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Le marché des matières premières dans l’Antiquité et au Moyen Âge

 | 
Didier Boisseuil
, 
Christian Rico
, 
Sauro Gelichi

Transport et circulation des matières premières

Trafic des minerais métalliques, aménagement territorial et réseau portuaire

Dans le Sud-Ouest de la péninsule Ibérique entre la République et l’époque Julio-claudienne (125 av. J.-C. – 69 apr. J.-C.)

Enrique García Vargas

Résumé

Cet article propose une synthèse de la vie économique dans les zones minières du sud-ouest de l’Hispanie romaine à partir des exemples de Riotinto et Aznalcollar. Ici, les recherches archéologiques anciennes et récentes permettent de dresser un panorama relativement détaillé des formes d’implantation territoriale dans les aires minières, des voies de communication à l’intérieur de celles-ci, de la mobilité du minerai depuis les lieux d’extraction jusqu’aux lieux d’expédition, du caractère des agglomérations où s’effectuaient les processus de transformation métallurgique, des établissements militarisés qui défendaient les accès aux zones minières, des ports d’expédition de certains produits métalliques... La période chronologique étudiée s’étend des origines de l’exploitation intensive de ces mines vers la fin du IIe siècle avant J.-C. jusqu’à la fin de la dynastie flavienne (14-69 après J.-C.), lorsque les premiers signes d’épuisement des mines du sud de l’Espagne commencent à être documentés.

Note de l’auteur

Avec une spéciale gratitude à Elise Arnaud, Laurent Brassous et Christian Rico pour la révision du texte français, à Pablo Garrido, Oliva Rodríguez, Christian Rico et Genaro Chic pour les discussions si enrichissantes sur le contenu du travail et aux membres du équipe des prospections du Guadiamar, Fernando Amores, Pablo Garrido à nouveau, Mark Hunt, Jacobo Vázquez Paz et Jesús Rodriguez Mellado pour avoir partagé avec moi les résultats inédits de leurs travaux. Les erreurs d’interprétation sont, toutefois, de la seule responsabilité de l’auteur du texte.

Texte intégral

Introduction

  • 1 Davies 1935 ; Healy 1978 ; Woods 1985 ; Domergue 1990. Cf. récemment : Cauuet 2011 ; Cauuet – Rico (...)
  • 2 Pour l’Espagne on peut voir : García-Bellido 1986 ; Chaves 1987-1988, 2000, Domergue 1991 ; Chaves (...)

1L’intérêt pour les espaces miniers a toujours revêtu une grande importance dans les études sur l’économie du monde antique, étant donné l’impact de leur exploitation sur le fonctionnement de l’économie productive et commerciale en général1. Les contributions à la connaissance de la vie économique au sein des zones minières elles-mêmes, à leur commerce d’exportation (fondamentalement métallurgique) et d’importation ou à l’approvisionnement en monnaie ont été néanmoins, avec de remarquables exceptions, largement négligées dans la bibliographie économique de l’Antiquité2.

  • 3 Mateo 2001 ; Chic 2007, 2007-2008, 2011.

2Les zones minières sont presque toujours des réserves fermées où l’organisation des échanges, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur d’elles-mêmes, se trouve souvent fortement militarisée et contrôlée par l’administration de l’État, même si la gestion en est confiée à des entrepreneurs privés. Généralement, les aires minières sont des zones pauvres du point de vue agricole, constituant de véritables « saltus » ou zones sauvages où la seule activité économique profitable, hormis l’activité minière, est l’exploitation du bois et des pâturages3.

  • 4 Ibidem.
  • 5 Domergue 1991 ; García Vargas 2007.

3Les liens entre les mines et l’exploitation du bois (aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la réserve) ont toujours été très étroits : il a été dit que « les mines se nourrissent de bois4 », et il est vrai qu’il est indispensable pour la construction des bâtiments, l’alimentation des fourneaux, le cuvelage des puits et l’étayage des galeries des mines ou encore la fabrication des grandes roues d’évacuation des eaux. Un ravitaillement alimentaire doit être également assuré jusqu’aux mines, où se concentrent des milliers d’hommes qui non seulement ne produisent pas, mais consomment beaucoup de produits alimentaires, certains fondamentaux, comme le blé et l’huile, mais aussi du vin5. En revanche, la production et le ravitaillement en produits artisanaux de première nécessité pouvaient être assurés sur place.

  • 6 Amores et al. 2014.

4Les trafics de matières premières et de denrées alimentaires entre les mines et les campagnes autour des réserves minières mais aussi à l’intérieur de celles-ci génèrent donc une économie particulière dont les traits généraux, en ce qui concerne les minerais qui sortaient des mines, seront l’objet de ce travail. On prendra comme exemple les exploitations minières des aires sud-occidentales de la péninsule Ibérique où beaucoup de travaux archéologiques ont été effectués dans les dernières décennies, et où des projets de recherches spécifiques se déroulent en ce moment même.6

5Nous insisterons sur le fait que notre intention dans ce travail n’est pas de traiter de façon générale les aspects généraux de la vie économique des zones minières pendant l’Antiquité romaine. Cela dépasserait clairement nos possibilités et aussi nos compétences, car l’ampleur chronologique et spatiale de l’empire romain présente des situations très variées, même à l’intérieur de chaque aire minière. Nous centrerons donc la discussion sur le trafic des minerais dans les limites géographiques du Sud-Ouest de la péninsule Ibérique, entre le dernier siècle de la République et l’époque de la toute première dynastie impériale.

  • 7 Dušanić 1989 ; Domergue ; 1990 2008 ; Mateo 2005 ; Domergue – Rico 2014 ; Rico – Domergue 2016 ; C (...)

6Les questions relatives à l’organisation institutionnelle ou administrative, tant publique que privée, des mines du Sud-Ouest de la Péninsule ou au transport et commerce des métaux à longue distance ayant déjà été traitées par d’autres avant nous7, elles ne seront pas abordées ici.

  • 8 Amores et al. 2014 ; id. sous presse.

7Nous voudrions seulement présenter quelques faits et quelques hypothèses en relation avec l’un des districts miniers les plus riches et les plus productifs de l’Antiquité classique : celui de la région Pyriteuse Sud-ibérique, où les dernières prospections archéologiques ont fourni de nouveaux renseignements sur la formation des paysages miniers, l’aménagement des routes de transport ou les caractères de l’occupation humaine8. La comparaison entre ces données de l’extrême-Occident et celles de même type disponibles pour d’autres secteurs miniers permettra dans le futur de distinguer les similitudes et les différences entre ceux-ci.

La région pyriteuse sud-ibérique et ses ressources métalliques 

8L’organisation par la République romaine de la production minière métallique dans la péninsule Ibérique pendant les années comprises entre la défaite de Carthage en Hispanie à la fin de la deuxième guerre punique (206 av. J.-C.), et les premières décennies du régime impérial, a eu un parcours long et complexe, au cours duquel l’importance relative des différentes régions minières (fig. 1) ainsi que des métaux exploités a beaucoup changé.

Fig. 1 – Aires minières principales de la Péninsule Ibérique avec l’indication des zones de Riotinto et Aznalcóllar, dans l’extrême-ouest de la « région pyriteuse sud-ibérique ».

Fig. 1 – Aires minières principales de la Péninsule Ibérique avec l’indication des zones de Riotinto et Aznalcóllar, dans l’extrême-ouest de la « région pyriteuse sud-ibérique ».

Orejas – Sánchez Palencia 2014.

  • 9 Chic 2008, p. 340.

9Les débuts de la production minière romaine en Hispania concernent depuis les premières années du IIe siècle av. J.-C. l’exploitation des gisements de plomb et d’argent des environs de Carthago Nova, bien que l’activité minière dans la Sierra Morena orientale et centrale (actuelle Andalousie nord-orientale) ait également été très importante à ce moment-là9.

  • 10 Chaves 1996.

10Dans la province Ultérieure occidentale (Andalousie occidentale, Algarve et Alentejo portugais actuels), le développement de la production minière sous le contrôle de la République romaine se fit cependant de manière relativement tardive, du fait des difficultés de contrôle territorial liées dans un premier temps aux Guerres lusitaniennes (155-139 av. J.-C.) et, après la fin de ces conflits, de la persistance de l’insécurité dans la région, comme paraissent le suggérer les nombreux trésors et caches monétaires dispersés dans la région durant la période postérieure à 139 av. J.-C.10

11La région la plus occidentale de l’Hispanie du sud, divisée dans les premières années du régime impérial entre les nouvelles provinces de Bétique et de Lusitanie, et dont les richesses minérales ont été tardivement exploitées par l’État romain, disposait pourtant de ressources métalliques exceptionnellement riches (cuivre et argent notamment) dûes à sa singulière histoire géologique.

  • 11 Domergue 2011.

12La zone qui s’étend depuis l’Alentejo, au Portugal, jusqu’au nord de la province de Séville, en passant par le nord de celle de Huelva, en Espagne, est, en effet, connue sous le nom de « ceinture pyriteuse sud-ibérique », comprise, du point de vue de la géologie, dans la « zone sud-portugaise » qui se caractérise par la présence de gisements de pyrite d’origine volcano-sédimentaire souvent en contact avec des roches porphyriques11.

  • 12 Hunt 1988, p. 173.
  • 13 Domergue 2011, p. 30.
  • 14 Domergue 2011, p. 30.

13Les minéraux de cuivre s’y présentent souvent sous forme de chalcocites, malachites et autres sulfures secondaires de cuivre en marge du « gossan », le « chapeau de fer oxydé » au contact des intempéries, qui recouvre la masse de pyrite argentifère développée en profondeur12. Concernant l’exploitation de l’argent, les travaux antiques ont rarement atteint cette masse pyritique, parvenant seulement jusqu’à la zone intermédiaire (fig. 2) située entre le « gossan » oxydé et la masse des pyrites de cémentation13. Cette zone intermédiaire est cependant très riche en sulfures secondaires, dans lesquels on recherchait (et obtenait) la jarosite argentifère, un sulfure d’argent qui se présente normalement en strates de 1 à 1,5 m d’épaisseur, avec des concentrations de métal blanc qui peuvent facilement atteindre jusqu’à 3 % de métal précieux14.

Fig. 2 – Coupe verticale schématique du gisement.

Fig. 2 – Coupe verticale schématique du gisement.

1. Roches volcaniques acides (granitoïdes, rhyolite).
2. Roches volcaniques basiques (diabases, roches vertes).
3. Stockwerk.
4. Sulfures massifs.
5. Surface piézométrique.
6. Sulfures secondaires (à hauteur teneur en cuivre, argent et or) à la base du chapeau de fer : zone de cémentation (épaisseur : 30 m).
7. Chapeau de fer (gossan) formé par l’altération de la partie supérieure des sulfures massifs.
8. Zone inférieure du chapeau de fer, riche en argent et or, pauvre en cuivre (épaisseur : 3 m).
9. Schiste.
10. Scories antiques.
11. Stériles modernes. Les deux horizons minéralisés qu’ont recherchés les anciens mineurs, particulièrement à l’époque romaine, sont ceux qui sont numérotés 6 et 8.

Domergue 2011.

Exploitation minière, aménagement territorial et routes du minerai métallique dans la région pyriteuse sud-ibérique vers la fin de la République

  • 15 Chic 2007, p. 16 ; Pérez Macías – Delgado 2007, p. 134 ; Rosman et al. 1997.

14L’intervention de l’État romain dans les territoires miniers de l’Ultérieure occidentale semble s’être développée à partir des dernières années du IIe siècle av. J.-C. À la fin du siècle suivant (Ier siècle av. J.-C.), la ceinture pyriteuse sud-ibérique s’ajoute à la région de Carthagène ainsi qu’à celle de la Sierra Morena centrale et orientale comme importante zone de production métallurgique. Les analyses de contamination en plomb réalisés dans les glaces du Groenland suggèrent que pendant le Ier siècle av. J.-C. la région piriteuse ibérique est la plus importante des aires péninsulaires productrices d’argent15.

  • 16 García Vargas 2019.
  • 17 Amores et al. 2014

15Dans une certaine mesure, le processus de « romanisation » de ces territoires occidentaux peut être mis en relation avec le développement de l’exploitation de leurs riches réserves minières à partir du dernier quart du IIe siècle av. J.-C.16. À cette période se constitue un véritable réseau de voies de communication terrestres et fluviales dont la fonction principale est de véhiculer le minerai métallique (en particulier celui riche en argent et en cuivre) vers le littoral de la province. Au sein de ces « itinéraires miniers » se trouvaient certaines « villes » métallurgiques dans lesquelles on constate la mise en place de travaux métallurgiques (secondaires ?) avec les minerais métalliques en transit17.

  • 18 García Vargas et al. 2008.

16Il existait quatre routes métallurgiques fondamentales entre les aires minières et la côte de la province, chacune d’entre elles correspondant à un axe fluvial navigable du nord au sud : l’axe du Guadiana (ancien Anas), le double axe des fleuves Odiel et Tinto, qui confluent à Huelva (l’ancienne Onuba), celui du Guadiamar (ancien Maenuba) et, finalement, le grand axe navigable du fleuve Guadalquivir (le Baetis romain). En rapport avec chacune de ces voies fluviales se trouvaient une ou plusieurs villes importantes : Myrtilis (Mertola, Portugal), sur le cours du Guadiana ; Onuba (Huelva, Espagne) à l’embouchure des fleuves Tinto et Odiel ; Ilipla (Niebla, Espagne), en amont du Tinto ; Ostur (Manzanilla, Huelva) et Itucci (Tejada la Nueva, Espagne) proches du Guadiamar ; Laelia (Cerro de la Cabeza, Olivares, Espagne) et Olontigi (Aznalcázar ?, Espagne) sur les bas et moyen bassins du même fleuve, et, finalement, Caura (Coria, Sevilla), Hispalis (Séville) et Ilipa Magna (Alcalá del Río, Séville) sur le Bas-Guadalquivir18.

  • 19 Chaves – García Vargas 1994.
  • 20 Chaves 1993.

17Presque toutes ces villes ont battu leur propre monnaie à partir du dernier quart du IIe siècle av. J.-C. Il s’agit de séries monétaires très proches entre elles tant par leur métrologie que par leur typologie, et qui présentent dans certains cas la particularité de porter une grande lettre « A » sur la face ou le revers. Cet élément commun amène à penser à un but similaire pour toutes ces émissions et même à envisager une certaine « coordination » des frappes monétaires dont la finalité économique principale a été mise en relation avec de petits paiements (il s’agit toujours de monnaies de bronze ou même de plomb) nécessaires au fonctionnement du réseau de transport des minerais métalliques le long des fleuves19. De fait, les monnaies portant la lettre « A » (fig. 3) ont été émises seules et toujours par les cités riveraines des grands axes fluviaux que nous venons d’indiquer : Myrtilis, Onuba, Ilipla, Ituci, Laelia, Caura et Ilipa20.

Fig. 3 – Cartes des villes républicaines du sud-ouest de la péninsule Ibérique qui ont frappé monnaies avec la lettre A dans le champ.

Fig. 3 – Cartes des villes républicaines du sud-ouest de la péninsule Ibérique qui ont frappé monnaies avec la lettre A dans le champ.

Chaves Tristán 1993.

  • 21 García Vargas et al. 2008.
  • 22 Amores et al., sous presse.
  • 23 Communication personnelle M. Hunt Ortiz qui a fait les analyses de quelques échantillons. Cf. Amor (...)

18La symbolique monétaire de certaines de ces villes est également singulière et a parfois à voir avec les éléments naturels en rapport avec le bois et le fruit des arbres. C’est spécialement le cas des anciennes frappes monétaires des villes du bassin du Guadiamar, qui, avec le Tinto, représente le fleuve minier de la région par excellence. Nous avons ainsi : la pomme de pin à Olontigi (Aznalcázar, Séville), le gland à Ostur, et le palmier à Laelia21. La présence de scories d’argent et de cuivre sur les sites des oppida d’Ostur et de Laelia22 suggère que la transformation du minerai métallique était faite, au moins partiellement, dans ces villes qui, à l’instar d’Ostur et de Laelia, présentent des types monétaires en rapport avec les ressources en bois. Dans le cas de Laelia, au moins, il s’agit de scories « primaires »23, c’est-à-dire qu’elles proviennent directement de la transformation du minerai. Et elles sont très nombreuses (fig. 4).

Fig. 4 – Le site de « Cerro de las Cabezas » (Olivares, prov. Sevilla), ancienne Laelia, avec carte de dispersion des scories métalliques romaines.

Fig. 4 – Le site de « Cerro de las Cabezas » (Olivares, prov. Sevilla), ancienne Laelia, avec carte de dispersion des scories métalliques romaines.

Photo P. Garrido.

  • 24 Garrido 2011.

19L’importance des trafics nord-sud, qui sont ceux des minerais, se voit soulignée par le parcours des chemins terrestres qui suivent les axes fondamentaux imposés par les fleuves (fig. 5). L’analyse des routes optimales, réalisée par P. Garrido24 avec l’aide de technologies numériques de type SIG, montre, en effet, la prépondérance pendant la République et le Haut-Empire romain des connexions méridiennes entre les noyaux principaux du territoire.

Fig. 5 – Principaux axes de trafic des minérais vers la côte au long des fleuves majeurs et principales villes dans chaque axe.

Fig. 5 – Principaux axes de trafic des minérais vers la côte au long des fleuves majeurs et principales villes dans chaque axe.

Enrique García Vargas.

20La fin de l’exploitation des mines métalliques vers le milieu du IIe siècle apr. J.-C. mena, de ce fait, à une transformation totale des axes routiers terrestres vers une direction prépondérante est-ouest qui favorisa la voie Hispalis - Onuba (Rav. 317 : depuis Séville jusqu’à Huelva). Cette voie reliait les principales villes « agricoles » du territoire : Italica, Itucci, Ilipla et Onoba, les trois dernières ayant émis à l’époque républicaine des monnaies avec la représentation d’épis de blé sur leurs revers.
Le rôle particulier d’Italica dans ce réseau territorial mérite d’être mis en avant.

21Fondée vers 206-205 av. J.-C. lors de la bataille d’Ilipa qui a représenté la défaite définitive de l’armée punique en Ibérie et a consacré la domination des légions romaines, la ville d’Italica a été le premier établissement de vétérans italiques dans la péninsule Ibérique, d’où son nom. Italica n’a pas reçu, pourtant, de statut privilégié jusqu’au milieu du Ier siècle av. J.-C., moment où elle devint municipium, statut qui sera modifié au IIe siècle apr. J.-C. par Hadrien (qui y était né) ; elle acquit alors celui de colonie romaine.

  • 25 Garrido 2011 ; Garrido et al. 2012.

22Durant les soixante-quinze années qui ont suivi sa fondation, la ville d’Italica a joué un rôle éminemment défensif face aux incursions lusitaniennes en direction de la vallée du Guadalquivir, mais dès la fin des guerres de « pacification » de la Lusitanie et avec une totale certitude depuis la fin du troisième quart du IIe siècle av. J.-C., elle a fonctionné comme un véritable noyau « civil » d’organisation territoriale. Les prospections archéologiques indiquent pour cette époque des transformations importantes dans l’axe nord du Guadiamar, en particulier dans le « couloir Gerena-Gillena », zone clé pour le contrôle des mines d’Aznalcollar. Ces transformations peuvent être interprétées comme une véritable « prise de position » d’Italica face à l’ancienne Ilipa (Alcalá del Río) en ce qui concerne le contrôle des accès aux territoires miniers du nord de l’actuelle province de Séville25.

23Il est très probable que la construction des fortins de Castillejo, Castillejo el Campillo et Mesa San Benito remonte à cette époque, qu’ils faisaient partie du réseau défensif et de contrôle territorial dépendant d’Italica, alors que les établissements métallurgiques de Molinillos et de Torre de la Dehesilla, sur le moyen Guadiamar, ne sont fondés que vers le début du Ier siècle av. J.-C.

24La structure territoriale aurait donc été établie dans cette zone du Guadiamar autour d’Italica, ville qui aurait contrôlé l’administration minière ainsi que l’organisation et la défense du territoire, à travers un certain nombre de points fortifiés, bien que les minerais en transit fussent traités dans des villes comme Laelia et Ostur, où il existe des témoignages archéologiques de transformation métallurgique, ainsi que dans d’autres centres mineurs comme Molinillos et Torre de la Dehesilla.

  • 26 Pérez Macías – Delgado 2007 ; García Vargas 2019.
  • 27 Bustamante 2010 ; Pérez Macías – Delgado 2011.

25Dans les zones minières de la région de Riotinto, à Huelva (fig. 6), les vici miniers républicains, dont le plus important fut celui de Cortalago (avec des origines remontant au VIe siècle av. J.-C.), étaient reliés à des oppida « administratifs » comme celui d’Ilipla (Niebla, Huelva) par des voies défendues avec tours et castella26. Certains d’entre eux (Cerro Castillejo, El Campillo ou Valpajoso) ont été explorés et ont été datés des IIe ou Ier siècle av. J.-C. grâce aux fragments de céramiques à vernis noir et d’amphores Dressel 127. Depuis Niebla, la connexion avec le Guadalquivir, en direction du sud-est, ou avec le Tinto, en direction du sud-ouest, était permise par une route qui sera partiellement reprise à l’époque romaine par la voie 23 de l’Itinerarium Antoninum.

Fig. 6 – Zone Minière de Riotinto avec l’indication des vici de « Cortalago » (Urium ?) et « Cerro del Moro ».

Fig. 6 – Zone Minière de Riotinto avec l’indication des vici de « Cortalago » (Urium ?) et « Cerro del Moro ».

Pérez Macías 1990.

  • 28 Pérez Macías – Delgado 2011.

26Dans l’embouchure du fleuve Tinto, la ville d’Onuba paraît avoir accru son importance vers la fin du Ier siècle av. J.-C., en parallèle avec l’augmentation notable des lieux exploités dans les secteurs miniers du Riotinto et de Nerva. Les récentes fouilles archéologiques conduites au « Cerro del Moro », près de Nerva, ont révélé un complexe de bâtiments de l’époque d’Auguste, que les chercheurs ont interprété comme des structures appartenant à des installations militaires du type praetorium ou castrum28.

27L’administration des gisements miniers argentifères du Riotinto s’exerçait sur des noyaux d’habitat, parfois de grande extension, qui n’avaient pas le statut de « villes », sinon de vici miniers, comme ceux de Cortalago (Urium ?, qui existait déjà à l’époque républicaine), Marismillas ou Bellavista. Ce sera la grande époque des mines de Riotinto, ainsi que de toutes les réserves sud-occidentales de la Péninsule, comme nous le verrons par la suite.

La « ceinture pyriteuse sud-ibérique » du règne d’Auguste à l’époque flavienne : territoire minier, routes minières et agglomérations

  • 29 Garrido 2011, reformulées avec les nouvelles données du projet Los Paisajes del Guadiamar. Reconst (...)
  • 30 Cette seconde région est incluse dans l’antérieure et a été analysée avec une méthodologie plus mi (...)

28Les calculs réalisés par Pablo Garrido29 dans sa thèse de doctorat suggèrent que l’augmentation du nombre de sites occupés pendant les deux premiers siècles de l’Empire romain dans la vallée du Guadiamar par rapport à la période républicaine fut de 328,57 %, (fig. 7-8) tandis que dans la région analysée par le projet « Los paisajes del Guadiamar30 » cette augmentation atteignit 316,66 %. En ce qui concerne les témoignages d’activité métallurgique dans les habitats d’époque impériale dans le bassin septentrional et central du fleuve, ils augmentent jusqu’à 180 % par rapport à l’époque républicaine. Il faut remarquer qu’une part importante de la croissance de population à cette période vient des agglomérations rurales, dont le nombre augmente de 70 % dans le bassin fluvial, atteignant le chiffre de 10 nouvelles fondations à partir des débuts du Ier siècle apr. J.-C.).

Fig. 7 – Tableau de la variation diachronique de sites archéologiques en pourcentage (non accumulé) dans la vallée du Guadiamar.

Fig. 7 – Tableau de la variation diachronique de sites archéologiques en pourcentage (non accumulé) dans la vallée du Guadiamar.

Amores et al., sous presse.

Fig. 8 – Graphique avec la variation diachronique de sites archéologiques en nombres absolues dans la vallée du Guadiamar.

Fig. 8 – Graphique avec la variation diachronique de sites archéologiques en nombres absolues dans la vallée du Guadiamar.

Amores et al., sous presse.

  • 31 Cf. Amores et al. 2014, avec de nouvelles données sur l’habitat dans la région.

29Dans le bassin du Guadiamar, les vici s’accompagnent de nombreuses fermes, mais le nombre des villae y est très faible en comparaison avec les campagnes méridionales du même fleuve et spécialement avec celles du Guadalquivir. Sur le cours du fleuve Guadiamar, les témoignages d’activité métallurgique se concentrent dans le « triangle » Ostur-Gerena-Laelia, en dehors duquel les indices de travaux métallurgiques sont inappréciables, voire inexistants. À l’intérieur de ce triangle, la majorité des scories métalliques ont été retrouvées dans l’agglomération du « Cerro de la Cabeza » (ancienne Laelia), placée à la fin de la chaîne « opératoire » métallurgique31.

  • 32 Amores et al. 2014, p. 220.
  • 33 Domergue 2011, p. 37. Mais voir Hunt 2003 pour quelques évidences de l’emploi de plomb local pour (...)

30Les analyses des scories de Laelia32 ont démontré qu’il s’agissait de scories d’argent (cf. fig. 4), qui se retrouvent concentrées de façon intensive dans l’aire « portuaire » du site. Pour cette raison, on considère que le minerai argentifère devait recevoir un traitement métallurgique dans cette zone portuaire intermédiaire entre la mine et les ports du littoral, à partir de laquelle le fleuve commençait à être navigable. Avec cette opération qui convertissait le minerai en métal, on réussissait à diminuer considérablement le poids total ainsi que le volume de matière métallique à embarquer. Mais c’était surtout dans ces points d’embarquement situés sur les secteurs navigables des fleuves où l’on pouvait profiter d’un approvisionnement facile en plomb, qu’il était nécessaire d’ajouter à la gangue minérale originelle pour en extraire l’argent (suivant le processus connu de « coupellation »), car ce plomb devait être, évidemment, importé par le fleuve pour la simple raison qu’il n’en existait pas assez dans les gisements locaux33.

31Dans le cas de Laelia, les secteurs les plus proches qui délivraient le minerai (notamment, les mines d’Aznalcóllar), se trouvaient à peu près à 12 km de la ville en direction du nord-est. Cela pourrait expliquer la quasi-absence d’accumulations de scories au pied de ces mines-là. Ces accumulations de déblais au pied des mines sont plus fréquentes dans d’autres aires minières, comme celle de Riotinto, où le processus de transformation semble avoir été réalisé dans les vici miniers voisins, les métaux étant alors expédiés vers les aires d’emmagasinement sous la forme de lingots. Il peut donc y avoir eu plusieurs modèles selon les territoires miniers, mais les faibles données à notre disposition ne se prêtent guère à l’heure actuelle aux nuances nécessaires à une recherche détaillée.

32Enfin, le territoire minier était protégé à ses frontières par des tours défensives, véritables fortins, dont certains, comme celui du Cerro de San Benito, sont établis sur d’anciens sites républicains (cf. supra).

  • 34 Pérez Macías – Delgado 2007.

33Une impression similaire de croissance vertigineuse de l’activité (spécialement minière) et de concentration de la population dans des sites de type vicus se dégage des vestiges archéologiques du secteur de la région pyriteuse sud-ibérique où est située la grande aire minière du Riotinto (Andevalo, Huelva), aujourd’hui encore en exploitation. Dans le Riotinto on observe une multiplication des lieux d’habitat ; d’un seul vicus minier à l’époque républicaine, celui de Cortalago, dont les origines remontent à la protohistoire (cf. supra), on passe à quatre sites habités au début de l’époque impériale initiale, Cortalago, Cerro del Moro (les plus importants), Bellavista et Marismilla ; chacun d’entre eux est lié à un gisement minier alors en exploitation34.

  • 35 Pérez Macías – Delgado 2011.

34Dans la région minière du Riotinto, la puissance du vicus s’accompagne comme au Guadiamar de la restructuration du réseau « défensif » dans la réserve minière elle-même, et aussitôt, le long des lignes de communication qui relient les aires minières aux ports d’exportation du minéral. On constate ainsi à ce moment-là la disparition des fortins républicains qui défendaient la route orientale en direction d’Ilipla (Niebla) et leur substitution par d’autres sur la route d’Onoba (Huelva), vers le sud-ouest.35

  • 36 Pérez Macías 2002.

35Les deux grandes aires minières occidentales d’Aznalcollar et du Riotinto (fig. 9) se ressemblent entre elles non seulement par leur relativement grande extension, la totale absence en leur sein de noyau urbain de statut privilégié36, ou encore l’existence d’un réseau relativement étendu de fortifications aussi bien à leurs frontières qu’en leur sein assurant la surveillance et le contrôle des accès et des déplacements au sein du territoire minier, mais aussi pour la structuration interne de leur territoire et le caractère fonctionnel de leurs établissements les plus importants.

Fig. 9 – Zones minières de Riotinto et Aznalcollar et principaux axes et ports miniers de la région du bas Guadalquivir.

Fig. 9 – Zones minières de Riotinto et Aznalcollar et principaux axes et ports miniers de la région du bas Guadalquivir.

Enrique García Vargas.

  • 37 Pérez Macías 1990.
  • 38 Amores et al. 2010.
  • 39 Pérez Macias – Delgado 2011.
  • 40 Amores et al. 2010.

36À Riotinto comme à Aznalcollar, les grandes masses de minerai argentifère et cuprifère étaient entourées d’aires de mouture, de décharges de scories et de fonderies, autour desquelles habitaient les ouvriers, installés dans des vici comme « Corta del Lago (Urium ?) et « Cerro del Moro » (fig. 6). Quelques-uns de ces habitats, non urbains, jouaient dans chacun des deux districts un rôle administratif important. C’est le cas du « Cerro del Moro » au Riotinto37 ou de « Casa Quemada-Cerro Noreste » à Aznalcollar, sur le Guadiamar38. Le premier représente un véritable site administratif, dont le plan des bâtiments ainsi que les caractéristiques de leurs techniques architecturales ont suggéré à A. Pérez Macias et à A. Delgado39 un caractère militaire ou militarisé de l’administration minière. Le deuxième n’a jamais été fouillé, mais les prospections géo-électriques nous fournissent le plan de grands bâtiments que K. Strutt40 a interprété comme des installations de type administratif. Cette idée pourrait être confirmée par la courte vie des édifices, qui va de l’époque d’Auguste jusqu’à la deuxième moitié du IIe siècle (ce qui correspond à l’époque de l’essor minier de la région), ainsi que par la quantité d’éléments de construction de caractère luxueux, tels que le marbre ou l’albâtre, retrouvés en surface lors de prospections pédestres. Le complexe est idéalement placé, disposant d’un bon contrôle visuel, à la confluence de toutes les routes principales du bassin du Guadiamar.

  • 41 Amores et al. 2014, sous presse.

37Toujours dans la vallée du Guadiamar, les dernières prospections pédestres (2011-2013) ont confirmé un net écart entre les routes du minerai les plus anciennes de la région et les plus récentes41. La répartition spatiale des différents types de scories métalliques (celles dites de « silice libre », ou de réduction partielle du minerai d’origine, caractéristiques de la technologie de coupellation du Premier Âge du Fer, et celles « coulées », typiques de la métallurgie extractive de l’époque romaine), suggèrent l’existence de deux axes différents pour l’évacuation vers le littoral des minerais métalliques provenant des réserves minières septentrionales, qui furent l’un et l’autre actifs à des époques différentes (fig. 10).

Fig. 10 – Région du fleuve Guadiamar (zone minière d’Aznalcollar). Routes de transit des minerais métalliques : route du premier Âge du Fer (bleu) et route romaine (rouge) avec distribution spatiale des scories métalliques.

Fig. 10 – Région du fleuve Guadiamar (zone minière d’Aznalcollar). Routes de transit des minerais métalliques : route du premier Âge du Fer (bleu) et route romaine (rouge) avec distribution spatiale des scories métalliques.

Enrique García Vargas.

38Une première route, de direction approximativement nord-ouest/sud-est, correspondrait à l’écoulement du métal des mines de Ríotinto à travers le site protohistorique de « Tejada la Vieja » (Escacena del Campo, Huelva) et en direction du Guadiamar. La route, signalée par l’abondance de fragments de scories coulées, suit l’axe de l’« Ardanchon » ou « Arroyo de Tejada », un ruisseau qui débouche sur le Guadiamar dans un lieu appelé aujourd’hui « Molinillos », en raison de l’abondance de meules manuelles à usage métallurgique sur le site.

39La route romaine provient, en direction presque méridienne, des mines d’Aznacollar et se dirige vers le sud, jusqu’au « Cerro de la Cabeza » (Laelia) où elle converge avec la route fluviale du Guadiamar. Tout au long de la route terrestre comme à Laelia (supra) abondent les fragments de scories coulées, typiquement romaines.

  • 42 Garrido 2011, p. 641-642, avec des parallèles à Carthagène, cf. Berrocal Caparrós 2008.

40Il n’y a donc aucun doute sur le fait que cette route nord/sud s’est constituée a posteriori par rapport à la première route dite de « l’Ardanchón ». Elle est vraisemblablement le résultat d’une intervention romaine d’aménagement territorial qui aurait inclus la désignation des lieux de contrôle et d’administration (peut être Casa Quemada-Cerro Noreste) et les entrepôts pour les minerais ou les lingots métalliques, comme ceux de Laelia. En effet, on a récemment réinterprété certaines structures en opus signinum du « Cerro de la Cabeza », traditionnellement considérées comme les vestiges d’un ancien port fluvial, comme ceux de magasins, car ils montrent de très évidentes similitudes avec les entrepôts « fortifiés » connus dans d’autres sites miniers42.

  • 43 Amores et al. 2014, sous presse
  • 44 Amores et al., sous presse.

41La prospection micro-spatiale du « Cerro de la Cabeza » a permis, en effet, de proposer pour cet oppidum un caractère « portuaire » et « artisanal-métallurgique » qui paraît convenir à sa proximité avec la côte (bien que, aujourd’hui, le colluvionnement des marais du fleuve l’aient éloigné de la mer) et a montré aussi les différentes aires fonctionnelles du site avec un important quartier artisanal et métallurgique lié au fleuve. À partir de l’époque flavienne il existe des signes d’une forte croissance vers la plaine fluviale des aires résidentielles et monumentales de Laelia43. Ce phénomène pourrait être en partie interprété comme la conséquence d’une possible « municipalisation » du vieil oppidum dans le cadre d’un processus de « territorialisation » de l’ancien saltus minier, parallèlement à l’épuisement progressif des gisements d’argent44.

  • 45 En effect, l’inscription IMP ANTONI / PRIMVLI (et) SILONIS / CCXCVII / PRO COL ONO / BENSIS , a ét (...)

42Un rôle portuaire similaire à celui de Laelia en rapport avec les mines d’Aznalcollar paraît avoir été joué par la ville d’Ilipla (Niebla, Huelva) sur le fleuve Tinto où devait s’achever le processus de transformation (commencé dans la même aire minière) des minerais de Riotinto en lingots d’argent. Ceux-ci auraient atteint finalement Onuba pour être embarqués à destination de la Méditerranée, et notamment de Rome. Onuba semble avoir aussi joué depuis les temps protohistoriques un rôle important dans le trafic des métaux en provenance, par voie fluviale (le Tinto), de la région de Riotinto. D’une inscription sur un lingot en cuivre de l’épave Planier 2, certains auteurs ont voulu déduire la présence de personnel administratif en rapport avec ce trafic des métaux dans la ville durant le Haut-Empire, mais c’est probablement à notre avis une interprétation abusive45.

43On peut proposer le même rôle portuaire pour la Colonia Romula Hispalis (Séville) vis-à-vis des mines de la Sierra Morena Occidentale. Le rôle de cette dernière ville prit sans aucun doute de l’ampleur au détriment de celui des autres sites portuaires existant le long du cours inférieur du Guadalquivir, spécialement Italica et Ilipa, plus importants à l’époque républicaine tardive qu’à l’époque impériale.

  • 46 Tabales Rodríguez, 2015.
  • 47 Gamarra Salas – Camiña Otero 2006.

44La construction vers 50-25 av. J.-C. des grands horrea en opus africanum dans l’actuel Patio de Banderas46 est un exemple des grands travaux d’aménagement portuaire réalisés dans la ville (fig. 11), à une époque où l’activité commerciale d’Hispalis dût avoir augmenté de façon considérable, après la fondation de la colonie. Dans les décennies suivantes, l’aire portuaire va continuer à s’étendre vers le sud, avec l’urbanisation des axes routiers et la construction entre les époques julio-claudienne et flavienne de nouveaux bâtiments au service de l’activité portuaire47.

Fig. 11 – Séville (Hispalis). Un des horrea romains du Patio de Banderas.

Fig. 11 – Séville (Hispalis). Un des horrea romains du Patio de Banderas.

Tabales Rodríguez 2015.

  • 48 Davies 1935. Voir l’argumentation de Chic García 2005, sur cette question basée sur des études sci (...)
  • 49 Cf. Chic García 1988.

45La croissance des activités portuaires liées à l’exportation de l’huile d’olive de Bétique et son contrôle par le fisc impérial dès la fin du Ier siècle apr. J.-C. va coïncider avec la « crise » de l’activité des mines d’argent du Sud-Ouest48. Avec cette « crise », les revenus provenant de l’exploitation des métaux précieux de Bétique diminueront considérablement. Malgré l’exploitation du cuivre, la concession du droit latin aux Hispaniques, la croissance liée au processus de monumentalisation des nouveaux municipes et la promotion des élites liées à l’exportation de l’huile du Guadalquivir49 ont retardé encore les effets des difficultés économiques dans la région du Guadalquivir jusqu’à début du IIIe siècle apr. J.-C.

Conclusions

46Les prospections des dernières années dans la vallée du Guadiamar et le reste des données archéologiques sur cette région-là et sur celle de Riotinto nous permettent de proposer :
– Un impact important des activités minières sur les paysages antiques de ces régions depuis le dernier siècle de la République jusqu’à la fin de la dynastie julio-claudienne.
– La création à cette époque d’un aménagement territorial spécifique des aires minières du Sud-Ouest lié au transport du minerai à travers des routes fluviales et terrestres de direction N-S et au raffinage des métaux, notamment l’argent, dans les agglomérations les plus importantes situées le long de ces routes.
– Le fait que ces paysages et ces « réseaux de peuplement » semblent caractéristiques d’une époque où l’activité minière et métallurgique fut le moteur principal de l’économie régionale, car on peut les distinguer clairement, tels qu’ils émergent des travaux de prospection pédestre et géophysique, de la situation du territoire pendant l’Âge du Fer et durant l’Antiquité Tardive.

  • 50 Amores et al. sous presse.

47Les fouilles et les analyses palynologiques et faunistiques sur des sites tardo-antiques et médiévaux de la vallée du Guadiamar, menées par la même équipe d’archéologues qui a fait les prospections50, semblent confirmer ces résultats et mettent en évidence une transformation radicale des paysages, des voies de communication et des aménagements productifs après le IIe siècle apr. J.-C. Cela confirme les conclusions des prospections qui mettent en évidence le déclin de l’économie minière et métallurgique dans la région du Guadiamar.

48Telles sont les conclusions d’une enquête qui n’en est qu’à ses débuts et qui tiennent compte des limites inhérentes au type de recherches jusque-là effectuées, basées sur les prospections pédestres. Pour systématiques qu’elles aient été, elles ne sauraient répondre à toutes les questions et invitent, par là-même, à poursuivre la recherche de terrain, par des fouilles et par la multiplication des analyses (archéobotaniques, faunistiques, géochimiques). Elles n’en ont pas moins permis de faire un certain nombre d’observations précises et inédites qui jettent un regard nouveau sur l’organisation, à l’échelle locale et régionale, du marché des métaux dans l’Antiquité romaine.

49Un problème de fond reste, néanmoins, à résoudre, qui concerne les routes de minerai argentifère : pour l’heure, on ne connaît aucune épave ayant transporté des lingots d’argent, ce qui ouvre la possibilité d’un transport par cabotage (convois escortés par des navires de guerre avec rapide récupération des lingots en cas de naufrage), ou bien celle d’un transport terrestre par des routes intérieures. Il existe une troisième possibilité : transport par mer du plomb résultant du processus de coupellation et par terre de l’argent obtenu lors de ce même processus. Seulement dans les premier et dernier cas on pourrait parler de routes de minerai reliant les mines aux ports maritimes. Ces modèles paraissent acceptables à partir des données des prospections archéologiques réalisées, mais, comme cela a été dit précédemment, ils doivent être encore confirmés par de nouvelles recherches plus complètes et approfondies.

Notes

1 Davies 1935 ; Healy 1978 ; Woods 1985 ; Domergue 1990. Cf. récemment : Cauuet 2011 ; Cauuet – Rico 2005 ; Domergue 2008 ; Zarzalejos et al. 2013.

2 Pour l’Espagne on peut voir : García-Bellido 1986 ; Chaves 1987-1988, 2000, Domergue 1991 ; Chaves – Otero 2002 ; Chic 2007 ; Hoz 2011 ; Bustamante 2011.

3 Mateo 2001 ; Chic 2007, 2007-2008, 2011.

4 Ibidem.

5 Domergue 1991 ; García Vargas 2007.

6 Amores et al. 2014.

7 Dušanić 1989 ; Domergue ; 1990 2008 ; Mateo 2005 ; Domergue – Rico 2014 ; Rico – Domergue 2016 ; Cauuet 2011.

8 Amores et al. 2014 ; id. sous presse.

9 Chic 2008, p. 340.

10 Chaves 1996.

11 Domergue 2011.

12 Hunt 1988, p. 173.

13 Domergue 2011, p. 30.

14 Domergue 2011, p. 30.

15 Chic 2007, p. 16 ; Pérez Macías – Delgado 2007, p. 134 ; Rosman et al. 1997.

16 García Vargas 2019.

17 Amores et al. 2014

18 García Vargas et al. 2008.

19 Chaves – García Vargas 1994.

20 Chaves 1993.

21 García Vargas et al. 2008.

22 Amores et al., sous presse.

23 Communication personnelle M. Hunt Ortiz qui a fait les analyses de quelques échantillons. Cf. Amores et al., sous presse.

24 Garrido 2011.

25 Garrido 2011 ; Garrido et al. 2012.

26 Pérez Macías – Delgado 2007 ; García Vargas 2019.

27 Bustamante 2010 ; Pérez Macías – Delgado 2011.

28 Pérez Macías – Delgado 2011.

29 Garrido 2011, reformulées avec les nouvelles données du projet Los Paisajes del Guadiamar. Reconstruccion histórica y valorización arqueológica, d’où proviennent les donneés de la fig. 7. Cf. Amores et al. 2014 et sous presse.

30 Cette seconde région est incluse dans l’antérieure et a été analysée avec une méthodologie plus minutieuse qui a inclus des prospections off-site (Amores et al. sous presse).

31 Cf. Amores et al. 2014, avec de nouvelles données sur l’habitat dans la région.

32 Amores et al. 2014, p. 220.

33 Domergue 2011, p. 37. Mais voir Hunt 2003 pour quelques évidences de l’emploi de plomb local pour ces opérations.

34 Pérez Macías – Delgado 2007.

35 Pérez Macías – Delgado 2011.

36 Pérez Macías 2002.

37 Pérez Macías 1990.

38 Amores et al. 2010.

39 Pérez Macias – Delgado 2011.

40 Amores et al. 2010.

41 Amores et al. 2014, sous presse.

42 Garrido 2011, p. 641-642, avec des parallèles à Carthagène, cf. Berrocal Caparrós 2008.

43 Amores et al. 2014, sous presse

44 Amores et al., sous presse.

45 En effect, l’inscription IMP ANTONI / PRIMVLI (et) SILONIS / CCXCVII / PRO COL ONO / BENSIS , a été interprétée dans ses dernières lignes comme la preuve du caractère colonial d’Onuba et de la présence de magistrats en rapport avec le « commerce » du cuivre de Riotinto (Campos Carrasco et al. 2011). La charge de Pro(curator) Col(oniae) n’a à notre avis aucun sens, car une telle charge n’existe pas pour les colonies. À l’hypothèse d’un administrateur chargé de certifier la tare des lingots provenant des mines avant d’être embarqués dans le port (Muñiz 1980, p. 241-244), nous préférons celle d’une personne chargée des coloni, peut-être appelés Onobenses, avec le même sens des coloni Sic(uli ?…) et Asi(atici ?…) des amphores Dressel 20 confiées au (procurator du) Kalendarium Vegetianum (cf. Berni Millet 2008, p. 153-154 et Sáez – Chic 1983, p. 205-206).

46 Tabales Rodríguez, 2015.

47 Gamarra Salas – Camiña Otero 2006.

48 Davies 1935. Voir l’argumentation de Chic García 2005, sur cette question basée sur des études scientifiques (Hong et al. 1994) qui montrent une considérable réduction des taux de plomb de coupellation dans les glaces arctiques, spécialement du plomb provenant des mines hispaniques (Rosman et al. 1997), à partir de la fin du IIe siècle apr. J.-C., phénomène confirmé par des recherches plus récentes : McConnell et al. (2018).

49 Cf. Chic García 1988.

50 Amores et al. sous presse.

Table des illustrations

Titre Fig. 1 – Aires minières principales de la Péninsule Ibérique avec l’indication des zones de Riotinto et Aznalcóllar, dans l’extrême-ouest de la « région pyriteuse sud-ibérique ».
Crédits Orejas – Sánchez Palencia 2014.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/7852/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 380k
Titre Fig. 2 – Coupe verticale schématique du gisement.
Légende 1. Roches volcaniques acides (granitoïdes, rhyolite). 2. Roches volcaniques basiques (diabases, roches vertes). 3. Stockwerk. 4. Sulfures massifs. 5. Surface piézométrique. 6. Sulfures secondaires (à hauteur teneur en cuivre, argent et or) à la base du chapeau de fer : zone de cémentation (épaisseur : 30 m). 7. Chapeau de fer (gossan) formé par l’altération de la partie supérieure des sulfures massifs. 8. Zone inférieure du chapeau de fer, riche en argent et or, pauvre en cuivre (épaisseur : 3 m). 9. Schiste. 10. Scories antiques. 11. Stériles modernes. Les deux horizons minéralisés qu’ont recherchés les anciens mineurs, particulièrement à l’époque romaine, sont ceux qui sont numérotés 6 et 8.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/7852/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 130k
Titre Fig. 3 – Cartes des villes républicaines du sud-ouest de la péninsule Ibérique qui ont frappé monnaies avec la lettre A dans le champ.
Crédits Chaves Tristán 1993.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/7852/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 227k
Titre Fig. 4 – Le site de « Cerro de las Cabezas » (Olivares, prov. Sevilla), ancienne Laelia, avec carte de dispersion des scories métalliques romaines.
Crédits Photo P. Garrido.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/7852/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 790k
Titre Fig. 5 – Principaux axes de trafic des minérais vers la côte au long des fleuves majeurs et principales villes dans chaque axe.
Crédits Enrique García Vargas.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/7852/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 757k
Titre Fig. 6 – Zone Minière de Riotinto avec l’indication des vici de « Cortalago » (Urium ?) et « Cerro del Moro ».
Crédits Pérez Macías 1990.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/7852/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 570k
Titre Fig. 7 – Tableau de la variation diachronique de sites archéologiques en pourcentage (non accumulé) dans la vallée du Guadiamar.
Crédits Amores et al., sous presse.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/7852/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 273k
Titre Fig. 8 – Graphique avec la variation diachronique de sites archéologiques en nombres absolues dans la vallée du Guadiamar.
Crédits Amores et al., sous presse.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/7852/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 421k
Titre Fig. 9 – Zones minières de Riotinto et Aznalcollar et principaux axes et ports miniers de la région du bas Guadalquivir.
Crédits Enrique García Vargas.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/7852/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 496k
Titre Fig. 10 – Région du fleuve Guadiamar (zone minière d’Aznalcollar). Routes de transit des minerais métalliques : route du premier Âge du Fer (bleu) et route romaine (rouge) avec distribution spatiale des scories métalliques.
Crédits Enrique García Vargas.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/7852/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 211k
Titre Fig. 11 – Séville (Hispalis). Un des horrea romains du Patio de Banderas.
Crédits Tabales Rodríguez 2015.
URL http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/7852/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 240k

Auteur

Universidad de Sevilla

© Publications de l’École française de Rome, 2021

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