Conclusion
p. 91-92
Texte intégral
1Les discours sur la prison au Cameroun participent de la production d’une prison africaine archétypale, avec son cortège de sombres images. Finalement, en écho au traitement politico-médiatique de bien d’autres objets, telle la ville « africaine », la prison participe à l’élaboration continue d’une Afrique différente et exceptionnelle, au détriment d’une étude fine des fonctionnements intra-muros des établissements et des environnements dans lesquels ils se déploient.
2Au Cameroun, à l’image du reste de l’Afrique, la prison est introduite à la faveur de la colonisation. Malgré quelques ouvrages, l’histoire des prisons et de son voisinage avec des formes punitives précoloniales dans des contextes socio-politiques variés reste à écrire pour comprendre la réalité du pénitentiaire en situation coloniale et dans sa diversité. De même, faut-il envisager le fait carcéral dans ses liens avec le fonctionnement des institutions policières et judiciaires. À l’aune des recherches existantes, la prison apparaît comme un instrument de conquête, de territorialisation du pouvoir et d’exploitation des ressources. Les établissements s’implantent selon le maillage administratif de la colonie : ils incarnent sa mainmise sur la société, aux côtés des missions, de l’école, des plans d’urbanisme. Ils aident à contrôler les corps comme à quadriller l’espace jusque dans les confins du territoire nouvellement produit. Ce sont aussi des outils au service du maintien et plus encore de la production d’un ordre politique et social, fortement racialisé. La prison participe de la désignation d’une population à soumettre et à discipliner, et entre ses murs achève de se dessiner la figure de l’autre, celle du « sujet africain » dominé.
3La prison est aussi présentée, dans un souci de légitimation, au service de la « civilisation », en lien avec l’introduction de l’institution judiciaire coloniale et en écho aux débats des Réformateurs des métropoles européennes. Les fonctions de la prison, protéger la société et réinsérer, vont être réaffirmées au fil du temps, hier au nom d’une rationalité présentée comme moderne et humaniste, aujourd’hui sous l’influence des programmes des institutions internationales, des agences gouvernementales, des coopérations bilatérales et sous la pression des plaidoyers d’ONG (des écrits de détenus aussi, tels ceux des VIP) au nom de l’État de droit. La prison au Cameroun s’inscrit donc dans une dynamique mondialisée de longue durée où enjeux moraux, politiques et sociaux s’imbriquent. Celle-ci maintient, parce qu’elle la critique, la légitimité de la peine de prison à incarner une « bonne punition ».
4Le discours contemporain sur l’amélioration des conditions de détention et le renforcement des capacités de l’État ne doit pas obérer la dimension intrinsèquement et historiquement politique de l’enfermement au Cameroun. Dès l’époque coloniale et jusqu’à ce jour, le pénitentiaire est un instrument de coercition et de soumission. Il a longtemps fait l’objet de rumeurs sur des disparitions et des actes de torture, au service de la peur, technique de pouvoir au bénéfice des autorités coloniales puis de l’État indépendant. Après la démission d’Ahmadou Ahidjo, à l’ère de Paul Biya, l’institution pénitentiaire reste l’un des moyens de contrôle des oppositions populaires, rarement abordées, ou celles des élites, davantage médiatisées. Aujourd’hui, avec la lutte contre la corruption exigée par les bailleurs de fonds, la prison a été mise sur le devant de la scène, accueillant dans ses murs d’anciens ministres et hauts fonctionnaires, ainsi relégués loin de la Présidence et freinés dans leurs éventuelles ambitions personnelles. Plus récemment encore, la lutte contre Boko Haram et contre sa violence d’une part, la répression des mouvements dits anglophones d’autre part, font tristement écho au régime d’exception d’Ahmadou Ahidjo (déjà présent en colonie) jouant de l’arsenal juridique (ordonnances, loi) pour mieux suspendre les droits d’individus tout en se parant des habits de la légalité. Les arrestations arbitraires, les exécutions extra-judiciaires, les morts en détention, la torture se multiplient. Dans la conjoncture actuelle, la prison au Cameroun semble redevenue l’un des instruments d’un pouvoir souverain (Foucault, 1997) : celui d’un État qui décide de faire mourir ou de laisser vivre.
5C’est sans doute à ce stade qu’il importe de saisir en miroir l’expérience des principaux acteurs des prisons : les détenus de droit commun comme les gardiens. Il est nécessaire de surmonter la première impression de violence et d’exclusion sans nier la dureté des conditions d’incarcération. Il faut aussi dépasser la question du traitement des détenus « politiques ». L’expérience carcérale des « flottants » de la prison, issus des « bas-quartiers » de la ville, est une entrée pour analyser plus finement l’agencement au jour le jour des rapports de force en présence, révélateurs des modalités de la formation continue de l’État camerounais.
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