1À quelle catégorie d’étrangers s’intéressent les diplomates ? Quels sont les critères et les modalités de la protection et/ou de la surveillance qu’ils exercent à leur endroit ? En quoi l’intercession diplomatique participe-t-elle pleinement du statut perpétuellement renégocié de ces étrangers, au regard de l’accueil, toujours sous condition, qui leur est consenti par les États ? Les six contributions réunies dans cette première partie ont beau traiter de périodes et de terrains radicalement différents, elles permettent de dégager deux grands enjeux dans la façon dont se déclinent la protection et, dans une certaine mesure, le « contrôle » diplomatique.

2Quels que soient les cas ici étudiés, il apparaît en premier lieu que ces étrangers itinérants ou sédentaires qui mobilisent plus particulièrement l’attention et l’intervention des diplomates sont tous originaires des États que ceux-ci sont chargés de représenter, bien que leurs mobilités à l’étranger soient dictées par des critères extrêmement variables faisant du pays d’accueil tantôt un refuge (lorsqu’elles sont contraintes), tantôt une ressource (lorsqu’elles sont choisies).

3Ces critères sont en effet politiques et/ou religieux, dans le cas des fidèles de la « suite » de Renée de France implantés dans le duché de Ferrare entre les années 1530 et 1550, mais également des officiers français réfugiés auprès des archiducs de Flandre à la charnière des XVII^e et XVIII^e siècles, ou encore des princes voyageant d’une cour à l’autre, sous des identités assumées, masquées ou travesties, tout au long de l’époque moderne. Ils sont ici aussi d’ordre économique pour les juifs expulsés de la république des Deux Nations venus s’établir à Moisling au milieu du XVII^e siècle avant d’être reconnus comme sujets du roi du Danemark ; de même que pour les travailleurs saisonniers qui font la navette entre les îles vénitiennes de la mer Égée et celles sous domination ottomane (Chio et Smyrne) dans la seconde moitié du XVII^e siècle ; c’est le cas, enfin, pour les aventuriers vénitiens venus faire fortune à Amsterdam dans les années 1770.

4Si l’origine géographique est donc le premier facteur de « criblage » diplomatique, il n’en reste pas moins que le degré de protection ou de surveillance dont ces étrangers font l’objet dépend de leur qualité (sociale) autant que de leur activité (professionnelle). Le positionnement des agents diplomatiques à leur endroit résulte ainsi de l’étroitesse et/ou de l’ancienneté de leurs liens avec les souverains que ces agents représentent. Il est déterminé ensuite par une logique de reconnaissance, au double sens du terme : il s’agit, d’une part, d’être en mesure de certifier les identités (en débusquant les imposteurs) et, d’autre part, de sonder les liens de fidélité (en faisant la part entre les « bons » et les « mauvais » sujets). Il procède enfin du degré d’utilité ou de menace que ces étrangers (voyageurs, courtisans, militaires, artisans ou marchands) constituent pour les États dont ces agents se doivent aussi de défendre les intérêts. C’est donc le caractère stratégique ou compromettant de ces étrangers, plus ou moins avoués comme « sujets de », qui détermine l’étendue et l’intensité de la protection accordée ou de la surveillance exercée par les ambassadeurs et consuls.

5Ces contributions posent en second lieu la question du caractère profondément malléable des statuts consentis, en droit, à ces différentes catégories d’étrangers dans les pays d’accueil, en fonction du niveau plus ou moins poussé de formalisation juridique de l’hospitalité. Celle-ci reste largement balbutiante au XVI^e siècle, étant indexée sur un régime de la « faveur » dérivant soit de liens dynastiques (pour la cour « française » de la femme du duc d’Este), soit de liens d’amitié (pour les migrants français dans la Flandre des archiducs), soit des deux, dans le cas des visites de princes « en tournée ». Elle est autrement plus encadrée et charpentée juridiquement à partir du XVII^e siècle, étant alors matérialisée par toute une gamme de « privilèges » (judiciaires, fiscaux et commerciaux) dont bénéficient les différentes catégories d’étrangers qui circulent ou s’implantent plus ou moins durablement dans l’Empire ottoman ou dans le Saint-Empire. Dans ces espaces impériaux, ces statuts et ces privilèges achoppent toutefois sur une pluralité, voire sur un enchevêtrement de droits, que peinent à arbitrer les différentes juridictions saisies des contentieux ou des réclamations dont le traitement de ces étrangers fait l’objet. Ces conflits de droits démontrent la difficulté à circonscrire des espaces de souveraineté à géométrie variable, la territorialisation croissante de ces souverainetés devenant un curseur toujours plus fragile et réversible des droits d’appartenance. Le XVIII^e siècle a beau tenter de subsumer ce patchwork juridique dans le moule supposément partagé du « droit des gens », l’affaire Zannovich, finalement jugée au tribunal de l’opinion, suffit à démontrer toutes les limites de la collaboration transnationale en matière de crimes et, en l’espèce, d’escroquerie.

6C’est donc dans l’interstice de ces silences ou de ces apories du droit que s’engouffrent les ambassadeurs et les consuls pour tenter d’imposer, sinon une jurisprudence diplomatique, du moins un arbitrage susceptible de ménager, de récuser ou de renégocier les droits (immunités et privilèges) de « leurs » étrangers.