Préface
p. 13-15
Texte intégral
1La recherche sociologique s’intéresse de longue date à la relation entre l’école et les parents. Dans une première génération d’enquêtes, elle s’est attachée à montrer que la relation aux parents dépend d’un rapport de classe (sociale), en même temps qu’elle l’entretient. La recherche a ainsi souligné les formes différentes que cette relation adopte selon les qualités sociales des parents, ainsi que selon l’environnement local des écoles. Les représentations négatives, le soupçon des enseignants à l’égard des parents de milieux populaires ont été largement établis, de même que la connivence avec les parents des classes moyennes et une forme de soumission aux parents des milieux favorisés.
2En lisant l’ouvrage de Stefanie Rienzo, il est possible de se dire que rien n’a vraiment changé. Mais sa recherche appartient à une deuxième génération d’enquêtes, plus récentes, qui se déploient dans un contexte institutionnel converti – du moins dans les textes officiels et les injonctions aux professionnels – au principe de la collaboration avec les parents. Les constats plus anciens de la sociologie de l’éducation sont alors mis à l’épreuve. Si, en dépit de ce changement, les rapports entre enseignants et parents continuent d’être marqués par les inégalités sociales, comment l’expliquer ? Comment, alors qu’il s’agit explicitement de collaborer, et que la collaboration s’incarne dans des rencontres régulières, celle-ci ne parvient-elle pas à modifier réellement les représentations sociales des enseignants et les effets inégalitaires de la relation ?
3Pour répondre à ces nouvelles questions, Stefanie Rienzo prend le parti d’aller voir de près comment les choses se passent dans la rencontre concrète entre l’enseignant et les parents. Elle met en œuvre une méthodologie jusqu’à présent rarement utilisée, consistant à combiner observation de l’interaction et entretiens séparés avec les deux protagonistes de la rencontre. Au travers des extraits d’observations et d’interviews, le lecteur est plongé d’abord dans le déroulement de la communication entre l’enseignant et le(s) parent(s), puis dans leurs ressentis respectifs de la rencontre. Grâce à cette méthode, il est possible à la fois d’observer les dynamiques communicationnelles et d’éclairer les raisons des postures et des stratégies dans l’échange à partir des interprétations à l’œuvre chez chacune des deux parties.
4Dans une langue claire, Stefanie Rienzo montre les différents enjeux de telles rencontres entre enseignant et parents, les attentes, les stratégies et les pratiques de chacun. Elle dévoile de manière fine toute une série de mécanismes microsociaux, interactionnels qui configurent le déroulement concret de la rencontre. L’analyse se veut à la fois clinique, fondée sur les faits, et compréhensive, attentive aux points de vue des acteurs. Un premier résultat de la recherche est d’ailleurs de montrer que ceux-ci, qu’ils soient enseignants ou parents, ont des attentes fortes au sujet de la collaboration. Pourtant, ces attentes se traduisent souvent au final par l’insatisfaction, la frustration, la déception, voire le ressentiment, chez les deux « partenaires ». Elles sont par ailleurs inégalement réalisées selon les milieux sociaux. En analysant les ressorts des malentendus et des contradictions à l’œuvre dans la relation, l’autrice montre les résistances au changement du rapport école-familles vers plus de symétrie. Si les attentes favorables à l’égard de la collaboration n’enclenchent pas sur leur réalisation, c’est en grande partie en raison du fait qu’elles sont définies par les enseignants selon des normes précises et restrictives qui correspondent à une manière de communiquer propre à un modèle valorisé par les institutions et familier aux (seules) classes moyennes diplômées et aux classes favorisées, celui de la participation.
5L’intérêt du regard de Stefanie Rienzo est de se situer au niveau microsociologique de la situation vécue par les différents acteurs. On perçoit bien, en se plaçant au cœur de la rencontre, le rôle de la perception d’autrui, l’importance des ressources langagières et comportementales, le poids du stigmate, la logique du jugement moral. À l’épreuve de l’activité d’interprétation mutuelle qu’induit le face-à-face, les beaux principes de la collaboration sont vite écornés. La méfiance s’installe, les croyances ancrées refont surface et les réflexes de contrôle et de domination (côté enseignants) ou de retrait (côté parents) sont réactivés. La collaboration se vide de ses promesses démocratiques.
6Sans verser dans l’accusation à l’égard de professionnels souvent désorientés et démunis, Stefanie Rienzo conclut courageusement en identifiant la responsabilité d’une telle situation. Pour éviter que le nouveau cadre de collaboration entre les enseignants et les parents se traduise par de nouvelles inégalités – des inégalités de participation –, il revient à l’école de désactiver ses préjugés et ses stéréotypes à l’égard des parents des milieux populaires. C’est à l’institution qu’il revient d’assouplir ses normes, d’inventer des cadres d’échanges symétriques, dans lesquels les professionnels font preuve d’ouverture à la diversité des façons de se présenter et d’argumenter et étayent l’implication de tous les parents. Cela suppose, en réalité, que l’école se pense comme une institution décente. Une institution en capacité de partager le point de vue de ceux de ses usagers qui ont subi dans leurs destins individuels son pouvoir de classement social et continuent à le vivre au travers de la scolarité de leurs enfants.
Auteur
Professeur ordinaire, Université de Genève

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