Chapitre 1. Paysage épistémologique
p. 31-33
Texte intégral
1Depuis de nombreuses années, les méthodes qualitatives ne cessent de gagner en importance dans les sciences sociales. Que ce soit en anthropologie, en sociologie, en sciences de l’éducation ou encore en criminologie, les approches qualitatives s’enracinent dans ces domaines. Toutefois, la popularité de ces méthodes s’est vue accompagnée d’une importante diversification des pratiques. La science – et les recherches qui en découlent – ne doit plus confronter le monde à la connaissance acquise ; « elle doit plutôt se demander si l’image que nous en avons [du monde] est utile pour faire face à l’environnement, mais d’une façon à nous faire gagner aussi en entente intersubjective, en créativité, en solidarité et en capacité d’écoute à l’endroit de tous ceux et celles qui souffrent » (Poupart, et al., 1997, p. 3). Dès lors, pour éviter de tomber dans ce paradigme philosophique qui attribue à la science la découverte de la vérité sur le monde empirique, le respect de la réalité des acteurs dans une perspective rattachée à l’environnement dans lequel cette réalité émerge constitue une priorité de la présente étude. Au sens de Rorty, cet ouvrage soutient que le « désire d’objectivité » doit céder sa place au « désir de solidarité » (1994). Pour ces raisons, cette recherche se base sur une théorie fondée – ou « grounded theory » – découlant inductivement de l’étude du phénomène qu’elle présente (Strauss, 1992). Comme le soulignent Corbin et Strauss, « on commence plutôt avec un domaine d’étude et on cherche à faire émerger ce qui est pertinent pour ce domaine » (1990, p. 23). « La théorie ancrée a pour but de générer une théorie à partir de données recueillies sur le terrain et auprès de personnes possédant une expertise pertinente » (Rousseau & Saillant, 1996, p. 142). Ce travail part ainsi de données recueillies plutôt que de leur analyse en fonction d’une théorie préétablie. Il se découvre, se développe et se vérifie à travers la collecte systématique d’un matériau dans lequel l’analyse et la théorie sont en constante interdépendance.
2Cette recherche se base également sur une conception de l’interactionnisme symbolique, conduisant à concevoir le monde social étudié sous l’angle de ses interactions (Woods, 1992). L’interactionnisme symbolique se particularise par deux points importants : le point de l’interaction dans lequel la société représente un ensemble de relations et où l’individu est un être social relationnel ; le point symbolique considère l’être social comme actif et donnant du sens aux choses. En accordant une importance à la situation présente, on s’interroge sur ce qui se passe lorsque les individus sont en coprésence. Cette approche s’appuie sur l’idée que les êtres agissent sur le monde en fonction du niveau de signification accordée, que cette signification s’amorce dans l’interaction sociale et que celle-ci dépend de processus d’interprétation (Blumer, 1937). A l’inverse d’une approche structuraliste, cet ouvrage repose sur une conception du changement au travers duquel l’individu évolue. Ce ne sont pas les choses et leurs sens qui s’imposent à l’acteur social mais le contraire. Ce fondement conduit à considérer le sens des choses comme instable. Les situations étudiées sont incertaines et les circonstances des rôles de chacun susceptibles de modifier le sens et les routines sociales ; la perspective, les stratégies, la négociation et la carrière des acteurs étant des exemples typiques de la déconstruction de cette réalité univoque. Une réalité qui ne constitue que l’image d’un ordre, alors que la « véritable » vie sociale est assignée à une scène de théâtre dans laquelle les individus ne sont que des acteurs en représentation (Goffman, 1973).
3De cette posture épistémologique, il convient de spécifier le statut de cette étude. Il serait intéressant de formuler de nouvelles questions pour des recherches futures et de générer in fine de nouvelles idées et hypothèses. Néanmoins, les spécificités contextuelles et situationnelles du terrain et de la méthodologie qui en découle confèrent à cette recherche une approche exploratoire. Comme le soulignent Trudel, Simard, et Vonarx, « la recherche exploratoire peut viser à clarifier un problème qui a été plus ou moins défini. Elle peut aussi aider à déterminer le devis de recherche adéquat, avant de mener une étude de plus grande envergure », (2007, p. 39). Par « devis », les auteurs font allusion à la construction d’un cadre de référence plus précis, pouvant orienter l’étude. Celui-ci détermine l’ensemble des conventions qui interviennent et indique un angle spécifique de recherche dans la perspective d’une étude approfondie. Dès lors, cet ouvrage contribue à baliser une « réalité à étudier » (Trudel, Simard, & Vonarx, 2007), afin de favoriser des procédés pour une récolte de données des plus adéquates et documenter ses aspects.

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