Chapitre 5. Discussion et conclusion
p. 149-159
Texte intégral
Enseigner la catégorisation permet‑il d’apprendre à catégoriser ?
1La première question à la base de ce travail concerne l’enseignement de la catégorisation en classe de 2P. Elle se formule en termes de démarche d’enseignement et de pratiques enseignantes : Enseigner la catégorisation comment et à quelles conditions ?
2Enseigner la catégorisation demande de s’intéresser aux moyens existants. L’outil retenu dans ce travail pour l’apprentissage de la catégorisation en 2P est « Catégoriser des catégories ». Il annonce des objectifs qui vont clairement dans le sens des attentes mentionnées dans le PER, c’est-à-dire faire construire un concept de catégorie et d’appartenance catégorielle flexible et aussi induire le développement de prises de conscience métacognitives relatives aux conduites de catégorisation et à l’autorégulation (Cèbe, 2001). Disposer d’un outil n’est ainsi pas suffisant pour assurer l’enseignement. De nombreux gestes professionnels sont à développer pour enseigner dans une visée d’apprentissage des élèves. L’analyse a priori, la planification, la mise œuvre, la posture réflexive et la prise en compte du contexte sont des gestes essentiels pour favoriser l’enseignement. Ce sont ces gestes professionnels qui ont permis une transposition de cet outil en tant que moyen d’enseignement.
3Travailler la catégorisation à partir et à l’aide d’un outil ne signifie pas l’appliquer de manière systématique et machinale. L’enseignant se doit de pratiquer une analyse réflexive et critique de l’instrument. L’analyse de Catégoriser des catégories a révélé plusieurs contraintes imposées par l’outil tant au niveau des pratiques enseignantes que de l’organisation du travail ou encore du temps scolaire nécessaire à la mise en place. L’utilisation d’un outil didactique en classe requiert un investissement important de la part de l’enseignant en termes d’appropriation, de préparation, d’organisation et par conséquent de temps.
4Si le temps nécessaire à la mise en œuvre de tels outils est important, l’investissement est par contre bénéfique pour le développement des élèves et pour d’autres activités faites en classe. La maîtrise de compétences cognitives relativement générales, comme catégoriser ou comparer, aide à la construction des apprentissages fondamentaux. Les procédures caractéristiques d’un fonctionnement efficace comme la réflexion métacognitive et la flexibilité favorisent elles aussi les apprentissages ainsi que l’autonomie des élèves dans les apprentissages.
5La deuxième question s’intéresse aux effets d’un entraînement à la catégorisation chez des enfants de 5-6 ans, elle se formule comme suit : Apprendre à catégoriser en 2P favorise-t-il le développement catégoriel ?
6Les résultats obtenus lors des épreuves ont permis de constater une influence certaine de l’entraînement à la catégorisation au moyen d’un outil sur le développement catégoriel des élèves de 2P ayant bénéficié de cette expérience. En effet, les résultats exposés dans le chapitre 6 indiquent que l’entraînement auquel ont été soumis les enfants de la classe expérimentale avec l’outil de catégorisation les a amenés à une plus grande maîtrise des relations catégorielles. Les résultats démontrent une amélioration de la performance de la classe expérimentale dans son ensemble. De plus, les résultats individuels sont meilleurs puisque, hormis pour certains élèves, les tentatives nécessaires à établir la relation catégorielle demandée se sont réduites lors du post-test dans la classe expérimentale. On note également que cette amélioration de la performance a concerné la majeure partie des élèves puisque les résultats obtenus sont, au final, plus homogènes dans la classe expérimentale par rapport aux résultats obtenus dans la classe contrôle.
7Un autre point pouvant être mis en évidence est la nette amélioration des performances constatée dans l’épreuve 3 du renversement dans une relation schématique. En effet, on note ici que l’entraînement dont a bénéficié la classe expérimentale a permis une flexibilité plus marquée des élèves vis-à-vis de la relation catégorielle testée. En revanche, lors de l’épreuve de renversement portant sur la relation taxonomique, les performances sont moindres et cela pour les deux classes.
8La comparaison des résultats obtenus entre les tests portant sur la relation schématique et ceux portant sur la relation taxonomique démontre qu’à cet âge les élèves ont plus de difficultés à établir une relation taxonomique. Ces résultats corroborent ce que plusieurs chercheurs (Blaye & Bonthoux, 2001 ; Cordier, 1996 ; Walsch, Richardson & Faulkner, 1993) avaient déjà mis en évidence, à savoir, une plus grande facilité dans l’établissement de la catégorisation schématique plutôt que taxonomique chez des enfants de 3 à 6 ans. Les résultats montrent l’effet perturbateur du renversement lorsqu’il s’agit de devoir établir une relation catégorielle taxonomique à la suite de l’établissement d’une relation schématique initiale. En effet, les enfants maîtrisent mieux la relation schématique et lorsqu’ils sont amenés à devoir faire preuve de flexibilité pour renverser cette relation schématique en relation taxonomique, cela leur est difficile. Ce renversement étant complexe, les élèves ne savent plus comment réagir et cela conduit à un nombre élevé de tentatives. Cela n’est pas le cas lorsque le renversement concerne la relation schématique après l’établissement d’une relation taxonomique initiale, puisque les enfants ont moins de peine à établir à nouveau la relation schématique avec laquelle ils ont le plus de facilité. C’est bien ce qui a été observé pour l’épreuve 3 lors des pré-tests avec la réduction du nombre de tentatives.
9Les résultats des pré-tests de cette recherche démontrent que les élèves des deux classes réussissent assez facilement la première épreuve puisque le nombre de tentatives demeure faible et homogène (un faible nombre de tentatives caractérise toutes les classes). Ils sont donc capables de reconnaître assez rapidement les associations taxonomiques ainsi que les associations schématiques. Par contre, dans l’épreuve 2, les élèves ont plus de difficulté à maintenir la relation taxonomique en situation d’interférence (écureuil-arbre-souris) et la troisième épreuve qui demande d’inhiber la règle première pose également des problèmes. Les études de Zelazo (2006) font état de la présence de différents types de représentations catégorielles chez les jeunes enfants en précisant qu’ils ne gèrent pas l’utilisation de ces représentations par manque de connaissances métacognitives. C’est peut-être ce manque de connaissances métacognitives qui génère les difficultés, liées à la relation taxonomique et au renversement des relations rencontrées par les élèves. En termes de conceptualisation, telle que présentée par Blaye, Paour et Perret (2002 ; citée par Bonthoux et al., 2004), j’ai constaté que les élèves des deux classes disposent d’un niveau conceptuel qui leur permet de discriminer la relation catégorielle mais qu’ils ne maîtrisent pas encore le niveau qui permet une représentation suffisamment explicite des deux catégories en jeu. Les résultats du post-test confirment ce constat, tout en soulignant une amélioration de la maîtrise du deuxième niveau de conceptualisation chez les élèves de la classe expérimentale.
10La figure 22, qui rend globalement compte des résultats des tests lorsque la relation initiale est la relation schématique, démontre que l’entraînement à la catégorisation a permis aux élèves de la classe expérimentale d’avoir une meilleure maitrise de la relation schématique et de la relation taxonomique (épreuve 1 et 2 du post-test). La flexibilité catégorielle s’est également développée mais dans une moindre mesure pour la relation taxonomique en situation de renversement.
Figure 22. Relation schématique : nombre moyen de tentatives selon la classe et l’épreuve

11La figure 23, qui rend compte des résultats des tests lorsque la relation initiale est la relation taxonomique, démontre que l’amélioration des performances des élèves de la classe expérimentale s’est renforcée dans les épreuves 1 et 2 et indique que l’entrainement dispensé dans cette classe a permis d’atteindre des performances plus élevées. Par contre l’entrainement ne semble pas avoir eu un effet aussi marqué sur l’épreuve 3 du renversement puisque les performances de la classe expérimentale ne se sont que faiblement améliorées et sans se démarquer de celles de la classe contrôle. Cela tend à indiquer que la relation catégorielle taxonomique est plus difficile à maîtriser, ce que j’ai observé dans les pré-tests, et que lorsqu’on introduit le renversement, la flexibilité catégorielle a un rôle perturbateur.
Figure 23. Relation taxonomique : nombre moyen de tentatives selon la classe et l’épreuve

12Enfin une analyse des scores individuels des élèves, et dans une moindre mesure les écarts moyens, tend à démontrer que l’acquis et l’effet de l’entrainement a bénéficié à l’ensemble de la classe expérimentale et n’est pas seulement le reflet de l’amélioration des performances d’une minorité d’élèves.
13Plusieurs hypothèses peuvent expliquer les performances relatives des élèves lorsque les épreuves mettent en jeu la flexibilité. Tout d’abord, j’ai pu constater que l’entraînement a permis des prises de conscience (un objet peut être catégorisé de manière différente) mais que cette connaissance n’est pas encore totalement acquise. Certains élèves doutent, se questionnent et ne maitrisent pas encore le processus qui leur permet de réaliser la tâche. Cette forme de déstabilisation a été très concrètement constatée lors de la passation des épreuves. Certains élèves prenaient beaucoup de temps lors du post-test pour réfléchir et tenter diverses associations mentalement avant de donner une réponse. Je peux en déduire que ces élèves étaient encore dans une phase d’apprentissage car ils avaient les connaissances mais ne pouvaient pas encore les mobiliser en autonomie. Ces élèves auraient encore eu besoin d’entraînement et d’explicitation pour comprendre et maîtriser cette habileté. Cela me permet tout de même de constater que les activités d’entrainement sont bien ciblées et que dans une perspective vygotskienne de l’apprentissage, ces activités se situent bien dans la zone proximale de développement des élèves. En effet, les élèves sont capables de réaliser les tâches avec le guidage de l’adulte mais, seuls, ils hésitent encore et n’ont pas encore totalement compris ni généralisé les procédures.
14Une autre raison pour expliquer la moindre performance en termes de flexibilité catégorielle, concerne la temporalité relativement courte entre les pré-tests, l’entraînement et les post-tests. Ce temps limité n’a pas permis une stabilisation des acquis et, comme mentionné lors de l’analyse de l’outil, un entrainement moins dense, étalé sur plusieurs mois, aurait certainement favorisé les apprentissages et la généralisation de manière plus marquée. Le développement cognitif n’étant pas linéaire, les élèves ont besoin de s’exercer et d’expérimenter pour maîtriser et secondariser les connaissances. Un rythme régulier serait souhaitable pour la succession des séances (une fois par semaine) et un temps d’expérimentation pour exercer les différents jeux présentés apparaît aussi comme essentiel (jeux de catégorisation sur la semaine). Les élèves de la classe expérimentale n’ont ainsi pas pu bénéficier de suffisamment de temps d’expérimentation hors des séances spécifiques dédiées à la catégorisation.
15Une autre tentative d’explication de ces résultats pourrait être la succession trop rapprochée entre les tests portant sur la relation schématique et ceux portant sur la relation taxonomique (deux semaines d’intervalle). Cette proximité d’épreuves semblables peut être une cause de brouillage pour les élèves. De plus, cette succession des épreuves portant sur la relation schématique puis taxonomique pourrait avoir une influence plus particulière sur les résultats des épreuves taxonomiques étant donné que les élèves avaient déjà été confrontés à ce type d’exercices avec, en partie, le même matériel. Malgré ces différents éléments qui ont pu avoir une influence sur le déroulement des tests et les performances des élèves, je peux considérer que les résultats obtenus lors de ces épreuves sont valables puisque l’objectif était de mesurer les effets éventuels d’un entraînement à la catégorisation et que les deux classes ont été confrontées aux mêmes conditions de test.
16Cette étude a permis d’apporter des réponses positives aux deux questions qui ont guidé ma réflexion. En effet, je considère que l’enseignement de la catégorisation est réalisable en classe de 2P et qu’un entraînement à l’aide d’un outil adéquat favorise une conceptualisation des relations catégorielles chez les enfants.
17Ces résultats confirment qu’il est non seulement positif, mais sans doute aussi primordial, de développer les processus de catégorisation et la flexibilité catégorielle à l’école, comme le propose Bonthoux et al. : « L’école maternelle est sans doute un lieu privilégié où les apprentissages de la flexibilité sont susceptibles de favoriser à la fois le développement conceptuel et le développement des capacités de contrôle » (2004, p. 174).
Le point de vue de l’enseignante chercheuse
18Lors de la réalisation de cette recherche, il s’est agi d’être à la fois enseignante et chercheuse ce qui exige d’être alternativement actrice et observatrice et d’entrer dans un processus d’observation participante comme la définit Gagnon (2008) :
le chercheur […] joue un rôle dans la situation observée et participe directement aux événements. Cela permet d’avoir accès à des événements qui échappent généralement à l’étude scientifique et de percevoir la réalité du point de vue de quelqu’un d’interne au cas. (p. 67)
19Cette double fonction résulte aussi du processus de conception continue dans l’usage, puisque dans ce type de recherche, on ne s’intéresse pas uniquement aux effets de l’instrument sur les apprentissages des élèves mais aussi à la manière dont les enseignants utilisent cet instrument, c’est-à-dire à sa mise en œuvre concrète dans la classe (Cèbe & Goigoux, 2007). Il s’agit aussi de rechercher la meilleure adaptation possible de l’instrument aux processus d’apprentissages et aux contraintes de l’organisation scolaire.
20L’analyse de ma pratique a exigé de prendre de la distance et de porter un regard le plus objectif possible sur l’instrument et sa mise en œuvre. Dans les phases des pré-tests et des post-tests, en revanche, j’ai dû abandonner mon rôle d’enseignante pour ne garder que celui de chercheuse car ces situations de test impliquaient une neutralité et une objectivité maximales pour garantir la validité des résultats. Il est à relever que, principalement lors des post-tests, j’ai dû fortement inhiber mes réflexes d’enseignante et plus particulièrement avec les élèves de la classe expérimentale. En effet, ayant vécu avec ces élèves la phase d’entraînement et ayant connaissance de leurs compétences catégorielles, je savais qu’il suffisait d’un mot ou d’un encouragement face à leurs hésitations pour que leur réponse soit adéquate, non seulement pour le triplet présenté mais aussi pour les suivants. J’ai vu la déstabilisation et les hésitations de certains enfants et j’ai dû m’interdire de les guider dans leurs réflexions. Pour certains enfants, le fait que je n’intervienne pas et que je donne toujours le même feedback neutre dans cette situation de test a pu contribuer à les déstabiliser.
21Tout au long de cette recherche, j’ai pu observer chez mes élèves un grand intérêt pour les activités de catégorisation. Ils ont montré un réel plaisir à manipuler le matériel, à se questionner et à expliciter leur procédure et, au final, leurs compétences catégorielles se sont clairement affinées. Pour ma part, développer la catégorisation en classe a été source de découvertes, de plaisir ainsi que d’apprentissages. Apprentissages en termes d’organisation multiple et d’affinement de mes pratiques professionnelles.
22Cette recherche retrace l’expérience d’un travail sur le développement de la catégorisation dans un contexte restreint d’une classe de 2P. Elle a démontré les effets de l’entrainement à la catégorisation sur le développement catégoriel des élèves et a mis en évidence l’intérêt de ce type de procédure pour favoriser l’émergence des concepts et de la prise de conscience des élèves sur l’utilisation des concepts. Ainsi comme le précise Paour (2012) « la construction des concepts de base conditionne l’efficience de l’apprentissage des contenus scolaires » (p. 10) et cette démarche qui vise à exercer des procédures pour accéder aux concepts à travers la catégorisation s’avère totalement appropriée et s’inscrit pleinement dans la perspective de développer « la pensée conceptuelle chez tous les enfants » (CIIP, 2010, p. 7) comme le préconisent les recommandations officielles.
23Dans la perspective d’une construction des apprentissages chez nos élèves, il importe donc d’accorder une place à la catégorisation dans notre enseignement mais il faut aussi veiller, comme cette recherche n’a cessé de le démontrer, au travail de transposition didactique dévolu à l’enseignant car les gestes professionnels requis pour la mise en œuvre d’outils ou d’instruments pédagogiques concourent de manière égale et tout aussi importante à la réussite des apprentissages des élèves.

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