1L’historiographie et les traditions politistes et philosophiques l’assurent, « la Terreur » (?-9 thermidor an II, on notera la difficulté à dater le début de la période) a été ce moment, imprécis, de la Révolution française qui a eu recours aux massacres, aux exécutions de masse, à la guerre civile et à la centralisation totale du pouvoir, sous le contrôle de Robespierre. Elle aurait assuré la victoire de la République sur ses ennemis intérieurs et extérieurs, au prix d’une dictature sans pitié, d’un état d’exception arbitraire, préludant aux totalitarismes du XX^e siècle.

2Cette compréhension du passé national est aujourd’hui d’autant plus acceptée que nous estimons vivre sous la menace du terrorisme, en subissant un état d’urgence répondant aux contraintes inhérentes à la nature même de la vie politique, résumée à l’antagonisme ami/ennemi. Deux questions se posent. La première, qui excède mes compétences et qui est au cœur de ce colloque, interroge le sens de la notion « état d’exception », d’autant plus difficile à appréhender qu’elle se situe à l’intersection du juridique, du politique et de l’historique1. La seconde est d’une simplicité confondante : et si le lien entre Terreur et état d’exception ne reposait que sur une erreur d’interprétation initiale ? Et donc s’il fallait comprendre autrement ce que veut dire ce mot : « la Terreur » ?

3Quand le colloque « De la dictature à l’état d’exception » s’est tenu, en 2017, je venais de publier La Terreur, complété un an plus tard, par Les échos de la Terreur. Vérités d’un mensonge d’État, 1794-2001, qui développait l’argumentaire. Il ne s’agit pas ici de répéter ces livres mais d’en accuser les traits et d’en durcir les conclusions2.

L’invention oubliée

4L’essentiel tient en peu de mots : alors que les députés de la Convention et les militants sans-culottes (gardons le mot sans en préciser plus la signification faute de place) débattent à propos de la nécessité de terroriser les contre-révolutionnaires (autre mot tout aussi imprécis)3 et que quelques-uns réclament, à partir de mars-mai 1793, que l’usage de la terreur soit institutionnalisé, la Convention dans sa quasi-unanimité refuse à plusieurs reprises de légiférer sur la terreur. L’exemple le plus remarquable est donné le 5 septembre 1793 quand l’assemblée rejette la proposition très peu explicite de « mettre la terreur à l’ordre du jour » qui aurait été exprimée par une délégation de sans-culottes – rappelons que les propos n’ont pas été directement retranscrits, on ne connaît que ce qui est rapporté par Barère, membre du Comité de salut public. Il convient en effet de se demander de quel « ordre du jour » il pouvait s’agir : celui de l’Assemblée, ou celui de la Nation ? Reste le refus de la proposition convertie en motion plus politique puisque la création d’une « armée révolutionnaire » est décidée, sans toutefois que cette armée soit dotée d’une guillotine et d’un tribunal4.

5Dans les mois qui suivent, l’Assemblée conserve le même cap, rappelant notamment que la justice doit être à l’ordre du jour et non la mort, tout en instaurant le « gouvernement révolutionnaire » en octobre et surtout en décembre 17935. Concrètement, la Convention suspend toutes les élections, concentre tous les pouvoirs entre ses mains et celles des Comités qu’elle désigne et qui la dirigent, et suspend ainsi toute représentation du peuple qu’elle est dorénavant censée incarner seule.

6Brutalement l’État, dans ses dimensions politiques et administratives, s’impose à tout le pays, mettant fin à la concurrence que la Convention subissait depuis l’été 1793 de la part des organisations sans-culottes qui contrôlaient le ministère de la Guerre. La rivalité avait permis que les opposants à la Révolution soient soumis à la répression la plus violente en Vendée ou dans les régions « fédéralistes ». Le « gouvernement révolutionnaire » centralise les institutions répressives, suspend et parfois condamne les auteurs de violences estimées injustifiables – envoyant notamment les meneurs de la sans-culotterie à l’échafaud en mars 1794.

7Dans le même temps, les divisions entre les membres de l’Assemblée et des Comités (de salut public et de sûreté générale) s’aggravent, Robespierre aidé par le cercle de ses amis et proches obtenant un pouvoir jugé exorbitant par ses collègues durant le printemps 1794. Il n’est pas possible de rentrer dans l’analyse fine du processus qui conduit à sa chute du 27 au 28 juillet 1794 (9-10 Thermidor an II), il suffit de rappeler que, pendant ces derniers jours de juillet, il est exécuté avec une centaine d’hommes qualifiés de « robespierristes » et immédiatement condamné comme un « tyran » et un « monstre ».

8L’élimination de ce groupe n’aurait été qu’une élimination parmi d’autres, après ce qui était advenu aux Girondins, aux sans-culottes et aux dantonistes, si elle n’avait été présentée à partir du 28 août comme la fin de « la Terreur » par des députés qui avaient pris part, d’une façon ou d’une autre, aux violences depuis 1792, et avaient été confrontés à la réprobation de Robespierre. Ce faisant ils réussissent à disqualifier tous les députés siégeant depuis des mois au sein des Comités qui sont désignés, avec Robespierre, comme les véritables responsables des violences antérieures ainsi baptisées « Terreur ». Ce véritable coup d’État, mené principalement par le député Tallien, entraîne la naissance d’un nouveau régime : le Directoire, dirigé par de nouvelles équipes, mais qui cautionne surtout l’idée que tout ce qui a précédé à sa création est la Terreur, voulue en définitive essentiellement par un homme, Robespierre.

9Pour le dire synthétiquement, dans l’automne 1794, des lois consacrent l’idée que la Terreur a été institutionnalisée jusqu’au 9 Thermidor baptisant ainsi l’état de siège qui avait été installé tant bien que mal au tout début de 1794 précisément en refusant très catégoriquement toute référence officielle à un régime de terreur.

10Le succès de l’invention de Tallien est immédiat et durable. Des lois sont votées pour punir tous les individus jugés coupables d’avoir été « terroristes » (le mot apparaît à ce moment-là), l’exécution du député Carrier devenant en décembre 1794 l’exemple éclatant de ce courant dénonciateur. Carrier est alors, au mépris de toute vraisemblance, considéré comme un robespierriste, mis à mort pour avoir voulu, avec l’aval de Robespierre, « dépopuler » la Vendée et la France, alors que les deux hommes avaient été opposés l’un à l’autre, Robespierre faisant rappeler Carrier à Paris en janvier 1794 pour faire cesser la répression qu’il permettait à Nantes, et Carrier se retrouvant dans le camp hostile à Robespierre par la suite ! Cependant la condamnation de Carrier permet à Tallien et à ses amis politiques, notamment Fouché, de faire oublier leurs propres responsabilités dans les violences qu’ils ont autorisées ou couvertes fin 1793 dans les villes révoltées.

La Terreur comme trompe-l’œil

11Plus généralement tous ceux qui ont participé à des opérations répressives peuvent invoquer le poids de Robespierre pour excuser leur conduite, comme tous les contre-révolutionnaires peuvent expliquer leurs échecs militaires et politiques en assurant qu’ils ne pouvaient rien faire contre le pouvoir proprement satanique de Robespierre. On peut également trouver logique que tous les observateurs, notamment étrangers, puissent recourir à « la Terreur » pour expliquer les luttes politiques inexplicables qui ont traversé la France depuis 1791.

12C’est le cas par exemple du philosophe allemand Friedrich Hegel, de sensibilité girondine, qui, dans sa Phénoménologie de l’Esprit, consacre un passage important à la Terreur considérée comme la « négativité de la liberté ». D’un seul coup il avance une analyse destinée à une longue postérité pour donner sens à l’échec de la Révolution radicale et il justifie la détestation de Robespierre et des sans-culottes qui se poursuivra jusqu’au début du XX^e siècle dans les milieux influents des penseurs politiques européens.

13L’enjeu des débats porte évidemment moins sur l’histoire même de la Révolution que sur l’usage mémoriel et idéologique qui en est fait pour justifier des choix politiques. La chose est habituelle et sans doute faut-il même considérer que la particularité essentielle de l’épisode révolutionnaire tient à cette façon de comprendre les événements immédiatement pour les changements qu’ils apportent dans le cours de l’histoire universelle. L’invention de la Terreur fait ainsi directement écho à l’invention de la Révolution française telle que les « patriotes » l’avaient réalisée entre juillet et août 1789 ou que Burke la décrivait dès 1790. F. Furet a théorisé cette importance du « récit des origines » de la Révolution française qui aurait constitué un véritable « discours de l’identité ». Il a entériné également l’idée que la Terreur « fait partie de l’idéologie révolutionnaire6 ».

14Il est cependant difficile de penser que Tallien et ses amis avaient prévu un pareil succès ; leur propagande contre Robespierre s’étiole dès l’été 1795 quand ils doivent faire face à l’opposition des sans-culottes d’une part et des royalistes de l’autre ce qui les oblige à un compromis républicain. Quelques années plus tard, ils seront même considérés comme des terroristes ! « La Terreur » leur échappe parce qu’elle donne une explication globale des années terribles, qu’elle participe des sensibilités collectives et qu’elle s’intègre dans les analyses les plus sophistiquées. Reste à comprendre en quoi cette « Terreur » donne une image fausse de la révolution et de l’histoire universelle.

15L’exemple pourrait être donné par les premières lignes d’un article de l’historien de Harvard Patrice Higonnet expliquant, en 2010, son intérêt pour la « Terreur de 1793-1794 » parce qu’elle est, avec « le déshonneur du gouvernement de Vichy », l’épisode « le plus triste de l’histoire millénaire » de la France7. Il est vrai qu’il nuance son propos à la fin de l’article, mais finalement il ne revient pas sur la qualification. C’est aussi le propos de Jeremy Popkin qui, dans son livre récent, conserve le mot Terreur pour parler de la période, amalgamant les déclarations personnelles de Marat, réclamant la terreur, avec des décisions institutionnelles pour justifier son point de vue8. On comprend que certains historiens aient parlé de terreur douce9 pour se démarquer le plus possible des habitudes historiographiques sans vouloir pour autant rompre avec elles !

16Disons-le sans barguigner, les Conventionnels refusent « la Terreur » en connaissance de cause, parce qu’ils ne veulent pas être confondus avec des despotes, parce qu’ils récusent les demandes des sans-culottes et parce qu’ils fondent leur conception de la Révolution sur des exigences de justice. Il est donc incompréhensible que des analyses universitaires, scientifiques, assurent que, tout compte fait, ce fut une terreur malgré tout et négligent l’authenticité de la parole des acteurs à ce moment-là quand elles y recourent sans aucune hésitation dans d’autres occasions en puisant dans leurs discours sans vergogne.

17Il faut accepter la parole des Conventionnels, hommes de grande culture pour la quasi-totalité d’entre eux, quand ils rejettent toute « terreur » parce qu’elle est assimilée au despotisme mais qu’ils peuvent, en revanche, discuter de la nécessité d’une « dictature » qu’ils connaissent par l’exemple de l’histoire romaine. Il faut certes s’interroger aussi sur le fait que ce sont les mêmes – moins les députés exécutés comme dantonistes puis comme robespierristes – qui avalisent l’invention de Tallien : mais ce faisant, ils rejettent expressément toute responsabilité de la « terreur » sur Robespierre. À la fin de 1794, comme en 1793, leur attitude est cohérente conduisant à qualifier de dictature (éventuellement du Salut public, pour reprendre une expression qui circule), ce qui a eu lieu dans le premier semestre de 1794 et amenant à insister en revanche sur le défaut d’État ou les conflits de légitimité qui prévalurent dans l’automne 1793.

La « Terreur » comme critique de la démocratie

18Reste à comprendre également pourquoi cette vision de la Révolution est entrée aussi profondément dans les catégories de la pensée politique. Le rôle de Hegel a été capital. Constituant « la Terreur » en étape dans la marche politique du monde, il en fait un élément indispensable à la pensée collective pour juger des prétentions à changer le monde jusqu’à la considérer comme un moment inévitable – et négatif – dans toute révolution. Ce sera sur cette base que la gauche intellectuelle française, illustrée par Merleau-Ponty et Sartre, réfléchit au lendemain de la deuxième guerre mondiale sur les moyens de faire la révolution quitte à revendiquer la terreur indispensable !

19La Terreur relève alors de la « brutalisation » du monde dont elle serait même un début possible, d’autant qu’elle s’accompagnait à sa naissance par le recours à la guerre « totale » comme il est devenu commun de le dire maintenant10. L’écho est évident avec la diffusion des analyses de Carl Schmitt qui lit dans l’évolution du monde depuis la fin du XIX^e siècle et la Première Guerre mondiale la suite de la Révolution française liée par analogie à la révolution bolchevique, jusqu’à parler des commissaires du peuple à propos des représentants en mission11. Dans cette perspective, toute l’histoire du monde et toute la politique se résument à la distinction entre ami et ennemi, excluant toute autre dimension, si bien que le phénomène révolutionnaire n’échappe pas aux notions de dictature et d’état d’exception et que « la Terreur » participe irrémédiablement du chaos du monde moderne12.

20Hannah Arendt prolonge l’analyse en assimilant la terreur soviétique au nazisme sous la notion de « totalitarisme » et en insistant sur sa mise en œuvre d’une façon « inversement proportionnelle » à l’existence d’une opposition politique intérieure13. La dernière observation est essentielle : on retrouve, sous la plume de François Furet, cette interprétation à propos de « la Terreur » de Robespierre qui aurait été développée au moment où la Révolution a déjà écrasé ses ennemis14. La lecture est idéologique et fausse : non seulement la victoire n’était pas assurée avant juin 1794, mais les premières tentatives de pacification de la Vendée étaient déjà été engagées dans le printemps – alors que Robespierre joue un rôle important dans le Comité de salut public15 ! Il faudrait également ajouter que l’expression « Grande Terreur » qui désigne ordinairement l’été 1794 après la loi de Prairial a été manifestement introduite par l’historien Georges Lefebvre, dans les années 1930 – à cette date l’usage fait écho à la terreur soviétique16.

21Dans un autre horizon de pensée, cette compréhension, qui valorise l’état d’exception, acte souverain par excellence, incite le philosophe Giorgio Agamben à voir « la Terreur » comme l’illustration de « la suspension de l’ordre juridique lui-même », l’amenant à dénoncer l’illusion de la démocratie – accusation que conteste le juriste Michel Troper rappelant que l’état d’exception tout aussi exceptionnel qu’il ait été bute encore sur certains droits et libertés fondamentaux17. Revenons aux faits et soulignons que Robespierre lui-même demeura étroitement assujetti aux règles collectives, jusqu’à sa chute, pour n’avoir pas voulu rompre le jeu institutionnel et son refus d’entrer dans une logique de coup d’État – précisément ce que Marat lui a toujours reproché18.

Retour au réel

22La comparaison demeure une démarche instructive : ainsi elle rappelle que le régime imposé par Pitt aux îles britanniques pour lutter contre la Révolution française ne fut pas différent de ce qui se passait au même moment en France – sauf à noter le grand respect des procédures de justice dans la punition des opposants. Il faut aussi rappeler que la répression des « patriotes » américains dans les années 1770 puis celle des insurgés irlandais en 1798-1799 n’eurent rien à envier aux méthodes françaises contre les fédéralistes et contre les Vendéens. Surtout, l’arbitraire de la justice, la dénonciation de l’ennemi, le recours à l’état de siège ou à l’état d’exception ne furent jamais réservés à la période 1792-1794, puisque tous les régimes que la France a connus du XVII^e siècle au XIX^e (au moins) n’ont pas hésité à recourir à ce genre de pratiques – de Louis XIV à Napoléon I^er au moins, sans parler de la colonisation, de la justice militaire pendant la Première Guerre mondiale et de l’Épuration.

23Ce qui choque manifestement dans ce qui est appelé « la Terreur » c’est qu’elle tient à l’intervention populaire (directe ou non) dans le fonctionnement de la justice et de l’État, et que pour les observateurs elle crée la confusion entre illégalité et légitimité. En outre, elle affirme être le langage politique authentique et donne objectivement sa singularité incontestable à la période puisque personne ne peut contester cette dimension sans passer pour un contre-révolutionnaire (la Commune de 1871 pouvant seule rivaliser sous quelques points). C’est bien là-dessus que les républicains de la III^e République, qui ne veulent pas se réclamer de « la Terreur » mais qui ne peuvent pas répudier la violence de la prise de la Bastille ou celle des guerres européennes, achoppent, quand ils entendent fonder la République sans la Révolution, ce qui les amène à commémorer la Révolution armée victorieuse des ennemis de l’intérieur et de l’extérieur en accusant les sans-culottes et Robespierre des dérives violentes19.

24Parler de la « Terreur », ce serait alors révéler le vrai de la Révolution, sa nature profonde quand elle a prétendu mettre à nu les mécanismes du pouvoir et déchirer les voiles. C’est en citant Rivarol qui estimait que la Révolution « a ouvert les entrailles de la société », que le philosophe Jean-Yves Pranchère propose de parler de « déhiscence » pour exprimer ce qui s’est passé avec la « Terreur ». La déhiscence désigne en botanique la façon dont certains organes végétaux s’ouvrent pour libérer leur contenu20. Parler de la « Terreur » serait ainsi dévoiler la « vraie nature » du politique. À maints égards, on peut comprendre que partisans et opposants de la Révolution puissent communier de facto dans cette compréhension de la « Terreur » puisqu’elle représente l’acmé d’un mouvement et qu’elle côtoie le sublime du sacrifice suprême et de la mise à mort !

25Quand on n’en est ni l’un ni l’autre, ni partisan, ni opposant, toute la question est alors de savoir comment il faut désigner ce moment particulier pendant lequel la violence a atteint un point culminant avec les massacres en Vendée, qui ne furent jamais répétés avec cette ampleur nulle part ailleurs – sauf pendant la guerre civile à Saint-Domingue (Haïti plus tard), qui les dépassa en revanche en férocité – et avec la mise en scène renouvelée des charrettes de condamnés traversant lentement Paris jusqu’à l’échafaud avant que leurs corps repartent vers des charniers de cette façon tout aussi spectaculaire et insupportable21. Ce temps en suspension eut bien lieu alors que la guerre aux frontières menaçait de tout emporter et de provoquer le massacre de tous ceux qui avaient participé à la Révolution.

26Il faut bien comprendre que ces mois d’inquiétude, de siège incertain, de misère, de luttes ouvertes et larvées mirent hors du temps tous ceux qui eurent la malchance de vivre cette expérience inouïe et inexprimable. Là encore, en métropole, seule la Commune a pu égaler ce moment pour les Parisiens qui s’y engagèrent.

27Il est vrai que ceci justifierait bien la qualification de terreur pour nous qui sommes toujours sidérés devant cette sortie de l’humanité. Notre sidération est d’autant plus grande que nous sommes, et depuis des décennies, les spectateurs des guerres civiles et des abominations qui ont affecté tant de régions du globe, et parce que nous avons tellement eu l’habitude de considérer d’autres épisodes violents comme « ordinaires », partie intégrante de guerres « classiques », ou de les occulter quand ils furent les étapes d’une colonisation menée loin des regards et des tribunes. Avec « la Terreur », la violence est visible, débattue, revendiquée, proprement incontournable, d’autant plus problématique qu’elle s’installe à la naissance de notre modernité, à l’origine de notre récit identitaire.

28Toutes raisons pour conclure qu’il convient de récuser fermement de recourir à la notion de « Terreur » pour désigner ce moment de fragilité d’un État, porté par des groupes alliés dans la conquête du pouvoir, à la recherche de sa légitimité et qui recourut aux méthodes fort anciennes de la dictature pour sortir d’une situation inextricable – situation que nous ne voulons pas reconnaître comme telle. Cette analyse est moins séduisante que celle qui prévaut et qui lie la « Terreur » au discours politique censé organiser « la Révolution », mais il me semble préférable d’adopter une lecture plus réaliste pour intégrer dans notre mémoire collective les souvenirs héroïques, tragiques et horriblement banals, nés des luttes politiques et des affrontements personnels qui eurent lieu. Il ne s’agit pas de diminuer en quoi que ce soit l’importance de la Révolution, il s’agit, bien au contraire, de pouvoir méditer sur nos défaites comme sur l’interprétation à donner aux paroles des acteurs, ce qui me paraît être les seules leçons que l’Histoire peut donner.