Ollières. xixe et xxe siècles, Saint-Genis-les-Ollières, Ville de Saint-Genis-les-Ollières, 2003.

4  Annick Tillier, Des criminelles au village : femmes infanticides en Bretagne, 1825-1865, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001, p. 158.

5  Déposition de Félicie Sauve du 4 décembre 1900, Affaire M. V. et al., 2U641, ADR.

6  Compte-rendu du juge d’instruction, 1851, Affaire V. C., BB20 154/2, AN. Valérie Calut croit pouvoir bénéficier du grand nombre de convives pour pouvoir subtiliser de l’argenterie, mais elle est démasquée.

7  Déposition de Suzanne Félix du 30 août 1869, Affaire M. N., 4U176, ADL.

8  Marie-Victoire Louis, Le droit de cuissage, ouvr. cité, p. 82.

9  Michel Crozier, « De la bureaucratie comme système d’organisation », Archives européennes de sociologie, vol. 2, 1961, p. 18-52.

10  Annie Dussuet, Logiques domestiques. Essai sur les représentations du travail domestique chez les femmes actives de milieu populaire, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 16-17 notamment, et p. 35-37 où les femmes interviewées distinguent, par exemple, une cuisine du quotidien « vite fait » d’une « Cuisine » élaborée.

11  Anne Martin-Fugier, La place des bonnes, ouvr. cité.

12  Christelle Avril, « Le travail des aides à domicile pour personnages âgées. Contraintes et savoir-faire », Le mouvement social, no 216, 2006, p. 87-99.

13  Carolyn Steedman, Labours Lost, ouvr. cité, p. 228 et suiv.

14  Fanny Faÿ-Sallois, Les nourrices à Paris, ouvr. cité, p. 123.

15  Yvonne Cretté-Breton, Mémoires d’une bonne, ouvr. cité, p. 75.

16  Recensements 6MP279-6MP283, ADR : 86 femmes (et 18 hommes) travaillent pour des ménages ayant au moins deux enfants de moins de 15 ans (nombre total de domestiques de l’échantillon : 406).

17  Journal d’Henry Morel-Journel, entrée du 5 janvier 1932, t. 1, p. 47, 1 II 78, Archives municipales de Lyon (AML).

18  Ibid., p. 31.

19  Yvonne Cretté-Breton, Mémoires d’une bonne, ouvr. cité, p. 128.

20  Anne-Marie Sohn, Chrysalides : femmes dans la vie privée (xixe-xxe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 1996, p. 106-110.

21  Ibid., p. 202.

22  Déposition de Louise Lamure du 25 septembre 1876, Affaire A. C., 2U366, ADR.

23  Rapport de l’inspectrice Mme Golcz du 7 février 1931, 7M152, ADL.

24  De façon assez révélatrice sur le fonctionnement du comité d’aide et de protection des femmes immigrantes, son nom n’est mentionné que plusieurs mois après la prise en charge par Mme Golcz de sa situation, dans le procès-verbal de la séance du comité du 11 mai 1932, ibid.

25  Rapport de l’inspectrice Mme Golcz du 27 mars 1931 (daté de manière erronée en 1930), ibid.

26  Rapport de l’inspectrice Mme Golcz du 29 novembre 1930, ibid.

27  Pour les détails concernant ces chiffres, nous renvoyons à notre thèse.

28  Les employeur.es de domestiques se comportent comme ces maris qui, selon Christine Delphy, s’approprient le travail domestique parce qu’ils en fixent les contours : L’ennemi principal, t. 1, ouvr. cité, p. 46.

29  Michel Foucault, Surveiller et punir : naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 161.

30  Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, ouvr. cité, p. 276.

31  Déposition de Louis Monnery du 13 mai 1863, Affaire M. B., 4U163, ADL.

32  Evelyn Nakano-Glenn, « From servitude to service work », art. cité, p. 2.

33  Déposition de Jean-Baptiste Busson du 15 avril 1863, Affaire M. B., 4U163, ADL.

34  Déposition de Joseph Rignard du 17 janvier 1936, Affaire M. M., 2U881, ADR.

35  Lettre de Paul Eymard à Charles Eymard du 13 janvier 1910, citée par Catherine Pellissier, La vie privée des notables lyonnais au xixe siècle, Lyon, Éditions lyonnaises d’art et d’histoire, 1996, p. 52.

36  Déposition de Jean Perrot du 28 mars 1856, Affaire C. R., 2U235, ADR.

37  Déposition de Marie Rabillaud du 30 juillet 1901, Affaire E. D., 2U650, ADR.

38  Geneviève Fraisse, Femmes toutes mains : essai sur le service domestique, Paris, Seuil, 1979, p. 61 ; Phyllis Palmer, Domesticity and Dirt. Housewives and Domestic Servants in the United States, 1920-1945, Philadelphie, Temple University Press, 1989, Introduction.

39  En 1876, sur 1396 personnes servies par des domestiques dont nous connaissons le genre parmi nos échantillons, 717 sont des hommes, soit plus de 51,36 %.

40  Colette Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir, ouvr. cité, p. 35.

41  Voir notre thèse.

42  L’opposition entre femmes de classes sociales différentes, la domestique et la patronne, pour obtenir les faveurs (économiques et sexuelles) du réel détenteur de l’autorité domestique constitue un topos littéraire. Les relations entre patronnes et domestiques femmes ont fait l’objet d’études en histoire (Anne Martin-Fugier, La place des bonnes, ouvr. cité ; Geneviève Fraisse, Femmes toutes mains, ouvr. cité) et en sociologie (Jacqueline Cock, Maids & Madams : Domestic Workers under Apartheid, Londres, The Women’s Press, 1989 ; Judith Rollins, Domestics and their Employers, ouvr. cité) et ne sont que brièvement traitées ici.

43  Carolyn Steedman insiste sur le rôle des domestiques qui fournissent aux patronnes un sujet de plaisanteries et de moqueries à échanger entre elles : Labours Lost, ouvr. cité, p. 8.

44  Pamela Sambrook, The Countryhouse Servant, Strand, Sutton and the National Trust, 1999, p. 69, ou Elizabeth L. O’Leary, At Beck and Call. The Representation of Domestic Servants in Nineteenth-Century American Painting, Washington, Smithsonian Institution Press, 1996.

45  Edward Higgs « Domestic servants and households in Victorian England », Journal of Social History, vol. 8, no 2, p. 201.

46  Elizabeth L. O’Leary, At Beck and Call, ouvr. cité, p. 165 notamment.

47  « Le domestique est encore tenu de respecter ses maîtres et de veiller à la protection de leurs biens. » Henri Richard, Du louage de services domestiques, ouvr. cité, p. 87.

48  Jean-Claude Farcy, La jeunesse rurale dans la France du xixe siècle, Paris, Éditions Christian, 2004, p. 62.

49  Michel Foucault, Surveiller et punir, ouvr. cité, p. 74.

50  Comptes-rendus des sessions d’assises de 1851 et 1856 de la Loire et du Rhône, BB20 154/2 et BB20 188/1, AN.

51  Plusieurs thèses de droit français insistent sur cet aspect, notamment celle de Prosper-Georges-Marcelin Bouniceau-Gesmon (Domestiques et maîtres : question sociale, Paris, Lemerre, 1896) ou celle de Henri Richard (Du louage de services domestiques, ouvr. cité). Sur la fréquence des vols domestiques dans un autre contexte, voir John M. Beattie, « The criminality of women in eighteenth century England », Journal of Social History, vol. 8, no 4, 1975.

52  Citons l’exemple de Rose Bigat, une domestique qui est arrivée, aux dires de sa patronne, à subtiliser en 1858 plus de 3000 francs après s’être emparée de clefs rangées dans la table de chevet. Elle disparaît et n’est pas poursuivie pour ce vol. Procès-verbal de police du 19 novembre 1858, Affaire J. V., 2U239, ADR.

53  Interrogatoire de Marwan du 14 octobre 1869, Affaire M., 4U176, ADL.

54  Déposition de Paul Didier du 20 octobre 1869, Affaire M., ibid.

55  Déposition de Jean Monnier du 21 octobre 1869, Affaire M., ibid.

56  Déposition de Pierre Carette du 28 décembre 1875, Affaire C. T., 2U361, ADR.

57  Compte-rendu de l’audience du 3 mars 1866, Tribunal de simple police de La Pacaudière, 8U6_49, ADL.

58  Jean-Claude Farcy, La jeunesse rurale dans la France du xixe siècle, ouvr. cité, p. 36.

59  Annick Tillier, Des criminelles au village, ouvr. cité, p. 268-271.

60  Celle-ci compte alors 265 habitants : 6MP280, ADR.

61  Philomène Poulot, 20 ans, domestique à Lyon, est chargée en février 1866 d’aller chercher de l’argent pour le compte de son employeur. Déposition de Philomène Poulot du 23 février 1866, Affaire C. et M., 2U271, ADR.

62  Philippe Dujardin et Pierre-Yves Saunier, Lyon (1850-1914). L’âme d’une ville, Lyon, Éditions lyonnaises d’art et d’histoire, 2005, p. 77-80.

63  Voir notre article « “Continuum lesbien” et solidarités féminines : compétences (de) minoritaires en domesticité (Saint-Étienne, 1869) », Tracés, no 30, 2016, p. 103-124.

64  Déposition d’Antoine Poncet du 25 septembre 1876, Affaire A. C., 2U366, ADR.

65  Déposition de François Chavanon du 19 mars 1866, Affaire J. M., 2U272, ADR.

66  Déposition de Jean-Pierre Jamet du 29 janvier 1866, Affaire M. J., 4U168, ADL.

67  La domestique Claudine Dourumier a ainsi eu un fils de Mingre, boulanger qui occupait un appartement au-dessus du domicile de son employeur au bourg de La Pacaudière. Interrogatoire de C. D. du 22 avril 1869, Affaire C. D., 4U175, ADL.

68  Compte-rendu de l’affaire F. D., 1850, BB20 150/1, AN.

69  Abel Chatelain, « Migration et domesticité féminine urbaine en France xviiie siècle - xxe siècle », Revue d’histoire économique et sociale, vol. 77, no 4, 1969, p. 506-528.

70  « [Elle était] habillée des pieds jusqu’à la tête des vêtements de ma belle-mère ». Déposition de Ferdinand Marcel du 30 août 1869, Affaire M. N., 4U176, ADL.

71  La même année à Saint-Étienne, Marie Bruyère, auteure d’un important vol domestique, justifie ses dépenses par son mariage et par son héritage d’une mystérieuse tante. Affaire M. B. et M. R., 4U175, ADL.

72  Déposition de Françoise Digonet du 30 août 1869, Affaire M. N., 4U176, ADL.

73  Déposition d’Enrico Tonini du 8 février 1931, Affaire M. B., 2U853, ADR.

74  Déposition de Maurice Pagay du 2 janvier 1931, Affaire J. D., 2U854, ADR.

75  Frédérique El Amrani, Les jeunes filles des milieux ruraux populaires en Anjou, ouvr. cité, p. 21.

76  Voir ibid., notamment p. 265-267 sur la surveillance maternelle des linges tachés par les règles encore fréquentes dans les années 1920 en Anjou.

77  Ibid., p. 250.

78  Ibid., p. 324.

79  Monique Luirard, La région stéphanoise dans la guerre et dans la paix (1936-1951), Saint-Étienne, Centre d’études foréziennes, 1980, p. 881.

80  Vincent Viet, Histoire des Français venus d’ailleurs de 1850 à nos jours, Paris, Perrin, 2004, p. 117-120.

81  Monique Luirard, La région stéphanoise dans la guerre et dans la paix, ouvr. cité, p. 35.

82  Frédérique El Amrani, Les jeunes filles des milieux ruraux populaires en Anjou, ouvr. cité, p. 180.

83  Michel Gervais, Marcel Jollivet et Yves Tavernier, Histoire de la France rurale, t. 4, La fin de la France paysanne : de 1914 à nos jours, Georges Duby et Armand Wallon éd., Paris, Seuil, 1975, p. 231.

84  Rapport de l’inspectrice Mme Golcz du 7 février 1931, 7M152, ADL.

85  Union du Sud-Est des syndicats agricoles, Manuel d’éducation ménagère agricole, Lyon, Union du Sud-Est, 1929, p. 83.

86  Avec un effondrement des prix agricoles entre 1932 et 1935 : Dominique Brone et Henri Dubief, La crise des années 30. 1929-1938, Paris, Seuil, 1989, p. 27.

87  Michel Gervais, Marcel Jollivet et Yves Tavernier, Histoire de la France rurale, t. 4, ouvr. cité, p. 227-228.

88  Contrats de placement d’H. L. pour 1934, 1935 et 1936, Dossier H. L., 3X1500, ADR.

89  Contrats de placement d’E. K. pour 1934 et 1935, Dossier E. K., ibid.

90  Procès-verbal de gendarmerie du 2 janvier 1931, Affaire J. D., 2U854, ADR.

91  Frédérique El Amrani, Les jeunes filles des milieux ruraux populaires en Anjou, ouvr. cité, p. 459.

92  Contrat de placement d’H. K. du 20 février 1936, Dossier H. K., 3X1500, ADR.

93  Contrats de placement d’H. K. des années 1934, 1935 et 1936, Dossier H. K., ibid.

94  Rapport de l’inspectrice Mme Golcz du 29 novembre 1930, 7M152, ADL.

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