Introduction

1Quelles sont les familles concernées par la procédure des lettres de cachet pour affaires de famille ? L’existence d’une discrimination sociale liée à la question de l’honneur et les principes suivis par l’administration royale pour appréhender les motifs allégués et juger les accusés posent question à l’historien. L’institution reposant sur la prévention des crimes plutôt que sur leur punition, les assertions des familles sont très complexes à vérifier, sur un terrain qui échappe à la rationalité et au champ de compétences de l’action administrative.

2La famille fait figure, dans les dossiers, d’une entité divisée et déchirée. Trois configurations conflictuelles se dessinent : l’opposition entre père et enfant, celle entre mari et femme et, plus marginalement, le conflit débordant de la cellule nucléaire pour impliquer fortement la famille élargie (oncles, cousins germains, grands-parents, parents par alliance, etc.).

3La lettre de cachet de famille révèle une évolution relativement contradictoire puisqu’elle marque un repli sur la famille nucléaire et le noyau que constituent le père, la mère et les enfants : le recours à l’autorité royale plutôt qu’à celle de la parenté élargie est en effet très significatif au xviii^e siècle du processus d’autonomisation de la famille nucléaire et, en son sein, de l’individu. Dans le même temps cependant, la lettre de cachet vise à préserver l’honneur de la famille au sens large du terme et, en cela, elle concerne toute la parenté car c’est l’honneur du lignage et du nom qu’il faut préserver. Les actes d’assemblées de famille sont symboliques de cette solidarité des parents et alliés autour d’un problème que l’on règle en commun, certes, mais désormais en concertation avec l’État. L’usage des lettres de cachet s’avère donc paradoxal, savant mélange de pratiques traditionnelles et de modernité.

4Quel est le cheminement suivi par les familles jusqu’à la sollicitation d’une lettre de cachet contre l’un des leurs ? Pour quelles raisons l’État apporte-t-il sa caution à des désaccords parfois mineurs, qui se muent dès lors en des règlements de compte impitoyables sur fond de convoitises pécuniaires peu avouables ?