« Projets des têtes fêlées » ou voix d’une France majeure ? Les formes de la revendication citoyenne à la fin de l’Ancien Régime
p. 163-172
Résumé
En 1760, le publiciste ministériel Jacob-Nicolas Moreau constatait que de nombreux Français, loin de se satisfaire de leur statut passif de sujets, souhaitaient participer d’une façon ou d’une autre à la vie publique. Cette France citoyenne, qui s’affirme nettement pendant la guerre de Sept Ans, s’exprime d’une manière encore plus explicite deux décennies plus tard, lors de la guerre d’Indépendance américaine. Au lendemain de la défaite navale des Saintes (12 avril 1782), de nombreux particuliers offrent leur concours au ministère pour reconstruire la marine et profitent parfois des circonstances pour lui envoyer leurs doléances sous la forme de projets de réforme. Bien que souvent naïfs, voire fantaisistes, ces « projets des têtes fêlées » ne méritent pourtant pas le mépris que leur manifestait Louis-Sébastien Mercier. Expression d’une France qui s’estime majeure et qui regrette de ne pas être entendue par Versailles, ils nous livrent une précieuse radiographie de la culture politique des dernières années de l’Ancien Régime.
Extrait
1À en croire l’abbé de Véri, le maréchal de Richelieu aurait déclaré à propos des trois règnes qu’il avait connus : « Sous le premier […] on n’osait pas parler ; dans le second, on parlait tout bas, et maintenant on parle tout haut »1.
2Comme c’est souvent le cas avec les bons mots censés résumer une époque, le diagnostic de Richelieu semble de prime abord pécher par schématisme. Ces lignes faisant état d’une évolution sensible de l’espace public entre le règne de Louis XIV et celui de Louis XVI se trouvent néanmoins confirmées par les témoignages contemporains. Dès 1760, un des publicistes les plus en vue du ministère, Jacob-Nicolas Moreau, met l’accent sur ce qui, selon lui, s’apparente à une énigme : tandis que la monarchie française, dans ses structures, n’a connu aucune altération majeure depuis le règne du Grand Roi, la vie politique du royaume s’est pourtant mise à
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