Chapitre 1
Le Sacré Collège au Quattrocento
Entre rupture et continuité
p. 51-151
Texte intégral
Ce genre de dignité ne s’offre pas toujours à qui la mérite, mais un indigne souvent la ravit. Toutefois, certains la méritent puis l’obtiennent ; certains s’en rendent dignes quand ils la possèdent ; quelques-uns, qui l’ont ravie sans l’avoir méritée, la gardent jusqu’au tombeau.
Pie II, au sujet de la dignité cardinalice, dans ses Commentarii1.
1En 1989, Marco Pellegrini regrette qu’« il n’existe pas pour tout le Quattrocento une étude complète qui serait souhaitable sur la structure et la composition du collège cardinalice2 ». De nombreux ouvrages portent sur ces questions, mais ces travaux traitent ou bien du Sacré Collège de manière très générale, sur une période beaucoup plus longue, ou bien de points spécifiques sur des durées beaucoup plus restreintes3. Ce chapitre contribue, à sa mesure, à cet effort. L’objectif est double : il s’agit à la fois de faire le bilan historiographique des dernières décennies sur ce sujet et d’apporter une nouvelle pierre à l’édifice, notamment par le biais des méthodes prosopographiques et quantitatives.
2Étrangement, aucune étude prosopographique du Sacré Collège au Quattrocento n’a jamais été menée jusqu’à maintenant, ou de manière très partielle, alors qu’une somme d’informations tout à fait considérable est à la disposition du chercheur depuis de nombreuses années. Les outils de travail concernant les cardinaux sont variés et nombreux. Certains sont anciens, et la panoplie mise à la disposition des historiens ne cesse de s’enrichir. Au début du XXe siècle, la Hierarchia catholica medii aevi de Konrad Eubel et de ses suiveurs propose déjà la liste des créations cardinalices, en précisant l’ordre religieux auquel chaque cardinal appartient, ses éventuels titres épiscopaux, le titre cardinalice auquel il est nommé et la date de sa mort4. Elle classe dans un second temps ces mêmes cardinaux selon leur titre. Cette œuvre se trouve à la croisée de deux traditions historiographiques très fortes : celle des ordres religieux, puisqu’il s’agit d’un véritable travail de bénédictin réalisé par un franciscain, et celle de l’école méthodique allemande de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.
3Outre ces listes établies très tôt, il existe une grande tradition de dictionnaires biographiques de cardinaux ; trois d’entre eux doivent particulièrement retenir l’attention : un en anglais, un en allemand et un en italien.
4Il faut d’abord relever le travail monumental et systématique du chercheur américain Salvador Miranda, accessible en ligne sur le site de la Florida International University5. Après avoir consacré sa thèse de doctorat aux cardinaux du XXe siècle, l’auteur a créé une base de données qui compile des notices biographiques pour tous les cardinaux de 494 à nos jours. Les sénateurs de l’Église y sont classés par date de création. Chaque fiche comporte les catégories « Birth » (qui comprend des renseignements sur la famille), « Education », « Early life », « Sacred orders », « Episcopate », « Cardinalate », « Death » et « Bibliography »6. Les événements sont établis de manière factuelle sans aucune analyse historique.
5L’entreprise allemande dirigée depuis 2015 par Hans Joachim Kracht dans le diocèse de Cologne – le Lexicon der Kardinäle, 1058-2010 – s’impose également comme un ouvrage de référence7. Là encore, les carrières des cardinaux sont retracées chronologiquement et de la manière la plus neutre possible. Les bibliographies de chaque notice sont également précieuses et se concentrent davantage sur l’historiographie allemande.
6Le Dizionario biografico degli Italiani, dont l’entreprise qui a débuté en 1960 s’est achevée en 2020, est loin de concerner seulement les cardinaux, mais il propose des fiches biographiques de 176 des 309 porporati que compte le corpus. Ces notices sont logiquement dédiées à la quasi-totalité des cardinaux italiens, mais également à 28 qui ne sont pas nés dans la péninsule. Quoique d’une envergure plus restreinte, il existe d’autres outils biographiques nationaux qui sont utiles pour l’étude des membres du Sénat cardinalice. Par exemple, le Diccionario biográfico electrónico de la Real Academia de la Historia peut être consulté avec profit pour les cardinaux hispaniques8.
7Outre ces renseignements biographiques, l’historien du Sacré Collège dispose désormais d’un nombre considérable d’informations sur la parenté des cardinaux et, en particulier, sur leur généalogie. Le travail titanesque des historiens allemands Christoph Weber et Michael Becker, Genealogien zur Papstgeschichte, publié en six volumes entre 1999 et 2002 dans la prestigieuse collection Päpste und Papsttum, fait référence en la matière9. Ce sont des centaines de pages d’arbres généalogiques qui, contrairement à ce que pourrait laisser envisager le titre, ne concernent pas uniquement les lignages des souverains pontifes, mais la plupart des familles, surtout italiennes, qui ont joué un rôle dans l’histoire de la papauté à Rome. Ainsi, 127 cardinaux du Quattrocento sont présents dans cette somme. Les sénateurs appartenant à une dynastie cardinalice y sont, sans surprise, surreprésentés10.
8D’autres entreprises qui traitent de thèmes plus spécifiques sont également susceptibles de fournir des informations très utiles sur les cardinaux du Quattrocento. La base de données allemande Requiem s’intéresse ainsi aux sépultures des détenteurs de la pourpre entre le Grand Schisme et le XVIIIe siècle11. Plusieurs ouvrages ont été dédiés à l’héraldique des cardinaux, en particulier l’Armorial des papes et des cardinaux de Michel Popoff, qui présente de manière quasiment exhaustive les blasons de tous les pontifes et membres du Sacré Collège entre les XIVe et XVIe siècles12. Cet ouvrage constitue une mine d’informations et dispose d’annexes très riches. Dans le même ordre d’idée, certains travaux sont consacrés aux résidences cardinalices. Par exemple, Giulia Aurigemma a tenté de dresser un répertoire de toutes les résidences des cardinaux pour le XVe siècle13.
9Enfin, il existe des recherches qui couvrent un arc chronologique moins développé. Guido De Blasi a mené, par exemple, un recensement biographique de tous les parents des papes pour les décennies centrales du XVe siècle – sous les pontificats de Nicolas V, Calixte III, Pie II et Paul II – dans Il nepotismo pontificio nei decenni centrali del Quattrocento, sa thèse de doctorat, dirigée par Gian Maria Varanini14. De même, en annexe d’un article sur le journal de Jean Burchard, Annibale Ilari a dressé une liste de tous les bénéfices attribués aux familiers d’Alexandre VI15.
10L’historien des cardinaux du XVe siècle dispose donc d’une somme importante d’informations sur la vie des cardinaux, leur curriculum à l’intérieur de l’Église, leur parenté, leur entourage, leurs lieux d’habitation, leurs armes, leurs sépultures, etc. Pourtant, ces données n’ont presque jamais été mises en série dans une visée prosopographique et quantitative, à quelques rares exceptions. L’une d’elles consiste en une conférence donnée par Jennifer Mara DeSilva en 2010 et intitulée « Red hat strategies : elevating cardinals, 1471-154916 ». L’historienne y fait l’effort, inédit pour la période qu’elle envisage, de dresser un graphique de l’évolution du nombre de cardinaux au sein du Sacré Collège. Quelques années plus tard, Michel Popoff publie également, dans son Armorial des papes et des cardinaux, une annexe « Statistiques cardinalices » où il présente quelques données inédites sur l’âge d’accession au cardinalat et la durée de celui-ci entre le XIIIe et le XVIe siècle17.
11Cependant, les ouvrages mettant en œuvre une analyse quantitative se sont plutôt portés sur des aspects économiques. Anthony V. Antonovics s’est interrogé dès 1967 sur les revenus du Sacré Collège et de chacun des cardinaux qui le composaient18. Toutefois, l’ouvrage majeur pour ce qui touche aux aspects socio-économiques du cardinalat reste Italian cardinals, Reform, and the Church as property de Barbara McClung Hallman, publié en 198519. Cette chercheuse américaine a en particulier étudié la manière dont les titulaires de la pourpre accumulaient offices et pensions qu’ils tentaient de détourner de l’Église à des fins d’enrichissement personnel. Mais son analyse, centrée sur la période 1492-1563, ne se limite pas uniquement à ces questions économiques ; elle repose également sur une étude des familles des cardinaux et sur ce qu’elle appelle le « népotisme20 ».
12Il est étonnant que, sur ce modèle ou sur celui d’Agostino Paravicini Bagliani, qui a consacré une étude semblable aux cardinaux au Duecento, aucun ouvrage n’ait adopté la méthode prosopographique pour étudier le Sacré Collège du Quattrocento21. Elle est pourtant régulièrement présentée comme susceptible d’offrir une clef de compréhension des groupes sociaux, en particulier lorsque ses membres sont unis par des liens familiaux. C’est une démarche qui s’impose surtout dans les études portant sur des groupes de l’élite sociale, car l’historien dispose alors d’une quantité d’informations suffisante pour mener son enquête22. Les cardinaux regroupés au sein du Sacré Collège semblent donc former a priori un excellent terrain d’étude prosopographique.
13Il ne s’agissait en aucun cas de construire un énième répertoire ou un dictionnaire de notices biographiques, qui sont des « mines pour commencer ou enrichir une recherche », mais qui « renoncent en revanche aux ambitions plus larges de la prosopographie »23. Une base de données a été construite avant tout pour mener une analyse quantitative24. Elle a été constituée à partir de la bibliographie et des sources consultées et a regroupé des informations extrêmement diverses : la chronologie de la vie et de la carrière des cardinaux, leur origine géographique, leurs titres cardinalices, leurs bénéfices, leurs offices éventuels, leurs lieux de résidence, leurs sépultures, leurs liens de parenté, etc. L’étude ne devant pas être menée uniquement à l’échelle globale du Sacré Collège du Quattrocento, les résultats ont pu être affinés dans deux directions. Plusieurs échantillons ont d’abord été distingués dans le Sénat cardinalice pour les comparer25. Le groupe des cardinaux appartenant à des dynasties cardinalices a joué un rôle particulier dans l’analyse. Il a surtout été intéressant d’étudier les évolutions des phénomènes dans le champ chronologique (1417-1534). Ainsi, la prosopographie permet d’éviter de faire parler une institution juridique comme le Sacré Collège d’une seule voix, ce qui renforcerait artificiellement le biais d’une unanimité supposée. Au contraire, elle offre une vision polyphonique utile à l’histoire26.
14L’analyse quantitative a permis de confirmer, d’amender ou d’infirmer, selon les cas, des théories parfois formulées depuis longtemps par la recherche historique. Elle s’est appuyée sur une lecture des sources plus traditionnelle qui a toujours été considérée comme prioritaire. La composition et la structure du Sacré Collège au Quattrocento ont pu ainsi être précisées selon plusieurs critères : démographiques, géographiques, sociaux et économiques. Cela a naturellement conduit l’analyse vers une tentative de classement des cardinaux. La typologie a permis de mettre en lumière une catégorie particulière de porporati, à laquelle cet ouvrage est consacré : les cardinaux lignagers.
La composition du Sacré Collège et ses évolutions
15De nombreux auteurs ont depuis longtemps présenté le Quattrocento comme une période d’intenses mutations du Collège cardinalice. Le Sénat se serait italianisé et aristocratisé, tandis que le nombre de cardinaux qui le composaient aurait crû dans la seconde moitié du XVe siècle. Ce sont autant de phénomènes qu’il est nécessaire de préciser dans leur ampleur et dans leur évolution. Le pontificat de Sixte IV (1471-1484) est généralement perçu comme le point de bascule de ces changements, un paradigme qu’il faut nuancer27.
L’âge et le nombre des cardinaux
16La mortalité au sein du Sacré Collège est spectaculaire au Moyen Âge. À la lecture des journaux des maîtres des cérémonies, en particulier ceux de Jean Burchard ou de Paride Grassi, il apparaît comme évident qu’une des activités principales des membres de la Curie du XVe siècle était de participer aux cérémonies d’obsèques des cardinaux qui s’étendaient en général sur neuf jours28. Seules 19 années sur les 117 envisagées (1417-1534) ne voient pas la mort d’au moins un cardinal – il y en a seulement trois entre 1496 et 1524. La Curie traverse ainsi de véritables anni horribiles : sept cardinaux décèdent en 1503 et, huit ans plus tard, en 1511, le taux de mortalité des cardinaux dépasse les 20 %. La mort est omniprésente dans le Sacré Collège du Quattrocento, ce qui s’explique facilement : le Sacré Collège est une assemblée de vieillards. Entre 1417 et 1534, l’âge moyen d’accès au cardinalat est de 45 ans et demi et l’espérance de vie moyenne de 61 ans29.
17C’est une situation relativement similaire à ce qu’il est possible de constater dans d’autres gouvernements oligarchiques de la même époque. Dans la République florentine, la fonction de gonfalonier de justice est réservée aux hommes de plus de 45 ans depuis les statuts de 1415 ; par ailleurs, les membres du reggimento – c’est-à-dire les principaux magistrats de Florence (gonfalonier de justice, prieurs, gonfaloniers de compagnia, buonomini) – ont en moyenne entre 45 et 60 ans30. La république de Venise, souvent qualifiée de gérontocratie, semble elle aussi valoriser la vieillesse en politique. Les patriciens entrent certes au Grand Conseil dès l’âge de 25 ans, mais ils accèdent rarement au Conseil des Dix avant 50 ans ou au Sénat avant 60 ans. Néanmoins, à la suite de la guerre de la Ligue de Cambrai (1509-1517), la Sérénissime autorise, contre le paiement d’une taxe, le recrutement au Grand Conseil et au Sénat de jeunes qui n’auraient pas encore atteint l’âge légal, fixé entre 20 et 25 ans pour le Grand Conseil et 32 ans pour le Sénat. À la suite de cette décision, l’ensemble des magistratures vénitiennes paraît connaître un rajeunissement, qui serait donc lié à la vénalité des offices31.
18C’est peut-être la même vénalité des offices, apparue dans le Sacré Collège entre la fin du XVe et le début du XVIe siècle, qui expliquerait, au moins partiellement, le recrutement plus précoce qui s’y opère à cette période (graphique 1)32. Les qualités et l’expérience propres du candidat seraient désormais moins prises en compte que sa fortune. Les cardinaux sont recrutés entre 1420 et 1475 en moyenne entre 40 ans et demi et 46 ans et demi, alors qu’ils sont créés entre 1475 et 1530 entre 36 ans et demi et 40 ans et demi. Il est difficile de dire si ce mouvement s’inscrit dans la continuité du XIVe siècle. Les données sur l’âge dans les décennies qui précèdent le XVe siècle sont très parcellaires, car l’histoire retient inégalement les dates de naissance des cardinaux pour cette période plus reculée33. En revanche, le phénomène semble se stabiliser au XVIe siècle : les cardinaux qui composent le Sacré Collège au moment des conclaves de 1549-1550 et de 1572 ont été recrutés en moyenne à respectivement 36 et 38 ans, soit l’étiage le plus bas du Quattrocento.
Graphique 1. Évolution de l’âge moyen auquel les cardinaux sont créés (mesure quinquennale).

19Si l’âge de recrutement des cardinaux a tendance à diminuer au cours du XVe siècle, la logique voudrait donc que la durée pendant laquelle chaque cardinal occupe sa charge soit allongée et que le nombre de cardinaux augmente mécaniquement à recrutement constant. Il n’en est rien, car l’espérance de vie baisse également dans le Sénat cardinalice entre 1417 et 1524 (graphique 2). Cette baisse est en réalité plutôt en trompe-l’œil et correspondrait davantage à une hausse de l’espérance de vie au début du XVe siècle. L’espérance de vie supérieure à 70 ans constatée en 1420-1425 apparaît en effet supérieure aux données observées sur un arc chronologique plus large. Les informations très fragmentaires dont dispose le chercheur pour la période qui va de la fin du XIIIe siècle jusqu’au début du XVe siècle semblent plutôt indiquer une espérance de vie comprise entre 60 et 70 ans34. De même, les données plus complètes qui peuvent être analysées pour le XVIe siècle montrent que les cardinaux qui composaient le conclave en 1549 et en 1572 mouraient en moyenne, respectivement, à 62 et 63 ans. Dans tous les cas, il paraît très délicat de trouver des explications structurelles pour expliquer les évolutions démographiques d’un échantillon aussi petit et aussi peu représentatif de l’ensemble de la société. Cette baisse de l’espérance de vie qui caractérise le XVe siècle, ou plutôt la hausse de celle-ci qui semble marquer le début du XVe siècle, relève certainement du hasard, mais elle compense le recrutement plus précoce des cardinaux.
Graphique 2. Évolution de l’espérance de vie moyenne des cardinaux (mesure quinquennale).

20Il faut néanmoins souligner que ces deux phénomènes conjugués – la baisse de l’âge auquel sont créés les cardinaux et le fait qu’ils meurent plus jeunes à la fin de la période – ont pour conséquence directe un rajeunissement du Sacré Collège au Quattrocento. Mais ils n’ont aucun impact sur la durée moyenne des cardinalats puisqu’ils se neutralisent assez largement. Cette durée des cardinalats, en moyenne de 22 ans, connaît une légère baisse, assez peu significative, au XVe siècle (graphique 3)35.
Graphique 3. Évolution de la durée moyenne des cardinalats (mesure quinquennale).

21Ces données démographiques jouent un rôle déterminant dans l’évolution numérique du Sacré Collège. Pendant très longtemps, et souvent encore aujourd’hui, les historiens ont considéré un peu rapidement que le nombre de cardinaux avait bondi sous le pontificat de Sixte IV (1471-1484)36. Cette position semble confirmée par l’évolution du nombre de cardinaux créés sous chaque pontificat (graphique 4)37. Mais ce constat ne tient pas compte des cardinaux qui disparaissent durant une période donnée ou antérieurement à celle-ci.
Graphique 4. Nombre de créations cardinalices par pontificat.

22En tenant compte non seulement des promotions cardinalices, mais aussi des décès, il apparaît que le nombre des cardinaux a bien augmenté entre 1417 et 1534, mais selon une chronologie un peu différente de celle qui a été avancée jusqu’à maintenant. Le Sacré Collège du début du XVe siècle signe la réunification partielle de trois collèges antérieurs. Le nombre de cardinaux est donc plutôt plus élevé qu’à l’accoutumée. Aucun conclave ne peut réunir plus de 25 cardinaux à Avignon ou pendant le Grand Schisme. Il faut même remonter au conclave de 1216 pour trouver un Sacré Collège qui dépasse ce seuil avec 32 éléments38. En 1417, le Sénat cardinalice compte 33 éléments, et la moyenne du nombre de cardinaux entre 1417 et 1492, une période relativement stable, se situe à presque 27 éléments. Elle s’établit donc au-delà de la limite canonique fixée à 24 membres sur laquelle tous les textes du XVe siècle s’entendent pourtant39. Ce seuil a pu être justifié par plusieurs références bibliques. Mais c’est dans la seconde moitié du XVe siècle que se forge et se fixe la légende selon laquelle saint Pierre aurait voulu recréer à Rome une communauté d’apôtres composée de 24 membres, sur le modèle des 24 vieillards de l’Apocalypse40.
23Le point de départ fixé au concile de Constance se situe donc à un niveau élevé, et le nombre de cardinaux reste remarquablement stable pendant l’essentiel du XVe siècle. La prétendue rupture sous le pontificat de Sixte IV n’apparaît plus aussi clairement et doit être relativisée. Certes, le nombre de cardinaux atteint un premier pic en 1478 avec 36 membres, mais pendant l’essentiel de ce pontificat le nombre des cardinaux se situe en dessous de 33 éléments, soit une moyenne comparable à celle des pontificats de Martin V (1417-1431), d’Eugène IV (1431-1447), de Nicolas V (1447-1455) ou de Pie II (1458-1464) (graphique 5). Il y a bien une très légère hausse du nombre moyen de cardinaux sous Sixte IV, mais elle semble conjoncturelle plutôt que structurelle ; le nombre moyen de cardinaux sous le pontificat suivant, celui d’Innocent VIII (1484-1492), retombe en dessous de celui de Nicolas V ou de Pie II.
Graphique 5. Évolution du nombre de cardinaux (mesure annuelle).

24La véritable rupture apparaît plutôt sous Alexandre VI (1492-1503), qui détient le record de 43 cardinaux élevés au cours de son pontificat, malgré la création extraordinaire de 31 cardinaux par Léon X lors du consistoire du 1er juillet 1517. Cette promotion est une réponse à la conjuration du cardinal Petrucci ; elle explique le pic statistique constaté pour cette année-là, qui se résorbe rapidement après une hausse de la mortalité au sein du Sacré Collège dans les années qui suivent41. Néanmoins, la courbe se stabilise après ce pic de 40 à 50 cardinaux, et ce seuil établi sous les pontificats Médicis perdure pendant plusieurs décennies. Le nombre d’électeurs potentiels lors des cinq conclaves qui se réunissent de 1534 à 1559 s’établit entre 46 et 57 membres. Ce n’est que sous le pontificat de Pie IV (1559-1566) que le nombre de cardinaux franchit un nouveau palier, 70 cardinaux se réunissant à sa mort pour élire son successeur.
25En réalité, il faut nuancer cette hausse tardive. Elle correspond bien davantage à l’élévation cardinalice de créatures des souverains ultramontains qui ne résident pas à Rome et ne participent pas réellement au gouvernement de l’Église. Pour ces derniers, la pourpre constitue surtout un insigne honorifique, une marque de prestige qui les sert dans leur office national à la cour d’une puissance du siècle, plutôt qu’une charge au service de la chrétienté tout entière. À l’inverse, le nombre de cardinaux participant réellement à la vie de l’Église reste stable pendant tout le Quattrocento42. Il n’en demeure pas moins que ces deux types de cardinaux ont les mêmes droits, notamment celui d’élire le souverain pontife, et il faut malgré tout s’interroger sur les causes de la croissance du Sacré Collège.
26L’augmentation du nombre de cardinaux au XVe siècle s’explique en grande partie par l’augmentation du nombre de cardinaux créés ; les causes démographiques, en particulier la mortalité, ne jouent que de manière marginale sur son évolution. Il est également permis de lire la croissance du nombre de cardinaux à l’aune de l’évolution du rapport de force entre la papauté et le Sacré Collège. La question de savoir si le pape est tenu, sur le plan juridique, de consulter le Sacré Collège réuni en consistoire pour promouvoir des cardinaux est un sujet de débat récurrent au XVe siècle et produit des conflits incessants43. Le rôle du consistoire a souvent tendance à être minoré de manière un peu téléologique dans la littérature secondaire pour le Quattrocento, dans la mesure où il tend à devenir au Cinquecento une simple chambre d’enregistrement des décisions du pape et de ses conseillers les plus proches44. Il reste pourtant l’instance la plus importante du gouvernement ecclésial avant l’instauration des congrégations à l’époque moderne, la première d’entre elles, la Congrégation de l’Inquisition, n’étant créée que sous Paul III en 1542.
27Il est vrai qu’il n’y a pas de règle canonique explicite au sujet de la consultation du Sacré Collège pour les promotions à la pourpre à la fin du Moyen Âge45. La question juridique n’est réglée définitivement que le 3 décembre 1586, lorsque Sixte V fulmine la bulle Postquam verus : il revient désormais au seul pape de créer des cardinaux, sans aucune entrave46. Les concordats adoptés à la suite du concile de Constance (1414-1418), qui ont une portée temporaire, évoquent le consilium des cardinaux, tandis que le concile de Bâle emploie le terme de consensus47. Dans tous les cas, l’usage veut que les décisions les plus importantes prises pour le gouvernement de l’Église soient le fruit de la consultation du consistoire par le souverain pontife. En outre, les lettres consistoriales, un type particulier de document, portent systématiquement les mentions de fratrum nostrum consilio, ou encore de communi consensu collegii, et les signatures conjointes du pape et des cardinaux. Au Quattrocento, ces lettres concernent essentiellement la nomination des officiers curiaux, l’attribution des charges et les mesures concernant les États pontificaux48. Dans le même esprit, le cérémoniaire Jean Burchard utilise sans cesse dans son Diaire, à l’occasion de la nomination de cardinaux, la formule « après avoir pris l’avis et reçu le consentement des révérendissimes cardinaux présents49 ». Même s’il faut y voir un topos, il est clair que le pape ne peut pas nommer de manière discrétionnaire des cardinaux, sans aucune délibération en consistoire, ne serait-ce que de pure forme.
28Toutefois, tous les canonistes s’entendent sur le fond. Martino Garati da Lodi est par exemple très clair dans son Tractatus de cardinalibus, composé à la fin de 1448 : il rappelle dès le premier point du traité que seul le pape peut créer des cardinaux50. Même s’il prend soin de souligner par ailleurs que les cardinaux ont un rôle de conseil à jouer auprès du pape pour les mesures importantes du gouvernement de l’Église. Garati da Lodi reprend la figure paulinienne classique de l’Église, unum corpus dont le pape est la tête et les cardinaux les membres51. Tous les traités du XVe siècle partagent cette position jusqu’à Paolo Cortesi, qui fait lui aussi de la consultation des cardinaux pour les nouvelles promotions à la pourpre une pratique coutumière et non une obligation52.
29Conscients de la faiblesse juridique de leur position sur ce point, les cardinaux tentent d’imposer de nouvelles règles en la matière dans les capitulations électorales. Celles-ci demandent à plusieurs reprises que le souverain pontife reçoive l’assentiment du Collège, par un vote majoritaire, pour toute nouvelle création53. C’est notamment le cas du pacte électoral de 1458, à l’occasion de l’élection de Pie II sur le trône pontifical : le Saint-Père « ne créera ni n’admettra aucun cardinal, même en réponse aux prières de n’importe quel empereur, roi, duc ou prince, sans le conseil et le consentement de la majorité des seigneurs cardinaux54 ». Les cardinaux insistent donc sur la nécessité de recourir à cette règle, y compris dans le cas de pressions politiques. Le pape siennois attend deux ans avant de procéder à sa première promotion, qui intervient en 1460 ; sans qu’un vote formel soit organisé, il prend la peine de consulter amplement les cardinaux55. Un an plus tard, à l’occasion d’une nouvelle élévation, au mois de décembre 1461, il répond au cardinal Nicolas de Cues, qui l’accuse de ne pas honorer son serment de respecter les capitulations :
Tu dis que nous ne recherchons pas le consensus du Sacré Collège pour l’élection des cardinaux. Si cela était le cas, il ne serait pas nécessaire de parler avec toi. Nous avons cherché à convaincre tout le Collège de suivre notre désir. Si cela n’est pas possible, il suffirait que la majorité soit d’accord avec nous pour que notre serment soit respecté et nous sommes déjà certain de disposer d’un nombre suffisant. Nous avons préféré recueillir les votes de tous et surtout le tien, duquel nous faisons grand cas. Mais si nous ne pouvons te convaincre, nous pourrons t’ignorer et réussirons également, même sans toi, à créer de nouveaux cardinaux56.
30Pie II se défend donc de ne pas respecter les capitulations électorales, et clame sa recherche du consensus le plus large possible. Néanmoins, il laisse entrevoir dans la suite de son discours qu’il est plutôt réservé quant à l’utilité et la légalité de ces capitulations :
Nous pourrions dire quelque chose aussi à propos du serment : est-ce qu’il engage vraiment le souverain pontife lorsqu’il est contraire à l’utilité publique, ou est-ce qu’il n’en est pas alors libéré ? Mais laissons cela de côté pour le moment car rien de ce que nous entreprenons n’y est contraire57.
31Le pape entrouvre déjà une porte pour remettre en cause les capitulations sur le plan canonique. C’est dans cet esprit qu’il commande en 1461 un traité sur cette question à Domenico de’ Domenichi, le Consilium in materia creationis cardinalium, qui doit lui permettre de légitimer son refus de s’en tenir aux capitulations58. Domenico de’ Domenichi adopte une position qui avait été déjà défendue par d’autres canonistes avant lui, entre autres Martino Garati da Lodi :
Je réponds à cette question qu’« il peut » plutôt qu’« il doit », que le pape ne doit en aucun cas évidemment recueillir le consensus majoritaire pour créer [un cardinal], qu’aucun doute ne soit permis autour de cette question. Aucune nécessité n’a été exposée et aucun danger ou scandale pour l’Église n’a été présenté en la matière59.
32L’évêque de Torcello est très proche du pape siennois, et son avis est donc peut-être guidé par Pie II. Mais il publie quelques années plus tard, en 1471, un traité très similaire, le De creatione cardinalium, dans lequel il réaffirme cette position dès les premières lignes60.
33À la suite de Pie II, Paul II (1464-1471) franchit un pas décisif dans le rejet de cette pratique. Après son couronnement, il modifie les capitulations électorales jurées lors du conclave en arrachant aux cardinaux, un à un, leur accord61. C’est sous ce pontificat, dès l’automne 1464, que l’évêque de Feltre, Teodoro de’ Lelli, compose un traité intitulé Contra supercilium qui marque une attaque décisive contre les cardinaux62. Il y affirme notamment « que le pape peut, où et quand il aura estimé nécessaire de le faire, sans le conseil ou au moins l’accord des cardinaux, créer de nouveaux cardinaux63 ».
34Les capitulations successives tentent pourtant d’aller beaucoup plus loin que les précédentes dans la restriction du pouvoir pontifical. Au conclave de l’élection de Sixte IV, non seulement les règles de nomination des nouveaux cardinaux sont durcies, mais le texte décrète que les cardinaux promus en opposition avec le Sacré Collège ne doivent plus être reconnus comme cardinaux après la mort du pontife. Ils ne doivent plus avoir le droit d’élection pour le conclave suivant64. Ces mesures n’empêchent pas le pape Della Rovere de nommer 35 cardinaux au cours de son pontificat. Obtenir l’accord de la majorité des cardinaux est une idée qui à la vie longue, puisque le Cérémonial d’Agostino Patrizi Piccolomini, écrit entre 1486 et 1488, précise que le pape ne pourra créer de nouveaux cardinaux à moins d’obtenir une majorité des deux tiers au sein du Sacré Collège pour valider cette décision65. Les capitulations adoptées juste avant l’élection de Jules II prévoient même de créer un cardinalat à deux degrés : les 20 cardinaux les plus anciens auraient eu davantage de droits que les nouveaux66. Celles jurées par les cardinaux à la fin de son règne reprennent plusieurs de ces dispositions et ajoutent que les papes doivent désormais consulter pour toute nouvelle création tous les membres du Sacré Collège présents en Italie en deçà de Bologne. En outre, cette consultation doit être organisée par bulletins secrets67.
35Toutes ces mesures ne sont pas davantage respectées que les précédentes. Au contraire, les deux règnes d’Alexandre VI et de Jules II ont vu le Sacré Collège dépasser pour la première fois le seuil des 40 cardinaux, avec des pics à 47 membres en 1501 et 1507. Les cardinaux eux-mêmes semblent faire leur deuil de ces injonctions dont ils mesurent l’inanité. Lorsque Léon X nomme 31 cardinaux en une seule promotion en 1517, il annonce le 10 juillet que tous les anciens cardinaux consentent à l’abrogation de l’article de la capitulation électorale qui avait augmenté la limite du nombre de cardinaux dans le Sacré Collège à 27 membres68. À sa mort, la dignité des cardinaux surnuméraires n’est pas remise en cause, et tous ceux qui peuvent participer au conclave de 1522 s’y rendent. L’autorité pontificale s’est alors définitivement renforcée au détriment du Sacré Collège. Ce changement dans les équilibres de pouvoir explique au moins en partie la hausse substantielle du nombre de cardinaux observée sur la même période.
36Les capitulations ne sont donc jamais respectées. Néanmoins, les âpres négociations dont font l’objet les nouvelles nominations témoignent d’un réel rapport de force qui se maintient pendant toute la seconde moitié du XVe siècle entre les papes et les cardinaux. L’examen attentif de ces promotions permet de nuancer le non-respect des capitulations et la hausse du nombre de sénateurs. La création conduite par Calixte III le 17 décembre 1456 suscite par exemple une très forte résistance au sein du Collège. Neuf jours après, Enea Silvio Piccolomini, nommé à cette occasion, écrit dans une de ses lettres au cardinal Giovanni Castiglione, lui aussi récipiendaire de la barrette : « Jamais cardinaux ne sont entrés dans le Sacré Collège avec plus de difficulté que nous. Les gonds étaient tellement rouillés que la porte refusait de s’ouvrir. Pour en faire sauter les battants, le Pape dut employer le bélier et toute sortes de machines de guerre69. » Il y a là un jeu de mots évident de la part du cardinal humaniste, puisque « cardinal » vient du latin cardines, qui signifie les gonds ou les charnières. Le pape est contraint de renoncer, en cette occasion, à certains de ses candidats, notamment à l’évêque de Novare, Bartolomeo Visconti, malgré les demandes insistantes de Francesco Sforza70.
37Pie II, une fois élu pape, raconte à plusieurs reprises l’hostilité qu’il rencontre de la part du Sacré Collège lorsqu’il veut élever de nouveaux cardinaux et l’habileté politique dont il fait preuve pour les convaincre un à un en multipliant les arguments. Le cardinal Tebaldi se serait d’ailleurs écrié, après que Pie II a réussi à convaincre ses collègues : « Il y a plus de traîtres que de cardinaux parmi nous. Que notre dignité tombe en ruine, puisque c’est ce que nous voulons. Pour ma part, même si le Pape décide de nous adjoindre trois cents autres hommes, je ne m’y opposerai plus désormais71 ! »
38Selon la plupart des auteurs, Sixte IV aurait fait changer radicalement le rapport de force entre le souverain pontife et le Sacré Collège72. Mais il n’en demeure pas moins que le souverain de Savone éprouve lui aussi de réelles difficultés à nommer des cardinaux. De vives tensions apparaissent sur cette question, notamment entre 1473 et 1476. Ce n’est qu’au terme d’un long combat qu’il parvient à faire entrer dans le Sénat cardinalice cinq nouveaux membres au consistoire du 18 décembre 147673. Le successeur immédiat de Sixte IV, Innocent VIII, est lui aussi contraint de négocier plusieurs années avec les cardinaux pour parvenir à ses fins74.
39Même le puissant Alexandre VI est parfois contraint de batailler face au Collège. Lors de sa première promotion du 20 septembre 1493, une dizaine de cardinaux refusent avec obstination de donner leur consentement et pratiquent même la politique de la chaise vide au consistoire, en prétextant l’épidémie de peste qui sévit alors à Rome75. Ce n’est que lorsque le pape menace de créer un plus grand nombre de porporati et qu’il rappelle qu’il n’a pas besoin théoriquement du conseil des cardinaux qu’il parvient à ses fins76. Mais, même après l’élection, les opposants refusent toujours de se présenter au consistoire et de laisser les nouveaux promus leur rendre visite comme le veut l’usage77. Jean Burchard, le maître des cérémonies, laisse entendre que le pape Borgia éprouve encore de grosses difficultés à imposer de nouvelles créations sans consulter les cardinaux huit ans plus tard, à l’occasion de la promotion du 28 septembre 150078.
40La situation n’évolue pas beaucoup sous Jules II. La deuxième promotion à laquelle souhaite procéder le pape dès 1504 fait l’objet de longues et âpres négociations avec le Sacré Collège, qui durent plus d’un an. Antonio Giustinian rapporte avec beaucoup d’exactitude les tractations dans ses dépêches. Il cite par exemple les propos du cardinal Oliviero Carafa qui lui aurait confié que, dans le Sacré Collège, « personne ne désirait multiplier le nombre » des cardinaux et que les candidats de toute façon « ne leur plaisaient pas ». L’ambassadeur vénitien se fait à nouveau le porte-voix des craintes du cardinal de Naples exprimées en consistoire, lorsque ce dernier demande à faire lire les capitulations pour rappeler Jules II à ses devoirs :
[Le pape] aurait pu faire seul, sans l’assentiment du Collège, de nouveaux cardinaux, et il [Oliviero Carafa] avait peur que le Pape, persuadé par Alexandria [Giovanni Antonio Sangiorgio], ne fasse de sa propre autorité cette promotion, sans y faire participer le Collège. Toutefois, il précisait qu’il n’y croyait pas, espérant que les princes séculiers défendraient la liberté de l’Église79.
41Le cardinal Sangiorgio rappelle en effet au pontife qu’il n’est pas tenu de respecter les capitulations en raison de son pouvoir suprême80. Quelques jours plus tard, le 20 novembre 1504, Giustinian envoie une autre dépêche qui rapporte un nouvel échec de Jules II81. Le 12 février de l’année suivante, l’ambassadeur précise à la fin d’une de ses missives que « [les cardinaux] se confortent chaque jour un peu plus dans leur opinion de ne vouloir, pour rien au monde, que leur nombre augmente82 ». Cette affaire devient pourtant un fil rouge des missives qu’il envoie à Venise. Le 26 mars 1505, il précise : « la nouvelle d’une prochaine promotion de cardinaux revient dans la partie, mais elle sera comme d’habitude très controversée par le Sacré Collège83 ». Jules II ne parvient à obtenir de haute lutte une nouvelle promotion que le 1er décembre 1505, huit mois plus tard84. Les cardinaux résistent pourtant jusqu’au bout à la création, le consistoire durant plus de dix heures. Jean Burchard s’en fait l’écho :
Le lundi premier décembre [1505], consistoire secret, dans lequel il fut traité de la création de dix nouveaux cardinaux […]. Le pape sortit, vers dix-sept heures, et se rendit dans la salle de l’audience. Là, il fit venir de la salle du Perroquet, c’est-à-dire de la salle du consistoire, d’abord Naples, puis les autres cardinaux un à un. Avec chacun d’eux il s’entretint en particulier de la création qu’il voulait faire. Ces entretiens, y compris le consistoire qui les suivit, se prolongèrent jusqu’à minuit. Dans ces entrevues particulières le pape ne put amener les cardinaux à ses vues. Après avoir parlé à tous en particulier, le pape se rendit au consistoire. Il traita de la même affaire devant tous à la fois. Et il ne put, même alors, vaincre leur résistance. Alors il en vint aux menaces. Il parla de faire je ne sais quoi. […] Tous finirent par consentir à la nomination des neufs mentionnés. Mais ils demandèrent que la publication de cette promotion fût ajournée aux Quatre-Temps, et qu’elle n’eût pas lieu ce jour même. Le pape n’accepta que de proroger la publication jusqu’au prochain consistoire. Avant le consistoire il y avait onze cardinaux pour le pape : [suivent les noms]. Mais au consistoire, il y en eut treize [suivent les noms] qui furent opposés au pape et à la création des cardinaux. Tous cédèrent enfin quand le pape les menaça de créer trente cardinaux, parmi lesquels six auditeurs qui sauraient se défendre eux et leurs compagnons, et deux Espagnols. Le pape fut mécontent de voir qu’Oristano [Jaime Serra i Cau], Reggio [Francisco Borgia], [Niccolò] Fieschi et Bologne [Giovanni Stefano Ferrero], qui lui avaient promis leur vote, firent opposition quand ils furent dans le consistoire. Il fut aussi mécontent de Sanseverino qui voulut recevoir des châteaux en paiement de son vote. Il enleva à Oristano les chambres qu’il occupait au palais et la légation de Pérouse85.
42L’instigateur du fuori i barbari, bâtisseur de la nouvelle basilique Saint-Pierre, souverain pontife de l’Église universelle, doit repousser de plus d’un an la promotion de neuf cardinaux en raison de l’opposition du Sacré Collège. Il a finalement recours aux mêmes techniques que Pie II près d’un demi-siècle plus tôt : convaincre les cardinaux un à un, à la manière d’un whip au Congrès américain, pour les faire céder. Mais sa force de persuasion ne suffit pas et il doit passer au chantage. Cependant, sa menace de créer 30 cardinaux relève certainement du bluff, puisqu’il prend la peine de consulter le Collège pour en élever finalement trois fois moins. Cette anecdote en dit long du rapport qu’entretiennent les papes avec les cardinaux : ils peuvent en théorie s’en passer pour toute chose, mais dans la pratique il est difficile, sur le plan politique, d’agir sans leur assentiment, ne serait-ce que de façade. D’ailleurs, Jules II n’obtient pas totalement gain de cause. Il doit se contenter de neuf cardinaux sur les dix candidats qu’il propose, et Bandinello Sauli ne devient cardinal que six ans plus tard86.
43L’évocation des six auditeurs peut être comprise dans plusieurs sens. Il s’agit de créatures du pape, puisque les auditeurs de la Rote sont nommés par le pontife87. Ce seraient donc des cardinaux dociles vis-à-vis de Jules II, et il s’agirait pour le pape de Savone de créer un Sacré Collège sur mesure, à sa main, comme avait pu le faire Alexandre VI avant lui. Mais les auditeurs de la Rote sont aussi des spécialistes du droit, capables de défendre leur nomination et de la rendre incontestable sur le plan juridique. La répartition nationale du Collège joue aussi dans la menace que souhaite faire peser le pontife sur les cardinaux. La référence aux Espagnols est directement liée à la composition du Sacré Collège sous Alexandre VI – les Italiens ont d’ailleurs perdu la majorité au consistoire l’année précédente (23 Italiens sur 47 cardinaux en 1504), ce qui est assez rare au Quattrocento.
44Le chapitre des relations tumultueuses entre Jules II et au moins une partie du Sacré Collège ne s’arrête pas là et vire à l’affrontement. L’épisode du conciliabule de Pise a déjà été évoqué : le souverain pontife profite de la répression qu’il mène contre ses instigateurs pour nommer neuf autres cardinaux88. Léon X procède de la même manière en 1517, à l’occasion de la répression de la prétendue conjuration du cardinal Alfonso Petrucci, en imposant une promotion de 31 nouveaux cardinaux au Sacré Collège89. Ce serait donc à la faveur d’événements politiques conjoncturels, au début du XVIe siècle, que les papes prennent définitivement la main sur les élévations de cardinaux.
45Ce mouvement est cependant initié plus tôt et se fonde aussi, certainement, sur la mutation des pratiques institutionnelles. Duane Henderson montre de manière très convaincante comment les pontifes, en particulier à partir de Pie II (1458-1464), arrivent à déplacer les débats sur les créations de cardinaux en amont des consistoires qui les officialisent. En transposant les discussions avec les cardinaux en dehors du cadre institutionnel, sur un terrain informel non réglementé, ils parviennent à imposer leurs desiderata plus facilement aux cardinaux. Ces derniers ne peuvent plus faire front, en dehors du consistoire, comme un collège uni90. Ce changement calendaire a aussi pour conséquence que les puissances étrangères peuvent davantage influencer les promotions cardinalices. Dès lors, l’équilibre entre les nations au sein du Sacré Collège en est-il troublé ?
Une italianisation du Sacré Collège ?
46Les classements par « nation » sont toujours malaisés pour le Moyen Âge. De nombreux choix arbitraires doivent être réalisés dans l’attribution d’une nationalité aux cardinaux du Quattrocento. Certains cardinaux apparaissent comme des cas limites : les cardinaux de Luxembourg ont été considérés comme français et les cardinaux savoyards comme italiens dans cet ouvrage. De même, Ludovico Podocataro a été catégorisé comme un cardinal grec de Chypre, alors qu’il rejoint Ferrare très jeune et ne retourne jamais sur son île natale91. Les catégories nationales peuvent aussi être problématiques au-delà des cas particuliers. La nation italienne agrège par exemple des hommes d’horizons extrêmement divers. Quoi de commun entre le cardinal Giovanni d’Aragon, fils du roi Ferdinand Ier, et Pietro Foscari, le neveu du doge de Venise, élevés la même année en 1477 ? De même, les Hispaniques regroupent des cardinaux originaires des royaumes de Castille, d’Aragon et de Navarre.
47Toutefois, ces catégories demeurent pertinentes puisque les sources ecclésiales de l’époque les emploient elles-mêmes. Les pères conciliaires de Constance sont réunis en « nations » entre 1414 et 1418. Un épisode raconté par Pie II dans ses Commentarii, à l’occasion du conclave qui suit la mort de Nicolas V en 1455, montre à quel point les nationalités jouent un rôle majeur au sein du Sacré Collège :
Après un, puis deux scrutins sans résultat, quelques cardinaux s’entretinrent à part et décidèrent d’élire Bessarion, cardinal de Nicée […]. Quand des cardinaux de l’autre faction l’apprirent, Alain, cardinal d’Avignon, alla voir les uns et les autres, en disant : « Nous allons donc donner à l’Église latine un pape grec, et placer un néophyte à la tête de la Loi catholique ? […] Voilà bien la misère de l’Église latine, qui ne peut trouver sans recourir aux Grecs un homme digne d’être souverain pontife ! Agissez à votre guise, pères, moi et ceux qui me feront confiance, nous ne donnerons jamais notre accord pour un prélat grec. » Ces paroles en troublèrent certains, si bien qu’il n’y eut pas les deux tiers du Collège pour Bessarion ; et lui en qui, l’espace d’une nuit, beaucoup avaient fermement cru voir un futur pape, se retrouva au matin cardinal, avec une gloire légèrement amoindrie, comme il arrive habituellement pour ceux qui déçoivent un grand espoir92.
48Ici, « grec » semble toutefois désigner autant une nationalité qu’une religion, et l’argumentation du cardinal Alain de Coëtivy repose tout autant sur le passé orthodoxe de Bessarion. Cette dimension religieuse ne joue plus au conclave suivant, trois ans plus tard, après la mort de Calixte III. Pie II nous informe que le même cardinal, Alain de Coëtivy, soutient l’accession de son compatriote Guillaume d’Estouteville au trône de saint Pierre « non pas tant parce qu’il estimait devoir favoriser un Français, en tant que Français, que parce qu’il pensait obtenir, à la suite de l’élection de Guillaume, l’évêché de Rouen, sa maison à Rome et la chancellerie93 ». Voilà pourtant la manière dont Pie II convainc Rodrigo Borgia de ne pas voter pour Estouteville :
Jeune sot ! Ainsi donc, tu vas placer sur le trône pontifical un ennemi de ton pays ? Et tu prêtes foi à la promesse écrite d’un homme sans foi ? Toi, tu auras la promesse et le cardinal d’Avignon [Alain de Coëtivy] la chancellerie : ce qui t’a été promis à toi, à lui on le lui a promis et garanti. Est-ce envers lui ou envers toi qu’on tiendra parole ? Pour qui un Gaulois montrera-t-il le plus d’amitié, pour un Gaulois ou pour un Catalan ? Aura-t-il plus d’égards pour un compatriote ou pour un étranger ? Attention, jeune étourdi, attention, nigaud ! Si tu ne te soucies pas de l’Église romaine, si tu ne fais point cas de la religion chrétienne et si tu méprises Dieu, auquel tu prépares pareil vicaire, soucie-toi au moins de toi-même, toi qui te retrouveras au dernier rang si un Gaulois obtient la papauté94.
49Ce genre d’argument apparaît de manière récurrente dans la documentation émise à l’occasion des conclaves et des consistoires95. À la lecture de ces sources, il semble donc légitime de penser le Sacré Collège à travers le prisme des nationalités.
50En adoptant ce point de vue, la prépondérance des cardinaux issus de la péninsule italienne frappe immédiatement : 170 Italiens sont élevés entre 1417 et 1534, soit 55 % des promotions. Les Français (54, soit 17 %) et Hispaniques (46, soit 15 %) suivent loin derrière. La prépondérance de ces trois nations dans le Sénat cardinalice correspond largement à un héritage des siècles précédents, en particulier de la période avignonnaise pour les cardinaux français. Le nombre de représentants des nations française et hispanique reste assez stable pendant tout le Quattrocento, malgré quelques évolutions conjoncturelles. La hausse du nombre d’Hispaniques dans les années 1490 et 1500 est directement liée au pontificat d’Alexandre VI, Rodrigo Borgia, qui élève quinze de ses compatriotes aragonais à la pourpre, auxquels deux Castillans peuvent être ajoutés, soit plus du tiers des cardinaux qu’il promeut. De même, la hausse, limitée mais significative, des cardinaux français et hispaniques dans les premières décennies du XVIe siècle peut s’expliquer en bonne part par les événements des guerres d’Italie (graphique 6)96.
Graphique 6. Évolution du nombre de cardinaux par nationalité (mesure annuelle).

51En revanche, la hausse du nombre des cardinaux semble reposer sur l’augmentation du nombre de cardinaux italiens, les deux courbes paraissant, à première vue, parfaitement corrélées. C’est pourquoi beaucoup d’auteurs ont évoqué une italianisation du Sénat cardinalice au XVe siècle. Ainsi Wolfgang Reinhard assure-t-il que le Sacré Collège se serait transformé dès le Quattrocento en une « congrégation italienne », en exceptant la parenthèse du pontificat d’Alexandre VI97. Il affirme d’ailleurs, avec raison, qu’en 1455, ceux qui n’étaient pas italiens avaient encore la majorité des deux tiers et qu’en 1484, au contraire, ils étaient en minorité avec moins d’un tiers des représentants. Il explique que le premier tournant aurait eu lieu sous le pontificat de Sixte IV (1471-1484)98. Marco Pellegrini a repris cette idée d’italianisation du Sénat cardinalice, et souligné à juste titre l’échec de l’Église à former un « parlement de l’Église » international99. Entre-temps, Massimo Firpo a lui aussi soutenu que le nombre d’étrangers avait diminué au sein du Sacré Collège dans la seconde moitié du XVe siècle et dans la première moitié du siècle suivant. Peter Partner va plus loin en mettant en avant « l’italianisation de la cour romaine » et de son personnel100.
52Dans la réalité, le Sacré Collège du Quattrocento revient à une situation antérieure au départ des papes à Avignon. La proportion des Italiens au XIIIe siècle semble osciller entre 50 % et 80 %, une situation assez comparable à l’essentiel du XVe siècle101. Les nations minoritaires au sein du Sacré Collège du Duecento sont, par ordre d’importance, française, anglaise, hispanique, germanique, portugaise et hongroise (un seul élément). Au XIVe siècle, la situation se renverse complètement et de manière très rapide. Au conclave de 1305, soit trois ans avant le départ des papes à Avignon, les Italiens dominent le Collège à 79 % ; ils ne sont plus que 36 % au conclave de 1316, tandis que tout le reste du Sénat, soit 64 %, est composé de Français, pour la plupart issus d’un gros quart sud-ouest du royaume. Ces Français forment la nation dominante du Collège au XIVe siècle et en représentent une proportion toujours plus élevée : au conclave de 1378, celui qui marque le début du Grand Schisme, ils correspondent à 78 % des électeurs potentiels102.
53Les pères conciliaires de Constance pointent la domination d’une nation au sein du Sénat cardinalice, les Français en l’occurrence, comme une des causes qui ont conduit au Schisme. Les concordats adoptés à la suite du concile appellent de leurs vœux un Sacré Collège qui représente de manière proportionnelle toutes les régions de la chrétienté103. Cette idée d’un Sénat cardinalice international devient un topos des discours sur la réforme de l’Église pendant tout le XVe siècle104. C’est alors surtout une manière de mettre fin à la prépondérance française : internationalisation rime souvent dans l’esprit des réformateurs avec italianisation.
Graphique 7. Évolution de la proportion de cardinaux italiens dans le Sacré Collège (mesure annuelle).

54De fait, à l’échelle du XVe siècle, les cardinaux italiens disposent en permanence de la majorité relative et la plupart du temps d’une majorité absolue (graphique 7)105. Le Sacré Collège est en fait largement italianisé dès Constance. S’il est formé à la fin du concile de cardinaux appartenant aux trois obédiences du Grand Schisme, ce sont surtout ceux de l’obédience romaine et, dans une moindre mesure, du parti pisan qui y gardent leur chapeau ; peu de cardinaux de l’obédience avignonnaise, majoritairement français ou hispaniques, intègrent le Collège de Martin V106. Cette répartition explique que, dès 1421, plus de 60 % des cardinaux sont italiens. Ne faudrait-il pas alors parler d’un Collège italien pendant tout le XVe siècle, plutôt que d’une italianisation qui sous-entendrait que, d’un Collège international, les cardinaux ont été de plus en plus recrutés dans la péninsule italienne entre le XVe et le XVIe siècle ? C’est bien le concile de Constance, en faisant la part belle aux deux obédiences majoritairement italiennes dans la formation du nouveau Collège réunifié, qui italianise le Sénat cardinalice. En 1549-1550, au moment du conclave qui aboutit à l’élection de Jules III, 60 % des cardinaux sont italiens, un taux très comparable à ceux du début du XVe siècle. Ce n’est que dans la seconde moitié du XVIe siècle que le Collège passe un nouveau palier, puisqu’il compte alors entre 70 % et 80 % d’Italiens.
55Ce sont au contraire les pontificats d’Eugène IV (1431-1447), de Nicolas V (1447-1455), de Calixte III (1455-1458) et de Pie II (1458-1464) qui apparaissent comme des anomalies107. La faible part d’Italiens dans le Collège sous ces pontificats s’explique en bonne partie par la chute vertigineuse de leur proportion qui intervient à la fin de l’année 1439. Le 18 décembre, Eugène IV procède en consistoire à la promotion de dix-sept cardinaux ; seuls cinq Italiens comptent parmi ceux-là, alors que, dans le même temps, quatre Français, deux Grecs, un Castillan, un Anglais, un membre du Saint-Empire, un Portugais, un Polonais et un Hongrois font leur entrée au sein du Sacré Collège. Il est difficile d’y voir une volonté de se conformer aux injonctions du concile de Constance, tant Eugène IV apparaît en opposition frontale avec le concile de Bâle qui reprend le flambeau réformateur. D’un autre côté, deux ans avant cette promotion, le souverain pontife a déplacé le concile à Ferrare où il a prôné l’idée d’une Église universelle dans le sillage de la tentative de réunification avec l’Église d’Orient, ce qui explique la présence de deux Grecs – Basilio Bessarion et Isidore de Kiev – dans la promotion de 1439. Le pape humaniste Nicolas V s’inscrit dans la même tendance. Il n’élève que trois cardinaux italiens sur onze nominations. Calixte III, qui prend sa suite, en tant qu’Aragonais, ne nomme que trois cardinaux italiens sur neuf promus, soit autant que ses compatriotes. Les Italiens au sein du Sénat cardinalice ne retrouvent la majorité absolue qu’en 1467-1468, quand Paul II nomme sept cardinaux italiens sur dix promus. Entre-temps, Pie II a recommencé à créer une majorité d’Italiens dans le Collège108. Les théories conciliaristes sont alors largement rejetées, notamment par la bulle Execrabilis (1460) : l’époque n’est plus à la représentativité des nations au sommet de la hiérarchie catholique.
56Un autre élément statistique interpelle : l’élection des trois papes non italiens du Quattrocento paraît étroitement corrélée à la proportion d’Italiens dans le Sacré Collège (graphique 7). C’est quand la proportion d’Italiens est la plus basse, en 1455 (32 %) et quand elle est la plus haute, en 1492 (77 %), que les deux papes aragonais, les Borgia Calixte III et Alexandre VI, sont élus. C’est à nouveau quand l’italianisation du Sacré Collège atteint un pic en 1523 (76 %) qu’Adrien VI, le troisième pape non italien et le dernier avant Jean-Paul II (1978-2005), est élu. Il est difficile de fournir une explication simple à ce phénomène, mais il l’est tout autant de n’y déceler qu’une coïncidence. Le fait qu’un tiers seulement des cardinaux soient italiens en 1455 peut certainement jouer en faveur de l’élection d’un Aragonais : les cardinaux de la péninsule ne peuvent s’unir contre un « étranger » comme en d’autres circonstances. Au contraire, le nombre très important de cardinaux italiens présents lors des élections d’Alexandre VI et d’Adrien VI joue peut-être en faveur d’une dispersion des voix entre plusieurs candidats de la péninsule.
57Il faut d’ailleurs prendre garde aux différences qui peuvent exister entre la composition du Collège et celle du conclave. Ces différences jouent presque toujours en faveur des Italiens, puisque ce sont les cardinaux étrangers qui sont les plus susceptibles de ne pas se trouver à Rome à l’ouverture des conclaves du XVe siècle. Ainsi, seuls 15 des 21 cardinaux que compte le Sénat cardinalice entrent en conclave le 4 avril 1455 pour élire Calixte III ; les cinq absents sont tous ultramontains109. Même si Ludwig von Pastor commence par assurer que la « question de nationalité n’exerça aucune influence décisive sur le résultat de [cette] élection », il lui consacre ensuite un très long récit qui montre à quel point elle joua un rôle central110. Les Italiens sont, comme souvent, polarisés par les clans romains Colonna et Orsini, qui ne parviennent pas à s’accorder. Les cardinaux songent alors à élire un homme neutre, extérieur aux querelles internes à la péninsule italienne. Le nom de Bessarion est avancé, mais, comme au conclave suivant, le fait qu’il soit grec et converti le discrédite. Finalement, l’accord se porte, à la suite de longs désaccords, sur Alfonso Borgia. En plus d’être extérieur aux luttes italiennes, il est âgé de 77 ans au moment de son élection. Il s’agit donc d’un compromis que les cardinaux espèrent le plus temporaire possible : en effet, le nouveau successeur de Pierre n’occupe que trois ans le trône pontifical111. L’opposition classique entre les Colonna et les Orsini joue donc un rôle important dans le choix d’Alfonso Borgia. Mais il est possible que le faible nombre de cardinaux ait eu aussi une influence dans la désignation d’un Catalan.
58De la même manière, les élections d’Alexandre VI et d’Adrien VI résultent d’une conjonction de facteurs. Dans le premier cas, il semble que la simonie ait tenu un rôle très important. Le pape Borgia corrompt la plupart des cardinaux par ses promesses. Dans le second cas, l’opposition frontale entre le parti français, dirigé par Giulio de Médicis, et le parti impérial, mené par Pompeo Colonna, conduit les cardinaux à porter leur choix sur un cardinal de compromis, absent du conclave et relativement inconnu : Adriaan Floriszoon Boeyens. Mais, dans les deux situations, il est peu probable que le grand nombre de cardinaux italiens présents au conclave – 22 cardinaux italiens sur 23 présents pour l’élection d’Alexandre VI et 36 sur 39 pour celle d’Adrien VI – soit totalement étranger aux résultats des scrutins.
59S’il convient d’insister sur le caractère italien du conclave et du Sacré Collège au XVe siècle, il faut toutefois tempérer ce constat en soulignant que l’assemblée des cardinaux reste malgré tout un des organes les plus internationaux de la chrétienté112. Il semble possible d’appliquer le jugement que Ludwig von Pastor porte sur l’ensemble de la Curie au Sénat cardinalice :
On a affirmé […] qu’à partir de Martin V la Curie romaine s’était de plus en plus italianisée. C’est une erreur. Même à cette époque, la cour de Rome conserva le caractère éminemment international qui est comme le reflet vivant de l’universalité de l’Église. On y trouve simultanément des noms appartenant à la France et à l’Espagne, à l’Angleterre, à l’Allemagne et aux Pays-Bas113.
60Beaucoup de nationalités sont représentées dans le Collège et c’est une véritable préoccupation des contemporains114. Le même Pie II, qui condamne auprès de ses confrères l’élection au trône de saint Pierre d’un cardinal non italien et qui nomme en majorité ses compatriotes à la pourpre, n’hésite pas, une fois devenu pape, à insister sur la nécessité d’avoir un Collège international :
Durant le Carême suivant [1461], le pontife souleva au Sacré Collège la question relative à la création de nouveaux cardinaux. Il dit que parmi ceux qui avaient été nommés à Sienne [en mars 1460] il n’y en avait aucun d’outre-monts, à l’exception du prévôt de Salzbourg [Burkhard von Weißpriach], dont l’élection du reste n’était pas encore publiée ; la dignité cardinalice avait été concédée seulement à des Italiens, et cela pouvait sembler injuste aux autres nations. Les Français et les Espagnols supportaient mal cet état de fait, qui leur semblait être pour eux un affront. L’Église romaine était dite universelle justement parce qu’elle devait gouverner tout l’univers ; elle était mère et maîtresse des fidèles et devait appeler à participer à ses délibérations des hommes éminents de toutes les provinces chrétiennes, lesquelles connaissaient bien les coutumes de chaque nation. Le pape ajouta qu’était désormais proche le temps des réunions pour les créations cardinalices ou, comme on dit, les Quatre-Temps. Il invita donc les cardinaux à se consulter parmi eux sur qui, parmi les candidats ultramontains, paraissait digne de cet office élevé, et sur le nombre des cardinaux qu’ils allaient devoir élire115.
61Les cardinaux, très rétifs à une nouvelle promotion, décident, avec le pape, d’attendre l’Avent. Ils assurent le pape de leur futur accord à condition qu’il juge la création toujours nécessaire. Voici comment Pie II achève de convaincre les cardinaux au mois de décembre suivant : « Tous les cardinaux créés à Sienne sont des Italiens. Il faut maintenant honorer les nations étrangères. […] Nous ne pouvons refuser ce qui nous est demandé sans risquer un très grand discrédit pour nous-même et, peut-être aussi, pour l’autorité de l’Église116. » Il faut faire la part de l’exagération persuasive dont fait preuve le souverain pontife, mais l’ombre du Grand Schisme plane encore et justifie en partie ses arguments.
62Le Sacré Collège est donc résolument italien dès le concile de Constance, ce qui ne l’empêche pas, en même temps, de compter un grand nombre de non-Italiens dans ses rangs et, ce faisant, d’incarner un idéal universel117. S’il est parfois difficile d’attribuer une nationalité à un cardinal, il est tout aussi hasardeux, a fortiori, de dresser une carte de la répartition géographique de ces nationalités. Le résultat ne peut être que contestable et simplificateur. En effet, les frontières et les entités politiques apparaissent, évoluent et disparaissent tout au long du XVe siècle et au début du siècle suivant. Des catégories telles que « cardinaux d’Italie » ou « cardinaux des Pays-Bas espagnols » s’avèrent davantage géographiques, tandis que d’autres, telles que « cardinaux de Navarre » ou « cardinaux d’Aragon », semblent plus politiques. Néanmoins, la représentation cartographique de l’origine des cardinaux du Quattrocento, même très simplifiée, montre bien ces deux réalités : la prépondérance des cardinaux issus de la péninsule italienne et la représentation d’un grand nombre de territoires dans le Sénat de l’Église sur un siècle (carte 2).
Carte 2. Origine géographique des cardinaux en Occident au Quattrocento.

63Cette diversité est d’autant plus frappante à plus grande échelle. Par exemple, sur les 55 cardinaux français, 5 viennent de Bourgogne118. Ces derniers sont nommés entre 1439 et 1480, dans un territoire que des historiens, par exemple Bertrand Schnerb, considèrent à cette époque comme un État à part119. Les 172 cardinaux italiens viennent eux aussi d’horizons géographiques, politiques et culturels très différents (carte 3).
Carte 3. Origine des cardinaux dans la péninsule italienne au Quattrocento.

64La prépondérance romaine est réelle, mais paraît moins écrasante au XVe siècle qu’au XIIIe siècle. De nombreux cardinaux sont originaires des républiques de Florence, Venise et Gênes ainsi que du royaume de Naples et du duché de Milan. Les cardinaux issus des autres États territoriaux appartiennent le plus souvent à leur lignage dirigeant. En ce sens, le processus d’« italianisation » du Sacré Collège devrait peut-être davantage désigner la capacité croissante des lignages aristocratiques italiens à l’influencer.
Une aristocratisation du Sacré Collège ?
65Plusieurs auteurs évoquent, pour caractériser l’évolution du Sacré Collège au Quattrocento, un processus d’aristocratisation, c’est-à-dire un recrutement cardinalice dirigé de plus en plus vers des ecclésiastiques issus de familles aristocratiques120. Mais il est peut-être encore plus difficile de catégoriser les cardinaux socialement que nationalement. Quoi de commun entre, d’un côté, le cardinal Louis Ier de Bar, descendant de Charlemagne, du roi de France Charles V ainsi que de Philippe II de Bourgogne, et, de l’autre côté, Jean Rolin, dont le père, Nicolas Rolin, est issu d’une famille bourgeoise d’Autun et avait acheté une seigneurie ? Ils sont pourtant tous les deux membres du Sacré Collège et nobles. Quoi de commun entre Pierre d’Ailly, fils d’un boucher, et Giulio de Médicis, futur Clément VII, neveu de Laurent le Magnifique, un des hommes les plus puissants de son temps ? Sans qu’aucun des deux ne fasse partie de l’ancienne noblesse, ils n’appartiennent pourtant pas à la même catégorie sociale. Le critère juridique de la noblesse, parfois difficile à déterminer, ne recoupe donc pas la configuration socio-économique des cardinaux121.
66De surcroît, en tentant de catégoriser les cardinaux selon ce critère, aucune évolution claire n’apparaît. Sur les 33 membres du Collège, 23 sont issus de la noblesse au début de l’année 1418 (70 %)122. En 1476, sur 29 membres, 20 sont nobles (69 %)123. En 1534, sur 49 membres, on en compte 35 (71 %)124. Le nombre de nobles au sein du Collège reste donc remarquablement stable pendant toute la période, et ce n’est pas une nouveauté du Quattrocento. De ce point de vue, parler d’aristocratisation semble hasardeux. Mais les auteurs qui recourent à ce concept insistent sur l’augmentation du nombre des cardinaux issus des plus grandes familles princières et souveraines d’Italie et d’Occident.
67Paolo Prodi évoquait déjà en 1982 un « pacte historique » entre la papauté et l’aristocratie italienne, qui aurait trouvé son point de départ au milieu du Quattrocento125. Marco Pellegrini reprend ce constat et explique que, « depuis l’époque de Sixte IV, le Sacré Collège s’affirme de plus en plus comme un lieu de représentation presque obligatoire pour les grandes familles princières, plus italiennes encore qu’européennes126 ». Il assure que la proportion de cardinaux issus des familles princières italiennesse serait accrue dans la seconde moitié du XVe siècle, puisqu’il aurait représenté 8 % sous Pie II, 10 % sous Paul II et Sixte IV, 12 % sous Innocent VIII et 16 % sous Alexandre VI127. Marco Pellegrini fonde la catégorie des « grandes familles aristocratiques » sur les membres de la très haute noblesse européenne et du haut patriciat citadin italien128.
68L’historiographie va parfois jusqu’à affirmer que les nominations de cardinaux sont, de « manière écrasante129 », autant de faveurs politiques faites à des dirigeants séculiers d’Europe qui auraient exercé sur le pape une pression constante. S’il faut relativiser quelque peu ce jugement, il ne paraît pas très éloigné de la réalité. Il existe de nombreux cas antérieurs, qui remontent au moins au XIIIe siècle, où des cardinaux appartenaient à des familles des souverains de l’Occident. Mais ce phénomène semble avoir franchi un nouveau palier au XVe siècle, à la fois dans la quantité des promotions et dans leur qualité130. Si le roi de France, l’empereur germanique ou le roi d’Angleterre n’agissent pas en ce sens, des personnages éminents de la chrétienté, comme le roi de Pologne Casimir IV (1447-1492), le roi de Naples Ferdinand Ier (1458-1494) ou le roi du Portugal Manuel Ier (1495-1521), vont jusqu’à obtenir le chapeau pour leur fils131.
69Marco Pellegrini ajoute que « la concession du chapeau rouge à un parent ou à une créature d’un souverain aurait entraîné en définitive la réorganisation et la croissance du contrôle séculier sur la vie ecclésiastique de l’État, grâce à l’établissement de fonctions semi-clandestines de protectorat cardinalice sur les affaires politico-ecclésiastiques d’une nation, qui, à la fin du Quattrocento, aurait trouvé une reconnaissance formelle et une légitimation par le haut, dans le contexte d’un accord consolidé entre le pape et les princes et une affirmation définitive de l’absoluta potestas pontificale à l’égard des prétentions du Sacré Collège132 ».
70La précision initiale de l’historien – « à un parent ou à une créature du souverain » – est importante. En effet, si les souverains italiens et européens insistent de plus en plus pour avoir un parent qui représente leurs intérêts au sein du Collège, ils se satisfont également d’une « créature », c’est-à-dire un membre de confiance recruté dans leur entourage immédiat. Ainsi, au début de l’année 1462, Louis XI demande au pape Pie II d’élever Jean Jouffroy. Il s’agit du fils d’un anobli par lettres patentes qui a commencé sa carrière comme aumônier de Philippe le Bon. Il rencontre le Dauphin lors d’une mission diplomatique en 1460, et devient ainsi son conseiller lorsqu’il accède au trône de France sous le nom de Louis XI. En France et dans d’autres États à la Renaissance, un nombre important de conseillers de souverains deviennent ainsi cardinaux133. Le pape répond au désir de Louis XI et élève en même temps, de manière caractéristique, un parent du roi en la personne de Louis d’Albret134. Ce très grand aristocrate du royaume de France n’est autre que le petit-fils de Charles d’Albret, cousin germain de Charles VI.
71Marco Pellegrini souligne ensuite l’émergence de la figure du cardinal protecteur135. Quand ils se rendent à Rome, ces cardinaux agissent en général comme des ambassadeurs de leur pays, selon une logique étatique136. Mais ils demeurent le plus souvent dans leur pays auprès de leur souverain et les secondent, notamment dans les affaires politico-ecclésiastiques ; leur titre de cardinal devient alors purement honorifique. Cette distinction offre au conseiller, parfois d’origine sociale modeste, un moyen de s’affirmer vis-à-vis de la haute aristocratie à la cour du souverain. Elle le protège également, dans la mesure où il ne peut être jugé que par le pontife en personne, ce qui le prémunit, en théorie, contre toute chute politique brutale137. Le nombre des cardinaux d’État ou cardinaux protecteurs augmente considérablement entre le XVe et le XVIIIe siècle. Les grands conseillers des souverains européens deviennent souvent cardinaux alors même qu’ils continuent à exercer leurs activités ministérielles dans leur État sans déménager à la Curie. La croissance de ce phénomène à la toute fin du XVe siècle explique en partie la croissance concomitante du nombre de cardinaux et vient la relativiser. Ce ne sont pas des cardinaux qui participent activement au gouvernement de l’Église138.
72De ce point de vue, les guerres d’Italie forment une période à part : soit le pape essaye de contenter tous les partis, soit il oscille dans ses nominations au gré de ses alliances et de ses antagonismes avec les souverains chrétiens. En 1520, Léon X se lance dans de longues négociations avec François Ier et Charles Quint à l’occasion d’une nouvelle promotion cardinalice. Le roi des Romains veut que le pape élève Eberhard de La Marck, ce que le roi de France refuse catégoriquement ; ce dernier souhaite au contraire qu’un de ses parents, Jean d’Orléans, obtienne la pourpre. Léon X tente de contenter les deux partis en offrant de confier un siège épiscopal prestigieux à Eberhard, à défaut de la barrette. Puis, il propose de donner deux promotions cardinalices à Charles Quint si celui-ci abandonne l’idée de faire élever Eberhard. Enfin, il propose à François Ier de nommer deux cardinaux français en échange de la nomination d’Eberhard. Aucune des propositions ne satisfait les souverains. Pour contenter François Ier, son allié, le pape consent finalement à élever Jean d’Orléans, sans toutefois le publier dans un premier temps. Mais seul Eberhard est finalement nommé et publié le 9 août 1520, du fait d’un retournement d’alliance effectué par le souverain pontife au profit du roi de Charles Quint139.
73Francesco Somaini préfère caractériser l’évolution du Sacré Collège au Quattrocento par le terme de « politisation » plutôt que par celui d’« aristocratisation », même s’ils semblent recouvrir, au moins en partie, la même réalité. Il insiste sur la faiblesse du pape au XVe siècle et sur la tendance qu’ont alors les princes séculiers de se servir de la menace du conciliarisme comme d’un levier de négociation avec le souverain pontife. Les grands souverains européens auraient alors eu le loisir de s’immiscer dans les affaires du Saint-Siège à partir du pontificat de Sixte IV140. Pour étayer cette idée, il affirme, avec raison, que la moitié des trente-quatre créations du pape Della Rovere seraient plus ou moins directement des créatures politiques d’États italiens ou européens ; quatre d’entre elles étant d’ailleurs des parents directs des souverains141.
74En effet, les dirigeants de l’Occident, et plus particulièrement ceux de la péninsule, manifestent de plus en plus leur souhait de voir élever au cardinalat des membres de leur famille, et non plus seulement des proches. Le choix d’une carrière ecclésiastique pour le parent d’un souverain stérilise pourtant une branche de la famille, ce qui fait toujours courir un risque à la persistance d’un pouvoir séculier héréditaire. Mais plusieurs facteurs contribuent à expliquer l’essor de ce phénomène. D’abord, ces nominations suscitées au sein des familles souveraines se font à moindres frais, puisqu’elles concernent presque systématiquement des cadets « exclus de l’axe héréditaire principal142 ». Avoir un fils ou un frère cardinal est perçu par les souverains comme un moyen d’augmenter l’honneur de leur maison, car le prestige de la pourpre rejaillit sur la famille tout entière143. Massimo Firpo, dans le chapitre qu’il consacre à la figure du cardinal dans L’homme de la Renaissance, reprend les mots de Paolo Cortesi, qui compare les cardinaux aux « princes de sang144 ». Mais cette quête de prestige ne suffit pas à expliquer la volonté si forte des familles de la haute aristocratie italienne de se doter d’un cardinal.
75Giovanni de Médicis est un des cas célèbres de ce type d’élévation. Son père, Laurent le Magnifique, laisse entrevoir les raisons qui l’ont poussé à souhaiter la promotion cardinalice de son fils dans une lettre très célèbre, qu’il lui adresse quelques mois après sa promotion en 1489. Il rappelle d’abord à Giovanni l’immense honneur fait à la maison des Médicis, renforcé par son âge auquel il a été créé : treize ans. Il dévoile cependant d’autres intérêts :
Il faut donc que vous deveniez un honnête ecclésiastique et que vous inspiriez à tout le monde la conviction que vous faites passer la prospérité et l’honneur de l’Église et du Siège apostolique avant toutes les choses de ce monde et avant toutes les autres considérations et tous les autres intérêts. Si vous ne perdez point cela de vue, vous aurez l’occasion, de cette manière, de rendre service à votre ville natale et à votre maison ; notre ville a tout avantage à être en union avec l’Église, et vous devrez être le trait d’union entre elles ; quant à notre maison, son sort est lié à celui de la ville. Et bien qu’on ne puisse pas prévoir les accidents qui adviendront, je crois en général, que nous ne manquerons pas de trouver le moyen de ménager, comme on dit, la chèvre et le chou, en tenant ferme votre premier principe, de privilégier l’Église avant toute autre chose145.
76Laurent le Magnifique se livre à un numéro d’équilibriste : tout en conseillant à son fils de faire passer l’Église avant toute autre chose, il lui indique clairement, entre les lignes, de faire le jeu de sa parenté et de sa cité auprès du Saint-Siège. Il prévient cependant tout conflit de loyauté en liant explicitement le destin de l’Église à celui de la ville de Florence et ce dernier à celui de la maison des Médicis. Il faut sûrement voir dans l’évocation de cette union un vestige du guelfisme. Les proches de Laurent le Magnifique sont encore plus explicites et peuvent se permettre d’affirmer avec davantage de clarté les raisons qui ont poussé les Médicis à obtenir la pourpre pour un des leurs. Marsile Ficin parodie par exemple l’Évangile selon saint Jean (Jn I, 6-7) en écrivant que Giovanni est un « homme envoyé de Dieu pour rendre témoignage auprès de tous de la haute autorité de son père Laurent146 ». C’est en somme une appropriation familiale du galero, qui doit être au service de toute la parenté et en particulier de son chef.
77Les cardinaux issus d’un milieu princier sont eux-mêmes bien conscients de l’importance pour leurs parents d’avoir un homme de confiance auprès du souverain pontife. Un proche peut toujours s’émanciper de ses protecteurs, quand un parent est irrémédiablement tenu par les liens du sang et du nom. Cependant, ces liens n’empêchent pas d’éventuelles tensions, et la relation de confiance fonctionne dans les deux sens. Lorsque le marquis de Gonzague se montre réticent à confier le siège épiscopal de Mantoue à son fils, le cardinal Francesco Gonzague, ce dernier lui rappelle, dans une lettre datée du 31 juillet 1466, le rôle de « protecteur » qu’il joue pour lui « auprès de la Curie »147.
78Enfin, les familles aristocratiques espèrent toujours voir un membre de leur famille obtenir la tiare. Une élection pontificale représente un gain politique et social potentiel extraordinaire pour un lignage dans l’Italie du Quattrocento, quel que soit le degré de pouvoir détenu par une famille avant d’y parvenir148. Il n’est pas besoin de rappeler ici le soutien des deux papes Médicis, Léon X (1513-1521) et Clément VII (1523-1534), à leurs parents sur la scène florentine. Les voies du conclave sont impénétrables, mais avoir un de ses parents dans la chapelle Sixtine au moment de l’élection au trône de saint Pierre permet, à tout le moins, d’influencer le résultat du scrutin149. Les très nombreuses correspondances des ambassadeurs de toutes les puissances européennes conservées au moment des interrègnes du Quattrocento en témoignent. S’il a une chance d’être élu, les princes d’Italie et d’Occident donnent naturellement leur préférence au cardinal de leur famille ; dans le cas contraire, ils font tout pour empêcher l’élection d’un cardinal appartenant à une puissance ennemie.
79Le pape trouve lui aussi son compte dans ces nominations à l’intérieur des grandes familles aristocratiques européennes. Les penseurs de l’époque, à l’instar d’un Baldassare Castiglione dans son Livre du courtisan (1528), associent volontiers noblesse de sang et noblesse des mœurs. En suivant ce principe, il paraît préférable de nommer au Sénat de l’Église les meilleurs aristocrates. Le Courtisan a souvent été comparé au De cardinalatu de Paolo Cortesi. Si ce dernier auteur rappelle que suivre la demande des souverains en matière de création cardinalice n’a pas toujours été profitable à l’Église par le passé, il explique que la noblesse du sang et la recommandation d’un souverain rehaussent le lustre de l’Église et donnent du pouvoir au Sacré Collège. Il l’illustre en développant l’exemple des cardinaux d’Este et Gonzague150. Cortesi nomme d’ailleurs ce type de cardinaux, qui se distinguent par leur puissance et leur richesse, les cardinales benefactores. En mettant les ressources dont ils disposent au service de l’Église, ils en deviennent en effet les « bienfaiteurs »151. Le sang de ces cardinaux honore le Sacré Collège et supplée d’ailleurs aux connaissances attendues habituellement chez les cardinaux. La bulle non publiée Pastor aeternus, rédigée à la toute fin du pontificat de Pie II en 1464, prévoyait par exemple qu’il ne serait pas obligatoire pour les cardinaux d’origine aristocratique de satisfaire aux conditions académiques requises pour les autres promus à la pourpre152.
80Néanmoins, ce sont avant tout des considérations diplomatiques qui poussent les papes à accorder le galero à de grands aristocrates. Quand Pie II demande aux cardinaux à créer des pairs d’outre-monts pendant le Carême de 1461, sa volonté est de ménager ou de contenter, selon le cas, les rois et les princes de cette région. Il affirme lui-même ne pas pouvoir échapper à leurs demandes153. Dans le cas des princes italiens, le pape se doit a fortiori d’entretenir de bonnes relations avec ses puissants voisins. Les alliances diplomatiques et militaires et les liens clientélaires entrent en ligne de compte154. Le fait que les souverains pontifes redeviennent des personnages majeurs de la scène politique italienne et occidentale au cours du XVe siècle explique peut-être leur volonté de nommer des parents des souverains d’Occident à la pourpre. Les cardinaux sont alors promus dans le Sacré Collège dans le cadre d’alliances, d’accords et, plus simplement, de relations diplomatiques fortes qui font de la Curie un des épicentres de la vie politique européenne.
81Les souverains pontifes développent alors une diplomatie du chapeau où la pourpre peut devenir une monnaie d’échange et la clause implicite d’un accord. Il semble par exemple possible de considérer qu’Eugène IV s’est largement servi des promotions cardinalices pour gagner les souverains européens à sa cause contre le concile de Bâle155. Cela a déjà été noté, beaucoup de nationalités sont représentées parmi les dix-sept cardinaux qu’il nomme en décembre 1439 : l’Angleterre, la France, la Bourgogne, Gênes, Milan, la Hongrie, la Pologne, le Portugal et l’Empire byzantin. Ces créations peuvent être comprises comme autant de tentatives pour ramener ou conserver ces nations dans le giron de l’obédience romaine.
82L’exemple déjà évoqué des cardinaux Jean Jouffroy et Louis d’Albret est également éclairant de ce point de vue. Pie II accepte d’élever le premier alors qu’il ne semble pas l’apprécier particulièrement. Voilà le portrait qu’en dresse le cardinal d’Avignon, Alain Coëtivy, au moment où sa promotion est discutée en consistoire :
[Jean Jouffroy] est un homme impulsif et dangereux, aux yeux duquel il n’existe pas de faute grave. Il est vénal et inconstant dans ses propositions, il se laisse guider par des sentiments puérils et penche toujours vers les pires solutions. Incapable d’agir sagement, il ne se laisse conseiller par personne, n’a aucun respect pour personne, se juge au-dessus de tous, croit tout savoir. […] Marchand avec les marchands, chasseur avec les chasseurs, marin avec les marins, moine avec les moines, il a toujours quelque chose à enseigner, mais jamais rien à apprendre. […] Tu introduis un tison ardent dans le Sénat apostolique, un ver qui te rongera continuellement. […] Il sèmera les discordes et encouragera les factions. […] Si je ne me trompe, il est le fils de quelque être démoniaque. Je vois en ce qui me concerne se dessiner une guerre sans fin contre cet homme, si tu le gratifies du chapeau rouge. […] Je sais pour sûr qu’après l’avoir fait tu t’en repentiras et tu diras souvent « Oh, si j’avais écouté Alain ! » Si tu es sage, tu chercheras à éviter de prendre des décisions qui portent en elles-mêmes le regret156.
83Pie II reconnaît lui-même la fidélité de ce portrait, mais Jean Jouffroy joue un rôle d’intermédiaire décisif entre la papauté et le royaume de France, notamment sur la question de l’abrogation de la pragmatique sanction de Bourges. La concorde entre les deux partis sert les ambitions du prélat français, même s’il joue parfois de leurs désaccords pour parvenir à ses propres fins157. Le pape ne fait aucun mystère dans ses Commentarii des raisons qui l’ont poussé à élever le cardinal français :
Nous sommes acculés. L’évêque d’Arras […] remplit la charge de légat auprès du roi de France, qui souhaite pour cet homme la dignité de cardinal ; le duc de Bourgogne aussi. Il y a la promesse d’abroger cette pragmatique sanction, qui est la pire difficulté que connaisse le Saint-Siège. Le moment où l’on crée les cardinaux est arrivé. Si nous n’écoutons pas les prières du roi, la pragmatique sanction ne sera pas abrogée dans le royaume de France. […] Tu connais les dispositions des évêques de France à l’égard de l’Église romaine, et avec quels regrets ils abandonnent la pragmatique158 !
84Les promotions cardinalices espérées par le roi de France depuis plusieurs années forment des clauses tacites et assumées de la négociation autour de la pragmatique sanction. Quand Pie II pense avoir obtenu son abrogation, il assure d’ailleurs à Louis XI que, « par sa dévotion, il avait mérité d’obtenir deux cardinaux159 ».
85Une fois promus, ces cardinaux politiques servent d’interface entre le souverain ou le gouvernement séculier qui les a fait élire et la papauté. Les auteurs retiennent souvent, avec raison, la fidélité que les cardinaux témoignent par la suite à leur maître temporel160. Cette fidélité est souvent antérieure à l’obtention de la pourpre et peut reposer sur l’octroi d’un diocèse. Le Consilium de emendanda ecclesia de 1537, un mémoire de réforme rédigé à la demande de Paul III par neuf prélats dirigés par le cardinal Gasparo Contarini et qui est à l’origine des mesures du concile de Trente, souligne ces pratiques :
Les cardinaux sollicitent des diocèses des rois et des princes, desquels ils sont ensuite dépendants et qu’ils ne peuvent juger ensuite librement. En réalité, même s’ils en sont capables et le souhaitent, ils sont néanmoins perdus, troublés dans leur jugement par leur partialité161.
86Néanmoins, des relations peuvent se tisser entre un souverain séculier et un cardinal plus tardivement dans la carrière de ce dernier. En ce sens, l’exemple de Giacomo Ammannati Piccolomini est éloquent. Alors qu’il est nommé évêque de Pavie contre la volonté de Francesco Sforza, en 1460, il semble que les deux hommes se rapprochent progressivement dans l’année qui suit, notamment par le biais de la duchesse Bianca Maria. Le nouvel évêque rend plusieurs services diplomatiques au duc de Milan, en particulier en favorisant sa politique menée dans les Marches162. C’est sûrement en retour de cette aide que le dirigeant milanais intervient pour que Giacomo soit élevé cardinal. Le jour même où il reçoit son chapeau, le 18 décembre 1461, le nouveau porporato écrit au duc :
Selon mon désir, je voudrais remercier votre très illustre seigneurie, mais la peine [que je me donne] ne répond pas au cœur ni aux paroles si bonnes que j’ai reçues de votre seigneurie. Et pour cela, il a plu à notre seigneur de me promouvoir à la dignité du cardinalat, non pour mes mérites, mais pas l’intercession de votre excellence. Louange à Dieu. Ne pouvant rendre d’autre grâces et mérites à votre seigneurie, je lui rendrai avec les choses écrites ci-dessous : d’abord, en tenant en mémoire le bénéfice reçu ; ensuite, en dirigeant toutes mes pensées et mes œuvres à la gloire et à la consolation de votre seigneurie, de votre sang et votre chaire, de vos sujets et de vos amis, ne reportant jamais aucune chose que je sais capable de poursuivre ce but ; enfin en priant le Dieu très haut que je puisse me montrer digne de rétribuer largement votre seigneurie maintenant et pour l’éternité163.
87Il y a une part de rhétorique épistolaire dans les engagements que prend Giacomo Ammannati Piccolomini. Néanmoins, le cardinal de Pavie joue par la suite, avec les autres représentants de Milan à Rome, un rôle de lobbyiste auprès du Saint-Père. Par exemple, le 12 février 1462, il envoie une autre lettre à Francesco Sforza dans laquelle il déclare qu’il a appuyé auprès du pape les demandes ducales concernant l’attribution du bénéfice de l’abbaye de San Vittore de Milan à Angelo Simonetta. Il assure qu’il a été reçu en audience à ce sujet auprès du pontife avec Ottone Del Carretto, l’ambassadeur de Milan à Rome, et Stefano Nardini, l’archevêque de Milan164. Giacomo Ammannati devient donc un agent actif de la puissance milanaise au service du duc.
88À l’inverse, le duc de Milan ne manque pas une occasion de favoriser le cardinal de Pavie. Le 26 octobre 1462, il contribue à lui faire octroyer une prébende à Parme165. Cependant, Giacomo refuse en même temps, avec beaucoup de tact, la rente annuelle de 500 ducats d’or que veut lui allouer Francesco Sforza. Il invoque un idéal religieux de pauvreté et la nécessité de se tourner vers le service des plus pauvres. Peut-être faut-il y voir une volonté de ne pas s’engager trop loin dans la fidélité envers une puissance temporelle, ce qui pourrait l’éloigner de son premier maître, Pie II, qui lui a par ailleurs conféré le droit de porter ses armes et son nom166.
89En effet, il existe également des témoignages dans les sources d’une véritable loyauté des cardinaux envers les papes, celle-ci supplantant parfois celle exprimée envers le souverain séculier. Les papes peuvent alors se servir des cardinaux comme d’outils politiques propres à s’immiscer dans les affaires nationales des souverains étrangers167. Cédric Michon souligne, pour le début du XVIe siècle, l’attitude parfois équivoque de cardinaux français lorsque les relations entre le roi de France et le pontife se durcissaient. Ils essayent souvent de tenir le roi à l’écart des intérêts de l’Église, mais affirment dans le même temps leur attachement à une conception ecclésiale gallicane, notamment en matière de bénéfices168. Cette ambiguïté, qui ne se solde pas toujours au détriment du pape, se retrouve également parmi les cardinaux italiens du Quattrocento.
90Au début de l’année 1486, une guerre oppose Innocent VIII à Naples, Florence et Milan. Les Orsini prennent alors le parti de la ligue contre le pontife. Quand le cardinal Gianbattista Orsini, d’abord engagé aux côtés de sa famille, montre des signes de repentance et se rallie au pape, les autres Orsini sont « très mal disposés à son égard, ils ne veulent plus l’avoir pour parent169 ». De la même manière, Innocent VIII affirme à Laurent le Magnifique, quelques années après avoir élevé le fils du dirigeant florentin, Giovanni, à la pourpre, que ce dernier est désormais davantage son fils que celui de son père naturel170.
91Enfin, la dernière explication du recrutement cardinalice dans la plus haute aristocratie européenne est peut-être économique. En effet, certains papes n’hésitent pas à vendre la pourpre pour renflouer les caisses de l’Église171. Ainsi, la promotion de septembre 1500, durant laquelle Alexandre VI nomme douze cardinaux, aurait rapporté presque 130 000 ducats au Saint-Siège. Le cérémoniaire Jean Burchard donne dans son Journal le détail de ce que chacun des nouveaux promus a payé : Juan de Vera donne 4 000 ducats, Jaime Serra i Cau et Lodovico Podocataro 5 000, Pedro Isvalies 7 000, Pedro Luis Borgia 10 000, Francisco Borgia 12 000, Tamás Bakócz, Antonio Trivulzio et Marco Corner 20 000, Giovanni Battista Ferrari 22 000172. Alexandre VI est coutumier de ces pratiques simoniaques, et la promotion de mai 1503 ne diffère pas de celle de 1500 ; Antonio Giustinian en informe la Sérénissime par une dépêche le 31 mai 1503 :
À tous ces cardinaux, ce chapeau a coûté quelques milliers de ducats, à certains peu et à d’autre assez, selon la possibilité de chacun mais sans aucune prise en compte des liens de parenté ou de service. Cependant, cela a coûté cher à tous, et à certains – Fréjus [Niccolò Fieschi], Volterra [Francesco Soderini], messire Adriano [Castellesi], Léon [Francisco Desprats] et l’Allemand [Melchior von Meckau] – plus de 20 000 ducats. J’ai compté que, si on les prenait tous en compte, cela a rapporté entre 120 000 et 130 000 ducats173.
92Les familles aristocratiques apparaissent alors comme les plus susceptibles d’acquitter ces droits d’entrée élevés174. Le phénomène ne se limite pas à la papauté Borgia ; même Clément VII, à la réputation pourtant probe, s’adonne à ce genre d’expédient : en mauvaise posture financière après le sac de Rome, il vend des barrettes cardinalices à l’occasion de deux consistoires successifs175. En mai 1527, selon une lettre du provéditeur général vénitien, Domenico Contarini, « le pape avait publié en consistoire trois cardinaux faits avec 40 000 ducats pour chacun d’entre eux176 ». Cette somme condamne de facto le Saint-Siège à recruter des candidats issus d’un milieu aisé. Les cinq élus – Contarini se trompe sur leur nombre – sont Ercole Gonzague, le fils du marquis de Mantoue, Marino Grimani, membre d’une très ancienne famille patricienne de Venise qui s’est illustrée dans l’activité bancaire, Niccolò Gaddi, issu d’une grande famille bancaire de Florence apparentée aux Médicis, Benedetto Accolti, appartenant à un éminent lignage d’Arezzo installé à Florence, Agostino Spinola, originaire d’une famille de banquiers apparentée aux Della Rovere et aux Riario177. La somme demandée joue inévitablement comme un tamis socio-économique. Si beaucoup de promus sont liés aux grandes familles de banquiers italiens, c’est aussi parce que le pape souhaite recruter de futurs financiers pour le Saint-Siège.
93La promotion qui a lieu six mois plus tard, en novembre 1527, est même directement liée à la conclusion d’un traité avec le parti impérial qui réclame 300 000 ducats. Le Vénitien Marino Sanudo s’en fait l’écho dans son journal :
Notre Seigneur s’est entendu, le 23 novembre passé, lors d’un accord avec les Impériaux pour leur donner 300 000 ducats. Il ne les aurait pas s’il n’espérait dans les trois jours la venue de huit gentilshommes du royaume qui viennent se faire cardinaux. Et ils paieront cette somme. Et a déjà été fait cardinal l’archevêque de Matera, qui a déboursé aux lansquenets 40 000 écus178.
94Les élus, issus d’un milieu aristocratique, princier ou bancaire, ont le même profil socio-économique que la précédente promotion. Il faut y ajouter des hommes proches de l’empereur, comme le napolitain Sigismondo Pappacoda179.
95La tendance lourde reste donc celle d’un recrutement cardinalice à l’intérieur des élites politiques et financières de la chrétienté, et plus particulièrement de l’Italie. Ces milieux sociaux ont par ailleurs une propension à l’endogamie, au resserrement, à l’entre-soi. Les papes recrutent donc non seulement les cardinaux dans les mêmes milieux, mais aussi à l’intérieur des mêmes familles. Wolfgang Reinhard considère que l’« incroyable fermeture sociale » de l’Église entre le Moyen Âge et le XXe siècle est certainement une des clefs de sa longévité unique dans l’histoire mondiale180.
96Pourtant, plusieurs auteurs nuancent avec raison ce constat à propos de l’origine sociale des cardinaux. Amedeo De Vincentiis note que, « princes par le nom d’une cour qui s’affirme toujours plus comme le lieu par excellence de la représentation de la société italienne, le profil social et politique des cardinaux au cours du siècle se diversifie notablement ; à leur tour, les différences d’origine et de prestige de ses membres conditionnent des dynamiques internes et des rôles spécifiques dans le Sacré Collège et la Curie181 ». Plusieurs décennies plus tôt, Massimo Firpo a déjà montré la diversité des profils sociaux des cardinaux du Quattrocento en multipliant les exemples182. Plus récemment, Mary Hollingsworth et Carol M. Richardson ont souligné que, si les cardinaux avaient le même rang que des princes ou des ducs à l’échelle de la chrétienté, ils n’étaient pas forcément nobles mais pouvaient être fils de banquiers, d’hommes de loi, de marchands et même de paysans183.
97En effet, la hausse sensible de la part des cardinaux appartenant à la plus haute aristocratie européenne ne doit pas faire oublier la très grande diversité des profils qui cohabitaient au sein du Sacré Collège. L’origine sociale des papes en forme un bon indicateur : Martin V, le souverain universel de l’Église, était issu d’une des plus grandes familles aristocratiques romaines ; Nicolas V était le fils d’un médecin de Sarzana ; Innocent VIII d’un juge ; Léon X d’un des hommes les plus puissants de l’Italie de son temps ; Adrien VI d’un artisan flamand184.
98Cette diversité est sensible aux yeux des contemporains. Claude de Seyssel, prélat savoyard et français du début du XVIe siècle, introduit à la cour de France de Louis XII et de François Ier, affirme dans La monarchie de France :
Ung aultre moien y a en France de parvenir à grant et digne degre, qui est autant commun à l’ung des estatz que à l’aultre, c’est en l’eglise. Car à la manière de vivre qui est en France touchant cela, l’on a veu cy devant et voit l’on tous les jours, par vertu et science, autant ou plus souvent, parvenir ceulx des deux moindres estatz à grans dignitez ecclesiastiques que ceulx du premier, voire jusques au cardinalat et aucunesfoiz à la papault, qui est ung aultre grant moien pour contenter tous lesditz estatz, et pour les inciter et stimuler d’eulx exerciter en vertuz et sciences185.
99L’Église accepte donc en son sein, jusque dans ses plus hautes instances, des représentants d’une population qui est non seulement d’origine roturière, mais encore issue des milieux les plus modestes de la société. Même si leur proportion reste marginale, les institutions hétérogènes sur le plan social sont rares à la fin du Moyen Âge. Pour autant, l’Église permet-elle aux cardinaux d’effacer la diversité des configurations socio-économiques dans lesquelles ils se trouvent avant d’obtenir la pourpre ? Procure-t-elle les mêmes moyens à tous les membres du Collège ou existe-t-il des disparités entre leurs situations ?
Les structures socio-économiques du Sacré Collège
100De manière générale, l’Église procure à tous les cardinaux des revenus substantiels qui leur assurent un train de vie à tout le moins confortable. À lire de nombreuses sources du Quattrocento, les prélats, en particulier les cardinaux, se détachent assez largement du modèle de la pauvreté évangélique.
101Les richesses et le luxe dans lesquels vivent les détenteurs de la pourpre sont parfois dénoncés dans la littérature sur les cardinaux du XVe siècle, en particulier à l’intérieur de l’Église. Cette accusation constitue l’un des angles d’attaque les plus importants des chantres de la Réforme au XVIe siècle186. Pétrarque dénonçait déjà au Trecento la richesse ostentatoire dans laquelle vivaient les prélats : « À la place des apôtres qui allaient pieds nus, on voit à présent des satrapes montés sur des chevaux couverts d’or, rongeant l’or, et bientôt, si Dieu ne réprime pas ce luxe insolent, chaussés d’or. On les prendrait pour des rois de Perse, ou des Parthes qu’il faut adorer et qu’on n’oserait aborder les mains vides187. » L’opposition entre la pauvreté de l’Église des temps évangéliques et sa richesse plusieurs siècles plus tard tend à devenir un topos dans certains milieux ecclésiaux de la fin du Moyen Âge. Dans un sermon prononcé pendant l’Avent 1493, Savonarole affirme sur ce modèle que, « dans la primitive Église, les calices étaient de bois et les prélats d’or ; aujourd’hui l’Église a des calices d’or et des prélats de bois188 ».
102D’un autre côté, certaines catégories sociales apparaissent comme très sensibles à la magnificence des sénateurs de l’Église et semblent plus promptes à dénoncer leur avarice que leur goût pour le luxe. En dehors des sources curiales, Anna Esposito note que les condamnations explicites du luxe des papes et des cardinaux dans les sources romaines, tant populaires qu’aristocratiques, sont rares, si l’on excepte Stefano Infessura et, dans une certaine mesure, Marco Antonio Altieri, qui forment des cas particuliers189. Cette nuance doit être enrichie par la distinction traditionnelle qui est faite entre les biens consacrés à l’Église et à sa grandeur et ceux qui sont destinés aux prélats et à leur magnificence. C’est un débat ardent qui court pendant toute l’époque médiévale : le luxe et le faste de l’Église sont-ils dédiés à Dieu ou aux hommes ? Cette opposition théorique semble délicate, voire impossible à dénouer dans la réalité.
103La question de ce qui relève du patrimoine de l’Église et de celui du prélat se pose donc. Par bien des manières, l’Église constitue une voie d’enrichissement. Lapo da Castiglionchio le Jeune, un humaniste qui gravite dans l’entourage de plusieurs cardinaux (Juan Casanova, Prospero Colonna, Ludovico Trevisan, Jacopo Antonio Venier et Francesco Condulmer), affirme dans le De curia commodis, un traité qu’il écrit à la fin de sa vie en 1438, que les « opportunités » qui s’offrent aux prélats de la Curie sont nombreuses :
Regardons bien en face le reste des opportunités financières. Il serait difficile d’évaluer le nombre, l’importance et la diversité des opportunités placées devant ceux qui prennent part aux affaires de la Curie. En réalité, comme de nombreux groupes composent la Curie, de nombreuses manières sont ouvertes pour mener aux gains financiers et aux avantages, et pas seulement vers une richesse moyenne mais vers les plus grandes fortunes et les plus grandes récompenses financières. Je n’omettrai pas les pères cardinaux – et qui pourrait avoir des doutes en ce qui concerne le pape ? – et les protonotaires du siège apostolique ; y a-t-il personne qui ne sache combien ils peuvent gagner ? [Suit une énumération des principaux membres de la Curie.] Parmi eux, il n’y a certainement personne qui ne puisse vivre avec largesse et magnificence à la Curie sur ses propres dépenses, même maintenant alors que les ressources se resserrent et que tout le monde est à court d’argent190.
104Ce n’est pas un hasard si les cardinaux apparaissent en premier, avant même le souverain pontife, dans l’énumération de ceux qui peuvent s’enrichir par le biais de l’Église. Le cardinal Francesco Gonzague, alors qu’il a obtenu une condotta pontificale pour son frère juste après son élévation, assure à sa mère en 1469 que « la chiesa la sarà una gran tetta191 ». Tous les prélats s’abreuvent au sein maternel ecclésial sur le plan spirituel, mais les ressources matérielles sont aussi très nombreuses.
105La fin du Moyen Âge est marquée par le passage à un système de vénalité des offices dans l’Église, qui a provoqué à Rome un afflux considérable de capitaux à redistribuer, à tel point que Peter Partner compare la Curie de l’époque à une sorte de « république ploutocratique192 ». Cet afflux repose aussi, pour une large part, sur les mécanismes de distribution des bénéfices dits consistoriaux et procure aux cardinaux des émoluments importants. Néanmoins, leurs sources de revenus étaient plus variées qu’il n’y paraît193. Dans beaucoup de cas, elles reflètent ou accentuent la disparité des conditions économiques afférentes aux milieux sociaux dont étaient issus les sénateurs de l’Église.
La diversité des sources de revenus
106Les auteurs insistent généralement, à juste titre, sur la manière dont les cardinaux se servaient de l’Église pour accroître leurs richesses. Mais le phénomène inverse ne doit pas être négligé : parfois, les cardinaux se servent des moyens mis à disposition par leur famille pour tenir leur rang dans l’Église. C’est dans ces ressources familiales que se trouve la source des plus grandes inégalités de revenus entre les membres du Collège. Mary Hollingsworth et Carol M. Richardson formulent ainsi l’hypothèse logique selon laquelle plus les cardinaux étaient issus d’une configuration sociale élevée, plus leurs revenus provenaient de la sphère séculière et donc de leur parenté. Ces revenus familiaux peuvent même, dans de rares situations, constituer la principale source de richesse pour les cardinaux issus de la très haute aristocratie. C’est le cas, par exemple, d’Alessandro Farnèse, qui jouit au cours de sa carrière des larges ressources foncières que sa famille possède dans le Latium194.
107L’exemple du cardinal Ascanio Maria Sforza, développé par Marco Pellegrini, qui en est le meilleur connaisseur, est à cet égard très intéressant195. En tant que cadet de la maison ducale de Milan, le cardinal Sforza dispose de ressources substantielles octroyées par l’État lombard. Il les perçoit notamment, à plusieurs reprises, par voie d’héritages. Leur montant évolue sans cesse en fonction des tractations menées par le cardinal avec les dirigeants milanais successifs. En décembre 1483, un mois après son élection à la pourpre, après de nombreux rebondissements, Ascanio Maria Sforza accepte de renoncer définitivement à toute revendication successorale en échange d’une pension annuelle de 13 500 ducats versée par sa famille, ce qui correspond à son apanage de cadet, qu’il peut transmettre à ses éventuels descendants.
108Ascanio Maria doit également une bonne part de ses revenus ecclésiastiques à sa famille. C’est en effet grâce à l’intervention de son père, le duc Francesco Sforza, puis de ses frères, Galeazzo Maria et Ludovico, qu’il obtient de nombreux bénéfices en Lombardie. Il reçoit, par exemple, dès l’âge de onze ans, la commende du grand monastère milanais de Chiaravalle, dont les revenus annuels s’élèvent à 5 000 florins d’or, qu’il conserve toute sa vie. À la mort de son père, le nouveau duc de Milan, Galeazzo Maria Sforza, le frère d’Ascanio Maria, adjoint des biens fonciers au monastère qui permettent au jeune prélat de tripler le revenu annuel qu’il perçoit sur ce bénéfice. Son frère lui octroie également, en 1474, la commende d’un autre bénéfice lombard de son domaine, le prieuré clunisien de San Maiolo, à Pavie, qui lui rapporte 1 000 ducats supplémentaires. Il s’agit alors d’une compensation sur la succession de Francesco Sforza et ces revenus viennent en déduction des pensions versées à Ascanio Maria : les revenus séculiers de l’État milanais et ceux de l’Église sont donc traités sur le même plan. Le jeune Sforza bénéficie également des alliances matrimoniales de sa parenté. Lorsque sa nièce, Bianca Maria, est fiancée en 1487 au fils illégitime de Matthias Corvin, le roi de Hongrie, le cardinal reçoit le diocèse de Pécs, dont les revenus s’élèvent à 4 500 ducats annuels.
109Pendant l’essentiel de sa carrière, ce sont donc bien des revenus familiaux qui permettent à Ascanio Maria de passer pour l’un des cardinaux les plus riches et les plus fastueux du Quattrocento. Ce n’est qu’à partir de son accession en 1492 à la vice-chancellerie que le cardinal milanais peut véritablement diversifier ses revenus avec des rémunérations curiales.
110Au contraire, d’autres cardinaux semblent avoir renoncé totalement à leurs biens familiaux. Selon Vespasiano da Bisticci, Gabriele Condulmer, le futur pape Eugène IV, reçoit une fortune considérable à la mort de son père, en 1395-1396. Il se consacre pendant un an au commerce des draps avec son frère Simone, avant de rentrer au monastère San Giorgio in Alga avec son cousin Antonio Correr. Il fait alors don des 20 000 ducats hérités de son père196. Plus tard, le 20 janvier 1407, il renonce à tout droit sur cet héritage qu’il cède aussitôt à son frère Simone, ce qui ne l’empêche pas, dans le même temps, d’entreprendre une chasse active aux bénéfices ecclésiastiques197.
111Les revenus familiaux peuvent aussi venir aider un cardinal après sa promotion, lorsqu’il se trouve démuni et qu’il ne peut assurer son train de vie par ses seules ressources ecclésiastiques. Francesco Gonzague, le fils du duc de Mantoue Ludovico, est très souvent endetté après avoir reçu la barrette, ce qui le contraint à demander régulièrement des subsides à ses parents, sans beaucoup de succès d’ailleurs. Il adresse le plus souvent ses requêtes à sa mère, Barbara de Brandebourg. Quand Francesco est sur le point d’obtenir, en juillet 1476, le lucratif évêché de Bologne, son père le prévient qu’il ne doit plus attendre de soutien financier de la part de sa famille. Cependant, comme Ascanio Maria Sforza, Francesco touche une part de l’héritage paternel en 1478, devenant seigneur de Sabbioneta et d’autres fiefs de l’État mantouan ; après la mort de sa mère, en 1481, il hérite également des modestes propriétés de Villanova et de Fossamana198.
112À l’inverse, dans une certaine mesure, l’appartenance à une famille puissante peut aussi se révéler être un handicap financier pour un cardinal : les autres dirigeants de la chrétienté le regardent avec suspicion et ses parents se méfient d’un prélat trop puissant qui pourrait leur faire de l’ombre. Ascanio Maria Sforza, contrairement à beaucoup de cardinaux de l’époque, ne parvient jamais à se faire attribuer d’importants diocèses par les souverains européens en dehors de l’État milanais, alors même que ses parents refusent toujours de lui confier l’archevêché de Milan199.
113Malgré cette nuance, l’appartenance pour un cardinal à la haute aristocratie occidentale reste, dans la très grande majorité des cas, très positive sur le plan financier. Ces familles peuvent contribuer de manière décisive à la fortune de leur parent, par les successions, par des dons numéraires et surtout par les bénéfices concédés au sein leur domaine200. Néanmoins, les revenus ecclésiaux, même s’ils sont parfois difficiles à distinguer des revenus familiaux, restent largement majoritaires pour la plupart des cardinaux, tant ils représentent une manne considérable201.
114La première source de revenus ecclésiaux des cardinaux réside dans les nombreux bénéfices dont ils obtiennent la charge. À une époque où l’interdiction du cumul des mandats n’existe pas encore dans l’Église – elle est partiellement mise en place à partir du concile de Trente – les cardinaux collectionnent au cours de leur carrière les bénéfices rémunérateurs qu’ils superposent les uns aux autres.
115Un bénéfice peut être défini par le droit canon comme une entité juridique perpétuelle consistant en un office ecclésiastique, une charge sacrée, avec ou sans charge d’âmes. Le revenu perpétuel qui lui est attaché doit permettre l’administration matérielle du bénéfice et l’entretien de son titulaire. Les aspects spirituels et matériels d’un bénéfice sont donc indissociables202. Il en existe deux types : les bénéfices dits majeurs et les bénéfices dits mineurs. Les bénéfices mineurs ne sont pas attribués en consistoire. Ce sont des bénéfices peu rémunérateurs comme des cures de paroisse ou des canonicats, mais aussi certains évêchés et abbayes. Dans certains cas, en particulier à l’intérieur des États pontificaux, ils peuvent être attribués par le pape lui-même, mais pas nécessairement en consistoire. Cependant, le plus souvent, ils font l’objet d’élections locales ou sont attribués par des laïcs qui exercent sur eux un droit de patronage. Les souverains de la chrétienté en sont les patrons les plus importants, mais tout seigneur peut l’être à son échelle. Ces bénéfices mineurs sont beaucoup moins rémunérateurs que les bénéfices majeurs ; c’est éventuellement leur cumul qui peut procurer des revenus importants. Pietro Bembo en dispose de 28 en 1527, dont 26 qu’il a reçus des mains de Léon X alors qu’il était son secrétaire pontifical203. Les cardinaux les accumulent généralement lorsqu’ils peuvent compter au sein de leur parenté ou de leur cercle de relations des dirigeants politiques qui les leur distribuent. C’est par exemple le cas de Francesco Gonzague. Malgré les difficultés qu’il éprouve pour obtenir des bénéfices majeurs de la part de son père puis de son frère, les ducs de Mantoue, il additionne de nombreux bénéfices mineurs dans le domaine familial204.
116Les patriarcats, la plupart des grandes provinces métropolitaines et des diocèses de la chrétienté, ainsi que les abbayes dont les revenus sont importants, sont au contraire des bénéfices dits majeurs205. Provisionnés par le pape et les cardinaux lors de consistoires secrets, ils sont également appelés bénéfices consistoriaux. Leur nombre augmente à partir du XIIIe siècle. Les papes et les pouvoirs séculiers s’opposent régulièrement sur cette question depuis la réforme grégorienne. Même si les pontifes exercent un contrôle croissant sur ces nominations au cours des derniers siècles du Moyen Âge, les désaccords restent encore très vifs au XVe siècle206. Il s’agit d’ailleurs de la principale pomme de discorde lors des discussions sur la réforme de l’Église à l’occasion du concile de Constance207. Treize ans plus tard, les souverains séculiers profitent de la faiblesse politique des papes lors du concile de Bâle pour négocier leur ralliement à l’obédience romaine contre l’obtention d’un concordat208. Les tractations sont menées par chacune des nations. Le rapport de force qu’elles parviennent à instaurer avec le Saint-Siège leur permet d’obtenir des conditions qui leur sont plus ou moins favorables. Il faut souvent compter avec un troisième acteur : les pouvoirs locaux s’insèrent dans le jeu des négociations qui précèdent la collation d’un bénéfice. Par exemple, il n’est pas rare qu’un chapitre cathédral procède à l’élection de son évêque, même si elle n’est pas prévue canoniquement.
117Malgré des nuances infinies et des évolutions incessantes, tous les accords concordataires privilégient une solution semblable : le souverain séculier recommande un candidat au siège, le pape le nomme209. Les bénéfices sont de plus en plus assimilés par ces deux pouvoirs à des récompenses pour leurs fidèles serviteurs210. Dans la réalité, le choix doit être consensuel. Si les papes acceptent en général que les souverains séculiers jouissent d’un droit de regard important sur les nominations, c’est qu’ils se réservent en contrepartie les prélèvements fiscaux afférents à ces promotions211.
118Les bénéfices consistoriaux peuvent être tenus de plusieurs manières. Les deux principales sont la provision proprement dite et l’administration ou la commende212. Dans le cas de la provision classique, le prélat qui obtient un bénéfice consistorial doit recevoir la consécration épiscopale ou faire la profession solennelle de l’ordre de son abbaye dans l’année qui suit sa nomination, selon qu’il est nommé évêque ou abbé. Les prélats ne peuvent en principe posséder qu’un seul évêché ou qu’une seule abbaye en provision, car ce sont des bénéfices dits incompatibles, qui comprennent une charge d’âmes et requièrent donc en théorie l’attention pleine et entière de leur détenteur. La résidence est d’ailleurs obligatoire pour ce type de bénéfice selon le droit canonique, mais dans la réalité les récipiendaires administrent le plus souvent leurs offices à distance. La gestion en est confiée à un administrateur rémunéré ou même à des banquiers lorsque le bénéfice est affermé213. Là encore, dans la pratique, les papes accordent souvent des dispenses qui permettent de détenir en même temps plusieurs bénéfices incompatibles, jusqu’à quatre au début du XVIe siècle214. Surtout, d’autres manières de détenir un bénéfice ont été développées pour contourner l’interdiction du cumul.
119L’administration pour un évêché ou la commende pour une abbaye permettent en effet de dépasser cette contrainte, dans la mesure où le pontife confie, en théorie, ces bénéfices de manière temporaire, jusqu’à ce qu’ils soient collationnés en bonne et due forme215. Dans l’intervalle, l’administrateur gouverne son église au temporel – il touche notamment ses revenus – et au spirituel pour tout ce qui relève du for externe. Mais de telles nominations durent parfois plusieurs années, si bien qu’au début du XVIe siècle, il n’est pas rare de voir des prélats porter le titre d’« administrateur perpétuel »216. Le dispositif permet donc de contourner l’incompatibilité des bénéfices majeurs. Les bulles de nomination in administrationem ou in commendam précisent d’ailleurs que les prélats peuvent recevoir ces bénéfices en plus de ceux qu’ils possèdent déjà. L’objectif implicite est d’augmenter les revenus des prélats concernés.
120Au XIVe siècle, les administrations d’évêché sont rarement confiées aux cardinaux, qui se voient surtout attribuer des bénéfices mineurs. Au contraire, au XVe siècle, ils reçoivent de plus en plus de diocèses et d’abbayes in administrationem ou in commendam. Les cardinaux étant très bien informés des vacances des bénéfices et ayant généralement l’expérience de la gestion des diocèses et des abbayes, il leur est très facile de briguer ces charges temporaires. Si ces pratiques sont parfois condamnées, les tentatives de réforme restent très modestes. Le concile de Latran V, tout en reconnaissant la nécessité de nommer des titulaires aux bénéfices, acte de fait la coutume217. Malgré de nombreuses recommandations visant à apporter le soin nécessaire aux clercs, aux populations et aux églises de leurs bénéfices en commende, la seule obligation qui incombe véritablement aux cardinaux est de visiter « au moins une fois par année les lieux qui relèvent de leur titre, en personne s’ils sont présents à la Curie, par un vicaire compétent s’ils sont absents218 ».
121Entre 1418 et 1534, à de rares exceptions près, tous les cardinaux disposent d’au moins un diocèse, en titre ou en administration ; en moyenne, ils gouvernent 2,8 diocèses au cours de leur carrière. Cependant, cette moyenne cache des situations très disparates. Guillaume d’Estouteville connaît une longue carrière cardinalice (1439-1483) au cours de laquelle il détient huit évêchés219. À l’inverse, avant d’être élu pape sous le nom d’Innocent VIII en 1484, Giovanni Battista Cybo n’a dirigé que deux diocèses. Après avoir obtenu le diocèse de Savone en 1466, il est contraint de l’abandonner cinq ans plus tard, en raison de l’inimitié de Francesco Sforza, le duc de Milan, alors seigneur de la Ligurie, pour obtenir le diocèse de Molfetta l’année suivante, beaucoup moins lucratif220.
122Une évolution chronologique importante du nombre de bénéfices que détiennent les cardinaux apparaît au XVe siècle (graphique 8). À partir des années 1490, le nombre moyen de diocèses dont bénéficie chaque cardinal augmente sensiblement. Alors que les cardinaux qui composent le Sacré Collège entre les années 1420 et 1480 gouvernent en moyenne entre 2,5 et 3 diocèses au cours de leur carrière, les porporati des années 1530 en gèrent en moyenne près de cinq dans leurs cursus honorum221. Cette multiplicité ne vaut pas nécessairement cumul, et les diocèses peuvent être gérés de manière diachronique, chaque carrière étant différente de ce point de vue.
Graphique 8. Évolution du nombre moyen de diocèses détenus par les cardinaux au cours de leur carrière (mesure quinquennale)222.

123Deux exemples, l’un pris au début du XVe siècle, l’autre au début du XVIe siècle, éclairent les pratiques et leurs évolutions. Le Français Jean de La Rochetaillée est nommé cardinal par Martin V en 1426 (fig. 1). Auparavant, il a été patriarche de Constantinople (1412-1423), puis archevêque de Rouen (1423-1426). En plus de ce patriarcat et de cet évêché, il a administré successivement les diocèses de Saint-Papoul, Genève puis Paris. Après avoir obtenu la pourpre en 1426, il renonce à sa charge d’archevêque de Rouen en titre, comme le veut encore la coutume, mais continue d’en gérer la province métropolitaine in administrationem. L’évêché de Besançon lui est adjoint trois ans plus tard223. Plusieurs enseignements ressortent de ce curriculum ecclesiae. Dans le premier tiers du XVe siècle, il semble qu’il est encore impossible pour un cardinal de détenir officiellement un bénéfice consistorial lorsqu’il accède à la pourpre ; cet abandon est toutefois contourné dans le cas du cardinal de La Rochetaillée par la conservation de l’administration du bénéfice, ce qui lui permet de continuer à en toucher les revenus. Par la suite, le cardinal français ne cumule jamais plus de deux diocèses en même temps : l’un en titre et l’autre en administration lorsqu’il n’est pas encore cardinal, jusqu’à deux en administration lorsqu’il devient cardinal. Il faut remarquer enfin que, dès le début du XVe siècle, les prélats sont déjà lancés dans une chasse aux bénéfices les plus lucratifs et n’hésitent pas à en changer très régulièrement. La séquence qui amène Jean de La Rochetaillée aux administrations successives de Saint-Papoul, de Genève, puis de Paris est caractéristique.
Figure 1. La carrière diocésaine de Jean de La Rochetaillée.

124L’exemple bien plus tardif du cardinalat d’Innocenzo Cybo met en lumière l’évolution des pratiques (fig. 2). Sa carrière débute par l’élévation à la pourpre en 1513. Sept ans plus tard, il devient archevêque en titre de Gênes, la cité d’origine de sa famille. Ce qui semblait impossible pour un cardinal de la fin du Grand Schisme – détenir un diocèse en titre après une promotion cardinalice – constitue désormais la norme. Outre la provision de cette prestigieuse province métropolitaine, le Génois cumule neuf diocèses in administrationem pendant sa longue carrière. Plusieurs d’entre eux – Turin, de 1516 à 1517, Saint Andrews, Vintimille et Volturara – sont gérés dans l’esprit initial de la pratique : l’administration est assez brève et correspond à une vacance transitoire du diocèse avant la nomination d’un évêque pour plusieurs années. D’autres évêchés confiés au cardinal sont immédiatement résignés à ses proches : Bourges, Aléria et Mariana224. Dans trois cas – Marseille de 1517 à 1530, Turin de 1520 à 1550 et Messine de 1538 à 1550 –, l’administration dure de nombreuses années ; elle permet donc de contourner l’interdiction de cumul de bénéfices incompatibles225. Certaines années, par exemple en 1526, Innocenzo gère quatre diocèses de manière concomitante : Gênes en titre, Turin, Marseille et Volturara in administrationem.
Figure 2. La carrière diocésaine d’Innocenzo Cybo.

125Cette inflation du nombre de bénéfices détenus par les cardinaux à la fin du XVe siècle peut sembler contre-intuitive. En effet, le nombre de cardinaux augmente sensiblement au cours de la même période (graphique 5), alors que le nombre de bénéfices consistoriaux à distribuer reste relativement stable. Deux facteurs expliquent cette hausse paradoxale. D’abord, le nombre de cardinaux politiques, c’est-à-dire de conseillers de souverains séculiers qui ne se rendent plus guère à Rome, augmente sensiblement sur la même période226. Ces cardinaux peuvent compter sur des bénéfices que les souverains réservent généralement à leurs proches. Ensuite, les bénéfices circulent davantage au sein du Sacré Collège. La chasse aux meilleurs bénéfices, déjà notée au début du Quattrocento chez Jean de La Rochetaillée, s’intensifie au cours du siècle. Les cardinaux n’hésitent plus à abandonner à plusieurs reprises les diocèses dont ils sont investis pour être transférés sur un siège plus lucratif227. À cela s’ajoute une augmentation importante du recours à la coadjuterie et à la résignation, deux autres moyens de détenir un bénéfice à côté de la provision classique et de l’administration. Grâce à ces pratiques, un bénéfice peut passer de main en main, généralement dans la parenté de son détenteur initial228. Cela explique pourquoi les cardinaux identifiés comme lignagers (tabl. 3 en annexe) obtiennent en moyenne davantage de sièges épiscopaux au cours de leur carrière : 3,3 contre 2,4 pour ceux qui n’appartiennent pas à cette catégorie229.
126Le cas des abbayes n’a pas été développé ici car la documentation est moins exhaustive, d’où la difficulté d’en faire une analyse aussi précise que pour les diocèses. Mais les bénéfices réguliers sont souvent aussi rémunérateurs que les diocèses, voire davantage pour certains. Les monastères de Santi Vincenzo e Anastasio a Trevi de Rome, de Grottaferrata, de Subiaco ou de Chiaravalle à Milan fournissent des revenus considérables à leurs détenteurs230. Les cardinaux tentent de les accaparer en nombre ; Filippo Calandrini détient par exemple quatre abbayes à sa mort, en 1476231.
127Une dernière façon de profiter financièrement d’un bénéfice est de se faire accorder sur celui-ci une pension dite « étrangère », même si ces situations restent rares232. À chaque fois qu’un bénéfice change de main, le souverain pontife peut aliéner une partie de ses revenus pour constituer une pension en faveur d’un tiers qui n’a pourtant aucun lien avec ce bénéfice. Le soutien d’un prélat éprouvant des difficultés financières est généralement évoqué pour justifier ces transferts financiers. Dans certains cas, cette technique peut permettre de régler un différend qui oppose plusieurs partis dans la collation d’un bénéfice. En 1520, quand le cardinal Ippolito d’Este meurt, son frère Alfonso d’Este, en tant que duc de Ferrare et de Modène, veut transmettre le diocèse de Modène à son propre fils, le neveu du cardinal défunt, qui s’appelle également Ippolito. Clément VII refuse de ratifier la nomination car l’enfant de onze ans a déjà reçu de son oncle, deux ans auparavant, l’archevêché de Milan. Cependant, le jeune Ippolito reçoit en compensation une pension sur le diocèse233. De la même manière, lorsque l’archevêque de Salerne, Barnaba Orsini, meurt en 1449, la logique du temps voudrait que la province métropolitaine passe au cardinal Latino Orsini ou à un autre clerc de la famille. Or, le bénéfice échoit finalement à un membre d’un noble lignage napolitain, Nicola Piscicello234. Nicolas V fulmine une bulle, le 20 avril 1449, qui prévoit le versement d’une pension de 200 florins d’or de la Chambre sur les revenus de l’archidiocèse en faveur de Latino Orsini235. L’habitude de transmettre les bénéfices les plus importants au sein d’une même parenté est donc si profondément ancrée dans les mentalités et les pratiques que, lors d’une situation contraire à cette coutume, les papes peuvent offrir une compensation financière à la famille qui s’estime lésée236. Les souverains ultramontains usent parfois du même procédé237.
128Les bénéfices forment donc, dans la plupart des cas, le revenu le plus substantiel des cardinaux. Francesco Somaini évalue qu’ils rapportaient au cardinal Rodrigo Borgia, au début des années 1480, 30 000 à 35 000 ducats par an238. Mais les ressources bénéficiales sont réparties de manière très inégale au sein du Collège. C’est généralement la proximité avec le pape et les dirigeants laïcs de la chrétienté qui les collationnent qui permet d’en tirer la meilleure part et de les accumuler. Au contraire des bénéfices, les revenus directement liés à la dignité cardinalice semblent plus égalitaires, même s’ils étaient pour la plupart, là encore, adossés au système de répartition des bénéfices.
129Les titres cardinalices ne sont pas des bénéfices à proprement parler, mais ils s’en rapprochent par certains aspects et par les dérives dont ils font l’objet. Il est par exemple possible de les détenir en commende. Marco Barbo est nommé cardinal-prêtre de San Marco en 1467 ; il conserve ce premier titre en commende lorsqu’il devient cardinal-évêque de Palestrina en 1478 ; en 1485, il reçoit en plus le titre de Santa Balbina, toujours en commende239. Il s’agit surtout, au moins pour le titre de San Marco, de conserver le palais afférent, mais ces titres impliquent également des ressources puisque des bâtiments ou même des terres peuvent y être attachés240. Seul l’octroi des diocèses suburbicaires offre à la fois une dignité cardinalice et un bénéfice doté de revenus importants. Par exemple, Raffaele Sansoni Riario touche, en 1520, 330 ducats uniquement attachés aux baux des zones de pêche de son diocèse d’Ostie241. L’essentiel du Sacré Collège est pourtant constitué de cardinaux-prêtres et de cardinaux-diacres qui doivent se contenter des revenus plus modestes de leurs diaconae ou de leurs tituli. Les revenus qu’ils génèrent sont très disparates : au début des années 1460, les gains de Santa Maria Nuova représentent une cinquantaine de ducats par an, tandis qu’en 1510 le titre de Santa Sabina rapporte 1 000 ducats242. Néanmoins, les cardinaux peuvent espérer d’autres sources de rémunération substantielles qui ne sont pas liées directement à leur titre en tant que tel mais à leur dignité et à leurs activités.
130La taxe des communs services forme l’essentiel des revenus que tous les cardinaux sont susceptibles de toucher à la Curie au XVe siècle. Les récipiendaires des provisions consistoriales sont en effet tenus de verser à l’administration curiale un tiers des revenus annuels du bénéfice collationné s’ils sont supérieurs à 100 florins d’or de la Chambre243. Les sommes récoltées échoient pour moitié aux membres du Sacré Collège. Cela représente une somme considérable, si bien qu’à la fin du Grand Schisme, le Sacré Collège se dote de sa propre Chambre pour gérer cet afflux financier et le redistribuer.
131D’importantes variations touchent néanmoins ce type de revenu. Elles reposent d’abord sur la régularité de la participation des cardinaux aux consistoires : seuls ceux qui y assistent réellement reçoivent leur part de la taxe. Ensuite, la somme perçue dépend de la mortalité des titulaires, ce qui implique un nombre de vacances et donc de collations des bénéfices consistoriaux plus ou moins important sur une année. Dans les années 1460, bien étudiées par Anthony V. Antonovic, 1465 représente l’année la plus lucrative : treize cardinaux reçoivent plus de 1 800 florins chacun ; au contraire, en 1470, aucun d’entre eux ne reçoit plus de 252 florins244. Les sénateurs qui participent le plus au consistoire touchent en moyenne 1 000 florins par an sur cette décennie ; c’est par exemple le cas du cardinal français Guillaume d’Estouteville. À la fin du XVe siècle, les revenus sont en légère baisse, mais l’ordre de grandeur reste le même245. Antonovics s’étonne de ne pas observer une chute des revenus à ce moment-là, qui serait liée à l’élévation du nombre de cardinaux246. Cela s’explique par la stabilité du nombre de cardinaux qui participent réellement au consistoire et à la vie de l’Église au Quattrocento247.
132Les ressources des communs services qui intéressent le plus grand nombre des cardinaux ne sont pas négligeables, mais restent assez modestes au regard d’autres revenus curiaux que ne touchent, au contraire, que très peu de cardinaux. Les offices les plus prestigieux de l’administration pontificale sont en effet très bien rémunérés.
133Au XVe siècle, les sept légations permanentes sont confiées en général à des cardinaux248. Les légats cardinalices sont investis de l’autorité pontificale, qu’ils incarnent réellement en droit dans la province qu’ils gouvernent, et sont alors qualifiés de légats de latere249. Même s’ils en délèguent généralement la gestion à des lieutenants, ils perçoivent sur leur légation des revenus substantiels250. Ils reçoivent d’abord un salaire, d’un montant variable, versé par la Chambre apostolique. Le légat d’Ombrie touche par exemple 400 florins de la Chambre sous le règne de Martin V. Lorsque le cardinal Alfonso Carillo est nommé légat de Romagne en 1420, il touche 650 florins chaque mois251. À ces rémunérations viennent s’ajouter des revenus plus importants directement prélevés sur la gestion de la province dirigée, très inégaux et difficiles à évaluer252. Par exemple, lorsque Niccolò Ridolfi devient légat du Patrimoine de saint Pierre, il obtient le 17 août 1524 tous les pouvoirs juridictionnels sur le clergé de ce territoire, notamment le droit de nommer et de déposer les officiers publics, de provisionner les bénéfices vacants, de conférer les prébendes, les canonicats et autres dignités253. Ces avantages peuvent facilement être convertis en espèces sonnantes et trébuchantes. La légation de Francesco Gonzague à Bologne lui rapporte ainsi plus de 6 000 florins en 1471254.
134Outre les légations, les trois offices les plus lucratifs de la Curie, qui correspondent à ses trois organes les plus importants, sont systématiquement dirigés par des cardinaux au XVe siècle255. Le vice-chancelier, nommé à vie, est le personnage le plus important de l’administration pontificale256. Il dirige la Chancellerie apostolique, en charge de la rédaction et de l’expédition des actes officiels de la papauté. Selon Lapo da Castiglionchio, la vice-chancellerie reste un des offices les plus rentables de la Curie257. Son détenteur reçoit un salaire de 6 000 ducats par an auquel s’ajoute une part variable des revenus globaux de l’institution258. Giacomo Gherardi assure que ce poste rapportait 8 000 ducats à Rodrigo Borgia sous le règne d’Innocent VIII259. Mais la direction de l’organe administratif le plus prestigieux du Saint-Siège procure également des avantages qui sont difficilement quantifiables : des bénéfices plus nombreux, l’obtention de toutes sortes de dispenses, l’exemption de taxes, un certain nombre de concessions honorifiques. Lorsque la Chancellerie apostolique passe entre les mains d’Ascanio Maria Sforza en 1492, le pape Borgia offre au cardinal, en même temps que la charge de vice-chancelier, son propre palais. Le palais Borgia devient ainsi, pour quelques décennies, le palais de la Chancellerie. Il prend le nom de Vecchia Cancelleria lorsque les services administratifs déménagent en 1517 au palais Riario. À partir de cette date, les nouveaux chanceliers obtiennent systématiquement lors de leur nomination ce dernier palais attaché au prestigieux titre cardinalice de San Lorenzo in Damaso. Avec la Chancellerie, la Chambre apostolique est un des plus anciens organes administratifs de l’Église. Vicaire du pape au temporel, le camérier ou camerlingue est en charge des finances et de l’administration des biens et des revenus de l’Église ; il reçoit un serment de fidélité de la part de tous les officiers de la Curie260. Sa charge est certainement plus rémunératrice que celle du vice-chancelier, mais presque impossible à mesurer tant les opportunités d’enrichissement sont diverses261. Le dernier des trois grands offices est un peu moins prestigieux que les deux précédents, car il n’implique pas de responsabilités temporelles262. Malgré tout, à l’instar du vice-chancelier, le grand pénitencier touche un salaire annuel de 6 000 ducats263.
135Ces trois grands offices font par conséquent l’objet d’une compétition féroce entre les cardinaux pour s’en emparer. Ils sont rarement libres puisque les titulaires sont nommés à vie. Lorsque Raffaele Sansoni Riario est déchu de ton titre de camerlingue en 1517, après avoir occupé cette charge pendant trente-quatre ans, Francesco Armellini le remplace temporairement en payant 15 000 ducats à Léon X. Lorsque le cardinal Riario meurt, le 9 juillet 1521, l’office est remis en jeu et les candidats se livrent une intense bataille pendant plusieurs mois pour l’obtenir. Marino Sanudo rapporte plusieurs dépêches de l’ambassadeur vénitien à Rome qui nous en apprennent plus sur les rebondissements de la succession. Par exemple, quelques jours après la mort du cardinal l’oratore affirme qu’« il y a du grabuge autour de l’office de camerlingue qu’il [le cardinal Riario] possédait. Le cardinal Cybo le voudrait, mais le cardinal Armellini a offert au pape 50 000 ducats, et le très révérend Médicis [Giulio de Médicis] le voudrait aussi pour lui264 ». Dans un premier temps, l’office est vendu au cardinal Innocenzo Cybo, un neveu du pape Médicis, pour 40 000 ou 50 000 ducats. Mais Armellini fait finalement une enchère à 70 000 ducats et parvient à conserver le poste. Ce sont des investissements qui sont certainement gagnant sur le long terme pour les promus, tant politiquement que financièrement.
136Il est très difficile au total de ventiler la provenance des revenus des cardinaux. Les données sont extrêmement parcellaires et les chiffres varient considérablement selon les sénateurs et selon les périodes. Cependant, les chiffres conservés laissent plutôt penser que les cardinaux tirent la majorité de leurs revenus de leurs bénéfices et de leurs ressources familiales pour ceux qui sont issus de lignages aisés, même s’il est difficile de faire la part de l’une et l’autre source pour les cardinaux de la plus haute aristocratie. Le patriarcat d’Aquilée représente à lui seul un revenu annuel supérieur à 10 000 ducats, certains grands diocèses en France encore davantage265. Tous ces revenus servent à alimenter des dépenses éphémères, mais elles permettent également de structurer des patrimoines importants.
Une hiérarchie patrimoniale
137Les revenus et les patrimoines des cardinaux sont étroitement liés. Le patrimoine, défini comme l’ensemble des biens des porporati, forme d’ailleurs, dans certains cas, une source de revenus, par exemple par le biais d’une propriété foncière mise à ferme. Au contraire, dans d’autres cas, le patrimoine d’un cardinal est structuré grâce aux revenus qu’il reçoit, notamment de la part de l’Église. Il est également parfois constitué par des donations et des legs provenant de sa parenté ou des dirigeants séculiers de la chrétienté. En ce qui concerne les biens ecclésiaux que les cardinaux reçoivent en gestion, ils n’en ont généralement pas la pleine propriété mais uniquement la jouissance, toutefois cette distinction reste assez floue dans la pratique au XVe siècle266. Dès lors, quelle est la composition des patrimoines cardinalices du Quattrocento ?
138Le patrimoine immobilier des cardinaux forme généralement la plus grosse part de leur fortune. Il peut être décomposé en trois parties distinctes : leur résidence principale, leurs éventuelles résidences secondaires et de potentiels investissements immobiliers. Ces derniers sont généralement mis en valeur par la location (terrains agricoles, moulins, ateliers, boutiques, immeubles, palais, etc.)267.
139La résidence principale constitue l’essentiel de ce patrimoine, puisqu’elle concerne par définition tous les cardinaux, contrairement aux deux autres types de biens cités. Elle forme aussi souvent la part symbolique la plus importante de leurs possessions : elle doit condenser et exhiber les richesses, la magnificence et la libéralité du sénateur de l’Église268. Les résidences cardinalices sont donc généralement très bien documentées et ont donné lieu à une bibliographie foisonnante269.
140Ces résidences principales se situent dans la Ville Éternelle pour tous les cardinaux qui vivent auprès de la Curie270. Le patrimoine résidentiel romain des cardinaux est en grande partie restauré et reconstruit au cours du Quattrocento, les sénateurs de l’Église se conformant en cela à la politique entreprise par les papes. Lorsque la cour pontificale se sédentarise à Rome au XVe siècle, les papes tentent de réhabiliter l’Urbs, et, dans un premier temps, ils insistent sur les basiliques romaines. Les humanistes et les pontifes, à la suite d’une longue tradition médiévale, jouent souvent dans leurs discours et leurs écrits sur l’analogie littéraire entre l’effondrement de l’Église pendant le Grand Schisme et celui des églises à la même période271. La lamentation sur l’état de délabrement dans lequel serait tombé l’Urbs devient un topos chez les humanistes romains du début du XVe siècle272. Les papes, de la même manière qu’ils tentent de résoudre le premier mal par la réforme, proposent de guérir le second par des chantiers de restauration. La reconstruction des églises romaines et, plus largement, la renovatio Urbis vont alors de pair avec la renaissance de l’Église273. Selon Giannozzo Manetti, Nicolas V utilise lui-même explicitement cette association d’idées dans le discours qu’il tient aux cardinaux avant sa mort274. Les papes développent alors de vastes projets de rénovation urbaine pour la capitale de la chrétienté et adoptent un arsenal législatif en ce sens275. Les jubilés organisés à Rome en 1425, en 1450, en 1475 et en 1500 marquent autant d’étapes décisives dans cette entreprise276. Les papes se concentrent alors sur l’embellissement des édifices romains les plus importants, en particulier les basiliques majeures et les palais pontificaux.
141En dehors de ces importants chantiers, ils délèguent largement aux cardinaux la tâche de rénover les bâtiments de la Ville. Ce mouvement est initié dès le pontificat de Martin V et se poursuit notamment sous celui de Nicolas V277. Les campagnes de rénovation touchent en priorité les complexes titulaires confiés aux cardinaux-prêtres et diacres, composés d’une église, mais aussi généralement d’une résidence, et éventuellement d’un monastère278. La promotion cardinalice du 20 décembre 1448 semble par exemple spécifiquement dédiée à la restauration des églises titulaires du rione Monti ; tous les cardinaux sont nommés dans la même zone, entre San Pietro in Vincoli et Santa Susanna (carte 1)279. La plupart des titres romains ont été laissés à l’abandon pendant la période avignonnaise (1309-1378) et le Grand Schisme (1378-1417). La taille du collège s’accroissant après leur retour à Rome, les papes sont contraints de nommer des cardinaux sur des titres aux bâtiments vétustes, parfois délaissés depuis plusieurs décennies.
142Parallèlement, l’usage d’une résidence en adéquation avec la dignité cardinalice, c’est-à-dire un palais, est une attente forte des contemporains du Quattrocento. Paolo Cortesi souligne dans son De cardinalatu (1510) que la décoration extérieure choisie pour les palais des cardinaux devra « éblouir les yeux du peuple par sa digne splendeur » plutôt qu’« inspirer du mépris par son apparence modeste », car, explique-t-il, « la multitude ignorante est habituellement menée par ses sens plutôt que par une réflexion rationnelle »280. Aux yeux de l’auteur, les membres du Collège doivent posséder, ou au moins habiter, un palais fastueux pour asseoir leur autorité sur le peuple romain. Les attentes du popolo et du souverain pontife entrent souvent en résonance avec les goûts personnels pour le luxe et le faste de certains sénateurs de l’Église, ou avec leur inclination pour le patronage architectural ou leurs désirs de grandeur281.
143La réalité qui se cache derrière le mot de palatium doit toutefois être nuancée, au moins pour le début du Quattrocento. Dans bien des cas, ce terme désigne seulement une série de bâtiments plus ou moins reliés les uns aux autres. L’idée d’un vaste édifice monolithique et cohérent apparaît de manière très progressive dans la seconde moitié du XVe siècle282. Les palais se déclinent alors selon les milieux sociaux concernés283. Ainsi le palais cardinalice est-il codifié graduellement ; son canon est finalement fixé de manière précise par Paolo Cortesi, qui y consacre un chapitre entier de son œuvre284. Ce dernier détaille sur le plan formel les conditions que doit remplir le palais d’un porporato : sa situation dans Rome, la description extérieure et intérieure du palais, la liste des pièces contenues dans le bâtiment, leur emplacement, la place des escaliers, etc.285. L’auteur imagine le palais idéal, mais s’inspire également des quelques exemples de grands chantiers palatiaux orchestrés par les sénateurs de l’Église dans la seconde moitié du XVe siècle.
144De nombreuses logiques peuvent prévaloir chez les cardinaux pour obtenir de telles résidences. Quelques privilégiés, ceux qui font partie du premier cercle des conseillers du pape, sont parfois logés au palais apostolique286. Les sources elles-mêmes les qualifient de cardinaux palatins287. Les cardinaux d’origine romaine ou quelques rares cardinaux issus de lignages puissants peuvent habiter dans les palais et les maisons que leur famille possède dans la Ville Éternelle288. D’autres se contentent de louer un palais dont ils ne sont pas les propriétaires, de manière temporaire dans certains cas289. Quelques cardinaux obtiennent un palais en l’achetant tout simplement sur le marché immobilier romain. Parfois, les porporati agrandissent une maison qu’ils possèdent en propre ou qui est attachée à un de leurs bénéfices ou à une de leurs dignités ecclésiastiques et la transforment en un palais. Dans des cas peu fréquents, mais de plus en plus nombreux au début du XVIe siècle, ils construisent ex nihilo un nouveau lieu de résidence sur un terrain vierge ou après avoir détruit un bâtiment préexistant290. Cependant, dans la majorité des cas au XVe siècle, les cardinaux vivent encore dans le logement attaché à leur titre cardinalice, qui prend souvent la forme d’un palais. Ils ne le possèdent donc pas en bien propre mais en ont la jouissance. Dans de rares cas, comme à San Clemente, les complexes titulaires ne comprennent pas de logements pour les cardinaux, et ce sont parfois les couvents attachés au complexe qui réservent des chambres à l’usage du cardinal291. Mais la plupart des titres disposent d’un palais et l’essentiel des cardinaux, encouragés par les papes, se logent sur place et rénovent si nécessaire les bâtiments.
145De la même manière que les souverains pontifes semblent souvent plus intéressés au XVe siècle par le palais du Vatican, dans lequel ils s’installent définitivement à partir de Nicolas V (1447-1455), que par la basilique Saint-Pierre, ce sont plutôt les palais des complexes titulaires qui bénéficient de l’essentiel de l’investissement en temps et surtout en argent des sénateurs de l’Église292. La priorité est rarement donnée aux églises, sauf lorsque celles-ci sont dans un tel état de délabrement qu’elles menacent de s’écrouler293. Le cas du titre de San Lorenzo in Damaso est emblématique. Les travaux entrepris par Raffaele Sansoni Riario pour construire le palais connu aujourd’hui comme celui de la Chancellerie s’étendent de 1487 à 1513. Ce n’est qu’en 1501 que les travaux concernant l’église débutent et ils commencent par sa destruction pure et simple qui laisse davantage de place pour la résidence du cardinal294. Elle est finalement reconstruite quelques mètres plus au nord, totalement englobée dans le palais, à la manière d’une chapelle palatiale295. Rien ne laisse deviner la nouvelle basilique dans la façade monumentale, à l’exception d’un deuxième porche, plus modeste que celui de la cour du palais. La mention épigraphique qui court sur le mur met d’ailleurs sur un pied d’égalité l’église et le palais296. La résidence du cardinal couvre un espace de 3 000 mètres carrés tandis que l’église n’en compte que 700, ce qui témoigne des priorités de Raffaele Riario. Néanmoins, tous les porporati n’ont pas nécessairement les ressources financières pour effectuer de grands travaux comme le cardinal et tous les complexes titulaires ne se valent pas.
146Les logiques de localisation des palais dans Rome recoupent souvent le mercato des titres sur lequel le pontife garde la main. Cependant, lorsque les cardinaux tentent d’interférer dans ce processus, ou lorsqu’ils construisent ex nihilo leur propre palais, ils essayent plutôt de résider dans la boucle du Tibre qui forme l’épicentre démographique, économique et culturel de la cité297. Les rioni les plus peuplés offrent également l’avantage de se situer à proximité du Vatican, où les sénateurs se rendent plusieurs fois par semaine. Par conséquent, cette zone est sujette à une très forte tension immobilière, et les cardinaux peuvent connaître des difficultés à se loger comme ils le souhaitent. Francesco Gonzague ne trouve ainsi pas de logement qui lui convienne pendant les six premières années de son cardinalat. Il obtient finalement en 1467 le prestigieux titre de San Lorenzo in Damaso, qui comprend une résidence adéquate, avant que Raffaele Riario ne la détruise pour construire son palais298. En parallèle, le cardinal mantouan achète rapidement une villa d’été sur le Quirinal, à proximité de Sant’Agata dei Goti. Paradoxalement, il semble que l’acquisition d’une résidence secondaire est souvent plus aisée pour les cardinaux, puisqu’ils recherchent alors la quiétude en périphérie de la Ville. Mais ces villas restent trop petites et trop éloignées du centre pour leur servir de résidence en dehors de leurs périodes de villégiature. La possession de telles résidences secondaires est courante chez les cardinaux du XVe siècle299. Parmi les plus connues, la casina du cardinal Bessarion est située sur l’ancien carrefour de la via Appia et de la via Latina, même si elle ne conserve plus aujourd’hui de souvenirs du passage de son ancien propriétaire300.
147Parfois, ce sont les monastères périurbains qui accueillent les cardinaux loin des tourments et de l’agitation de l’Urbs. Le monastère de San Saba, confié à Francesco Todeschini Piccolomini le 26 mars 1463, joue probablement ce rôle ; le cardinal s’y retire sans doute l’été301. Ces résidences secondaires peuvent faire l’objet d’investissements importants. En 1499, le cardinal siennois a déjà dépensé 4 000 ducats dans la fabrique de l’abbatiale302. Un peu plus tard dans sa carrière, en 1492, Francesco hérite de la villa Sinibaldi, qui lui sert par la suite de résidence secondaire à proprement parler303.
148Si les cardinaux prennent le temps de rechercher des résidences en adéquation avec leur rang, s’ils investissent leur argent dans leur entretien, la structure architecturale du bâtiment et l’image renvoyée par les façades sont loin d’être leurs seuls sujets de préoccupation. Le plan général des palais cardinalices occupe certes l’essentiel du chapitre De Domo du traité de Paolo Cortesi, cependant, la place réservée à la décoration intérieure est deux fois plus importante que celle dédiée à l’ornementation extérieure304. Les cardinaux accordent donc une importance toute particulière au décorum intérieur de leur palais. Ils se conforment ainsi aux habitudes aristocratiques du temps et ne s’en distinguent que très marginalement305. Si l’auteur du De cardinalatu insiste sur les décors picturaux des palais, les porporati du Quattrocento semblent surtout sensibles à la matérialité de l’ornementation intérieure dans leur résidence. En ce sens, Ascanio Maria Sforza donne une description frappante du palais Borgia dans une lettre qu’il envoie à son frère, Ludovic le More, le 22 octobre 1484 :
Moi et Parme [le cardinal Giovanni Giacomo Schiaffinati] sommes allés à la maison du vice-chancelier qui nous a donné à dîner, laquelle est honorable, bien ordonnée et somptueuse. La maison était superbement décorée ; la première salle est ornée tout autour de tapisseries historiées ; à droite, un autre salon est lui aussi complètement entouré d’autres tapisseries, très belles, avec des tapis bien assortis aux autres ornements, un lit et un baldaquin tous deux ornés de satin cramoisi, et là il y avait une crédence toute pleine de vases d’argent et d’or, très bien travaillés, ainsi que d’autres plats, assiettes et de la vaisselle en grand nombre, chose très belle à voir ; et après celle-ci il y avait deux autres chambre, l’une parée de très nobles satins et de tapis avec un autre lit à baldaquin de velours d’Alexandrie et l’autre, beaucoup plus décorée que les autres pièces, avec un autre lit couvert de brocard d’or et une couverture de zibeline avec une frange d’or, aussi ornée que possible, avec au milieu une table couverte de velours d’Alexandrie et des chaises très ornementées et bien assorties au reste306.
149Cette description témoigne du goût du cardinal Borgia pour les riches étoffes et les matières précieuses. C’est un penchant que partagent beaucoup de cardinaux et plus généralement l’ensemble des élites italiennes de la fin du Moyen Âge307. La plus haute aristocratie de la péninsule découvre, à la fin du XIVe siècle, les plaisirs de la consommation, du luxe et de l’accumulation des biens de valeur. Le phénomène ne cesse de croître pendant tout le XVe siècle et se diffuse progressivement aux élites citadines308. L’appétence pour ce qu’Ilaria Taddei appelle l’« utile superflo309 » se développe alors. Il s’agit de se distinguer socialement par la consommation.
150Les princes de l’Église issus des milieux aristocratiques importent dans le Sacré Collège ces pratiques, qui deviennent en parallèle un moyen de s’y assimiler pour les cardinaux d’extraction plus humble. Cette nouvelle forme de consommation offre en effet la possibilité à des familles d’origine modeste, comme les Borgia, de valider leur nouveau statut social. La forte impression produite sur Ascanio Maria Sforza joue certainement un rôle décisif, huit ans plus tard, dans les tractations qui accompagnent le conclave de 1492. Rodrigo Borgia promet non seulement le palais au cardinal milanais en échange de son vote, mais aussi tout son mobilier et toute sa décoration310.
151Il semble possible de dresser une liste assez exhaustive du type d’objets composant les patrimoines cardinalices, ou plus exactement de ceux qui sont dignes d’être cités, à travers leurs testaments et plus encore leurs inventaires après décès qui ont parfois été conservés311. Ils font apparaître un ensemble hétéroclite de possessions : de l’argenterie, des meubles, des étoffes en tous genres, des pierres précieuses, des chevaux, des livres, des animaux domestiques ou exotiques, des objets scientifiques (horloges, astrolabes, boussoles, etc.), des médailles, des antiques, des œuvres d’art, des objets liturgiques312. Ces objets d’exception servent avant tout à souligner le rang de ceux qui les détiennent313.
152Ces biens ne diffèrent d’ailleurs presque pas de ceux que possèdent les grands aristocrates séculiers de la péninsule italienne à la même époque, à quelques différences près. Les cardinaux disposent même régulièrement d’armes, ce qui leur est pourtant interdit en théorie par le droit canon. Benedetto Accolti apparaît comme un véritable collectionneur de ce point de vue. Son inventaire après décès (1549) en dénombre plus de soixante-dix : les épées et les arquebuses précieuses s’y mêlent aux arcs et aux arbalètes. L’inventaire compte même « un épervier de race » pour la fauconnerie, alors que la chasse est, elle aussi, formellement interdite aux ecclésiastiques314. Sans suprise, les parements et la vaisselle liturgiques sont très nombreux dans les inventaires des sénateurs, ce qui est aussi parfois vrai dans les testaments des laïcs315. Il en va de même pour les livres, biens de consommation dans lequel les cardinaux investissent massivement, formant ainsi des bibliothèques très importantes316. Des cardinaux peu connus pour leur activité intellectuelle, à l’instar de Rodrigo Borgia ou de Francesco Gonzague, les accumulent pourtant en grand nombre317. Il s’agit avant tout de marqueurs socio-économiques importants. La plupart du temps, les sénateurs les estampillent de leurs armes pour rappeler à tous leur propriété318. Le livre est considéré comme un bien matériel à collectionner, au même titre qu’une patène en or ou un marbre antique.
153Les cardinaux apparaissent en effet comme de grands collectionneurs et mécènes artistiques, en particulier dans la seconde moitié du Quattrocento. Leurs collections privées et, plus généralement, leur goût pour les œuvres d’art ont donné lieu à une abondante bibliographie319. Celle-ci s’appuie notamment sur les inventaires spécifiques de ces collections qui ont parfois été conservés, comme celui du cardinal Pietro Barbo, le futur Paul II320.
154Les cardinaux participent donc clairement au mouvement de croissance de la consommation qui touche l’aristocratique occidentale à la fin du Moyen Âge. Leur goût pour la possession de biens précieux s’affirme et les objets eux-mêmes indiquent souvent leur propriétaire. L’exemple du diptyque Querini, pièce majeure de la collection de Pietro Barbo, est à ce titre saisissant (fig. 3)321. Ce diptyque en ivoire du Ve siècle est aujourd’hui conservé au musée Santa Giulia de Brescia. Il représente sur la tablette gauche Diane et Endymion, tandis que Phèdre et Hippolyte sont sculptés en bas-relief sur la tablette droite. Son acquisition par le futur cardinal témoigne du goût pour l’Antiquité typique de la Renaissance italienne. Les cardinaux s’inscrivent pleinement dans ce mouvement. Mais cette admiration pour les temps anciens n’empêche pas le prélat vénitien de modifier radicalement l’objet, puisqu’une inscription sur le dos de la tablette droite précise : « Mon propriétaire Pietro Barbo, de la noble race nourricière des Vénètes, votre évêque consacré de Vicence, est diverti par l’amour de ces œuvres et par leur finesse322. » De manière plus classique, le pape fait également apposer quatre fois ses armes familiales dans les coins supérieurs des tablettes à la manière d’un ex-libris.
Figure 3. Diptyque Querini, Ve siècle. Brescia, Museo di Santa Giulia (© Archivio Fotografico Civici Musei Brescia / Fotostudio Rapuzzi).

155Les armes de la famille sont présentes sur beaucoup de biens et fonctionnent comme un signe de possession. Elles marquent autant les bâtiments que les œuvres d’art, les médailles, les bijoux, les tapisseries, les étoffes, les livres, les mouchoirs, la vaisselle ou les vases sacrés. Ce signe participe d’ailleurs à l’identification des objets, puisque les inventaires et les testaments précisent généralement la présence des blasons sur les objets qui les portent. Par exemple, dans la première section de l’inventaire des biens de Lorenzo Cybo di Mari, consacrée à sa vaisselle, seize objets sur quarante-quatre sont mentionnés comme arborant les armes du cardinal323. Il s’agit peut-être des pièces les plus importantes, car les armes sont surtout présentes sur les premiers items listés. Kate J. P. Lowe remarque également dans les livres de comptes de Francesco Armellini de Médicis que les mentions d’élaboration de blason sur toute surface et en tout matériau sont légion324. Tout objet qui a pu appartenir à un cardinal est susceptible de porter son blason. Les armes fonctionnent alors comme des marqueurs de possession qui permettent d’identifier des objets autant à un individu qu’à sa famille : elles montrent « que les objets n’ont pas qu’un sens individuel325 ».
156Ces marques de possession peuvent donc prendre une forme héraldique, mais elles peuvent également être figuratives. En certaines occasions, les sénateurs deviennent eux-mêmes les principaux sujets des créations qu’ils suscitent, et cela se manifeste aussi bien dans la sculpture que dans la peinture326. Ce phénomène touche peut-être d’abord les Flandres et l’Italie, où se développe l’art du portrait, mais s’étend assez rapidement au reste de l’Europe. Par exemple, Lucas Cranach l’Ancien peint plusieurs tableaux représentant le cardinal Albert de Brandebourg (1518-1545). Le prélat du Saint-Empire apparaît sur certaines peintures comme le commanditaire d’une œuvre pieuse, mais d’autres en font leur principal sujet.
157Sur l’un de ces tableaux, il est dépeint en saint Jérôme à sa table de travail (fig. 4). La représentation de sa salle d’étude correspond à un décor partiellement fantasmé et symbolique : les bêtes sauvages sont là pour en témoigner. La présence du lion est une référence explicite au thème iconographique hiéronymien de la traduction de la vulgate. La peinture, dont il existe deux versions réalisées à un an d’intervalle – la version la plus tardive de 1526 a ici été retenue –, est d’ailleurs inspirée d’une gravure de Dürer représentant saint Jérôme dans une disposition assez similaire327.
Figure 4. Lucas Cranach l’Ancien, Albert de Brandebourg en saint Jérôme, 1526. Sarasota, The John and Mable Ringling Museum of Art (© Collection of The John and Mable Ringling Museum of Art – The State Art Museum of Florida, Florida State University).

158L’exemple d’Albert de Brandebourg est d’autant plus significatif que celui-ci a subi la foudre de Luther et de ses disciples. Fils du prince-électeur de Brandebourg, issu de la très riche et très noble maison Hohenzollern, trafiquant d’indulgences, il est souvent dénoncé comme le modèle du prélat cupide décrié par la Réforme. Il est intéressant de noter la présence sur le tableau de plusieurs catégories de biens matériels typiquement cardinalices. Que certains des biens qui apparaissent dans l’œuvre de Cranach soient reproduits à partir de la gravure de Dürer n’enlève rien au propos. Le graveur de Nuremberg a certainement, lui aussi, projeté au moins partiellement l’image des cardinaux du Quattrocento sur le Père de l’Église.
159La présence de petits blasons insérés aussi bien dans le décor en bois qui surplombe l’étagère que dans le lustre à chandelles fait de bois de cerf rappelle explicitement que nous nous trouvons chez le cardinal et que les biens qui l’entourent sont sa propriété. Un putto porte une représentation complète des armes d’Albert de Brandebourg, tandis que les autres blasons ne portent que certaines partitions des armes Hohenzollern. Quatre d’entre elles pendent du lustre comme un mobile au-dessus du cardinal à sa table d’étude.
160La desserte au premier plan est recouverte d’une étoffe foncée sur laquelle sont posés, à la manière d’une nature morte, des fruits et des pommes de pin grignotées par un écureuil. Ce qui frappe cependant, c’est la tenue pourpre et plissée du cardinal et son galero aux imposantes houppes jetés avec négligence sur la table dans un désordre savamment composé. Un perroquet s’est posé non loin du porporato ; il ferme son bec à l’aide d’une de ses pattes, comme si la posture hiératique du prélat lui imposait le silence. Néanmoins, la présence de l’oiseau n’est pas que symbolique : elle est révélatrice du goût des cardinaux et, plus largement, des aristocrates de l’époque, pour ces animaux exotiques328. Le cardinal de Brandebourg possédait lui-même un tel oiseau qui aurait eu la particularité de savoir dire Ave, le premier mot de la prière adressée à la Vierge par l’archange Gabriel329. Ce n’est pas le seul cardinal à posséder un tel animal. Le consistoire secret se tient à la fin du XVe siècle dans la salle dite du papagallo, du fait que les papes y auraient installé un perroquet dans les années 1460330. Les contemporains racontent également qu’Ascanio Maria Sforza détenait un perroquet capable de réciter le Credo331 ! Le sablier présent sur l’œuvre de Cranach peut être considéré comme un memento mori, il n’en constitue pas moins un objet scientifique de cabinet de curiosités dont les cardinaux sont friands. Plusieurs objets de dévotion rappellent les devoirs religieux du prélat : un crucifix sur la table, un ciboire et un chandelier dorés sur l’étagère. Outre l’ouvrage que le cardinal est en train de consulter, trois livres sont disposés sur la table et quatre autres sur l’étagère. Avec le plumier et le lutrin, ils font référence au labeur hiéronymique. Cependant, les différents angles sous lesquels les reliures sont représentées mettent en valeur leur richesse et montrent une sensibilité à la valeur esthétique et économique des biens de consommation que constituent les codices. L’art à la mode ne semble pas oublié avec la Vierge à l’Enfant de facture italienne qui trône à côté de la fenêtre. C’est une œuvre de dévotion visiblement personnelle, mais ce genre de peinture est aussi régulièrement commandé par les élites européennes pour orner des espaces sacrés.
161Les sénateurs de l’Église se conforment eux aussi à cette pratique. Ils confient alors les tableaux qu’ils commandent à une fondation religieuse, une église ou un monastère, pour orner un de leurs autels. Les sénateurs n’en sont donc plus les détenteurs après leur don. Toutefois, leurs liens avec ces retables sont complexes et doivent être interrogés. Malgré leur destination religieuse, ces objets comportent souvent des marques qui les renvoient explicitement aux détenteurs de la pourpre. Ils participent à ce que Richard A. Goldthwaite appelle un mouvement de « privatisation de l’espace liturgique », qui existe depuis le IIIe siècle, mais qui se serait accéléré à partir du XIIIe siècle en Italie et qui aurait eu un impact sur l’architecture des églises, en particulier dans les reconstructions du Quattrocento332. En effet, de très nombreuses marques de propriété apparaissent dans les édifices religieux, en particulier dans les chapelles latérales, dans les derniers siècles du Moyen Âge. Les cardinaux sont des acteurs de premier plan de ce mouvement au Quattrocento. Ces signes qui permettent d’identifier les commanditaires des œuvres correspondent en premier lieu à la volonté de perpétuer le souvenir d’une pieuse donation et d’assurer ainsi une part de son salut. Mais les marques apposées, tant peintes que sculptées, peuvent également être considérées comme une volonté de s’approprier un espace sacré, au moins sur le plan symbolique. Elles peuvent consister en des représentations des armes de la famille voire en des portraits des donateurs eux-mêmes.
162La représentation du cardinal Oliviero Carafa sur la célèbre Annonciation qu’il commande à Filippino Lippi manifeste non seulement sa piété, mais participe également à une appropriation de toute la chapelle décorée par l’artiste à Santa Maria sopra Minerva entre 1488 et 1493 (fig. 5)333. Le cardinal Carafa devient protecteur de l’ordre des Prêcheurs en 1478 et favorise notamment la Minerve qui en est l’un des principaux couvents romains334. Le sénateur est présenté à la Vierge par le dominicain saint Thomas d’Aquin (la chapelle leur est dédiée à tous les deux comme le rappelle l’inscription sur le linteau arqué de l’entrée). La structure de la fresque est complexe. Le cardinal Carafa est représenté en prière, à genoux et les mains jointes, dans un studiolo imaginaire. Son regard se porte, comme saint Thomas, vers la colombe, symbole de l’Esprit Saint, plutôt que vers la Vierge qui le bénit. La Madonne semble en effet se détourner de l’ange, même si son regard se dirige de son côté. La représentation du cardinal est doublée par la présence de ses armes, de bandes de gueules et d’argent, au centre du plafond à berceau du couloir, à gauche de la peinture. Le même blason est représenté dans la chapelle de la Minerve – au-dessus des pilastres en trompe-l’œil sur le mur du fond, à la croisée d’ogives et au faîte de l’arc qui surplombe le mur latéral gauche –, créant ainsi une mise en abîme avec l’œuvre de Lippi. Ces éléments concourent à une personnification symbolique de l’espace de la chapelle par le cardinal.
Figure 5. Filippino Lippi, Annonciation, 1488-1493. Rome, Santa Maria sopra Minerva, chapelle Carafa (© FEC / cl. Peter1936F).

163Aucun espace de l’église n’échappe à ce phénomène d’appropriation, même les plus sacrés d’entre eux. Il n’est pas rare au XVe siècle que des cardinaux commissionnent des maîtres-autels ou même, plus spécifiquement, des tabernacles qui représentent leurs armes. Le Saint des Saints est alors investi de la présence de son donateur à côté de celle du Sauveur. Les tabernacles de San Marco et de Santa Maria del Popolo en sont des exemples connus, car ils ont été réalisés par de grands sculpteurs de la Renaissance : Giovanni Dalmata et Mino da Fiesole pour l’un et Andrea Bregno pour l’autre. Le premier porte les armes de Marco Barbo et répond sûrement à sa sépulture voisine, car il devait être placé à l’origine dans le transept droit335. À la présence des armes s’ajoute donc celle de la dépouille ; elles font de cet espace de la basilique une chapelle semi-privée. Le second porte également les armes de ses commanditaires – Vannozza Catanei et les Borgia –, et sa structure n’est pas sans rappeler les monuments funéraires de l’époque336. Parfois, la présence du cardinal s’individualise encore davantage et est d’autant plus frappante. Le cardinal français Guillaume d’Estouteville commande par exemple à Mino da Fiesole un nouvel autel pour abriter le corps de saint Jérôme à Sainte-Marie-Majeure, achevé en 1461, dans lequel il fait placer son propre portrait sculpté en buste337.
164Richard A. Goldthwaite ajoute que le même processus d’appropriation peut être observé pour les objets liturgiques, dont la production aurait crû depuis le début du XIIIe siècle en Italie338. Les cardinaux qui en sont les détenteurs privilégiés ont une tendance à accaparer au Quattrocento ces objets sacrés, par exemple des calices, en les frappant de leurs armes339. Cette même remarque vaut pour les reliquaires, qui apparaissent souvent dans les inventaires des détenteurs de la pourpre340. Ces objets liturgiques précieux et luxueux sont régulièrement mis en gage par les sénateurs de l’Église pour obtenir des prêts. C’est une pratique commune dans l’élite italienne du temps : les aristocrates déposent eux aussi leurs bijoux non montés et leur argenterie chez des prêteurs, car ce sont des biens de grande valeur et facilement transportables341. Dans le cas des cardinaux, la sacralité de certains de ces objets ne semble pas avoir posé de problème particulier. Les pontifes participent eux-mêmes à ce mouvement : Jules II n’hésite pas à déposer la tiare de Paul II en gage auprès de la famille Chigi342.
165La question des liquidités est centrale dans la structuration du capital des cardinaux, car elles viennent souvent à leur manquer. Francesco Gonzague est ainsi en recherche constante d’argent liquide à partir de 1462, lorsque Pie II le pousse à acheter une maison à Pienza et à contribuer à l’effort de guerre contre Sigismondo Malatesta343. Il emprunte notamment aux Médicis et aux Maffei344. Le cardinal mantouan possède une belle collection de pierres précieuses, qui constitue un patrimoine semi-liquide très utile ; en 1479, il a plusieurs bijoux en gage à Venise que son créditeur menace de vendre345. Au moment de sa mort, sa collection de gemmes, ses vases en pierres dures et ses livres servent à payer ses dettes346.
166Ce n’est pas un cas isolé dans le Sacré Collège347. David S. Chambers cite de nombreux exemples de cardinaux débiteurs à leur mort348. Les princes de l’Église ne sont évidemment pas pauvres dans l’absolu349. Pour autant, leurs revenus et leur patrimoine ne semblent pas toujours avoir été en adéquation avec leur train de vie très dispendieux. Le Sénat cardinalice compte cependant quelques individus très fortunés, comme Ascanio Maria Sforza, dont la fortune s’élève au moins à 150 000 ducats avant son emprisonnement en France au début de l’année 1500350. Même des cardinaux d’origine plus modeste peuvent s’enrichir : Ludovico Trevisan est considéré à son époque comme le deuxième homme le plus riche de l’Italie après Cosme de Médicis, au point d’être surnommé « cardinal Lucullus » à la Curie. Selon les sources, il aurait laissé à sa mort, en 1465, entre 200 000 et 600 000 ducats351. Plusieurs auteurs pointent des disparités socio-économiques croissantes dans le Collège à partir de la toute fin du XVe siècle : à côté de quelques individus très fortunés, la majorité des cardinaux s’appauvrissent352.
Tentatives de typologie des cardinaux
167Évaluer le niveau de richesse de chaque cardinal du Quattrocento relève du défi, car les données sont extrêmement lacunaires et désignent rarement les mêmes réalités. Il en va de même pour l’évaluation des revenus des cardinaux. Certains d’entre eux enregistrent une comptabilité, mais ce qui relève de l’administration de l’Église n’est jamais séparé clairement de ce qui relève des finances propres des cardinaux353.
168Un document intéressant pour évaluer les disparités de revenus des porporati a cependant été conservé. Au printemps 1501, le pape Alexandre VI prélève une taxe sur tous les officiers de la Curie, notamment les cardinaux, pour lever une flotte contre les Turcs. Le rôle indique la somme que chaque individu doit verser, à savoir 10 % de ses revenus annuels. Jean Burchard, qui s’érige pour cette fois en Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, en dresse la liste354. Cependant, toutes les sources de rémunération ne semblent pas avoir été prises en compte. Marco Corner, élevé à la pourpre le 28 septembre de l’année précédente avec neuf autres prélats, est considéré comme n’ayant aucune ressource financière. Certes, il ne possède pas encore de bénéfices consistoriaux, mais il est déjà protonotaire apostolique355. Peut-être est-il taxé à hauteur de 300 ducats, comme les autres personnages qui occupent cette charge. Fryderyk Jagiellończyk, Pierre d’Aubusson et Tamás Bakócz sont exemptés car ils participent eux-mêmes à la guerre, leurs ressources financières ne sont donc pas connues. Pour le reste, les rétributions des cardinaux s’échelonnent de 2 000 ducats, pour huit cardinaux, jusqu’à 30 000 pour Ascanio Maria Sforza. Le revenu moyen s’élève à un peu plus de 8 000 ducats par an. Le simple fait que de nombreux cardinaux apparaissent comme touchant les mêmes revenus et qu’il s’agisse systématiquement de sommes rondes montre que ce sont des approximations. Il est vraisemblable que cette liste corresponde davantage à la perception que les contemporains avaient de la richesse de chaque cardinal qu’à la réalité, même si celle-ci n’en était pas nécessairement très éloignée356.
169Dans tous les cas, l’évaluation des niveaux de revenu ne semble pas constituer une typologie socio-économique satisfaisante. Certains sénateurs sont davantage portés vers la thésaurisation, d’autres préfèrent dépenser leur argent dans des projets somptuaires ; les niveaux de richesse ne reflètent pas nécessairement le rôle social de chacun des cardinaux. Mieux vaut considérer, avec Sacha Guitry, qu’« être riche, ce n’est pas avoir de l’argent, c’est en dépenser357 ». Par conséquent, peut-être faut-il se tourner vers le train de vie des cardinaux, plutôt que vers leurs revenus et leurs capitaux, pour en dresser une typologie socio-économique plus satisfaisante.
Les familles cardinalices : un bon indicateur de richesse ?
170Selon certains auteurs, un bon critère d’évaluation des niveaux de dépense des élites de la fin du Moyen Âge et du début de l’époque moderne pourrait être la taille de leur cour. Or, les cardinaux de la Renaissance sont entourés d’une maison, appelée dans les sources familia, c’est-à-dire l’ensemble des hommes qui dépendent d’eux, notamment leur domesticité. Les sénateurs doivent assurer le gîte, le couvert, la protection et la faveur de leurs familiers, qui doivent en retour garantir à leur maître leur fidélité, leur soutien et leurs services358.
171La maison cardinalice se rapproche de la cour seigneuriale, mais s’en distingue par plusieurs éléments relevés par Paolo Cortesi, qui y consacre un chapitre du De cardinalatu : une faible présence de femmes et d’enfants, l’entretien d’une chapelle, un plus grand nombre de clercs et la question de la rémunération359. Les serviteurs des cardinaux sont rarement stipendiés au Quattrocento, même si ce phénomène croît à la fin de la période360. Certains membres de la maison sont récompensés par des bénéfices ecclésiastiques, ou par des pensions sur ceux-ci. La plupart du temps, il s’agit de bénéfices mineurs détenus par les sénateurs de l’Église, qui représentent pour eux des revenus marginaux. Ils les transfèrent donc à leurs familiers et les récupèrent à leur décès. Il arrive dans de rares cas que des bénéfices majeurs soient confiés aux familiers les plus importants des cardinaux, ces derniers instruisant alors la collation auprès du consistoire en tant que rapporteurs361.
172Dès les XIIIe et XIVe siècles, l’institution ecclésiale tente de contrôler et de discipliner la vie des familles cardinalices, notamment en s’efforçant de limiter leur taille, qui ne cesse de croître362. Cet effort se poursuit au Quattrocento, mais se révèle infructueux. Les différentes commissions de réforme ne parviennent jamais à endiguer l’augmentation du nombre de familiers, alors même qu’elles en rehaussent sans cesse la limite autorisée363. Le nombre de familiers d’une maison cardinalice à l’autre est difficile à évaluer. Les rôles qui ont été conservés concernent le plus souvent des cardinaux fortunés ou des papes de la première moitié du XVIe siècle, par exemple ceux des maisons de Pie III (1503) et de Léon X (1513-1521)364. Trois documents semblent toutefois pouvoir fournir un éclairage plus large sur la question : un registre de suppliques (1472), un registre douanier (1509) et un recensement romain (1526-1527).
173Le registre de suppliques 670 de l’Archivio Apostolico Vaticano présente les grâces expectatives des familiers de Sixte IV et de plusieurs cardinaux au 1er janvier 1472365. Mais ces listes ne sont pas exhaustives : tous les cardinaux ne présentent pas de suppliques de ce type, et ceux qui le font ne demandent pas de grâces pour tous leurs familiers. Elles ne permettent donc pas de calculer un nombre moyen de familiers, même si elles peuvent laisser entrevoir un ordre de grandeur et une hiérarchie parmi les porporati.
174Au contraire, il semble possible d’estimer la taille moyenne des maisons cardinalices au début du XVIe siècle à l’aide d’un document établi en décembre 1509. Celui-ci évalue le nombre des familiers de chaque cardinal afin de fixer le montant d’une exemption de taxes à la douane de la Ripa. D’après cette source, les 26 maisons cardinalices comptent en moyenne 154 familiers366.
175La Descriptio Urbis, un recensement effectué à Rome en 1526-1527 pour une raison qui reste inconnue, signale aussi la taille de chacune des familles cardinalices et montre de grandes disparités367. Ainsi, deux maisons avoisinent les 300 bouches à nourrir (Farnèse, 306 ; Cesarini, 275), 15 maisons entre 100 et 200, 8 maisons entre 16 et 80368. Au total, les 25 maisons recensées en 1527 comptent en moyenne 130 familiers, un chiffre assez proche de celui établi grâce au registre douanier de 1509. Toutefois, 12 cardinaux, soit un tiers du Collège, ne sont pas répertoriés car ils sont absents de l’Urbs au moment du décompte. De plus, les trois quarts des chiffres sont arrondis à la dizaine, ce qui ne milite pas pour un travail de précision. Certaines données paraissent d’ailleurs suspectes : la maison de Pompeo Colonna ne compterait d’après ce recensement que 30 familiers369.
176Plus généralement, ces sources comportent un certain nombre de limites. Il est parfois difficile de discerner exactement qui faisait partie de la maison, notamment entre les familiers qui restaient toujours à Rome et ceux qui se déplaçaient avec le cardinal370. Tous n’ont pas exactement le même statut juridique ; certains sont qualifiés de familiares continui commensales, une catégorie qui concerne ceux qui mangeaient à la table du cardinal au Moyen Âge central. Au XVe siècle, ce titre semble davantage correspondre à une distinction honorifique dont sont affublés les serviteurs les plus importants : secrétaires, chambellans, chapelains, etc.371. Dans le même ordre d’idée, certains familiers obtiennent le droit de porter le patronyme du cardinal après plusieurs années passées à son service372. Plusieurs d’entre eux font d’ailleurs partie de la parenté des détenteurs de la pourpre et sont favorisés à ce titre. Certaines sources distinguent trois catégories parmi les membres de la maison : les familiers à proprement parler, qui désignent les intimes du cardinal (le plus souvent des clercs, mais pas uniquement), les officiers en charge de la gestion de la maison, qui ont parfois également le statut de familier, et les simples serviteurs373. Ces statuts, aux contours souvent flous, sont plus sociaux que légaux. Dans la pratique, il est ardu de distinguer les familiers des simples serviteurs374. Par ailleurs, il arrive que les cardinaux cohabitent avec d’autres membres de leur parenté qui entretiennent eux aussi une maison, et séparer le maître de chacun des familiers peut alors s’avérer difficile, à moins de disposer d’un rôle précis375. Enfin, les variations au cours du temps du nombre de familiers au sein d’une même maison incitent à la prudence sur les comparaisons possibles. Il semblerait que la famille de Giacomo Ammannati Piccolomini soit passée d’une vingtaine de membres à une cinquantaine entre la fin des années 1460 et les années 1470376.
177En définitive, quels renseignements tirer de ces données et de ces sources parcellaires et approximatives ? D’abord, que certains cardinaux sont immensément riches. Mais il faut souligner aussitôt la très grande disparité des situations socio-économiques. Ces constatations sont renforcées, par exemple, par la comparaison des quantités de vin qu’achètent plusieurs cardinaux en 1475 : Giuliano Della Rovere en commande plus de 200 000 litres, Rodrigo Borgia plus de 110 000, Guillaume d’Estouteville plus de 80 000, Marco Barbo un peu moins de 50 000, Francesco Todeschini Piccolomini à peine plus de 20 000377. Peut-on dire pour autant que ce dernier cardinal était dix fois moins riche, ou même dix fois moins puissant, que le cardinal Borgia ? Effectuer un classement précis et rigoureux de la surface socio-économique des cardinaux paraît hasardeux, pour ne pas dire impossible ; il vaut mieux se résigner à mettre en parallèle des trajectoires individuelles sans en tirer de considérations générales trop hâtives. Faut-il pour autant renoncer à toute velléité de catégorisation du cardinalat ?
Une typologie selon les critères d’élévation à la pourpre
178La plupart des auteurs s’étant prêtés au jeu de la typologie des cardinaux ont choisi, à très juste titre, de se fonder sur leurs critères de nomination à la pourpre. Ces différents critères, s’ils ne sont pas exclusifs les uns des autres, permettent néanmoins de distinguer de façon efficiente des catégories au sein du Sacré Collège. Cet effort est d’autant plus appréciable que les raisons qui poussaient le pape à élever un homme à la pourpre déterminaient fortement la carrière de ce dernier et son statut social à la Curie.
179L’exercice est ancien. Paolo Cortesi avance, dès 1510, dans son De cardinalatu, deux raisons qui pourraient pousser le pape à créer un nouveau cardinal : la causa et la gratia. Dans le premier cas, il s’agit d’élever une personne en raison de sa dignité intrinsèque, dans le second, il s’agit davantage d’une concession de faveur opérée à la convenance du souverain pontife. Selon Cortesi, la prévalence de la gratia sur la causa comporte en elle un risque de corruption institutionnelle. Cette mise en garde doit inciter le Saint-Père à valoriser avant tout la valeur personnelle des candidats au Sacré Collège378.
180Les historiens de l’époque contemporaine se sont aussi eux aussi essayés à cet exercice. Dans son Histoire des papes depuis la fin du Moyen Âge, Ludwig von Pastor tente déjà, à la fin du XIXe siècle, de classer les cardinaux selon la cause de leur nomination à chaque promotion qu’il décrit. Ainsi, lorsqu’il évoque sur plusieurs pages la promotion du 1er juillet 1517, au cours de laquelle trente et un cardinaux furent créés par Léon X, il présente chacun des nouveaux élus en les regroupant selon le critère qui a présidé à leur élévation : les recommandations politiques, les liens de parenté ou de proximité qui les unissaient à la famille Médicis et au pape, l’argent qu’ils ont versé pour obtenir la barrette, leur naissance dans de grandes familles romaines, leur appartenance ou leurs contacts avec des ordres religieux et, bien sûr, leurs qualités personnelles379. Les raisons invoquées sont donc diverses et se recoupent souvent. Ludwig von Pastor, en historien de son époque, n’hésite pas à manier le jugement de valeur, où transparaissent des distinctions et des critères moraux.
181Un siècle plus tard, Wolfgang Reinhard, tente, lui aussi, une grande entreprise typologique380. Il considère que les carrières des papes, souvent très bien connues, sont représentatives de celles des cardinaux, dans la mesure où les études montrent la pleine communauté d’appartenance des uns et des autres au même milieu social. Plusieurs objections peuvent être formulées contre cette hypothèse. Tout d’abord, les papes n’appartiennent pas à une seule catégorie sociale et les cardinaux non plus381. Ensuite, toutes les carrières cardinalices ne donnent pas lieu à la même probabilité d’être élu pape. Il n’en reste pas moins que l’historien allemand développe plusieurs pistes intéressantes pour classer les papes et les cardinaux : leur origine géographique, leur ordre canonique (diacres, prêtres, évêques), leur origine sociale (décomposée en quatre catégories très contestables après 1417 : haute noblesse, patriciat, catégories moyennes, catégories basses), leur formation et leurs études (également décomposées en quatre catégories : philosophico-théologiques, juridico-canoniques, une addition des deux et « autres »), leur cursus d’ecclésiastique382. Il s’intéresse également aux éléments qui ont pu accélérer leur carrière.
182Plusieurs chercheurs reprennent peu ou prou à leur compte les mêmes catégories. Alain Tallon simplifie l’analyse en insistant largement sur la distinction effectuée plus haut entre cardinaux d’Église et cardinaux d’État, qu’il subdivise en de nombreux sous-ensembles383. Il ajoute cependant une troisième catégorie de cardinaux : ceux qui doivent leur promotion à leur parcours ecclésiastique et curial, pour lesquels la pourpre est comprise comme le couronnement d’une longue carrière passée au service de l’Église. Cette catégorie me semble toutefois plus pertinente pour le XVIe siècle, quand le cardinalat se bureaucratise, plutôt que pour le XVe siècle. Bien sûr, de nombreux cardinaux occupaient alors des charges curiales avant d’accéder à la pourpre, mais le galero ne doit pas pour autant être considéré comme l’aboutissement, à cette époque, d’un cursus honorum.
183Mary Hollingsworth et Carol M. Richardson s’interrogent elles aussi brièvement, dans l’introduction du colloque qu’elles ont dirigé en 2010, sur le type d’hommes qui étaient élevés cardinaux, et reprennent largement les mêmes classifications384. Cédric Michon a également repris la subdivision classique : les cardinaux auraient été créés pour leur proximité avec le pape ou sur la recommandation d’un souverain italien ou européen385. Jürgen Dendorfer utilise quant à lui les cinq critères développés par Dieter Girgensohn pour la période du Grand Schisme : l’appui d’une puissance politique, une origine familiale noble, une position élevée dans la hiérarchie ecclésiastique, une excellente culture et la possibilité de rendre service au pouvoir pontifical386.
184Cet exercice typologique peut servir de conclusion à ce chapitre. Il me paraît possible de classer les membres du Sacré Collège en trois grandes catégories : ceux qui ont été nommés en raison de leurs qualités intrinsèques, ceux qui ont été nommés en raison de la diplomatie du Saint-Siège, ceux qui ont été nommés en raison de leur proximité avec le souverain pontife. Le plus souvent, deux ou même trois de ces raisons se combinent (fig. 6).
Figure 6. Tentative d’une typologie des cardinaux selon leurs critères de nomination.

185L’exemple de Nicolas de Cues illustre bien la première catégorie. Nommé in petto par Eugène IV, puis publié en 1448 par Nicolas V, il est loué pour ses grandes qualités intellectuelles. Après avoir été formé aux universités d’Heidelberg puis de Padoue, où il obtient un grade de docteur en droit canon, il enseigne à l’université de Cologne à partir de 1426 à la faculté de jurisprudence. Il y profite de l’enseignement en théologie de son ami et maître Heymerich van de Velde ; ils travaillent ensemble sur les écrits d’Albert le Grand et de Raymond Lulle. Otto von Ziegenhain, l’archevêque de Trêves, l’engage comme juriste. À la mort de celui-ci en 1430, Nicolas de Cues soutient un candidat, Ulrich von Manderscheid, alors que les électeurs en préfèrent un deuxième et que Martin V en nomme un troisième. Le cardinal se rend alors au concile de Bâle en 1432 pour obtenir le soutien des pères conciliaires pour son candidat. Il se mêle rapidement et de manière active aux débats du concile. Il rejoint finalement l’obédience pontificale, cinq ans plus tard, quand Eugène IV déplace le concile à Ferrare. Il rencontre en Italie les humanistes florentins et les plus grands dignitaires de l’Église. Ses compétences d’homme de lettres, de juriste, de théologien et ses qualités de diplomate lui valent d’être envoyé d’abord à Constantinople en 1427, puis dans le Saint-Empire l’année suivante pour gagner l’empereur byzantin et les princes germaniques à la cause pontificale. Au terme d’une décennie d’efforts et de succès en ce sens, il est récompensé par la pourpre387. Ce cardinal ne jouit donc d’aucune recommandation et ne doit sa nomination qu’aux compétences qu’il a acquises au cours de sa formation et aux qualités naturelles qui lui sont prêtées.
186Cette catégorie de cardinaux, souvent formés à l’université et issus de familles nobles de second rang, retrouve sûrement une certaine importance à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle dans le recrutement cardinalice388. Cependant, ces recrutements restent assez rares389. Les capitulations électorales demandent à plusieurs reprises au Quattrocento, en vain, que tous les cardinaux créés possèdent un grade de docteur390. À la fin de la période, Paolo Cortesi se lamente amèrement dans son traité sur le peu de cas que l’on fait à Rome de la culture et des lettres chez les candidats à la barrette391.
187Les qualités religieuses, pour mieux le dire la sainteté de la vie d’un aspirant à la barrette, jouent également un rôle dans les nominations. Ses qualités intrinsèques étant impossibles à évaluer, il vaut mieux s’en remettre à sa réputation en la matière. Vespasiano da Bisticci assure dans ses Vite que Domenico Capranica doit son chapeau de cardinal avant tout à sa vertu et à sa piété : « Messire Domenico, cardinal de Fermo, fut un homme unique, très saint de vie et de coutumes, il était romain, né dans un milieu très humble, et il fut élevé à la dignité du cardinalat par le pape Martin en raison de sa vertu singulière392. » L’auteur est connu pour ses prises de position nostalgiques, voire réactionnaires, et semble regretter à plusieurs reprises dans son œuvre les cardinaux des temps anciens, selon lui plus vertueux. Il est vrai qu’aucun pape du Quattrocento n’est reconnu bienheureux ou saint par l’Église – c’est un cas unique entre le Xe et le XVIIIe siècle –, mais trois cardinaux du XVe siècle deviennent malgré tout bienheureux : Giovanni Dominici (1408-1419), Niccolò Albergati (1426-1443) et Hélie de Bourdeilles (1483-1484). Il s’agit dans les trois cas de clercs réguliers, puisque le premier est dominicain, le deuxième chartreux et le troisième franciscain.
188L’appartenance à un ordre religieux peut jouer à la marge dans les nominations, mais elle ne semble pas déterminante. Entre 1417 et 1534, trente-sept cardinaux sont des clercs réguliers, soit 12 % des promus. Il est difficile de percevoir une évolution sur cette période, qui compte entre quatre et huit élévations de clercs réguliers toutes les deux décennies. Léon X tente peut-être de s’engager dans une nouvelle voie lors de la grande promotion du 1er juillet 1507, en élevant alors les trois supérieurs généraux des grands ordres mendiants : Cristoforo Numai, ministre général des Frères mineurs de l’Observance, Tommaso Vio, maître de l’ordre des Frères prêcheurs et Egidio da Viterbo, prieur général des ermites de saint Augustin393. Clément VII nomme à son tour, le 7 décembre 1527, Francisco de los Ángeles Quiñones, ministre général des Franciscains. Pour autant, aucune habitude systématique n’est adoptée par la suite. Au Quattrocento, les Franciscains sont les plus nombreux parmi les cardinaux originaires des ordres mendiants : dix sénateurs sont issus de leurs rangs, en agrégeant les observants et les conventuels, contre quatre dominicains et trois augustins. La domination de l’ordre des Frères mineurs tient surtout à la surreprésentation des Della Rovere qui sont liés à cet ordre, puisque le premier représentant de la famille, Francesco, le futur Sixte IV, en devient le ministre général une douzaine d’années avant son élection pontificale. Après lui, trois autres membres de la dynastie cardinalices – Pietro Riario, Clemente Grosso Della Rovere, Marco Vigerio – en font également partie. Les ordres mendiants représentent environ la moitié des réguliers promus dans le Sacré Collège au Quattrocento, mais ils sont concurrencés par six chanoines réguliers de saint Augustin et six bénédictins (auxquels il est possible d’ajouter un clunisien, deux camaldules, un cistercien et un membre de la congrégation cassinaise). De manière plus anecdotique, un chartreux et un trinitaire sont également élevés. Il faut enfin noter trois membres de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, le grand maître Pierre d’Aubusson ainsi que les chevaliers Antonio Sanseverino et Pedro Luis Borgia. Les compétences militaires peuvent en effet être recherchées au sein du Sacré Collège394. L’habileté dans ce domaine de Giovanni Vitelleschi lui vaut son chapeau rouge en 1437, après qu’il a remis de l’ordre dans les États pontificaux, en faisant notamment décapiter le seigneur rebelle Giacomo di Vico en 1435 et en détruisant Palestrina en 1437395.
189Du côté des séculiers, il n’est pas nécessaire d’être prêtre et encore moins évêque pour pouvoir être créé cardinal. Dans la pratique, certains clercs deviennent cardinaux en n’ayant reçu que le diaconat. L’un des cas les plus connus est celui de Francesco Todeschini Piccolomini, créé cardinal le 5 mars 1460. Élu pape le 22 septembre 1503, il est ordonné prêtre le 30 septembre et consacré évêque le lendemain, soit près de quarante-trois ans après avoir reçu la pourpre396. Ne pas recevoir l’ordination sacerdotale peut aussi constituer une stratégie chez certains cardinaux, en particulier ceux issus de familles aristocratiques. Il peuvent ainsi être réduits plus facilement à l’état laïc pour assurer la survie de leur lignage, si les aléas démographiques de leur famille l’ordonnent397. Même s’il est impossible de donner des chiffres certains, car l’état clérical de chaque cardinal n’est pas toujours bien connu, la plupart des porporati étaient prêtres et évêques avant leur nomination.
190Sur les 309 cardinaux nommés entre 1417 et 1534, seuls 75, soit un quart d’entre eux, sont connus comme n’étant ni évêques, ni administrateurs d’un diocèse, ni abbés, ni prieurs, ni dirigeants d’un ordre religieux au moment de leur création398. Cette proportion reste relativement stable pendant toute la période. Néanmoins, la plupart des cardinaux qui ne sont pas évêques lorsqu’ils sont élevés reçoivent un diocèse par la suite, parfois le jour même de leur promotion cardinalice et le plus souvent sous la forme d’une administration (ce qui peut les dispenser de la consécration épiscopale). Néanmoins, une dizaine de cardinaux du Quattrocento n’ont jamais dirigé un diocèse, soit qu’ils meurent juste après leur promotion à la pourpre, soit qu’ils ont un profil particulier, comme Pierre d’Aubussson (1486-1503), grand maître de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Dans le même ordre d’idée, Francesco Della Rovere, ministre général des Franciscains, ne reçoit la consécration épiscopale qu’après son élection pontificale, le jour de son couronnement, comme le prévoit le cérémonial en pareil cas399. Ce sont toutefois des situations qui deviennent très rares à la fin du Moyen Âge, tant la chasse aux bénéfices consistoriaux devient pressante à la Curie et dans le Collège. Entre 1490 et 1534, seuls les cardinaux Jaime Casanova (1503-1504) et Mercurino Arborio Gattinara (1529-1530), qui meurent un an après leur élévation, ne reçoivent jamais la mitre.
191Ce dernier, grand chancelier de Charles Quint, est nommé cardinal en raison des relations diplomatiques que se doit d’entretenir le Saint-Siège avec les grandes puissances de la chrétienté, ce qui correspond à la deuxième catégorie de créations. Cette politique se déploie en priorité vers les royaumes de France, d’Aragon, de Castille et d’Angleterre, ainsi que vers le Saint-Empire romain germanique400. Elle concerne aussi les nombreuses puissances de la péninsule italienne, directement voisines des États pontificaux (carte 3). À l’échelle romaine, le souverain pontife est obligé de ménager les grandes familles baronniales, les Colonna et les Orsini en premier lieu, mais également de faire une place dans le Sacré Collège aux autres familles romaines, en particulier celles qui connaissent une ascension sociale et politique à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle401. Ces nominations diplomatiques adressées aux puissances, étatiques, ecclésiales ou locales, peuvent répondre à trois logiques différentes. Au début du XVe siècle, les papes souhaitent ménager une certaine diversité dans l’origine géographique des cardinaux, qui doivent représenter l’Église universelle402. Dans d’autres cas, ce type de nomination intervient dans le cadre d’un accord diplomatique entre le Saint-Siège et une autre grande puissance souveraine403. Mais, le plus souvent, il s’agit d’une simple recommandation ou d’une requête du souverain séculier acceptée par le pontife404. Le roi de France, l’empereur, les dirigeants des principales entités politiques italiennes et bien d’autres prient le pape presque continuellement de bien vouloir admettre un dignitaire de leur royaume, un de leurs proches ou même un parent dans le Sacré Collège. Les papes doivent alors réussir à maintenir un subtil équilibre entre les puissances européennes, italiennes et romaines. Cette question devient particulièrement brûlante pendant les guerres d’Italie405. Dans tous les cas, ces nominations diplomatiques visent à assurer la stabilité et la paix dans Rome, les États de l’Église, la péninsule italienne et la chrétienté tout entière.
192Les créations diplomatiques du Saint-Père introduisent dans le Sacré Collège de nombreux personnages issus de l’élite de la chrétienté, qu’il s’agisse de la plus ancienne aristocratie ou de familles patriciennes plus récentes, mais très riches et très puissantes. Ces créations rehaussent le prestige du Collège cardinalice et servent à renflouer les caisses pontificales, puisqu’à la fin du XVe siècle les pontifes peuvent faire payer très cher le chapeau rouge. Par ailleurs, des connexions avec des familles de banquiers, particulièrement italiennes, sont toujours utiles pour les finances de la Chambre apostolique406. Disposer de cardinaux nobles et riches, tels qu’Ascanio Maria Sforza, offre une série d’opportunités politiques et économiques aux souverains pontifes.
193Enfin, le critère de la proximité avec le pape dans les nominations à la pourpre dessine une troisième catégorie de cardinaux. Cette proximité peut être déclinée selon plusieurs aspects. Les familiers du pape obtiennent parfois la pourpre, en général ses serviteurs les plus fidèles ou les plus anciens. Un exemple connu est celui de Ludovico Trevisan. Cubiculaire au sein de la famille du cardinal Gabriele Condulmer, il doit sa charge à la très haute estime que lui porte son maître, et pour cause : il est en réalité son médecin personnel. Le cardinal vénitien, une fois devenu pape, lui confie plusieurs missions. Les succès militaires qu’il obtient aux côtés du cardinal Vitelleschi et les talents d’administrateur dont il fait preuve pendant le concile de Florence poussent Eugène IV à lui confier la barrette en juillet 1470. Il se révèle dans la suite de sa carrière un excellent gestionnaire, puisqu’il devient un des hommes les plus riches de la Curie407. Il est donc certainement promu cardinal, comme d’autres, autant pour ses qualités intrinsèques que pour sa proximité avec le Saint-Père.
194Le rapprochement d’un candidat avec le pape peut aussi s’effectuer à l’occasion d’une carrière curiale. Dans le chemin vers la pourpre, certaines fonctions se distinguent. C’est le cas de la charge de protonotaire, c’est-à-dire de notaire de la Chancellerie ; ses détenteurs obtiennent souvent par la suite le galero. Cette fonction est régulièrement attribuée à des candidats au Sacré Collège issus des milieux aristocratiques – comme Francesco Gonzague – ou de la parenté des papes – comme Cristoforo Della Rovere. Les titulaires sont alors souvent nommés à titre honorifique, parfois encore enfants ou adolescents. Ils se distinguent des sept protonotaires officio fungentes ou participantes qui collaborent réellement à la rédaction des lettres pontificales408. L’implantation à la Curie peut aussi être familiale : il est certain que la carrière de Paolo Capranica, nommé secrétaire apostolique pontifical sous Martin V et évêque d’Évreux dès 1420, facilite le parcours de son frère, Domenico, qui devient cardinal en 1423 ou 1426409. Des solidarités nationales s’exercent également ; le pape vénitien Grégoire XII (1406-1415) fait venir à la Curie plusieurs de ses compatriotes en dehors de sa parenté410. Il crée ainsi des traditions curiales dans plusieurs familles vénitiennes, en particulier chez les Corner, les Foscari, les Michiel, les Pisani, les Trevisan et les Venier. De nombreux parents de ces ecclésiastiques deviennent cardinaux à leur tour au Quattrocento411. Des liens de parenté sont créés a posteriori entre ces familles et se superposent à leurs traditions curiales et à leurs liens d’origine. La proximité géographique et familiale avec le pape joue donc un rôle souvent fondamental412.
* * *
195L’analyse de la composition et des structures du Sacré Collège au Quattrocento, menée notamment grâce à l’emploi de la prosopographie et des méthodes quantitatives, a permis de confirmer, de préciser, mais aussi parfois d’infirmer les discours historiographiques qui avaient été tenus jusqu’alors. Le rôle du pontificat de Sixte IV, notamment dans la croissance du nombre de cardinaux, a été relativisé, puisque celle-ci n’intervient réellement que dans la dernière décennie du XVe siècle. En outre, il semble préférable de parler d’un Sacré Collège très majoritairement italien plutôt que d’une italianisation du Sénat cardinalice au Quattrocento. Au contraire, la thèse de sa politisation paraît correspondre parfaitement à la réalité : de plus en plus de familles aristocratiques et patriciennes, majoritairement italiennes, favorisent les carrières ecclésiastiques de certains de leurs parents pour leur faire obtenir la pourpre. Néanmoins, le Collège cardinalice est un objet paradoxal au XVe siècle : tout en croissant, il compte un nombre de cardinaux qui participent réellement au gouvernement de l’Église remarquablement stable ; tout en étant très majoritairement italien, il reste très cosmopolite ; tout en concentrant de plus en plus les élites politico-financières en son sein, il montre une réelle diversité dans l’origine sociale de ses membres.
196Pourtant, cette origine sociale des cardinaux ne se reflète pas parfaitement dans le miroir du Sacré Collège, l’obtention de la barrette pouvant modifier des trajectoires individuelles et familiales. L’évaluation des revenus et du patrimoine des cardinaux a montré une très grande diversité de situations sociales et économiques. Il apparaît très difficile de catégoriser les cardinaux selon ces données qui sont, de toute façon, très lacunaires. En revanche, une typologie des sénateurs de l’Église selon leurs critères de nomination n’est pas à dédaigner. Si les qualités du candidat à la pourpre sont parfois prises en compte, deux autres grands critères émergent. La proximité et les faveurs d’un dirigeant séculier deviennent des éléments parfois décisifs dans la carrière d’un prélat local. Ces cardinaux sont souvent absents de Rome après leur nomination, en particulier quand un seigneur ultramontain a fait campagne pour leur élévation. La pourpre devient pour eux un signe distinctif, une fonction honorifique. Pour les cardinaux qui continuent d’exercer la charge traditionnelle qui leur incombe – entourer le pape et l’assister dans le gouvernement de l’Église – la proximité avec le pontife, en particulier les liens de parenté, s’avère déterminante.
197Cependant, la parenté avec le souverain pontife régnant n’épuise pas le critère familial. En effet, des cardinaux sont nommés par le pape parce qu’ils appartiennent à sa parenté, mais aussi, très souvent, parce qu’ils sont issus de la famille d’autres cardinaux, encore vivants ou décédés, ou d’autres papes qui ont précédemment régné. Leur nombre est si important qu’il écarte a priori la possibilité d’une coïncidence. Avoir un lien de parenté avec un pape ou un cardinal, même mort, donne à un candidat à la pourpre une chance bien plus importante d’être promu. Aux côtés des porporati reconnus pour leurs qualités, des créatures des puissances du Siècle et des proches des souverains pontifes, émerge donc un quatrième type de sénateur au Quattrocento : le cardinal lignager.
Notes de bas de page
1Pie II, I commentarii, I, p. 130 : Neque dignitas huiuscemodi semper merenti patet, quam saepe rapit indignus. Quidam tamen illam merentur, post assequuntur ; quidam tum dignos ea se reddunt, cum potiuntur ; nonnulli usque ad sepulchrum immeriti raptam trahunt. Traduction dans Pie II, Mémoires, p. 84.
2Pellegrini 1989, p. 218. Il souligne que les travaux de Wolfgang Reinhard se concentrent surtout sur le Cinquecento. Il est vrai que même l’article de ce dernier, intitulé Struttura e significato del Sacro Collegio tra la fine del XV e l’inizio del XVI secolo (Reinhard 1988), malgré son titre, se concentre davantage sur le XVIe siècle. Par ailleurs, la faible ampleur de l’article force son auteur à se cantonner à quelques aspects, très stimulants, mais peu développés. L’ouvrage Weber 1996 remplit également cette fonction pour l’époque moderne.
3Sur les ouvrages qui traitent du Sacré Collège sur de plus longues périodes, voir par exemple Broderick 1987 ; Reinhard 2000, p. 263-290 ; Dendorfer – Lützelschwab 2011 ; ou encore la vingtaine de pages consacrée au sujet dans Thomson 1980. Pour les ouvrages qui traitent de périodes plus restreintes, il faut citer par exemple Schürmeyer 1965 ou Grégoire 1988, I, p. 209-232. Beaucoup d’autres sont cités dans la suite de ce chapitre.
4Eubel 1913, 1914 ; Eubel – Van Gulik 1923.
5S. Miranda, The cardinals of the Holy Roman Church, en ligne : https://cardinals.fiu.edu/cardinals.htm.
6Cette bibliographie reprend en général les ouvrages généraux cités dans cette partie. Le travail est relativement fiable, même s’il comprend certaines erreurs.
7Kracht 2012-2021, le dernier volume paru s’arrête à la lettre M.
8Real Academia de la Historia, Diccionario biográfico electrónico, en ligne : http://dbe.rah.es/.
9Becker – Weber 1999-2002. Cet ouvrage fait suite à Weber 1993. De premières tentatives avaient été menées auparavant. Il faut citer Williams 1998, qui se concentre uniquement sur les familles ayant compté un pape.
10Sur le concept de dynastie cardinalice, voir infra le chap. 2. Becker – Weber 1999-2002 a été extrêmement précieux pour cette étude et plus particulièrement pour le chap. 2 et l’analyse de réseaux qui y a été menée.
11Humboldt-Universität zu Berlin, Bergischen Universität Wuppertal, Requiem Projekt, en ligne : http://requiem-projekt.de/. Cette base de données en ligne a été très largement utilisée dans le chap. 5.
12Popoff 2016.
13Aurigemma 2004.
14De Blasi 2014, part. p. 193-307.
15Ilari 2001, p. 267-317.
16DeSilva 2011.
17Popoff 2016, p. 106-110.
18Antonovics 1967.
19McClung Hallman 1985.
20Ibid., p. 129 sq.
21Paravicini Bagliani 1972.
22Bove 2004, p. 276.
23Lemercier – Picard 2012. Je me suis très largement et très librement inspiré de la méthode de ces deux chercheuses, Claire Lemercier et Emmanuelle Picard, ainsi que de celle d’Hélène Millet (Millet 1988).
24L’outil Database de Libre Office a été utilisé.
25Lemercier – Picard 2012, p. 17.
26Revel 1995 reprend l’idée de l’historien allemand Neithard Bulst. Voir aussi Lemercier – Zalc 2008, p. 21-22 : « La prosopographie en tant que telle est plutôt propre à cerner les différences internes [d’un groupe] dans une visée typologique. »
27Marco Pellegrini insiste souvent dans ses écrits sur le rôle du pontificat de Sixte IV : par exemple, Dendorfer – Lützelschwab 2011, p. 399-401.
28Richardson 2009, p. 439-448.
29Il est parfois très difficile, surtout au début du XVe siècle, de connaître la date de naissance de tous les cardinaux, en particulier quand ils ont été créés pendant le Grand Schisme. L’année de naissance n’a pas pu être déterminée de manière précise pour 62 cardinaux sur 309. Les estimations mentionnées dans la bibliographie spécialisée ont cependant été utilisées pour la majorité des cas, car l’objectif de donner ici un ordre de grandeur : quelques mois ou quelques années d’imprécision pour la date de naissance de quelques cardinaux ne jouent qu’à une très faible marge sur les résultats obtenus. Les 21 cardinaux pour lesquels aucune estimation n’a pu être trouvée ne sont pas comptabilisés dans les données. Il y a donc un léger biais statistique, puisque la plupart d’entre eux se sont concentrés au début de la période. Cela explique mon choix de faire débuter les graphiques proposés dans ce chapitre en 1420 et non en 1417. Par ailleurs, pour ces mêmes graphiques, les papes ont été considérés comme des cardinaux pour consolider les données.
30Kent 1975, p. 610.
31Finlay 1978, part. p. 157-165.
32Pour les trois graphiques qui suivent, j’ai procédé de la même manière. J’ai mesuré à partir du 1er janvier 1420 tous les cinq ans l’âge d’accès au cardinalat, l’espérance de vie et la durée moyenne du cardinalat, en prenant en compte tous les cardinaux qui composaient le Sacré Collège à ces dates. Sur l’apparition de la vénalité des offices, voir, entre autres, Borello 2021, p. 76-80.
33Il existe des estimations pour au moins 78 % des dates de naissance des cardinaux qui participent aux conclaves de 1280 et de 1303 : leurs âges d’élection se situent respectivement à 48 et 47 ans, ce qui tendrait à montrer un Sacré Collège plutôt plus âgé. Les données dont on dispose pour le XIVe siècle montrent souvent des âges de création plus jeunes, jusqu’à 38 ans en 1334, mais on ne connaît alors guère que la moitié des dates de naissance des cardinaux, ce qui pourrait potentiellement introduire des biais importants. Ces données, comme toutes celles qui correspondent aux périodes antérieures à 1417 et postérieures à 1534, ont été calculées à partir de la base de données de Salvador Miranda, The cardinals of the Holy Roman Church, en ligne : https://cardinals.fiu.edu/cardinals.htm.
34C’est le cas pour les moyennes de l’espérance de vie des cardinaux dont on connaît approximativement l’âge de naissance et de mort aux conclaves de 1280, de 1303, de 1334, de 1370, de 1394 et de 1409.
35Cette conclusion est opposée à celle de Massimo Firpo, qui affirme qu’au début du XVIe siècle la durée des cardinalats croissait : Firpo 1990, p. 83.
36Par exemple, Tallon 2009a ou encore Michon 2017.
37Les statistiques présentées ici ne considèrent pas le pape comme un cardinal.
38S. Miranda, The cardinals of the Holy Roman Church, en ligne : https://cardinals.fiu.edu/conclaves.htm.
39Tous les projets préparatoires du concile de Constance évoquent le même chiffre qui est repris dans les concordats : Thomson 1980, p. 65. Le concile de Bâle ne dit pas autre chose : Alberigo 1994a, p. 1028-1029. Les capitulations cardinalices répètent elles aussi sans cesse cette limite à partir de 1352.
40Pellegrini 2001, p. 183. Cette légende fait suite à beaucoup d’autres tentatives au cours des siècles pour enraciner le cardinalat dans les Écritures, notamment entre le XIIe et le XIIIe siècle : Somaini 2003, II, p. 593.
41Picotti 1923.
42Dufouleur 2024b.
43Henderson 2009.
44Jedin 1972, p. 182, ou Reinhard 1988, p. 260.
45Par exemple, les cérémoniaux évoluent plusieurs fois sur cette question, notamment pendant l’élaboration du cérémonial de Patrizi Piccolomini, dont la version définitive donne différentes indications qui se contredisent : L’œuvre de Patrizi Piccolomini 1980-1982, I, p. 134* et 140.
46Henderson 2009, p. 39.
47Ibid., p. 40. Sur les concordats qui suivent Constance et l’application des mesures du concile de Bâle, voir infra, chap. 3, section Les décrets conciliaires.
48Gualdo 1999 ; Pellegrini 2001, p. 203.
49Jean Burchard, Liber notarum, II, emploie notamment cette formule pour raconter a posteriori la création du cardinal Georges d’Amboise qui a eu lieu en 1498, p. 131 : de reverendissimorum dominorum cardinalium interessentium consilio et consensu. Pour la traduction en français : Jean Burchard, Dans le secret des Borgia, p. 284.
50Soldi Rondinini 1973, p. 57 : Queritur utrum cetus cardinalium sine papa possit creare cardinalem.
51Pellegrini 2002b, p. 10. Pie II lui-même reprend cette image : Soldi Rondinini 1973, p. 35. La métaphore paulinienne du corps ecclésial, dont les cardinaux seraient des membres, est commune : Lecler 1964.
52Paolo Cortesi, De cardinalatu, p. cxxviiiv : Cum Pontifex Maximus sine senatus consensu minus senatoria comitia inire soleat.
53Thomson 1980, p. 68-70.
54Annales ecclesiastici 1864-1883, XXIX, p. 160 : Item quod non creabit seu assumet aliquos cardinales etiam precibus quorumcumque imperatorum, regum, ducum aut principum, nisi de consilio et consensu majoris partis dominorum cardinalium.
55Les créations cardinalices de Pie II et les enjeux qu’elles soulèvent ont été bien étudiés dans Henderson 2009, p. 42-44.
56Pie II, I commentarii, II, p. 1434-1435 : Dicis consensum Sacri Collegii in creandis cardinalibus nos minime quaerere. Si ita esset, non fuisset te opus adloqui. Conati sumus persuadere desiderium nostrum toti Collegio. Quod si non datur, satis fuerit maiorem partem nobis assentiri ad observantiam iuramenti ; et iam certi sumus numerum sufficere. Voluissemus cunctorum suffragia concurrere, ac tuum praecipue quod magni facimus. Quod si te non poterimus flectere, poterimus contemnere : et sine te licebit creare cardinales.
57Ibid., II, p. 1436-1437 : Possemus et de iureiurando aliquid dicere : an obliget Pontificem maximum publicae utilitati contrarium, et an fuerit dispensabile. Sed omittimus quando adversus iuramentum nihil molimur.
58Di Pietro 2010, p. 75. Sur Domenico de’ Domenichi, voir infra, chap. 3, section Les projets de réformes. Jedin 1965a, p. 78 et, à sa suite, Henderson 2009, p. 41-42, affirment que ce traité daterait de Calixte III, mais le manuscrit du traité BAV, Vat. Lat., 5869 précise bien sur son premier folio, dans le prologue, qu’il est écrit pour Pie II.
59BAV, Vat. Lat., 5869, fol. 26v : Ideo quaestionem de « potest » concludo per « debet », scil. Quod papa nullo modo debet sine consensu maioris partis alios creare, ne dubitationes insurgant circa hoc, et non existente alia necessitate exponat periculo factum suum et materiam scandali in ecclesia praebeat. Jedin 1965a, p. 78-80.
60BAV, Vat. Lat., 8192, fol. 1r : Si papa creare tentet aliquos in cardinales contra voluntatem maioris partis collegii cardinalium ipsis non acceptantibus illos sed potius reclamantibus quod illi non erunt vere cardinales nec pro cardinalibus habendi. Sur ce traité : H. Smolinsky, Dominici, Domenico, dans DBI 40 et Jedin 1957, p. 236-239.
61Jedin 1965a, p. 11-149, part. p. 80.
62Jedin 1972, p. 169.
63Sägmüller 1893, p. 38 : Quod papa possit, ubi et quando putaverit expedire, sine consilio vel saltem assensu cardinalium cardinales novos creare. Capitulum decimum. Le traité affirme également que le nombre de cardinaux ne doit pas nécessairement être limité.
64Mannucci 1915, p. 84* : Item quod non creabit, seu assumet aliquem Cardinalem […] de consilio duarum partium DD. Cardinalium. […] Alio modo creati, post mortem Pontificis, etiam si interim exercuerint officium, sint inhabiles in electione Pontificis active, et passive.
65L’œuvre de Patrizi Piccolomini 1980-1982, I, p. 140 : Servatum tamen est usque ad hec tempora ut pontifex non creet novos cardinales, nisi de consensu duarum partium sacri collegii. Cette indication est contredite par Burchard qui remplace les deux tiers par la majorité selon Marc Dykmans, l’éditeur du cérémonial.
66Annales ecclesiastici 1864-1883, XXX, p. 397 : Si vero infra numerum viginti cardinalium antiquorum existant, tunc cardinales per eum creandi usque ad impletionem dicti numeri secundum tempus suae creationis inter caeteros antiquos cardinales ad dicta suffragia admittantur, in quibus tunc eis os apertum esse declarabit. Jedin 1972, p. 83.
67Marino Sanudo, Diarii, XVI, col. 104 : Non excedat uno cum tempore, et aliter vel alio modo creati post mortem pontificis, etiam si interim exercuerint effectum, sint inabiles in electione pontificis active vel passive, nec in posterum habeantur pro cardinalibus ; nec creabit unquam aliquem nisi prius reducatur Collegium ad numerum viginti quatuor, et eum non excedat, ut dictum est, illosque creandos supplicando, nec eos tenebit secretos. In qua eorum creatione, convocabit omnes cardinales qui comode venire possunt, in Italia existentes a Bononia citra. Quodque exquisitio dominorum cardinalium fiat concistorialiter et non [auriculariter, en se fondant sur les capitulations de 1522] et suffragia cardinalium per ballotas praestantur et non aliter.
68Pastor 1888-1961, VII, p. 155.
69Cité dans Voigt 1862, II, p. 191. Traduction en français dans Pastor 1888-1961, II, p. 433.
70Pastor 1888-1961, II, p. 433.
71Pie II, I commentarii, II, p. 1440-1443 : Plures proditores sumus quam cardinales. Ruat iam haec dignitas, quando ita placet. Ego, si trecentos adiungere nobis viros Pontifex statuerit, non adversabor.
72Pellegrini 2002b, p. 13.
73Pastor 1888-1961, IV, p. 381.
74Ibid., V, p. 344.
75Le Cérémonial prévoit que le pape consulte les éventuels absents entre deux consistoires pour recueillir leur accord : L’œuvre de Patrizi Piccolomini 1980-1982, I, p. 142.
76Voilà ce que rapporte la dépêche de Lucido Cattanei, l’agent de Mantoue à Rome, adressée au marquis Gonzague le 20 septembre : « Questa matina a la qual el Pontifice disse voler far Cardinali ogni modo tanto a l’improviso, è fatto consistorio, al qual non ge hanno voluto intravenire questi signori de più autorità e reputatione: cioè Napoli, Vincula, S. Angelo, Portugallo, Portico, Conti moi vicino, al qual morite heri uno suo camerero de peste…, Zenua, Benivento, Recanati, Siena, Medici, quali sono tuti de uno animo e sacramentati… Questi non hanno voluto andar… cidendo in viso al Pontifice ched l’è stata cosa fatta a mane (?) in tempo de gran peste chiamar Cardinali e quelli che sono longi cento e duecento milia chiamarli dui o tri dì nanti che l’habii publicato voler far Cardinali, e sel ne farà senza lor consentimento intendono non valia in cosa alcuna come non iustamente fatti. Intanto sel li fa non volendo questi, è gran dubio de sisma vero e grande, perchè questi cardinali contradicenti dicono non voler simile sorte de cardinali », dans Luzio 1915, p. 417. Jedin 1965a, p. 82-83.
77Luzio 1915, p. 418.
78Jean Burchard, Liber notarum, II, p. 242-243. Pour la traduction en français : Jean Burchard, Dans le secret des Borgia, p. 352.
79Antonio Giustinian, Dispacci, III, p. 287 : « Perchè non è niuno che desideri multiplicar questo numero; nè piacciono le persone che il Papa vorrebbe promuovere » et « Da se solo, senza l’assenso del Collegio, può far nuovi cardinali: e mostrò di temere che il Papa, persuaso dall’Alessandrino, non faccia di propria autorità questa promozione, senza parteciparla al Collegio. Tuttavia disse che non lo credeva, sperando che i principi secolari difenderebbero la libertà della Chiesa. »
80Ibid., III, p. 290 : « Avendo etiam el consiglio dell’Alexandrino, che li allega testi e giose della suprema sua potestate. »
81Ibid., III, p. 305 : « Il Papa è stato in Concistoro soltanto mezz’ora, mostrandosi grandemente incollerito. Non se ne conosce con certezza il motivo; ma forse è per la faccenda della promozione dei cardinali, che si crede non possa aver più effetto per Natale prossimo. »
82Ibid., III, p. 413 : « Ogni zorno pi se confermavano in opinion de non voler per niente che se augumentasse il numero de cardinali. »
83Ibid., III, p. 462 : « Torna novamente in giro la voce di una prossima promozione di cardinali, la quale bensì sarà al solito molto contrastata dal Sacro Collegio. »
84Pastor 1888-1961, VI, p. 204.
85Jean Burchard, Liber notarum, II, p. 498-499 : Lune, prima decembris, fuit consistorium secretum, in quo fuit tractatum de creandis x novis cardinalibus […]. Papa exivit ad cameram audientie circa xvii et vocabit ibidem de camera papagalli, sive consistorii, primo Neapolitanum, deinde singulos cardinales, cum quibus particulariter locutus est de dicta creatione ; et duravit hec collocutio et consistorium usque ad xxiiii horam et non potuit papa eos in particulari vincere. Omnibus allocutis, papa exivit ad consistorium, et ibi, in communi, tractavit nec sic potuit vincere. Tandem prorupit ad minas, et quod facturus esset nescio quid […]. Tandem consenserunt omnes in novem prenominatos, ita tamen quod non in illo sed in quatuor temporibus eos publicaret ; quod etiam pape non placuit, sed mansit contentus publicare eos in primo consistorio. Pro papa fuerunt ante consistorium xii cardinales […]. Ultra quos interfuerunt consistorio […] qui omnes fuerunt contra papam et creationem cardinalium. Tandem consenserunt omnes pro eo maxime quod papa minatus fuit eis creare xxx cardinales, et inter eos vi auditores, qui se et socios defendant, et ii Hispanos. Item pape displicuit quod cardinales Reginus, Arborensis, de Flisco et Bononiensis promiserant dare vota pape et in consistorio negaverunt et quod alius, videlicet Sancti Severini, voluit habere certa castella pro voto suo. Propterea privavit Arborensem cameris in pallatio et legacione perusina. Pour la traduction en français : Jean Burchard, Journal, p. 406-407.
86BAV, Urb. Lat., 637, fol. 184v, sur le refus de Bandinello Sauli. Paride Grassi traite plus généralement de cette promotion aux fol. 180v-188r.
87B. de Lanversin, Auditeur de la rote, dans Levillain 1994, p. 169-170.
88Voir supra, introduction du volume, n. 96.
89Voir infra, chap. 2, section Les Petrucci : une parenté opposée.
90Henderson 2009, part. p. 44-45.
91E. Andretta, Podocataro, Ludovico, dans DBI 84.
92Pie II, I commentarii, I, p. 154 : Scrutinoque semel atque iterum in cassum peracto, collocuti sunt inter se aliqui extra locum scrutinii Bessarionemque cardinalem Nicaenum eligere decreverunt […]. Quod ubi ad alios alterius factionis delatum est, Alanus cardinalis avinionensis, nunc istum nunc illum circumiens : « Ergo » inquit « Ecclesiae Latinae graecum pontificem dabimus ? Et in capite Libri neophitum collocabimus ? […] En paupertas Ecclesiae Latinae, quae virum non reperit summo apostolatu dignum nisi ad Graecos recurrat ! Sed agite patres quod libet. Ego et qui mihi credent in graecum praesulem nunquam consentiemus. » Moverunt ea verba nonnullos adeo ut duae partes Collegii nullo pacto ad Bessarionem accederent, qui, cum una nocte pontifex constanti multorum opinione habitus esset, adveniente luce cardinalem sese repperit, aliquanto minoris famae quam ante fuerat, ut his accidere solet qui magna e spe ceciderunt. Traduction dans Pie II, Mémoires, p. 91-92.
93Pie II, I commentarii, I, p. 200 : non tantum quia gallicus gallico favebat, quantum quod ex promotione Vilhelmi ecclesiam Rhotomagensem et domum eius in Urbe et Cancellariam expectabat. Traduction dans Pie II, Mémoires, p. 108-109.
94Pie II, I commentarii, I, p. 206 : « O stulte » inquit « iuvenis ! Ergo tuae nationis hostem in apostolatum collocabis ? Et scedulae fidem dabis eius hominis qui non habet fidem ? Tu scedulam habebis, Avinionensis Cancellariam. Nam quod tibi promissum est illi et promissum et affirmatum est. Illine an tibi servabitur fides ? Gallo an Cathelano Gallus amicior erit ? Extero an civi magis consulet ? Cave tibi, inexperte iuvenis, cave, stulte ! Et si non est tibi Ecclesiae Romanae cura, si religionem christianam nihili pendis et Deum contemnis, cui talem vicarium praeparas, at saltem tui ipsius curam habeto, qui, Gallo papatum tenente, in postremis eris. » Traduction dans Pie II, Mémoires, p. 112. Alors même que Guillaume d’Estouteville est décrit, par son secrétaire Giovanni Battista Degli Artizagani, comme « plus italien que français » : BnF, Fonds italien, cod. 158, fol. 133, cité dans Gill 2010, p. 25. La plupart des auteurs s’entendent d’ailleurs à considérer son mécénat comme résolument italien ; il maîtrise en outre parfaitement la langue de Dante : ibid., passim.
95Par exemple, le cardinal Giacomo Ammannati Piccolomini appelle les autres cardinaux, après la mort de Pie II en 1464, à élire sur le trône de saint Pierre un candidat capable de dépasser les nationalités. Giacomo Ammannati Piccolomini, Lettere, II, p. 500.
96Firpo 1990, p. 108, 125-126.
97Reinhard 1988, p. 257. Ces mêmes idées sont reprises dans Reinhard 2000, part. p. 274.
98Cette chronologie est reprise dans Somaini 2003, II, p. 679-686. L’auteur voit dans l’italianisation l’un des cinq traits saillants de la transformation du Sacré Collège sous Sixte IV avec sa politisation, sa croissance numérique, son népotisme et sa bureaucratisation. La question de la croissance numérique a déjà été développée et les autres aspects sont aussi abordés infra. Thomson 1980, p. 63, affirme quant à lui des propositions assez étonnantes et inexactes sur l’évolution des nationalités au sein du Collège.
99Pellegrini 2017, p. 220 ; Pellegrini 2017, p. 220. La formule de « parlement de l’Église » est d’Hubert Jedin : Jedin 1965b.
100Partner 2000, p. 208 sq. C’est une idée courante, déjà présente par exemple dans Hay 1977, p. 41-48 ; Firpo 1990, p. 109 sq., et reprise par la suite, notamment dans Carocci 2017, p. 101.
101Maleczek 2017, p. 11, note que le cardinalat est un phénomène non seulement italien, mais surtout romain au Moyen Âge central.
102S. Miranda, The cardinals of the Holy Roman Church, en ligne : https://cardinals.fiu.edu/conclaves.htm.
103Ainsi les concordats espagnol, français et germanique stipulent avec les mêmes mots : Statuimus ut deinceps numerus Cardinalium sanctae Romanae ecclesiae adeo sit moderatus quod nec sit gravis ecclesiae, nec superflua numerositate vilescat, qui de omnibus partibus christianitatis proportionaliter quantum fieri poterit assumantur, ut notitia causarum et negotiorum in Ecclesia emergentium facilius haberi possit, et aequalitas regionum in honoribus ecclesiasticis observetur (Mercati 1954, I, p. 145, 151, 158). Pierre d’Ailly, un des grands inspirateurs de la réforme proposée par le concile de Constance, insiste quant à lui sur la nécessité d’un Sacré Collège qui ne soit pas trop italien : Jedin 1972, p. 157. Sur les concordats qui font suite au concile de Constance, voir infra, chap. 3, section Les décrets conciliaires.
104Jedin 1972, p. 160-165.
105Dans une proportion très similaire à ce qu’il est possible d’observer pour l’ensemble de la Curie : Partner 1994, p. 39.
106Partner 2000, p. 209.
107Jürgen Dendorfer souligne l’équilibre dans le recrutement cardinalice de ces pontificats, mais souscrit à la thèse de l’italianisation à partir de la moitié du siècle : Dendorfer – Lützelschwab 2011, p. 362-365, 421-422.
108Là encore, le rôle prêté à Sixte IV par Wolfgang Reinhard ne m’apparaît pas décisif et me semble plutôt surévalué : Reinhard 1998e, p. 102-103. Son analyse de l’évolution de la part des nationalités dans le Sacré Collège ne se fonde que sur les créations et jamais sur les disparitions des cardinaux.
109Contrairement à ce qu’avance Pastor 1888-1961, II, p. 300, qui omet Pierre de Foix l’Ancien, le Collège compte alors 21 membres : 7 Italiens (Giorgio Fieschi, Filippo Calandrini, Domenico Capranica, Prospero Colonna, Latino Orsini, Pietro Barbo, Ludovico Trevisan), 5 Français (Pierre de Foix l’Ancien, Guillaume d’Estouteville, Alain de Coëtivy, Guillaume-Hugues d’Estaing, Jean Rolin), 4 Hispaniques (Alfonso Borgia, Antonio Cerdá y Lloscos, Juan de Torquemada, Juan de Carvajal), 2 Grecs (Basilio Bessarion et Isidore de Kiev), 2 membres originaires du Saint-Empire (Peter von Schaumberg et Nicolas de Cues), 1 Hongrois (Dénes Szecsi). Sont absents le 4 avril Pierre de Foix, Guillaume d’Estouteville, Jean Rolin, les deux membres du Saint-Empire et le Hongrois.
110Ibid., II, p. 302 sq.
111Voilà comment l’épisode est raconté par Vespasiano da Bisticci dans sa vie du cardinal Domenico Capranica (Vespasiano da Bisticci, Le vite, I, p. 165) : « Ma, come intervene il più delle volte, sempre fanno i più vecchi per averne a fare presto uno altro, feceno uno catalano che si chiamò papa Calisto, uomo d’anni otanta, che ne furono molto biasimati di non aver fatto Fermo [Domenico Capranica], taliano, et avere fatto uno catalano d’età d’anni otanta. »
112Hollingsworth – Richardson 2010, p. 2 ; Lemaitre 2009, p. 289. Je souscris également au jugement de Jennifer Mara DeSilva, qui assure que la croissance du Collège est plus en phase avec l’idéal de cardinaux représentatifs d’une Église universelle et savante : DeSilva 2011, p. 730.
113Pastor 1888-1961, I, p. 255-256.
114Cette diversité est notamment mentionnée dans Carocci 2017, p. 118.
115Pie II, I commentarii, I, p. 914 et 916 : In Quadragesima quae secuta est, Pontifex in Collegio de creandis novis cardinalibus verba fecit : inter eos qui Senis creati fuissent nullum nominatum ex ultramontanis, nisi praepositum Salzburgensem qui nondum publicatus esset ; Italis tantum id honoris concessum, indignam rem videri nationibus reliquis ; Gallos atque Hispanos quasi contemnantur aegre hoc ferre ; Romanam Ecclesiam universalem appellari, quae orbem iudicet universum, matrem ac magistram fidelium : ad eius consilium ex omnibus christianis provinciis viros excellentes accersiri oportere, qui mores omnium calleant ; comitia iam adesse creandorum cardinalium quae vocant Quatuor tempora ; in medium consulant ex ultramontanis regionibus qui nam idonei tanto muneri censeantur et quot creandi videantur.
116Pie II, I commentarii, II, p. 1430 : Creati sunt cardinales Senis omnes Italici. […] Sine maximo dedecore nostro et fortasse sine damno Ecclesiae non possumus negare quod petitur. Traduction dans Pie II, Mémoires, p. 292.
117Il faut remarquer une tradition ancienne de ce fait, la période avignonnaise exceptée.
118Paravicini 2012, p. 253-294 ; Cauchies 1998.
119Schnerb 2005.
120La plupart des auteurs relevant ce phénomène ont été présentés dans les pages qui suivent. Richard A. Goldthwaite assure que ce mouvement vaudrait pour le recrutement de l’Église dans son ensemble : Goldthwaite 1993, p. 126-130.
121Sur la difficulté à définir qui est noble et qui ne l’est pas : Klapisch-Zuber 1995, p. 151-154 ; Castelnuovo 2014.
122Jean Allarmet de Brogny, Pierre d’Ailly, Giovanni Dominici, Guillaume Fillastre, Philip Repington, Pietro Morosini, Thomas Langley, Giacomo Isolani, Carlos Jordán de Urriés, Pedro da Fonseca et Juan Martínez de Murillo ne sont pas nobles ou leur statut social n’est pas connu.
123Filippo Calandrini, Berardo Eroli, Giacomo Ammannati Piccolomini, Bartolomeo Roverella, Amico Agnifili, Jean de La Balue, Giuliano Della Rovere, Philibert Hugonet et Jacopo Antonio Venier ne sont pas nobles ou leur statut social n’est pas connu.
124Benedetto Accolti, Paolo Emilio Cesi, Andrea Della Valle, Niccolò Gaddi, Matthaüs Lang von Wellenburg, Esteban Gabriel Merino, Andrea Matteo Palmieri, Juan Pardo de Tavera, Antonio Pucci, Niccolò Ridolfi, Giovanni Salviati, Agostino Spinola, Willem Van Enckenvoirt, Tommaso De Vio ne sont pas nobles ou leur statut social n’est pas connu.
125Prodi 1982, p. 324, cité dans Pellegrini 1989, p. 215.
126Pellegrini 1989, p. 216 sq. Ces considérations sont tenues dans un chapitre intitulé La componente aristocratica di origine italiana nel Sacro Collegio alla fine del XV secolo.
127Il me semble que les chiffres qu’il avance lui-même conduisent à relativiser le rôle de Sixte IV, comme pour d’autres processus. Marco Pellegrini a repris ces idées et cette chronologie encore plus récemment. Il insiste sur la tendance du pape à nommer dans le Collège des « représentants des dynasties au pouvoir », ce qui serait à la fois une nécessité pour lesdites dynasties et pour le souverain pontife : Pellegrini 2011, p. 419-424. Sur le rôle des grandes familles baronniales au sein du Sacré Collège comme une constante, voir par exemple Carocci 1993, p. 46-47, pour la fin du XIIIe siècle.
128Reinhard 2000, p. 277, en fait un critère d’accession au cardinalat et à la papauté depuis le XVe siècle jusqu’au XXe siècle.
129Hollingsworth – Richardson 2010, p. 4.
130Somaini 2003, II, p. 679.
131Giovanni d’Aragon, le fils de Ferdinand Ier et de sa première épouse, est élevé par Sixte IV le 10 décembre 1477 ; Fryderyk Jagiellończyk, le fils de Casimir IV, par Alexandre VI le 20 septembre 1493 ; Alphonse de Portugal, le fils de Manuel Ier et de sa deuxième épouse, par Léon X le 1er juillet 1517.
132Pellegrini 1989, p. 216.
133Jean Balue ou Jean Bilhères de Lagraulas auraient pu également être cités pour la cour des rois de France : Firpo 1990, p. 93-96.
134Pie II, I commentarii, II, p. 1446-1447 ; Fierville 1874a, p. 119.
135Si l’existence de cardinaux protecteurs d’ordre religieux est avérée dès le XIIIe siècle, celle de cardinaux protecteurs d’État antérieurs au XVe siècle est plus discutée. C’est un sujet historiographique en essor ces dernières années. La bibliographie sur cette question est pléthorique pour l’époque moderne. Il faut citer la thèse de Bertrand Marceau (Marceau 2018) et celle, plus récente encore, de Jean Sénié (Sénié 2021). Pour un exemple local : Wilkie 1974. De manière plus générale, se référer à C. de Dominics, Cardinal protecteur, dans Levillain 1994, p. 284-286, et à Sanfilippo – Tusor 2019. Pour le XVe siècle, Thomson 1980, p. 57-60, peut être consulté avec profit.
136Firpo 1990, p. 109.
137Reinhard 2000, p. 271-272.
138Dufouleur 2024b.
139Pastor 1888-1961, VII, p. 353 sq.
140Somaini 2003, II, p. 679-681. Une idée partagée partiellement avec Firpo 1990, p. 93. Dans le même ordre d’idée, mais de manière plus générale, Sandro Carocci et Amadeo De Vincentiis soulignent qu’après le Grand Schisme, en particulier dans la seconde moitié du Quattrocento, « le rapport particulier de voisinage et de perméabilité qui unit les États italiens à la cour romaine » s’accentue toujours davantage : Carocci – De Vincentiis 2017, p. 20.
141Giovanni Arcimboldi serait une créature du duc de Milan, Pietro Foscari du doge de Venise, Paolo Fregoso du doge de Gênes, Giovanni d’Aragon du roi de Naples, Ausias Despuig et Juan Margarit y Pau du roi d’Aragon, Pedro González de Mendoza et Jacopo Antonio Venier du roi de Castille, Charles de Bourbon et Hélie de Bourdeilles du roi de France, Jorge da Costa du roi du Portugal, Georg Hessler de l’empereur du Saint-Empire romain germanique, Gabriele Rangoni du roi de Hongrie, Philibert Hugonet et Ferry de Clugny du duc de Bourgogne, Philippe de Lévis du duc d’Anjou, Pierre de Foix le Jeune du roi de Navarre et du duc de Bretagne.
142Ricci 2017, p. 227, qui développe l’exemple de la famille de Ferrare. Sur la question des cadets, voir infra, chap. 4, début de la section Le choix du bon candidat.
143Goldthwaite 1993, p. 126-127.
144Firpo 1990, p. 82.
145Fabroni 1784, II, p. 310 : « Onde è necessario che diventiate un buono Ecclesiastico, et facciate ben capace ciscuno, che amate l’onore et stato di S. Chiesa, et delle Sede Apostolica innanzi a tutette le cose del mondo, posponendo a questo ogni altro rispetto; nè vi mancherà modo con questo riservo d’ajutare la città et la casa; perchè per questa città fa l’unione della Chiesa, et voi dovete in ciò essere buona catena, et la casa ne va colla città. Et benchè non si possono vedere gli accidenti che verranno, così in general credo, che non ci habbiano a mancare modi si salvare, come si dice, la capra e i cavoli, tenendo fermo il vostro primo presupposto, che anteponiate la Chiesa ad ogni altra cosa. » Pour la traduction française partielle de cette lettre : Pastor 1888-1961, V, p. 347-351. Sur cette lettre en général, voir notamment Pellegrini 1998.
146Cité dans Picotti 1927, p. 198 : homo […] missus a Deo […] in testimonium ut de summa patris sui Laurentiis apud omnes authoritate testimonium perhiberet.
147ASMan, AG, 843, dos. 37 (174 barré) : Aquistarse protector in corte. Il s’agit d’une des lettres les plus longues qu’adresse Francesco Gonzague à son père. Elle est publiée dans le premier appendice de Chambers 1985, p. 635-637, et citée dans Pellegrini 1989, p. 216.
148Reinhard 2000, p. 277.
149La lettre qu’adresse Louis XII à Francesco Gonzague au moment du conclave de Pie III, par exemple, est éditée dans Luzio 1915, p. 150-151.
150Paolo Cortesi, De cardinalatu, p. cxxviir et cxxviiv, cité dans Pellegrini 1989, p. 221, et dans Pellegrino 1988, p. 634.
151Pellegrini 2017, p. 217-218.
152Domenico de’ Domenichi, Tractatus, p. 464 : In filiis tamen regum vel nepotibus ac magnorum principum, quos aliquando pro magna ecclesiae utilitate convenit honorare, mediocris litteratura sufficiat. Sur cette bulle, voir infra, chap. 2, n. 171-173.
153Pie II, I commentarii, I, p. 916 : Pontifex non posse regum ac principum transalpinorum se preces effugere aiebat.
154Pellegrini 1989, p. 219-220.
155Richardson 2009, p. 81-82.
156Pie II, I commentarii, II, p. 1424 : Atrebatensem […] hominem temerarium et pernitiosum, cui nulla flagitia non parva videntur. Venalis est et nullius propositi tenax ; puerili movetur affectu et in peiora semper inclinat. Incapax consilii, nulli cedit, nullum reveretur, inferiora se omnia ducit, nihil se existimat ignorare. […] Mercator cum mercatoribus, cum venatoribus venator, nauta cum nautis, cum monachis monachus, semper docens nunquam discens. […] Ignem in Senatu pones et qui te semper rodat vermem. […] Discidia seminabit et factiones nutriet. […] Nisi me fallit opinio, ex incubo prognatus spiritu. Ego mihi perpetua bella video cum istoc homine si rubro donetur pileo, nec tu molestia carebis. Poenitebit te certe scio postquam feceris atque « Utinam » saepenumero dices « Alano credidissem ». Tu, si sapias, ea cavebis facere quae poenitentiam secum afferunt. Traduction dans Pie II, Mémoires, p. 291. Jean Jouffroy est aussi une cible de Giacomo Ammannati Piccolomini, qui en dresse un portrait au vitriol dans une lettre adressée à plusieurs cardinaux à la fin du mois de septembre 1464 : Giacomo Ammannati Piccolomini, Lettere, II, p. 533-543.
157Fierville 1874a, p. 109-148 ; Märtl 1996, p. 129-146 ; Märtl 2012b.
158Pie II, I commentarii, II, p. 1426 : Atrebatensis […] nunc legatum apud regem Franciae gerit. Ille cardinalatum Atrebatensi optat. Idem Burgundus facit. Promittitur abolitio Pragmaticae qua nihil est Apostolicae Sedi magis contrarium. Adsunt tempora creandorum cardinalium. Si non audimus preces regias, non auferetur Pragmatica de regno Franciae. […] Scis quo sunt animo pontifices Galliarum erga Romanam Ecclesiam, et quam inviti Pragmaticam deserunt. Traduction dans Pie II, Mémoires, p. 292.
159Pie II, I commentarii, II, p. 1444-1445 : Pontifex creatum rescripsit et cum eo simul Labretum, ut integrum esset Regi gaudium, qui pro sua religione duos cardinales meruisset obtinere.
160Benoist Pierre souligne ainsi la fidélité sans faille de Georges d’Amboise au roi de France : Pierre 2017. Voir aussi Carocci – De Vincentiis 2017, p. 19.
161Concilium Tridentinum 1930, p. 138 : Ambiunt praeterea cardinales a regibus et principibus episcopatus, a quibus postea dependent nec possunt libere sententiam dicere ; immo, si possent et vellent, fallerentur tamen, passione animi in iudicando perturbati.
162Sur la nomination de Giacomo Ammannati en tant qu’évêque de Pavie malgré l’opposition du duc de Milan : Pie II, I commentarii, I, p. 736-739. Au sujet du rapprochement entre Giacomo Ammannati Piccolomini et le duc de Milan : Giacomo Ammannati Piccolomini, Lettere, I, p. 137-138. Les lettres publiées dans le même volume p. 331 à 361 témoignent de cette évolution.
163Giacomo Ammannati Piccolomini, Lettere, I, p. 362 : « Vorrìa ringratiare la vostra illustrissima signoria secondo il desyderio moi, ma la penna non responde al chore né le parole a tanto bene che ho ricevuto da vostra signoria. È piaciuto questo di a nostro signore non per miei meriti, ma per intercessione di vostra excellentia, promovermi alla dignità del cardinalato. Sit laus Deo. Non potendo rendere con altro gratia et merito a vostra signoria, renderò colle infrascripte cose: prima, con il tenere a mente il benefitio ricevuto; secondo, con il dirizare tutti i pensieri et le opere mie a gloria et consolatione di vostra signoria et del sangue et carne vostra et dei subditi et amici vostri, non postponendo mai cos ache io cognosca aparternerse a questo effecto; ultimo, con el pregare l’altissimo Dio, che per me se degni retribuire largamente a vostra signoria nunc et in eternum. »
164Ibid., I, p. 405. De nombreux autres témoignages qui vont dans ce sens peuvent être trouvés dans la correspondance du cardinal, p. 420, 437.
165Ibid., I, p. 441-443.
166Voir infra, chap. 2, section Giacomo Ammannati Piccolomini : une parenté construite ?
167Hollingsworth – Richardson 2010, p. 4.
168Michon 2017, p. 41-42 ; Michon 2008.
169Cité dans Shaw 2007, p. 89 : « Malissimo disposti: né vogliono intendere haverlo più per parente », bref de Piero Vettori du 9 mars 1486 à Bracciano. La date du 9 mars 1485 indiquée par Christine Shaw est incohérente, mais je n’ai pas pu vérifier la source archivistique pour rétablir la date du 9 mars 1486.
170Picotti 1927, p. 171.
171Cela fait suite à la généralisation de la vénalité des offices curiaux à Rome à partir du pontificat de Sixte IV : Hofmann 1914, I, p. 162-190 ; Schimmelpfennig 1984b ; Reinhard 1998g ; Reinhard 1998e, p. 103, Esposito 2005.
172Jean Burchard, Liber notarum, II, p. 242-243. Pour la traduction en français : Jean Burchard, Dans le secret des Borgia, p. 352-353.
173Antonio Giustinian, Dispacci, II, p. 30 : « A tutti questi cardinali ha costato questo capello qualche mier de ducati, senza algun respetto a parentado nè a servitù, a chi poco a chi assai, segondo la possibilità de cadaun; ma hanno speso grossamente, e da ducati 20 000 in suso l’uno, che son Frigiù, Volterra, Messer Adriano, Lionensis et il Todesco. Fassi conto che, tra tutti, l’abbi toccato da 120 in 130, 000 ducati, che mettendoli insieme cum quelli che pochi di sono che l’avè de la vendita de li offici novi, […] e con quelli del quondam reverendissimo Sant’Angelo, […], ascendono ad una gran somma. […] In modo che questo Pontefice, con i modi soi, ha fatto certo cadauno che le intrade de un Papa sono tante quante lui medemo el vuol farle esser. » Pastor 1888-1961, VI, p. 120, offre une traduction en français lacunaire et inexacte. Voir aussi Pellegrini 1989, p. 219, et Firpo 1990, p. 86, 96. Ce dernier affirme, à la p. 87, que Jules II procède de la même manière.
174Carocci – De Vincentiis 2017 notent, p. 21, que l’introduction d’offices vénaux dans l’Église, de manière officieuse dès le Quattrocento, a freiné considérablement la mobilité sociale dont l’Église pouvait être un vecteur.
175Léon X a également eu recours aux promotions cardinalices pour renflouer les caisses des États pontificaux, notamment lors de la grande promotion de 1517. Marino Sanudo rapporte à ce sujet les dépêches de l’ambassadeur Marco Minio : Marino Sanudo, Diarii, XXIV, col. 420. Guichardin n’a pas un avis différent puisqu’il affirme : « il en désigna beaucoup pour l’argent, car il se trouvait fort dépourvu et dans le plus grand besoin » (Guichardin, Opere, III, p. 1288. Trad. française dans Guichardin, Histoire d’Italie, II, p. 121). Ce n’est malgré tout pas la seule cause de cette nomination : voir infra, chap. 2, section Les Petrucci : une parenté opposée.
176Cette lettre est reproduite dans son journal par Marino Sanudo, Diarii, XLV, col. 60 : « Il papa haver publicato in concistorio tre cardinali fatti con 40 milia ducati per uno. » Cette somme est confirmée par une copie d’une lettre de Domenico Venier, ambassadeur de Venise, écrite à Civitavecchia le 20 mai 1527 : « Il magnifico missier Marco Antonio Justiniano era in casa della illustrissima marchesana di Mantoa, et accusato da romani sua magnificentia volea spender ducati 40 milia per esser fatto cardinale », dans Marino Sanudo, Diarii, XLV, col. 217. Sur Marino Sanudo : M. Melchiorre, Sanudo, Marino il Giovane, dans DBI 90.
177Firpo 1990, p. 124-125.
178Marino Sanudo, Diarii, XLVI, col. 338 : « Nostro Signor se intende ali 23 di Novembre passato era per accordato con li cesarei di darli 300 milia ducati, quali non se haveano se non espetare giorni tre per la venuta de 8 gentilhomeni del regno che se venivano a farsi cardinali. Et loro pagano tal somma, et già era fato cardinale lo arzivescovo de Matera, con haver sborsato ali lanzichenech 40 milia scudi. »
179Firpo 1990, p. 124-125.
180Reinhard 1998f ; Reinhard 2000, p. 263.
181De Vincentiis 2007, p. 47. Amadeo De Vincentiis compare dans cet article Somaini 2003 et Pellegrini 2002a.
182Firpo 1990, p. 82-122.
183Hollingsworth – Richardson 2010, p. 2-3.
184Cette liste de papes et de leurs provenances sociales très diverses peut certainement s’expliquer en partie par la tendance des grandes factions aristocratiques au sein du Sacré Collège à se neutraliser entre elles et à s’entendre sur un candidat de compromis qui leur était extérieur lors des conclaves. En ce sens, la proposition de Wolfgang Reinhard de tenir les carrières des papes comme représentatives de celles des cardinaux, car ils appartiendraient au même milieu social, peut être tempérée : Reinhard 2000, p. 264.
185Claude de Seyssel, La monarchie, p. 68. Sur Claude de Seyssel : P. Rosso, Seyssel, Claudio, dans DBI 92.
186Staubach 2010.
187Cité dans Pétrarque, Sonnets, I, p. 233.
188Cité dans Villari 1874, I, p. 223.
189Esposito 2010.
190Celenza 1999, p. 164-167 : Sed reliquos quaestus perscrutemur qui omnibus iis qui curiae negocia obeunt quot, quanti, quam multiplices expositi sint enumerare difficile esset. Quot enim ordines in curia sunt, tot ad lucrum et ad quaestum patent viae, quibus non mediocres, sed prope maxime opes divitiaeque parantur. Nam ut omittam patres cardinals – de pontifice enim quis dubitat ? – ac sedis apostolicae protonotarios, quos nullus ignorat lucrari plurimum ? […] lucrandi opifices, e quibus nemo est, ne nunc quidem, cum imminuta lucra et exhausti omnes pecunia sunt, qui non suis sumptibus in curia ample et magnifice vivere possit. Je me suis aidé de la traduction anglaise que donne Christopher S. Celenza du De curia commodis pour traduire le latin vers le français. Sur la vie et l’œuvre de Lapo da Castiglionchio, voir R. Fubini, Castiglionchio, Lapo da, detto il Giovane, dans DBI 22, et surtout Celenza 1999.
191Carocci 2017, p. 93.
192Partner 1990, p. 18 ; Carocci – De Vincentiis 2017, p. 20.
193Une première typologie avait déjà été tentée dans Chambers 1966.
194Chambers 1966, p. 302.
195Parmi ses nombreux ouvrages de Marco Pellegrini sur Ascanio Maria Sforza, un article nous intéresse davantage ici : Pellegrini 1996.
196Vespasiano da Bisticci, Le vite, I, p. 3.
197Girgensohn 1996, p. 190-194.
198Chambers 1992, p. 45-48.
199De même, le duc de Mantoue, Ludovico Gonzague, refuse pendant très longtemps de confier le diocèse de Mantoue à son fils, arguant que le bénéfice requiert la présence et les soins d’un évêque résident. Francesco finit cependant par convaincre son père : Chambers 1985.
200L’exemple du cardinal Ippolito II d’Este aurait également pu être développé. Mary Hollingsworth estime que, lorsqu’il obtint la pourpre en 1538, les deux tiers de ses revenus provenaient des propriétés ducales héritées de son père et transmises par la voie d’une pension numéraire mensuelle payée par son frère, le nouveau duc : Hollingsworth 2004, p. 137.
201Hollingsworth – Richardson 2010, p. 10 ; Byatt 2020, p. 280.
202Codex iuris canonici, 1917, canon 1409 ; Thériault 1977, p. 287.
203McClung Hallman 1985, p. 38-39. À cette date, il touche 1 593 ducats pour dix-neuf d’entre eux.
204Chambers 1992, p. 39-41.
205Les abbayes relevant des bénéfices consistoriaux sont celles qui ont un revenu annuel supérieur à une certaine somme, dont la limite évolue au cours du Moyen Âge et diffère selon les régions. Après le concile de Constance, l’Église décide par exemple de fixer le seuil pour la France à 200 florins annuels : Clergeac 1911, p. 44 ; Eubel 1900.
206Clergeac 1911, p. 44 ; Antonovics 1967, p. 88 ; Prosperi 1984, p. 51-67 ; Chittolini 1986b, p. 163-170.
207Hefele 1916, VII/1, p. 452-453.
208Mayeur et al. 1990, passim, part. p. 638-644, 669-671, 700-707, et Mayeur et al. 1994, passim, part. p. 345-351.
209Les évolutions de la situation dans le royaume de France sont bien rendues dans Mayeur et al. 1990, part. p. 638-644, et Mayeur et al. 1994, part. p. 345-351. Voir également Ourliac 1942. Pour des exemples dans la péninsule italienne, voir Cenci 1968 et Del Torre 2010, p. 63-128, pour Venise, ainsi que Ansani 1989 pour Milan.
210McClung Hallman 1985, p. 17.
211Carocci – De Vincentiis 2017, p. 19. Même le sultan ottoman Bajazet II tente d’intervenir dans la collation des bénéfices : Correspondance des Borgia 2013, p. 158-159.
212Adrien Clergeac a certainement produit, dans sa thèse qui date du début du XXe siècle, la synthèse la plus claire sur les bénéfices consistoriaux, notamment sur leur mécanique d’attribution et la manière légale dont ils sont détenus : Clergeac 1911. Beaucoup des considérations qui suivent sont extraites de cette thèse, en particulier du chap. 2, Les bénéficiers consistoriaux et leurs procureurs, p. 44-79.
213McClung Hallman 1985, p. 66-80 ; Chambers 1985 ; Byatt 2020, p. 284-286. Ces abus sont régulièrement dénoncés, par exemple par le Consilium de emendanda ecclesia de 1537 : Concilium Tridentinum 1930, p. 137-139.
214McClung Hallman 1985, p. 18-19. D’ailleurs, Pie II fulmine une bulle le 4 novembre 1463 qui impose à tous les clercs ayant des bénéfices incompatibles de verser à la Chambre apostolique la moitié du fruit de ces bénéfices pour financer la croisade : Weber 2013, p. 308.
215Il n’est pas rare que les auteurs emploient les termes d’administration et de commende l’un pour l’autre.
216McClung Hallman 1985, p. 19. Adrien Clergeac finit même par distinguer de manière pratique dans son analyse l’« administrateur apostolique », dont la mission a en effet un caractère transitoire, et le prélat, qui détient son bénéfice in administrationem pour de nombreuses années : Clergeac 1911, p. 46.
217Alberigo 1994a, p. 1256-1257.
218Ibid., p. 1262-1263.
219S. Miranda, The cardinals of the Holy Roman Church, en ligne : http://cardinals.fiu.edu/bios1439.htm#Estouteville ; A. Esposito, Estouteville, Guillaume d’, dans DBI 43 ; Eubel 1914, II, p. 87, 107, 134, 144, 179, 193, 201, 225.
220M. Pellegrini, Innocenzo VIII, papa, dans DBI 62.
221Barbara MacClung fait des calculs un peu différents, mais qui révèlent le même processus. Elle démontre par exemple que, pour la période qui court de 1512 à 1519, plus de 65 % des cardinaux cumulent au moins deux évêchés et 43 % en comptent au moins cinq pendant leur carrière : McClung Hallman 1985, p. 21.
222Chronologiquement, la mesure prend donc en compte des bénéfices dont les cardinaux n’ont la jouissance que postérieurement à la date du calcul.
223S. Miranda, The cardinals of the Holy Roman Church, en ligne : http://cardinals.fiu.edu/bios1426.htm#Larochetaillee. Les dates et informations éventuellement fautives de ce site ont été corrigées à l’aide de Eubel 1913, p. 137, 207, 261, 390-391, 426. S. Miranda, The cardinals of the Holy Roman Church, en ligne : http://cardinals.fiu.edu/bios1513.htm#Cibo, est incomplet.
224Sur cette pratique, voir infra, chap. 4, section Le détournement dynastique des bénéfices.
225Eubel – Van Gulik 1923, p. 102, 108, 135, 215, 235, 238, 242, 309, 334, 337 ; F. Petrucci, Cybo, Innocenzo, dans DBI 25, et S. Miranda, The cardinals of the Holy Roman Church, en ligne : http://cardinals.fiu.edu/bios1513.htm#Cibo, sont incomplets.
226Dufouleur 2024b.
227Il n’existe pas à ma connaissance d’étude statistique sur l’évolution du nombre des actes consistoriaux au XVe siècle, mais un tel travail montrerait sûrement une inflation importante.
228Voir infra, chap. 4, section Le détournement dynastique des bénéfices.
229Sur la définition de cette catégorie, voir infra, chap. 2.
230McClung Hallman 1985, p. 38-39.
231Clergeac 1911, p. 47.
232McClung Hallman 1985, p. 52-53 ; Byatt 2020, p. 286-287.
233Hollingsworth 2004, p. 16. Voir aussi l’exemple du cardinal Francesco Gonzague à Trente en 1462 : Chambers 1992, p. 43.
234Eubel 1914, II, p. 227.
235ASC, AO, II.A.16, parch. 7.
236Il est probable que la compensation consiste également en la provision de trois bénéfices mineurs confiés à Latino le 29 mars 1449 : ASC, AO, II.A.16, parch. 14.
237Chambers 1966, p. 307-311, ou McClung Hallman 1985, p. 55-58.
238Somaini 2001, p. 112.
239Paschini 1959, p. 352.
240Witte 2020, p. 346.
241Rodocanachi 1912, p. 11.
242Chambers 1992, p. 42 ; Chambers 1966, p. 298.
243Sur les communs services et leur évolution au Moyen Âge : Baumgarten 1898 ; Clergeac 1911, p. 1-43 ; Favier 1966 ; Antonovics 1967, p. 87-90 ; Chambers 1966, p. 296-297.
244Antonovics 1967, p. 101.
245AAV, Camera Apostolica, Obligationes et Solutiones, 80 ; Antonovics 1967, p. 95 ; Chambers 1966, p. 297.
246Antonovics 1967, p. 95-96.
247Dufouleur 2024b.
248Dendorfer – Lützelschwab 2011, p. 354-358.
249Partner 1958, p. 101-111 ; Caravale – Caracciolo 1987, p. 30-33 ; O. Guyotjeannin, Légat (Moyen Âge), dans Levillain 1994, p. 1010 ; Gardi 1997, 2005 ; Fosi 2020.
250Les sept légations permanentes au Quattrocento sont la Marche d’Ancône, la Romagne (Bologne), l’Ombrie (Pérouse), le Patrimoine de Saint-Pierre, la Campagne et Maritime, Avignon et le Comtat Venaissin.
251Partner 1958, p. 97-99. Lorsque l’Ombrie n’est dirigée que par un gouverneur, celui-ci ne touche que 200 florins.
252Partner 1958, p. 111-124.
253Byatt 2020, p. 288.
254Chambers 1992, p. 41.
255Dendorfer – Lützelschwab 2011, p. 350-353.
256Hofmann 1914, I, p. 18-33 ; Del Re 1970, p. 435-446 ; P. Rabikauskas, Chancellerie pontificale, dans Levillain 1994, p. 332-335 ; Meyer 2016.
257Celenza 1999, p. 164-165.
258Chambers 1966, p. 299 ; De Blasi 2014, part. p. 43.
259Giacomo Gherardi da Volterra, Diario, p. 48 : Et ab ipso apostolice cancellarie munere, a quo in annos singulos octo aureorum millia sibi provenire dicuntur. Il s’agit certainement d’un chiffre qui croît substantiellement dans les années qui suivent : Somaini 2001, p. 112.
260Partner 1958 ; Monaco 1960 ; Del Re 1970, p. 285-297 ; Reinhard 1998e, p. 104-106 ; O. Guyotjeannin, F. Jankowiak, Camérier, dans Levillain 1994, p. 266-267 ; O. Guyotjeannin, F.-C. Uginet, Camerlingue, ibid., p. 267-268 ; Gardi 1997, p. 235-242.
261Pellegrini 1996, p. 67.
262Göller 1907-1911 ; P. Levillain, Pénitencier apostolique, dans Levillain 1994, p. 1304-1305 ; Salonen 2016 ; Fossier 2018 ; Salonen 2020.
263Chambers 1966, p. 299.
264Marino Sanudo, Diarii, XXXI, col. 117 : « La camerlengeria, che l’aveva, è in garbujo. Il cardenal Cibo la voria, ma il cardenal Armellino offerisse al Papa ducati 50 milia, et il reverendissimo la voria per lui. » Sur les différents rebondissements, voir col. 106, 117, 404, 453. Ces références ont été repérées dans Lowe 1987, p. 178.
265Firpo 1990, p. 98.
266Cette question pose le problème de la transmission : les cardinaux disposent-ils après leur mort de biens, en particulier ceux de l’Église, qu’ils détiennent pendant leur vie ? Cette question a été abordée dans le chap. 4.
267Lowe 1987, p. 185, qui traite de l’exemple de Francesco Armellini de Médicis.
268Quondam 1999, p. 332.
269Aurigemma 2004 constitue une très bonne synthèse sur le sujet.
270Aurigemma 2004, p. 137-158, donne un répertoire des résidences cardinalices romaines du Quattrocento. Maria Giulia Aurigemma y liste toutes les résidences qu’elle a relevées dans la documentation et donne des références archivistiques et bibliographiques pour chacune d’entre elles. Ces résidences sont localisées en annexe sur une carte de Rome.
271L’homologie ancienne entre les églises comme symbole de l’Église remonte à la parabole évangélique des pierres vivantes et est reprise pendant tout le Moyen Âge : Iogna-Prat 2006.
272Par exemple, Le Pogge, Ruines.
273Burroughs 1990, passim.
274Giannozzo Manetti, De vita ac gestis Nicolai, p. 124 et 214.
275Magnuson 1958, p. 55-216 ; Westfall 1974 ; Miglio et al. 1986 ; Benzi 1990 ; Chiabò et al. 1992 ; Marta 1995 ; Frommel 1998 ; Simoncini 2004, 2008 ; Borsi 2009 ; McCahill 2013 ; De Vincentiis 2014 ; Troadec 2020, p. 295-370 ; Cassani 2020. Pour l’arsenal juridique, voir infra, chap. 4, n. 119, et chap. 5, n. 252.
276Fossi 1997 ; Fagiolo – Madonna 1998 ; Visceglia 2003.
277Müntz 1878, I, p. 2.
278Sur les titres des cardinaux, voir supra, introduction du volume, section Qu’est-ce qu’un cardinal au Quattrocento ?, ainsi que Witte 2020, p. 342-343.
279Burroughs 1990, p. 166 sq.
280Weil-Garris – D’Amico 1980a, p. 88-89.
281Pietro Riario en constitue un bon exemple, même si l’historiographie exagère parfois ces traits de caractère : Pastor 1888-1961, IV, p. 215-236 ; Farenga 1986 ; Liberale Gatti 2003, part. p. 51-58, 86-87, 127-235. A contrario, plusieurs cardinaux, par exemple Bessarion, ne semblent pas correspondre à ce stéréotype, l’historiographie a néanmoins souvent tendance à en faire des cas isolés : Vast 1878 ; Il cardinale Bessarione 1974.
282Magnuson 1958, part. p. 217-349 ; Frommel 1973 ; Tomei 1977 ; Broise – Maire-Vigueur 1983, notamment p. 123 sq. ; Frommel 1998 ; Aurigemma 2004 ; Monciatti 2004.
283Valtieri 1988.
284Sur la question du palais cardinalice dans le traité de Paolo Cortesi : Quondam 1999, p. 332-340 ; Giannini 2002 ; De Raedt 2023. Sur la question de la codification du palais cardinalice : Waddy 2020.
285Pour le texte du chap. 2, De Domo, du livre II, Œconomicus, du traité, voir Paolo Cortesi, De cardinalatu, p. xlixr-livv. Une édition latine, une traduction anglaise et un bon appareil critique de ce chapitre ont été donnés dans Weil-Garris – D’Amico 1980a, p. 45-123, puis Weil-Garris – D’Amico 1980b. Maria Giulia Aurigemma a également traduit ce chapitre en italien trois ans plus tard : Aurigemma 1983, p. 53-67. Pour tous les passages de ce chapitre traduit en français, je me suis appuyé sur la traduction anglaise et la traduction italienne.
286Par exemple Francesco Todeschini Piccolomini, lorsque son oncle, Pie II, occupe le trône de saint Pierre : Richardson 2003, p. 609. Jorge da Costa occupe également un appartement au Vatican sous Jules II : Chambers 1998, p. 98.
287Chambers 1966, p. 292, par exemple Jean Burchard, Liber notarum, I, p. 286.
288Par exemple Finocchi Ghersi 1992b, pour les Colonna, et Triff 2000, part. p. 136-149, pour les Orsini.
289Chambers 1976.
290Dufouleur 2022a, p. 237-246.
291Hollingsworth – Richardson 2010, p. 8.
292Le début de ce mouvement remonte certainement au XIIIe siècle : Pietrangeli 1991, p. 15. Sur les projets de Nicolas V concernant le palais pontifical, voir Magnuson 1958, p. 98-156.
293La redécouverte de la chapelle construite par Bessarion aux Santi XII Apostoli, à l’occasion de travaux au palais Colonna en 1959, tend à prouver que le cardinal byzantin a davantage investi dans les travaux de l’église de son titre que dans ceux de la résidence qui y est attachée, attitude qui semble peu commune cependant : Tiberia – Cecchini 1992, p. 220-233.
294Frommel 1985, p. 76 ; Frommel 2009, I, p. 411-430, en particulier le plan hypothétique de reconstruction de l’ancien complexe avant les transformations, p. 412 ; Orbicciani 2010, p. 32.
295Valtieri 1984.
296Orbicciani 2010, p. 29 : raphael riarius savonensis sancti georgii diaconus cardinalis sanctae romanae ecclesiae camerarius a syxto iiii pontifice maximo honoribus ac fortunis honestatus templum divo laurentino martyri dicatum et aedes a fundamentis sua impensa fecit mcccclxxxxv alexandro vi p.m.
297Troadec 2020, part. p. 180-200 ; Dufouleur 2022a, p. 232-234.
298Chambers 1976.
299Richardson 2009, p. 289-291. Par exemple, la vigna acquise par Giovanni Salviati en 1524 avec sa mère près de Sant’Onofrio dans le Trastevere (Hurtubise 1988a, p. 592), ou la villa que possède Domenico Della Rovere sur les pentes du Monte Mario (Hermanin 1947, p. 20).
300Biolchi 1954 ; Tomei 1977, p. 92-95 ; Di Dea et al. 1991. La villa conserve en revanche des vestiges héraldiques peints de son propriétaire suivant, le cardinal Giovanni Battista Zeno.
301Richardson 2003, p. 612-625. Le même lien semble se tisser entre le cardinal Jorge da Costa et le monastère de Santa Maria del Popolo : Oliva 2008.
302Une inscription qui court sous la fresque de l’Annonciation peinte au-dessus de l’abside le rappelle : franciscus cardinalis senensis pii ii nepos tectum huius sacrae basilicae vetustate comptum propriis sumptibus restauravit a[nno] d[omini] mcccclxiii.
303Richardson 2003, p. 626.
304Weil-Garris – D’Amico 1980a, p. 90-97.
305Una nuova cultura 2021 offre un excellent point de comparaison avec le patrimoine mobilier de l’aristocratie séculière, en particulier pour l’Italie : Crouzet-Pavan 2021 ; Maire-Vigueur 2021 ; Taddei 2021.
306Édité dans Pastor 1886-1933, III, p. 876 : « Io con Parma [Giovanni Giacomo Schiaffinati] […] andassimo ad casa del vicecancellero che ne dedi cena, la quale fu honorevole et ben ordinata et sumptuosa. La casa era apparata molto superbemente et haveva la prima sala tutta ornata de tapezarie historiate in cercho et dreto ad la sala uno altro salotto circondato tutto de altra tapazaria molto bella con tapedi in terra ben correspondenti ali altri ornamenti con uno lecto et cap[o]celo tutto parato de raso cemesile et qui haveva una credenza tutta piena de vasi de argento et oro, molto ben lavorati ultra li altri piati, scudelle et altri vaselli che erano in grandissimo numero et cosa molto bella da vedere; et subsequente ad questo li erano due altre camere, l’una parata de nobilissimi razi et tapedi in terra con uno altro lecto et cap[o]celo de veluto Alexandrino et l’altra molto piu ornata de le predicte con uno altro lecto coperto de brochato d’oro et la coperta fodrata de sibilline et franze d’oro tanto ornato quanto fusse possibile con una tavola in mezo coperta de veluto Alexandrino et scrane ornatissime ben correspondente a le altre cose. »
307Crouzet-Pavan – Maire-Vigueur 2018, part. p. 213-218. Sur la culture matérielle à la cour pontificale : Märtl 2017.
308Goldthwaite 1993, part. p. 11-40 ; Crouzet-Pavan 2021, p. 8-13.
309Taddei 2021.
310Pellegrini 1996, p. 69.
311Certains d’entre eux ont été édités : Eugène Müntz a publié un inventaire du cardinal Pietro Barbo avant son élection sur le trône pontifical dans Müntz 1879, II, p. 181-287, ainsi que l’inventaire du cardinal Guillaume d’Estouteville dans Müntz 1882, III, p. 285-297. Voir aussi Esposito Aliano 1980. David S. Chambers a publié l’inventaire du cardinal Francesco Gonzague dans Chambers 1992, p. 142-188. Voir aussi Chambers 2010, p. 22. Enea Costantini a édité partiellement l’inventaire de Benedetto Accolti dans Costantini 1891, p. 413-417. Beaucoup d’autres inventaires, comme celui de Lorenzo Cybo de Mari, restent inédits (ASMas, Archivio dei Cibo Avanti il principato, II, fasc. 13).
312Les étoffes tiennent toujours une place considérable dans ces listes. Sur la garde-robe des cardinaux : Richardson 2020.
313Taddei 2021, p. 67-71.
314Costantini 1891, p. 414-416.
315Les inventaires comme ceux du palais des Gonzague à Mantoue (1407) et du palais des Este à Ferrare (1436) listent un nombre considérable d’objets de dévotion, de vaisselle et de parements liturgiques : Crouzet-Pavan – Maire-Vigueur 2018, part. p. 211.
316Romani 1983 ; Alessio 1984 ; Laffitte 2012, 2013. Plusieurs bibliothèques cardinalices ont été étudiées (Basilio Bessarion, Domenico Capranica, Jean Jouffroy, Guillaume d’Estouteville, Marco Barbo, Giordano Orsini) dans Bianca et al. 1980. Donato 2020 offre une bonne synthèse de ces questions.
317Sur Rodrigo Borgia, voir Giacomo Gherardi da Volterra, Diario, p. 56-64 et 83.
318Chambers 1998, p. 102-104.
319Il est difficile de dresser ici une liste exhaustive de ces travaux. Ce courant historiographique, toujours à l’œuvre, a commencé très tôt, en particulier avec Müntz 1878-1882. Parmi les dernières sommes : Bernardini – Bussagli 2008 ; Hollingsworth – Richardson 2010. Pour une synthèse récente, se référer à Baker-Bates – Hollingsworth – Witte 2020.
320L’inventaire est publié dans Müntz 1879, II, p. 181-287.
321Sur la collection de Pietro Barbo, voir Salomon 2003.
322petrus h/erus meus/ est venet/is generos/us alumnu/s barbus c/ardo sacer/ tuus et v/incentia pr/aesul hor/m operum i/ngeniis mi/ro oblect/atus amor. Palazzo Venezia 1980, p. 41-43. Les mêmes considérations peuvent être tenues par exemple à propos du reliquaire de Montalto : Astolfi 1910 ; Palazzo Venezia 1980, p. 40-41 ; Salomon 2003, p. 6-11.
323ASMas, Archivio dei Cibo Avanti il principato, II, fasc. 13.
324Lowe 1987, p. 186.
325Crouzet-Pavan 2015, part. p. 312.
326Robertson 2020.
327Tacke 2018.
328Parisina Malatesta, la femme de Niccolò III d’Este, fait ainsi venir de Venise à Ferrare, dans les années 1420, un perroquet et des graines pour le nourrir, ainsi que d’autres oiseaux : Crouzet-Pavan – Maire-Vigueur 2018, p. 178.
329Tacke 2018, p. 113.
330Jean Burchard, Journal, p. 45.
331Pellegrini 1996, p. 67.
332Goldthwaite 1993, part. p. 121-131 ; Vitiello 2003, part. p. 53-55.
333Cornini 2008. Sur les différents emblèmes du cardinal présent dans la chapelle : Reynolds 1983.
334F. Petrucci, Carafa, Oliviero, dans DBI 19.
335Sur ce tabernacle, voir Sciolla 1970, p. 92-93, et surtout Zuraw 1993, II, p. 420-426, et III, p. 1075-1086. Sur le maître-autel effectué par Andrea Bregno à Santa Maria del Popolo : Kühlenthal 2002, p. 182-186 ; Pöpper 2010, p. 297-305. Sur les liens entre le tabernacle et la tombe : Zuraw 2010, p. 105.
336Sur les liens éventuels entre le maître-autel de Bregno et l’art funéraire : Kühlenthal 2008, p. 212-223.
337Giorgio Vasari s’en fait l’écho : Giorgio Vasari, Le vite, III, p. 407-408. Le buste est aujourd’hui conservé au Metropolitan Museum of Art de New York.
338Goldthwaite 1993, part. p. 128.
339Un calice marqué aux armes du cardinal Giulio de Médicis est par exemple conservé au Museo dell’Opera de Florence, no 2005/335. Mais le phénomène touche aussi des cardinaux non dynastiques et réputés pour leur humilité tels que Bessarion : Petta 1974.
340Chambers 1992, p. 28.
341Les Malatesta usent par exemple de cette pratique, notamment à l’occasion des campagnes militaires toujours coûteuses. Ils n’hésitent pas à mettre en gage leur argenterie auprès de banquiers juifs : Remedia 2001, p. 108-109.
342Müntz 1897, p. 69. Sur cette tiare, voir Miglio 1975, chap. 4, Vidi thiaram Pauli papae secundi, p. 119-153, qui reprend un article paru dans le Bullettino dell’Istituto storico italiano per il Medio Evo en 1969.
343Pie II, I commentarii, II, p. 1770-1771.
344Chambers 1992, p. 45-49.
345Ibid., p. 48, 80.
346Ibid., p. 101, 137.
347David S. Chambers cite plusieurs exemples de cardinaux débiteurs à leur mort : Chambers 1966, p. 305-306.
348Ibid., p. 305-306. Par exemple, le cardinal Raymond Perault, selon Marino Sanudo, laisse une grosse dette chez les Fugger à sa mort en 1505. Giovanni Giacomo Schiaffinati apparaît pour sa part comme l’un des cardinaux les plus pauvres du XVe siècle : Bizzocchi 1987, p. 125-131. Pour un exemple plus précis, voir la reconnaissance de dette du cardinal Giovanni Salviati envers Andrea Stradiverto : BAV, Arch. Salviati, 224, feuille volante. Voir aussi Byatt 2020, p. 291-293.
349Barbara McClung Hallman estime que, au XVe siècle, il est possible de vivre très décemment à la Curie avec un revenu compris entre trois et neuf ducats d’or par mois : McClung Hallman 1985, p. 15.
350Pellegrini 1996, p. 78-79. L’auteur fournit ici un point de comparaison intéressant avec le cardinal Juan Borgia l’Ancien.
351Paschini 1934, p. 207-209 ; Firpo 1990, p. 97. Ce dernier cite d’autres exemples. Quondam 1999, p. 332, rappelle que Paolo Cortesi évalue l’héritage de Trevisan entre 200 000 et 300 000 ducats.
352Pellegrini 2001, p. 205-206 ; le même auteur dans Dendorfer – Lützelschwab 2011, p. 403-405. Cette tendance s’accroît par la suite au XVIe siècle : Delumeau 1957, I, p. 450.
353Les livres des dépenses de Francesco Armellini de Médicis sont par exemple conservés pour l’année 1519 : ASR, Camerale I (XIV-XIX sec.), Appendice camerale, reg. 15. Pour une interprétation de ces livres : Lowe 1987, p. 184-186. Sur les difficultés à étudier les finances des cardinaux : Byatt 2020, p. 277. Voir aussi l’exemple des livres de comptes du cardinal Innocenzo Cybo, qui apparaissent comme très éclatés : ASMas, Arch. Innocenzo Cybo, no 9.
354Jean Burchard, Liber notarum, II, p. 226-227.
355G. Gullino, Corner, Marco, dans DBI 29.
356Weil-Garris – D’Amico 1980a, p. 98, estime à environ 6 000 ducats le revenu moyen des cardinaux autour de 1500. Il cite notamment le revenu d’Adriano Castellesi, estimé par Paolo Cortesi autour de 10 000 ducats en 1517.
357S. Guitry, Mémoires d’un tricheur, Paris, 1935.
358Hollingsworth 2020b, p. 260. Cet article forme la synthèse la plus récente sur les maisons et les cours cardinalices à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne (p. 260-275). Pour une bonne définition de la structure de la famille cardinalice au XVe et au début du XVIe siècle, voir Mozzarelli 1988 et, de manière plus synthétique, D’Amico 1983, p. 39-40.
359Paolo Cortesi, De cardinalatu, livre II, Œconomicus, chap. 3, De familia cardinalium, p. lvr-lviiiir. Pour une interprétation de ce chapitre : D’Amico 1983, p. 49-53.
360McClung Hallman 1985, p. 101-110. Paolo Cortesi dresse une argumentation en sept points sur la nécessité de verser un salaire aux familiers, ce qui prouve que la coutume n’est pas installée au début du XVIe siècle : Paolo Cortesi, De cardinalatu, p. lviir-lviiv.
361Fokciński 1980, 1981.
362Zacour 1975.
363Le codex BAV, Chigi, R.II, 54, compile la plupart des propositions du XVe siècle ayant trait à ce sujet. Voir aussi Fragnito 1988 et Hollingsworth 2020b, p. 261-263, 265-269, sur la croissance du nombre de familiers.
364Hollingsworth 2020b, p. 260. Ülrich Schwarz évalue à 139 individus le nombre de familiers ecclésiastiques de la maison de Rodrigo Borgia en 1472 : Schwarz 1993, p. 331. Pour les rôles des maisons pontificales, voir Piccolomini 1903b et Ferrajoli 1984. Les familles pontificales sont souvent mieux connues, car elles ont laissé un nombre important de traces documentaires ; les familles cardinalices reproduisent souvent leur structure à plus petite échelle.
365AAV, Reg. Suppl., 670. Je remercie François-Charles Uginet de m’avoir indiqué ce registre. Outre une liste des familiers de Sixte IV, lui-même en ouverture du codex, les cardinaux présentant des suppliques pour leurs familiers sont Agnifili (fol. 5v), Bourchier (fol. 7r), De Mila (fol. 9r), Ammannati (fol. 9v), Rolin (fol. 15v), Eroli (fol. 21v), Carafa (fol. 24r), Bessarion (fol. 41r, 89r), Capranica (fol. 42v), Orsini (fol. 45v), Estouteville (fol. 61v), Barbo (fol. 62r), Zeno (fol. 64r), Todeschini (fol. 65v), Michiel (fol. 82r), Fortiguerri (fol. 85v), Paléologue (fol. 101r), Borgia (fol. 102r), Calandrini (fol. 106v), Roverella (fol. 160r), Coëtivy (fol. 258r). Sur les deux listes des familiers de Sixte IV contenues dans ce codex : Schwarz 1993 ; sur les listes des familiers des cardinaux : Schwarz 2005.
366Ce document a été repéré par Chambers 1966, p. 293. Je ne l’ai pas consulté moi-même.
367Ce document fait suite à un autre recensement fiscal effectué en 1517. Descriptio Urbis 1985, part. p. 357-358 ; Habitatores in Urbe 2006 ; Troadec 2020, p. 13.
368À titre de comparaison, dans le même recensement, la maison du pape compte 700 familiers.
369Peut-être que les recenseurs n’ont pas inclus le personnel de la Chancellerie, puisque Pompeo en est titulaire depuis 1524 : F. Petrucci, Colonna, Pompeo, dans DBI 27. La mention du nombre de 16 familiers au service du cardinal Salviati paraît également suspecte. Peut-être y a-t-il eu une confusion entre le cardinal et son frère, qui disposaient respectivement de 78 et 17 personnes à leur service d’après le rôle de la maison daté de 1522 : Hurtubise 1988a, p. 590.
370Hurtubise 1988a, p. 591.
371McClung Hallman 1985, p. 100 ; Hollingsworth 2020b, p. 261. Sur les humanistes employés dans les maisons cardinalices au XVe siècle : D’Amico 1983, part. p. 53-56.
372Hurtubise 1981, p. 345.
373Byatt 2020, p. 611-630 ; Hurtubise 1988a, p. 593. Sur la gestion de la maison : Hurtubise 1981, p. 342. Par exemple, le cardinal Pietro Riario est décrit comme employant 500 personnes au palais de la Chancellerie ; tous n’ont pas le statut de familiers : Simoncini 2004a, p. 200.
374C’est par exemple le cas dans la maison de Francesco Gonzague : Chambers 1992, p. 19.
375Hurtubise 1988a, p. 590.
376Giacomo Ammannati Piccolomini, Lettere, I, p. 172-186.
377Esch 1994, p. 443 ; Somaini 2001, p. 113-114.
378Paolo Cortesi, De cardinalatu, p. cic : In quo quidem intelligendum est […] senatoris interesse probi in patritiatu mandando cavere ne plus gratia quam causa valitura sit. Cité dans Pellegrini 1989, p. 220.
379Pastor 1888-1961, VII, p. 155-160.
380Reinhard 2000, p. 263-287.
381Voir supra, n. 183-184.
382Une typologie sociale qui reprend plus ou moins les mêmes critères – noblesse, patriciat, nouvelles familles et familles humbles – avait déjà été exposée par McClung Hallman 1985, p. 9.
383Tallon 2009a.
384Hollingsworth – Richardson 2010, p. 1-11.
385Michon 2017 fait en réalité une typologie centrée sur les cardinaux présents à la cour de France au début du XVIe siècle.
386Girgensohn 1977 ; Dendorfer – Lützelschwab 2011, p. 369-372.
387Sur la vie de Nicolas de Cues, voir parmi une très abondante bibliographie Vansteenberghe 1920 ; Watanabe 2001b ; D. Buzzetti, Niccolò da Cusa, dans DBI 78 ; Peroli 2021.
388Esposito 1994.
389Dendorfer – Lützelschwab 2011, p. 365-368.
390Voir infra, chap. 3, n. 132.
391Cité dans Prosperi 1984, p. 69.
392Vespasiano da Bisticci, Le vite, I, p. 159 : « Meser Domenico cardinale di Fermo fu singularissimo uomo, et sanctissimo di vita e di costumi, fu di natione romano, nato d’umilissimo luogo, et per le sua singulari virtù fu assunto alla degnità del cardinalato da papa Martino. »
393Ritzler 1971.
394Chambers 2006.
395Ibid., p. 42-46 ; Pericoli Ridolfini 1978 ; Law 1996 ; Lombardi 2003a ; Pellegrini 2010, p. 76-84.
396M. Sanfilippo, Pio III, papa, dans DBI 83.
397Voir infra, chap. 4, section Le choix du bon candidat, part. n. 34.
398Les échelons de la hiérarchie régulière ont été assimilés à la dignité d’évêque, ce qui est contestable, mais permet d’être le plus restrictif possible dans le calcul. Les prélats réguliers qui n’exercent pas de charge épiscopale lorsqu’ils sont nommés cardinaux sont de toute façon rares au Quattrocento. J’en ai dénombré neuf : Juan de Torquemada, prieur d’un couvent dominicain, Giovanni de Primis, abbé bénédictin, Alessandro Oliva, prieur général des ermites de saint Augustin, Francesco Della Rovere, ministre général des Franciscains, Tommaso De Vio, maître de l’Ordre dominicain, Egidio da Viterbo, prieur général des ermites de saint Augustin, Cristoforo Numai, ministre général des Frères mineurs de l’Observance, Francisco de los Ángeles Quiñones, ministre général des Franciscains, et Philippe de La Chambre, abbé bénédictin.
399L’œuvre de Patrizi Piccolomini 1980-1982, I, p. 58-69.
400Mais également, de manière plus anecdotique, les royaumes du Portugal, de Chypre, de Hongrie, de Pologne, de Navarre, les Pays-Bas espagnols, la Confédération helvétique et l’Empire byzantin (carte 2).
401Dendorfer – Lützelschwab 2011, p. 424-427 ; Esposito 2020.
402Voir supra, section Une italianisation du Sacré Collège ?
403Voir supra les exemples des nominations de Jean Jouffroy et de Louis d’Albret.
404Même si les requêtes des souverains se soldent souvent par des échecs, par exemple lorsque Alphonse V d’Aragon demande à Calixte III de concéder la pourpre à l’archevêque de Palerme, Simone Beccatelli, en 1455 : Navarro Sorní 2008, p. 201-202.
405Voir supra l’exemple de la nomination d’Eberhard de La Marck.
406Voir supra, section Une aristocratisation du Sacré Collège ?
407Voir supra, n. 351.
408Hofmann 1914, I, p. 56-67 ; P. Rabikauskas, Protonotaire, dans Levillain 1994, p. 1405-1406.
409A. A. Strnad, Capranica, Domenico, dans DBI 19.
410Sur les parents de Grégoire XII à la Curie et dans le Collège, voir infra, chap. 2, n. 150.
411Girgensohn 1996, en particulier la prosopographie du vol. II.
412Ainsi, 64 % des cardinaux d’origine aragonaise composant le Sacré Collège entre 1417 et 1534 (18 sur 28) ont été nommés par des papes eux-mêmes aragonais (Benoît XIII, Calixte III et Alexandre VI).
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