1Le recours maintenant possible à deux formes du matériel archéologique, monétaire et céramique, donne l’occasion de revenir sur certaines interprétations anciennes, de leur ajouter quelques observations.

2L’une d’elles est relative au contexte topographique dans lequel fut construit le groupe épiscopal. Il fut élevé a fundamentis, excluant tout remploi de constructions antérieures, même pour les dépendances. Le processus observé pour la basilique sud diffère notablement de ce modèle, dans la réalisation d’un projet moins ambitieux, de nature différente. Dans le cas du groupe épiscopal, l’entreprise profitait, semble-t-il, d’un état critique de l’environnement. Les données numismatiques viennent maintenant à l’appui de la céramique pour dater dans le cours de la seconde moitié du IV^e siècle la désertion de la grande maison voisine au sud, ou de l’une de ses parties, peut-être déjà vers sa ruine. Simultanément, non loin de là, à un jet de pierre, la salle basilicale dont le sol portait l’inscription de Nutrix avait aussi été délaissée1. Le culte impérial, assuré par le flamine perpétuel Titus Dyscolius Therapius au cours de la première décennie du V^e siècle, pouvait-il encore être célébré dans son temple2 ? Le dégagement réalisé il y a 50 ans dans cet ensemble monumental ne permet plus d’en juger. Enfin, pour le programme architectural d’église double et d’annexes, une large surface, peut-être acquise par achat, fut rendue disponible au prix d’arasements, de terrassements et de nettoyages aux dépens principalement d’une construction détruite, une maison vraisemblablement, dont trois pièces échappèrent partiellement à l’emprise nouvelle. Elles ont été désignées par les termes « maison ouest ».

3Cette partie du site suggère donc une image déjà pessimiste. Renseigne-t-elle sur l’état de l’ensemble de la petite agglomération ? Certes, il ne s’agit que d’un secteur de sa partie haute, sorte d’acropole3, tandis qu’existait une partie basse, inconnue puisque recouverte par le village actuel, proche du ruisseau et de la route qui franchissaient ensemble les couches géologiques relevées à la verticale par un passage obligé et étroit. L’image nuance celle, plus favorable, que l’on n’aurait pas manqué de dresser à Aradi en ne considérant que les nouvelles constructions chrétiennes isolées de leur contexte. De plus, on sait qu’au cours de la première décennie du V^e siècle, sur place, l’état de déréliction de l’architecture publique est bien documenté par l’inscription trouvée dans la sépulture de Felix qui célèbre la restauration de la platea, un investissement qui s’inscrit dans un contexte d’entreprises contemporaines semblables, de nature volontariste et jugées à l’encontre du temps4. Les données relatives à la « maison sud » suggèrent maintenant que cet état critique était au moins commun avec certaines parties de l’urbanisme privé, double atteinte, donc, à une image de la ville à laquelle contribuent non seulement les monuments publics mais aussi les maisons5.

4Dans la basilique sud, en effet, l’inscription datée des années 402/408, découverte en remploi pour construire le coffrage de la tombe de Felix6 illustre la restauration de la platea, terme désignant la grande place publique7 dont on ignore la situation. Évoqués en termes poétiques, les lieux sont décrits comme ruinés, image de désordre, même si le trait est peut-être accentué afin de donner toute sa valeur au geste du commanditaire.

5Par rapport à cet évènement, le matériel monétaire propose un indice pour la date de construction du groupe épiscopal par la monnaie de Théodose II découverte dans la couche de destruction de la « maison ouest ». Elle reporte après 408 la conception de l’îlot contenant la basilique II à fonction de cathédrale. Dans le contexte africain, une telle construction apparaît déjà « tardive » et il est difficile de la reporter encore postérieurement dans le cours de la première moitié du siècle. L’indice est corroboré de manière plus incertaine par la monnaie trouvée sous le sol de la pièce 1 (N° 107, Îlot de la basilique sud), imitation d’une frappe de la dynastie théodosienne. L’étude céramologique est en accord large avec ces indices et estime l’évènement à la première moitié du V^e siècle8.

6La date de construction du groupe épiscopal, telle qu’elle peut être comprise, a pu répondre ainsi, à quelques années près, à celle de la restauration de la Platea9. L’inauguration de cette parure profane de la ville dont le famine perpétuel Titus Dyscolius Therapius avait été l’évergète, avait été accompagnée d’une représentation théâtrale tandis que celle de la première église du groupe épiscopal dut l’être, comme en contrepoint, par une cérémonie de dédicace pour laquelle l’Église put déployer sa propre liturgie et sa propre pompe. Le peu de distance dans le temps entre les deux chantiers semble une illustration de la tension qui traverse la société en ce commencement du V^e siècle, à un moment où l’Église catholique, forte de l’appui du pouvoir politique et de la personnalité d’Augustin, vient d’imposer la résolution officielle de la crise donatiste.

7Or, l’inscription célébrant la restauration de la platea ne resta exposée que pendant une période brève. Elle disparut sous le sol de la basilique sud dans la tombe de Felix. Quant à la date de construction de l’église, cadre de cette inhumation, le monnayage fournit un terminus a quo sous forme d’une imitation d’après une émission de Valentinien III, trouvée sous la dalle qui portait l’autel. Comme autre indice valide pour dater l’abandon et l’arasement de la partie de la maison à laquelle se superposa l’église, la numismatique ne peut apporter qu’une attribution hésitante entre une frappe de Théodose 1^er ou, solution hypothétique naguère préférée peut-être à tort, une frappe de son petit-fils Théodose II. La céramique ne contredit pas la proposition, faisant seulement référence encore à la première moitié du V^e siècle10.

8L’inscription n’aurait donc été vue qu’entre la date de l’évènement qu’elle célèbre et celle proposée par le monnayage pour la construction de l’église (après 425-430) dans laquelle elle fut enfouie, dès avant l’installation du royaume vandale. Ce délai réduit ne manque pas d’attirer l’attention sur la vanité de l’effort urbanistique et la faible reconnaissance dont il put être l’objet.

9On peut considérer aussi que l’enfouissement symbolisait la victoire de la nouvelle religion : Felix vainqueur de Titus Dyscolius Therapius ? On doit se demander aussi si une élimination du paysage aussi rapide et aussi radicale était seulement le signe d’un constat d’échec ou d’un désintérêt pour la restauration qu’elle devait célébrer ou bien encore la manifestation d’un intégrisme religieux de la part d’une communauté chrétienne jeune, pratiquant ainsi, selon un esprit rigoriste augustinien11, une damnatio du souvenir des cérémonies païennes qui avaient eu lieu lors de l’inauguration. Une telle interprétation de l’inscription suggère que la petite cité n’était plus alors le « terrain neutre » entre païens et chrétiens telle qu’elle avait pu l’être encore quelques décennies plus tôt, au temps de la restauration de la platea et de la construction du groupe épiscopal12.

10Dans le cas de cette basilique sud, en fonction d’indices numismatiques insuffisamment précis, la question de la succession entre l’établissement antérieur et l’église se pose dans les mêmes termes que l’intervalle de temps entre la « maison ouest » et l’îlot de la basilique sud. Le bâtiment fut-il abandonné pour la construction de l’église ou bien un état de déréliction fut-il mis à profit pour occuper les lieux ? Toujours est-il que le monnayage du deuxième quart du V^e siècle, qui fournit un terminus a quo pour la construction de la basilique sud, est le même qui, dans les deux îlots profanes du groupe épiscopal, marque leur temps ultime et il est même absent de celui de la basilique III. Mieux que la céramique qui en brossait l’ambiance, les monnaies suggèrent la brièveté du temps pendant lequel la basilique sud et le groupe épiscopal, encore sous sa forme de « cathédrale double », furent simultanément en fonction avant leur destruction respective.

11Cette église sud occupait une assiette topographiquement avantageuse sur un épaulement, symétrique de celle du groupe épiscopal. Elle fut élevée aux dépens d’un bâtiment modeste à fonction agricole partiellement détruit pour une part et partiellement adapté pour une autre part afin d’offrir à l’église ses annexes à l’intérieur desquelles les découvertes monétaires furent rares. En comparaison du groupe, cette pauvreté est l’indice de ce que les lieux ne furent guère utilisés dès l’époque du premier état, ce qui confirmerait l’interprétation d’un abandon rapide à la suite de leur réaménagement. Comme dans le cas du groupe épiscopal, la construction de l’îlot ecclésial déjà, ou a fortiori sa reconstruction, posent la question du rapport à l’environnement proche et, vraisemblablement, du rapport au bâti antérieur ou voisin.

12Cette considération s’impose à la vue des hautes élévations subsistantes d’un grand ensemble adjacent, vraisemblablement à fonction résidentielle, en partie juché en terrasse sur le rocher, dont certains des sols mosaïqués dépassent encore sous les décombres13. Son mur périmétral occidental voisine (fig. 2, mur 44) à moins de 1 m celui des annexes de la basilique sud. Il en était séparé par un intervalle qui ne permettait pas une circulation facile, même piétonnière, en raison d’un affleurement rocheux à son extrémité nord (ibid., surface XXVI). Le modeste bâtiment antérieur à l’église, avec son pressoir, n’en était-il pas déjà une dépendance domestique ou économique au même titre que l’îlot intermédiaire le fut par rapport au groupe épiscopal14 ? De même, l’église, avec ses annexes peu fréquentées, ne fut-elle pas pour cette grande maison, si elle était encore occupée, une dépendance au même titre que l’aurait été cet îlot d’activités domestiques auquel elle fut substituée ? Semblable dépendance expliquerait la coexistence et la proximité, antérieure à l’église, de deux constructions très contrastées dans leur aspect et, pour celle qui contenait originellement un pressoir, une situation élevée et un accès modérément adapté à une activité de traitement de la production agricole. La question se pose donc de l’origine privée de l’initiative de construction de l’église et de son usage pour l’accueil d’une sépulture privilégiée. Une datation de l’abandon du grand corps de bâtiment adjacent à l’est aux annexes de l’église aurait donc été précieuse pour connaître dans quel cadre urbain se produisit l’implantation monumentale du culte chrétien et quels étaient les rapports entre les deux îlots voisins. L’expérience aurait dû être complémentaire de celle menée sur l’environnement de la basilique II.

13Les données numismatiques donnent ensuite l’occasion de commenter l’épisode central que fut, pour le groupe épiscopal et la basilique sud, leur destruction respective intervenue au cours de la seconde moitié du V^e siècle selon la date proposée par le matériel céramique. Les observations faites sur l’état des bâtiments dans les dépendances du groupe épiscopal avaient fait placer l’évènement en rapport avec la persécution qui atteignit son acmé à l’époque du roi vandale Hunéric et qui est documentée par l’exil vers la Corse de l’évêque Fortunatianus. Était d’abord notable l’obstruction systématique des portes intérieures dans l’îlot intermédiaire. Dans l’îlot sud-est, correspondant aux niveaux de destruction, outre d’autres obstructions, lui répondait la condamnation délibérée de l’orifice de puisage de la citerne par une harpe coincée verticalement, émergeant sur une hauteur de 1 m et enfoncée d’autant (fig. 19). Prise dans le niveau d’abandon, l’obstruction était irréversible, faite pour rendre le réservoir inutilisable et la situation sans retour. Le bâtiment portait d’autres traces de désorganisation comme la pierre de meule basculée dans la pièce 109 avec les stalles murées de ce que l’on peut penser avoir été une écurie. Seule la violence a semblé pouvoir expliquer le caractère radical de l’interruption de la fonction religieuse et l’anéantissement de son support économique. De ce dernier, la reconstruction ultérieure ne restitua jamais l’équivalent. L’éventualité d’un évènement naturel non attesté ailleurs n’explique pas l’état observé. Avec la possibilité maintenant acquise de leur prise en compte, les indications du matériel monétaire suggèrent un processus qui se produisit dans la durée, ce qui s’accorde avec les constatations archéologiques. Dans l’îlot intermédiaire où elle fut surtout observée, mais aussi dans l’îlot de la basilique II, l’obstruction des portes n’est pas concevable pour des constructions destinées à une démolition immédiate. De même celle de la citerne de l’îlot sud-est et sa condamnation furent précédées par la désorganisation de l’alimentation donnant le temps à des décombres de s’accumuler en un cône de déjection de 2 m de hauteur qui ne semble pas s’être formé alors qu’elle était encore en eau15. Un épisode de condamnation des lieux précéda la destruction.

Fig. 19 – Obstruction de l’embouchure de la citerne par une harpe dans la pièce 105 de l’îlot sud-est.

14De ce fait, que le terme de l’occupation des îlots intermédiaire et sud-est soit marqué pour chacun d’eux par une monnaie unique de Valentinien III est notable. L’absence de monnaies officielles du V^e siècle dans l’îlot de la basilique III indique que son sort fut lié à celui des îlots voisins. Son accès depuis la rue, par le vestibule 39, fut obstrué de la même façon que les portes de l’îlot intermédiaire, l’une à l’entrée de la pièce depuis la rue, l’autre à sa sortie vers l’église. Les indices monétaires invitent à réfléchir sur l’éventualité d’une première interruption de l’usage de ces trois îlots, résultat d’une intervention du pouvoir politique vandale afin de mettre fin à leur activité ou à leur fréquentation. Pour l’îlot de la basilique III, il s’agissait d’une interruption du culte. Pour l’îlot intermédiaire, c’était une interdiction de l’activité économique, support possible du rôle caritatif et social de l’Église en faveur de l’assistance à la population. Pour l’îlot sud-est, par rapport à la fonction résidentielle identifiée, l’intervention aurait eu pour objectif l’extinction de l’usage domestique et l’empêchement opposé au responsable hiérarchique de l’Église. L’atteinte matérielle à l’encontre de chacun des trois îlots porte le caractère triple que prit peu à peu, à partir du règne de Genseric, la politique religieuse offensive dans la partie du nouveau royaume désignée comme étant in sortibus Vandalorum16. Le site de Aradi semble bien donner l’occasion d’observer concrètement les manifestations du phénomène. La ruine définitive put intervenir dans la suite, conséquence de la radicalisation dont la Notitia porte témoignage en montrant le nom de l’évêque sur la liste des exilés.

15Ces constatations renvoient à la question de la situation de Aradi par rapport aux provinces : Byzacène ou Proconsulaire ? Deux interprétations ont été invoquées pour trouver une explication à la discordance des situations entre l’inscription de la première décennie du V^e siècle, récupérée pour bâtir la tombe de Felix, et la Notitia de 484. Il faut vraisemblablement privilégier celle qui impute la modification des limites provinciales à l’organisation territoriale vandale. Jusqu’au milieu du V^e siècle, le nouveau groupe épiscopal, contemporain de l’inscription qui célèbre la restauration de la platea, devrait encore être compté en Byzacène et non en Proconsulaire17. Si l’empreinte de la persécution fut aussi forte sur l’Église à Aradi, c’est certainement que son finage, comme celui de sa voisine Pupput, avait été intégré à la province de Proconsulaire devenue « le lot des Vandales ». Il convient de préférer ce processus à la simple constatation d’une discordance antérieure au royaume barbare entre les limites des juridictions profanes et ecclésiastiques.

16À l’époque de ces évènements, le monnayage suggère aussi une histoire particulière de l’îlot de la basilique II. Des espèces à l’effigie de Valentinien III y sont aussi attestées à titre résiduel dans les terres associées au second état. Exceptionnellement par rapport à l’ensemble du groupe épiscopal, le monnayage vandale y est présent, mais il ne s’agit que de quelques imitations trouvées en situation résiduelle dans les niveaux archéologiques du second état. Fait notablement exception l’exemplaire recueilli sur le sol de béton de tuileau de la pièce 5, même si elle n’est identifiable que par son module (N° 145). La perte de cette monnaie signe une articulation de la vie du site, le terme de son état originel, postérieur à celle des autres îlots. Une fréquentation du site de l’ancienne cathédrale ou de la basilique primatiale du groupe est concevable avant l’interdiction définitive de l’église, ou de ce qu’il en restait, et qui avait pu être l’objet de tentatives de reprises par le clergé catholique, voire arien. Ainsi, entre le terme de l’occupation des deux îlots non ecclésiaux du groupe ainsi que de celui de la basilique III et le dernier témoignage de l’usage des dépendances directes de la basilique II, soit entre les deux monnaies de Valentinien III d’une part et la monnaie vandale dont le module s’apparente aux émissions de Thrasamund d’autre part, s’écoule le temps de l’atteinte portée au siège épiscopal, non pas évènement ponctuel, simple conséquence de l’exil de l’évêque en 484, mais un temps précédé et suivi par d’autres épisodes offensifs dont l’archéologie porte témoignage. En l’occurrence, la céramique ne contredit pas cet allongement de la chronologie.

17L’ensemble des datations obtenues et mieux assurées maintenant grâce à la numismatique n’est pas sans conséquences sur l’histoire du lieu, marquée par absence d’un évêque d’Aradi au concile de Carthage en 411 alors que les sièges de cités voisines, Pupput, Segermes et Ziqua, étaient représentés, parfois par deux évêques, l’un catholique, l’autre donatiste. Celui de Pupput y est attesté pour la première fois de son histoire. À Aradi, la construction du groupe épiscopal accompagnerait ainsi la fondation du siège épiscopal à une date à peu près contemporaine de celle du concile, juste postérieure à elle, telle que la suggèrent les indices apportés par la céramique, maintenant précisés par la numismatique. Le nouveau siège fait ainsi figure de complément tardif apporté au réseau régional et appartient à la dernière génération des évêchés africains. D’ailleurs, en raison de la gémellité de leurs devenirs entre circonscriptions administratives profane et religieuse et de la proximité des noms des évêques sur la liste de la Notitia de 484 puis sur celle des souscripteurs au Concile de Carthage de 535, la question avait été posée naguère de savoir si la fondation du siège de Aradi n’aurait pas procédé en fait d’une division de celui de Pupput18.

18Un autre trait relève de la prise en considération des contextes, autant comme les programmes de recherche le permettent ou l’ont permis. À Aradi, les vestiges des bâtiments, mais aussi les connaissances apportées par la céramique et la numismatique illustrent le rôle temporel du groupe épiscopal. Les églises africaines ont rarement pu être situées en rapport avec leurs propres dépendances, ce dont témoignent les corpus récents qui ne s’intéressent qu’aux basiliques, tirant implicitement les conséquences de la lacune documentaire19. La basilique sud fournit pour sa part un exemple peu spectaculaire avec la modeste réutilisation de bâtiments antérieurs réaménagés de manière fruste et sans usage intense ou affirmé, ce qui peut être explicable par le statut de l’église. En revanche, le groupe épiscopal apporte un exemple inusité. Il renseigne d’abord sur une activité économique dans l’îlot intermédiaire. Il documente aussi la fonction résidentielle dans l’îlot sud-est, identifié comme vraisemblable demeure épiscopale contemporaine du premier état du groupe d’après des critères topographiques, chronologiques et fonctionnels. En forme de bloc parallélépipédique, le corps de bâtiment est caractérisé par une activité domestique au rez-de-chaussée, desservie par une cour fermée, et par une habitation à l’étage qui, sans être luxueuse ni vaste, porte trace d’une certaine recherche par ses enduits peints et ses restes de stuccature trouvés dans des décombres qui consistaient en briques d’adobe plus ou moins décomposées20.

19Régionalement, le groupe épiscopal de Sbeitla21, tel que la restitution en a été suggérée, apporterait un élément de comparaison pour le bâtiment sud-est identifié comme domus episcopi : ici, un corps de bâtiment s’élevait immédiatement au nord des églises, parallèlement à elles, composé d’un rez-de-chaussée et d’un étage. Les fonctions respectives des niveaux et des pièces n’ont pu être détaillées et le rattachement de petits thermes adjacents à l’ouest n’est pas non plus assuré22. Un autre exemple de résidence épiscopale, selon un plan complet et comme partie intégrante d’un groupe épiscopal avec « cathédrale double », est attesté à Djemila23. Organisée autour d’un péristyle, cette résidence se rattache au type des maisons aristocratiques24. Les autres exemples africains avérés de dépendances immédiates des églises insérées dans une trame urbaine, non seulement des cathédrales, restent hypothétiques dans leurs fonctions25 ou présentent des plans très incomplets et sans que des rapports chronologiques certains avec le lieu de culte aient toujours été établis. Parmi les plus célèbres, par exemple à Maktar26, la transformation de l’oecus en église a laissé dans l’ombre le devenir contemporain des autres salles organisées autour du péristyle27. Dans la basilique I de Haïdra, qualifiée comme cathédrale « possible », l’éventualité du logement des clercs dans des annexes est évoquée en quelques mots. À Annaba, la partie reconnue des dépendances de l’église s’est rétrécie peu à peu au fur et à mesure des études28. Ailleurs, auprès de la cathédrale de Tipasa29 ou de celle, supposée, de Bulla Regia30, ces dépendances à peine entrevues laissent parfois apercevoir des thermes sans que les rapports chronologiques soient assurés31.

20À la différence de celui de Djemila, le type de construction des domus de Aradi et de Sufetula s’éloigne de la tradition de l’architecture résidentielle des élites sociales32. Le cas peut paraître plus étonnant dans la seconde, grande cité avec un siège épiscopal à sa mesure. Cette architecture résidentielle a été désignée comme « théorique », fondée sur des principes de symétries et d’axialité, opposée à un type de plan simple désigné par opposition comme « vernaculaire »33. À Aradi, cette « maison-bloc » comprend assurément un étage auquel appartenait la pièce XV, au nord-est, ce qu’un escalier ne suffit pas toujours à avérer, comme à Sbeitla même, puisqu’il pourrait seulement conduire à une terrasse. De lointains exemples méditerranéens de ce type de bâtiment seraient à rechercher en Syrie du Nord, dans les maisons d’Antiquité tardive du plateau calcaire, qui s’ornent toutefois d’une galerie en façade, ce dont la maison de l’îlot sud-est est certainement dépourvue34. La forme donnée à la maison épiscopale de Aradi peut être comprise comme le parti pauvre de l’architecture résidentielle de l’Église, pour laquelle les types aristocratiques anciens, telle la « maison sud », adjacente à l’église principale du groupe, ne furent peut-être plus jugés susceptible d’un remploi ou ne pas correspondre à l’image que, dans ce cadre urbain dégradé et dans la période tardive de cette fondation, la hiérarchie souhaitait se donner d’elle-même. Le « palais épiscopal » des sièges de petites agglomérations, comme Aradi, est ainsi susceptible de se distinguer de l’architecture résidentielle observable dans des sièges majeurs35. Les thermes, parfois invoqués comme dépendances possibles pour une demeure épiscopale, sont aussi absents auprès de celle de Aradi36.

21Le groupe épiscopal introduisait une sacralité nouvelle dans une ville antique peut-être en perte de l’ancienne, de son honorabilité traditionnelle et de sa décence en raison de ses ruines, au moins dans une de ses parties qui avait peut-être été son acropole et contenait les marques de ses origines. En outre, le groupe apparaît, du moins ici dans son premier état, comme lieu du traitement de productions issues de l’exploitation d’un domaine agricole. Il ne s’agit pas pour autant d’une « ruralisation » de la ville : le mélange, la proximité, voire l’interdépendance des activités résidentielles et agricoles étaient déjà présents dans l’établissement qui précéda la basilique sud. Mais quel sens donner à cette activité de transformation des productions agricoles qui occupe une surface presque équivalente à celle consacrée à la fonction religieuse ? Était-elle destinée seulement à l’œuvre de charité, la matricule, comme il avait été proposé naguère ? La densité de la petite monnaie éparpillée sur les sols ouvre l’interprétation et n’exclut pas une activité commerciale de proximité, quotidienne au profit de l’Église dont l’un des objets seraient ces petits pains identiques, comme de ration, formatés à un peu moins de 0,20 m de diamètre selon ce qu’indique la série des bols éparpillés autour du four.

22Enfin, pour ce qui relève de l’aspect des bâtiments, un point encore a provoqué un questionnement de nature technique. Le faciès des couches d’abandon et de destruction des églises et de leurs annexes immédiates à l’intérieur de leurs îlots respectifs reste énigmatique en l’absence de témoignages clairs d’effondrements de murs de pierre ou de décombre de toitures. Les matériaux les plus usuels, pierres et tuiles, auraient-ils fait l’objet d’une récupération systématique ? Le remploi est concevable pour la reconstruction des basiliques I et II en vue d’un deuxième état marqué par le respect, voire le décalque, des plans des édifices qui les avaient précédées. Il ne l’est plus après l’abandon définitif. Aurait-t-il été suivi d’une spoliation des ruines et d’un tri des matériaux au profit d’une autre partie du site, peut-être sa partie basse37 ? Il en va un peu différemment pour les îlots annexes et les dépendances. Pour les élévations, il faut ici compter avec l’usage d’une architecture de terre. Repérée déjà pour la « maison ouest », antérieure au groupe épiscopal, ce mode de construction est bien avéré par le faciès de certaines couches de démolition de l’îlot sud-est dans lesquelles le déversement des briques d’adobe était visible ou donnait son faciès à un remblai coffré à l’intérieur des hauts restes des élévations en pierre des rez-de-chaussée. Il l’était aussi par le caractère argileux et la très fine granulométrie des remblais recouvrant la partie occidentale de la cour centrale de l’îlot intermédiaire (pièce 21). Ce pourrait être ici l’indice de l’existence d’un étage au-dessus de certaines pièces de la suite occidentale, là où ont été retrouvées les premières marches d’un escalier qui ne conduisait peut-être pas seulement à une terrasse (pièce 17)38. Mais dans tous les cas, les matériaux de toitures restent curieusement absents.

23L’introduction à ce texte a fait référence au souhait émis par Jean Lassus d’acquérir une meilleure connaissance de ce que fut le cadre architectural de l’exercice du pouvoir épiscopal dans les sièges rustiques, caractéristiques de l’émiettement de la hiérarchie religieuse selon le phénomène propre à l’Afrique39. Il regrettait que les archéologues se soient trop longtemps satisfaits de la découverte d’une église et se soient bornés à son étude40. Le siège de Aradi, qui n’était pas encore identifié, n’était que l’un des 600 évêchés africains dénombrés, mais une génération après la déclaration de J. Lassus, le bilan s’appuyait encore sur les seuls exemples des grandes cités41. Ainsi, hissé maintenant à la hauteur des seuls sièges de Tipasa, Djemila, Sbeitla et Sabratha, celui de Aradi répond, dans sa forme d’origine, à l’ensemble des critères utilisés en Afrique pour la description des cathédrales « assurées ». Si les églises de Aradi échappent au critère des dimensions pour des raisons évidentes, elles répondent au moins au principe de la « basilique double », à l’existence de deux baptistères indépendants, l’un connu sous une forme particulièrement monumentale héritée d’une situation antérieure oblitérée par le deuxième état42. La situation périphérique des cathédrales par rapport à l’organisme urbain43, souvent invoquée comme préférentielle déjà par J. Lassus pour des raisons de disponibilité foncière et d’économie44 est observable à Aradi où le groupe apparaît en marge de l’habitat ancien et dans un certain isolement qui mettait en valeur sa masse architecturale. Cependant, ce critère ne doit pas seulement être considéré par rapport au simple plan urbain mais également en fonction de la valeur représentative de l’emplacement, en particulier d’une visibilité recherchée par rapport aux espaces terrestres ou parfois marins45. Quant aux « annexes », J. Lassus reconnaissait que « la notion qui regroupe des pièces à usage funéraire, de possibles salles liturgiques, des locaux de service et des réserves, des logements et toutes sortes de constructions dont le rôle ne peut être précisé la plupart du temps, elle reste extrêmement confuse »46. Le sujet a pu être abordé à Aradi où les caractéristiques générales des groupes épiscopaux sont réduits à l’échelle d’une petite agglomération.

24Par ces savants, le principe était acquis selon lequel la compréhension de ces monuments obligeait à sortir du cadre de l’archéologie chrétienne traditionnelle qui se satisfaisait de l’étude des lieux du culte. Dans le cas de Sidi Jdidi, il est appréciable que nous ayons été dotés tout juste du temps et des moyens minimaux pour montrer que la cathédrale était un organisme complet. L’inclusion dans la trame urbaine n’a pu être qu’à peine esquissée. Ce serait une autre étape dans la compréhension de l’établissement chrétien.

25La confrontation, par force a posteriori, entre les matériels céramique et numismatique aurait pu se révéler problématique, ce qui n’a pas été. Dans un certain nombre de cas, et à l’unité par rapport à la masse, les monnaies sont intervenues pour affiner les contours d’une ambiance chronologique déjà dessinée par la céramique de façon remarquable et il faut en être particulièrement reconnaissants aux céramologues impliqués dans ce programme. Pour sa part, sous cet aspect chronologique, le rôle du matériel monétaire s’est avéré pour les précisions apportées par quelques unités pour dater la construction de la basilique sud et, deux siècles et demi plus tard, la phase terminale. Il concourt à fixer la situation chronologique de la « maison sud » et de la « maison ouest » par rapport au groupe épiscopal et la date d’apparition de celui-ci. Il apporte des indices déterminants pour établir la fin de l’usage de ses îlots annexes en attirant l’attention sur l’atmosphère précoce et prolongée de la crise religieuse vécue dans la seconde moitié du V^e siècle, en la substituant à une image plus ponctuelle envisagée naguère. Dans sa masse, il répond à un schéma chronologique connu. Reste à savoir si le numismate y trouvera matière nouvelle pour sa discipline. Après avoir placé en exergue de ces lignes une citation de J. Lassus sur l’archéologie des groupes épiscopaux, on peut maintenant finir par un rappel du souhait de J.-P. Callu de voir publier les monnaies de fouilles (Callu 1974, p. 527 ; id. 1977, p. 81). Il a été essayé d’y répondre.