Préface

1C’est avec honneur et plaisir que je préface le livre de Aïcha Ben Abed, Michel Fixot et Lucas Helfer-Lebert qui résulte des fouilles menées entre 1991 et 2006 à Sidi Jdidi auxquelles ont déjà été consacrés deux volumes. La coopération franco-tunisienne sur ce site est pour nous exemplaire par la qualité des liens qui se sont tissés entre les membres de l’équipe, mais aussi et surtout, par l’apport scientifique et la nature des résultats novateurs obtenus. Les ouvrages et articles déjà publiés ont foncièrement renouvelé nos connaissances sur une cité de la Byzacène qui gisait presque dans l’anonymat. La correspondance même Sidi Jdidi/Aradi n’était pas assurée, on la doit à cette belle équipe.

2Sidi Jdidi se situe dans l’arrière-pays d’Hammamet (ant. Pupput) à une dizaine de kilomètres : assez proche de la mer, elle renferme une petite agglomération distante de Carthage, à l’écart des grandes routes, mais sur la voie régionale en direction de Zaghouan. Il semble qu’elle n’était pas liée à une activité particulière d’échanges ou de circulation et qu’elle vivait presque en « autarcie ». Ainsi le montre la céramique d’usage courant qui provenait de Tefernine, distante de 4 km au sud, et de la région de Nabeul (Neapolis). La céramique fine, quant-à elle, est rapportée de Sidi Khelifa (Pheradi Majus) et non pas d’Uthina qui se trouve pourtant à moins de cinquante kilomètres.

3La fouille avait pour objet essentiel l’étude de l’établissement chrétien. Ce volume présente le dossier numismatique (938 monnaies) ; documentation nouvelle qui permet de conclure simultanément sur l’ensemble des données de fouille. Il met l’accent sur la mise au jour de la physionomie d’un groupe épiscopal dans une petite cité de l’Afrique antique, selon le souhait ancien de Jean Lassus. Ce groupe est composé d’une cathédrale double, soit deux églises au sein de leur îlot respectif (basilique II et basilique III), d’un îlot à fonction économique et d’un autre à fonction résidentielle. Le monnayage est présenté dans chacun des îlots composant le groupe, selon son contexte de découverte. Il intervient en précisant la date de construction, postérieure au Concile de Carthage de 410, et celle de la disparition qui montre un processus de persécution manifeste dès le règne de Genséric.

4En ce sens, la numismatique précise la chronologie que suggérait la céramique et montre la brièveté de l’usage de l’ensemble des bâtiments avant une reconstruction d’époque byzantine qui reporte sur une seule église et son îlot la fonction qui avait été celle d’une structure développée auparavant en quatre îlots. Au sud de la ville haute, selon la numismatique, la basilique sud, à fonction votive, est construite quelques années seulement avant l’établissement du Royaume vandale et sa durée d’existence est donc plus brève encore que celle de la cathédrale, avant reconstruction à l’époque byzantine. Selon les traces archéologiques, l’usage du groupe et celui de cette église sont alors modestes, peu intenses jusqu’à la fin du VII^e siècle.

5Mais les précisions chronologiques apportées par la numismatique reposent sur quelques monnaies seulement par rapport à une circulation qui tout au long du V^e et du VI^e siècle, et plus tard encore, repose toujours sur un stock constitué en minorité de frappes officielles du IV^e siècle, en particulier du milieu du IV^e siècle, et surtout de leurs imitations ou contrefaçons. Ce stock n’est jamais renouvelé, si ce n’est par quelques rares exemplaires de frappes officielles du V^e siècle, romaines, ou par de non moins rares contrefaçons de frappes officielles vandales.

6Le fort impact de la persécution sur les bâtiments chrétiens suggère qu’Aradi, comme sa voisine Pupput, se trouvait dans la partie de territoire africain désignée comme « le lot des Vandales » et que cette frange septentrionale de la province de Byzacène se trouva intégrée alors à celle de Proconsulaire.

7Les précisions chronologiques apportées par les trouvailles monétaires montrent que le groupe épiscopal est construit dans une partie de la ville en cours de désertion. L’inscription découverte au cours des campagnes dans une tombe inhumée à l’intérieur de la basilique sud (Basilique I) montre cependant qu’une tentative de restauration de la parure monumentale urbaine avait été tentée alors même que se construisait le groupe épiscopal. L’usage ultérieur de l’inscription, brisée pour être utilisée dans un coffrage de tombe quelques années après, montre la vanité de cet ultime effort d’urbanisme public devant un christianisme qui pense assumer dorénavant l’héritage de l’activité architecturale. Vanité partagée donc, puisque le groupe devait disparaître après une génération d’existence, victime des effets de la persécution. Cet exemple d’Aradi illustre ainsi les multiples facettes de la crise de la ville au cours du V^e siècle.

8Ce livre, riche en informations et bien mené, vient combler un vide et enrichir nos connaissances. Il a le mérite de publier et d’interpréter un matériel important et abondant qui éclairera les historiens et les archéologues. Il constituera sans doute une référence. En tant que directeur général de l’Institut National du Patrimoine de Tunisie (INP), je me réjouis réellement de cet ouvrage qui constitue à mon avis un jalon essentiel et de haute qualité dans l’histoire de l’archéologie antique tunisienne. Je félicite les auteurs qui nous aident par cette belle publication à sauvegarder un site antique de notre pays. Je remercie également l’École française de Rome qui a bien voulu accepter d’accueillir l’ouvrage dans sa collection prestigieuse » Recherches d'archéologie africaine ». Je formule enfin le souhait de voir de nouveau en œuvre la coopération franco-tunisienne.
Faouzi Mahfoudh
Directeur général de l’Institut National du Patrimoine, Tunis