1Dans ces pages, des informations nouvelles et les réflexions qu’elles suscitent viennent conclure le dossier de la fouille des basiliques chrétiennes du site tunisien de Sidi Jdidi menée entre 1991 et 20061. Le recul du temps fait aussi que quelques touches inédites ou des rectifications ont pu être apportées au tableau déjà ancien. L’occasion de cette mise au point tardive est la mise à disposition des identifications du matériel numismatique2 absent jusqu’ici de l’interprétation. Seul un petit échantillon avait été présenté à propos de l’îlot contenant l’une des églises (Basilique sud ou Basilique I)3. Outre rendre compte d’un catalogue numériquement assez important, il était souhaitable d’opérer une confrontation avec les interprétations déjà proposées, notamment pour le groupe épiscopal, autant pour ce qui relève de la datation de chacun des bâtiments, religieux ou profanes, que des fonctions économiques ou domestiques qui y ont été localisées4. Naguère, l’argumentation fut fondée sur la céramique, alors que son étude était encore en cours. Mais, depuis, ce matériel a fait l’objet d’un travail exhaustif qui a explicité la démonstration chronologique originelle sans pour autant la modifier. Il est donc possible de se reporter à cette partie du travail au fur et à mesure que ce texte invite à établir un lien entre les sources documentaires5. Ce même matériel a aussi contribué à la définition d’activités particulières à certaines parties des bâtiments6.

2Le recul peut aussi être mis à profit pour approfondir des considérations émises dans les publications parues tout juste à l’issue des campagnes. Après quelques marques de scepticisme, il est dorénavant admis que l’endroit est celui de l’antique Aradi7. Rappelons qu’il se trouve dans l’arrière-pays d’Hammamet, à une dizaine de kilomètres de la ville médiévale qui a succédé à la cité de Pupput. Topographie et architecture chrétiennes étaient l’objet déclaré de la recherche mais la présence d’une activité archéologique sur le site donna l’occasion d’étudier simultanément deux autres monuments qui avaient eux aussi été signalés par des dégagements anciens et d’enrichir ainsi le dossier de cette petite et attachante cité8.

3On peut rappeler brièvement que la fouille de deux ensembles chrétiens distants de 300 m l’un de l’autre est à l’origine de la documentation monétaire qui sert de fondement à ce travail. Étudiée naguère en premier avec des annexes qui formaient avec elle un îlot, la basilique sud fut interprétée comme église votive. En se fondant déjà sur un argument numismatique, la conjecture fut avancée d’une construction intervenue après 425-430, soit à la veille de la prise de Carthage en 439. L’étude de la céramique allait dans le sens de cette proposition de datation en estimant toutefois une date d’érection moins précise, au cours de la première moitié du V^e siècle9. Dès sa seconde moitié, le matériel fixait ensuite le moment d’une destruction totale du premier état de l’église et de ses annexes, puis celui de leur reconstruction après l’époque de la Reconquête byzantine pour un usage dans le cours du VI^e siècle qui s’étiola jusqu’à la fin du VII^e siècle. Selon ce qui a été appris depuis, la similarité des rythmes de l’histoire du groupe épiscopal et de celle de la basilique sud, entre construction, destruction et reconstruction, exclut que celle-ci puisse être considérée comme église arienne, ce que la date tardive de son apparition aurait pu suggérer.

4Organisé selon le principe des « cathédrales doubles » et étudié dans la suite de la basilique sud, l’ensemble identifié comme groupe épiscopal occupa une surface beaucoup plus importante. Chacune des deux églises est comprise dans un îlot qui lui est propre et contient des annexes immédiates. S’y ajoutent des dépendances, organisées en deux autres îlots, soit quatre îlots pour l’ensemble. Une origine un peu plus ancienne que celle de la basilique sud en a été proposée. Il est logique de supposer qu’une cathédrale ait été le premier monument chrétien apparu dans la petite agglomération. Cette fois encore, les datations furent fondées sur la céramique dont l’étude était simultanée avec la fouille, ce qui guida la mise au jour complète du quatrième îlot alors qu’il apparaissait exactement contemporain des précédents. La construction de la « cathédrale double » accompagnée de celle des annexes a été située au cours du premier quart du V^e siècle, suivie assez rapidement d’une destruction totale intervenue aussi dès sa seconde moitié. N’impliquant qu’une seule des deux églises et quelques bâtiments adjacents, une reconstruction partielle eut lieu dans le courant du siècle suivant avant un effacement progressif jusqu’à un terme qui touche aussi à l’époque de l’arrivée des arabes.

5Des différences de fonctions entre les îlots composant le groupe épiscopal étaient manifestes d’après les données architecturales et les équipements retrouvés. Comme il advint pour ceux contenant les églises, et de manière contemporaine, l’usage des îlots annexes fut interrompu par la destruction de leur état d’origine après une brève existence. De même que celui contenant la basilique III, ils ne furent pas reconstruits, à l’exception de quelques pièces rattachées à l’îlot de la basilique II, seul restauré de l’ancien groupe épiscopal. Comme pour la basilique sud, la brutalité de l’interruption est d’autant plus intrigante qu’elle succède à un temps d’usage relativement limité, estimé au mieux à quelques décennies.

6En réunissant basilique sud et groupe épiscopal, le corpus numismatique est fort de 938 monnaies, soit 253 frappes officielles (27 %) et 685 imitations coulées ou surmoulées (73 %). Le prototype de 425 de ces contrefaçons a été identifié mais 260 unités restent totalement indéterminées, suspectes pour beaucoup d’une fabrication par coulage, voire par surmoulage à partir de ce qui était déjà une contrefaçon. Outre l’action de l’oxydation naturelle, la perte des reliefs, la diminution des diamètres par rapport à celui des normes officielles ont donné aux objets l’aspect de rondelles de métal10. Pour l’essentiel, l’énoncé des techniques définies lors de l’identification a été conservé11. Le mode de fabrication de 75 exemplaires a fait l’objet d’une hésitation entre frappes officielles et imitations frappées ou, dans la grande majorité des cas, coulées12. Afin de simplifier, le débat a été tranché en choisissant le mode le plus vraisemblable envisagé au moment de l’identification. Selon les comptages, en raison de ce genre d’incertitude, les chiffres peuvent varier à quelques unités près sans que les résultats d’ensemble s’en trouvent véritablement affectés.

7Dès l’origine, la fouille avait donc pour objet l’étude de l’établissement chrétien. À part quelques exceptions, les constructions antérieures n’ont pas été abordées si ce n’est pour tenter de préciser le moment de construction du groupe épiscopal ou celui de la basilique sud. N’ont été atteints que des niveaux de sols tout juste antérieurs aux constructions chrétiennes. Le corpus rassemblé paraît donc représentatif de la circulation monétaire au cours de l’époque à laquelle les églises furent édifiées puis fréquentées. Un facteur de pollution relève des circonstances de la reconstruction de l’îlot de la basilique sud et de celui de la basilique II en raison d’importants apports de terres destinés à surélever les sols d’origine. Moins grave, car plus limité dans son développement, le creusement des fosses pour les sépultures a pu aussi donner lieu à des « remontées » en atteignant des niveaux profonds. L’importance d’un matériel « résiduel », conséquence de ces travaux, avait été éprouvé comme handicap pour l’étude du matériel céramique13. Cependant, le corpus monétaire apparaît homogène, comme on pourra en juger, et il ne semble pas que dans le cas présent le phénomène ait beaucoup affecté les résultats. Ils ne sont pas très dissemblables entre les deux îlots ecclésiaux reconstruits à l’époque byzantine, d’une part, et ceux, d’autre part, qui, du fait d’une histoire plus brève, n’ont pas connu de telles perturbations. De ce dernier cas relèvent les deux îlots à fonction profane, îlot intermédiaire et îlot sud-est, ou encore celui de la basilique III, la seconde église du groupe épiscopal.

8Avec cette réserve, l’image donnée de la circulation concerne une banale agglomération provinciale africaine de l’Antiquité tardive au moment de l’apparition de l’expression monumentale du christianisme. Elle était distante de Carthage, à l’écart des grandes routes, placée seulement sur une voie d’intérêt régional en direction de l’intérieur, vers Ziqua (Zaghouan), et, bien qu’assez proche de la mer, elle n’était pas liée à une activité particulière d’échanges ou de circulation. Pour sa part, la céramique d’usage courant dépendait en grande partie d’un approvisionnement autarcique à partir du site de Tefernine, distant de 4 km au sud, et de sources régionales depuis la région de Nabeul (Neapolis) toute proche. Outre quelques attestations exceptionnelles d’objets étrangers, à l’unité – le plus exotique vient de Marseille –, la céramique fine privilégie aussi la proximité de l’atelier de Sidi Khelifa (Pheradi Majus) plutôt que l’éloignement relatif de celui de Oudhna (Uthina)14.