1La basilique paléochrétienne suburbaine est située à 500 m à l’ouest du complexe paléochrétien intra-muros (fig. 1). Elle a été arasée anciennement, probablement au moment de la construction de l’église romane San Parteo, au début du XII^e siècle. Seules sont visibles aujourd’hui une partie des fondations de la nef ainsi qu’une à deux assises d’élévation de l’abside.

Fig. 1 – Localisation de la basilique suburbaine (DAO D. Istria/CNRS).

2Elle est partiellement fouillée par G. Moracchini-Mazel entre 1957 et 1959, puis en 19901, et ponctuellement réétudiée au début des années 2000 par F. Di Renzo ainsi que par G. Vannini2.

3Cet édifice n’a jusqu’ici suscité que bien peu de discussions. Seule sa chronologie oppose les chercheurs qui, comme pour la basilique intra-muros hésitent entre le V^e et le VI^e siècle. G. Vannini a exprimé quelques doutes quant au fait que l’abside découverte en 1957 puisse appartenir à la première basilique et propose par conséquent d’identifier un édifice postérieur, peut-être d’époque carolingienne.

1. La topographie

4La basilique est construite au sein de la nécropole païenne dite de Palazzetto-Murotondo, et plus exactement en limite méridionale de celle-ci. Au moins six tombes [T.5, 27, 31, 37, 38 et 39] ont été coupées par les murs de l’édifice chrétien (fig. 2). Toutes ces sépultures ont une orientation nord-ouest/sud-est – à l’exception de la T.5 est-ouest -, tout comme les tombes 4 et 22 qui s’inscrivent mal dans l’organisation générale de la zone funéraire paléochrétienne et qui pourraient donc appartenir également à la phase antérieure. On notera que ces sépultures présumées païennes, ou du moins antérieures à l’édification de la basilique, forment deux groupes bien distincts, T. 4 et 5 d’une part et T. 22, 27, 31, 37, 38 et 39 d’autre part (fig. 3). Elles pourraient de fait correspondre à des regroupements volontaires, peut-être familiaux.

Fig. 2 – La tombe 39 coupée par le mur sud de la basilique (A.G. Corbara).

Fig. 3 – Localisation des sépultures antérieures à la basilique (DAO D. Istria/CNRS).

2. Les techniques de construction et le plan

5Les maçonneries dont l’épaisseur moyenne est de 60 cm, se présentent comme des murs en galets liés au mortier de chaux. Celui-ci est composé d’un mélange de chaux et de terre associée à du sable (SP1 et SP2). Les sables sont homogènes et ont été prélevés dans une couche géologique située à l’est de la ville. En revanche, deux types de pierre à chaux peuvent être identifiés : l’une magnésienne, l’autre pas. Il peut s’agir par conséquent de chaux produite à partir de blocs de marbre de réemploi ou de pierre provenant de gisements différents. Ainsi, les zones d’approvisionnement en matière première peuvent être identiques à celles mises en évidence par l’étude des matériaux de construction de la basilique intra-muros.

6Le mur gouttereau sud est encore bien visible sur toute sa longueur, soit 21 m [MR 1] (fig. 4 et 5). En revanche, seuls trois petits tronçons du mur nord sont conservés ou dégagés [MR 12, 4 et 5]. Ils semblent correspondre à la première assise de fondation, ce qui explique leur alignement très relatif et leur débordement vers l’extérieur par rapport au tracé restitué du mur d’élévation. La façade occidentale est entièrement conservée au niveau, elle aussi, de ses fondations, permettant de restituer la largeur totale de la nef, soit 11,5 m [MR 2 et 3]. À l’est, l’épaulement nord ainsi que l’abside semi-circulaire d’environ 4 m d’ouverture et de 3 m de profondeur, sont partiellement conservés [MR 6 et 7].

Fig. 4 – Plan de la basilique (DAO D. Istria/CNRS).

Fig. 5 – Vue de la basilique depuis le sud-ouest (A.G. Corbara).

7À l’intérieur et à la base de l’abside [MR 7], apparaît du côté nord un mur curviligne légèrement excentré débordant vers l’intérieur de 13 à 18 cm, dégagé sur une hauteur d’environ 20 cm [MR 8]. Comme on le verra, cette structure a fait l’objet d’interprétations divergentes.

8G. Moracchini-Mazel a présenté en 1992 cet édifice comme une construction homogène constituée de trois vaisseaux séparés par deux files de six piliers. On peut constater tout d’abord que le plan publié est partiellement faux. En effet, le mur gouttereau nord visible aujourd’hui ne correspond pas à celui représenté et des parties manquantes ont de toute évidence été restituées sans faire l’objet d’un traitement graphique particulier. De même, si cinq piliers sont indiqués sur le plan, le texte n’en mentionne que trois sans donner d’information sur leur localisation, alors qu’un seul est visible sur le terrain ; il est aujourd’hui entièrement restauré. D’autre part, les photographies de ces piliers publiées en 1992 ne montrent que de simples tas de galets3. On constate enfin que sur le plan, les piliers situés au sud-ouest sont posés sur des tombes sous tuiles disposées en bâtière [T.25 et T.40], parfaitement conservées et alignées par rapport au mur gouttereau sud de l’église. Cette situation, qui se vérifie pour l’unique vestige visible sur le terrain (T.40), est difficilement concevable. Les poussées verticales exercées par ces supports auraient inévitablement écrasé les sépultures qui ne peuvent en aucun cas être postérieures, causant ainsi un affaissement susceptible au moins de fragiliser considérablement la superstructure sinon de conduire purement et simplement à son effondrement.

9Au total, aucun vestige ne peut donc être interprété comme la base d’un pilier. Il semble que l’on doive par conséquent écarter l’hypothèse d’un édifice à trois vaisseaux proposée par G. Moracchini-Mazel et restituer une basilique à nef unique, ce qui est plus en adéquation avec sa largeur relativement modeste (11,5 m). Reste qu’il n’est pas possible aujourd’hui de proposer une interprétation pour ces agglomérats de galets.

10En 2001, suite au réexamen des vestiges, G. Vannini constate que l’abside [MR 7] semble mal orientée par rapport à la nef. Elle appartiendrait en fait à un deuxième édifice daté de l’époque carolingienne et dont ne seraient conservées que l’abside et une partie de la façade occidentale correspondant au mur [13], parallèle et un peu en retrait de la façade médiévale4. Quant à l’abside du premier édifice, paléochrétien, il propose de la reconnaître dans le mur curviligne qui se trouve à sa base [8].

11Cette hypothèse paraît tout aussi fragile que la précédente. La restitution graphique ne fait pas apparaître de décalage évident entre la nef et l’abside et rien ne s’oppose donc à ce qu’elle appartienne à la première phase de l’édifice de culte chrétien. Par ailleurs, les analyses montrent que les mêmes mortiers ont été utilisés pour la construction de celle-ci [MR 7] et du mur qui apparaît à sa base qui peut donc être sa semelle de fondation débordante [MR 8], ainsi que du mur gouttereau nord [MR 5] (Échantillons SP 1, 2, 3 et 5)5. Enfin, le mur de la supposée façade occidentale [MR 13] est bien différent, à la fois par sa facture et par son épaisseur, alors qu’il est construit avec un mortier dont la composition n’a rien de semblable (Échantillon SP 8).

12Le sol, documenté seulement sur une partie de la nef, était constitué d’un « béton de tuileau » couvrant une couche de fragments de matériaux de construction en terre cuite6. Non visible aujourd’hui, on ne sait s’il s’agit véritablement d’un tuileau ou bien d’un béton contenant de gros fragments de terre cuite comme dans la basilique intra-muros. Les aménagements liturgiques n’ont pas été mis au jour ou ont tous disparu.

13À l’extérieur, contre la façade occidentale, sont conservés les vestiges de deux murs d’orientation est-ouest. L’un au nord, à environ 1,5 m de l’angle [MR 16], l’autre à 4,80 m du même angle et à proximité d’une lacune de la maçonnerie pouvant correspondre à la porte principale de l’édifice [MR 14]. Construits selon les mêmes techniques que les fondations de la basilique, bien que légèrement plus fins (≈ 50 cm), ils pourraient appartenir à un porche, mais n’ayant pas été dégagés sur toute leur longueur, cette interprétation demeure peu sûre y compris en ce qui concerne les relations stratigraphiques.

3. Les sépultures

14Au moins 20 sépultures peuvent être attribuées à la phase paléochrétienne (fig. 6). Onze d’entre elles sont installées dans l’abside (1) et la nef (10). À l’extérieur, les tombes sont classiquement situées le long des murs gouttereaux et au pied de la façade occidentale. Leur orientation est plutôt homogène et suit majoritairement celle de l’édifice, nord-est/sud-ouest. Assez proches les unes des autres, elles semblent s’organiser en fonction des murs de l’édifice, mais aucune superposition n’a été observée. Il reste qu’aucune donnée sur la stratigraphie ne nous est parvenue et il est donc impossible de mieux expliciter l’organisation de l’ensemble funéraire dans le temps.

Fig. 6 – Plan de la basilique et des sépultures du premier Moyen Âge (DAO D. Istria/CNRS).

15La typologie des architectures funéraires correspond aux traditions en usage durant cette période. Il s’agit pour la plupart de contenants construits à l’aide de tuiles et de briques, entières ou fragmentées. Les deux types les mieux représentés sont les tombes sous tuiles disposées en bâtière et les coffres à murets. Dans deux cas seulement, les défunts ont été placés dans des amphores (T.32 et 33). Il faut mentionner également la présence de deux sépultures plus monumentales rencontrées dans la nef (T.6 et 9), constituées de coffres maçonnés surmontés d’une couverture en bâtière de tuiles supportant une épaisse chape de mortier de chaux. Dans un cas (T.6), cette couverture est semi-cylindrique, ce qui permet d’associer cette structure à la typologie des tombes a cupa, bien connue dans la moitié sud du bassin occidental de la Méditerranée.

16Les ossements des défunts inhumés dans ce cimetière, rarement conservés, n’ont pas été prélevés et n’ont donc pas été étudiés. G. Moracchini-Mazel indique simplement la présence de squelettes.

17Toutes ces sépultures étaient dépourvues de mobilier à l’exception d’une seule, la tombe 11, qui a livré une petite gourde complète, d’une typologie inédite, peut-être de production locale.

4. La datation

18G. Moracchini-Mazel a fait une proposition de datation qui repose uniquement sur des considérations historiques. Partant de l’hypothèse que cette première basilique était déjà dédiée à san Parteo et que celui-ci était un évêque africain exilé en Corse en 484, elle considère que l’édifice est donc construit après cette date7. Même si cette basilique était bien dédiée à san Parteo, ce qui ne peut être démontré aujourd’hui, l’hypothèse qu’il fut un évêque africain n’a absolument aucun fondement et qu’il fut exilé en Corse en 484 encore moins.

19L’unique document faisant référence à ce personnage, la Passio Sanctae Restitutae le présente certes comme un africain mais simple compagnon de Restituta, arrivé en Corse durant la première moitié du III^e siècle pour fuir les persécutions8. Il s’agit dans tous les cas d’un document du XII^e siècle9.

20Seules les sépultures en amphores peuvent donc donner des indices chronologiques fiables. Pour le moment, deux exemplaires, constituant la tombe 32, ont pu être identifiés (fig. 7). Il s’agit selon toute vraisemblance d’une amphore de type Almagro 51, datée entre la fin du III^e et le milieu du V^e siècle, ainsi que d’une late roman anfora 1 (LRA 1), datée des V^e-VII^e siècles. Une attribution de la sépulture à la première moitié du V^e siècle est donc possible10. Or, cette sépulture a été installée contre le mur nord de la basilique et donc après la construction de celle-ci11.

Fig. 7 – Amphores de la tombe 32. 1. Amphore Almagro 51 ; 2. LRA 1 (d’après G. Moracchini-Mazel 1992).

5. Conclusion

21Contrairement aux conclusions proposées par G. Moracchini-Mazel à l’issue d’une première analyse, il semble que la basilique suburbaine soit un édifice à nef unique, de taille respectable, et non pas à trois vaisseaux. Sa datation a elle aussi été rectifiée. On peut désormais penser, même si les indices chronologiques sont rares, que sa construction était achevée vers le milieu du V^e siècle et par conséquent que ce monument est contemporain de la basilique intra-muros et de son baptistère. L’ensemble pourrait de fait découler d’un unique projet.

22Si la fonction funéraire de cette basilique ne pose pas problème eu égard à son implantation dans une nécropole antique et à la présence de sépultures à l’intérieur et à l’extérieur de l’édifice dès le V^e siècle, en revanche le choix de son implantation questionne puisqu’à ce jour et malgré l’étendue des fouilles, aucune sépulture vénérée ne semble l’avoir guidé.