Introduction

« En prison, tu fais chaque jour l’expérience de ce qu’est l’État. »
(Un détenu, prison centrale de Yaoundé, juin 2014)

1L’image des prisons en Afrique (et de manière générale des pays du Sud) demeure fortement tributaire des rapports d’agences gouvernementales et internationales, d’ONG et d’associations ou encore des témoignages d’anciens prisonniers. Ceux-ci tendent à construire une prison « africaine »1 largement appréhendée comme un espace dysfonctionnel, caractérisé par le manque (de soins, de nourriture, de lits, etc.), par la surpopulation dans des bâtiments délabrés et par la violence, en écho à la problématique plus générale du développement du continent. Ces constats ont joué un rôle dans l’émergence de déclarations sur la justice et sur le pénitentiaire depuis l’Afrique, qui contribuent à leur tour à forger un ensemble de représentations de la prison et en miroir, du continent lui-même (Morelle et Le Marcis, 2016a et b).

2Il convient de porter un regard plus nuancé sur les prisons africaines. Il est également nécessaire de prendre en considération l’intervention d’une pluralité d’acteurs dans la conception de la peine et de son éventuelle réforme. Elle donne lieu à des mobilisations et à des négociations à des fins d’inscription de la thématique de la prison dans des programmes de coopération sur le continent africain. Des actions, des projets, des prises de position participent à l’émergence de la prison comme problème public, au croisement des politiques publiques des domaines de la justice et de la sécurité. Des plaidoyers suscitent éventuellement l’inscription de la problématique pénitentiaire dans les espaces publics nationaux. L’appréhension de la prison comme « problème public » devient alors un enjeu politique sur les scènes nationale et internationale : elle appelle à une intervention de l’État, voire à une réforme de l’État. Je reviendrai sur ces points dans le premier chapitre de cette partie.

3Le Cameroun, régulièrement interpellé sur la question du respect des droits de l’homme, compte parmi ces pays qui ont pu inscrire la question pénitentiaire sur leur agenda politique à la faveur de plusieurs programmes de l’Union européenne, principal bailleur intervenant sur les problématiques carcérales (Colineau, 2013 et 2014). L’étude des discours et des actions sur les prisons camerounaises permet de dessiner les contours des cadres institutionnels, politiques et sociaux dans lesquels se déploient les pratiques des agents de l’État et des détenus, étudiées dans la deuxième partie de l’ouvrage. Elle invite aussi à saisir les différentes temporalités dans lesquelles s’inscrivent les réformes pénitentiaires, à l’articulation de l’histoire longue de la formation de l’État et d’événements politiques. Elle informe sur le processus d’étatisation permanent où l’appel à la réforme peut mettre la domination d’État à l’épreuve des normes des droits de l’homme et de la démocratisation (Fischer, 2007), ce qui invite à ne pas essentialiser l’État, ni à le penser comme une entité cohérente et définie « par avance » (Hibou, 1999a, p. 33). Dans le deuxième chapitre de cette première partie, je discuterai donc des liens entre le carcéral et la fabrique de l’État camerounais, entre projets d’humanisation des conditions de détention et rôle coercitif de la prison.