1Le contenu sinon la nature du pouvoir normatif du roi de France au Moyen Âge et à l’aube des Temps modernes est une question disputée, contre les idées reçues, par exemple que la production législative aurait été essentiellement publiciste ou que cette production aurait été de toute manière sans effet. L’idée même d’une équivalence entre acte royal et loi pose problème. « Qu’était donc la loi avant d’être moderne ? » pour reprendre une interrogation qui a été celle de Michel Bastit. Au regard des « progrès » indéniables accomplis par les historiens et les historiens du droit médiévistes, les incertitudes pourtant demeurent, à tel point que, si l’on se place au xvi^e siècle, elles apparaissent en pleine lumière.

2Tout le monde s’accorde à penser qu’au cours du siècle qui suit l’invention de l’imprimerie, la loi a connu d’importantes évolutions, qui résultent pour partie de ses effets, « l’imprimerie [ayant] très sûrement accompagné le renforcement de l’autorité législative des rois et orienté le discours communicationnel sur la loi » comme l’a écrit A. Rousselet-Pimont. Et s’il apparaît que l’imprimerie ne remet pas immédiatement en cause l’ensemble des mécanismes médiévaux, le bouleversement formel opéré par celle-ci commence dans la période même de « frapper de plein fouet » la pratique législative – et cela en parallèle de la théorisation nouvelle de la loi à la Renaissance dont le point d’aboutissement – on en débat encore – serait la souveraineté législatrice de Jean Bodin.

3« Les premières lois imprimées ». Tel est ce beau sujet d’étude qui n’a pas connu de précédent, tant il est vrai que le nombre très réduit des spécialistes en histoire du droit du xvi^e siècle, la rareté des études de diplomatique concernant l’acte royal imprimé et enfin le relatif délaissement de l’histoire de l’édition juridique par les historiens du livre offraient une place à prendre.

4Professeur d’histoire du droit avant que d’être archiviste paléographe, Xavier Prévost réunissait tous les qualités requises, ayant auparavant publié le livre désormais de référence sur Jacques Cujas. Il les a mises avec grande rigueur et incomparable finesse au service d’une étude strictement encadrée tant du point de vue méthodologique (lettres patentes en commandement, comprenant aussi les arrêts du Conseil revêtus de lettres patentes) que chronologique (pièces imprimées, publiées entre 1483 et 1559), qui repose sur une base de données constituée à partir du dépouillement des actes royaux imprimés conservés à la Bibliothèque nationale de France. Au total, neuf cent trente-huit pièces imprimées ont été dépouillées, regroupant mille trois cent cinquante-cinq actes royaux dont certains en de nombreux exemplaires. Le corpus définitif contient trois cent quatre-vingt-six entrées, extraites de trois cent sept pièces imprimées et reproduisant deux cent soixante-sept actes royaux différents.

5La recherche est neuve et distille mille enseignements.

6Le premier d’entre eux est la mesure de la distance d’avec la tradition manuscrite. L’auteur rappelle tout d’abord que les originaux n’ont cessé d’être manuscrits, la conservation des deux seuls exemplaires connus de l’ordonnance de Villers-Cotterêts (AD Isère, B 3189, Chambre des comptes du Dauphiné ; AD Bouches-du-Rhône, B 3315, Parlement de Provence) en témoigne, mais indirectement aussi la curieuse tentative, avortée, des originaux imprimés de 1527-1533. C’est dire la timidité avec laquelle la chancellerie utilise l’imprimerie durant le premier tiers du xvi^e siècle. L’évolution accompagne toutefois le mouvement général, dans le passage par exemple de l’écriture gothique à la romaine comme dans l’usage d’illustrations (qui ensuite disparaissent presque), où l’on sera frappé par le choix premier de la représentation du travail d’écriture ou de la représentation stéréotypée de l’exercice du pouvoir, avant que ne s’impose l’illustration de l’autorité du texte imprimé. Mais il n’y a pas dans le domaine français d’équivalent de l’efflorescence des images castillanes de la même époque, dont le travail de M^me Ruiz Garcia a récemment rendu compte.

7La question cruciale est sans doute l’incidence de l’imprimerie sur la forme des textes, par exemple le souci croissant de la structuration et de la numérotation des paragraphes, phénomène également et significativement observable pour les toutes premières éditions des deux Corpus. La quasi-totalité des pièces imprimées porte également un intitulé, intitulé choisi par l’imprimeur-libraire, le texte original en étant dépourvu. Ici se devine la préoccupation principale des éditeurs, et cette préoccupation est à l’origine d’une évolution diplomatique sensible. C’est la vente de ces textes qui nécessite d’être plus précis, afin que l’acheteur puisse être rapidement renseigné sur le contenu du fascicule qu’il désire acquérir. Deux termes semblent s’imposer alors : édit et ordonnance, alors que le pouvoir royal lui-même emploie encore à cette époque une (petite) variété de mots pour désigner les lois.

8On comprend que la publication des décisions royales par des éditeurs privés ne pouvait pas ne pas entraîner une transformation des pratiques. Et pourtant la monarchie a cherché à exercer dès l’origine une surveillance des imprimés en circulation. La recherche de Xavier Prévost renouvelle ainsi la connaissance des imprimeurs et de leur activité, parce que le jeu de l’octroi des privilèges de librairie pèse sur ces initiateurs et acteurs de la législation imprimée. Dans le contexte géographique, une découverte remarquable : les actes royaux incunables révèlent l’avance des provinces. Ainsi de l’ordonnance du 28 décembre 1490 sur la justice en Languedoc imprimée à Lyon, plus ancien acte royal imprimé conservé, mais le cas est paradoxal d’une ville pionnière qui semble délaisser ensuite le domaine.

9Il n’est alors pas déplacé, mais seulement dans ce contexte, de parler de « marché des actes royaux », parce que ce sont bien les imprimeurs qui ont été les principaux moteurs du phénomène : le développement de ce marché et la montée en puissance de cette grandissante source du droit qu’est alors la loi vont de pair. Seule la démarche quantitative, qui est celle du patient travail de Xavier Prévost, pouvait permettre de tels rapprochements.

10La généralisation des privilèges est marquée à partir de 1539, avec une spécialisation des imprimeurs-libraires privés au cours des règnes de François I^er et d’Henri II. Le cas de Galliot Du Pré et de l’ordonnance de Villers-Cotterêts est exemplaire, première ordonnance de justice à avoir fait l’objet de commentaires multiples, point de départ aussi de la constitution des grands recueils, tel celui de Pierre Rebuffi. Le développement à grande échelle des copies imprimées connaît alors un véritable essor.

11Cette remarquable radiographie de l’acte royal imprimé montre bien enfin que la diffusion de la loi repose sur le principe selon lequel la bonne connaissance de celle-ci est une condition essentielle de son application, en conformité avec l’opinion même des juristes (publicatio est de natura legis selon Balde). De même que la coutume tire sa force du consentement tacite du peuple, de même une loi n’a d’autorité que par l’approbation du peuple. L’imprimé, en assurant une diffusion beaucoup plus large des lois, doit donc logiquement en permettre la meilleure application. Ainsi se réalise peut-être l’un des vœux anciens de la monarchie, exprimé par exemple dans les articles 78 et 79 de l’ordonnance de mars 1498/9, ou il est expressément question de la lecture des ordonnances et de la confection d’un « livre des ordonnances », fameux article 79 qui sert d’ailleurs d’épigraphe à l’entreprise d’Isambert...

12Xavier Prévost nous donne ainsi une superbe leçon d’introduction, maîtrisée de bout en bout, à la mens legis du roi, de ses juristes, de ceux qui la diffusent comme de ceux qui la reçoivent, au premier demi-siècle de son existence imprimée.