Conclusion générale

1Les insuffisances des registres officiels et la dispersion des expéditions authentiques rendent difficile l’appréhension globale de la législation d’Ancien Régime. Toutefois, comme le soulignait Edmond Esmonin dans son article fondateur : « heureusement, nous disposons d’un autre moyen de documentation : ce sont les impressions qui ont été déjà faites de ces textes »1. L’apparition de cette source essentielle pour la connaissance des lois royales n’a pourtant jamais fait l’objet d’une étude en elle-même. Le dépouillement des lettres patentes imprimées conservées dans les collections de la Bibliothèque nationale de France a cherché à combler cette lacune. Non seulement ces petites pièces imprimées permettent de prendre facilement connaissance du texte d’un grand nombre d’actes royaux, mais elles ont en elles-mêmes fait évoluer le processus législatif à l’aube des Temps modernes. Les trois cent sept pièces analysées et les deux cent soixante-sept actes royaux différents qu’elles contiennent ont, en effet, permis de s’interroger sur les rapports entre l’apparition d’un marché des actes royaux imprimés et le processus législatif.

2L’impression de la législation fait apparaître des formes nouvelles. La présentation des textes royaux évolue avec leur passage sous les presses. Certaines caractéristiques se rapportent plus spécifiquement à l’histoire générale du livre. Il en va ainsi des choix iconographiques et typographiques effectués par les imprimeurs. L’évolution n’a pas été sans conséquence diplomatique, qu’il s’agisse du format ou de la mise en page des actes royaux. Surtout, l’imprimerie a développé l’usage du papier, alors que les décisions monarchiques étaient auparavant exclusivement reproduites sur parchemin. À la fin du xv^e siècle, l’initiative de ces transformations revient à des acteurs privés, en dehors du circuit institutionnel de la monarchie. Un petit groupe d’imprimeurs-libraires identifie le vaste marché potentiel qui s’offre à eux. Quel texte, en effet, se prête mieux à la reproduction massive que les lois du roi, censées être connues de tous et diffusées dans l’ensemble du royaume ! Le développement de l’intervention monarchique accroît encore le champ d’activité. Désormais, le roi promulgue un grand nombre de lettres patentes qui modifient en profondeur l’ordre juridique du royaume. La foule des juristes se doit de connaître ces textes, indispensables à son exercice professionnel. Partant, quelques imprimeurs-libraires en viennent à se spécialiser dans l’impression des actes royaux. Afin d’augmenter encore la rentabilité de cette activité – qui sert souvent à financer des publications plus coûteuses et moins profitables –, ils se tournent vers les institutions royales. Celles-ci leur délivrent des privilèges de librairie qui les protègent de la concurrence pendant une durée déterminée. La monarchie y trouve également son intérêt. L’impression des actes royaux touche une prérogative essentielle de la royauté, celle de faire loi, dont le corollaire indispensable est la diffusion de la législation. Grâce aux privilèges de libraire, les institutions commencent à exercer un véritable contrôle sur une activité qui les concerne de très près. Le développement du recours aux privilèges, notamment royaux, conduit alors à l’institutionnalisation d’un petit groupe d’imprimeurs-libraires, qui éditent l’essentiel des actes imprimés. Ce resserrement du cadre monarchique s’explique largement par les effets de l’imprimerie sur la législation elle-même.

3Au tournant des xv^e et xvi^e siècles, la monarchie prend conscience des bénéfices potentiels de l’impression des actes royaux. La chancellerie semble sur ce point devancée par les cours souveraines – notamment le Parlement de Paris –, desquelles elle s’inspire sans doute en partie. L’invention de Gutenberg assure la multiplication à peu de frais d’un texte à l’identique. Le processus législatif suppose de disposer de nombreux exemplaires des lettres patentes, qui doivent être envoyées à de multiples destinataires, en particulier aux institutions chargées de les faire appliquer. Partant, la monarchie expérimente la production d’originaux imprimés. Il s’agit là d’une innovation majeure et d’autant plus notable que la forme manuscrite est restée le principe jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Les fonds de la Bibliothèque nationale de France conservent néanmoins plusieurs lettres patentes imprimées revêtant tous les caractères d’un original, notamment au regard des modes de validation. Ce n’est cependant pas tant d’originaux multiples que de nombreuses copies dont la monarchie a besoin. Par conséquent, la chancellerie semble avoir limité le recours à l’imprimerie pour la production d’originaux. Elle incite en revanche à la mise sous presse de copies. Elle-même s’y emploie, à l’occasion, par la production de copies imprimées authentifiées par la signature d’un secrétaire du roi ou d’un notaire royal. L’essentiel des pièces reste néanmoins le fait d’imprimeurs-libraires, dont les choix permettent de mieux comprendre la réception de la législation royale au début des Temps modernes. Ils reflètent à la fois l’accroissement de l’intervention monarchique dans l’ordre juridique du royaume et l’absence de système strict dans l’emploi des lettres patentes. Cette souplesse résulte du développement incrémental du pouvoir législatif et, plus largement, de l’ensemble du processus législatif. Elle se retrouve ainsi dans les procédures de diffusion et de conservation des lettres patentes. L’irruption de l’imprimerie vient logiquement les bouleverser : l’impression des actes royaux, qui constitue d’abord un mode non officiel de diffusion, est progressivement prise en compte par la monarchie. L’évolution est telle qu’elle aboutit à la modification du formulaire législatif par l’insertion d’une référence aux copies imprimées au sein de la clause injonctive. L’efficacité de l’imprimerie ne fait pas pour autant disparaître les modes traditionnels de diffusion des actes royaux. L’enregistrement dans les juridictions du royaume et l’intervention des crieurs publics sont même mentionnés dans les pièces imprimées. L’invention de Gutenberg facilite d’ailleurs ces procédures par l’économie de temps et de moyens qu’elle engendre. L’enregistrement et l’affichage supposent en effet de disposer d’un grand nombre de copies, qu’il n’est désormais plus besoin de retranscrire à la main, ceci allégeant considérablement le travail des greffes. L’imprimerie vient en outre combler certaines lacunes de ces procédures, l’enregistrement n’assurant qu’une conservation imparfaite des lettres patentes, qui se trouvent dispersées dans les registres de multiples juridictions en fonction des compétences géographiques et matérielles très complexes de l’Ancien Régime. Le développement exponentiel de l’impression des actes royaux à partir du milieu du xvi^e siècle donne naissance à la formation de vastes collections. Certes, ces dernières souffrent aussi de lacunes, mais elles constituent un complément essentiel qui comble encore aujourd’hui certains vides de la conservation officielle de la législation royale.

4La masse des actes royaux imprimés ne cesse donc de croître après la mort d’Henri II. Les progrès de l’imprimerie et l’attribution de privilèges généraux de librairie laissent supposer que la très grande majorité des lettres patentes est concernée, au moins à partir de la fin du xvi^e siècle. Cette étude en appelle dès lors de nouvelles. Tout d’abord, elle se concentre sur l’apparition et les premiers développements du marché des lois imprimées. Les transformations évoquées durant la seconde partie du xvi^e siècle mériteraient une analyse propre. De même, le rôle joué par l’Imprimerie royale à partir de 1640 au sujet de la diffusion des actes royaux n’a fait pour l’instant l’objet que de quelques remarques éparses. De telles études permettraient de faire la jonction avec les prodromes d’une impression quasi systématique et exhaustive de la loi proposée par certains éditeurs à l’extrême fin de l’Ancien Régime, comme le célèbre « Recueil Simon »2. On disposerait alors d’outils pertinents qui pourraient être confrontés aux récents apports relatifs à la publication des lois révolutionnaires. La question fait actuellement l’objet d’un vaste programme qui, outre ses apports théoriques3, a offert aux chercheurs un précieux outil de consultation de la législation de la période 1789-17954.

5À cela s’ajoute le besoin d’explorer d’autres fonds que ceux de la Bibliothèque nationale de France. Bien qu’il s’agisse de la plus importante collection d’actes royaux imprimés, celle-ci souffre des lacunes propres à son mode de constitution. Ainsi, les éditions des provinces y sont certainement sous-représentées. De tels dépouillements pourraient infléchir certaines conclusions de cette étude, à tout le moins en élargir la perspective. L’élargissement passe également par des comparaisons internationales. Certaines sont déjà possibles : la récente étude d’Elisa Ruiz García au sujet de la Castille permet des parallèles concernant les aspects d’histoire du livre et de diplomatique5. Du point de vue des effets sur le pouvoir législatif lui-même, les éléments de comparaison sont minces, alors que la variété des processus législatifs dans l’Europe moderne induit très certainement des réactions dissemblables à l’introduction de l’imprimerie. Le cas du royaume de France entre 1483 et 1559 démontre ainsi de quelle manière le pouvoir législatif a progressivement, mais partiellement, intégré les bénéfices de l’imprimerie.

6La connaissance de la législation de l’époque moderne par le recours à l’imprimé constitue donc encore un immense chantier de recherche, qui concerne aussi bien l’histoire du droit que la diplomatique et l’histoire du livre.