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Savoirs profanes dans les ordres mendiants en Italie (XIIIe-XVe siècle)

 | 
Joël Chandelier
, 
Aurélien Robert

Deuxième partie. Sciences de la nature

Parler des astres entre Paris et Naples : le pouvoir des corps célestes selon Jean de Naples

Maria Sorokina

Résumé

Presque un quart des questions que le dominicain Jean de Naples a abordées au début du XIVe siècle dans ses treize quodlibeta porte sur la philosophie naturelle. Parmi elles, deux questions concernant les corps célestes attirent notre attention. Si un médecin prescrit une saignée et un astrologue conseille de s’en abstenir, qui faut‑il croire ? Si les corps célestes s’immobilisent à la fin des temps, les corps terrestres pourront‑ils continuer à interagir ? Pour comprendre les réponses données par ce théologien, il faut se plonger dans l’étude des discussions ayant lieu à l’époque à Naples et à Paris. Dans le premier cas, la solution du problème des rapports entre l’astrologie et la médecine est en grande partie dictée par les particularités du contexte intellectuel et social napolitain. Dans le second cas, les réflexions de Jean de Naples sur l’arrêt des corps célestes et ses conséquences font écho aux débats qui se sont déroulés à l’université de Paris, ainsi qu’aux condamnations des positions du dominicain Durand de Saint‑Pourçain par ses confrères.

Texte intégral

  • 1 Cross 2007, p. 705 ; Friedman 2007, p. 455‑463.
  • 2 Cf., par exemple, Biller 1997 ; Müller 2000, p. 75‑76, p. 75, n. 144 ; Müller 2012, p. 111. Pour l (...)
  • 3 Robert 2015, surtout p. 346‑347.

1Le dominicain Jean de Naples (†vers 1350) est loin d’être un inconnu pour les historiens des sciences. Auteur de treize quodlibeta contenant au total presque 300 questions, il a consacré un quart d’entre elles aux problèmes qui relèvent de la philosophie naturelle1. Les sujets abordés sont variés : le mouvement, l’action à distance, les qualités physiques des corps glorieux, la médecine, la cosmologie. Ce sont sans doute les raisonnements de Jean de Naples autour des questions portant sur le corps humain qui ont attiré davantage l’attention des chercheurs2. Cet intérêt très prononcé à l’égard d’une telle thématique ne s’explique pas seulement par le goût personnel du théologien. Comme l’a démontré Aurélien Robert, le contexte particulier napolitain y a joué un rôle non négligeable. À l’instar des théologiens parisiens, ceux qui enseignaient dans les studia des Mendiants à Naples aspiraient au rôle d’experts dans d’autres domaines, en jouant, de surcroît, un rôle particulier de maillon entre le pouvoir royal et la communauté intellectuelle. Le cas de Jean de Naples en est une bonne illustration. Dans ses questions quodlibétiques médicales, il parle en tant que théologien et non en tant que médecin. Son but consiste à établir les frontières entre les disciplines et à démontrer la supériorité de la théologie par rapport à d’autres domaines du savoir. Jean de Naples s’est concentré sur la médecine, et ce choix n’est pas étonnant compte tenu du développement de cette discipline en Italie3.

  • 4 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, II, 8, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 10vb‑11va : Utr (...)
  • 5 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, VIII, 13, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 124va‑125rb  (...)
  • 6 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, VIII, 31, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 134va‑134vb  (...)
  • 7 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 22vb‑23rb : U (...)
  • 8 Sur les discussions autour de la causalité céleste dans les commentaires des Sentences, cf. Soroki (...)

2La cosmologie n’a pas préoccupé Jean de Naples autant que la médecine. Toutefois, il n’est pas rare que dans ses quodlibeta resurgissent des questions portant, d’une façon ou d’une autre, sur les corps supérieurs. Il traite des problèmes de la hiérarchie des sphères célestes4, de l’incorruptibilité du ciel5, du statut de l’astrologie et de la fonction du mouvement céleste. C’est sur les deux derniers sujets, que Jean de Naples a abordés lors de l’enseignement dans sa ville natale, que nous nous arrêterons. Dans la question 31 du quodlibet VIII, Jean de Naples cherche à savoir comment trancher face à une divergence entre médecine et astrologie sur le traitement d'un malade6. Dans les questions 10 du quodlibet III et 12 du quodlibet IX, le théologien dominicain demande quel sort attend les corps terrestres si les corps célestes s’immobilisent7. Les deux thèmes s’inscrivent dans le cadre d’un problème plus général, celui de la causalité céleste. C’est souvent que les différents aspects de ce vaste sujet (y compris, ceux qui intéressaient Jean de Naples) attirent l’attention des théologiens ; ainsi, les réflexions autour des modalités et des limites de l’influence exercée par les corps supérieurs peuvent être facilement trouvées dans les quodlibeta et les commentaires des Sentences des maîtres de l’université de Paris8. Il ne semble donc pas inutile de compléter le tableau des débats qui se sont déroulés aux XIIIe‑XIVe siècles autour de la causalité céleste par le point de vue de Jean de Naples. Sans nous limiter à cet objectif, nous aborderons une autre question qui s’impose, celle de l’importance du contexte précis dans lequel Jean de Naples a tenu ses disputes quodlibétiques. Le fait que cela a eu lieu dans le studium generale de Naples et non à Paris a‑t‑il eu des incidences sur la forme même des questions et sur les réponses données ?

Les quodlibeta de Jean de Naples : un rappel chronologique

  • 9 Sur la biographie de Jean de Naples, cf. Nold 2012, p. 629‑634 ; Robert 2015, p. 304‑305.

3Avant de passer à l’analyse de deux questions, il convient de rappeler brièvement le parcours de Jean de Naples. À la fin du XIIIe siècle, il commence les études en théologie au studium des Dominicains de Bologne. Vers 1300 probablement, il devient lector au couvent dominicain San Domenico Maggiore à Naples. En 1307, le roi Charles II contribue à l’avancement de sa carrière : il écrit au grand maître de l’ordre dominicain et lui conseille d’envoyer Jean de Naples à Paris pour qu’il puisse continuer ses études. En 1309, Jean de Naples quitte l’Italie pour la France ; vers 1315, il obtient le grade de maître en théologie. Pourtant, son enseignement magistral parisien n’a pas duré longtemps. Il est certain qu’en 1317, il est déjà reparti à Naples pour retrouver sa charge de lector à San Domenico Maggiore9.

  • 10 Pour les travaux sur la datation des quodlibeta de Jean de Naples cf. Friedman 2007, p. 455‑463. P (...)
  • 11 Glorieux 1935, p. 159.
  • 12 March 1926, p. 151.
  • 13 Friedman 2007, p. 459‑460.

4La datation des treize quodlibeta de Jean de Naples est complexe10. Les quodlibeta VI et VII sont sans aucun doute parisiens et datent des années 1315‑1317. Les quodlibeta VIII‑XIII sont rédigés plutôt à Naples : nous savons qu’ils sont postérieurs aux quodlibeta VI et VII et qu’après 1317 Jean de Naples est revenu en Italie. Ce sont surtout les quodlibeta I‑V qui posent problème. Il est indubitable qu’ils sont plus anciens que les quodlibeta VI et VII, c’est‑à‑dire antérieurs à l’année 1315 où Jean de Naples est devenu maître. Il est donc certain qu’il a disputé les quodlibeta I‑V en tant que bachelier, mais il reste toujours à savoir où cet enseignement pourrait avoir eu lieu. Deux hypothèses concernant ces textes ont été avancées par les chercheurs. Premièrement, comme l’a supposé Palémon Glorieux, Jean de Naples a pu défendre ces cinq quodlibeta à Paris. Dans ce cas, il n’était que respondens auprès du maître dominicain Hervé de Nédellec11. Deuxièmement, il n’est pas impossible que Jean de Naples ait organisé les quodlibeta dans un autre studium que celui de Paris, par exemple, à Naples. Comme l’a signalé José Maria March, dans le quodlibet V, le théologien mentionne une ville maritime ; il pourrait s’agir de Naples12. Russell Friedman, qui est l’un des derniers à avoir abordé le problème de la datation des quodlibeta de Jean de Naples, est du même avis13. À notre tour, nous rejoignons ce point de vue. Par conséquent, nous considérons que le quodlibet III dans lequel il est question des conséquences de l’arrêt du ciel est écrit en Italie et que le rôle de Jean de Naples ne s’y réduit pas à celui de l’assistant d’Hervé de Nédellec.

Le médecin ou l’astrologue ?

5En présentant les raisonnements de notre auteur sur les corps célestes, nous commençons par la question où l’influence du contexte napolitain est indiscutable, celle des rapports entre l’astrologie et la médecine. La formulation même du problème est déjà originale. Jean de Naples propose d’imaginer la situation suivante : selon l’astrologie, le malade mourra si une saignée est faite ; selon la médecine, au contraire, c’est sans une saignée que le malade mourra. Que faut‑il faire dans ce cas‑là ?

  • 14 Cf. par exemple, les commentaires des Sentences de Thomas d’Aquin ou de Bonaventure dont la struct (...)
  • 15 Sorokina 2021, vol. 1, p. 452‑459.
  • 16 Iohannes Duns Scotus, Reportata parisiensia, II, dist. 14, qu. 3, dans id., Opera omnia, vol. 23, (...)
  • 17 Iohannes Duns Scotus, Reportata parisiensia, II, dist. 14, qu. 3, p. 61‑62 : [...] licet natura si (...)

6Dans les quodlibeta des théologiens parisiens, nous ne trouvons pas de question identique ; d’habitude, ces textes touchent peu à la médecine en général et à la médecine astrologique et l’astrologie médicale en particulier. La même tendance est caractéristique des commentaires des Sentences. Dans les distinctions 14‑15 du livre II, consacrées à la causalité céleste, les commentateurs abordent plus ou moins régulièrement deux sujets. Premièrement, ils prouvent que les corps supérieurs exercent une influence sur les corps terrestres ; deuxièmement, ils nient que les planètes et les étoiles agissent sur les actes du libre arbitre14. Ces deux thématiques mènent souvent les commentateurs aux réflexions sur la légitimité et les limites des pronostics astrologiques. Les raisonnements portent sur plusieurs types d’horoscopes (les nativités, les élections, l’astro‑météorologie…), mais les renvois aux exemples de l’utilisation de l’astrologie dans la médecine sont rares15. Parmi les commentateurs des Sentences, Jean Duns Scot est l’un des rares auteurs qui explorent ce domaine. D’abord, il constate l’existence de l’influence céleste sur le corps humain16 ; puis, par conséquent, il affirme que le médecin devrait connaître la science du ciel. Au lieu de choisir la meilleure heure pour le traitement d’une maladie, écrit‑il, certains médecins négligent ces connaissances et tuent beaucoup de malades. Du reste, ce discours de Duns Scot se termine par une remarque fort raisonnable : il vaut mieux commencer le traitement à une heure qui ne convient pas qu’attendre jusqu’à ce que le patient meure17.

7Le médecin peut‑il soigner le malade à une heure astrologiquement défavorable ? Selon Duns Scot, il est obligé de le faire s’il existe un danger pour la vie du malade. Si la même question avait été posée à Jean de Naples, sa réponse ne serait sans doute pas la même. Revenons à la question sur la saignée qui est prescrite par la médecine et interdite par l’astrologie. Comment faut‑il procéder ?

  • 18 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, VIII, 31, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 134va : Aut (...)
  • 19 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, X, 27, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 162rb‑162va : U (...)
  • 20 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, X, 27, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 162rb‑162va : D (...)
  • 21 Robert 2015, p. 340‑346.

8Avant tout, Jean de Naples propose de faire attention au degré de certitude des deux opinions. Dans le cas où les deux jugements, médical et astrologique, sont certains ou douteux dans la même mesure, Jean de Naples met les médecins en garde et propose une solution assez cynique, mais parfaitement justifiée du point de vue d’un théologien médiéval. Il ne faut pas faire la saignée qui, d’après l’astrologie, risque de se terminer par une issue létale, parce qu’il faut éviter à tout prix d’être la cause directe de la mort. Si le médecin fait la saignée contrairement au jugement astrologique et que le malade meurt, c’est le médecin qui est la cause de sa mort. En revanche, si, mis en garde par l’astrologie, le médecin refuse de faire la saignée et que le malade meurt, ce n’est pas le médecin qui l’a tué par sa non‑intervention, mais la maladie. Dans ce cas, le médecin n’est même pas la cause indirecte de la mort, comme l’est celui qui aurait pu guider le navire pendant la tempête et ne l’a pas guidé ; la mort du patient est considérée comme inévitable18. Jean de Naples développe exactement le même raisonnement dans une autre question : comment un médecin doit‑il agir si une grossesse menace la vie de la femme19 ? Selon Jean de Naples, le médecin n’a pas le droit de lui donner un médicament qui tuera le fœtus ; il doit plutôt s’abstenir et laisser mourir les deux20. A. Robert a déjà bien analysé cette argumentation : le but de Jean de Naples consiste à rappeler les préceptes de l’éthique médicale chrétienne ; or, du point de vue du théologien, un médecin chrétien ne peut pas tuer, même si cela permet de sauver une autre vie21.

  • 22 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, VIII, 31, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 134va : Aut (...)
  • 23 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, VIII, 31, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 134va : [... (...)

9De manière prévisible, Jean de Naples affirme la suprématie de la théologie par rapport à la médecine : dans ses procédés, le médecin doit respecter les prescriptions de la science divine. Mais que nous révèle cette question sur la saignée du statut de l’astrologie ? Un détail précis est important à souligner : Jean de Naples n’exclut pas qu’il y ait des situations dans lesquelles l’astrologue aurait raison et le médecin se tromperait. En outre, dès le début de la question, il annonce qu’il considérera aussi le cas de figure où les deux jugements contraires ne sont pas de même valeur : l’un était plus fiable que l’autre. Selon Jean de Naples, il est donc possible que le jugement astrologique soit plus certain que le jugement médical22. Ainsi, dans certains cas, l’astrologie se trouve supérieure à la médecine. Dans les arguments cités par Jean de Naples, il y a une justification de cette hiérarchie : les corps célestes sont les causes premières ; or, conformément au Liber de causis, l’influence de la première cause est plus forte que celle de la seconde23.

  • 24 Par exemple, Bonaventura, Super Sent., II, dist. 14, pars 2, art. 2, qu. 3, p. 364 : Unde Augustin (...)
  • 25 Thomas de Aquino, Super Sent., II, dist. 15, qu. 1, art. 3, ad 4, p. 376‑377 : Ad quartum dicendum (...)

10Comme nous l’avons déjà remarqué, il n’y a pas beaucoup de textes parisiens de la même période, tels que les quodlibeta ou les commentaires des Sentences, où la médecine est évoquée à côté de l’astrologie. Cependant, il ne serait pas erroné de dire que ces écrits peu nombreux où une comparaison entre les deux sciences est malgré tout tentée présentent un tout autre discours que celui de Jean de Naples. Ainsi, quand les commentateurs des Sentences parisiens mettent en parallèle la médecine et l’astrologie, ils reconnaissent, à l’instar de notre auteur, que les corps célestes sont les causes premières ; cependant, ils insistent surtout sur le fait que l’action des causes premières peut être altérée par les causes secondes. Deux conclusions découlent de ce postulat. Premièrement, la médecine peut être reconnue comme supérieure à l’astrologie. Ainsi, si un commentateur des Sentences évoque les maladies simultanées des jumeaux, il cite l’explication classique d’Augustin. Le Père de l’Église a préféré le raisonnement du médecin Hippocrate à celui de l’astrologue Possidonius : la cause des maladies simultanées des jumeaux est la ressemblance dans leur complexion et non leurs horoscopes identiques24. Deuxièmement, à la rigueur, la médecine peut être mise au même niveau que l’astrologie (s’il ne s’agit pas, bien évidemment, des pronostics astrologiques touchant aux actes du libre arbitre). Les commentateurs remarquent parfois la ressemblance des méthodes des deux sciences, car toutes les deux étudient les causes agissant de manière déterminée et produisant leurs effets dans la plupart des cas ; ces effets peuvent néanmoins être empêchés et restent donc contingents. En parlant des phénomènes produits par de telles causes et connaissables avec une certitude relative et non absolue, ces théologiens citent en guise d’illustration à la fois les jugements médicaux et les jugements astrologiques si ces derniers concernent les phénomènes naturels, comme, par exemple, les changements météorologiques25. En revanche, il est difficile d’imaginer dans ces textes une astrologie supérieure à la médecine.

11Cette différence notable entre les propos de Jean de Naples et ceux des commentateurs parisiens des Sentences a une explication simple : la question que traite le premier n’est pas celle qui inquiète les seconds. À la différence des théologiens parisiens, Jean de Naples cherche à indiquer les limites de la médecine et non celles de l’astrologie. Guidé par cet objectif, il attribue à l’astrologie un statut supérieur à celui qu’elle pourrait compter obtenir chez les commentateurs des Sentences. En somme, cette ascension de l’astrologie dans le quodlibet de Jean de Naples est un effet collatéral. L’objectif du théologien ne consiste pas à louer les astrologues, mais bien à réfréner la médecine (comme il le fait dans d’autres questions), à tel point qu’il semble parfois qu’elle soit inférieure à la science des astres.

Le monde terrestre et le repos des corps célestes

  • 26 Cf., par exemple, Sorokina – Schabel 2016 ; Sorokina 2021, vol. 2, chap. 23.

12Passons maintenant à notre deuxième question qui porte sur les conséquences de l’arrêt des corps célestes. Les théologiens des XIIIe‑XIVe siècles traitent souvent de ce sujet, soit dans les quodlibeta, soit dans les commentaires des Sentences, notamment, dans le livre IV26. Selon l’auteur des Sentences elles‑mêmes, Pierre Lombard, le ciel s’arrêtera à la fin des temps ; or, selon Aristote, le mouvement céleste est éternel. Les commentateurs des Sentences se trouvent face à deux problèmes. Premièrement, ils tiennent à prouver que l’arrêt des corps célestes est possible. Deuxièmement, ils cherchent à comprendre si la fin du mouvement du ciel signifie aussi la fin de son influence et si tout autre mouvement peut continuer en l’absence du mouvement des sphères et des planètes.

  • 27 Cf. par exemple, Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, I, 1 et VI, 16, ms. Tortosa, Biblioteca capitula (...)

13Jean de Naples a traité de ce second problème au moins trois fois : dans le quodlibet III (écrit soit à Paris, soit à Naples), dans le quodlibet VI (défendu à Paris en 1316) et dans le quodlibet IX (probablement, rédigé à Naples). Ce n’est pas le seul cas où notre théologien revient sur le même sujet, en proposant parfois des solutions identiques27. Mais les questions sur l’arrêt des corps célestes représentent un cas différent : dans les quodlibeta III et VI, Jean de Naples postule que l’arrêt du mouvement céleste entraînera celui de tous les mouvements terrestres ; dans le quodlibet IX, il affirme que cette opinion est erronée. Comment expliquer ce changement radical ? Est‑ce le déménagement définitif à Naples qui l’a provoqué ? Faut‑il chercher une explication dans le contexte italien ?

  • 28 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 23ra : Hec questi (...)
  • 29 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 23ra : Alio modo (...)
  • 30 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 23ra : Aut enim l (...)
  • 31 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 23ra : Si loquamu (...)
  • 32 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 23ra : Actio aute (...)

14Nous commencerons notre enquête par le quodlibet III. Jean de Naples y demande si les corps inférieurs peuvent continuer leur existence (remanere), si une intelligence cesse de mouvoir le ciel. La question est ensuite subdivisée en deux parties. Premièrement, Jean de Naples imagine la situation suivante : une intelligence arrête d’accomplir sa tâche et ne meut plus les sphères célestes, mais une autre intelligence prend le relais tout de suite. Dans ce cas, la solution est simple : d’après Jean de Naples, rien ne menacera les corps inférieurs28. Deuxièmement, Jean de Naples aborde un problème plus complexe : si toutes les intelligences arrêtent de mouvoir le ciel, que deviendra le monde inférieur29 ? Deux sujets sont ensuite traités : d’abord, la possibilité du mouvement dans les corps inférieurs (le mouvement est compris au sens large, comme tout changement : local, qualitatif ou quantitatif) ; puis, la possibilité de l’existence même des corps inférieurs30. En ce qui concerne le mouvement, Jean de Naples distingue deux cas, celui du mouvement successif et celui du mouvement instantané. Il affirme que tout mouvement successif s’arrêtera : comme le premier de tous les mouvements, à savoir celui du ciel, n’existera plus, les autres mouvements ne pourront pas continuer ; voilà pourquoi, par exemple, le feu ne brûlera pas l’étoupe31. En revanche, le mouvement instantané (tel que la diffusion de la lumière dans l’air) aura toujours lieu. Ce mouvement ne dépend pas du mouvement céleste, mais seulement de la présence d’un agent (en l’occurrence, celle du soleil)32.

  • 33 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 23ra : Si autem l (...)
  • 34 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 23ra‑23rb : Aut e (...)

15Quant à l’existence même des corps inférieurs, Jean de Naples la croit impossible si elle dépend d’un mouvement successif. Par exemple, l’homme existe, tant que son cœur bat. Or le mouvement successif du cœur doit s’arrêter avec l’arrêt du mouvement céleste ; par conséquent, l’homme doit périr. Néanmoins, Dieu gardera les hommes en vie par une voie miraculeuse : les humains existeront malgré l’arrêt cardiaque33. En revanche, si l’existence d’un corps ne dépend pas du mouvement (c’est le cas des éléments), elle peut durer en l’absence du mouvement céleste. Cependant, si l’existence peut bien être conservée, elle ne peut plus être acquise. La génération présuppose une altération, c’est‑à‑dire un mouvement qui devient impossible en l’absence du mouvement céleste. C’est pourquoi le feu existera, mais il ne se reproduira plus34. Jean de Naples décrit ainsi un monde stable, sans aucune action et aucun changement. Une exception est faite pour les hommes, mais leurs mouvements et leur vie même ne seront possibles que par un miracle.

  • 35 Cf., par exemple, Thomas de Aquino, Quaestiones disputatae de potentia, qu. 5, art. 8, dans id., Q (...)
  • 36 Piché 1999, p. 127 : Quod si celum staret, ignis in stupam non ageret, quia natura deesset.
  • 37 Sur la naissance de l’école thomiste et la transformation progressive de l’œuvre de l’Aquinate en (...)

16Il est important de remarquer que dans ce quodlibet Jean de Naples prend une position dans une discussion très âpre au sein de l’ordre dominicain. Notre théologien défend l’opinion de Thomas d’Aquin. Selon ce dernier, l’arrêt du mouvement céleste provoque l’arrêt des autres mouvements35. Or, en 1277, dans le syllabus de l’évêque parisien Étienne Tempier figure l’article suivant : il est erroné de penser que « si ciel s’arrêtait, le feu n’agirait pas sur l’étoupe36 ». L’ordre dominicain se heurte donc à un problème délicat. D’un côté, il est difficile d’ignorer les condamnations parisiennes. De l’autre, Thomas d’Aquin est une grande autorité, et son œuvre acquiert progressivement le statut de doctrine officielle pour les frères prêcheurs37. Il serait dommage de reconnaître que l’Aquinate se trompe.

  • 38 Iacobus Mettensis, Super Sent., II, dist. 2, qu. 2, ms. Paris, BnF, lat. 12330, f. 47rb, ms. Vatic (...)
  • 39 Pour l’édition de ces deux listes d’erreurs, voir Koch 1973. Sur les différentes réactions des con (...)
  • 40 Koch 1973, p. 58 : [22] D. 15 a. ultimo dicit, quod celum non agit per motum et quod cessante eius (...)
  • 41 Koch 1973, p. 88 : [78] D. 15 a. ultimo dicit, quod celum non agit per motum et quod cessante motu (...)
  • 42 Pour la liste des membres de la première commission cf. Koch 1973, p. 53 : Herveaus Natalis, Yvo C (...)

17À la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle, la plupart des commentateurs des Sentences défendent une position contraire à celle de Thomas. Ils affirment que ni l’influence des corps célestes sur le monde inférieur ni les interactions des corps terrestres ne cesseront avec l’arrêt du ciel. Le feu brûlera donc l’étoupe. Parmi les Dominicains, cette opinion est formulée de la manière la plus développée par les « antithomistes » Jacques de Metz et Durand de Saint‑Pourçain38. Cependant, comme nous le savons, l’antithomisme de Durand de Saint‑Pourçain n’est pas passé inaperçu. L’ordre dominicain a organisé deux commissions pour examiner le commentaire des Sentences de Durand. Leur tâche consistait à contrôler la conformité de ses idées avec la doctrine chrétienne et (surtout en ce qui concerne la deuxième commission) avec l’œuvre de l’Aquinate. La première commission a eu lieu en 1314 et a repéré 93 erreurs ; la deuxième s’est réunie en 1316‑1317 et a indiqué 235 erreurs39. Les deux commissions évoquent la thèse selon laquelle les corps inférieurs peuvent agir les uns sur les autres sans le mouvement céleste. Pourtant, la première commission ne condamne pas vraiment cette opinion de Durand : sur dix théologiens, un seul a trouvé qu’il s’agissait d’une thèse erronée40. En revanche, la seconde commission semble beaucoup plus sévère : la thèse de Durand est condamnable, parce que Thomas d’Aquin a exprimé un avis contraire dans le commentaire des Sentences et le De potentia41. Notre personnage, Jean de Naples, était membre des deux commissions, mais son rôle a été particulièrement important dans le travail de la seconde. C’est lui qui a rédigé la liste des erreurs trouvées dans le livre II du commentaire de Durand42. Parmi ces erreurs figure celle sur les conséquences de l’arrêt des corps célestes.

  • 43 Petrus Aureoli, In quartum librum Sententiarum, dist. 47, qu. 1, art. 1, Rome, 1605, p. 223bB‑C : (...)

18En toute logique, la question suivante se pose : est‑il possible de défendre Thomas d’Aquin sans attaquer Étienne Tempier ? Il existe une solution de compromis qui consiste à réinterpréter le texte de la condamnation. C’est ce qu’a tenté le franciscain Pierre Auriol. Selon la majeure partie des commentateurs, Tempier veut dire que le feu brûlera l’étoupe même si le ciel s’arrête, parce que, à la différence de l’influence céleste, le mouvement céleste n’est pas nécessaire pour que les corps terrestres interagissent. Autrement dit l’arrêt des corps célestes ne détruit pas entièrement l’ordre naturel. Or, selon Pierre Auriol, Tempier défend une tout autre idée : si le ciel s’immobilise, le feu pourra brûler l’étoupe, bien que son action dépende sans doute du mouvement céleste ; c’est Dieu qui peut rendre le feu actif et le faire agir sur l’étoupe par miracle43. Du reste, cette lecture du syllabus est assez probable.

  • 44 Par exemple, Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 3), II, dist. 15, qu. 3, p. 135vb : Te (...)
  • 45 Piché 1999, p. 126. Heinrich Denifle et Émile Chatelain, ainsi que Pierre Mandonnet choisissent la (...)
  • 46 Averroes, Sermo de substantia orbis, cap. 4, dans Aristotelis Opera cum Averois Commentariis, vol. (...)
  • 47 Ricardus de Mediavilla, Super quatuor libros Sententiarium, IV, dist. 48, art. 2, qu. 4, Brescia, (...)
  • 48 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 23ra : Nec est co (...)

19Mais c’est l’interprétation de Jean de Naples qui se trouve être la plus originale. La plupart des théologiens citent une version abrégée de l’article 156 du syllabus : « Si le ciel s’arrêtait, le feu n’agirait pas sur l’étoupe44. » À la différence d’eux, Jean de Naples se souvient de la version complète. En fait, dans les manuscrits des condamnations de 1277, l’article 156 se termine de deux façons. Pour son édition du syllabus, David Piché a choisi la variante la moins répandue : « Si le ciel s’arrêtait, le feu n’agirait pas sur l’étoupe, parce que la nature ferait défaut » (natura desset). Bien que de nombreux commentateurs des Sentences comprennent l’évêque parisien de cette manière, aucun d’entre eux (à notre connaissance) ne cite cet ajout sur le défaut de la nature. Quant au quodlibet III de Jean de Naples, nous y trouvons la version la plus fréquente dans les manuscrits du syllabus : « Si ciel s’arrêtait, le feu n’agirait pas sur l’étoupe, parce que Dieu ne serait pas » (Deus nec esset)45. Au demeurant, cette variante nous semble assez probable, puisqu’elle fait penser aux propos d’Averroès dans le De substantia orbis (bien connu des censeurs) : selon le Commentateur, si le moteur du ciel n’existe plus, le ciel même cesse d’exister, ainsi que tous les mouvements et toutes les actions dans le monde terrestre qui dépendent du mouvement céleste ; c’est donc ce moteur du ciel qui donne l’existence à tous les êtres46. Parmi les commentateurs des Sentences, les franciscains Richard de Mediavilla et Jean de Bassoles citent l’article 156 de cette même façon, mais aucun raisonnement ne s’ensuit47. En revanche, toute l’argumentation de Jean de Naples est construite sur la dernière partie de l’article. D’après lui, Tempier attaque ceux qui affirment que Dieu meut les sphères par nécessité. Jean de Naples affirme que la même idée est exprimée dans l’article 59 : il est interdit de dire que « Dieu est la cause nécessaire du mouvement des corps supérieurs ainsi que de la conjonction et de la distribution contingente dans les étoiles ». Autrement dit, si Dieu mouvait le ciel par nécessité, l’arrêt des corps célestes signifierait forcément que Dieu n’existe plus et non qu’Il a délibérément arrêté sa tâche. Or si Dieu, qui contrôle tous les processus naturels, n’existe plus, le feu ne peut pas brûler l’étoupe48. Cette interprétation proposée par Jean de Naples est unique.

  • 49 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, VI, 2, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 57va‑58rb : Utrum l (...)
  • 50 Stella 1975, p. 54 : Quintus articulus est articulus 156 “Quod si celum staret, ignis in stupam no (...)

20En 1316, Jean de Naples défend le quodlibet VI ; dans les mêmes années, il participe à la deuxième commission examinant le commentaire de Durand de Saint‑Pourçain. Une des questions du quodlibet VI consiste à savoir s’il est licite d’enseigner à Paris certaines idées de Thomas d’Aquin49. Jean de Naples évoque neuf thèses, dont celle sur l’arrêt du mouvement céleste. Le théologien cherche à démontrer de nouveau que l’article du syllabus ne vise pas l’Aquinate. Comme Prospero Stella l’a déjà remarqué, le raisonnement est le même : certes, Thomas a dit que l’arrêt des corps célestes entraîne l’arrêt de la génération et de la corruption ; en revanche, il n’a jamais dit que « si le ciel s’arrête, il n’y a plus de Dieu50 ».

  • 51 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 22vb : Decima que (...)
  • 52 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330 (...)

21Cependant, ce raisonnement de Jean de Naples n’exprime aucunement sa position ultime. Le manuscrit 244 conservé à la bibliothèque capitulaire de Tortosa contient la plupart de ses quodlibeta. La question 10 du quodlibet III qui porte sur l’arrêt des corps célestes y est accompagnée en marge de la remarque suivante : « Cela est mieux dit dans le quodlibet IX, question 1251. » En effet, dans le quodlibet IX, rédigé sans doute après le départ pour l’Italie, Jean de Naples change de point de vue, en affirmant que l’immobilité des corps célestes n’est pas un obstacle pour les interactions des corps inférieurs. Une telle évolution d’opinion est déjà très intéressante, mais il y a un détail encore plus étonnant : tout le raisonnement de Jean de Naples est fondé sur les extraits du commentaire des Sentences de Durand de Saint‑Pourçain. Il s’agit notamment de la distinction 15 du livre II du commentaire de Durand52. La comparaison entre les deux textes montre vite qu’en adoptant son nouveau point de vue, Jean de Naples s’est limité à paraphraser Durand. Rares sont les arguments que le dominicain italien a formulés lui‑même. Nous en présenterons quelques exemples.

  • 53 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, IX, 12, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 144va : Ad evident (...)
  • 54 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330 (...)

22Jean de Naples traite de la question en deux parties. D’abord, il demande si le ciel peut agir sur les corps inférieurs, malgré son immobilité. Ensuite, il cherche à savoir si un corps terrestre peut agir sur un autre, en l’absence de mouvement céleste (autrement dit si le feu peut brûler l’étoupe)53. C’est surtout la première partie qui présente un exposé des raisonnements de Durand. Selon Durand, le mouvement serait nécessaire pour que le ciel puisse exercer une influence sur le monde sublunaire dans deux cas (Jean de Naples reprend cette distinction). Premièrement, le ciel agirait par le mouvement, si le mouvement était la raison de son action (ratio agendi ou ratio formalis). Ainsi, la raison de l’action du feu est sa chaleur. Deuxièmement, sans être ratio agendi, le mouvement pourrait être une chose nécessairement requise pour l’influence céleste (necessario requisitum ad hoc, ut agens agat). Par exemple, une scie coupe le bois grâce à sa dureté et son acuité : ce sont ses rationes agendi. Mais le bois ne sera pas coupé sans que quelqu’un meuve la scie. Dans cet exemple, le mouvement n’est pas la raison formelle de l’action, mais il est absolument nécessaire pour qu’elle se produise54.

  • 55 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330 (...)
  • 56 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, IX, 12, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 144va : Quantum ad (...)
  • 57 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, IX, 12, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 144va : [...] si m (...)
  • 58 Cf., par exemple, Lang 1998, p. 91‑113.

23Durand de Saint‑Pourçain affirme tout d’abord qu’aucun docteur n’a jamais considéré le mouvement comme la ratio agendi du ciel55. À l’exception de cette remarque, Jean de Naples reproduit fidèlement son argumentation. La ratio agendi est fondamentale pour la nature de l’agent, car elle « met en lui quelque chose d’absolu », à savoir une forme substantielle ou une forme accidentelle56. Le mouvement local (non seulement celui du ciel, mais aussi tout mouvement) est incapable de le faire. Ainsi, le mouvement ne fait que changer le lieu où se trouve tel corps céleste ou tel autre, sans toucher à ses formes accidentelle ou substantielle. En outre, Durand de Saint‑Pourçain et Jean de Naples qui le suit rappellent que « le lieu n’est pas dans un corps localisé (locatum), mais dans un corps localisant (locans)57 ». Dans le cadre de la philosophie aristotélicienne, le lieu est défini comme la superficie d’un corps contenant et non comme celle d’un corps contenu. Le lieu n’est donc pas vraiment la caractéristique du corps déplacé à la suite d’une action ; c’est plutôt la caractéristique des corps qui l’entourent (par exemple, l’air pour les corps terrestres ou l’éther pour une planète)58. Sans aucun doute, le mouvement n’apporte rien d’absolu au mû ; il n’est donc pas la ratio agendi du ciel.

  • 59 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330 (...)
  • 60 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330 (...)
  • 61 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 3), II, dist. 15, qu. 3, f. 135vb : Alii dicunt, et (...)
  • 62 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, IX, 12, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 144va‑144vb : Secu (...)
  • 63 Par exemple, Grant 1994, p. 378‑382 ; Sorokina 2021, vol. 2, p. 25-35.
  • 64 Thomas de Aquino, Super Sent., II, dist. 2, qu. 2, art. 3, co, p. 76 : Respondeo dicendum, quod ca (...)
  • 65 Thomas de Aquino, Quaestiones quodlibetales, VI, qu. 11, co, dans id., Opera omnia, vol. 25-2, éd. (...)
  • 66 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, IX, 12, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 144vb : Secundo, q (...)
  • 67 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 3), II, dist. 15, qu. 3, f. 135vb : Secundo, quia c (...)

24Cependant, le mouvement peut‑il être un composant nécessaire pour l’influence céleste ? Dans les trois rédactions de son commentaire, Durand constate qu’il y a deux opinions contraires sur ce sujet59. Dans la deuxième rédaction du commentaire (au moins, dans le ms. 12330 conservé à la Bibliothèque nationale de France que nous avons consulté), il préfère ne pas choisir entre les deux points de vue et affirme que les arguments en faveur des deux positions peuvent être réfutés60. Néanmoins, à la fin de l’article, il rejette seulement les arguments de ceux qui croient que le mouvement du ciel est indispensable pour son action. Dans la troisième rédaction du commentaire, Durand est encore plus décidé : il écrit qu’il vaut mieux dire que le mouvement du ciel n’est pas nécessaire pour son influence61. C’est cette position que les censeurs dominicains, les membres de deux commissions, ont attribuée à Durand. Or c’est aussi l’opinion que défend Jean de Naples dans le quodlibet IX. Durand la confirme par trois arguments ; Jean de Naples en cite deux. Tout d’abord, les corps terrestres, engendrables et corruptibles, peuvent agir en restant immobiles : c’est le cas de l’aimant qui attire le fer sans se mouvoir. À plus forte raison, le ciel doit être capable d’exercer son influence sans mouvement : comme il est incorruptible, il est beaucoup plus noble que les corps terrestres62. Un autre argument porte sur le ciel empyrée, l’ultime sphère de l’univers qui est immobile. Au début du XIVe siècle, après quelques discussions, la grande majorité des théologiens affirment que l’empyrée exerce une influence malgré son immobilité63. Le fait que Thomas d’Aquin ait changé d’avis a dû jouer un certain rôle. Dans le commentaire des Sentences, l’Aquinate écrit qu’à la différence des cieux mobiles, le ciel empyrée n’agit pas sur le monde terrestre64. Plus tard, dans le quodlibet VI et la Summa theologiae, il reconnaît que sa propre position a des défauts et, par conséquent, admet que l’empyrée exerce sans doute une certaine influence65. D’après Durand de Saint‑Pourçain, si l’ultime sphère peut produire certains effets en restant immobile, les autres cieux peuvent eux aussi agir sur le monde terrestre, malgré leur arrêt66. Dans la troisième rédaction du commentaire, il n’hésite pas à évoquer ces hésitations de Thomas : comme il l’écrit, « le ciel empyrée agit sur les corps inférieurs, comme le postulent certains docteurs et parfois les mêmes [qui ont affirmé le contraire – M.S.] (etiam ipsimet)67 ».

  • 68 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330 (...)
  • 69 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, IX, 12, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 145ra : Ad cuius e (...)
  • 70 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330 (...)

25Le troisième argument cité par Durand est fondé sur l’autorité d’Étienne Tempier : selon l’article du syllabus, le feu brûlera l’étoupe même si le ciel est immobile68. Jean de Naples n’utilise pas cette preuve pour montrer que les corps célestes immobiles continuent à agir sur le monde sublunaire. En revanche, il fait une allusion au syllabus plus tard, dans la deuxième partie de sa question. Jean de Naples y prouve que les interactions des corps terrestres ne s’arrêtent pas à la suite de l’arrêt du ciel. Pour qu’une action se produise, il faut trois composantes : un agent, un patient et une distance suffisamment courte entre eux. Ces conditions peuvent être respectées, même si le ciel s’immobilise : ainsi, dit Jean de Naples, « le feu peut être dûment approché de l’étoupe, etc.69 ». Tout ce raisonnement sur les trois composantes nécessaires pour une action est aussi tiré du commentaire de Durand de Saint‑Pourçain70.

  • 71 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330 (...)
  • 72 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, IX, 12, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 145ra : Tertio pri (...)

26Néanmoins, selon les deux théologiens, l’arrêt des corps célestes apportera quelques changements dans le monde inférieur. L’influence céleste continuera à exister, mais elle ne se renouvellera pas. Durand de Saint‑Pourçain explique qu’une nouvelle action se produit, si l’agent s’approche de nouveau du patient. Cependant, cela n’est pas possible si le ciel s’arrête. Ainsi, le soleil, la lune et les étoiles agiront toujours de la même façon sur les mêmes régions terrestres. Dans une région donnée, il n’y aura plus l’alternance des saisons, du froid et du chaud, de la nuit et du jour71. L’argumentation de Jean de Naples est la même. Le dominicain italien ajoute seulement qu’il y a différents types d’alternance d’actions : celle d’un corps céleste à l’égard de plusieurs régions terrestres (le soleil illumine tantôt notre hémisphère, tantôt l’hémisphère opposé) ; celle des divers corps célestes à l’égard des différentes régions terrestres (notre hémisphère est illuminé tantôt par le soleil, tantôt par la lune, tantôt par les étoiles) ; celle du même corps céleste à l’égard de la même région terrestre selon la présence d’une action (tantôt le soleil illumine notre hémisphère, tantôt non). Aucun de ces types d’alternance n’existera plus après le Jugement dernier, quand les corps célestes s’arrêteront72.

  • 73 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, IX, 24, Tortosa, Biblioteca capitular, 244 : Utrum invocare, coni (...)

27La comparaison entre le commentaire de Durand de Saint‑Pourçain et le quodlibet IX de Jean de Naples pourrait être continuée. Cependant, les quelques exemples déjà évoqués prouvent suffisamment que Jean de Naples avait une bonne connaissance des idées de son confrère. On ne peut pour l’heure déterminer clairement quelle rédaction du commentaire de Durand utilise Jean de Naples. Il semble qu’il ait pu lire même la troisième et dernière rédaction : Durand la préparait dans les années 1317‑1325 ; la datation du quodlibet IX de Jean de Naples est difficile, mais il est certain que ce texte est écrit après 1317. Thomas Turley indique même que la question 24 de ce quodlibet pourrait être liée avec les interrogations faites en 1320 par le pape Jean XXII sur le baptême des images73. Il est donc possible que Jean de Naples ait consulté la troisième rédaction du commentaire de Durand.

  • 74 Du reste, Hervé de Nédellec s’efforce de démontrer que Thomas d’Aquin lui‑même a défendu cette opi (...)

28Ainsi, dans le quodlibet IX, Jean de Naples se réconcilie complètement avec Durand de Saint‑Pourçain qu’il avait persécuté. Faut‑il en chercher des raisons dans le contexte napolitain ? Il est incontestable que le déplacement géographique a coïncidé avec le changement d’avis dans une discussion importante. En revanche, trouver une corrélation entre ces deux faits demeure pour l’instant une tâche risquée. Jean de Naples aurait été libre de défendre cette même position aussi bien à Paris qu’à Naples ; en tout cas, ses confrères parisiens, les thomistes Hervé de Nédellec et Pierre de la Palud l’ont fait, en affirmant que le feu brûlera l’étoupe sous un ciel immobile et en allant donc à l’encontre de l’Aquinate74.

 

29Jean de Naples est un exemple emblématique d’un membre des ordres mendiants dont la carrière intellectuelle s’est déroulée entre son Italie natale et Paris. Comme nous l’avons vu, les circonstances dans lesquelles il adopte telle ou telle position sont parfois aisément repérables. Le problème du crédit à accorder à la médecine ou bien à l’astrologie et le fait que Jean de Naples considère que, dans certains cas, c’est le jugement astrologique qu’il faut privilégier dérivent d’une préoccupation plus fondamentale : la volonté des théologiens napolitains de s’affirmer comme experts face aux médecins. En revanche, les changements d’opinion de Jean de Naples sur les conséquences de l’arrêt des mouvements célestes (cessation ou non des mouvements terrestres) tiennent peut‑être davantage à une réflexion personnelle menée au cours d’une vie entre Paris et Naples. Toutefois, le ralliement tardif de notre personnage à la théorie postulant l’indépendance des interactions dans le monde terrestre par rapport à la rotation du ciel a de quoi intriguer. L’adhésion à une thèse quasi communément admise ne surprend pas, mais quelles sont les raisons cachées qui ont poussé Jean de Naples à choisir précisément le texte de Durand de Saint‑Pourçain, son ancien ennemi intellectuel, pour défendre une position pour laquelle il aurait pu solliciter d’autres auteurs ?

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Notes

1 Cross 2007, p. 705 ; Friedman 2007, p. 455‑463.

2 Cf., par exemple, Biller 1997 ; Müller 2000, p. 75‑76, p. 75, n. 144 ; Müller 2012, p. 111. Pour la liste de ces questions médicales cf. Robert 2015, p. 348‑349.

3 Robert 2015, surtout p. 346‑347.

4 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, II, 8, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 10vb‑11va : Utrum superior orbis sit nobilior.

5 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, VIII, 13, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 124va‑125rb : Utrum celum sit generabile et corruptibile.

6 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, VIII, 31, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 134va‑134vb : Utrum sit flebotomandus a medico astrologo ille de quo iudicatur per astrologiam quod si flebotomatur moritur, et per medicinam quod si non flebotomatur moritur, utpote qui incurrit squalentiam.

7 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 22vb‑23rb : Utrum intelligentia movente celum cessante possent hec inferiora manere ; id., Quodlibeta, IX, 12, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 144va‑145rb : Utrum cessante motu celi cesset omnis actio in inferioribus.

8 Sur les discussions autour de la causalité céleste dans les commentaires des Sentences, cf. Sorokina 2021.

9 Sur la biographie de Jean de Naples, cf. Nold 2012, p. 629‑634 ; Robert 2015, p. 304‑305.

10 Pour les travaux sur la datation des quodlibeta de Jean de Naples cf. Friedman 2007, p. 455‑463. Pour la datation des quodlibeta I‑II, cf., par exemple, Mantovani 1999‑2000. Pour les références au quodlibet III dans les quodlibeta postérieurs de Jean de Naples cf. Stella 1951, p. 131‑137.

11 Glorieux 1935, p. 159.

12 March 1926, p. 151.

13 Friedman 2007, p. 459‑460.

14 Cf. par exemple, les commentaires des Sentences de Thomas d’Aquin ou de Bonaventure dont la structure a été reprise par de nombreux commentateurs postérieurs. Thomas de Aquino, Scriptum super libros Sententiarum, II, dist. 15, éd. P. Mandonnet, Paris, 1929, p. 367 : Circa primum quaeruntur tria : de ipsa productione stellarum ; de effectu earum in inferiora corpora ; de effectu earum in ea quae sunt ex libero arbitrio ; Bonaventura, In secundum librum Sententiarum, dist. 14, pars 2, art. 2, qu. 2, dans id., Opera omnia, vol. 2, Quaracchi, 1885, p. 359‑361 : Utrum diversa luminaria habeant impressiones super corporalia ; ibid., qu. 3, p. 361‑365 : Utrum ex impressionibus luminarium causetur in hominibus diversitas morum.

15 Sorokina 2021, vol. 1, p. 452‑459.

16 Iohannes Duns Scotus, Reportata parisiensia, II, dist. 14, qu. 3, dans id., Opera omnia, vol. 23, éd. Wadding-Vivès, Paris, 1894, p. 60 : Quarto, dico quod agunt in plantas, in animalia et in homines alterando, et ideo possunt intendere qualitatem convenientem uni extremo, vel excedendo, vel deficiendo, vel respectu alterius extremi.

17 Iohannes Duns Scotus, Reportata parisiensia, II, dist. 14, qu. 3, p. 61‑62 : [...] licet natura sit principialius sanans, tamen medicina adhibita in hora convenienti potest eam iuvare, ideo qui nesciunt astronomiam multos occidunt, et si scirent, possent adhibere tempore conveniente. Tamen in casu necessitatis non potest medicus expectare tempus electionis, quia minus malum est adhibere medicinam tempore non debito, quam interim patientem mori.

18 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, VIII, 31, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 134va : Aut utrumque predictorum duorum, scilicet quod fleubotomando eum moritur secundum iudicium astrologie et quod non fleubotomando eum etiam moritur secundum iudicium medicine, est certum ex equo et non impedibile, aut utrumque est ex equo dubium et impedibile, aut primum est magis certum et non impedibile quam secundum, aut econtrario secundum quam primum. In primo casu, dicendum est quod talis medicus astrologus non deberet eum fleubotomare, cuius ratio est quia magis est eligendum non esse causam mortis alicuius quam esse. Sed fleubotomando eum est causa mortis eius directe. Non fleubotomando autem eum non est causa mortis eius directe, ut de se patet, nec indirecte, sicut potens gubernare navem et debens et non gubernans tempore tempestatis dicitur esse causa submersionis navis, si submergitur, ut patet per Philosophum in II Physicorum et V Metaphysice, quia supponitur quod talis medicus in isto casu non possit eius mortem vitare. In secundo etiam casu dicendum est similiter et propter eandem causam. Cf. Les Auctoritates Aristotelis. Un florilège médiéval, éd. J. Hamesse, Louvain‑Paris, 1974, p. 146, l. 25‑26 (Physica, II, 71), p. 124, l. 93‑94 (Metaphysica, V, 121) ; Aristoteles, Physica, II, 3, 195a 12‑14 ; id., Metaphysica, IV, 2, 1013b 11‑15.

19 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, X, 27, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 162rb‑162va : Utrum medicus debeat dare medicinam mulieri pregnanti ex qua sequeretur mors filii, et si non daret eam sequeretur mors utriusque.

20 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, X, 27, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 162rb‑162va : Dicendum est quod non debet talem medicinam dare, quod potest ad presens probari tripliciter. Primo, quia magis est eligendum [...] non esse causam mortis hominis quam esse. Sed dando talem medicinam est causa mortis puerperii [...]. Non dando autem non est causa mortis medicus, sed morbus.

21 Robert 2015, p. 340‑346.

22 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, VIII, 31, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 134va : Aut utrumque predictorum duorum, scilicet quod fleubotomando eum moritur secundum iudicium astrologie et quod non fleubotomando eum etiam moritur secundum iudicium medicine, est certum ex equo [...], aut primum est magis certum et non impedibile quam secundum, aut econtrario secundum quam primum.

23 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, VIII, 31, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 134va : [...] utrum sit fleubotomandus a medico astrologo ille de quo iudicatur per astrologiam quod si fleubotomatur moritur [...]. Et primo videtur quod non, quia ut dicitur prima propositione De causis, causa prima plus influit in effectum [cause secunde marg.] quam causa secunda. Et per consequens magis est iudicandum de effectu secundum causam primam quam secundum causam secundam. Sed corpora celestia sunt cause prime inter omnes causas corporales, ergo magis iudicandum est de effectibus qui fiunt infra orbem lune per corpora celestia quam per alias causas corporales. Cf. Liber de causis, cap. I, 1, éd. P. Magnard, O. Boulnois, B. Pinchard, J.‑L. Solère, La Demeure de l’être. Autour d’un anonyme. Étude et traduction du Liber de causis, Paris, 1990, p. 38 : Omnis causa primaria plus est influens super causatum suum quam causa universalis secunda.

24 Par exemple, Bonaventura, Super Sent., II, dist. 14, pars 2, art. 2, qu. 3, p. 364 : Unde Augustinus in quinto de Civitate Dei, in solutione cuiusdam quaestionis de duobus fratribus, qui simul infirmabantur et curabantur, unde hoc esset, magis commendat responsionem Hippocratis physici quam astronomi ; anon., Super Sent., II, dist. 14, ms. Paris, BnF, lat. 15903, f. 36vb : V De civitate Dei : Ypocras recitat de duobus qui in eodem tempore infirmabantur et alleviabantur pariter, et reddet astronomus, quia in eadem constellatione fuerunt nati. Contra hoc obicitur. [...] Ypocras reddit causam prope, humorum equalitatem et altitudinem regiminis et conformitatem, quia eodem cibo utebantur ; Alexander de Alexandria, Super Sent., II, dist. 14, pars 2, art. 2, qu. 3, ms. Assise, Biblioteca del Sacro Convento, 124, f. 76ra : Unde et Augustinus in V De civitate Dei in solutione cuiusdam questionis de duobus, qui simul infirmabantur et curabantur, magis ostendit rationem Ypocratis phisici, qui dixit hoc evenire propter similitudinem complexionis, quam astronomi qui dicebat evenire propter ydemptitatem constellationis ; Iohannes Baconus, In quatuor libros Sententiarum, IV, prologus, qu. 9, art. 2, Crémone, 1618, p. 258b‑259a : Ypocras scripsit quod cum duo fratres simul egrotare coepissent et similiter eorum morbum ingravescere et eodem tempore ab eodem morbo levari, oppinandum erat eos geminos fuisse. Et Possidonius astrologus asseruit eos conceptos sub eadem constellatione astrorum. Sed dictum istorum est falsum, ergo constellatio non determinat etc. Probat hoc, nam ista similitudo aegritudinis et sanitatis potuit reduci in multas alias causas naturales quam in constellatione vel in gemellitate. Cf. Augustinus, De civitate Dei, V, 2 dans CCSL, vol. 47, éd. B. Dombart et A. Kalb, Turnhout, 1955, p. 129‑130.

25 Thomas de Aquino, Super Sent., II, dist. 15, qu. 1, art. 3, ad 4, p. 376‑377 : Ad quartum dicendum, quod, sicut dictum est, electio animae multum inclinatur ex complexione corporis ; unde etiam medici judicant aliquem esse invidum vel tristem vel lascivum vel aliquid hujusmodi : quorum judicia frequenter vera sunt, [...] quamvis non de necessitate, eo quod ratio imperium super passiones habet ; et per hunc etiam modum ex motibus corporum caelestium aliqua possunt de operibus humanis praesciri, cum non sit dubium dispositiones corporis humani impressiones corporum caelestium sequi ; id., Super Sent., II, dist. 7, qu. 2, art. 2, ad 1, p. 190 : Ad primum ergo dicendum, quod futura secundum quod habent determinationem in causis suis, accedunt ad rationem praesentium, inquantum jam quodammodo sunt determinata in causis suis : et ideo eorum praecognitio non proprie dicitur divinatio ; ut quando medicus praedicit sanitatem futuram, et astrologus eclipsim vel pluviam, et aliquod hujusmodi ; id., Super Sent., II, dist. 7, qu. 2, art. 2, ad 5, p. 191 : Astrologi non possunt praenuntiare eventus, nisi quia reducuntur ad motum caeli sicut ad causam, vel per se sicut transmutationes quae accidunt in corporalibus, ut tempestates et sterilitates et pestilentias, et hujusmodi. [...] Similiter etiam medici ex signis exterius apparentibus causas interiores [corr. ex inferiores – M. S.] cognoscunt ex quibus sequitur sanitas vel mors, vel semper, vel in majori parte ; Guillelmus de la Mare, Scriptum in secundum librum Sententiarum, dist. 8, qu. 3, éd. H. Kraml, Munich, 1995, p. 113 : Ad primum dicendum quod medici ex signis exterioribus causas interiores cognoscunt. Similiter astronomi non possunt praenuntiare eventus nisi quando reducuntur ad motum caeli sicut ad causam primam et per se.

26 Cf., par exemple, Sorokina – Schabel 2016 ; Sorokina 2021, vol. 2, chap. 23.

27 Cf. par exemple, Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, I, 1 et VI, 16, ms. Tortosa, Biblioteca capitular, 244 : Utrum Deus possit facere motum sine mobile ; ibid., IV, 6 et XI, 8 : Utrum elementa agant et patiuntur in mixto.

28 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 23ra : Hec questio potest dupliciter intelligi. Uno modo sic : utrum possint hec inferiora remanere cessante quantum ad esse vel movere hac intelligentia determinata que nunc movet celum. Et sic dico quod sic, cum enim substantia separata moveat celum non per necessitatem nature, cum non sit determinata a natura sua ad movendum ipsum, sed movet eum per intellectum et voluntatem liberam, si ipsa cessaret ipsum movere, et alia successive immediate moveret, in nullo oporteret dicere quod hec inferiora desinerent seu cessarent.

29 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 23ra : Alio modo potest hoc intelligi quod si una intelligentia cessaret quantum ad esse vel movere, quod alia ei in movendo non succederet.

30 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 23ra : Aut enim loquimur de hiis inferioribus quantum ad mutuam generationem, corruptionem vel alterationem que in eis apparet, seu quamcumque successivam mutationem ; aut quantum ad esse.

31 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 23ra : Si loquamur primo modo, sic dicendum est quod predicta suppositione facta hec inferiora remanere non possent, cuius ratio est, quia ut probatur VIII Physicorum, omnes motus reducuntur sicut in primum et causam in motum localem et omnes motus locales in motum primi celi. Subtracto ergo primo motu primi scilicet celi qui desineret si celum a nullo autem moveretur, cum a se ipso moveri non possit, omnis transmutatio successiva et generatio et corruptio ab hiis inferioribus cessaret naturaliter scilicet loquendo. Nec est contra hoc articulus Parisiensis qui dicit quod si celum staret, ignis in stupam non ageret.

32 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 23ra : Actio autem et passio et alteratio seu quecumque transmutatio non successiva sed subitanea que scilicet est sine motu continuo, ut illuminatio aeris a sole seu immutatio medii vel organi ab obiecto a motu continuo primi celi dependere non videtur, sed a sola presentia alterantis seu immutantis et dispositione subiecti. Unde videtur quod cessante etiam motu primi celi talis transmutatio non cessaret.

33 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 23ra : Si autem loquamur secundo modo, scilicet quantum ad esse, adhuc subdistinguendum est, quia aut est tale esse animalis quod dependet a motu cordis et tale etiam esse remanere non posset, predicta suppositione facta, sicut nec motus localis cordis a quo dependet, naturaliter scilicet loquendo, ut supra dictum est, quamvis Deus posset esse hominis quod etiam a motu cordis dependet, predicta etiam suppositione facta, conservare, et cum et sine motu cordis, sicut forte erit post diem iudicii.

34 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 23ra‑23rb : Aut est tale esse quod a tali motu continuo non dependet, ut est esse elementorum etc. Et tunc adhuc subdistinguendum est, quia aut loquimur de tali esse quantum ad sui acquisitionem que est cum alteratione aliqua continua precedente, que acquisitio nihil aliud est quam rei generatio. Et sic dicendum est quod talis acquisitio cessabit, sicut supra dictum est. Aut quantum ad sui conservationem et sic dicendum est quod predicta suppositione facta tale esse non cessabit, cuius ratio est, quia cessante motu celi non oportet dicere quod ista inferiora cessent, nisi inquantum sunt effectus eius. Non autem sunt effectus ipsius quantum ad esse, nisi quantum ad eius acquisitionem vel inquantum transmutationi subiciuntur.

35 Cf., par exemple, Thomas de Aquino, Quaestiones disputatae de potentia, qu. 5, art. 8, dans id., Quaestiones disputatae, vol. 2, éd. P. M. Pession, 9e éd., Turin‑Rome, 1953, p. 129 : Octavo utrum cessante motu caeli remaneat actio et passio in elementis ; ibid., s. c. 2, p. 151 : Praeterea, actio et passio in rebus corporalibus sine motu esse non potest. Remoto autem primo motu, qui est motus caeli, ut probatur in VIII Physicorum, oportet posteriores motus cessare. Remoto ergo motu caeli, non erit actio et passio in istis inferioribus. Selon Averroès et d’autres commentateurs de la Physique, dans l'extrait en question, Aristote parle précisément du mouvement céleste. Cf. Aristote, Physique, VIII, 1, 250b 11‑14, trad. P. Pellegrin, Paris 2002, rééd. 2002, p. 383 et p. 383, n. 1 : « [...] le mouvement [...] appartient aux étants, étant une sorte de vie pour toutes les choses constituées par nature. »

36 Piché 1999, p. 127 : Quod si celum staret, ignis in stupam non ageret, quia natura deesset.

37 Sur la naissance de l’école thomiste et la transformation progressive de l’œuvre de l’Aquinate en doctrine officielle de son ordre, cf. Robiglio 2006, surtout, p. 199‑203, p. 214‑216 ; Robiglio 2008, surtout p. 18‑54.

38 Iacobus Mettensis, Super Sent., II, dist. 2, qu. 2, ms. Paris, BnF, lat. 12330, f. 47rb, ms. Vatican, BAV, Borgh. 122, f. 44va : Dicendum quod alterationes non esse in inferioribus potest dupliciter intelligi. Uno modo quod cessante motu celi non sit penitus motus alterationis in istis inferioribus. Hoc est falsum […]. Secundo potest intelligi quod cessante motu celi cesset alteratio ita, quod non sit continua successio alterationum, et hoc etiam credo esse falsum ; cf. ibid., ms. Troyes, Médiathèque Jacques Chirac, 992, f. 73rb ; Durandus de Sancto Porciano, In Sententias theologicas Petri Lombardi commentariorum libri quatuor, II, dist. 15, qu. 3, Lyon, 1563 (réd. 3), f. 135vb : Alii dicunt, et verius, quod motus celi non requiritur ad hoc, ut agat in hec inferiora, sed solum ad novitatem actionis et alternationem generationis et corruptionis et ceterarum mutationum. Pour d’autres auteurs, cf. infra, n. 44.

39 Pour l’édition de ces deux listes d’erreurs, voir Koch 1973. Sur les différentes réactions des confrères de Durand de Saint‑Pourçain à son œuvre (les commissions, les traités polémiques...), cf., par exemple, Koch 1927 ; Schabel – Friedman – Balcoyiannopoulou 2001, surtout p. 183‑197.

40 Koch 1973, p. 58 : [22] D. 15 a. ultimo dicit, quod celum non agit per motum et quod cessante eius motu posset agere in hec inferiora et hec eciam inferiora ad invicem. Nullus excepto uno dicit quod falsum est.

41 Koch 1973, p. 88 : [78] D. 15 a. ultimo dicit, quod celum non agit per motum et quod cessante motu eius posset agere in inferiora et inferiora inter se. Contra Thomam 44 d. quarti libri a. I et q. disp. 35 a. 7 et 8. Comme le remarque Josef Koch, la questio disputata 35 désigne la question 5 du De potentia (ibid., p. 88, n. 13).

42 Pour la liste des membres de la première commission cf. Koch 1973, p. 53 : Herveaus Natalis, Yvo Cadomensis, Iohannes de Parma, Petrus de Palude, magistri in theologia, Iohannes de Neapoli, Thedericus Saxo, Iohannes de Prato, bachalarii eiusdem facultatis, Iacobus de Lausana, Yvo Leonensis, bachalarii Biblie, Matheus de Roma, deputatus a magistro. Pour la deuxième commission, cf. ibid., p. 72 : <I Sententiarum> <35 articuli excerpti a Iohanne de Neapoli et 14 a Iacobo de Lausana> ; ibid., p. 83 : <II Sententiarum> <69 articuli excerpti a Iohanne de Neapoli> ; ibid., p. 95 : <III Sententiarum> <53 articuli excerpti a Petro de Palude> ; ibid., p. 106 : <IV Sententiarum> < 64 articuli excerpti a Iohanne de Neapoli >.

43 Petrus Aureoli, In quartum librum Sententiarum, dist. 47, qu. 1, art. 1, Rome, 1605, p. 223bB‑C : Puto enim quod articulus ille non intendit negare essentialem ordinem motuum inferiorum ad motum caeli et quod, stante naturali ordine, cessante motu caeli non sit verum dicere quod ignis non posset agere in stupam, sed articulus intendit invehi contra aliquos philosophos qui sequentes, uti videbatur eis, doctrinam Philosophi posuerunt quod cessante motu caeli sic cessaret omnis actio inferiorum agentium, quod etiam Deus non posset supplere vicem motus primi ac facere quod ignis ageret in stupam.

44 Par exemple, Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 3), II, dist. 15, qu. 3, p. 135vb : Tertio, quia articulus est condemnatus, quod ignis, cessante motu celi, non combureret stupam, si sibi apponeretur ; Guillelmus de Rubio, In quatuor libros Magistri Sententiarum, IV, dist. 48, qu. 3, Paris, 1518, f. 241rb : Prima est quod cessante illo motu posset esse generatio et corruptio et quaecumque alia activa et passiva productio sicut modo. […] Unde et articulus est excommunicatus et erroneus dicere quod motu caeli cessante ignis non posset comburere stupam sibi approximata; Hugo de Novocastro, Super Sent., dist. 48, qu. 2, ms. Vienne, ÖNB, 1423, f. 335vb : Item est articulus excommunicatus dicere quod stante celo ignis non ageret in stupam ; Petrus de Palude, In quartum Sententiarum, IV, dist. 44, qu. 6, Venise, 1493, f. 211va : Dicit enim articulus quod dicere quod cessante motu celi si ignis esset iuxta stupam non combureret eam, error.

45 Piché 1999, p. 126. Heinrich Denifle et Émile Chatelain, ainsi que Pierre Mandonnet choisissent la version Deus non esset. Pierre Duhem propose de lire tempus non esset au lieu de Deus non esset ; son hypothèse serait plausible, mais cette variante est absente des manuscrits du syllabus. Cf. Denifle – Chatelain 1889, p. 558, n. 74 ; Duhem 1913‑1959, vol. 4 (1954), p. 65, n. 1. Selon Roland Hissette, natura deesset est « la seule version qui donne un sens acceptable à la proposition » ; Luca Bianchi lui aussi remarque que dans cette version la thèse condamnée est conforme aux idées d’Averroès. Hissette 1977, p. 142 ; Bianchi 1990, p. 140, n. 72.

46 Averroes, Sermo de substantia orbis, cap. 4, dans Aristotelis Opera cum Averois Commentariis, vol. 9, éd. Iuntina, Venise, 1562, f. 10vaI : […] dator continuationis motus est dator motus coeli, quia, nisi ipse esset, destrueretur motus et si motus, etiam coelum ; […] et si motus coeli destrueretur, motus entium inferiorum destrueretur et sic mundus, ex quo verificatur quod dator continuationis motus est dator esse omnibus aliis entibus. Sur l’opinion d’Averroès, cf. Duhem 1913‑1959, vol. 6 (1954), p. 59‑60 ; Grant 1994, p. 588.

47 Ricardus de Mediavilla, Super quatuor libros Sententiarium, IV, dist. 48, art. 2, qu. 4, Brescia, 1581, p. 641a : Item a Domino Stefano Episcopo Parisiensi excommunicatus est hic articulus, quod si celum staret, ignis in stupam non ageret, quia nec Deus esset ; Iohannes Bassolis, In quatuor Sententiarum libros, IV, dist. 48, qu. 1, art. 3, Paris, 1517, f. 105vb : Quinto, quia illa positio est contra articulum domini Stephani Parisius excommunicatum, qui dicit quod est error dicere quod cessante motu caeli ignis non posset agere vel non ageret in stupam, quia nec Deus esset.

48 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 23ra : Nec est contra hoc articulus Parisiensis qui dicit quod si celum staret, ignis in stupam non ageret, quia nec Deus esset […]. Unde quantum ad veritatem in nullo est contra hoc quod dictum est in hoc articulo [corr. hic articulus ms]. Sed est contra dicentes Deum movere celum ex necessitate nature, ad quod sequeretur, quod si celum staret, nec Deus esset, sicut sequitur non esse risibile, ergo non est homo, quod reprobatur pro errore in alio articulo, sic quod Deus est causa necessaria motus corporum superiorum et divisionis et coniunctionis contingentis in stellis, error. Cf. Piché 1999, p. 98‑99.

49 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, VI, 2, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 57va‑58rb : Utrum licite possit doceri Parisius doctrina fratris Thomae quantum ad omnes conclusiones eius. Le texte a été édité par Prospero Stella. Cf. Stella 1975.

50 Stella 1975, p. 54 : Quintus articulus est articulus 156 “Quod si celum staret, ignis in stupam non ageret, quia nec Deus esset, error”. Respondeo. Quamvis sanctus Thomas velit in questionibus De potentia Dei et in aliquibus aliis locis quod cessante motu primi celi cessabit generatio et corruptio in inferioribus, non tamen dicit quod si celum staret, nec Deus esset. Unde quantum ad veritatem hic articulus in nullo est contra doctrinam eius. Sed videtur esse factus contra dicentes Deum movere celum ex necessitate nature, ad quorum dictum sequeretur quod si celum staret nec Deus esset, sicut sequitur “Non est risibile, ergo non est homo” quod damnatur pro errore articulo 59, sub hiis verbis quod “Deus est causa necessaria motus corporum superiorum et coniunctionis et divisionis contingenter in stellis, error” ; ibid., p. 57‑58.

51 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, III, 10, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 22vb : Decima questio est utrum intelligentia movente celum cessante possent hec inferiora remanere [quere de hoc melius quolibet 9 questione 12 marg.].

52 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330, f. 72ra‑72va : Tertio queritur utrum celum agat per motum. Cf. id., Super Sent. (réd. 1), II, dist. 15, qu. 3, ms. Vatican, BAV, Chig.B.VIII.135, f. 185vb‑186rb ; id., Super Sent. (réd. 3), II, dist. 15, qu. 3, f. 135rb.

53 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, IX, 12, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 144va : Ad evidentiam huius questionis duo facienda sunt principaliter, quia primo videndum est utrum cessante primo motu cesset omnis actio qua celum agit in hec inferiora. Secundo videndum est utrum cesset omnis actio qua unum inferiorum agit in aliud.

54 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330, f. 72rb : Quo supposito dicendum est quod illud per quod aliquid agit potest intelligi dupliciter. Uno modo quod illud sit ratio formalis in agente per quam agit, sicut calor in igne est formalis ratio per quam calefacit. Alio modo potest intelligi agere per aliquid non quod sit sibi ratio agendi modo iam dicto, sed quia est necessario requisitum [corr. ex requissit] ad hoc quod agens agat, sicut ponitur exemplum de securi, quoad hoc quod possit secare requiritur quod sit acuta et de materia dura. Requiritur etiam quod [corr. ex etiam et] sit mota a secante. Sed duo prima, scilicet durities et acuties, sunt ei ratio agendi tamquam forma agentis ; cf. id., Super Sent. (réd. 1), II, dist. 15, qu. 3, ms. Vatican, BAV, Chig.B.VIII.135, f. 185vb‑186ra ; id., Super Sent. (réd. 3), II, dist. 15, qu. 3, f. 135va.

55 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330, f. 72rb : Nullo ergo modo potest motus localis alicuius esse ratio agendi, nec hoc asseruit unquam aliquis doctor, ut puto ; cf. id., Super Sent. (réd. 3), II, dist. 15, qu. 3, f. 135va.

56 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, IX, 12, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 144va : Quantum ad primum horum tria probanda sunt. Et primum est quod motus localis celi non est celo principium seu ratio agendi in hec inferiora, quod sic patet. Quod non ponit in re aliquod absolutum, non est ei ratio agendi seu principium quo actionis. Sed motus localis celi non ponit in celo aliquod absolutum, ergo etc. ; cf. Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330, f. 72rb : Si ergo questio intelligatur primo modo, sic dicendum est quod celum non agit per motum, quia motus localis non est sibi formalis ratio agendi, nec universaliter aliquis motus secundum se, sed solum ratione termini. Quod patet sic, illud quod non ponit in eo in quo est aliquid absolutum, non potest esse principium actionis […]. Sed motus secundum se non ponit in eo in quo est aliquid absolutum ; id., Super Sent. (réd. 1), II, dist. 15, qu. 3, ms. Vatican, BAV, Chig.B.VIII.135, f. 185vb ; id., Super Sent. (réd. 3), II, dist. 15, qu. 3, f. 135va.

57 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, IX, 12, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 144va : [...] si motus localis poneret aliquid absolutum in eo quod movetur, illud esset locus. Sed locus non est in locato quod movetur localiter, sed in locante, quia est superficies locantis seu continentis, ut patet IV Physicorum, ergo etc. [...] si poneret aliquid absolutum, illud vel esset forma substantialis vel accidentalis, scilicet quantitas vel qualitas, et sic motus localis esset generatio vel augmentum vel diminutio vel alteratio, contra Philosophum V Physicorum, et faceret illud quod movetur localiter esse aliud vel alterum, non solum alibi, que omnia sunt absurda ; Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330, f. 72rb : In motu autem locali neutrum est, quia nec ratione sui, nec ratione termini ad quem est, ponit aliquid absolutum, quod patet multipliciter. Primo, quia omne quod ponit in aliquo formam absolutam quamcunque facit ipsum aliud vel alterum, forma enim substantialis facit aliud, accidentalis vero alterum. Sed motus localis non facit aliud, nec alterum, quia iam esset generatio vel alteratio, ergo etc. Item, si poneret aliquid absolutum, illud esset locus, sed locus non est in locato, sed locatum in locante ; id., Super Sent. (réd. 1), II, dist. 15, qu. 3, ms. Vatican, BAV, Chig.B.VIII.135, f. 185vb ; id., Super Sent. (réd. 3), II, dist. 15, qu. 3, f. 135va. Cf. Les Auctoritates Aristotelis, p. 149, l. 97‑98 (Physica, IV, 120), p. 152, l. 60‑63 (Physica, V, 156) ; Aristoteles, Physica, IV, 2, 209b 1‑2 et V, 2, 226a 26‑33.

58 Cf., par exemple, Lang 1998, p. 91‑113.

59 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330, f. 72rb‑72va : Si autem questio intelligatur secundo modo, scilicet an motus requiratur ad hoc scilicet ut celum agat in hec inferiora, licet non sit ei ratio agendi, ut dictum fuit in exemplo adducto de securi, sic est duplex modus dicendi. Quidem enim dicunt quod si celum non moveretur, nullo modo potest agere in hec inferiora. […] Alii dicunt quod motus celi non requiritur ad hoc, ut agat in hec inferiora, sed solum ad novitatem actionis et alternationem generationis et corruptionis et ceterarum mutationum ; cf. id., Super Sent. (réd. 1), II, dist. 15, qu. 3, ms. Vatican, BAV, Chig.B.VIII.135, f. 185vb ; id., Super Sent. (réd. 3), II, dist. 15, qu. 3, f. 135va‑135vb.

60 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330, f. 72va : Ad argumenta in oppositum potest respondi secundum utramque opinionem.

61 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 3), II, dist. 15, qu. 3, f. 135vb : Alii dicunt, et verius, quod motus caeli non requiritur ad hoc, ut agat in haec inferiora, sed solum ad novitatem actionis et alternationem generationis et corruptionis et ceterarum mutationum.

62 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, IX, 12, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 144va‑144vb : Secundo probandum est quod motus localis celi non requiritur necessario ad hoc quod celum agat in hec inferiora, [...] quod potest probari dupliciter. Primo, quia illud quod non requiritur in inferioribus ad hoc quod unum agat in aliud, non requiritur in celo ad hoc quod agat, quia celum est perfectius agens quam hec inferiora. Sed motus localis non requiritur in corpore inferiori ad hoc quod agat, sicut patet de igne qui non motus calefacit et de magnete qui non motus attrahit ferrum, ergo nec motus localis necessario requiritur in celo ad hoc quod agat in hec inferiora ; Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330, f. 72va : Alii dicunt quod motus celi non requiritur ad hoc, ut agat in hec inferiora, sed solum ad novitatem actionis et alternationem generationis et corruptionis et ceterarum mutationum. [...] Primo, quia quod non est necessarium in corpore generabili et corruptibili ad agendum, nec in celo. Sed motus localis non est necessarius in generabilibus et corruptibilibus ad hoc ut agant, ergo nec in celo. Minor patet, quia magnes non motus localiter alterat ferrum ; id., Super Sent. (réd. 1), II, dist. 15, qu. 3, ms. Vatican, BAV, Chig.B.VIII.135, f. 185vb ; id., Super Sent. (réd. 3), II, dist. 15, qu. 3, p. 135vb.

63 Par exemple, Grant 1994, p. 378‑382 ; Sorokina 2021, vol. 2, p. 25-35.

64 Thomas de Aquino, Super Sent., II, dist. 2, qu. 2, art. 3, co, p. 76 : Respondeo dicendum, quod caelum empyreum nullam habet influentiam super alia corpora, quae rationabiliter poni possit. Non enim ponimus aliquod corpus habere influentiam super aliud, nisi per motum.

65 Thomas de Aquino, Quaestiones quodlibetales, VI, qu. 11, co, dans id., Opera omnia, vol. 25-2, éd. Commissio Leonina, Rome, 1996, p. 314 : Responsio. Dicendum quod quidam ponunt celum empyreum non habere influenciam in reliqua corpora, quia non est institutum ad effectus naturales, set ad hoc quod sit locus beatorum. Et hoc quidem michi aliquando uisum est. Set diligencius consideranti magis uidetur dicendum quod influat in corpora inferiora ; id., Summa theologiae, Iª, qu. 66, art. 3, ad 2, dans id., Opera omnia, vol. 5, éd. Commissio Leonina, Rome, 1889, p. 161 : Ad secundum dicendum quod satis probabile est quod caelum empyreum, secundum quosdam, cum sit ordinatum ad statum gloriae, non habet influentiam in inferiora corpora [...] Probabilius tamen videtur dicendum quod [...] caelum empyreum habet influentiam super corpora quae moventur, licet ipsum non moveatur.

66 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, IX, 12, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 144vb : Secundo, quia celum empyreum non movetur localiter, sed agit in hec inferiora, cum sit maioris perfectionis quam alii celi, et perfecti est agere, ergo etc. ; Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330, f. 72va : Secundo, quia celum empyreum agit in hec inferiora, ut aliqui doctores ponunt, et tamen non movetur localiter, ergo motus localis non est necessarius in celo ad agendum ; id., Super Sent. (réd. 1), II, dist. 15, qu. 3, ms. Vatican, BAV, Chig.B.VIII.135, f. 186ra.

67 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 3), II, dist. 15, qu. 3, f. 135vb : Secundo, quia caelum empyreum agit in haec inferiora, ut aliqui doctores, etiam ipsimet, ponunt, et tamen non movetur localiter, ergo motus localis non est necessarius in caelo ad agendum.

68 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330, f. 72va : Tertio, quia articulus est condemnatus quod ignis, cessante motu celi, non combureret stupam, si sibi apponeretur, igitur motus localis non requiritur in celo ad hoc ut agat in hec inferiora ; id., Super Sent. (réd. 1), II, dist. 15, qu. 3, ms. Vatican, BAV, Chig.B.VIII.135, f. 186ra ; id., Super Sent. (réd. 3), II, dist. 15, qu. 3, f. 135vb.

69 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, IX, 12, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 145ra : Ad cuius evidentiam est sciendum quod, ut patet ex I De generatione, ad actionem tria requiruntur, scilicet activum, passivum et debita propinquitas unius ad aliud. […] Quantum autem ad secundam partem questionis, dicendum est quod cessante motu celi non cessabit actio unius inferiorum in aliud, quod sic patet. Activo sufficienter disposito necessario sequitur actio quantum est de communi cursu nature. Sed cessante motu celi possunt esse omnia tria predicta, ut ignis potest esse debite approximatus stupe, ergo etc. Cf. Les Auctoritates Aristotelis, p. 168, l. 58 (De generatione, I, 14) : Agens et patiens non agunt, nisi approximata ; Aristoteles, De generatione et corruptione, I, 6, 322b 22‑23.

70 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330, f. 72va : Secundum patet, scilicet quod exigatur ad novitatem vel alternationem actionum, quia ad actionem requiritur quod agens et passum sint approximata, quo facto necessario sequitur actio, nisi sit aliud impediens ; id., Super Sent. (réd. 1), II, dist. 15, qu. 3, ms. Vatican, BAV, Chig.B.VIII.135, f. 185ra ; id., Super Sent. (réd. 3), II, dist. 15, qu. 3, f. 135vb.

71 Durandus de Sancto Porciano, Super Sent. (réd. 2), II, dist. 15, qu. 3, ms. Paris, BnF, lat. 12330, f. 72va : Si igitur aliqua actio fit de novo, activum approximatum fit passivo. Hec autem approximatio fit per motum localem. Et ideo motus localis preexigitur ad novitatem actionis. […] Ideo si celum non moveretur, sol et astra, que semper eodem modo se haberent ad determinatas partes terre, semper idem facerent, nec esset in eadem parte alternatio diei et noctis, caloris et frigoris, estatis et hyemis, sed unum et idem semper ; id., Super Sent. (réd. 1), II, dist. 15, qu. 3, ms. Vatican, BAV, Chig.B.VIII.135, f. 185ra ; id., Super Sent. (réd. 3), II, dist. 15, qu. 3, f. 135vb.

72 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, IX, 12, Tortosa, Biblioteca capitular, 244, f. 145ra : Tertio principaliter probandum est quod cessante motu celi locali cessabit alternatio actionum eiusdem partis celi respectu diversarum partium terre (ut quod sol primo illuminat nostrum emisperium et postea oppositum) vel diversarum partium celi respectu diversarum partium terre (ut quod nostrum emisperium primo illuminat sol et postea luna et stelle) vel actionis eiusdem partis celi respectu eiusdem partis terre ad carentiam talis actionis et econtrario (ut quod sol prius illuminat nostrum emisperium et postea non illuminat).

73 Iohannes de Neapoli, Quodlibeta, IX, 24, Tortosa, Biblioteca capitular, 244 : Utrum invocare, coniurare et consulere demones et eis sacrificare et baptizare imagines secundum formam et ritum Ecclesie ad interficiendum vel affiliandum, sapiat heresim vel infidelitatem. Cf. Turley 1975, p. 96‑97, n. 83.

74 Du reste, Hervé de Nédellec s’efforce de démontrer que Thomas d’Aquin lui‑même a défendu cette opinion dans ses œuvres de la maturité. Cf. Sorokina 2021, vol. 2, p. 506-508.

Auteur

EPHE, PSL – Saprat (EA 4116) – LabEx Hastec (ANR-10-LABX-85)

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