Chapitre 1. La catégorisation
p. 25-57
Texte intégral
1Le processus de catégorisation est un processus universel. Subdiviser ses connaissances en catégories permet d’appréhender le monde et de mettre de l’ordre dans ses connaissances. La catégorisation est omniprésente dans la vie quotidienne : « Nous rangeons dans des espaces concrets ou abstraits, déterminés ou fluctuants, les objets de notre univers physique, les idées, les croyances, les conceptions de notre univers psychologique. » (Bideaud, 1992, p. 5). Nous sommes ainsi quotidiennement amenés à classer, regrouper et organiser notre environnement et pour ce faire, nous sollicitons le processus de la catégorisation. Ce processus fondamental participe à différents autres processus cognitifs comme la perception et la compréhension de concepts et d’objets, la mémorisation ou encore la résolution de problèmes (Maintenant, 2008). Le processus de catégorisation permet en outre une économie cognitive dans la confrontation à de nouveaux objets en permettant des inférences (ex. : associer un animal inconnu, un héron, à une catégorie connue, les oiseaux, parce qu’il vole). Il s’agit d’une conduite à forte valeur adaptative, qui autorise d’emblée un comportement adéquat en réponse à un nouvel objet ou événement : les connaissances préalablement établies sur une catégorie peuvent être immédiatement généralisées aux nouveaux exemplaires de cette catégorie (Kalénine, Garnier, Bouisson & Bonthoux, 2007). Catégoriser contribue donc à réduire la complexité du monde et à mettre de l’ordre dans ses connaissances en les subdivisant en catégories.
2Catégoriser consiste à considérer des objets divers comme équivalents selon certaines caractéristiques (Cèbe et al., 2004). La notion de concept renvoie quant à elle à la représentation mentale d’une catégorie, relativement stable et stockée dans la mémoire à long terme. C’est une définition qui se réfère à la signification des objets et aux relations qu’ils entretiennent (Bonthoux, Berger & Blaye, 2004) Les concepts sont donc des représentations mentales basées sur des significations, c’est-à-dire des représentations abstraites du réel.
3La catégorisation correspond à une activité cognitive qui permet de traiter des objets différents de la même façon et par là, de dépasser les spécificités au profit de la généralité (Bonthoux et al., 2004). Blaye (2001, p. 26 cité par Maintenant, 2008, p. 11) signale que : « Si la catégorie correspond à un ensemble d’objets, la catégorisation correspond au processus par lequel on assigne les objets aux catégories ». On parle alors de conduites de catégorisation. (Maintenant, 2008).
4Les concepts influencent la perception de l’environnement, ils déterminent la façon d’agir et de comprendre les événements dans une situation donnée (Bonthoux et al., 2004). Le fait de ne pas être confronté continuellement à des entités uniques en pouvant les rattacher à des catégories favorise la compréhension du monde et permet d’anticiper les régularités.
5Un enfant reçoit chaque jour une multitude d’informations. Il détermine des équivalences d’objets en adoptant un point de vue particulier qui lui permet de traiter les informations. Il construit alors une représentation mentale plus ou moins complète de l’ensemble des relations qui existent entre les différents éléments d’un système. Ces concepts permettent d’organiser les connaissances et de les généraliser à de nouvelles situations. Catégoriser permet ainsi de mettre en relation des objets ou des situations nouvelles avec des catégories déjà constituées. Selon Bonthoux et al., la catégorisation peut être « décrite comme une fonction cognitive fondamentale » (2004, p. 7) puisqu’elle permet de réduire l’effort cognitif (perception, mémoire) en représentant le monde de manière plus économique et informative.
6Le développement de la catégorisation a été l’objet de deux approches différentes. Une première, dite classique (Bonthoux et al., 2004), selon laquelle les enfants catégorisent d’abord à partir de traits physiques saillants puis ensuite abandonnent cette catégorisation, sur la base d’autres critères liés à la signification. Les travaux de Piaget et Inhelder (1959) et de Vygotski (1934/1997) sont représentatifs de cette approche. La deuxième approche est l’étude des catégories naturelles (Bernard-Peyron, 2001). Elle se centre sur l’organisation du contenu des catégories, mis en avant par les travaux de Rosch (1976) et de Nelson (1986).
7Dans une perspective piagétienne, une classe d’objets est définie par une liste de propriétés nécessaires et suffisantes qui détermine son extension et donc tous les membres d’une même catégorie sont équivalents (Piaget & Inhelder, 1959). Dans une approche des catégories naturelles, l’état du monde détermine l’organisation des connaissances et l’élaboration d’organisations catégorielles se fait sous forme de catégories taxonomiques (relation intra-objets de similarité, où les éléments sont associés sur la base de propriétés communes) et schématiques (relation inter-objets de contiguïté lorsque les éléments sont associés dans une scène ou un évènement quotidien).
Le développement des conduites catégorielles : l’approche classique
L’approche piagétienne
8Selon la conception classique d’Aristote, la catégorisation est le fait de regrouper des éléments selon des propriétés communes. Dans une catégorie, on retrouve des éléments qui se ressemblent et qui partagent des caractéristiques communes, des traits communs, et qui présentent un statut égal. Par exemple dans la catégorie des fruits on trouve la fraise, la pomme, la poire et l’orange (ils contiennent des graines).
9Piaget se situe dans le courant constructiviste développemental selon lequel l’acquisition des connaissances est une construction personnelle du monde. La logique est ici considérée comme « l’axiomatique de l’intelligence » (Bideaud & Houdé, 1989, p. 89). Le développement de la catégorisation est étudié selon sa finalité logico-mathématique. C’est donc en termes de classification que Piaget a étudié le développement de la catégorisation chez l’enfant. Selon Piaget et Inhelder (1959), le développement des classifications s’opère hiérarchiquement en trois stades distincts.
10Le premier stade, nommé stade des collections figurales, concerne les enfants entre 2 ans et 4‑5 ans. L’enfant, à ce stade, regroupe les objets par juxtaposition spatiale qui conduit à des organisations perceptives. Il utilise des critères non pas logiques mais figuraux pour ces regroupements. Ces collections figurales peuvent se présenter sous forme de configurations spatiales permettant de leur attribuer une signification ; par exemple, les objets sont placés de telle manière qu’ils forment tous ensemble le dessin d’une maison.
11Le deuxième stade, entre 4 ans et 7‑8 ans, est celui des collections non figurales de niveau pré-opératoire. Les enfants groupent essentiellement les objets sur la base des ressemblances perceptives (les mêmes formes, les mêmes couleurs). Ils rassemblent les éléments en petits tas selon les seuls critères de ressemblance et de différence et, peu à peu, ces collections sont subdivisées en sous-ensembles ou réunies en plus grandes collections. Par exemple, ils mettent ensemble les formes rouges, puis les bleues. Ils pourront même appliquer deux critères de classification à la fois en subdivisant les rouges en trois nouveaux tas formés de ronds, de carrés et de triangles et en appliquant la même subdivision aux autres formes. La différenciation, la réunion et la division des collections désignent une construction de la complémentarité. Les collections s’emboîtent mais ne s’incluent pas.
12Le troisième stade se situe vers 7‑8 ans, au niveau opératoire concret, c’est le stade des classes logiques. Les enfants accèdent alors à l’inclusion des classes, c’est-à-dire qu’ils maîtrisent le système de classes : ils ont la capacité de distinguer et de coordonner en compréhension et en extension les classes impliquées. Ils ont acquis la notion de l’inclusion logique des parties dans un tout. Pour Piaget et Inhelder (1959), la compréhension consiste à l’ensemble des ressemblances entre les objets à classer et l’extension détermine l’ensemble des objets auxquels se réfèrent les propriétés définies en compréhension (Bideaud & Houdé, 1989). L’épreuve de l’inclusion des classes, proposée par Piaget et Inhelder, consiste à proposer un ensemble de fleurs composé de deux sous-ensembles (primevères et marguerites par exemple). La question de quantification de l’inclusion posée à l’enfant est « Y a-t-il plus de primevères ou plus de fleurs ? ». Pour y répondre, l’enfant doit comprendre la relation entre les sous-ensembles et le tout pour faire preuve de classification logique.
13Les stades ont une place prédominante dans cette perspective. L’étude du développement cognitif dans l’approche piagétienne est abordée comme une construction progressive d’opérations logiques. Pour Piaget la logique est seule à l’origine des connaissances scientifiques. Pour comprendre la construction scientifique, il faudrait et il suffirait de comprendre comment la logique se construit. C’est ce que décrit Lautrey (1997) lorsqu’il mentionne que, pour Piaget : « les structures catégorielles sont d’abord des collections figurales, qui disparaissent ensuite pour faire place aux collections non figurales, puis aux classes logiques articulées en un système par des relations hiérarchiques d’inclusions » (p. 96). Piaget et Inhelder (1959) ont contribué à la description d’une organisation catégorielle différente de celle fondée sur la similarité. Cette organisation catégorielle, qui sous-tend les collections figurales, se base sur des relations horizontales (relation spatiale ou relation de convenance) et des relations verticales (appartenance partitive).
Le développement des concepts selon Vygotski
14À travers ses travaux, Vygotski présente le développement des concepts de la formation de la pensée syncrétique du jeune enfant jusqu’aux concepts élaborés des adultes, en passant par la formation des complexes. Pour rendre compte de cette approche, je me réfère prioritairement à l’ouvrage Pensée et langage de Vygotski (1934/1997).
15L’approche du développement adoptée par Vygotski est socioconstructiviste et historico-culturelle : il introduit la dimension sociale et historique dans la formation des concepts. Selon cet auteur, l’apprentissage se fait en relation avec les autres et se produit dans un milieu socioculturel donné. Le développement de l’enfant se réalise du social vers l’individuel, de l’inter-psychique vers l’intra-psychique. En cela, Vygotski s’oppose à Piaget qui envisageait le développement allant de l’individuel vers le social (Lecomte, 1998). Vygotski cherche à étudier la pensée verbale, soit l’articulation entre la pensée et la parole comme développement. Il explore les usages différentiels du langage dans le processus de formation des concepts. Vygotski a mis en évidence trois stades majeurs de l’évolution de la pensée de l’enfant : la pensée syncrétique (par tas), la pensée par complexes, puis la pensée par concepts.
La pensée syncrétique
16Le développement de la pensée chez l’enfant passe par un premier stade, dans la formation des concepts, caractérisé par la constitution et le rattachement à un mot d’une masse indistincte et sans ordre d’objets quelconques. Lorsqu’il est confronté à des tâches de classification ou de catégorisation, l’enfant relie syncrétiquement les objets de la situation. Il les sélectionne par tas sur la base de liaisons subjectives émanant de ses impressions et de sa perception. La liaison entre les choses est alors confondue avec une liaison entre les impressions et les idées :
La signification du mot à ce stade de développement consiste en un enchaînement syncrétique informe, complètement flou, d’objets divers qui sont liés les uns aux autres d’une manière quelconque dans la représentation et la perception de l’enfant et fondus en une image unique… (Vygotski, 1934/1997, p. 212)
La pensée par complexes
17Le deuxième stade dans le développement des concepts est appelé pensée par complexes. Vygotski le décrit comme suit :
Les généralisations qui s’opèrent à l’aide de ce mode de pensée représentent par leur structure des complexes d’objets concrets, ou de choses, réunis non plus sur la base des seules liaisons subjectives de l’enfant, mais sur la base de liaisons objectives existant réellement entre ces objets. (1934/1997, p. 215)
18Dans ce deuxième stade, l’enfant assemble les objets non plus de manière subjective mais avec une certaine cohérence et selon des lois objectives. Les objets regroupés par complexes ne présentent pas un trait commun spécifique (c’est le cas des concepts) mais renvoient à différents types de liens (associations d’idée, liens fonctionnels, etc.) En outre, les complexes sont caractérisés par le fait qu’il n’y a aucune connexion ou relation hiérarchique entre leurs éléments et leurs attributs respectifs. Le complexe repose donc sur des liaisons concrètes, empiriques, sur la généralisation d’objets divers et la systématisation de l’expérience de l’enfant. Un complexe, c’est par exemple les ustensiles de la table (ex. : verre, assiette, cuillère, couteau, fourchette) ou encore les vêtements (ex. : veste, pantalon, jupe, chaussette).
19Vygotski et ses collaborateurs ont identifié cinq types de complexes : associatif, collection, en chaîne, diffus et pseudo-concept. Le complexe associatif est le premier type de complexe, il a pour base « n’importe quelle liaison associative avec n’importe lequel des traits distinctifs remarqués par l’enfant dans l’objet, qui est […] le noyau du futur complexe » (1934/1997, p. 218). N’importe quelle liaison concrète permet à l’enfant de mettre les objets dans la même famille (ex. : le chien avec la neige parce que c’est blanc). La deuxième phase du développement de la pensée par complexe est la collection : « Ici, les objets concrets différents sont réunis sur la base de leur mutuelle complémentarité par rapport à un trait distinctif quelconque et forment un tout composé d’éléments hétérogènes, se complétant les uns les autres » (p. 219). Dans le complexe collection, par exemple les vêtements, il n’y a pas deux objets avec le même trait distinctif (contrairement au complexe associatif). Le complexe en chaîne, qui est la troisième forme de pensée par complexe « se construit selon les principes de la “réunion dynamique et temporaire de maillons isolés en une chaîne unique et du transfert de signification d’un maillon de la chaîne à un autre” » (p. 221). Par exemple, à un triangle jaune, l’enfant peut associer des figures comportant des angles et si la dernière figure est bleue, il continue avec des figures bleues. Le complexe diffus est la quatrième forme de complexe. Son trait distinctif est de réunir par association les éléments concrets isolés et les complexes. C’est ainsi un complexe qui « semble être diffus, imprécis, fluide, confus » (p. 223). Le rapprochement des traits distinctifs s’effectue moins sur la base de la ressemblance effective que sur celle d’une vague et lointaine impression de communauté entre eux (ex. : triangle associés à des trapèzes associés à des carrés). Selon Vygotski, le pseudo-concept joue un rôle très important dans la pensée réelle de l’enfant. Il repose sur une réelle généralisation, c’est-à-dire sur des groupements d’objets réalisés sur la base d’un trait commun (p. ex. associer tous les triangles au triangle jaune). Par sa forme extérieure, il est un concept mais son développement est celui d’un complexe : « Extérieurement c’est un concept, intérieurement c’est un complexe ». (p. 225). Le pseudo-concept est la forme de complexe la plus répandue chez l’enfant d’âge préscolaire.
20Vygotski révèle l’importance du mot en tant que lien entre la pensée de l’enfant et la pensée de l’adulte (moyen de communication) et en tant que guide des développements psychiques ultérieurs de l’enfant (la pensée sera dirigée par les significations constantes et stables des mots). Vygotski précise : « ce qui constitue l’originalité de cette situation, c’est que l’enfant commence en fait à utiliser et à manier les concepts avant d’en prendre conscience » (p. 232). Les pseudo-concepts, qui renvoient à la forme de pensée la plus générale de la pensée enfantine, n’ont pas la systématicité du concept. Cet auteur mentionne également que « les pseudo-concepts ne constituent pas l’apanage exclusif de l’enfant », mais que dans la vie quotidienne, la pensée de l’adulte « opère aussi très souvent par pseudo‑concepts » (p. 250).
La pensée conceptuelle
21La pensée conceptuelle est le dernier stade de développement de la pensée. C’est la forme de la pensée de l’adulte et elle se développe à l’adolescence. La pensée par concepts ne se substitue pas aux autres formes de pensée : « l’enfant, même lorsqu’il maitrise la forme supérieure de la pensée, les concepts, ne se défait nullement des formes plus élémentaires » (Vygotski, 1934/1997, p. 260). Il en est de même pour l’adulte. Le concept permet de grouper des objets selon des caractéristiques abstraites qui ont été dégagées et soumises à une nouvelle synthèse alors que le complexe est l’assemblage hétérogène d’objets divers.
22Par ailleurs, Vygotski différencie le développement des concepts quotidiens (ou spontanés) de celui des concepts scientifiques : « les concepts scientifiques ne se développent pas du tout comme les concepts quotidiens » (p. 281). Les concepts quotidiens sont construits de manière empirique en relation avec le vécu de l’enfant. Ils sont non conscients et leur usage souvent non volontaire, alors que les concepts scientifiques se développent dans le cadre d’un processus éducatif et sont alors conscients et leur usage est volontaire. Selon Vygotski ces deux formes de développement des concepts sont étroitement liées par une interaction constante. Le développement des concepts scientifiques prend appui sur la maturation des concepts spontanés, et par leur appropriation, les concepts scientifiques restructurent les concepts spontanés qui deviennent conscients. Le développement des concepts scientifiques « se traduit par le caractère de plus en plus relationnel de la pensée causale et dans la maturation à un certain niveau du caractère volontaire de la pensée scientifique, niveau dû à l’apprentissage scolaire » (p. 274). Dans la théorie de Vygotski, les aspects sociaux et le rôle du médiateur sont essentiels pour le développement des fonctions psychiques : « les fonctions psychiques supérieures de l’enfant mûrissent avec l’aide et la participation de l’adulte » (p. 274). L’instruction est donc un élément décisif qui favorise tout le développement mental de l’enfant y compris le développement des concepts.
23Comme je l’ai présenté ci-dessus, Piaget et Vygotski se sont tous deux intéressés au développement des concepts chez l’enfant. Si ces deux auteurs identifient différents stades de développement, pour Piaget, la formation des concepts chez l’enfant et l’adolescent suit un processus de croissance partant de formes moins élaborées de la pensée vers des formes supérieures alors que pour Vygotski, elle suit un processus où différents niveaux interagissent sans s’exclure. Leur conception du développement intellectuel est donc différente. Chez Piaget c’est un développement universel, tous les enfants atteignent le stade des opérations formelles vers 14 ans, alors que pour Vygotski, le contexte culturel détermine le type de processus qui émerge (Bodrova & Léong, 2012). Chacun de ces auteurs a une interprétation différente de l’incidence de l’apprentissage sur le développement. Pour Piaget, c’est le développement qui détermine l’apprentissage alors que selon Vygotski, cette relation est plus complexe et c’est l’apprentissage qui permet le développement. Ces deux auteurs ont en commun une vision classique de la construction des concepts selon laquelle les enfants catégoriseraient d’abord en se référant à des traits physiques, puis, plus tard, en se basant sur d’autres critères liés à la signification (Bonthoux et al., 2004). C’est-à-dire que les enfants construisent leur propre compréhension et que cette compréhension se restructure avec l’âge et l’expérience.
Le développement des conduites catégorielles : la théorie de la catégorisation naturelle
24L’approche classique de la catégorisation a été remise en question avec le développement de la psychologie cognitive et notamment par les travaux de Rosch (1973, 1976) qui apportent un regard nouveau sur le développement des représentations. La théorie de la catégorisation naturelle s’intéresse à la représentativité de l’objet et moins à l’apparence.
25Dans la perspective de la catégorisation naturelle, les recherches sur l’organisation des connaissances conceptuelles mettent l’accent sur la structuration du monde réel, c’est-à-dire le rôle du contexte physique et social dans l’élaboration des catégories.
26Selon la conception théorique de Rosch (1973, 1975, 1976, 1978, cité par Bonthoux et al., 2004), les différents éléments d’une catégorie ne sont pas équivalents car certains apparaissent comme plus représentatifs que d’autres. L’organisation des objets dans une catégorie dépendrait de la répartition des attributs de ces objets. Cet auteur introduit la notion de représentativité ou typicalité. Ainsi le moineau peut être considéré comme prototypique de la catégorie des oiseaux alors que l’autruche en est un élément périphérique. Pour retenir un concept, il suffirait de garder en mémoire le prototype qui combine les propriétés typiques de la catégorie. L’appartenance à une catégorie est alors déterminée par les propriétés partagées avec le prototype.
27Selon Rosch (1976) les concepts sont organisés hiérarchiquement (ex. : pomme golden, pomme, fruit, aliment) et les catégories se différencient dans la hiérarchie selon le nombre d’éléments qui les compose. Rosch (1978, cité par Bonthoux et al., 2004) détermine par ailleurs une structuration des catégories naturelles en niveaux hiérarchisés : le niveau sur-ordonné, le niveau de base et le niveau subordonné (par exemple respectivement animal, chien, boxer). Selon leur niveau de hiérarchie, les catégories comportent un nombre d’éléments différents. Plus on descend dans la hiérarchie plus le nombre d’éléments est restreint. Selon un principe général d’économie cognitive (Rosch, 1978, cité par Bonthoux et al., 2004) il est intéressant de disposer de catégories qui permettent une discrimination fine des propriétés mais il faut également des catégories qui soient très générales. C’est donc les catégories de base qui représentent le meilleur compromis car elles ne sont pas trop nombreuses mais suffisamment générales. Les catégories du niveau de base sont les premières maîtrisées par les enfants (Cordier, 1983).
28C’est vers la fin des années 1970 que la notion de schéma est introduite en psychologie du développement et ceci conduit à la formation de nouvelles hypothèses sur le développement de la catégorisation. Cette notion de schéma se rapporte à une organisation conceptuelle différente de celle construite sur la ressemblance (catégorisation taxonomique). La catégorisation schématique se réfère ainsi à l’organisation des connaissances relatives à des évènements familiers ou des scènes de la vie quotidienne (ex. : la ferme, l’école) et les représentations sont de types analogiques (relations de contiguïté, d’appartenance partitive et de variable).
29Le modèle de Nelson (1985, cité par Bonthoux et al., 2004) aborde également la construction des concepts. Nelson appelle script la forme de connaissance à long terme qui constitue des représentations organisées dans un but. Le script est sensé organiser les connaissances des enfants acquises à travers des activités routinières comme le petit déjeuner. Dans ces scripts (nommés aussi schémas évènementiels), on retrouve aussi bien les actions, les personnes ou les objets et tous ces éléments sont liés par des relations de proximité spatiale et temporelle. Nelson (1985, cité par Lautrey, 1997) propose donc un modèle de développement catégoriel selon lequel c’est à partir des catégories schématiques que se forment les catégories taxonomiques par l’intermédiaire de slot-filler. Les slot-filler (cases à remplir) sont des catégories intermédiaires qui résultent d’une construction continuelle de schémas événementiels avec composantes temporelles (pour le petit déjeuner : je m’assieds, je mange des tartines, je bois du lait…) qui, à force de répétitions, vont construire aussi des schémas situationnels (schéma d’objets pour le petit déjeuner : la boisson, la nourriture, un récipient). Ainsi, petit à petit, le sujet va composer une autre catégorie mentale qui sera une catégorie slot-filler, comportant tous les éléments d’un même schéma qui ont un point commun entre eux (ex. : les boissons, la nourriture). Ces catégories d’éléments substituables (la boisson peut être du lait, du chocolat, du thé, du jus d’orange) correspondent à des catégories taxonomiques (elles regroupent des objets de même sorte) liées au contexte. Un processus de décontextualisation permettrait progressivement la formation d’une catégorie taxonomique de niveau sur-ordonné (la catégorie boisson remplace la catégorie boisson du petit déjeuner). Ce processus amène à une généralisation des connaissances.
30Nelson propose donc une suite d’étapes hiérarchisées pour le développement des conduites catégorielles. Selon cet auteur, et contrairement à Piaget, les structures cognitives premières ne disparaissent pas au profit des suivantes, elles coexistent.
La coexistence des conduites de catégorisation
31Le développement des conduites de catégorisation, comme je l’ai présenté à travers les diverses théories évoquées ci-dessus, a longtemps été pensé comme étant hiérarchique : la catégorisation schématique devançant la catégorisation taxonomique. Des recherches récentes défendent plutôt l’idée d’une coexistence de ces deux types de catégorisation chez l’enfant.
32Lautrey (1997) propose une approche pluraliste du développement et du fonctionnement cognitif. Selon cet auteur, les deux conduites catégorielles (taxonomique et schématique) émergent simultanément et il y a interaction entre le processus traitant les similarités et celui traitant des contiguïtés spatiotemporelles. La pondération de ces différents processus varie en fonction des situations, des individus et de l’interaction. Ce serait alors une forme de catégorisation qui permettrait à l’autre de se construire.
33Des études corroborent la coexistence précoce de ces deux conduites de catégorisation et ce modèle pluraliste (Mandler, 1997, 1998, 2000, cité par Maintenant, 2004). Dans la plupart des études, les conduites catégorielles chez le jeune enfant sont évaluées grâce à l’épreuve typique de la tâche d’appariement d’images en choix forcé. Il s’agit de présenter une image cible et différentes images possibles à associer selon des relations différentes à l’enfant. Par exemple l’image cible est un lapin et les images à associer peuvent être un ours (relation taxonomique) ou un clapier (relation schématique). L’enfant doit alors désigner « ce qui va le mieux avec le lapin ». À l’aide de cette épreuve, les travaux de Nguyen et Murphy (2003, cités par Maintenant, 2004) notamment, ont mis en évidence la coexistence précoce de ces deux conduites. Blaye et Bonthoux, dans une recherche de 2001, ont obtenu, dans une épreuve d’appariement d’images, des résultats qui relèvent une préférence pour la catégorisation schématique plutôt que taxonomique chez des enfants de 4 ans. Le choix spontané des enfants est manifestement dicté par l’association schématique. Plusieurs études (Cordier, 1996 ; Walsch & Faulkner, 1993 ; cités par Maintenant, 2004) corroborent ces résultats et mettent également en évidence une augmentation de la fréquence de ce choix schématique entre trois et six ans.
34Les enfants semblent donc disposer très tôt de plusieurs conduites de catégorisation et disposeraient de nombreux indices pour associer un objet à une catégorie. Ils mobiliseraient diverses représentations catégorielles (perceptives, taxonomiques et schématiques) à divers niveaux lorsqu’ils sont face à un objet. D’autres études (Ohlmann, 1982 ; Dunham & Dunham, 1995 ; cités par Bonthoux et al., 2004) suggèrent que la construction des concepts d’objet ne suit pas une voie unique et que les résultats des enfants aux tâches de catégorisation dépendent plutôt de leurs préférences que de leur capacité ou non à catégoriser les objets d’une certaine manière. Ces mêmes auteurs affirment que les conduites des enfants varient également en fonction des caractéristiques de la situation. Blaye, Bernard-Peyron et Bonthoux (2000) précisent que le mode de catégorisation des enfants de 5 à 9 ans diffère selon qu’on leur demande de trier librement des images ou de les apparier deux à deux. La catégorisation est généralement schématique en appariement, alors qu’en situation de tri, elle est à part égale schématique et taxonomique. Par ailleurs, les conduites catégorielles des enfants sont aussi modifiées par l’apprentissage (Bauer & Mandler, 1989, cités par Kalénine et al., 2007). Un entrainement, même court, peut influencer le choix d’appariement des enfants. Deák et Bauer (1995, cités par Bonthoux et al., 2004) ont remarqué des variations dans les choix après deux ou trois essais d’entrainement, lorsque les enfants ont appris à regrouper par ressemblances perceptives ou taxonomiques. En effet, les enfants de 4 ans, après apprentissage, utilisent une stratégie en s’appuyant sur des indices donnés. De plus les variations de conditions d’entrainement amènent des performances différentes, ce qui laisse penser qu’ils ont accès à plusieurs types d’organisation conceptuelle. Des variations de résultats sont également induites par la consigne. La manière dont les questions sont formulées influe sur le choix des enfants. Selon Bonthoux et al. (2004) moins la consigne est contraignante, plus les choix sont spontanés. La dénomination des objets, ou encore le choix des images présentées, influenceraient également les réponses des enfants. Ces résultats rendent compte d’une certaine flexibilité dans les conduites de catégorisation des enfants et indiquent qu’ils utilisent des indices différents pour effectuer leurs regroupements.
35Dans une étude de 2001, Bernard-Peyron relève qu’une vision hiérarchique, selon laquelle l’organisation schématique précède l’organisation taxonomique, n’est pas incompatible avec les récentes recherches qui montrent que ces deux types d’organisation coexistent très tôt chez l’enfant. Bernard-Peyron met en évidence la mobilisation des différentes formes d’organisation catégorielles (notamment schématique et taxonomique) chez les enfants dès quatre ans. Les différentes conduites catégorielles acquièrent plus d’accessibilité avec l’âge. En effet, elles sont en compétition et l’activation de l’une appelle l’inhibition de l’autre. Ainsi, au cours du développement l’enfant devient plus capable de mobiliser successivement ces conduites (mobilité du tri).
36Cette étude relève également que dans une tâche d’appariement, les élèves entre 5 et 9 ans ayant accès aux relations catégorielles ont une préférence pour le tri schématique. Si la tâche d’appariement favorise le choix schématique cela peut s’expliquer par le fait que ce qui unit les éléments d’un schéma (les relations de proximité spatiale, temporelles ou les relations fonctionnelles) est identifiable sur une paire d’objets. Par contre sur deux objets, la relation taxonomique est plus difficile à déterminer. Ainsi l’épreuve d’appariement s’avère inductrice de représentations schématiques chez les plus jeunes enfants, mais peut permettre l’évocation de représentations taxonomiques chez les enfants plus âgés. Houdé (1995) définit la tâche d’appariement comme une situation piège, car pour que le sujet active une relation taxonomique, il doit inhiber la relation schématique qui est plus visible.
37L’ensemble de ces études et leurs résultats démontrent que le développement conceptuel ne suivrait pas une voie unique mais prendrait donc des formes différentes selon les préférences individuelles (caractéristiques ou utilisation des objets et domaine concerné), la nature des tâches (tâche de tri vs tâche d’appariement) et la consigne (trouve ce qui va le mieux avec vs trouves-en un autre). En effet, les recherches sur le développement des conduites catégorielles ont permis d’établir que pour un même objet, les jeunes enfants ont accès à diverses catégories. Il y a donc une flexibilité catégorielle qui correspond alors à une capacité d’adaptation selon la situation.
La flexibilité catégorielle
38La flexibilité cognitive est une fonction adaptative fondamentale. Elle représente une des spécificités du comportement humain (Karmiloff-Smith, 1992, 1994). La flexibilité cognitive fait partie des fonctions exécutives (Hughues, 2002, cité par Maintenant, 2008) de l’individu. Par fonctions exécutives sont désignés un ensemble de processus cognitifs qui permettent un comportement flexible vis-à-vis d’une situation donnée. Cela regroupe des capacités liées à l’anticipation, l’attention, l’inhibition, la résistance à l’interférence, la mémoire de travail, la planification et la flexibilité cognitive (Maintenant, 2008). Ces processus permettent à l’individu de réguler de façon intentionnelle sa pensée et ses actions afin d’atteindre des buts. La régulation engendrée est généralement appelée contrôle exécutif ou contrôle cognitif.
39Chevalier et Blaye (2006) considèrent que la flexibilité cognitive constitue la capacité de changer de posture mentale en réponse aux changements pertinents des signaux environnementaux. La flexibilité catégorielle consiste alors dans une utilisation contrôlée de multiples critères de catégorisation et dans le fait de pouvoir considérer un même objet selon les points de vue différents : taxonomique et schématique. La flexibilité catégorielle exige selon la situation, soit de maintenir un critère de catégorisation, soit de basculer d’un critère à l’autre. La flexibilité catégorielle est importante dans le fonctionnement cognitif pour des activités de mémorisation. La flexibilité cognitive marque de grands progrès pendant la période préscolaire. L’enfant est de plus en plus capable de basculer entre deux tâches et cette flexibilité continue à se développer jusqu’à la fin de l’adolescence (Chevalier, 2008).
40Depuis quelques dizaines d’années, le développement de la flexibilité cognitive fait l’objet de diverses recherches. Zelazo, Frye et Rapus, (1996) ont étudié le développement de l’utilisation contrôlée des différentes relations catégorielles sur la base d’une tâche de classement de cartes. La tâche de tri (Zelazo et al., 1996) nommée Dimensional Change Card Sort (DCCS) consiste en un tri de cartes avec changement de dimension ou de règle de tri. Dans la tâche standard DCCS, la cible et les cartes sont catégorisables selon deux dimensions (deux critères) : la couleur ou la forme, par exemple un lapin blanc, un lapin noir, un bateau blanc, un bateau noir (figure 1).
Figure 1. Tâche de Zelazo (2006 ; Zelazo & Frye, 1998) présentée par S. Cèbe

(cours de bachelor « Enseignement et apprentissage en contextes scolaires spécialisés », Université de Genève, 2008)
41Les enfants doivent trier les cartes selon un des critères de tri puis selon le deuxième. Catégoriser correctement selon un critère requiert la capacité à ignorer l’autre dimension visible sur la cible. Cela entraîne un conflit perceptif entre les cartes et la cible qui rend la tâche difficile pour les jeunes enfants. Lorsqu’on leur montre comment faire, les enfants sont capables de résister à ce conflit perceptif. En revanche, le changement de la règle de tri en cours de jeu demeure très difficile. Pour être capable de changer de règle de tri dans une même séance, l’enfant doit être capable d’inhiber une des règles (si c’est la forme qui importe, alors je ne m’occupe pas de la couleur), de modifier le mode de traitement et d’accepter qu’un même objet puisse aller dans deux boîtes différentes. Ainsi, si la consigne est de trier en fonction de la forme, le lapin noir doit être placé dans la boîte forme (la boîte lapin blanc) mais si la consigne est de trier par couleur, il faut ranger le lapin dans la boîte couleur (le bateau noir) (figure 2).
Figure 2. Tâche de Zelazo (2006 ; Zelazo & Frye, 1998), jeu de la forme, jeu de la couleur

42Selon les résultats obtenus pour cette tâche (Zelazo & Frye, 1998), les enfants de trois ans connaissent les deux règles (rangement par forme ou par couleur) mais ils sont incapables de basculer d’une règle à l’autre. C’est vers l’âge de cinq ans que les enfants développent la capacité d’ajuster leur stratégie quand on leur demande de changer de règle. L’enfant doit être capable d’utiliser une règle de haut niveau pour réaliser un tri correct (si c’est le jeu de la forme et si c’est un lapin, alors je le mets avec les lapins). Changer de règle est une étape du développement du contrôle volontaire selon Zelazo (2006). Il ressort des études réalisées par Zelazo que les jeunes enfants disposent de différents types de représentations catégorielles mais qu’ils ne peuvent gérer l’utilisation de ces représentations par manque de connaissances métacognitives. En effet, il y a une différence entre connaître les règles et être capable de réfléchir à propos de ces règles pour les utiliser correctement en s’adaptant à la situation.
43Divers auteurs (Blaye & Bonthoux, 2001 ; Deák & Maratsos, 1998 ; Waxman & Hatch, 1992 ; cités par Martinez, 2003) considèrent deux types de flexibilité différents : une flexibilité intra-catégorielle et une flexibilité inter-catégorielle. La flexibilité intra-catégorielle implique qu’un objet soit désigné par plusieurs noms (polynomie) et qu’ils appartiennent à des catégories qui s’emboîtent (la vache : animal, mammifère, ruminant, bovin). La flexibilité inter-catégorielle demande de changer complètement de point de vue pour passer d’une catégorisation taxonomique (la vache dans la catégorie des animaux) à une catégorisation schématique (la vache dans la catégorie de la ferme). Bonthoux et al. (2004) ont étudié l’utilisation flexible des règles de catégorisation nommée la flexibilité relationnelle. Cette flexibilité relationnelle correspond à l’utilisation sélective des règles de catégorisation maintenues ou changées selon les situations ; c’est « l’utilisation contrôlée de règles de catégorisation diverses relevant d’organisations conceptuelles diverses » (p. 174).
44Dans une étude de 2002, Blaye, Paour et Perret (cités par Bonthoux et al., 2004) ont étudié le développement de la capacité à sélectionner de manière adaptative une règle d’appariement. Ils ont élaboré un dispositif d’apprentissage discriminatif des relations inspiré des dispositifs discriminatifs avec renversements de Kendler (Bonthoux et al., 2004). Ils ont observé la capacité des enfants de 5, 6, 8 et 10 ans à :
maintenir une règle d’appariement selon un feed-back qui renforce un type de lien catégoriel ;
changer de règle lorsque le feed-back négatif implique l’abandon de la première règle.
45L’expérience réalisée comporte trois phases successives et chaque phase comporte des essais qui bénéficient systématiquement d’un feed-back. Une phase se termine lorsque cinq bonnes réponses consécutives sont obtenues ou après un nombre maximal d’essais fixé à l’avance. La phase suivante est proposée uniquement en cas de réussite. Pour chaque phase, un essai consiste à présenter trois images à l’enfant et celui-ci a pour tâche d’enlever l’image qui ne va pas avec les autres. Les essais représentent des situations d’appariement non conflictuel, c’est-à-dire que deux images ont une relation schématique (ou taxonomique pour un autre groupe) et la troisième image n’est reliée a aucune autre (fleur-vase-vélo). Le feed-back, qui consiste à valider ou invalider la réponse, renforce le maintien du même critère sur les essais (schématique ou taxonomique). Dans la phase 2, deux images sont reliées schématiquement et la troisième à une relation taxonomique avec l’une d’elles (os-chien/tigre). Dans cette phase, l’enfant est donc en situation d’interférence. La troisième phase, dite de renversement, offre les mêmes configurations conflictuelles que la phase 2, mais dans une relation taxonomique (situation inverse de celle de la phase 1). Elle est présentée à l’enfant dans un continuum et seul le feed-back lui donne des indications du changement de relation.
46Les résultats de cette recherche montrent que tous les enfants (de tous les âges) réussissent la première phase. Ils reconnaissent donc les associations tant taxonomiques que schématiques. En revanche, dans la phase 2, les enfants de cinq-six ans présentent des difficultés à maintenir la relation taxonomique en situation d’interférence (chien-tigre/os). Bonthoux et al. (2004) suggèrent alors que « la discrimination en phase 1 ne correspond pas à une conceptualisation explicite de la relation commune aux essais successifs » (p. 166). La phase 3 présente une difficulté supplémentaire car il faut inhiber la règle d’appariement en vigueur précédemment. Les résultats mettent en évidence un échec important des enfants de 5‑6 ans dans cette troisième épreuve alors que les enfants de 10 ans réussissent bien dans les deux phases. Les auteurs concluent que la capacité à discriminer la relation catégorielle n’est pas en cause puisque la phase 2 à été réussie. Par ailleurs, les enfants n’ont pas une représentation suffisamment explicite des deux relations en jeu et ne peuvent pas modifier leur réponse de manière contrôlée. C’est pourquoi Bonthoux et al. (2004) suggèrent deux niveaux de conceptualisation, celui qui permet de discriminer la relation catégorielle et celui qui permet une représentation suffisamment explicite des deux catégories en jeu.
47Selon Bonthoux et al. (2004), l’explicitation des représentations des relations catégorielles en jeu développe cette flexibilité catégorielle. C’est pourquoi, ces auteurs sont favorables à un apprentissage de la catégorisation à l’école maternelle : « l’école maternelle est sans doute un lieu privilégié où les apprentissages de la flexibilité sont susceptibles de favoriser à la fois le développement conceptuel et le développement des capacités de contrôle » (p. 174).
Catégorisation et situations d’apprentissage
48La conception d’enseignement/apprentissage développée par Vygotski (1934/1997) souligne l’intérêt d’un guidage serré par l’enseignant des activités proposées à l’apprenant. C’est à travers le concept de zone proximale de développement3 (ZPD) que Vygotski traite la problématique de l’enseignement. Il défend l’idée qu’un enseignement potentiellement générateur de développement se situe entre le niveau actuel et le niveau de développement potentiel de l’enfant. En situation sociale de coopération, l’apprentissage se produit, favorisé par la médiation de l’adulte, à savoir par un guidage interactif et un pointage adéquat. Pour Vygotski, « l’apprentissage n’est valable que s’il devance le développement » (1934/1997, p. 358). Autrement dit, l’apprentissage favorise le développement en permettant à l’enfant d’accéder à des processus cognitifs qu’il ne maîtrise pas dans le cadre de l’interaction avec un adulte. L’enseignement devient alors prioritaire, et l’école apparaît comme le lieu privilégié de l’apprentissage et du développement des fonctions psychiques supérieures. La théorie de Vygotski donne clairement à l’enseignant un rôle fondamental de guide, d’assistant et de modélisateur de l’apprentissage.
49Bruner (1983), dans une approche qui s’inspire de Vygotski, insiste, quant à lui, sur la nature sociale, interactive et tutorielle de l’apprentissage. En lien avec le concept de zone proximale de développement, il introduit le concept d’étayage. Dans l’interaction de tutelle, il propose que l’adulte, médiateur culturel, mette en place un guidage, un soutien pour aider l’enfant à résoudre un problème qu’il ne savait résoudre seul au préalable. L’étayage n’étant pas automatique, c’est à l’adulte de mettre en place des formats d’échange pour rendre la tâche d’apprentissage accessible à l’enfant. Pour Bruner, l’apprentissage est un processus social par lequel les enfants construisent de nouveaux concepts. Cet auteur met également en avant l’importance d’amener l’enfant à une compréhension de ses actions et de leurs résultats. Selon Bruner (1971, cité par Barth, 1985), le transfert des capacités mentales est « sans doute plus décisif pour l’éducation que le transfert du contenu » (p. 54).
50À la suite de Bruner, Barth (1987, 1993) s’intéresse à la construction de sens, à la structure de l’acte mental par lequel un sujet construit un concept et à l’abstraction. Cet auteur propose des démarches opérationnelles pour favoriser chez les élèves des méthodes de pensée pouvant être transférées à des situations et des contenus divers (Nonnon, 1997). Selon Barth (1987), l’apprentissage d’un concept ne se résume pas à l’apprentissage d’un contenu mais concerne également la compétence à conceptualiser en général. Cette chercheuse propose de travailler la compétence à conceptualiser mais également de transmettre des outils intellectuels autant que des connaissances. Pour elle, il importe que les élèves « prennent conscience des méthodes de pensée qui leur permettent effectivement de réussir pour qu’ils puissent les mobiliser volontairement dans une situation d’apprentissage ultérieure » (p. 141). Pour cela, elle invite les enseignants à mettre en œuvre des situations d’apprentissage permettant d’impliquer intellectuellement les élèves. Cette chercheuse analyse la démarche cognitive de la conceptualisation et distingue quatre étapes au processus d’abstraction :
la perception : donner une signification aux sensations, distinguer des différences ;
la comparaison : distinguer des ressemblances selon un critère de même nature et du même niveau d’abstraction ;
l’inférence : tirer une conclusion hypothétique à partir de ressemblances constantes parmi celles distinguées ;
la vérification : vérifier l’inférence, la constance de la combinaison.
51Les étapes d’inférence et de vérification peuvent être répétées en cas d’échec de la vérification, ce qui engendre alors une nouvelle conclusion et une nouvelle vérification. Dans son ouvrage, Barth présente le processus d’abstraction dans l’enchaînement de ces opérations mentales. Elle insiste également sur le concept de généralisation :
L’abstraction est une opération mentale qui considère à part un ou plusieurs éléments d’une perception en négligeant les autres. La généralisation est une opération mentale par laquelle on étend à une classe entière ce qui a été observé sur un nombre limité de cas singuliers appartenant à cette classe. (1987, p. 128)
52Comprendre ces processus permettrait aux enseignants de mieux maîtriser la structure des savoirs et donc de faire une meilleure construction des situations d’apprentissage en leur donnant plus de pertinence. À travers le concept de métacognition4, Barth propose de donner des outils intellectuels aux élèves pour leur apprendre à conduire consciemment leur pensée et favoriser l’autonomie.
53Dans sa théorie développementale, Karmiloff-Smith (1992, 1994) postule que le développement est fondé sur la stabilité et la réussite du fonctionnement cognitif alors que Piaget et Inhelder (1959) le liait plutôt aux échecs et aux conflits. Le modèle de Karmiloff-Smith s’appuie sur le postulat de deux processus communs dans tout apprentissage : la procéduralisation et l’explicitation. Le processus de procéduralisation rend le comportement plus automatique et moins accessible et le processus d’explicitation rend accessible la structure de la procédure ou du comportement. Cette chercheuse considère l’essence du développement comme un processus d’explicitation. Pour elle, les enfants ne se satisfont pas uniquement d’apprendre (à parler ou résoudre des problèmes) mais ils se donnent la peine d’aller au-delà des relations pour comprendre ce qu’ils savent réussir.
54Karmiloff-Smith défend l’existence d’un mécanisme général récurrent, la redescription représentationnelle qui serait responsable du passage de connaissances inconscientes, implicites, contextualisées à des connaissances conscientes, explicites, décontextualisées et explicitables verbalement. Ce modèle de Karmiloff-Smith tend à expliquer comment les représentations des enfants deviennent de plus en plus manipulables et flexibles au cours du développement. Selon cette théorie, un comportement peut être le résultat de représentations différentes à différents moments du développement. Karmiloff-Smith suggère trois niveaux auxquels la connaissance est représentée puis re-représentée au cours du développement. La première étape de redescription des représentations correspond à un apprentissage dirigé par les données. La deuxième phase est conduite intérieurement (les représentations internes actuellement disponibles prédominent). La troisième phase dépend de la réconciliation de représentations internes et des données externes pour qu’un équilibre soit atteint. À travers la progression des enfants dans ces trois niveaux, la représentation des connaissances devient progressivement plus explicite. Selon Karmiloff-Smith, le développement humain ne se limite pas à la réussite en actes mais consiste à dégager (ou à expliciter) la logique implicite contenue dans les procédures. Le processus hypothétique, par lequel une information implicitement présente dans le système cognitif devient progressivement un savoir explicite, flexible, accessible à d’autres parties du système cognitif, d’abord dans un même domaine puis dans d’autres, serait une condition du développement (Karmiloff-Smith, 1994). Cela implique nécessairement un retard de la prise de conscience par rapport à l’action et donc d’un traitement actif par le sujet des procédures antérieurement apprises et maîtrisées sur le plan de l’action. Cette abstraction permet ainsi d’acquérir progressivement un ensemble de cadres conceptuels relativement généraux applicables dans différents domaines. Ce processus d’explicitation n’a rien d’automatique et n’est pas une conséquence obligée de l’action mais il résulte nécessairement d’un traitement actif par l’enfant. Ce traitement actif doit donc être suscité par l’adulte.
55À travers ces différents auteurs, nous pouvons retenir que c’est dans l’interaction que l’on apprend. Le rôle de l’enseignant est prépondérant, il devrait favoriser les apprentissages en assumant un guidage, un étayage et un accompagnement adéquat. Il importe ainsi de développer le processus d’explicitation pour faciliter les prises de conscience et de proposer des outils de métacognition pour favoriser l’autonomie des élèves. Cèbe, Paour et Goigoux (2004) ainsi que Cèbe (2001) s’inscrivent dans une même perspective que ces courants théoriques lorsqu’ils considèrent que « le développement cognitif prend naissance dans la formation d’un répertoire de procédures efficaces » (Cèbe et al., 2004, p. 7) et aussi que le développement cognitif est le résultat d’un traitement actif des procédures apprises antérieurement et maîtrisées sur le plan de l’action (Cèbe et al., 2004).
Des outils pour apprendre à catégoriser
56L’intérêt de développer la catégorisation dans les premiers degrés de la scolarité a été démontré précédemment. Pourtant, il existe peu de moyens d’enseignement qui ont pour objectif de développer la catégorisation, peut-être parce que cette compétence est peu enseignée. Deux outils sont actuellement édités : Flexi MS : situations d’apprentissage pour apprendre à catégoriser en développant sa flexibilité (Nguyen & Semanaz, 2007) ainsi que Catégo : apprendre à catégoriser (Cèbe et al., 2004). Ces deux outils ont plusieurs objectifs en commun mais les modalités de travail diffèrent quelque peu.
57Flexi MS (figure 3) a été conçu en 2007 par deux professeurs des écoles en France. L’objectif de cet outil structuré est de « développer dans la continuité et en s’appuyant sur le langage, les compétences transversales indispensables à une bonne scolarité des enfants » (Nguyen & Semanaz, 2007).
Figure 3. Le cahier « Flexi »

58Ce cahier contient des fiches pédagogiques pour identifier, catégoriser les objets et organiser les informations en fonction de leurs propriétés. Il propose également un travail autour de la flexibilité catégorielle pour permettre aux élèves de s’adapter à des situations données et de résoudre des problèmes de plus en plus complexes. Cet outil comporte six séances progressives avec des critères de tri (quantitatifs, perceptifs) et des modes de catégorisation (taxonomiques, schématiques) de plus en plus complexes. Ces six séances, très structurées, suivent une démarche identique avec un niveau de difficulté croissant. À travers ces exercices, les élèves sont appelés à réaliser des productions orales, des traces écrites et des manipulations. Cet outil est complété par 36 fiches, de niveau progressif, qui font appel à des choix forcés, des tris successifs en autonomie, des demandes de justification et d’organisation. Le travail s’organise en deux temps. Les élèves trient d’abord collectivement un jeu d’images proposées sur chevalet avec différents critères. Puis individuellement, lors d’un travail sur fiche, chaque élève trie des images en respectant ou en choisissant un critère.
59Cet outil est conçu pour une temporalité courte (six séances), ce qui facilite sa mise en œuvre dans une classe. Il est proposé avec un matériel prêt à l’emploi, ce qui permet d’animer les séances avec un minimum de temps de préparation. Cependant un certain nombre d’aspects relatifs au matériel fourni et aux modalités de travail proposées m’ont conduite à ne pas porter notre choix sur cet outil :
la collection d’images est standard : toutes sont en noir-blanc et de même taille ;
les dessins présentent une trop grande unité et ils n’ont qu’une seule modalité graphique ce qui risque de favoriser une représentation très stéréotypée du monde ;
les modalités de travail encouragent le travail individuel sur fiche.
60Comme développé précédemment, nous considérons que c’est dans l’interaction, grâce au langage que l’enfant apprend. Un outil qui propose systématiquement des activités individuelles sur fiche est ainsi très réducteur et ne favorise pas les prises de conscience indispensables à l’apprentissage.
61Catégo, l’instrument développé par Cèbe et al. (2004), s’appuie sur les conceptions de l’apprentissage présentées précédemment (figure 4). Cet outil est composé d’un imagier de 228 cartes en couleur et en noir et blanc, ainsi que d’un livret destiné à l’enseignant(e) qui présente les arguments psychologiques, les principes pédagogiques et les règles de jeux à mettre en œuvre avec les élèves. Les différents types de jeux concourent au même objectif : faire prendre conscience à l’élève des nombreuses propriétés d’un même élément (perceptives, schématiques et taxonomiques). La mise en œuvre de l’outil favorise les interactions entre les élèves et avec l’enseignant et participent ainsi à la construction et au partage des connaissances.
Figure 4. Les ouvrages de Catégo

62Dans l’introduction, les auteurs présentent leur imagier comme « un imagier pas comme les autres ». Ils déclarent que disposer d’images mobiles favorise l’entrée dans le monde de la catégorisation. Les images mobiles peuvent en effet être assemblées, dispersées, et rassemblées selon des associations et des relations variables. L’enfant va donc progressivement construire des relations catégorielles. Les auteurs ont choisi un matériel sous forme de cartes « pour encourager la flexibilité et le raisonnement alternatif » (Cèbe et al., 2004, p. 10). À ce propos, Cèbe (2001) considère que lorsqu’on propose de faire acquérir la compréhension du concept de classement à l’aide du traditionnel matériel géométrique, on contribue à couper les élèves d’une source de compréhension et du contrôle sur leur fonctionnement. Selon cet auteur, le matériel géométrique ne permet pas aux élèves de mobiliser leurs procédures catégorielles car ce matériel leur est étranger et ne leur permet pas d’activer les procédures pertinentes. Sa proposition est de mettre à disposition un matériel connu qui mobilise les connaissances catégorielles dont ils disposent. Ainsi mettre à disposition un matériel adéquat permet à l’élève de partir de ses réussites en actes même si il faudra encore aider l’enfant à expliciter ses procédures pour qu’il comprenne ses réussites. Le matériel de l’imagier Catégo, qui regroupe des images proches du vécu de l’enfant, se veut adapté à la formation des concepts chez les élèves de cet âge.
63Pour créer les jeux proposés, les auteurs se sont référés à des travaux menés en psychologie qui stipulent que le développement cognitif prend naissance dans la formation d’un répertoire de procédures efficaces. L’enfant acquiert des procédures grâce aux expériences qu’il fait sur le monde. Ces réussites en actes (Cèbe, 2006), l’enfant ne sait pas forcément les expliquer ni en donner les règles. Les raisons de son efficacité sont implicites, il réussit sans comprendre. Tant que la situation est familière l’enfant peut appliquer sa procédure mais le problème surgit si la situation change. Dès lors, il n’a aucun moyen pour modifier et adapter ses procédures puisqu’il ne les comprend pas. Faire prendre conscience à l’enfant de ses procédures demande un guidage soutenu de l’adulte.
64Dans les principes pédagogiques, les auteurs de Catégo soulignent et précisent le rôle important de l’adulte dans l’accompagnement des jeux. Il doit guider les activités, mettre l’accent sur l’action et sur les manières de faire plutôt que sur le résultat, ce qui permettra à l’enfant de déplacer son attention de la réalisation des procédures à la compréhension de la procédure elle-même (Cèbe, 2001). Il doit inciter les enfants à expliciter leurs actes et doit veiller à la précision de la verbalisation. L’importance de ce rôle de médiateur tenu par l’adulte a déjà été mise en avant par Vygotski (1934/1997).
65Ce premier outil sur la catégorisation a été édité en 2009. Depuis, les auteurs ont poursuivi leurs réflexions et préparent un nouvel outil plus développé et plus structuré qui garde les mêmes objectifs : Des procédures aux concepts, catégoriser des catégories. Ayant réalisé une analyse des gestes professionnels mobilisés dans la mise en œuvre des jeux Catégo (Maire Sardi, 2009), mon intérêt s’est alors porté sur ce nouvel outil. J’ai expérimenté cet outil avec deux objectifs : évaluer la mise en œuvre d’un enseignement de la catégorisation en classe de 2P et mesurer l’apprentissage des élèves suite à cet enseignement. Ce travail s’est inscrit dans le cadre d’un processus de conception continuée dans l’usage.
La conception continuée dans l’usage
66S’inspirant des recherches récentes en formation professionnelle (Rabardel, 1995 ; Rabardel & Pastré, 2005, cité par Cèbe & Goigoux, 2007), les concepteurs de l’outil ont développé un « processus de conception continuée dans l’usage » (Cèbe & Goigoux, 2007). Ce processus tient compte des contraintes didactiques, de l’utilisation réelle de l’outil par les enseignants et d’un apport de connaissances pour les élèves. Cette démarche implique la fabrication complète d’une suite de séquences didactiques ainsi qu’une mise à l’épreuve sur le terrain, par des enseignants, afin de déterminer leur applicabilité et leur pertinence.
67L’approche du processus de conception continuée dans l’usage s’apparente à l’ingénierie didactique, elle-même issue de l’ergonomie cognitive et de la didactique professionnelle comprise dans un contexte social (Pastré, 2004). Différents auteurs (Pastré 2004, 2006 ; Rabardel & Pastré, 2005 ; Vergnaud, 2006) ont effectué des études en didactique professionnelle relevant des modèles de la conception. Cèbe et Goigoux (2007) décrivent leur choix de cette démarche pour la conception de Lector & Lectrix (Cèbe & Goigoux, 2009). C’est principalement sur la base de cet article et de celui de Goigoux (2007) que je m’appuie pour présenter la conception continuée dans l’usage puisque l’instrument Catégoriser des catégories se construit de manière similaire. Dans un tel processus l’instrument est au centre du triangle didactique5. Partant du principe que l’enseignement est une activité médiatisée par les instruments didactiques, Cèbe et Goigoux (2007) relèvent que la qualité de ces instruments peut influencer l’efficacité de l’enseignement. Un de leurs objectifs est alors d’améliorer les instruments mis à disposition des enseignants. En se référant à Rabardel (1995, cité par Cèbe & Goigoux, 2007), ces chercheurs identifient deux types d’éléments à considérer : les objets concrets (artéfacts) et l’utilisation de ces artéfacts par les enseignants (perspective technocentrique). Ces deux dimensions les incitent d’une part à tenir compte des utilisateurs dans la conception d’un instrument d’apprentissage (en termes d’utilisation et d’efficacité) et d’autre part de donner la possibilité aux enseignants d’intervenir sur l’instrument en phase même de conception. C’est ce que Cèbe et Goigoux nomment une démarche avec une perspective « technocentrique » complétée par une perspective « anthropocentrique » (2007, p. 186-187). La perspective anthropocentrique donne une place prépondérante à l’utilisateur (l’enseignant) tout en tenant compte des élèves (leurs caractéristiques et leurs apprentissages) et du savoir à enseigner. Suite à une analyse a priori du travail enseignant, les concepteurs proposent un prototype de l’instrument qui est ensuite mis en œuvre en classe par des enseignants. Après cette phase d’utilisation, des échanges ont lieu entre concepteurs et usagers puis, l’instrument premier est modifié en regard des visées didactiques et des contraintes identifiées. Vergnaud (2006) souligne l’importance de la relation entre les concepteurs et les utilisateurs : « la conception se poursuit dans l’usage, et cela s’appuie sur le dialogue entre des personnes diversement situées dans le processus de conception-production-utilisation » (p. 2). L’étude de ces mises en œuvre débouche sur des observations et des critiques qui sont intégrées à la réflexion des concepteurs. Les contraintes explicitées par les utilisateurs et le projet initial font l’objet de compromis et donnent alors naissance à un nouvel instrument. Un second prototype sera alors réalisé et à nouveau mis en œuvre par des enseignants auprès de leurs élèves. Ensuite, une analyse des usages et des effets du prototype 2 sera effectuée. Puis l’artefact final sera produit et soumis à une évaluation externe pour aboutir à l’édition définitive de l’outil.
Notes de bas de page
3 ZPD : différence entre le niveau de résolution de problèmes sous la direction de et avec l’adulte et celui que l’enfant atteint seul. La capacité de l’enfant à résoudre seul certaines catégories de problèmes correspond à son niveau actuel de développement tandis que ce dont il est capable, par un guidage interactif de l’adulte, correspond à son niveau potentiel de développement (voir Crahay, 1999).
4 « La métacognition réfère à la connaissance ainsi qu’au contrôle que le sujet a sur lui-même et sur ses stratégies cognitives. » (Tardif, 1992)
5 Jean Houssaye (1988) définit tout acte pédagogique comme l’espace entre trois sommets d’un triangle : l’enseignant, l’étudiant, le savoir.

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