1Parmi les nombreuses mutations qui accompagnent les « transitions funéraires », il en est une qui est peut-être passée inaperçue, celle de l’écologie. Celle-ci fait pourtant irruption au cours des années 1970 dans nos sociétés occidentales et se manifeste à travers une première prise de conscience des menaces qui pèsent sur l’environnement. Face au rouleau compresseur de l’urbanisation, la sauvegarde des milieux naturels apparaît comme une nécessité urgente ; les excès de nos modes de vie, de consommation et de production sont progressivement mis en lumière ; l’impact des activités humaines sur le climat comme sur les ressources de la planète est souligné par les experts scientifiques ; les enjeux globaux sont mis en lien avec notre vie quotidienne, par l’intermédiaire des risques encourus (inondations ou sécheresses par exemple) et de la qualité de vie. Une nouvelle demande sociale souhaite répondre à cette crise par une meilleure prise en compte des rapports entre l’homme et l’environnement.

2Or les cimetières ne restent pas à l’écart de cette évolution, même si les enjeux peuvent au premier abord sembler bien dérisoires, comparés à la fonte des glaciers ou à la pollution automobile. La « transition funéraire » de la fin du XX^e siècle est notamment marquée par l’essor de la crémation ; or ce récent succès de la crémation s’explique en grande partie par des raisons écologiques : les enquêtes du Credoc indiquent que le choix de la crémation est motivé en premier lieu par le souci de « ne pas embarrasser la famille », et en second lieu par le souci écologique (24 % des réponses en 2007, 27 % en 2009, 17 % en 2019), loin devant les autres raisons invoquées, comme la peur de la décomposition du corps, la question financière ou le manque de places dans les cimetières1. De nouveaux rituels funéraires accompagnent le développement de la crémation, comme la dispersion des cendres hors des cimetières, dans la nature.

3Ce sont donc les liens entre nature et cimetières qui sont ici questionnés. Les cimetières sont en effet des constructions humaines, conçus par les vivants, selon leurs préoccupations. Dans le cas français, le cimetière contemporain prend sa forme au moment de la Révolution française ; la « transition funéraire moderne » de la fin du XVIII^e et du début du XIX^e siècle donne naissance à la « ville des morts ». Dans ce nouveau cimetière-ville, quelle place est-elle donnée à la nature ? Comment les cimetières ont-ils évolué face aux enjeux environnementaux ? Le modèle français est-il remis en cause par l’écologie funéraire ?

I. Au temps de la « transition funéraire moderne » : le sentiment de la nature dans les cimetières nouveaux

4Dans la nouvelle conception hygiéniste des cimetières qui se fait jour à la fin du XVIII^e siècle, la nature tient une place privilégiée. L’inhumation de Jean-Jacques Rousseau dans le parc du marquis de Girardin à Ermenonville, en juillet 1778, fait sensation, et son tombeau entouré de seize arbres élancés accueille très vite un pèlerinage (fig. 1). L’île des Peupliers devient un véritable « lieu de mémoire » des Lumières et du préromantisme. « Ici repose l’homme de la nature et de la vérité », dit l’inscription du tombeau en guise d’épitaphe. « Le nouveau parc de France le plus célèbre est sans doute Ermenonville », relève le naturaliste allemand Magnus Hirschfeld en 1780, dont il fait ainsi la description : « Le petit lac […] est environné de coteaux qui [le] dérobent au reste de la nature, et répandent sur cet asile un mystère qui n’a rien de sombre ou de triste, mais entraîne à la mélancolie2. » Auguste Bachelin, dans le catalogue de l’iconographie de Rousseau qu’il dresse pour le centenaire de sa mort, recense plus d’une quinzaine de gravures différentes du tombeau – preuve de la diffusion du modèle3. Et lors de la panthéonisation du célèbre philosophe en octobre 17944, ses cendres sont placées sur une île factice dans l’un des grands bassins du jardin des Tuileries, où a été élevé un tempietto à l’antique encadré de peupliers d’Italie évoquant ceux d’Ermenonville.

Figure 1. Jean-Michel Moreau, Tombeau de Jean-Jacques Rousseau, vue de l’Isle des Peupliers, dite l’Élisée, partie des Jardins d’Ermenonville, Paris, 1778. Collection privée.

5En 1800, à l’initiative de Lucien Bonaparte, l’Institut de France met au concours le sujet suivant : « Quelles sont les cérémonies à faire pour les funérailles et le règlement à adopter pour le lieu des sépultures5 ? » Parmi les quarante et un mémoires reçus, le plus connu est celui de Joseph Girard, qui obtient la mention honorable et est édité l’année suivante sous le titre Des tombeaux ou de l’influence des institutions funèbres sur les mœurs. Girard y décrit le cimetière comme un « champ du repos » que les plantes, les arbres, les eaux, la verdure rendront accueillant :

On y aménagera des sentiers où la mélancolie ira promener ses rêveries : ils seront ombragés par des cyprès, des peupliers au feuillage tremblant, par des saules pleureurs dont la traînante chevelure nous peint l’abandon et le désordre de la douleur. […] Ces lieux deviendront un terrestre Élysée où l’homme fatigué des chagrins de la vie ira se reposer à l’abri de leurs atteintes6.

6La réflexion lancée aboutit au décret sur les sépultures du 23 prairial an XII (12 juin 1804) : la « révolution funéraire » ainsi mise en œuvre rompt avec les pratiques de l’Ancien Régime pour appliquer les principes hygiénistes du XVIII^e siècle. Le cimetière n’est plus au milieu des villes, il est déplacé extra muros, « à la distance de trente-cinq à quarante mètres au moins de leur enceinte » (art. 2) : la conséquence en est la création de grandes nécropoles à la périphérie des villes tout au long du XIX^e siècle. Le législateur préconise, pour l’établissement des nouveaux cimetières, le choix des « terrains les plus élevés et exposés au nord […] de préférence », « clos de murs de deux mètres au moins d’élévation » (art. 3). Un débat a lieu au Conseil d’État sur l’interdiction de toute végétation : celle-ci est souhaitée par Jean Antoine Chaptal, le ministre de l’Intérieur, qui estime comme certains médecins que le cimetière doit être balayé par les vents pour échapper aux « exhalaisons fétides », mais les conseillers optent pour la présence d’arbres, « de préférence les arbres verts qui peuvent avoir des feuilles depuis leur sommet jusqu’à leurs racines », pour « qu’on ne dépouille pas les tombeaux de cette parure mélancolique, de ce voile religieux et sombre, qui doivent à la fois en diminuer l’horreur et l’insalubrité »7. Le décret de prairial prévoit donc que le cimetière sera pourvu de plantations, « en prenant les précautions convenables pour ne point gêner la circulation de l’air » (art. 3). La nature est en quelque sorte investie de « la mission de combattre les effets nocifs de la mort8 » : elle assure l’hygiène et la salubrité des lieux, en même temps qu’elle apporte un paysage apaisé et propice au deuil.

7Le cimetière du Père-Lachaise, ouvert en mai 1804 avant même la parution du décret de prairial, devient le modèle des nouveaux cimetières : ce jardin idéal où la mort se met en scène dans le cadre d’une nature idyllique. Pour ériger ce nouveau cimetière de l’est parisien, le préfet de la Seine fait acheter l’ancien domaine d’agrément jésuite du Mont-Louis. Chargé d’aménager rapidement le cimetière, l’architecte Alexandre Théodore Brongniart décide de préserver les plantations existantes et de suivre la forme et le mouvement du terrain : il conserve donc les anciennes allées de tilleuls et de châtaigniers, les vallonnements et les entrelacs de sentiers, dessine une allée de ceinture et des allées transversales qu’il orne d’alignements d’arbres9. Sa superficie de plus de dix-sept hectares en fait le cimetière le plus vaste de Paris. Les visiteurs se pressent, admiratifs : le Père-Lachaise devient un lieu de promenade. « Rien de plus magnifique que cet asile mortuaire sans cesse fréquenté des curieux », écrit François-Marie Marchant de Beaumont en 182210 ; il est trois ans plus tard l’auteur d’un Itinéraire des curieux dans le cimetière du Père-Lachaise. Car toute une littérature de « promenades pittoresques » ou de « promenades philosophiques » dans les cimetières se développe, à Paris puis en province. L’archiviste montpelliérain Eugène Thomas écrit en 1857 :

Les touristes s’écartent volontiers de leur route pour aller visiter ces terres populeuses [du cimetière Saint-Lazare de Montpellier], non pour y chercher de tristes émotions, mais pour y jouir du spectacle de la vie ornant et parant la mort. […] c’est un coin du Père La Chaise qui a été transporté aux confins de notre ville11.

8Le modèle du jardin se décline, à l’anglaise ou à la française. « Au premier aspect, on se croirait au milieu d’une riante promenade, d’un superbe jardin anglais, écrivent les guides du cimetière de la Madeleine, à Amiens. L’on y contemple avec plaisir des massifs d’arbustes, de rosiers et de fleurs qui embaument l’air des plus doux parfums12. » Le cimetière de Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence), ouvert en 1835, est quant à lui transformé en jardin à la française par la plantation d’épaisses haies d’ifs taillés dans la dernière décennie du XIX^e siècle13. Le cimetière Saint-Pierre de Marseille, créé en 1855, conserve et développe les pinèdes des anciennes bastides expropriées14. En fonction des régions, les essences d’arbres plantés varient : tandis que les pins sont adaptés au climat méditerranéen de la cité phocéenne, la Normandie décore ses cimetières d’ormes, de frênes, de tilleuls, d’ifs ou d’arbres fruitiers15. Si les feuillus protègent du soleil, les conifères prennent un sens symbolique : ils donnent l’impression d’une éternité du temps, par leur feuillage vert persistant en toutes saisons. Dans le « langage des fleurs16 », l’if signifie l’affliction, le cyprès est l’emblème du deuil et de la tristesse, l’asphodèle évoque les regrets et l’amour perdu… Dans les campagnes, le mur de clôture est parfois constitué uniquement par des haies : le cimetière devient alors un enclos végétal.

9En ville comme à la campagne, les arbres plantés en haies autour de l’enceinte « permettent de voiler à la vue le cimetière » : ils l’isolent et le cachent, contribuant à en faire un havre de paix et comme hors du temps ; mais « ils le signalent aussi dans le paysage17 » : avec ses hautes frondaisons, le cimetière est souvent un repère visuel. Mais l’idéal jardinier élaboré au début du XIX^e siècle résiste difficilement aux dynamiques urbaines et au succès des cimetières, qui voient leurs paysages se transformer rapidement.

II. La folle urbanisation des cimetières

10Le cimetière du Père-Lachaise, qui ne compte pas plus de deux mille tombes en 1815, en abrite trente-trois mille quinze ans plus tard. Les concessions funéraires ont un succès inattendu et se multiplient. Le décret de prairial instaure en effet le système des concessions de terrains, faites « aux personnes qui désireront y posséder une place distincte et séparée, pour y fonder leur sépulture et celle de leurs parents ou successeurs et y construire des caveaux, monuments ou tombeaux » (art. 10). Pour ceux qui en ont les moyens, la dernière demeure devient ainsi le double de la maison familiale, voire la « vraie maison de famille18 », la sépulture collective d’une lignée dont le nom s’inscrit au fronton du monument et dont la concession à perpétuité permet de réunir les membres sur plusieurs générations. Un engouement immédiat se manifeste pour les concessions perpétuelles : le tombeau de famille devient un monument qui traverse le temps. La stabilité du prix des concessions au cours du XIX^e siècle et l’augmentation du niveau de vie permettent une démocratisation des concessions. La popularisation des concessions s’accompagne d’une demande croissante pour des monuments en pierre ; les tombes jardinées, délimitées par un petit enclos en ferronnerie, ont tendance à disparaître. La concession perpétuelle ornée d’un monument devient le modèle type de la sépulture ; les concessions temporaires les imitent, en moins riche.

11À ces évolutions des sensibilités s’ajoute une meilleure organisation de l’espace des cimetières. La demande croissante de concessions incite les municipalités à rationaliser l’utilisation des surfaces : la pratique du jardin parsemé de tombeaux laisse place à une structuration sur le modèle du lotissement. Les tombes sont systématiquement alignées et contiguës ; les espaces libres sont concédés ; l’orientation des tombes est adaptée aux impératifs topographiques ; la pratique de la double rangée de tombes tête-bêche se généralise. Les bandes de terre entre les rangées deviennent des chemins de desserte ; la viabilisation du cimetière pousse à son quadrillage par des avenues carrossables, car l’éloignement des cimetières loin des centres-villes oblige à utiliser des moyens de locomotion.

12Ainsi, le cimetière ressemble de plus à plus à une ville, avec son réseau de circulation hiérarchisé : les avenues principales en sont les artères maîtresses, où deux convois peuvent se croiser aisément ; les carrefours et les ronds-points se multiplient ; de là partent les contre-allées, puis les voies secondaires, et ainsi de suite jusqu’aux plus petits chemins piétonniers. La structure même du cimetière s’urbanise également, dans l’installation d’un plan régulier, en damier, qui délimite des carrés et des avenues rectilignes. Ce type de plan orthogonal permet de créer de belles perspectives, facilite le repérage et les déplacements. L’urbanisation s’accompagne d’une différenciation sociale des espaces : les familles les plus riches achètent les emplacements les plus visibles, aux angles des carrés, aux extrémités d’allées ou sur les parties les plus élevées. Les municipalités encouragent ce mouvement, en demandant aux familles qui achètent une concession en bordure d’allée « d’élever sur ces terrains des monuments destinés à concourir à l’embellissement du cimetière », selon les termes d’un arrêté municipal de Montpellier en 187219. Un quartier « monumental » s’édifie peu à peu ; le long des allées centrales, les chapelles s’alignent en double file. Architectes, sculpteurs, marbriers, maîtres verriers, forgerons rivalisent d’imagination pour édifier les plus belles sépultures. Tout un art funéraire se déploie, inspiré de l’Antiquité grecque ou romaine (comme le célèbre sarcophage de Scipion Barbatus, orné de triglyphes et de métopes, découvert en 1780 à Rome le long de la via Appia et copié fidèlement pour les sépultures du peintre Eugène Delacroix ou du président du Conseil Louis Barthou au cimetière du Père-Lachaise), copiant la mode Renaissance, le style roman ou gothique, ou les combinant de manières diverses. Des artistes de renom n’hésitent pas à créer ou à orner une sépulture ; des générations d’artisans, des dynasties de marbriers sculptent peu à peu le paysage des cimetières.

13Tout cela entraîne une folle urbanisation des cimetières ; le terme de « nécropole », ville des morts, s’impose d’ailleurs dans le vocabulaire dans les années 1830. Le cimetière est loti de manière systématique, et la couverture végétale recule inexorablement. Les arbres sont relégués aux grandes allées et sur l’enceinte du cimetière ; les communes procèdent de moins en moins à de grandes plantations dans les cimetières ouverts à la fin du XIX^e et au début du XX^e siècle. Le cimetière se minéralise toujours davantage, dans la monotonie de tombes de plus en plus standardisées au cours du XX^e siècle.

14Au fur et à mesure du temps, des problèmes de gestion nouveaux20 apparaissent et rendent difficile l’usage de cimetières dont le modèle a été pensé au début du XIX^e siècle : la surpopulation amène certains cimetières à saturation ; l’extension urbaine a rattrapé des espaces qui ont été créés extra muros et qui désormais sont intégrés dans la trame urbaine ; l’oubli des principes de gestion initiaux peut désorganiser le parcellaire du cimetière ; la dégradation de monuments par manque d’entretien ou disparation des familles pose des problèmes de sécurité ; des carrés anciens ont parfois été laissés à l’abandon par les municipalités elles-mêmes, qui ont privilégié l’utilisation des parties récentes ou des extensions de leurs cimetières. La maladie du cyprès a conduit à faire disparaître les hautes haies de bien des cimetières du Midi ; les générations d’arbres qui arrivaient en fin de vie n’ont pas été systématiquement remplacées après 1945…

15Dans un souci de rendre les cimetières d’accès et d’entretien plus faciles, des travaux d’apparence anodine peuvent engendrer des dégradations à court ou moyen terme : des haies sont rasées, des arbres abattus ou sévèrement taillés pour limiter la chute des feuilles et les salissures sur les tombes ; des allées sont bitumées, des places de parking créées pour permettre aux familles d’accéder au plus près des tombes ; des fossés sont comblés pour faciliter la circulation, mais les écoulements des eaux de pluie en sont contrariés. Pour limiter l’entretien et les coûts, les sols de surface sont imperméabilisés et minéralisés eux aussi. Les seuls espaces engazonnés sont souvent des zones d’attente, destinées à accueillir de futures concessions funéraires. Les fleurs sont désormais en plastique, en pots ou coupées, et donc vouées à mourir très vite. L’apparition de plantes adventices sur les allées ou entre les tombes est souvent perçue comme un signe négatif : l’action efficace de jardiniers qui déversent à longueur d’années, depuis les années 1970, des produits chimiques pour lutter contre les herbes folles permet de lutter contre cette mauvaise impression, mais elle n’est pas sans conséquence ; les sols des cimetières deviennent morts, eux aussi. Même les « pelouses de dispersion » ont du mal à survivre et n’ont parfois plus de pelouse que le nom.

16Les aménagements ne sont pas pensés pour s’intégrer à leur environnement, mais pour répondre aux demandes des familles ou des professionnels ; tout en voulant « bien faire21 », des municipalités ont pu détériorer la qualité globale de leurs cimetières. Loin du modèle du cimetière-jardin, le cimetière communal français devient un lieu moins accueillant pour les vivants.

III. L’invention du cimetière paysager

17Au cours des années 1920, une réflexion émerge pour tenter de résoudre les problèmes récurrents des cimetières urbains, et surtout leur saturation sous les effets conjugués de l’urbanisation, de l’accroissement de la population et du développement incontrôlé des concessions de longue durée. Une loi de 1924 autorise la reprise des concessions perpétuelles en cas d’abandon. Mais il faut attendre 1945 pour voir cette réflexion aboutir, sous l’influence du travail mené par l’architecte Robert Auzelle (1913-1983)22.

18Robert Auzelle fait partie de la nouvelle génération d’architectes à laquelle la Seconde Guerre mondiale offre des opportunités immenses : dès 1941, il travaille sur les plans de reconstruction de plusieurs villes de l’Oise et de Seine-Maritime, puis sur la reconstruction en Bretagne des villes ravagées par la guerre. Il soutient en 1942 une thèse sur Les problèmes de sépulture en urbanisme, et devient en 1945 professeur à l’Institut d’urbanisme de l’université de Paris ; à partir de 1947, il entreprend de publier une Encyclopédie de l’urbanisme. Proche du sociologue et anthropologue urbain Paul-Henry Chombart de Lauwe, il développe une activité de théoricien prolifique avec neuf ouvrages et plus de deux cents articles. Humaniste convaincu que la valeur d’une civilisation se mesure au respect qu’elle porte à la mémoire de ses morts, il consacre une partie de son travail à la réhabilitation de l’architecture funéraire23, et réunit l’ensemble de ses réflexions dans un ouvrage paru en 1965, Dernières demeures : conception, composition, réalisation du cimetière contemporain.

19Face au cimetière traditionnel urbanisé qui a « dépoétisé le champ des morts », Auzelle souhaite renouer avec le « caractère sacré du lieu » : il trouve dans le modèle des cimetières nordiques de Suède, d’Angleterre, du Danemark ou d’Allemagne, l’équilibre entre le « sacré collectif » et le « sacré individuel » : « Le sacré individuel et la prolifération des sacrés familiaux, écrit-il, ne nuisent pas au sacré communautaire du champ de repos dans son ensemble », alors que dans les cimetières français « l’accumulation de sépultures individuelles aboutit au chaos »24. Auzelle veut « fondre la multitude des expressions individuelles dans un cadre qui les dépasse et les magnifie », c’est-à-dire un cadre où le végétal domine, un parc bien composé qui contribue « à créer un espace adapté aux croyances les plus diverses ».

20C’est ainsi qu’Auzelle imagine le « cimetière paysager », qui réalise la synthèse de trois modèles différents25 : le cimetière-parc à l’américaine (park cemetery), à la manière d’un jardin à l’anglaise, conçu dès les années 1830 à l’exemple du cimetière du Mount Auburn à Boston26 ; le cimetière forestier nordique, dont les plus célèbres sont le cimetière du Waldfriedhof à Munich, réalisé par l’architecte Hans Grässel (1860-1939) en 1907, le cimetière de la Forêt à Stockholm, créé en 1917 par les architectes Gunnar Asplund (1885-1940) et Sigurd Lewerentz (1885-1975) et le cimetière de Mariebjerg (Danemark), aménagé entre 1926 et 1936 par le paysagiste danois Gudmund Nyeland Brandt (1878-1945) ; enfin le cimetière architectural, caractérisé par ses haies taillées et souvent un étagement sur différentes hauteurs, comme le cimetière du Bois-de-Vaux à Lausanne, imaginé par l’architecte Alphonse Laverrière (1872-1954) à partir de 1922.

21Le cimetière de Clamart, en région parisienne, que Robert Auzelle réalise entre 1951 et 1956, inaugure en France ce type de site arboré, conçu comme un cheminement forestier où les sépultures sont signalées par des stèles verticales ou par des dalles installées au milieu des clairières27, mais Auzelle se veut surtout innovant quant à la fonctionnalité et à l’aménagement des cimetières. Auzelle réalise ensuite le cimetière intercommunal de Valenton (Val-de-Marne) en 1971-197328, puis celui des Joncherolles à Villetaneuse (Seine-Saint-Denis) en 1972-1976 (fig. 2). L’objectif est multiple : il s’agit d’intégrer les cimetières dans le paysage existant, mais aussi de réserver des espaces verts de proximité aux habitants, en renouant avec la fonction sociale que les cimetières avaient progressivement perdue. Ainsi, à Clamart, vingt-quatre des trente-deux hectares du cimetière sont occupés par les espaces verts ; aux Joncherolles, l’espace paysager couvre les deux tiers des vingt-quatre hectares aménagés.

Figure 2. Cimetière intercommunal des Joncherolles. Architecte : Robert Auzelle (cl. Jérôme Galichon).

22Deux types d’aménagement sont prévus pour les inhumations : les concessions traditionnelles en rangées et les concessions isolées en paysager. Alors qu’un cimetière urbanisé accorde une surface de 5 à 7 m² par tombe, et qu’un cimetière nordique dissémine les tombes qui disposent de 15 à 30 m², le cimetière paysager offre une surface moyenne de 10 à 15 m² par tombe. Le cimetière paysager se veut un modèle intermédiaire entre le cimetière urbanisé et le cimetière-parc. Le cimetière des Joncherolles offre la plus grande diversité d’équipements29 : columbarium, jardin du souvenir, ossuaire, enfeus, carré des anges, carrés confessionnels… Auzelle organise l’espace selon un schéma unitaire de parcelles de sept mètres sur sept. Mais l’originalité tient surtout dans la surélévation des aires d’inhumation : chaque champ mortuaire forme comme un tronc de pyramide, dont les talus périphériques sont engazonnés et plantés à leur sommet de haies, d’arbustes ou d’arbres. La perception du visiteur est donc totalement modifiée : les grands alignements de peupliers contrastent avec l’horizontalité du site et du bâti, et il est impossible de distinguer les monuments funéraires, qui se trouvent dissimulés par les vallonnements et les tumuli. Auzelle prévoyait, pour accompagner le calme du lieu, l’emploi de véhicules électriques non polluants, inodores et d’un encombrement réduit, mais les professionnels des pompes funèbres n’ont pas accepté le surcroît de travail et de manipulations qu’engendrait le changement de véhicules à l’entrée du cimetière.

23C’est à la fin des années 1970 que les cimetières paysagers commencent à se répandre. Le cimetière paysager de Nantes ouvre en 1979 : le projet a été élaboré par l’architecte Charles Friésé (1901-1970)30 dès 1951. Friésé avait conçu un vaste cimetière paysager de deux cents hectares, destiné à remplacer les quatorze cimetières de la ville, mais son plan n’est finalement réalisé qu’en partie, sur une surface réduite, après sa mort.

24Au-delà de ces créations ponctuelles, l’un des exemples les plus intéressants est celui des cimetières paysagers du Pays basque. Créée en 1971, l’association Lauburu entreprend de défendre le patrimoine basque. Reprenant les travaux de Louis Colas sur La tombe basque publiés en 1923, l’association se lance dans un vaste inventaire des monuments funéraires traditionnels : elle souhaite les préserver, soit en les scellant au ciment en décor le long des murs d’enceinte des cimetières, soit en les réutilisant sur les nouvelles sépultures. Avec la collaboration du Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement des Pyrénées-Atlantiques, qui s’intéresse à la question des cimetières dès sa création en 1978, une réflexion s’engage pour la renaissance de l’art funéraire basque31. Un important travail de sensibilisation des communes permet de diffuser un modèle de rénovation des cimetières, avec orientation des stèles, installation de stèles discoïdales s’inspirant de la tradition, caveaux souterrains plutôt que caveaux en enfeus, homogénéité des surfaces, présence accrue du végétal… Un peu partout dans le Pays basque émerge une nouvelle génération de cimetières paysagers, créée à partir d’un patrimoine ancien32.

IV. Une redécouverte de la nature : la réhabilitation écologique des cimetières

25Mais toutes les communes ne peuvent pas aller aussi loin et créer des cimetières paysagers : sans méthodes, sans encadrement ni soutien, elles ne disposent souvent pas des moyens d’agir. Les cimetières paysagers demandent en effet des investissements conséquents et des terrains disponibles plus importants ; trouver des espaces suffisamment vastes conduirait de plus à éloigner les cimetières par rapport aux zones urbaines. C’est pourquoi l’évolution générale est davantage celle d’une amélioration de la qualité environnementale des cimetières, d’une réhabilitation écologique. Depuis les années 2000, un mouvement d’ampleur tend à résorber progressivement l’aspect minéral des cimetières existants, dans le but d’améliorer leur cadre et leur intégration dans le milieu urbain33.

26Dans les zones urbaines denses, où les possibilités de création de nouveaux espaces verts sont faibles ou inexistantes, le rôle des cimetières a été redécouvert : à l’image des parcs, squares ou jardins urbains, les cimetières sont à nouveau vus comme de véritables îlots de nature dans la ville, comme des espaces de promenade, de repos, voire de loisirs calmes. Ils participent à l’enrichissement de la biodiversité en ville, fournissant des habitats privilégiés pour accueillir la faune ou la flore.

27L’inquiétude croissante des populations vis-à-vis de l’utilisation intensive des pesticides a également fait prendre conscience des problèmes de pollution dans les cimetières, notamment de l’impact des produits phytosanitaires sur la santé des agents comme sur la biodiversité. La prise en compte des coûts induits (achat des produits, consommation d’eau pour l’arrosage, dépollution des eaux contaminées) ouvre la voie à des pratiques plus saines pour le désherbage ou l’entretien des espaces verts. La gestion écologique qui s’applique dans les parcs et jardins publics gagne les cimetières ; la réglementation contraint d’ailleurs les communes à réduire les produits phytosanitaires depuis 2006, et à les supprimer depuis 2017.

28Les municipalités réalisent des diagnostics écologiques, et n’hésitent plus à mettre en valeur le patrimoine végétal des cimetières. Les « arbres remarquables » des cimetières sont labellisés par l’association Arbres (Arbres remarquables, bilan, recherche, étude et sauvegarde) : vingt-trois ifs séculaires des cimetières normands34 ; un cyprès de deux cents ans au cimetière de Persac (Vienne) ; un micocoulier de trente mètres de hauteur au cimetière de Terre-Cabade, à Toulouse ; le Sophora pleureur du Japon du cimetière de Montereau (Seine-et-Marne), en raison de sa beauté, mais aussi parce qu’il a emporté dans ses branches la croix de la tombe qu’il abritait…

29Des démarches pédagogiques permettent de sensibiliser les familles et les visiteurs, qui ne doivent pas avoir une impression de négligence ou d’abandon du cimetière, d’irrespect envers les défunts en découvrant des herbes folles. Il s’agit de changer le regard, sur le jaunissement estival des gazons par exemple ; un gazon trop vert est le signe non pas d’un excellent entretien, mais d’un gaspillage d’eau inadapté. Le paillage permet de limiter l’évaporation des sols et l’arrosage ; la présence de bois mort, de tas de pierres ou de murets est utile à la faune ; des nichoirs pour les oiseaux ou des hôtels à insectes sont installés ; des mares sont creusées et aménagées avec des plantes aquatiques ; des zones sont laissées en prairie de fauche… Après La Roche-sur-Yon en 2012 ou les cimetières parisiens Saint-Vincent (18^e arrondissement) et de Vaugirard (15^e arrondissement), les cimetières lyonnais sont devenus des « refuges LPO » (Loyasse en 2017, la Guillotière en 2021 et la Croix-Rousse prévue en 2022) : ils participent à la vaste trame verte nationale des refuges de la Ligue pour la protection des oiseaux.

30Une mauvaise conception initiale d’un cimetière, souvent trop minérale, est évidemment un obstacle difficile à surmonter, mais des aménagements sont toujours possibles pour un embellissement naturel du cimetière, comme l’enherbement des allées par des plantes couvre-sol et allélopathiques, qui empêchent l’apparition d’une flore spontanée non désirée et permettent ainsi de réduire les interventions chimiques. La gestion écologique peut se concentrer sur certaines zones du cimetière, en prenant soin d’aménager des strates végétales différentes (des zones enherbées, des arbustes, des haies, des arbres enfin), quitte à conserver en minéral les allées principales de circulation ou les entre-tombes. Un fleurissement pérenne peut être mis en œuvre. Des équipements et des matériaux plus écologiques, comme du mobilier en bois, peuvent être mis en place dans le cimetière pour l’agrément des visiteurs.

31L’entretien ne doit plus être pensé au cas par cas, mais de façon globale ; le cimetière devient un « éco-jardin », label qui est tout à la fois un outil de reconnaissance du travail accompli et de communication à destination du public : ainsi le cimetière des Aiguillons, à Cherbourg, ouvert en 1832 ; le cimetière des Pommiers à Pantin, le cimetière des Fauvelles à Courbevoie ou le cimetière de Saint-Ferjeux à Besançon. Le cimetière paysager de Gleizé (Rhône) a reçu en 2019 le prix « Paysagistes pour l’environnement », qui récompense la démarche « zéro phyto » menée depuis plus d’un an.

32Grâce à ces aménagements divers, les cimetières renouent avec leur vocation idéale de lieu de déambulation agréable : leurs caractéristiques écologiques les rapprochent des parcs, et la présence de sépultures remarquables ou de personnalités connues leur donne le caractère d’un véritable musée à ciel ouvert et offre la possibilité de visites culturelles ou artistiques. Les cimetières bien mis en valeur sont des atouts pour le tourisme urbain, comme en témoigne l’apparition des labels « Cimetière remarquable d’Europe35 » ou « Route européenne des cimetières36 ».

V. Vers une mort plus « écolo » ?

33Mais la pollution ne provient pas des seuls pesticides et autres produits phytosanitaires. Les traitements médicaux reçus avant le décès, les soins apportés au corps des défunts peuvent contaminer les nappes phréatiques par l’infiltration des fluides. Même morts, les humains continuent à polluer… La construction des sépultures elles-mêmes peut aussi prêter à redire : les caveaux en béton ne sont pas toujours étanches ; les pierres tombales sont souvent faites de matériaux venant de l’autre bout du monde, d’Inde ou de Chine.

34La ville de Niort a ainsi créé en 2014 un cimetière dit « naturel », dans une démarche écologique ambitieuse37. Le cimetière du quartier de Souché offre un cadre champêtre et arboré de plus de 4 000 m² ; mais la démarche va au-delà de l’aspect paysager et de la gestion verte et raisonnée : l’objectif est de rendre à la terre les corps des défunts ou leurs cendres le plus naturellement possible. La charte proposée aux familles comporte un certain nombre d’engagements écologiques : les corps ne reçoivent pas de soins de conservation, sauf en cas d’absolue nécessité ; ils sont déposés dans des cercueils en matériaux biodégradables et non traités ; l’inhumation se fait en pleine terre, sans cuve bétonnée ; les pierres tombales, difficilement recyclables, sont remplacées par une pierre calcaire discrète qui permet d’indiquer l’emplacement de la tombe. Les cendres sont traitées de la même manière, qu’elles soient enterrées ou dispersées.

35Le développement de la crémation n’est pas sans lien avec l’évolution écologique des mentalités. Dans les années 1970 et 1980, avant que la loi ne soit plus restrictive, bien des familles dispersent les cendres de leurs défunts là où elles le souhaitent : les cendres sont en quelque sorte libérées des cimetières et de leurs contraintes. La pratique ne présente aucun coût supplémentaire pour les familles, et elle permet symboliquement un retour « à la terre ».

36Une loi de 2008 a encadré plus clairement les pratiques cinéraires. Les cendres issues d’une crémation ont désormais un statut, et donc une protection, comparables à ceux d’un corps inhumé. Les urnes ne peuvent plus être conservées à domicile par les familles, mais trois pratiques sont autorisées : l’inhumation de l’urne dans un cimetière ; la dispersion dans un « jardin du souvenir » aménagé dans le cadre du cimetière ; enfin la dispersion en pleine nature.

37Depuis 2013, les communes de plus de deux mille habitants doivent disposer d’un « jardin du souvenir » dans leurs cimetières. Il s’agit en général d’une zone bien délimitée, souvent engazonnée, où les cendres sont répandues à l’aide d’un « dispersoir ». Mais la pratique reste relativement peu courante, probablement en raison d’aspects affectifs (les cendres du défunt sont mélangées avec celles d’autres inconnus) ou esthétiques (les cendres s’accumulent dans ces carrés, ce qui rend l’espace peu attrayant). Des aménagements adaptés existent pour remédier à cet inconvénient, comme les puits de dispersion. Les cimetières paysagers offrent un cadre naturel bien plus propice à la dispersion des cendres.

38En 1998, à l’initiative d’un particulier, est ouvert en Bretagne, à Pluneret, un parc de quatorze hectares conçu pour accueillir les cendres de ceux qui souhaitent une alternative à la dispersion et au cimetière. Les familles choisissent l’arbre qu’elles désirent planter et le lieu où il sera installé ; l’urne est placée au pied de l’arbre, qui est entretenu et remplacé si besoin ; les familles peuvent venir jardiner et pique-niquer. Les cendres de plus de deux mille défunts ont ainsi été inhumées au pied de neuf cents arbres, avant que la société ne soit mise en liquidation judiciaire38, laissant les familles désemparées face à l’absence d’entretien et au passage des sangliers. Les sites cinéraires privés n’offrent malheureusement aucune garantie de pérennité. Lancé officiellement en mai 2019, le projet de « forêt cinéraire » d’Arbas (Haute-Garonne) est unique en France : avec une superficie de 1,25 hectare, la forêt communale accueille des urnes biodégradables ; la municipalité reste gestionnaire du site, même si les prestations funéraires sont fournies par une société privée ; mais le dossier est actuellement en suspens en raison d’un avis défavorable du ministère de l’Intérieur.

39La législation prévoit pourtant que la dispersion peut se faire en pleine nature, c’est-à-dire dans les espaces naturels non aménagés : mers et océans, prairies, forêts, haute montagne… Elle peut même avoir lieu en altitude, au-dessus d’espaces naturels. Les jardins publics ou privés, les zones agricoles, les voies publiques, les cours d’eau sont en revanche interdits. Depuis 2018, une société propose ainsi de répandre les cendres par drone au-dessus de la baie du Mont-Saint-Michel39 ; la dispersion en mer s’effectue à plus de trois milles nautiques des rivages ; une dispersion dans l’espace a même été proposée, grâce à un ballon-sonde gonflé à l’hélium qui explose à 33 km de hauteur.

40Mais la crémation n’est pas exempte de critiques écologiques : des émissions de dioxines et des rejets de mercure ont été identifiés par des études scientifiques. La crémation serait même la première cause de pollution au mercure en France. Les crématoriums ne sont pas encore systématiquement équipés de filtres adéquats, même si la situation s’améliore et si la réglementation s’intéresse à cette question.

41C’est pourquoi de nouvelles techniques de traitement des corps sont apparues récemment : l’aquamation, qui consiste à dissoudre le corps dans une solution alcaline à 96 degrés Celsius (pratiquée aujourd’hui en Australie, dans certains États des États-Unis et du Canada) ; la promession, inventée en 1999 en Suède, qui procède à une congélation puis à une fragmentation du corps sur une table vibrante (pratiquée aujourd’hui en Suède, en Allemagne ou en Corée du Sud) ; ou l’humusation, qui consiste à couvrir un corps de bois broyé pour le transformer en humus (l’autorisation est en cours en Belgique et dans l’État de Washington).

42Ces pratiques funéraires ne sont pas encore autorisées en France ; elles le seront peut-être un jour, mais quelle que soit la méthode, elles n’effacent pas le rite. « Il faut des rites. – Qu’est-ce qu’un rite ? dit le petit prince. – C’est aussi quelque chose de trop oublié, dit le renard. C’est ce qui fait qu’un jour est différent des autres jours, une heure, des autres heures40. » Et le rite funéraire n’échappe pas à la matérialité, celle du souvenir et celle des lieux notamment. Les cimetières ne sont pas immuables : ils vivent, meurent ou se transforment eux aussi41 ; ils sont le produit et le reflet de leur époque. Si la « ville des morts » a correspondu au siècle de l’urbanisation et de la voiture, le jardin, ou sa version plus vaste du parc funéraire, sont peut-être le nouveau visage des cimetières au temps du « siècle vert42 ».