Introduction
p. 15-21
Texte intégral
1La concurrence entre états impose aux gouvernements de mettre en œuvre en permanence diverses stratégies afin de tirer au mieux leur épingle du jeu. Petit pays, la Suisse doit être d’autant plus prudente qu’elle ne dispose pas d’importantes ressources naturelles. De fait, sa réussite est régulièrement associée à la matière grise de ses habitants ; leurs connaissances et savoir-faire sont en effet considérés comme la clé de son développement et de sa prospérité. Auscultée de près par ses concurrents, la Suisse se doit à plus forte raison de maintenir des systèmes d’éducation et de formation de qualité afin de disposer de citoyens capables d’assurer son fonctionnement économique, politique et social.
2À l’échelle internationale, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) promeut également l’idée selon laquelle l’éducation est essentielle à l’évolution des sociétés et à leur croissance économique. L’éducation a effectivement acquis une importance telle que de nombreux travaux scientifiques étudient les modes de gestion des systèmes d’enseignement afin de les améliorer. L’OCDE a notamment mis sur pied le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA). Ce dernier a pour but d’évaluer les systèmes éducatifs de ses pays membres en s’intéressant aux performances des élèves de 15 ans dans les trois disciplines suivantes : la lecture, les mathématiques et les sciences. Afin de tirer des conclusions en matière d’efficacité et d’équité des systèmes éducatifs, les enquêtes PISA tentent de mettre en lien différents facteurs individuels et contextuels avec les résultats des élèves à des tests standardisés. À travers cette évaluation, le programme analyse puis compare les systèmes éducatifs afin de formuler des recommandations susceptibles d’aider les pays à orienter leurs politiques éducatives vers des modèles efficaces et équitables. Ces évaluations montrent que la valeur de l’éducation dans la société ne fait plus aucun doute dans les communautés enseignantes, scientifiques ou politiques. En revanche, bien que les objectifs du programme PISA revendiqués par l’OCDE soient louables, ils ne font pas l’unanimité chez ces acteurs, tous concernés par la qualité des systèmes éducatifs.
3Depuis l’an 2000, la Suisse participe à ce programme et se soumet à une évaluation internationale. Cela dit, la structure fédéraliste du pays et la multitude de systèmes scolaires cantonaux ont incité la Suisse à mener parallèlement une enquête PISA nationale afin de disposer d’informations plus approfondies sur les performances des vingt-six cantons en matière d’éducation. Pour ce faire, la Suisse a choisi de se concentrer sur les élèves de 11e année1, la dernière de la scolarité obligatoire. Cette enquête supplémentaire s’est révélée tout à fait pertinente car elle a permis de rendre compte de particularités locales des systèmes cantonaux. L’édition 2015 a cependant été la dernière en raison d’un nouveau système de monitorage de l’éducation suisse sous-jacent au concordat Harmos dont la mise en œuvre s’est terminée cette même année.
4Cet ouvrage propose de revenir sur cette enquête nationale et particulièrement sur les performances de deux cantons romands – Genève et le Valais – dont les résultats ont laissé apparaître de grands écarts. Il sera question ici de répondre aux questions suivantes : Quelles sont les représentations des acteurs éducatifs valaisans et genevois à son sujet ? PISA est-il réellement utilisé comme un outil de monitorage pour orienter les systèmes scolaires suisses ?
Qu’est-ce que le programme PISA ?
5« Rapport PISA : tous des cancres, sauf Valais et Fribourg », voilà comment les résultats de la deuxième enquête PISA Suisse romande étaient résumés dans Le Nouvelliste2 du 5 mai 2005. Depuis sa création, le programme d’évaluation a occupé à plusieurs reprises les unes des journaux et a fait l’objet de titres accrocheurs et de formules-choc dans la presse romande. Comment une enquête scientifique créée par une organisation à but économique est-elle parvenue à se faire une telle place dans la presse quotidienne ? L’image de PISA véhiculée par les médias se limite à la présentation des moyennes des pays ou des cantons sous la forme d’un classement où le podium a plus de valeur que les détails des résultats. Les moyennes, sorties de leurs contextes, ne prennent pas en compte les spécificités des publics scolaires et apportent peu d’informations. À l’inverse, la façon d’aborder PISA dans le milieu scientifique accorde peu d’importance au classement des pays. L’accent se situe davantage sur les processus sous-jacents à la réalisation des enquêtes : notamment le choix du public testé et exclu, la sélection des caractéristiques sociodémographiques des pays et des cantons pertinentes pour les comparaisons, ou la méthodologie utilisée.
6Pour mieux comprendre ce programme, il est indispensable de nous interroger sur l’histoire de sa création et de son développement. Pour ce faire, nous devons nous familiariser avec les différents courants de recherche ainsi que les mouvements socioculturels qui ont petit à petit fait évoluer la conception de l’éducation. En effet, PISA n’est pas né d’une simple curiosité pour les systèmes éducatifs mais il prend sa source dans un véritable « changement social » (Mons, 2008, p. 5) survenu dans les années 1980. Selon Mons, il s’agit effectivement d’un bouleversement des principes mêmes de la démocratie qui ont vu les politiques éducatives prendre une ampleur telle qu’elles se sont introduites dans le débat public. L’auteure parle de « changement social » car il ne s’agit pas uniquement de repenser les systèmes éducatifs, mais de repenser la société. Les systèmes éducatifs se sont graduellement transformés grâce au développement de la recherche et c’est ainsi que l’éducation, dont la gestion se basait autrefois sur des coutumes et des convictions, a fait son entrée dans le monde scientifique dans un but d’évolution et d’amélioration. Les rôles des gouvernements centraux, des acteurs éducatifs et de l’ensemble des membres de la société ont été modifiés dans la perspective d’un système d’éducation plus efficace.
7L’évaluation des systèmes éducatifs est née dans cette atmosphère. Dutercq et Van Zanten (2001), Olsen et Lie (2006), Dumay et Dupriez (2009) et d’autres se sont intéressés aux raisons qui ont fait que l’évaluation des systèmes éducatifs ait acquis un rôle primordial dans la société. D’après ces auteurs, les enquêtes internationales telles que PISA représentent l’aboutissement de cette évolution de la conception d’éducation. Ils clarifient ce processus de changement et présentent comment l’évaluation des systèmes éducatifs est passée d’un outil de transmission d’informations à un instrument de régulation politique mondialement répandu.
8Dans les documents PISA, cette fonction instrumentale est fortement revendiquée. Toutefois, d’après Bloem (2013), les opinions concernant le rôle des enquêtes PISA dans les politiques éducatives se partagent entre ceux pour qui l’évaluation doit se limiter à la transmission et à la description des informations, et ceux qui considèrent que l’évaluation n’a pas lieu d’être sans proposer une analyse approfondie des données assortie de conclusions en matière de politiques éducatives. La revue de la littérature montre que l’objectif de l’OCDE à travers PISA est clair : servir aux politiques éducatives. La revendication d’une fonction utilitaire du programme PISA est une chose ; qu’en est-il en réalité ? Nous savons que l’éducation en Suisse relève principalement de la compétence des cantons et que, de ce fait, chaque canton – il y en a vingt-six – est responsable des politiques éducatives qui le concernent. Les résultats des enquêtes PISA ont-ils leur place dans la régulation de ces systèmes scolaires ? Il s’agit, dans ce livre, de déterminer si l’utilisation souhaitée des enquêtes PISA dans les politiques éducatives des deux cantons étudiés est effective.
9Les désaccords au sujet de l’usage de PISA existent à l’échelle internationale et certainement à l’échelle cantonale. Un certain intérêt sera porté à la conception des acteurs éducatifs valaisans et genevois : considèrent-ils les enquêtes PISA comme un outil politique dans la régulation de leurs systèmes scolaires ? Nous aborderons ces différents aspects à travers la mise en lien des résultats des enquêtes PISA et des différentes mesures introduites dans les contextes éducatifs valaisan et genevois entre 2000 et 2009.
10L’objectif de ce travail est triple. Il s’agit tout d’abord de clarifier et de présenter les principes et les fonctionnements des évaluations PISA. Il est ensuite question de s’intéresser aux cantons de Genève et du Valais dont les résultats PISA présentaient entre 2000 et 2009 d’importants écarts. L’enjeu de ce deuxième objectif est de comprendre les raisons qui expliquent ces différences de performances. Enfin, nous souhaitons déterminer dans quelle mesure les enquêtes PISA ont eu un impact sur les conceptions de l’éducation et sur les systèmes scolaires de ces deux cantons à travers l’observation des réactions politico-sociales qu’elles ont provoquées.
11Partant du fait que les principes mêmes de PISA sont débattus au sein des milieux éducatifs, l’utilisation de ces enquêtes dans la régulation des politiques éducatives des cantons du Valais et de Genève est-elle également remise en cause ? Cette question principale représente le fil rouge de notre travail ; nous l’avons développé à travers différents questionnements qui structurent ce livre en points succincts.
12Pour pouvoir étudier les enquêtes PISA et leur impact local, il est tout d’abord indispensable de répondre à la question suivante : qu’est-ce que le programme PISA et comment est-il né ? Nous nous intéresserons aux courants scientifiques qui ont développé un intérêt pour l’efficacité en éducation et qui ont par là même initié l’utilisation de pratiques évaluatives dans l’univers éducatif. Il s’agit de découvrir comment le concept d’efficacité a fait son entrée dans le domaine de l’éducation à l’échelle internationale et comment l’évaluation est devenue un instrument indispensable dans la gestion des systèmes éducatifs de nombreux pays. Ces premiers questionnements nous permettront de comprendre, d’une part, les raisons pour lesquelles le programme PISA cherche à évaluer l’efficacité des systèmes éducatifs et, d’autre part, la vocation instrumentale de ces enquêtes.
13La découverte du processus social et scientifique duquel PISA découle suscite des interrogations sur ce que le programme réalise concrètement : quelles composantes des systèmes éducatifs évalue-t-il et comment ? Ces explications rendent compte des aspects du programme qui suscitent des désaccords. Est-ce l’objet sur lequel portent les évaluations PISA qui fait débat ou plutôt la méthodologie utilisée ? Nous chercherons en définitive à identifier les raisons pour lesquelles il existe des différences d’opinions à leur sujet.
14Enfin, il s’agira de s’intéresser plus particulièrement aux contextes temporel et local dont il est question dans cet ouvrage : quels sont les facteurs responsables de l’important écart entre les résultats des élèves valaisans et ceux de leurs camarades genevois relevé par PISA et comment cet écart a-t-il évolué jusqu’en 2009 ? Sachant que les enquêtes PISA sont régulièrement remises en question, pouvons-nous vraiment nous fier à ces résultats ? Ce questionnement introduit le suivant, qui relève de l’impact des enquêtes PISA : les résultats sont-ils pris au sérieux et réellement utilisés dans les politiques éducatives valaisannes et genevoises ou sommes-nous face à une instrumentalisation de PISA ?
15Six ans après l’enquête 2009, la Suisse a décidé de mettre fin à sa participation à l’enquête complémentaire réalisée sur les élèves de 11e année. Après s’être soumis à cette évaluation nationale à six reprises pendant quinze ans, le pays a jugé qu’un nouveau dispositif de monitorage du système éducatif était préférable au programme imaginé par l’OCDE. L’enjeu de PISA et la question de son instrumentalisation prend dès lors une nouvelle tournure : la Suisse a-t-elle pris cette décision suite à une remise en question de la légitimité du programme ? Enfin, les acteurs éducatifs suisses ont-ils tiré des enseignements de leur participation à l’enquête PISA ?
Notes de bas de page
1 Dans cet ouvrage, nous utilisons la numérotation Harmos, du nom de l’Accord intercantonal sur l’harmonisation de la scolarité obligatoire (ou concordat Harmos) entré en vigueur en 2009. À travers l’harmonisation des objectifs et de la durée de chaque cycle scolaire, l’accord a pour but de rendre plus perméable le paysage éducatif suisse. Harmos a instauré un système de monitorage responsable d’évaluer l’atteinte des objectifs nationaux et a modifié la numérotation des années de la scolarité obligatoire : le pré-scolaire, le primaire et le secondaire I sont regroupés en un bloc allant de la 1re à la 11e. La 11e Harmos correspond à l’ancienne 9e. En 11e année, les élèves suisses étudient dans des « cycles d’orientation ».
2 Quotidien valaisan sur l’actualité valaisanne, nationale et internationale. Pour le titre cité, voir http://www.arle.ch/archives/ARLE/Nouvelliste/cancres.html

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