1L’édifice roman dédié à San Parteo est construit sur les arases de la basilique suburbaine (cf. supra). Il est aujourd’hui conservé en grande partie dans son état originel, même si entre 1958 et 1960 les murs ont été surélevés de 1 m en moyenne afin de permettre la pose d’une toiture en tuiles et que des blocs de parement ont été remplacés assez maladroitement à la base de l’abside ainsi qu’à l’intérieur au niveau du chœur (fig. 1 et 2). Ces restaurations, peu esthétiques, n’ont toutefois pas ou peu perturbé la structure de l’édifice et la stratigraphie des élévations qui restent donc aujourd’hui parfaitement lisibles à peu près partout.

Fig. 1 – L’abside et la face nord-est de San Parteo (D. Istria/CNRS).

Fig. 2 – La façade occidentale vue depuis le nord-ouest (D. Istria/CNRS).

2L’édifice a fait l’objet d’études stylistiques de la part de G. Moracchini-Mazel puis de R. Coroneo1. G. Vannini a, quant à lui, tenté une lecture archéologique restée inachevée et inédite2. C’est pourquoi il a été nécessaire de reprendre celle-ci dans sa totalité. Au-delà de la connaissance de l’histoire de l’édifice lui-même, on peut attendre de ce réexamen qu’il apporte aussi des informations sur la topographie religieuse de Mariana, ainsi que sur l’organisation globale et le déroulement du chantier de construction qui doit être mis en perspective avec celui de la cathédrale. Cela pose aussi la question de la complémentarité des édifices et, de fait, du rôle de cette église érigée sur un ancien lieu de culte et à seulement 500 m de la cathédrale. Bien qu’on lui ait toujours attribué une fonction strictement cimétériale, les recherches anciennes n’ont jamais pu montrer la véritable importance de la zone funéraire médiévale. Il faut donc, sans exclure a priori cette hypothèse, envisager d’autres fonctions qui ont pu être dévolues à cet édifice au caractère original.

3Les élévations présentent sur les murs gouttereaux nord et sud, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’édifice, les traces d’une rupture verticale située à environ 5 m à l’ouest des épaulements. Cette rupture a toujours été interprétée comme le témoin d’une reconstruction de l’édifice. Cependant, les relations stratigraphiques et la chronologie relative qui en découle ont été lues de manières totalement différentes par les chercheurs qui s’y sont intéressés.

4Selon G. Moracchini-Mazel, dont l’analyse repose essentiellement sur la forme et le degré de finition des blocs de parement, l’édifice aurait été construit vers le milieu du XI^e siècle. Après un effondrement partiel dû à de possibles « fortes chutes de neige sur les lauzes du toit », la nef aurait fait l’objet d’une reconstruction au début du XII^e siècle3. Pour G.Vannini, au contraire, c’est la partie orientale de l’édifice – c’est-à-dire l’abside et l’extrémité de la nef - qui aurait été rebâtie dans un second temps avec les mêmes matériaux remployés sans ordre ; ainsi des blocs de parement taillés auraient été insérés à l’envers dans les nouvelles maçonneries. Dans les deux cas une partie de l’édifice – la nef pour G. Moracchini-Mazel, l’abside pour G. Vannini – aurait été rebâtie après une destruction partielle4.

5Afin de résoudre ce problème et de mettre en évidence la chronologie relative de l’édifice, il a été nécessaire de faire une lecture stratigraphique fine des élévations, assise par assise, et d’associer celle-ci à une analyse des matériaux et des techniques de construction.

1. Les matériaux de construction

6Les bâtisseurs ont utilisé ici les mêmes matériaux que pour la construction de la cathédrale, des calcschistes et des marbres des carrières de Brando-Sisco, présentant d’ailleurs les mêmes traces de probables emboîtures de forme semi-circulaire (fig. 3), utilisés en parement, ainsi que des galets prélevés in situ et liés au mortier de chaux pour constituer les fondations et le blocage des murs.

Fig. 3 – Trace semi-circulaire sur un bloc de parement intérieur du mur nord – possible emboîture (D. Istria/CNRS).

7Les mortiers de la maçonnerie sont constitués de chaux aérienne abondante et d’excellente qualité. Les mortiers des joints sont un peu différents : la fonction a conduit à choisir un sable plus fin bien que de même nature, donc probablement tamisé, et à ajouter du tuileau destiné sans doute principalement à colorer la matière.

2. La construction

8Les parements extérieurs de la partie orientale de l’édifice, comprenant l’abside dans son entier, les épaulements ainsi qu’une portion d’environ 5 m des murs gouttereaux nord et sud, sont traités de la même manière que ceux de la cathédrale. Outils et techniques mis en œuvre sont identiques avec, peut-être, une utilisation plus fréquente, bien qu’encore assez exceptionnelle, du marteau taillant en finition après un dégrossissage à la broche (fig. 4). Certains blocs, notamment ceux de grande taille et au profil courbe utilisés pour la construction de l’abside semi-circulaire, témoignent par la remarquable régularité des impacts, d’une parfaite maîtrise de la broche et du ciseau droit. Proportionnellement les parements traités sans bordure périmétrique sont plus nombreux que dans la cathédrale. On retrouve des blocs de même type à l’intérieur de l’édifice où ils sont utilisés pour la construction de l’arc absidal, des fenêtres et des supports verticaux des deux chapelles latérales : pilastres, piles maçonnées et arcs (fig. 5 et 6). En revanche, les parements intérieurs des murs ont fait l’objet de traitements très inégaux. Si certains, en particulier les plus gros blocs, fort rares, sont taillés comme à l’extérieur, d’autres, de loin les plus nombreux, sont simplement équarris et régularisés voire tout juste dégrossis (fig. 7).

Fig. 4 – Détail du parement extérieur de l’abside. On remarque différentes techniques de taille (D. Istria/CNRS).

Fig. 5 – Détail du pilastre de l’espace voûté nord et de l’arc triomphal (D. Istria/CNRS).

Fig. 6 – Détail de l’espace voûté nord (D. Istria/CNRS).

Fig. 7 – Parement intérieur du mur absidal. On note la présence d’une assise haute constituée de blocs taillés posés en délit (D. Istria/CNRS).

9Liés au mortier de chaux, ces blocs sont mis en place en respectant des assises horizontales de différentes hauteurs et alternées de manière relativement régulière à l’extérieur du mur gouttereau nord et de manière beaucoup moins homogène au sud. À l’intérieur, il n’existe aucun rythme et les assises basses sont largement majoritaires.

10Des fragments de joints larges soulignés au fer de manière à imiter un appareil régulier de pierre de taille sont conservés sur tous les murs. L’intérieur de l’abside était probablement entièrement enduit comme le laissent penser les plaques conservées, notamment dans la partie haute de la voûte en cul-de-four constituée d’un simple blocage de petites pierres (fig. 8)5.

Fig. 8 – Paroi intérieure de l’abside encore partiellement couverte d’enduit (D. Istria/CNRS).

11L’insertion dans le parement extérieur de l’abside de colonnes et de chapiteaux manque singulièrement de précision tout comme la liaison entre les archivoltes et les chapiteaux dépourvus d’abaque. L’ensemble donne une impression de « bricolage » et pourrait être le fruit d’un travail rapide et peu soigné ou encore l’œuvre d’ouvriers inexpérimentés dans la pose de ce type d’éléments.

12Les matériaux, les techniques de taille et de pose employés lors de la construction de la partie occidentale de la nef ne changent pas par rapport à la partie orientale. Cependant, tous les blocs de parement sont désormais taillés à l’intérieur comme à l’extérieur du monument. Les assises hautes et basses sont alternées de manière relativement régulière, même si le rythme ABAB n’est pas toujours respecté. Les ruptures dans l’alignement des assises et la non correspondance des assises intérieures et extérieures découlent, comme à la cathédrale, de la non standardisation des blocs de parement (fig. 9). Les trous de boulins, majoritairement en réserve (90 %) mais parfois aussi façonnés (10 %), présentent une organisation homogène et cohérente.

Fig. 9 – Détail du parement extérieur du mur gouttereau sud, extrémité occidentale du mur (D. Istria/CNRS).

13Les deux parties de l’édifice sont bien ancrées l’une dans l’autre. La liaison se fait par l’utilisation de blocs échancrés alors que chandelles de calage et bouchons sont utilisés pour combler les espaces restants entre une assise haute nouvellement posée et plusieurs assises basses antérieures. Ces trois procédés permettent de respecter à la fois l’horizontalité des assises tout en conservant le rythme alterné des murs.

14Toutes les unités stratigraphiques individualisées témoignent de l’évolution du chantier ; aucune ne peut être attribuée à une reprise des maçonneries. Dès la fondation, il apparaît que les assises de chacune des parties se chevauchent alternativement. On voit ainsi sur le parement intérieur du mur nord que l’unité stratigraphique 25, comprenant cinq assises et construite depuis l’abside vers l’ouest, est postérieure à l’unité 26 qui appartient à la partie occidentale de la nef tout comme l’unité 29 qui couvre 25 (fig. 10). Au sud, la lecture est compliquée par la présence d’une porte au niveau de la jonction des deux parties mais le principe semble être absolument identique (fig. 11 et 12). L’unité stratigraphique 71 appartenant à l’extrémité orientale du mur, est couverte par l’unité stratigraphique 87 dont la construction débute près de l’angle sud-ouest. Elle-même est antérieure à l’unité 72 dont la mise en place est contemporaine d’une section de l’épaulement sud, tout comme l’unité 74 qui se poursuit sur toute la longueur du mur gouttereau jusqu’au chaînage de la façade occidentale.

Fig. 10 – Détail de l’élévation du parement intérieur du mur gouttereau nord. Les flèches indiquent le sens de pose des assises (D. Istria/CNRS).

Fig. 11 – Élévation du parement extérieur du mur gouttereau sud avec individualisation des unités stratigraphiques construites et indication de l’évolution du chantier de construction. Les flèches indiquent le sens de pose des assises (D. Istria/CNRS).

Fig. 12 – Diagramme stratigraphique de l’élévation extérieure du mur gouttereau sud (D. Istria/CNRS).

15Ces relations stratigraphiques montrent ainsi que les deux parties s’inscrivent dans une même campagne de construction et qu’elles sont donc contemporaines. Il faut dès lors rejeter les hypothèses de G. Moracchini-Mazel et de G. Vannini qui considéraient qu’une partie de l’édifice avait été rebâtie.

16Mais, dans ce cas, pourquoi existe-t-il une rupture symétrique sur les murs gouttereaux marquant la limite entre deux constructions de factures, on l’a vu, bien différentes ?

17La seule explication possible est la présence sur le chantier de deux équipes de bâtisseurs œuvrant simultanément, l’une cantonnée à la partie occidentale, l’autre chargée d’édifier l’abside et l’amorce de la nef. Chacune travaille indépendamment, ce qui explique les décalages des trous de boulins au niveau des assises basses, l’absence de trous façonnés dans la partie orientale6 et enfin les différences d’écartements horizontaux : ≈ 1,50 m dans la partie orientale et ≈ 2 m dans la partie occidentale. Une certaine coordination semble en revanche se mettre en place à partir de la mi-hauteur environ (au-delà de l’unité stratigraphique 74 sur le mur sud soit à partir de la 4^ème ligne de trous de boulin, et à partir de la 4^ème ou 5^ème ligne au nord) ; les platelages des échafaudages peuvent alors courir sur toute la longueur de l’édifice même s’il n’existe pas une parfaite horizontalité (fig. 13). Quant aux différences de techniques mises en œuvre, elles ne peuvent être imputées aux compétences des maçons : la pose de la pierre de taille ne demande pas plus de qualification que celle de blocs tout juste équarris. D’ailleurs, la construction de l’arc triomphal et des voûtes sur les espaces latéraux témoigne d’une bonne maîtrise de ces techniques. Par conséquent, la différence d’appareillage entre l’intérieur et l’extérieur pourrait découler :

• soit d’une nécessité d’économie qui se traduit par une utilisation à l’intérieur de blocs majoritairement non taillés ;
• soit d’un rendement trop faible des tailleurs de pierre. Afin de ne pas perturber l’avancée du chantier, il a été décidé d’utiliser des blocs non taillés et de les couvrir d’enduit ou, pour le moins, par de joints beurrés sur lesquels est tracé un faux appareil régulier.

Fig. 13 – Schéma des échafaudages restitués à partir des trous de boulins des murs nord et sud (DAO D. Istria/CNRS).

3. Le plan et les élévations

18Dans tous les cas, il apparaît désormais que les deux parties appartiennent à un même projet. Cependant, les dégagements trop partiels de la base des murs ne permettent pas de dire si la mise en place des fondations en galets liés au mortier de chaux, dessine dès le départ le plan complet de l’édifice. Le mur 15, d’orientation nord-sud partiellement mis au jour à l’intérieur de l’édifice à 1,50 m en retrait de la façade occidentale, a été interprété par G. Moracchini-Mazel7 comme la fondation du mur pignon ouest de l’édifice du XI^e siècle (fig. 14). Pour G. Vannini, il appartiendrait plutôt à un édifice plus ancien, peut-être carolingien. Quoi qu’il en soit, sa position stratigraphique le place chronologiquement entre la basilique paléochrétienne dont il couvre le mur nord, et le mur gouttereau de l’église médiévale sous lequel il disparaît. Il appartient donc à un bâtiment intermédiaire, impossible à dater plus précisément aujourd’hui et qui peut d’ailleurs ne pas être un édifice de culte. Il peut aussi appartenir à un premier projet médiéval rapidement abandonné pour une nef un peu plus longue.

Fig. 14 – San Parteo, plan des édifices superposés (DAO D. Ollivier et D. Istria/CNRS).

19L’édifice de culte médiéval se présente sous la forme d’une nef unique charpentée, large de 10,05 m et longue de 22,20 m au nord et 21,64 m au sud (hors tout) (fig. 15). L’extrémité orientale est terminée par une abside semi-circulaire d’une profondeur de 2,65 m et d’une ouverture de 4,42 m. Les angles nord et sud, correspondant aux raccordements des murs gouttereaux et des épaulements, ne sont pas droits contrairement à ceux de l’extrémité occidentale. Cette situation pourrait découler d’un mauvais alignement de l’épaulement nord, par ailleurs plus court que le sud de 9 cm8, obligeant aussi à aménager une fenêtre dont l’axe est légèrement oblique par rapport à la surface des parements. Cette anomalie est difficilement explicable. La construction antérieure ne semble pas avoir déterminé le plan ; même s’il y a une relative superposition des absides, la plus récente est décalée vers l’est et nettement désaxée par rapport à la plus ancienne, peut-être pour remédier à ce que l’on considérait alors comme une mauvaise orientation. De même, compte tenu du décalage, il est peu probable que les bâtisseurs aient souhaité appuyer l’angle sud-est sur les maçonneries antérieures afin de lui assurer une plus grande stabilité. En revanche, la présence de ces dernières est peut-être à l’origine du pendage assez prononcé d’est en ouest des assises du mur gouttereau sud9.

Fig. 15 – San Parteo, plan de l’église du XII^e siècle (DAO D.Ollivier et D. Istria/CNRS).

20Le portail principal, situé au centre de la façade ouest (1,26 x 2,73 m), est couvert d’un linteau plat en marbre blanc, relativement fin, reposant sur deux impostes et surmonté d’un arc de décharge avec tympan lisse (fig. 16).

Fig. 16 – Portail occidental de l’église (D. Istria/CNRS).

21La porte nord, bien que plus étroite (0,75 x 2,03 m) et dépourvue de décor, présente une structure semblable (fig. 17). En revanche, la porte sud (0,78 x  m) est surmontée d’un linteau en bâtière décoré.

Fig. 17 – Porte nord (D. Istria/CNRS).

22Quatre fenêtres meurtrières sont aménagées dans les murs gouttereaux (fig. 18). Hautes, étroites et à double ressaut, elles sont constituées de deux piédroits supportant une archivolte monolithique. Leur conception est comparable à celle de la fenêtre absidale de la cathédrale.

23On n’en compte en revanche que trois dans la façade orientale (fig. 19). L’une est aménagée au centre de l’abside, et une autre est percée dans chaque épaulement (fig. 20) ; ces deux dernières étant implantées à un niveau légèrement plus bas. Toutes sont constituées de jambages appareillés surmontés d’une archivolte monolithe. L’ébrasement est peu prononcé pour les fenêtres des épaulements, mais une dalle placée dans l’épaisseur du mur vient réduire la largeur et la hauteur de l’ouverture10.

Fig. 18 – Fenêtre du mur gouttereau sud vue de l’extérieur (D. Istria).

Fig. 19 – Fenêtre de l’abside (D. Istria/CNRS).

Fig. 20 – Fenêtre de l’épaulement sud (D. Istria/CNRS).

4. Le décor architectural

24P. Mérimée avait « hâte d'arriver à l'aspide (sic), la seule partie de l'édifice vraiment intéressante »11. En effet, le chevet de San Parteo présente un raffinement et une certaine richesse un peu inattendue. Ici la polychromie des pierres ne vient pas seulement de l'orientation de leurs faces, mais de l'alliance du calcschiste du Cap Corse, du granite, du calcaire et du marbre (fig. 21). Le mur courbe est scandé de quatre demi-colonnes engagées légèrement tronconiques en granite et en calcschiste12, encadrées de deux pilastres à la jonction avec les bas-côtés et surmontés d'arcatures en plein-cintre dont les retombées sont accueillies par des chapiteaux en calcaire. Il s'inscrit ainsi de manière évidente dans la tradition toscane élaborée magnifiquement au chevet de la cathédrale de Pise qui allie demi-colonnes engagées et arcatures modelant profondément le parement.

Fig. 21 – Vue générale de l’abside depuis le nord-est (D. Istria/CNRS).

25C. Aru y voit, comme P. Mérimée13, une « telle supériorité d'exécution « comparée au reste de l'édifice et à la cathédrale que, selon lui, cette abside ne peut avoir été conçue au même moment. La question du remploi des colonnes, chapiteaux et arcatures qui composent le chevet nourrit les débats des auteurs. Mérimée le premier a proposé d'y voir des fragments antiques provenant de l'ancienne ville de Mariana, suivi en cela par Aru : pour l'un comme pour l'autre, les colonnes polies d’un seul côté et ainsi intégrées dans la maçonnerie, plaident en faveur d'un remploi. La rareté du marbre et le souvenir précis des formes antiques dans l'appareil sculpté, unique dans les églises romanes de l'île, constituent des arguments complémentaires14. G. Moracchini-Mazel nuance cette affirmation et propose d'y voir un marbre certes antique, provenant « [d’] une statue ou d'un bas-relief « mais retaillé au moment de l'érection de l'abside médiévale15. « Resculpté par la grande lumière de la plaine de Mariana », ce « chef d'œuvre de mesure et d'équilibre « fait dès lors figure d'original dans le paysage architectural corse de la première moitié du XII^e siècle.

26Surmontant les demi-colonnes engagées, les chapiteaux en calcaire fin reposent sur des astragales moulurés très saillants16 (fig. 22 à 25). Ils sont ornés de deux rangées de feuilles épaisses et lisses, puis d'une troisième rangée de volutes fines se rejoignant aux angles et au milieu de la corbeille. Ce décor, étranger du corpus toscan et unique en Corse, présente des affinités avec celui des chapiteaux de la basilique San Pietro in Cielo d’Oro de Pavie.

Fig. 22 – Premier chapiteau de l’abside en partant du sud (D. Istria/CNRS).

Fig. 23 – Deuxième chapiteau du l’abside en partant du sud (D. Istria/CNRS).

Fig. 24 – Troisième chapiteau du l’abside en partant du sud (D. Istria/CNRS).

Fig. 25 – Quatrième chapiteau du l’abside en partant du sud (D. Istria/CNRS).

27D'amples arcatures en marbre blanc prennent naissance sur de fins abaques (fig. 26 et 27) : sur une première voussure composée de claveaux nus et un peu irréguliers, vient se poser un deuxième arc à l'ornement géométrique très dense, lui-même surmonté d'une fine archivolte nue. Aussi l'alternance des arcs lisses et sculptés participe-t-elle à l'animation du parement. Le dessin du deuxième arc se déploie sur deux bandeaux.

Fig. 26 – Arcatures de marbre de l’abside (D. Istria/CNRS).

Fig. 27 – Détail de l’arcature de marbre de l’abside (D. Istria/CNRS).

28L’étroite fenêtre absidale est surmontée d’une archivolte en marbre décorée des mêmes motifs antiquisants (fig. 28). Elle retombe sur deux impostes décorées de feuilles lisses et de volutes travaillées en méplat.

Fig. 28 – Archivolte de la fenêtre absidale (D. Istria/CNRS).

29Ce motif de palmettes fendues au trépan surmontant des modillons rectangulaires, sorte de transition avec un dessin qui associe une perle et une tige insérées dans une forme quadrangulaire, reprend une formule antique très répandue dans l'ornement roman de Toscane, notamment sur des édifices dont on a déjà souligné l'importance pour la Canonica : à San Frediano de Pise, les impostes des arcatures de la façade principale révèlent par exemple le même motif. Si à San Parteo la dette toscane est forte, l'exemple de Bergame montre que la reprise de ce motif antique au XII^e siècle – si l'on exclut la thèse du remploi – pourrait n'être pas exclusivement due à des modèles pisans ou lucquois. À l'abside centrale de Santa Maria Maggiore de Bergame, la corniche supportant l'arcature présente une variation sur ce même motif qui associe palmettes et modillons.

30À l’intérieur, les seuls éléments sculptés sont les chapiteaux qui couronnent les pilastres des chapelles latérales (fig. 29 à 31). Deux sont décorés d’une rangée de larges feuilles lisses surmontées de fines volutes, alors qu’un troisième présente en méplat une couronne de feuilles d’acanthe stylisées.

Fig. 29 – Imposte de l’espace voûté intérieur nord (D. Istria/CNRS).

Fig. 30 – Imposte de l’espace voûté intérieur nord (D. Istria/CNRS).

Fig. 31 – Imposte de l’espace voûté sud (D. Istria/CNRS).

31Si l’ensemble est élégant, bien proportionné et rehaussé de sculptures finement exécutées, l’insertion dans les murs de l’abside des colonnes (fig. 32) et des chapiteaux manque singulièrement de précision tout comme la liaison entre les archivoltes et les chapiteaux dépourvus d’abaque. L’ensemble donne une impression de « bricolage », d’exécution rapide et fort peu soignée.

Fig. 32 – Détail de l’insertion de la colonne dans le mur de l’abside (D. Istria/CNRS).

32Ces caractéristiques pourraient être le résultat d’un souci d’économie qui a conduit à réserver la pierre de taille aux parties considérées comme les plus importantes de l’édifice. Si la préparation des blocs et la réalisation des sculptures sont confiées à des artisans qui ont une bonne, voire dans certains cas une parfaite maîtrise des outils et une connaissance des matériaux, la pose résulte sans doute du travail d’une équipe bien moins qualifiée, peut-être guidée par un maître d’œuvre lui-même peu expérimenté.

33On a vu que des défauts similaires se retrouvent à la cathédrale, y compris l’absence de tailloir sur certains des chapiteaux. Par ailleurs, les décors des impostes de la fenêtre absidale et des chapiteaux des chapelles latérales intérieures sont, de par leur iconographie, leur facture et leur style, proches de ceux du portail occidental de la cathédrale.

34La façade occidentale de l'édifice est extrêmement sobre. Elle n’offre à voir, au niveau du portail, qu’un fin linteau de marbre, plus large que le tympan, qui rejoue à l'identique le dessin d’inspiration antique des arcatures de l’abside, alors que les impostes sont sculptées en méplat d’une rangée de feuilles lisses surmontées de volutes, comme pour donner à l'édifice une unité ornementale par ce jeu de rappels et de correspondances (fig. 33).

Fig. 33 – Détail du portail occidental (D. Istria/CNRS).

35La seule décoration figurative visible à San Parteo concerne le linteau de l'unique entrée du flanc sud (fig. 34). À l'intérieur d'un fronton en bâtière au pourtour modelé, deux lions apparaissent, affrontés autour d'un motif végétal dont G. Moracchini-Mazel puis R. Coroneo rappellent qu'il s'agit du hom ou arbre sacré de la Chaldée17. L'arbre comme symbole de la régénération de l'âme du croyant grâce au sacrement du baptême et à l'appartenance à la communauté ecclésiale18, pourrait donner du sens à la porte de l'édifice marquant un seuil spirituel, si l'on connaissait davantage la fonction particulière de chaque entrée. Comme d'autres figures d'origine orientale très anciennes tel le senmurv de la cathédrale, cette iconographie fut diffusée en Occident dès l’Antiquité et avec plus d’évidence au gré des grandes migrations du VI^e au VIII^e siècle. Le sculpteur a su donner aux deux lions, traités en relief relativement épais, une certaine impression de vie, voire l'imminence d'un mouvement en direction de l'arbre : les quatre membres de chaque bête, repliés et comme prêts à être déployés, sont supportés par les pattes des fauves, qui semblent avoir sorti leurs griffes. Le retour de la queue entre les membres inférieurs et contre le flanc accentue cet effet de dynamisme. Les incisions assez profondes contribuent à la lisibilité des reliefs : l’œil est souligné par deux incisions losangées créant une paupière épaisse, légèrement plus lisible sur le lion à droite. La gueule entrouverte, encadrée de plis profonds comme dus au mouvement de la tête, apparaît prête à mordre, et laisse deviner une rangée de dents néanmoins assez érodées. Si l'exécution demeure un peu rigide, le traitement donné à la crinière confirme une volonté d'animer les figures, tant par le relief que par l'incision : l'ensemble de l'encolure laisse voir des boucles de crinières, certaines ondulantes irrégulièrement, plus lisibles sur le lion de gauche. L'aspect imposant des deux figures, qui semblent difficilement contenues dans le cadre, achève de les dynamiser. C. Aru nuance ainsi le jugement sans appel de P. Mérimée, qui n'y discerne qu'un « mauvais bas-relief »19 et y voit en revanche une technique plus aboutie qu'à la cathédrale, notamment dans le traitement plus souple de la queue et dans l’œil davantage marqué, malgré « les têtes énormes, le col étroit, les membres courtauds et chétifs »20, de la main d'un sculpteur moins doué. Le relief apparaît donc postérieur à celui de la cathédrale pour C. Aru, ce que récuse G. Moracchini-Mazel, qui propose d'y voir un remploi, contemporain de l'abside du début du XI^e siècle, réintégré par la suite dans le flanc de l'édifice lors de la seconde campagne de construction. Au contraire d'Aru, elle relève « l'allure si statique et hiératique « des bêtes, d'un style plus archaïque, loin de la souplesse d'exécution du bestiaire de la cathédrale. R. Coroneo enfin exclut l'hypothèse d'un remploi, proposée par G. Moracchini-Mazel, pour replacer le linteau en bâtière dans le premier quart du XII^e siècle, au moment de l'érection de la nef de l'édifice21.

Fig. 34 – Porte sud (D. Istria/CNRS).

36La recherche de sources iconographiques possibles est rendue malaisée par la fréquence d'un tel thème en terre corse ou sarde. Tandis que le linteau de Santa Maria di Tratalias (1213-1282) reprend probablement directement un modèle local – celui des plaques de chancel de marbre du début du XI^e du sanctuaire proche de Saint Antioche, également en Sardaigne, ancien siège du diocèse22 –, la trace d'un modèle local manque pour San Parteo. Le linteau de Tratalias reste probablement le relief qui lui est le plus proche car on y voit, malgré la forte érosion de la pierre, une même volonté de mouvement dans les membres et le mouvement de la queue, ainsi qu'un sens des proportions semblable. En soulignant la forte définition plastique des figures à San Parteo, R. Coroneo soulève néanmoins l'hypothèse d'un modèle en ronde-bosse, tel celui de l'église des Santi Pietro e Paolo di Lumio, où les lions ont été remployés dans la façade du XVIII^e siècle23. Les lions passants, de profil, traités en haut-relief peuplent encore les chapiteaux et impostes des édifices corses, ainsi du lion de l’imposte gauche de la façade de la cathédrale de Saint-Florent, qui fait écho à celui, très menaçant, du quatrième chapiteau de la file sud de colonnes. Preuve d’une sensibilité particulière du sculpteur au volume des corps, le relief de San Parteo semble néanmoins une variation sur le motif des lions affrontés visibles sur les édifices de la région.

37À Oristano, une clôture de chœur (fin du XI^e - début du XII^e siècle) montre deux lions affrontés enserrant entre leurs membres des cervidés, et tournant la tête vers le spectateur : le mouvement de la queue, les pattes crochues ou encore le traitement par incision de la crinière et des plis de la gueule laissent penser que ce modèle pourrait ne pas être inconnu du sculpteur de San Parteo24. Le linteau déposé de Santa Maria del Castello à Cagliari révèle un même attrait pour le potentiel dynamique de la queue repliée. Dans ce dernier cas, l'arbre de vie apparaît esquissé entre les membres inférieurs des lions qui partagent une unique tête.

38Le motif du linteau de San Parteo n'est pas absent dans la péninsule italienne, et se retrouve en particulier à San Cassiano di Controne, près de Lucques, édifice avec lequel nous avons déjà souligné de nombreuses analogies structurelles pour la porte occidentale de la cathédrale : deux lions surmontent les piédroits et occupent les impostes. Ils se font face de part et d'autre de la porte, alors qu'ils s'opposent, au même emplacement, à Santa Giusta en Sardaigne : bien que les queues apparaissent bien séparées des corps, une espèce de courroie ou un rinceau semble néanmoins ceindre leur flanc, comme une reprise non méditée d'une forme efficace ailleurs observée. Mais si le motif s'épanouit en Toscane, il n'y est pas confiné et la maîtrise partielle de sa signification à San Cassiano pourrait plaider pour une provenance extérieure. À San Lorenzo de Gênes édifié entre 1097 et 1118, les lions d'un linteau portent le même motif d'une queue passante, repliée sur le flanc. On retrouve ce même détail en Lombardie, entre autres, sur certains chapiteaux de Sant’Eustorgio ou à San Celsio à Milan où dans les deux cas la queue se confond avec les entrelacs végétaux.

39Ces exemples lombards autorisent à évoquer des sources stylistiques bien antérieures, car les figures de San Parteo présentent une parenté frappante avec les bas-reliefs lombards du VIII^e ou IX^e siècle ; parmi les plus connus citons le baptistère de Calixte à Cividale di Friuli où les lions affrontés sculptés dans les dalles de la cuve montrent des similitudes avec les fauves corses : le soin apporté au traitement des dents en petites pyramides alignées, la double incision de l’œil, les oreilles collées l'une à l'autre sur le sommet du crâne ou encore la délimitation franche de la crinière largement ondulée jusqu'en bas du col, tout laisse envisager une possible filiation. Ces modèles, repris et développés en Lombardie romane, pourraient avoir été connus plus ou moins directement par la maîtrise d'œuvre de Mariana, tant les techniques ornementales sont proches.

5. L’aménagement intérieur

40Le sol était constitué de galets noyés dans du mortier de chaux. L’espace est divisé en deux par un mur d’orientation nord-sud situé à 7,6 m de la façade orientale. Seule sa fondation de 85 cm d’épaisseur est conservée. Cette largeur doit peut-être pouvoir s’expliquer par l’existence d’une ou plusieurs marches, disparues aujourd’hui mais bien documentées par l’archéologie dans d’autres édifices contemporains comme par exemple dans les pièves de Cinarca et de Carbini ou encore par les textes un peu plus tardifs : ainsi Mgr Mascardi, en 1587, indique dans l’église d’Ajaccio la présence « d’une clôture de chœur que l’on franchit par des marches »25.

41Ce mur délimitait très certainement le profond chœur de l’édifice, encadré par deux espaces latéraux d’environ 2,1 x 2,6 m aménagés dans les angles nord-est et sud-est (fig. 35). Presque entièrement détruits aujourd’hui, ils devaient originellement abriter des autels secondaires disparus, tout comme l’autel principal d’ailleurs. Chacun de ces espaces était couvert d’une voûte d’arêtes dont le sommet à 4,90 m au-dessus du sol, correspondait à environ 2/3 de la hauteur des murs gouttereaux. Ces voûtes retombent sur deux pilastres engagés, sur une imposte placée dans l’angle ainsi que sur un pilier de plan carré dont on ne conserve aujourd’hui que les bases. De fait, on retrouve ici la solution du couvrement mixte adopté dans la cathédrale, mais adapté à un édifice à nef unique et donc dépourvu de travée droite voûtée, ce qu’indique l’utilisation d’un pilier de plan carré et non cruciforme.

Fig. 35 – Espace voûté intérieur nord (D. Istria/CNRS).

6. La datation

42L’église San Parteo est mentionnée pour la première fois dans la documentation écrite en 111526, mais cela n’indique nullement que l’édifice roman est alors achevé, ni même d’ailleurs commencé puisqu’il remplace au même endroit une basilique d’origine paléochrétienne peut-être déjà placée sous la protection de ce saint.

43La similitude des techniques mises en œuvre pour la taille et la pose des parements tout comme les analogies stylistiques des décors laissent à penser que San Parteo et la cathédrale ont été construits au même moment. Il est envisageable que les deux chantiers aient démarré simultanément ou, dans le pire des cas, se soient succédé et aient été très peu espacés dans le temps. Cette suggestion rejoint la proposition de R. Coroneo qui plaçait l’édification de San Parteo dans le courant du premier quart du XII^e siècle sur la base de critères purement stylistiques27.

7. Les sépultures

44Seules sept sépultures (T.2, 12, 15, 1628, 17, 18bis et 19) pourraient être contemporaines de l’église romane, en raison de leur position, le long du mur sud de l’église, de leur orientation est/ouest et de leur facture (fig. 36)29. Quatre d’entre elles sont des coffres rectangulaires construits à l’aide de lauzes et de tuiles ou de briques (T.12, 15, 16, 17). La variété des matériaux et de leur agencement semble témoigner de la progressive transformation des typologies et constitue un intermédiaire entre le coffre de tuiles, très répandu dans l’Antiquité et au début du Moyen Âge, et le coffre de dalles largement représenté au second Moyen Âge en Corse. Trois tombes sont de simples fosses (T2, 18 bis et 19) autour desquelles des pierres de calage ont pu maintenir des structures en matière périssable, tel que coffre en bois ou cercueil.

45Comme pour les sépultures associées à la basilique paléochrétienne, les informations sur les individus inhumés, sur le mode d’inhumation ou la présence éventuelle de mobilier font totalement défaut.

Fig. 36 – Localisation des sépultures médiévales (DAO D. Ollivier et D. Istria/CNRS).

8. Conclusion

46L’église San Parteo est érigée au début du XII^e siècle sur les vestiges de la basilique suburbaine paléochrétienne. Le nouvel édifice adopte un plan et des proportions semblables au précédent, mais affecte une orientation différente bien que les absides soient soigneusement superposées. Les maçonneries conservées en élévation laissent voir deux campagnes de travaux, sans doute peu espacées dans le temps : la première concernant l’abside et le chœur, la seconde l’ensemble de la nef. Si les techniques de construction mises en œuvre sont différentes, il semblerait en revanche que les mêmes sculpteurs soient intervenus pour la réalisation des décors durant les deux phases, mais aussi sur la cathédrale, ce qui indiquerait une contemporanéité des deux chantiers.

47Malgré son plan et son élévation très simples, sans aucune originalité, cet édifice présente certaines spécificités liées à son aménagement intérieur, son décor et ses dimensions qui en font au total un cas unique dans l’île.