Introduction
p. 1-26
Texte intégral
1. Des tombes aux épaves : la diversité des objets échangés à l’époque archaïque
1En 1983, dans le cadre de fouilles d’urgence liées à la construction d’immeubles à Pontecagnano, ville en périphérie de Salerne qui connaît une urbanisation croissante depuis les années 1960, les archéologues de la Surintendance mettent au jour plusieurs dizaines de tombes datées entre le VIIIe et le Ve siècle1. Dans la tombe 4484 (fig. 2), ils trouvent près du défunt inhumé : une petite amphore et une petite cruche locales d’argile non tournée, une écuelle locale à décor géométrique de type grec, quatre coupes à boire et deux cruches produites probablement dans les sites grecs voisins, Pithécusses et Cumes, un vase à parfum phénicien2, mais aussi un scarabée, quatre fibules en bronze, dont deux très grandes, six anneaux en bronze, une hache, un couteau et un sauroter en fer (talon pointu d’une lance), des coquillages et enfin un pendentif en ivoire en forme de double hache. Le corps et le mobilier avaient été inhumés dans une fosse de 50 cm de profondeur, de forme rectangulaire. Le squelette a été trouvé en bon état de conservation et attribué à un enfant3. Les bijoux et les attaches ont été découverts en position fonctionnelle sur le corps, au niveau du buste et des mains. Les vases avaient été placés sur les côtés du corps et à ses pieds.
2Ce dépôt funéraire est daté du début du VIIe siècle. Pour cette période, dans un périmètre qui correspond à peu près à l’actuelle région italienne Campania, entre les fleuves Sele et Garigliano, les fouilles archéologiques ont mis au jour la coexistence de sociétés grecques, à Pithécusses et Cumes, étrusco-campaniennes4 à Pontecagnano et Capoue, opiques5 dans la vallée du Sarno et dans la plaine campanienne, notamment à Calatia.
Fig. 2. Mobilier de la tombe 4484 de Pontecagnano (Chiancone II, inédite).

3Quelques 80 kilomètres au nord-ouest de Pontecagnano, près de Capoue, dans la nécropole de Calatia, la tombe 190 (fig. 3) est datée elle-aussi de la toute fin du VIIIe siècle ou du début du VIIe siècle. Elle contenait des vases corinthiens (un lécythe, trois coupes), des productions locales de type grec (cruche, pot, coupe, lécythe), des productions locales non tournées (deux pots, six amphores, trois coupes de forme grecque, deux écuelles, une tasse, une cruche), un pot qui imite des productions dauniennes, un grand pot et une sorte de chaudron en argile, une cruche en bronze, une bassine en bronze, un couteau, une hache, une épée, une lime, un scalpel, des pointes de lance, neuf fibules de bronze. La sépulture est une fosse ovale, dans laquelle le défunt adolescent a été inhumé avec des vases aux pieds et à la tête.
Fig. 3. La tombe 190 de Calatia.

4Dans les deux cas, à Pontecagnano comme à Calatia, un assemblage comparable : des vases allogènes, des productions locales, imitant parfois des types allogènes, des ornements personnels, des outils.
5Une même diversité d’objets et de provenance se retrouve dans l’épave dite du Giglio, datée du début du VIe siècle : des amphores étrusques et grecques ayant contenu du vin, de la résine, des olives ; des coupes à boire ioniennes, des petits vases à parfum ; de nombreux lingots de métal, quatre pains de cuivre, neuf lingots de plomb, de l’ambre, une cruche de bronze, un casque corinthien en bronze, des pointes de flèche de type gréco-oriental, une tablette de cire avec stylet, les restes d’un lit de banquet, les vases d’un service à boire, des instruments de musique, de la céramique d’usage commun grecque orientale, de nombreuses lampes et des outils pour la pêche6. Cette diversité est typique d’un commerce de cabotage méditerranéen, que l’on rencontre sous d’autres formes encore à l’époque moderne : on y trouve les biens liés à la vie quotidienne de l’équipage, le chargement initial, mais également des acquisitions faites lors des escales7.
6 Du navire échoué en cours de cabotage le long du littoral tyrrhénien aux tombes campaniennes, un constat s’impose : il y a eu des circulations d’objets en Méditerranée pendant l’époque archaïque, fréquentes, diversifiées, nombreuses, imbriquées8.
7L’étude qui suit est consacrée à ces objets allogènes, c’est-à-dire qui viennent d’ailleurs. Parler d’objets allogènes, c’est décrire ces objets avec l’information la plus objective possible : on a pu déterminer leur zone de production, et ce n’est pas celle dans laquelle on les a découverts. Ils ont donc circulé, d’une manière ou d’une autre9. Au sens strict, ces circulations ne sauraient être qualifiées d’importations que dans les cas avérés où des objets ont circulé dans le cadre d’échanges marchands institutionnalisés10. Ce type de circulation commerciale n’est pas le seul à pouvoir expliquer l’arrivée d’un objet dans un site : dons ponctuels, mobilités de personnes avec leurs ornements ou leur vaisselle, tributs, pillages… sont autant de possibilités11. Il est surtout très complexe d’attribuer à un objet donné, découvert dans une tombe, un parcours socio-économique précis, dans un premier temps de l’analyse en tout cas. Nous utiliserons cependant le terme d’importation dans cet ouvrage, dans la mesure où il est très fréquemment employé dans un sens large dans l’historiographie. Il faudra cependant entendre l’adjectif « importé » dans le même sens qu’allogène, c’est-à-dire indiquant que l’objet concerné a circulé, a été découvert dans un site qui n’est pas son site de production, sans que cela signifie nécessairement qu’il a été échangé de façon marchande.
8Étudier les échanges archaïques méditerranéens, c’est par ailleurs étudier un aspect spécifique de ces économies archaïques. L’économie12 telle que la science économique la divise traditionnellement13 est constituée par les productions, les circulations de biens, leur consommation. Nous nous concentrerons donc ici sur les deux dernières étapes de la vie des biens produits, en gardant à l’esprit combien cette étude économique reste liée à un questionnaire moderne14. Ce questionnaire doit de plus être adapté dans le cas de cette étude à des sources très spécifiques.
9Les données disponibles pour les sites campaniens entre le VIIIe et le VIe siècle sont en effet avant tout funéraires, même si certains contextes d’habitat sont partiellement connus à Pithécusses, Cumes et Poggiomarino. Ce type de données archéologiques employées pour une histoire économique pose une première série de questions épistémologiques et méthodologiques, autour de leur représentativité, de leur quantification et de la comparaison possible entre les différents sites. Une seconde série de questions tient à la spécificité du contexte funéraire. Dans quelle mesure les objets allogènes trouvés dans les tombes sont-ils représentatifs de l’ensemble des objets allogènes arrivés dans ces sites, et en quoi leur consommation est-elle spécifique aux pratiques funéraires ? Ces enjeux épistémologiques seront traités dans le chapitre II consacré aux sources disponibles et à leur traitement.
10Pourquoi a-t-on choisi de placer dans les deux tombes évoquées plus haut un vase daunien, un vase phénicien, des vases grecs, au lieu de la vaisselle locale dont certaines productions n’ont rien à envier à ces productions allogènes15 ? Pourquoi et comment l’usage de déposer des biens allogènes dans les tombes se développe-t-il en Campanie à l’époque archaïque ? C’est de cette interrogation initiale que naît ce travail de recherche. La présence de ces biens allogènes s’inscrit parfois dans l’adoption plus large de pratiques allogènes, bien que la société d’arrivée se réapproprie toujours ces éléments16.
11Les tombes de Campanie nous informent sur des points d’arrivée de ces objets, après leur circulation maritime. Nous faisons ici en somme le trajet inverse de celui établi dans les Trafics tyrrhéniens de Michel Gras17 : depuis la complexité des contextes d’arrivée, vers une vision régionale, dynamique, de ces territoires où arrivent les biens, pour éventuellement ensuite interroger ce qui arrive sur le littoral, et les navires qui l’ont apporté en cabotant le long des rivages méditerranéens18. Ces interrogations s’inscrivent en effet dans un cadre chronologique spécifique, où les circulations méditerranéennes de biens et de personnes se développent très fortement.
Fig. 4. La Campanie entre le VIIIe et le début du VIe siècle.

Fig. 5. Le bassin tyrrhénien.

Fig. 6. La Méditerranée archaïque19.

2. Cadre chronologique
12J’ai choisi de centrer mon étude sur la période comprise entre le début du VIIIe siècle et le début du VIe siècle, pour des raisons qui tiennent aux évolutions constatées en Campanie, ainsi qu’à des modifications importantes dans la documentation disponible. Ces motivations régionales seront détaillées dans le premier chapitre, car elles conditionnent les délimitations retenues pour le territoire régional et ses sous-ensembles micro-régionaux.
13Pour certains sites campaniens, comme Capoue, Cumes et Pontecagnano, les données disponibles débutent au IXe siècle (tab. 2). En ce début de premier âge du Fer, dans la chronologie de la protohistoire italienne, les tombes restituent les premiers objets allogènes parmi leur mobilier20 : vases en bronze chypriotes, boutons sardes ou ornements égyptiens. Ce moment correspond à un développement général des circulations observées, à l’échelle méditerranéenne21, après des siècles d’interruption ou en tout cas de forte contraction22. C’est également une période de changements dans les sites de la péninsule italienne avec le développement de nouveaux établissements étendus, qui dans la suite de leur histoire correspondent aux grandes cités étrusques, latines et étrusco-campaniennes23.
14L’époque archaïque que l’on fait souvent débuter au VIIIe siècle, en lien avec l’histoire grecque24, est marquée par un phénomène fondamental pour comprendre le développement des échanges : les fondations coloniales phéniciennes25 et grecques. Des Phéniciens26 sont ainsi implantés dans le sud de l’Espagne, en Sardaigne, à Malte, sur les côtes tunisiennes avec Carthage, au Levant ; des cités grecques sont fondées dans le sud de la France, en Italie, en Chalcidique, en mer Noire (fig. 6). Parmi les cités grecques, des groupes eubéens semblent jouer un rôle de premier plan dans ce renouveau27, présents en Orient28 comme en Occident29, avec une fréquentation phénicienne attestée en Eubée même30. Des échanges existent également au sein de l’espace tyrrhénien entre Étrusques et Sardes, ou entre Sardes, Étrusques et Campaniens31 : c’est une direction fondamentale des recherches à venir que de mieux connaître ces échanges qui ne sont ni grecs, ni phéniciens32 .
15Les colonisations archaïques ont fait l’objet d’une réévaluation parfois radicale ces dernières décennies à l’aune des post-colonial studies33. Contre une vision parfois trop pacifique et abstraite de ces phénomènes coloniaux, la reconstruction privilégiée dans ce travail insiste sur l’importance des rapports de force entre sociétés coloniales et locales, même si toute une gamme de relations est à envisager, de la coexistence pacifique à la mise en esclavage34.
16Du point de vue de la culture matérielle, ces siècles sont marqués par l’influence orientale dans les iconographies ou les techniques artisanales35. Le terme d’orientalisant a été conservé par commodité, car il est employé de façon très répandue pour la périodisation des sites italiens entre la fin du VIIIe siècle et le début du VIe siècle. Ce phénomène multiforme reste cependant objet de débats, notamment en ce qui concerne la part réciproque des initiatives locales et des apports extérieurs36 ou sa chronologie37.
17À partir du début du VIe siècle, plus spécifiquement dans le deuxième quart du siècle, la situation change fortement. L’un des marqueurs les plus fréquents des échanges méditerranéens, la céramique corinthienne, est remplacée par les productions attiques38. Le faste funéraire tyrrhénien de l’époque orientalisante cède la place à des tombes beaucoup plus modestes et homogènes39. Le VIe siècle est également un moment de tensions croissantes entre les acteurs de ces échanges méditerranéens, avec les batailles d’Alalia vers 535 puis de Cumes en 524, opposant des cités grecques à des coalitions étrusques. Cette apparition d’une logique ethnique dans les conflits est une rupture fondamentale du point de vue des échanges, bien qu’il soit probable que la réalité des circulations ait continué à être en partie mixte40.
18Les sources disponibles changent également dans la deuxième moitié du VIe siècle, avec l’apparition de monnaies frappées, la croissance des inscriptions attestées et des sources littéraires fiables : c’est là que commencent en général la plupart des synthèses sur l’histoire économique des cités grecques41. La documentation campanienne, sur laquelle on reviendra dans le premier chapitre, a plus précisément conduit à arrêter l’analyse dans le premier quart du VIe siècle.
3. Historiographie des études sur les échanges archaïques
19Parmi les phénomènes qui caractérisent la Méditerranée pendant ces siècles de transformation des sociétés et de leurs contacts, les circulations de biens et de personnes, sous une forme ou une autre, sont donc un phénomène majeur. Historiens et archéologues ont cependant longtemps eu des visions opposées de l’importance quantitative, sociale et historique de ces navigations42.
20Les échanges archaïques sont envisagés dans les premières grandes synthèses d’histoire économique, au début du XXe siècle, avant tout par des historiens du monde grec et comme un préambule mal connu à l’époque classique. Dans le cadre des divergences entre primitivistes et modernistes sur le niveau de développement capitalistique des économies antiques, la question commerciale était un argument important43. Ceux pour qui les économies grecques antiques étaient peu développées, avec un primat du politique, comme Johannes Hasebroek, décrivent une Grèce archaïque aux échanges extérieurs limités, exercés par des non-Grecs44. On retrouve une même conception des échanges archaïques dans les ouvrages postérieurs de M. Finley consacrés au monde homérique45 ou à l’économie antique.
21Cependant, dans les années 1930, des fouilles archéologiques avaient commencé à mettre au jour des quantités importantes de céramique corinthienne dans plusieurs sites coloniaux de Grande Grèce et de Sicile, à Syracuse notamment. Alan Blakeway avait proposé une synthèse de ces nouvelles découvertes, estimant désormais établie l’importance du commerce grec dès le haut archaïsme, cause même des colonisations46. Cette valorisation des céramiques corinthiennes comme document s’est souvent accompagnée d’une vision moderniste de l’activité productive des cités grecques d’Égée47.
22Une image plus nuancée des échanges grecs archaïques est proposée en 1979 dans les travaux d’Alfonso Mele, fondés sur les textes homériques et hésiodiques48, mais qui prennent en compte les recherches archéologiques contemporaines, notamment les fouilles de Pithécusses, et des travaux d’anthropologie économique sur les échanges non marchands49. Des échanges occasionnels, uniquement en complément d’une activité économique fondée sur l’agriculture50, auraient caractérisé le comportement grec jusqu’à la fin du VIIe siècle51. Cette modalité d’échange est conçue comme une alternative à la piraterie, notamment pour les aristocrates52. L’essentiel, dans le modèle d’A. Mele, est que ceux-ci ne recherchent pas à s’enrichir par les échanges marchands, mais simplement à acquérir ce qui leur manque53. Ce sont des marchands phéniciens qui auraient géré le commerce lointain à but lucratif.
23Dans cette optique, c’est seulement au début du VIe siècle que se développerait un commerce grec spécialisé54, notamment pratiqué par des Grecs d’Asie Mineure, complètement détaché d’activités agricoles et avec une recherche d’enrichissement. Un élément fondamental de cette nouvelle forme de commerce est son organisation réglementée par les cités, avec des lieux spécifiques, les fameux emporia des cités étrusques, comme Gravisca pour Tarquinia55. Ce modèle évolutif est aujourd’hui fréquemment repris pour étudier les échanges archaïques56.
24Sur l’ultime phase des échanges archaïques, au VIe siècle, les documents existent, les hypothèses s’échafaudent57. En ce qui concerne l’époque précédente, c’est plutôt « l’incertitude » qui domine par manque de données exploitables58.
25Que faire en effet, dans le modèle d’échanges limités aux dons entre élites, des attestations, toujours plus nombreuses, de quantités non négligeables59 de céramiques corinthiennes trouvées dans divers sites occidentaux notamment dès le milieu du VIIIe siècle à Pithécusses, parmi d’autres biens allogènes en quantités significatives60 ? Certains chercheurs penchent ainsi pour une organisation déjà poussée de ces échanges dès la fin du VIIIe siècle, toujours en se fondant sur les quantités de céramique corinthienne découvertes hors de Corinthe61.
26Ce clivage historiographique entre don et commerce recoupe en partie le recours à deux cadres d’étude différents de ces échanges archaïques : l’histoire économique ou l’anthropologie économique.
27Jusque dans les années 1970, pour les études concernant le commerce archaïque, ce sont des problématiques structurelles d’histoire économique qui dominent. Une première dimension de l’histoire économique appliquée à la circulation et à la consommation des biens concerne avant tout les structures objectives des échanges et leur évolution62, comme le formulait É. Will : « connaître à la fois et la totalité des biens transportés dans un sens et dans l’autre (par exemple entre la Grèce égéenne et l’Italie, et inversement), et les hommes qui ont transporté ces biens (qui ne sont pas nécessairement les mêmes hommes tout au long de la route), et les routes suivies, et les dates auxquelles elles ont été suivies63 ». Le constat est d’ailleurs souvent celui d’une impossible histoire économique de ce type pour l’époque archaïque où les données sont surtout archéologiques64.
28L’étude des économies antiques a été profondément renouvelée ces dernières décennies par le recours à une approche néo-institutionnaliste65. Ce courant propose d’affiner les modèles de la science économique néoclassique66 grâce à l’étude des institutions ou des coûts de transaction et de leur rôle fondamental et historique dans la vie économique67. Ce renouveau a cependant surtout concerné les époques postérieures à l’archaïsme. Cette approche a en effet été principalement développée par des spécialistes travaillant à partir de sources écrites, littéraires, épigraphiques, ou papyrologiques, et numismatiques68. Ces phénomènes ne sont cependant pas étudiables à partir des sources archéologiques69 : nous connaissons avant tout des traces des biens échangés, dimension peu présente dans le questionnaire néo-institutionnaliste.
29À partir des années 1960, archéologues et historiens de l’époque archaïque ont par ailleurs recouru fréquemment aux outils de l’anthropologie70, dans une démarche d’anthropologie historique71 ou d’anthropologie économique72. L’étude des échanges, on l’a évoqué, utilise ainsi les analyses de Marshall Sahlins sur les échanges de biens de prestige entre chefs indigènes73, ou encore les études de Marcel Mauss sur la place du don au sein des échanges dans les sociétés précapitalistes74. Les travaux de K. Polanyi sur les échanges non capitalistes vont également jouer un rôle majeur, à travers ses propositions sur le rôle d’institutions comme l’emporion ou port de commerce, pour gérer le commerce lointain75. Ces recherches insistent en général sur la faible place des échanges marchands et sur la diversité des situations, ainsi que sur la nécessité d’études contextualisées détaillées, en particulier pour les données archéologiques.
30Le point central de ces études reste cependant le fonctionnement des échanges des Grecs, et ce que cela implique dans les sociétés grecques de départ. On pourra en revanche rapprocher notre perspective d’étude des objets grecs dans des contextes non grecs des études menées sur les sociétés d’Europe centrale. Une problématique également centrée sur la diffusion des biens allogènes caractérise en effet certaines recherches sur les sociétés celtiques archaïques. La découverte de tombes extra-ordinaires par le faste déployé76 dans plusieurs sites du monde celtique a entraîné une identification de celles-ci comme des tombes « princières »77, attribuées aux individus au sommet des sociétés concernées. La présence d’objets méditerranéens dans ces tombes « princières » a conduit à interpréter le pouvoir de ces dirigeants en lien avec leur contrôle des circulations d’objets méditerranéens en Europe centrale78.
4. Problématiques de recherche
4.1. Les objets des dépôts funéraires comme traces des échanges
31On trouve donc deux approches différentes des échanges archaïques, qui recoupent souvent deux façons de les envisager, comme des échanges encore insérés dans le don personnel ou comme des formes de commerce déjà développé. Si l’on revient aux données prises en compte, tout se joue pour trancher entre ces deux conceptions sur une évaluation de la quantité et de la valeur des biens allogènes en circulation avant le début du VIe siècle, en particulier de leur statut de bien de luxe ou de bien de consommation plus diffusé dans les sociétés d’arrivée79, ainsi que de la distance parcourue par ces biens. C’est autour de ces questions liées aux biens manufacturés plutôt qu’aux matières premières que se cristallisent ainsi différentes conceptions des échanges archaïques.
32Pour étudier cela, nous disposons en Campanie majoritairement de tombes, donc de contextes dans lesquels on peut étudier les traces de la consommation de ces biens allogènes, s’ils sont présents, sous forme d’objets insérés dans des agrégats archéologiques80. C’est ainsi une « entrée par les marchandises81 », par la « vie matérielle82 » des sociétés qui peut être proposée.
33L’histoire des échanges menée ici sera donc avant tout une histoire de la consommation de ces biens allogènes en contexte funéraire83. C’est ainsi une étude des préférences, des goûts des consommateurs dans une situation spécifique – les funérailles d’un individu – que l’on peut, éventuellement mener. Chercher à comprendre si les biens allogènes étaient des biens de luxe, ou des biens de consommation courante, c’est ensuite interroger leur diffusion dans une société donnée. On pourra ainsi questionner l’association souvent considérée comme évidente entre biens importés et tombes les plus éminentes84. Il est donc nécessaire de croiser l’étude de la distribution des biens importés avec des variables concernant la hiérarchie sociale observable, et donc d’élargir la problématique culturelle de la réception de biens et pratiques allogènes vers une problématique sociale.
34Le rôle de la différenciation sociale pour comprendre les variations dans la consommation des biens importés, y compris dans les tombes, sera ainsi testé comme hypothèse de départ. Les biens importés sont-ils tous des biens de luxe réservés uniquement aux tombes les plus éminentes, ou peut-on identifier une diversité au sein des objets importés, des biens de luxe aux objets de consommation plus courante ?
35Cette perspective d’anthropologie sociale de la consommation invite à placer au cœur de l’analyse « une histoire des hiérarchies sociales et de leurs évolutions85 ». Les groupes sociaux peuvent être définis de façon double, par leurs conditions objectives et mesurables de vie, leur « niveau de vie », et par l’ensemble de leurs pratiques culturelles, religieuses, politiques, leur « style de vie86 », qui prête attention aux choix des acteurs et à leurs discours87. En Campanie, nos données concernant la structure de la société dérivent essentiellement d’une analyse des tombes, qui donnent à voir une certaine représentation de la société à travers diverses pratiques. Du fait de nos données, ce sont plutôt leurs « styles de mort » que nous pourrons appréhender, en cherchant à employer des concepts issus d’une anthropologie ou d’une sociologie de la consommation culturelle, notamment l’idée de stratégies de distinction par la consommation de biens culturels88. Cet aspect est développé dans le chapitre 2. Il ne s’agira pas pour autant de ne considérer que cette piste explicative sociale : la prise en compte d’autres facteurs, comme l’origine ethnique, le genre, la chronologie, sera systématique dans les chapitres consacrés à l’analyse des données.
36Je souhaite mener cette étude en combinant les deux approches évoquées dans le panorama historiographique, en commençant par une étude d’ethnographie économique89 de la réception des biens allogènes en contexte, avec des outils inspirés de l’anthropologie économique90, pour proposer ensuite des pistes de réflexion sur la structure des échanges archaïques en Campanie, dans une perspective historique91.
37Au-delà des enjeux épistémologiques évoqués, qui peuvent servir à la réflexion collective sur les échanges archaïques, cette histoire des échanges se veut avant tout campanienne. Cette étude de la consommation des biens importés se fera ainsi à une échelle régionale92 et dans une perspective multiculturelle. Les implications théoriques de ce choix d’échelle et les limites assignées à la région campanienne sont détaillées dans le premier chapitre.
4.2. Les sociétés archaïques de Campanie et les échanges
38Il s’agit de redonner à ce territoire toute sa place dans les échanges tyrrhéniens archaïques, souvent centrés sur les cités grecques ou étrusques93. Par ses caractéristiques uniques, en termes de populations, d’histoire des fouilles et d’emplacement méditerranéen, la Campanie est un laboratoire exceptionnel pour étudier des échanges archaïques interculturels94 « à parts égales95 ». Au sein du territoire campanien, je tenterai ainsi de redonner toute leur place aux systèmes d’échange des sociétés de Pontecagnano, de la vallée du Sarno, de Calatia, à côté de celles de Pithécusses et Cumes, tout en étudiant l’importance de leurs interactions. La Campanie est ainsi caractérisée par la présence de sites grecs (Pithécusses et Cumes), de sites avec une composante villanovienne puis étrusque (Capoue, Pontecagnano) et enfin de sites peuplés d’autochtones.
39Comment nommer ces habitants locaux96 ? Si l’on considère les sources littéraires, on trouve les Ausons et les Opiques pour l’époque archaïque. Les Ausons seraient les habitants d’un territoire allant du sud du Latium à la péninsule amalfitaine. Au cours du Ve siècle, ces populations sont en partie asservies par les Grecs ou les Étrusques de Capoue, prenant alors le nom d’Opiques, fournisseurs de travaux. Les Opiques semblent particulièrement localisés dans la plaine qui entoure Capoue. Les Campani apparaissent dans nos sources comme un peuple à partir de la fin du Ve siècle, lorsqu’ils s’emparent de plusieurs sites campaniens. Il s’agit probablement en partie de Samnites progressivement intégrés en Campanie au cours du Ve siècle97. Dans ce texte, nous utiliserons surtout le terme d’Opiques, qui est le plus employé dans la littérature italienne. À côté de cette reconstitution fondée sur les sources littéraires, les fouilles des sites de Campanie ont montré la présence de groupes culturellement proches dans la vallée du Sarno, près du Pagliarone, de Capoue ou de Cumes. La culture matérielle peut varier, tout en présentant de fortes affinités, et ces sites partagent une pratique funéraire, l’inhumation des défunts dans des fosses. On a de ce fait relié ces populations à un ensemble plus vaste de la protohistoire italienne, la Culture de la Tombe à Fosse, qui caractérise également certains sites du Latium et de l’actuelle Calabre98.
40La réception de biens allogènes se situe ainsi, en Campanie, dans le cadre très spécifique d’une région multiculturelle qui permet de croiser les études sur les sociétés grecques archaïques et sur les sociétés protohistoriques non-méditerranéennes99. Les études portant sur la Campanie archaïque et en particulier sur les échanges se sont cependant surtout concentrées sur les sites grecs de Pithécusses et Cumes. On retrouve souvent l’idée d’une inégalité structurelle, économique, politique voire artisanale entre les deux sociétés qui entrent en contact, les Grecs et les autres, dans une lecture traditionnelle de la colonisation100.
41C’est cependant surtout la diffusion des biens grecs en contexte non-grec qui a fait l’objet d’études101. Comme le souligne Michael Dietler, certains archéologues ont d’ailleurs eu trop tendance à considérer qu’il était évident que les indigènes voulaient acquérir des vases grecs dont ils auraient immédiatement perçu la supériorité technique et artistique102.
Pourquoi les sociétés indigènes auraient-elles eu exprimé le moindre intérêt pour les biens étrusques ou massaliotes ? À quelles conditions et opportunités sociales, à quelles valeurs et dispositions culturelles la consommation de biens allogènes répondait-elle103 ? [...]
Nous devons essayer de comprendre la demande indigène dans ses propres termes, séparée de nos propres préjugés culturels sur une relation fonctionnelle naturelle entre la technologie et la sophistication culturelle104.
42La Campanie offre l’opportunité d’analyser deux autres configurations. D’une part, en étudiant dans le détail les sites non-grecs, il s’agira d’envisager tous les biens allogènes, en replaçant les biens grecs dans un ensemble plus vaste. Étudier la consommation de biens étrusques dans les tombes de Pontecagnano, ou de vases de la vallée du Sarno à Pontecagnano, ou encore de vases à parfum phéniciens permettra d’ouvrir vers d’autres pistes de recherche. On s’intéressera d’autre part à la réception dans les tombes grecques de biens allogènes105. On trouve notamment dans les tombes de Pithécusses et Cumes des objets orientaux, étrusques ou régionaux.
43La place de ces échanges dans l’économie de ces sites campaniens ne doit pas être surestimée. Il s’agit probablement avant tout d’économies proches du modèle des économies paysannes de Chayanov, utilisé par Julien Zurbach pour penser les économies grecques archaïques106. On peut néanmoins supposer une importance des échanges avec l’extérieur pour certains sites comme Pithécusses, Cumes, peut-être Pontecagnano et Capoue. Ces économies sont avant tout fondées sur l’agriculture, mais cela n’exclut pas une diversité d’activités. E. Lepore évoquait ainsi pour l’époque archaïque l’idée d’économies emporiques, sur le modèle de Corinthe ou d’Égine107, où l’agriculture tenait une place importante à côté des revenus liés aux échanges maritimes.
44Il faudra ainsi réfléchir à la population concernée par les échanges que nous pourrons étudier à travers les objets importés. Qu’il s’agisse uniquement des plus riches et puissants, ou de groupes plus étendus, une grande partie de la population archaïque de la Campanie n’en restait pas moins probablement étrangère à ces flux d’objets, en particulier en dehors des centres placés à des endroits stratégiques des « voies du commerce », maritimes ou terrestres. La majorité des individus vivait de ses productions agricoles, ne connaissant comme échanges que ceux réalisés occasionnellement dans le village le plus proche, des productions agricoles ou quelques outils, dans une configuration proche de celle rapportée par Hésiode108.
4.3. Objets allogènes en Campanie : un corpus à définir
45Un dernier enjeu au cœur de ce travail concerne la possibilité même d’identifier de façon claire des objets allogènes parmi les mobiliers funéraires ou les fragments de fouilles d’habitat. L’analyse des mobiliers suivra une logique géographique, avec un même type d’importations traité dans quatre chapitres différents, par exemple les aryballes rhodiens. Une annexe a été dédiée à la présentation des objets considérés dans cet ouvrage comme allogènes, principalement des céramiques (annexe 1). Pour chaque classe de matériel seront explicitées les raisons pour lesquelles ces objets sont classés comme allogènes : typologies de référence, analyses archéométriques, sans oublier l’exposé des questions encore ouvertes sur l’identification des centres de production. Des tableaux de distribution de chaque type d’importation dans les sites campaniens permettent de visualiser rapidement la distribution d’un type d’objet donné, plutôt que de se référer aux analyses de chaque chapitre. Des planches ont également été insérées pour illustrer ces objets allogènes. Au-delà de l’identification des allogènes, il a fallu fournir un travail d’harmonisation des catégories employées selon les sites, afin de proposer une étude commune pour tous les sites campaniens.
46En résumé, cette introduction a dégagé une problématique spécifique aux échanges archaïques, autour de la valeur de bien de luxe ou de marchandise commune des objets allogènes échangés. Cette interrogation s’inscrit dans une problématique générale : étudier la réception des objets allogènes en lien avec la hiérarchie sociale des sociétés concernées, liée à une perspective adaptée d’anthropologie sociale de la consommation. Le choix d’une étude régionale invite à envisager l’importance de la Campanie dans ces échanges archaïques, ainsi que l’importance de toutes ces composantes dans ces échanges, Grecs, Étrusques et Opiques.
47Le chapitre 1 commence par expliciter le choix d’une échelle régionale, les limites territoriales assignées à cette région et son « découpage109 » en micro-régions. Les enjeux épistémologiques de l’étude des objets allogènes dans les tombes seront détaillés dans le chapitre 2. Les chapitres 3, 4, 5 et 6 proposeront une application de la méthodologie spécifique détaillée dans le chapitre 2. Ils sont organisés par micro-région, avec à chaque fois une présentation chronologique des pratiques funéraires et des biens allogènes identifiables, avant d’étudier la distribution différenciée de ces biens dans les tombes en fonction de différentes variables, et notamment d’un indice de la distinction sociale des tombes. Le dernier chapitre sera consacré à une synthèse sur la consommation funéraire des biens allogènes en Campanie, en interrogeant notamment la pertinence de la problématique sociale adoptée. Ce chapitre 7 se conclura par une réflexion sur les structures perceptibles de ces échanges archaïques à partir des données campaniennes.
Notes de bas de page
1 Cette découverte était prévisible : depuis les premières fouilles préventives au début des années 1960, plusieurs centaines de tombes avaient été fouillées dans cette zone. La ville actuelle de Pontecagnano est exactement située sur le site archaïque, et par chance, des fouilles d’ampleur ne se développent que relativement tard pour la région, ce qui a permis de préserver les tombes des pillages, D’Agostino 1962.
2 Cette tombe appartient à un secteur inédit de Pontecagnano, dans la nécropole orientale, en cours d’étude. De premières indications sur cette étude sont données dans Maudet 2019.
3 L’enfant était âgé d’environ 7 ans au moment de son décès. Les ossements ont fait l’objet d’une analyse anthropologique par Rachele Simonit, sous la supervision de Giulia Riccomi, enseignante à l’université de Pise, et de Valentina Giuffra, directrice du laboratoire de paléopathologie de l’université de Pise. Les analyses conduites feront partie de la publication du secteur Chiancone II, en cours de préparation.
4 Cette dénomination renvoie à la fondation de ces deux sites par des groupes villanoviens venus d’Étrurie interne et maritime, probablement à la fin du Xe siècle. L’ancienneté de ces fondations et l’importante intégration des populations locales conduisent à privilégier cette appellation de sites étrusco-campaniens. Cet aspect est détaillé dans le chapitre 3 pour Pontecagnano et dans le chapitre 5 pour Capoue.
5 Sur le nom à donner aux sociétés autochtones, voir plus loin dans cette introduction.
6 Ampolo 1994b p. 235, qui renvoie à Cristofani 1998.
7 « Bien que les escales fussent nombreuses et rapprochées, facilitant l’approvisionnement, les dépenses de bouche constituaient un poste important […] il fallait prévoir des ustensiles de cuisine, du matériel pour les écritures, des hardes et quelques médicaments », Buti 2005, p. 15-16, extrait de la liasse AD 83, 11B, 1768 (archives départementales du Var, rapport d’un capitaine de navire, 1768).
8 Ce constat est établi dès les premières grandes campagnes de fouilles dans les années 1930, par exemple dans Blakeway 1933. Les divergences entre historiens et archéologues sur l’importance et le rôle historique de ces échanges sont évoqués plus loin en introduction.
9 Je reprends ici des analyses déjà proposées par Édouard Will qui emploie cependant de façon large le terme d’importations : « tous les objets d’importation, quels qu’ils soient, et à condition naturellement qu’ils n’apparaissent pas dans un total isolement, sont les témoignages de courants d’échanges, fussent-ils ténus », Will 1973 p. 33.
10 Cet aspect est détaillé dans le chapitre 7.
11 Une analyse du même type se trouve dans Gras 1985, p. 711.
12 Il faut distinguer ici deux sens du mot « économie ». Ce terme désigne à la fois des faits économiques, liés à la reproduction matérielle d’une société et à la production, circulation et consommation de biens, Godelier 1965 p. 39, et le cadre théorique avec lequel on étudie ces faits économiques.
13 Tripartition par exemple reprise dans Bresson 2007.
14 Nous ne considérons pas ici la question de la rationalité économique, dans l’acception moderne du sens, et de son existence dans l’Antiquité. Les sources archéologiques ne permettent pas de réfléchir à cet enjeu, contrairement à certaines sources écrites. Cette problématique a été notamment évoquée par Max Weber, comme explication à l’absence de développement du capitalisme dans l’Antiquité, Weber 1909. Cette idée d’une rationalité économique antique limitée est au cœur du primitivisme de M. Finley, déjà dans Finley 1973, commenté en ce sens par Descat 1995, p. 961. Plusieurs historiens ont remis en cause cette forme de « misérabilisme », en particulier Bresson 2005. Il faut repenser des formes de rationalité économique qui ne se réduisent pas strictement à la rationalité utilitariste, comme le préconisent Godelier 1965, p. 33, Appadurai 1986, note 3, p. 58-59 ou encore Bresson 2007, p. 32 sur les dépenses somptuaires des aristocrates. Face aux risques d’anachronisme de cette démarche en histoire, des réflexions parallèles se trouvent autour du risque d’ethnocentrisme en anthropologie : Bourdieu 1980, p. 43-46, Dufy – Weber 2007, p. 6.
15 Il s’agit en fait d’un point sensible des analyses qui ont longtemps considéré comme « naturel » que les non-Grecs soient admiratifs des vases grecs : cet aspect est développé dans le chapitre 2, à la suite des réflexions de Dietler 2010.
16 L’intégration de problématiques anthropologiques a permis à des archéologues comme Bats 1988 ou Dietler 2005 de proposer une vision complètement renouvelée de l’adoption de vaisselle grecque par les indigènes du sud de la France.
17 Gras 1985.
18 « Il faut – au terme du parcours, faire l’effort de naviguer à contre-courant, d’aller de la haute mer (pelagos) vers les ports et des ports vers l’intérieur [...] Que nous apprennent les trafics sur les sociétés du bassin tyrrhénien ? Ou plus exactement quel est le type de relation que l’on peut établir entre la naissance et les transformations de ces trafics et l’évolution économique et sociale globale des sociétés riveraines ? […] Et en fin de compte, répondre à ces questions c’est entrevoir la vraie nature des trafics tyrrhéniens », Gras 1985, p. 703-704.
19 D’après Gras 1995, fond de carte vectoriel A. Huteau.
20 Ces premiers objets allogènes sont présentés dans chaque micro-région dans les chapitres 3-6. Une chronologie semblable a été observée dans plusieurs sites latiaux ou étrusques, voir la synthèse d’Esposito 2010, p. 126-127.
21 Dietler 2007, Chirpanlieva 2013.
22 La chronologie en Méditerranée orientale ou dans le monde phénicien est différente : il n’y a jamais d’interruption de la circulation de biens. La période qui suit la fin de l’âge du Bronze, avec les bouleversements attestés en Égypte notamment, semble bien marquer cependant une nette diminution de ces échanges, avant une reprise au Xe siècle, et un développement quantitatif et qualitatif marqué au IXe siècle.
23 Pacciarelli 2001 pour une synthèse sur ce développement qualifié de « proto-urbain ».
24 Le VIIIe siècle est considéré dans les synthèses de référence comme un siècle de « renaissance » de la Grèce après des siècles longtemps nommés les « âges obscurs », Coldstream 1979 qui part de la documentation archéologique, Murray 1980 ou Mossé 1984 dans une perspective d’histoire culturelle, Snodgrass 1980 pour une histoire socio-économique. Bien que nos connaissances sur la Grèce d’après l’effondrement du monde mycénien aient considérablement augmenté, nuançant l’impression de siècles de pauvreté et de repli, une nette différence qualitative et quantitative entre IXe et VIIIe siècles demeure, pour un certain nombre d’indicateurs, comme la démographie, les circulations de biens, etc.
25 Celles-ci remontent plutôt à la fin du IXe siècle, dans le cas de Carthage et peut-être de certains sites sardes ou andalous : voir la synthèse Rouillard 2010 p. 148 avec bibliographie.
26 Nous employons ici ce terme générique par commodité. La nécessité de distinguer les différentes cités du Levant dans leur culture, leur politique, leurs échanges, est soulignée par les spécialistes, par exemple Quinn – Bonnet 2019. Cette remarque est d’ailleurs valable pour l’ensemble des sociétés étudiées, en particulier les cités grecques et étrusques.
27 La participation eubéenne à ces circulations a été l’objet de vives critiques, après un moment de valorisation de leur rôle pionnier après les découvertes de Pithécusses et Lefkandi, par exemple Boardman 1969, Contribution 1975 et Nouvelle contribution 1981 : Papadopoulos 1997, avec la réponse de Coldstream 1998b et le bilan Papadopoulos 2011.
28 Leurs navigations orientales sont bien connues avec des traces dans les comptoirs levantins de Ras-el-Bassit ou Al-Mina, voir récemment Chirpanlieva 2020.
29 La fondation de Pithécusses dans le second quart du VIIIe siècle intervient peu après l’arrivée des premières coupes eubéennes en Occident, D’Agostino 2014.
30 La présence d’objets levantins ou égyptiens est soulignée dans plusieurs tombes de Lefkandi, avec certains cas où une origine orientale du défunt a même été proposée, Popham – Lemos 1995. Un même constat a été fait pour les contextes votifs, postérieurs, d’Érétrie, Huber 1998.
31 Criscuolo 2011.
32 On trouvera une synthèse dans Esposito 2010 p. 122-125, qui met à jour les références liées à une problématique explorée notamment dans Gras 1985 p. 113-156. Les fouilles de Sant’Imbenia apportent enfin des données sur un site indigène et son insertion dans les échanges méditerranéens, par exemple Rendeli 2013.
33 Une synthèse sur ce débat se trouve dans D’Ercole 2012, p. 13-22. Il est admis aujourd’hui que les colonisations archaïques n’ont rien à voir avec les colonisations européennes modernes, du fait de l’absence de tutelle politique et administrative directe des métropoles sur leurs colonies notamment. Certains courants, comme Osborne 1998, en viennent cependant à ne parler que de migrations de petits groupes, de mobilités, évacuant la question des conflits pour l’appropriation des terres, pourtant bien attestés.
34 Je m’inscris ici dans une conception soutenue, entre autres, par Gras 2012 et Zurbach 2012. Cet aspect est développé dans le chapitre 1.
35 L’idée même de période orientalisante est liée à l’apparition progressive et massive d’une iconographie inspirée des productions orientales, assyriennes et phéniciennes, dans les objets fabriqués dans le monde grec, à Corinthe en particulier, et dans les cités étrusques notamment, voir Croissant 2010 pour un bilan critique de la notion et de ses usages.
36 D’Agostino – Gastaldi 2016 plaident notamment pour une évolution avant tout liée à des facteurs internes au monde tyrrhénien. Les migrations d’artisans orientaux, Phéniciens ou Ioniens, ont probablement joué un rôle important dans la diffusion de motifs et de techniques, Naso 2010, p. 188-193 pour un bilan dans les cités étrusques.
37 Utile résumé dans Rouillard – Sourisseau 2010.
38 Coulié 2013 p. 138-139, ainsi que des bilans régionaux sur l’Italie méridionale dans Neeft 1995.
39 Voir pour Cumes l’analyse de Valenza Mele 1981.
40 Ampolo 1994b, p. 231.
41 Bresson 2007 par exemple.
42 Voir la magistrale synthèse d’Ettore Lepore, déjà en 1969, sur les difficultés du modèle « primitiviste » défendu par E. Will et Moses I. Finley, par exemple lors de leur participation commune à Congrès international d’histoire économique 1965, face aux nouvelles données de l’archéologie, notamment les fouilles de Pithécusses : Lepore 1969 p. 176.
43 Sur ces débats, voir Will 1954, ainsi que Vidal-Naquet – Austin 1972, p. 11-19.
44 Cette conception est liée à l’enjeu d’un rôle marchand, ou non, des élites grecques. Celles-ci n’auraient eu qu’une richesse fondée sur les terres. Le rôle de la monnaie est également limité, même pour l’époque classique. En un sens, J. Hasebroek reste prisonnier de l’idée d’un lien indissociable entre monnaie, commerce et modernité de l’économie, Hasebroek 1928, commenté par Descat 1994. Ce lien sera défait par Karl Polanyi, qui insistera sur la possibilité d’échanges développés en dehors du recours à la monnaie ou d’une économie de type capitaliste, Polanyi 1957.
45 Le « monde d’Ulysse » est décrit comme une société repliée sur elle-même, où l’autarcie est la règle, et les échanges limités à des formes de troc, de piraterie occasionnelle, ou de dons entre personnages de haut rang. Le commerce lointain est principalement effectué par des étrangers, Finley 1954. On ne trouve pas de section dédiée à l’économie dans son ouvrage sur la Grèce préclassique, Finley 1970.
46 Blakeway 1933, Dunbabin 1948, avec la mise en perspective de D’Ercole 2012.
47 Le cas de Georges Vallet est ici emblématique : c’est le « choc » des fouilles de Mégara et des quantités de céramique corinthienne qu’on y trouve qui le conduit à imaginer une politique commerciale corinthienne active et engagée vers l’exportation massive dès le VIIIe siècle, Vallet 1958, analysé ainsi par Gras 1999. Les limites des interprétations fondées sur ces quantifications de céramique corinthienne sont exposées dans Will 1973.
48 Mele 1979.
49 On revient plus loin sur cette approche.
50 Les nobles échangent des esclaves, des matières premières, le biotos, ou encore quelques biens de luxe : « keimelia d’or, bijoux, vaisselle d’argent, keimelia de bronze, cuivre et fer en général, vin, peaux et bœufs, céréales », ainsi que du vin, Mele 1979, p. 63, notes 42 à 50 pour les références dans les textes homériques.
51 A. Mele développe dans un premier temps un modèle double, avec des pratiques aristocratiques, la prexis, et des pratiques liées à la nécessité, comme celles décrites par Hésiode, l’ergon, Mele 1979, p. 59 et p. 62-63. Raymond Descat a montré qu’il s’agissait en fait de deux modalités d’un même type de pratique des échanges, Descat 1986, cité par Zurbach 2017, p. 305.
52 Nous utilisons ici les termes de « nobles » et d’« aristocrates », car ils sont employés par A. Mele. Sur l’usage prudent de ces termes pour décrire les élites grecques archaïques, voir le chapitre 2.
53 Mele 1979 p. 59. Leurs interlocuteurs sont également nobles, et ces échanges sont encadrés par des rapports de xenia et des échanges de cadeaux.
54 Nommé emporìe ou emporiè : Julien Zurbach a souligné combien le recours à des termes grecs pour désigner des concepts modernes peut entraîner des confusions, Zurbach 2017 p. 304-305.
55 Sur Gravisca, Torelli 1977 et Torelli 1981. Sur l’emporion comme structure du commerce archaïque, déjà Lepore 1988 et Bresson – Rouillard 1993, également Bats 1998, note 41, p. 627 qui renvoie à Ampolo 1994a. On revient en détail sur cette structure dans le chapitre 4 au sujet de Pithécusses.
56 Scheid-Tissinier, 1994 p. 64-67 ou Bats 1998 p. 625-627.
57 L’inscription retrouvée sur un plomb de Berezan, datée du Ve siècle, a ainsi été au cœur d’un débat sur les acteurs du commerce grec classique. Benedetto Bravo penche pour une participation de la noblesse grecque par le biais de prêts financiers, même si les personnes présentes sur le navire sont des nobles pauvres ou des employés des nobles, tandis que A. Mele rejette l’idée d’une implication d’aristocrates grecs, Bravo 1974, Bravo 1977, et en réponse à Mele 1979, Bravo 1984, suivi de Mele 1986. Une synthèse se trouve dans Duplouy 2002.
58 Ampolo 1994b, p. 229.
59 L’un des enjeux de ce livre est justement de proposer des méthodes pour donner des chiffres plus fiables sur ces quantités, dans le cas de la Campanie.
60 Les échanges attestés par les fouilles de Pithécusses dès la fin du VIIIe siècle seraient le résultat de pratiques des aristocrates eubéens, qui ne s’inscrivent plus uniquement dans des logiques de don ou de rapports occasionnels, mais restent non spécialisées, Mele 1988, p. 67-68.
61 Bravo 1984 p. 100, plus récemment Dupont 2000, p. 445, 459-460, cité par Étienne 2010, p. 16-17, qui critique cependant une vision trop moderniste.
62 Il reste cependant très difficile d’évaluer le poids économique réel de ces échanges lointains au sein de l’ensemble des échanges, ou même le poids des échanges au sein des économies, comme cela serait nécessaire dans ces problématiques,
63 Will 1973, p. 33-34.
64 Les recherches contemporaines sur l’utilisation des céramiques, grecques notamment, pour une histoire des échanges, sont commentées par Will 1973, notamment Vallet 1958, qui reste sceptique sur les possibilités d’aboutir à une histoire, et non à une accumulation de synthèses partielles. Pessimisme que ne partagent pas tous les participants : Pierre Lévêque défend le recours aux hypothèses, même infirmées, pour avancer dans la réflexion, comme Gras 1985, note 26, p. 12, qui rappelle p. 12-13 que sans l’idée, de « commerce étrusque », énoncée avant l’identification d’une production d’amphores de transport étrusque, on n’aurait peut-être pas cherché, et de fait trouvé, lesdites amphores.
65 Deux bilans historiographiques récents ont été proposés sur ces aspects : D’Ercole 2017 et Zurbach 2019. Pour une présentation de cette perspective, voir l’introduction au volume collectif Morris – Saller – Scheidel 2007, avec une critique de certains aspects de cette approche dans Etienne 2011 et Maucourant 2011.
66 Celle-ci s’attache à étudier le fonctionnement de l’économie à travers la modélisation d’une situation parfaite, avec des acteurs rationnels et informés, et une allocation optimale des ressources permise par le jeu de l’offre et de la demande sur le marché, voir par exemple Bairoch – Saint-Girons – Asselain 1994 sur l’histoire de la science économique, et Lebaron 2017 pour un bilan critique.
67 Les néo-institutionnalistes, comme North 1981, North 1990, ont insisté sur les écarts entre le modèle des économistes et la réalité du fonctionnement des marchés, en recourant notamment à une approche historique. L’information imparfaite des acteurs et les conséquences sur le fonctionnement des marchés sont au cœur des théories portant sur les coûts de transaction, voir par exemple le bilan proposé dans Williamson 1985, depuis l’article fondateur Coase 1937.
68 Les synthèses d’Alain Bresson sur l’économie des cités grecques s’inscrivent en grande partie dans cette approche, Bresson 2007, et débutent de façon caractéristique à la fin du VIe siècle. Seules des études portant sur les sources écrites orientales ou mycéniennes prennent en compte des époques antérieures : Graslin-Thomé 2009. L’existence d’un riche corpus épigraphique cunéiforme pour l’Orient ancien a ainsi permis à Laetitia Graslin-Thomé d’analyser les échanges en Mésopotamie au Ier millénaire en étudiant notamment les coûts de transaction et le rôle des marchands.
69 Cet aspect a été souligné notamment dans D’Ercole 2017. Nous tentons ici de garder à l’esprit la mise en garde d’E. Will : « L’histoire du commerce antique semble être le domaine par excellence où règnent l’imagination et l’extrapolation, c’est-à-dire le dédain – ou l’ignorance – des limites imposées à notre connaissance par la documentation », Will 1973, p. 33 .
70 L’anthropologie est une source privilégiée d’idées pour l’historien des sociétés archaïques, par l’attention portée à la culture matérielle de sociétés souvent sans tradition écrite, dont les échanges ne s’inscrivent pas dans le modèle capitaliste actuel. Comme le rappelait Sally Humphreys, « les anthropologues ne vont probablement pas nous aider à remplir les blancs dans nos connaissances sur la parenté ou la religion de l’âge du Bronze. Mais ils peuvent offrir un cadre général (framework) dans lequel nous pouvons essayer de placer les fragments de société et de culture grecques étudiés de façon isolée, pour former un ensemble cohérent », Humphreys 1978 p. 21 (nous traduisons).
71 Cette approche est développée en France par Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet ou Nicole Loraux. Elle a un écho important chez les archéologues italiens, notamment grâce aux liens politiques et personnels entre ces équipes, dont témoigne notamment le volume L’histoire comme impératif 2011.
72 L’anthropologie économique est une branche de l’anthropologie, qui s’intéresse aux problèmes de reproduction matérielle des sociétés, Wilk 1996, p. XV. L’anthropologie économique se développe principalement dans les années 1960 et 1970, autour de figures comme Maurice Godelier ou Claude Meillassoux en France, M. Salhins ou K. Polanyi dans le monde anglo-saxon.
73 Sahlins 1972, notamment mobilisé par Mele 1979 ou dans certaines études sur les formes de pouvoir à l’époque géométrique en Grèce, assimilées aux « big men » mélanésiens, comme chez Whitley 1991, dans une analogie critiquée notamment par Pierre Carlier, Carlier 1996.
74 Mauss 1923, utilisé notamment pour étudier les échanges dans les textes homériques, Scheid-Tissinier 1994.
75 Polanyi 1957, avec une discussion de ses propositions, par exemple, lors du colloque d’Ischia en 1968 consacré à la colonisation grecque, Incontro Ischia 1968. C’est notamment E. Lepore, figure majeure des études antiques à Naples, qui l’a lu et diffusé, Lepore 1969. M. Finley, très lié à E. Lepore et ancien collaborateur de K. Polanyi, est également une figure centrale de cette réception.
76 On revient dans le chapitre 2 sur l’identification de ces tombes et sur l’utilisation de ce modèle en Campanie.
77 Cette idée de tombe « princière » est utilisée pour la première fois pour analyser des données d’Europe centrale par Paulus 1878, en référence à la découverte de riches tombes à tumulus près de la Heuneburg dans le sud de l’Allemagne, comme le rappelle Brun 2006, p. 321. De nouvelles découvertes dans les années 1950-1960, toujours près de la Heuneburg, mais aussi en France, par exemple à Vix, ont relancé l’intérêt pour ces manifestations funéraires, voir la synthèse dans Chardenoux et al. 2015, p. 65-66.
78 Les premières formulations se trouvent dans Frankenstein – Rowlands 1978, avec une référence aux travaux anthropologiques sur les « économies des biens de prestige » de Dupré – Rey 1969 ou Sahlins 1972, comme le présente Scarre – Healy 1993 en introduction p. 2-3. Hodder 1991 p. 3-9 ou Morris 1999, p. 58 ont critiqué le manque de prise en compte du rôle de l’idéologie funéraire, ainsi que l’interprétation d’un rôle actif et personnel des défunts dans les échanges de ces biens allogènes, du simple fait de leur présence dans la tombe, voir aussi Brun 2006 qui nuance ses propres analyses initiales.
79 Des « articles de consommation de masse quotidienne », dans la formulation de Hasebroek 1931, p. 148, cité par Cartledge 1983, p. 3-5.
80 Boissinot 2015, p. 29-30, aspect sur lequel revient le chapitre 2.
81 Monnet 2016, au sujet de Trivellato 2009.
82 Braudel 1980, p. 13.
83 Cette approche a notamment été développée en histoire moderne, à partir de sources bien sûr très différentes. L’anthropologie de la consommation, en particulier en lien avec l’Empire colonial britannique, a connu d’importants développements, dont témoigne Brewer – Porter 1993. En France, Daniel Roche a notamment défendu une approche matérielle de la culture, autour de la question de l’appropriation individuelle et collective des marchandises, Roche 1997, présenté par Poulot 1997, avec une synthèse sur cette historiographie.
84 Si seuls des biens rares, luxueux, d’une valeur spécifique sont échangés, en petites quantités et de façon peu fréquente, on peut attribuer leur circulation à des formes de don et de contre-don, le « chieftain’s trade » des anthropologues, et non à un commerce. M. Gras préfère ainsi parler de trafics, car les objets qui circulent restent « isolés par définition », Gras 1985, p. 710-711, cité par Schnapp 1999, p. 68. Sur la définition de ce terme comme la somme des échanges marchands, sans préjuger de leur régularité ou de leur institutionnalisation, voir le chapitre 7. C’est la conception que l’on retrouve par exemple dans l’analyse par Michel Bats des premières phases de contact entre Grecs et indigènes de la région de Marseille : « un trafic aristocratique typique où les marchands doivent se concilier les chefs locaux par des cadeaux ». Les objets découverts sont interprétés comme des « produits de luxe » par leur type (« vin, céramique de qualité, bronzes ») et leur faible quantité, Bats 1998, p. 625.
85 Charle 1989 p. 125. Toute une partie de la recherche en histoire sociale a évolué ces dernières décennies en intégrant les apports de la micro-histoire et de ses méthodes d’enquête inspirées de l’ethnographie.
86 Approche notamment déployée dans Bourdieu 1979.
87 Je résume ici rapidement un domaine actif et débattu, en m’inspirant d’un article récent, Menant 2019, qui rappelait qu’en sociologie, une classe sociale ou un groupe social donné sont étudiés en croisant des données objectives sur les conditions de vie (revenu, habitat) à des données sur les styles de vie, considérés comme aussi importants dans la définition des groupes sociaux les uns par rapport aux autres, comme l’ont par exemple étudié Bourdieu 1979 ou, dans une perspective différente, Grignon – Passeron 1989.
88 La référence est ici l’étude de la distinction sociale par la consommation culturelle développée dans Bourdieu 1979.
89 Après un relatif désintérêt lié au déclin de l’anthropologie structuralo-marxiste, Weber 2000, p. 90, on observe un renouveau des problématiques socio-économiques, en lien avec la sociologie économique : Dufy – Weber 2007. Ce terme d’ethnographie économique entend insister sur l’importance de la collecte de données, mais aussi sur la nécessité d’une interdisciplinarité dans les modèles explicatifs, entre anthropologie, sociologie qualitative et micro-histoire.
90 Un exemple de tentative d’une telle démarche se trouve dans l’étude de la construction des prix dans les Abruzzes du haut Moyen Âge, avec l’ouvrage La fortune de Karol. Laurent Feller, historien, Florence Weber, ethnologue et Agnès Gramin, économètre, ont chacun étudié les sources, le cartulaire-chronique de l’abbaye de Casauria, et proposé leur analyse, fondée sur leurs outils méthodologiques, Feller – Weber – Gramain 2005, en particulier p. 5-13. Sur un autre terrain, celui de l’anthropologie en Afrique, M. Dietler, archéologue par ailleurs, concluait également à la nécessité d’une double approche, par exemple de la réception de céramique grecque en milieu indigène, en s’inspirant de recherches menées sur l’africanisation de la consommation de Coca-Cola. Il explique qu’on ne comprend rien à ce phénomène en comptant seulement le nombre de bouteilles consommées : « il est fondamental de comprendre les contextes spécifiques de consommation de façon à en identifier le sens et la signification », Dietler 2010, p. 61.
91 M. Gras rappelle les suggestions de Mario Torelli dans Convegno di studi etruschi e italici 1974, p. 133-134 : « les cartes de diffusion et les listes d’objets ne suffisent pas à tout comprendre : il faut distinguer les « correnti di traffico » des « sistemi di scambio » », Gras 1985 p. 708, et déjà Lepore 1969 p. 183. On retrouve ici l’exigence d’une insertion de l’économie dans les structures sociales prônée par Polanyi 1957, qui est dans les débats du colloque d’Ischia la référence anthropologique.
92 Cette échelle a été employée avec profit, et avec une réflexion sur les micro-régions, dans plusieurs travaux de recherche sur l’Italie préromaine ou le sud de la France, comme D’Ercole 1994 ou Dietler 2005. Il s’agit par ailleurs d’une tendance de fond en histoire, que l’on retrouve également en histoire sociale. L’échelle méditerranéenne ou nationale a été délaissée au profit d’approches micro-locales, régionales, mais aussi multiscalaires, Les recherches en ce sens de Bernard Lepetit sont fondamentales, tant ses enquêtes à l’échelle régionale et nationale, comme Lepetit 1986, que ses réflexions plus théoriques, Lepetit 1993, Lepetit 1995 ou ses travaux en histoire urbaine, Lepetit – Topalov 2001.
93 M. Gras reconnaissait ainsi « de par sa conception et sa structure, cette étude laisse volontiers dans l’ombre des aspects essentiels du « Tirreno arcaico » [...]. On constatera par exemple la rareté des remarques relatives à la Campanie et à la Grande Grèce », ce qui est lié à l’importance des voies terrestres dans leurs échanges avec l’Étrurie, alors que l’ouvrage voulait surtout examiner la dimension maritime des échanges tyrrhéniens, Gras 1985 p. 11-12.
94 Curtin 1984. Cette approche a été redynamisée par l’intégration des méthodes de la micro-histoire appliquées à une échelle méditerranéenne, par l’étude de lieux ou de réseaux privilégiés, Trivellato 2009 ou Bertrand 2011. Plusieurs articles parus dans les Annales s’inscrivent dans cette approche, dont Bertrand – Calafat 2018 ainsi que des ouvrages collectifs, comme Boucheron et al. 2012.
95 Bertrand 2011, p. 14. Il s’agit notamment de conférer une « égale dignité documentaire » aux documents européens et insulindiens.
96 Je reprend ici en partie la mise au point de Lepore 1976. Strab. 5, 4, 3 et DH. 7, 3 mentionnent deux peuples (en annexe).
97 Mele 2014, p. VII.
98 L’expression Fossakultur a été proposée par Säflund 1938. En Campanie, cela concerne les sites de la vallée du Sarno, Cumes, ainsi que Gricignano, Suessula, probablement Calatia également, bien que la situation soit plus complexe dans cette zone du fait de l’influence de Capoue, D’Agostino 1970, p. 571 sur l’identification de cette culture dans la vallée du Sarno et Cerchiai 1995b, p. 9-12 avec bibliographie.
99 Le positionnement théorique et méthodologique de la protohistoire italienne se situe en effet au carrefour de ces deux grandes traditions, avec toutes les ambivalences que cela crée souvent dans les modèles d’analyse, en particulier dans une région de contacts comme la Campanie, voir là-dessus Nizzo 2015.
100 Les Étrusques échappent à cette vision négative, mais pas les Opiques, comme on peut par exemple lire dans Frederiksen 1984 p. 135 : « Nous pouvons imaginer les populations autochtones vivant dans des villages dispersés, ou comme classe subordonnée à des maîtres grecs ou étrusques. »
101 C’est le cas dans Bats 1988, Bats 1998 ou Dietler 2005.
102 Dietler 2010, p. 44-47.
103 Dietler 2010, p. 57.
104 Dietler 2010, p. 68. Nous traduisons.
105 L’idée de Grecs intégrant des apports allogènes à leur culture, indigènes en particulier, est exclue par toute une historiographie, voir Bérard 2014, p. 146-147. La diversité des objets importés par une cité grecque comme Cumes peut induire des modalités d’échange très différentes : dans un cas, on a éventuellement des échanges entre deux cités grecques, voire parfois entre une colonie et des individus originaires des cités fondatrices, tandis que dans l’autre cas, il s’agit d’une rencontre entre personnes de cultures différentes, Bats 1998 p. 629 qui prend notamment l’exemple des céramiques eubéennes apportées à Pithécusses par des marchands eubéens, et des céramiques corinthiennes apportées à Syracuse par des Corinthiens. Il s’agit cependant d’une conception des modalités du transport de ces biens qui a depuis été largement révisée, bien que nos données ne permettent pas une image très nette.
106 Je reprends ici la présentation de Zurbach 2017, note 53, p. 683 : l’ouvrage de Chayanov, L’organisation de l’économie paysanne, publié en russe en 1925, se fonde sur les grandes enquêtes russes de la fin du XIXe siècle. Ces recherches et sa définition d’une économie paysanne vont jouer un grand rôle dans les peasant studies mais aussi en anthropologie économique, via Sahlins 1972. Ce type d’économie est notamment caractérisé par l’importance de l’autonomie locale, une faible spécialisation des tâches, une médiation avec l’extérieur via les notables, la présence de catégories de population non paysannes, notamment des artisans et des commerçants, mais aussi l’importance de l’auto-subsistance et une forme de méfiance vis-à-vis de l’extérieur.
107 Lepore 1969.
108 Reger 2004 et Zurbach 2017, p. 306-308.
109 Ce découpage sera réexaminé dans le chapitre 7.
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