1Le développement de l’informatique et des réseaux a profondément bouleversé le secteur de l’image, en facilitant sa création, son traitement et sa circulation. Le phénomène s’est accentué au rythme de la démocratisation de l’accès à la technique numérique (matériel informatique, connexion internet, appareil photo-numérique…) et il suffit aujourd’hui d’un téléphone mobile pour mettre en ligne, en quelques secondes, une image sur le réseau. L’apparition du web 2.0, au milieu des années 2000, a fortement contribué à cette révolution de l’image. L’interactivité et le partage de données sont au cœur de ce web social ; l’image et la vidéo y occupent une place prépondérante. Dans une étude menée pour la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) en 2012, 58 % des internautes déclaraient publier des photographies sur des sites, blogs ou réseaux sociaux, ce chiffre atteignant 86 % chez les 18-24 ans. Plus de la moitié des internautes reconnaissait d’ailleurs prendre des photographies dans le but premier de les publier2. Ces chiffres paraissent d’ores et déjà largement dépassés au vu de la croissance vertigineuse du partage d’images ces dernières années. Chaque seconde, plus de deux mille photographies sont mises en ligne sur Facebook, ce qui représente plus de deux millions d’images par tranche de vingt minutes. Au total, ce sont plus de trois milliards d’images qui sont partagées chaque jour sur l’ensemble des réseaux sociaux, ce chiffre ayant plus que doublé entre 2013 et 20153.

2En première approche, l’image est entendue comme la représentation visuelle d’un objet ou d’une personne par la mise en œuvre de moyens artistiques ou techniques. Si la photographie occupe une place privilégiée dans la masse des images en circulation, le glissement sémantique n’est pourtant pas anodin dans l’environnement numérique. En effet, le terme « photographie » implique un ancrage dans la réalité, qu’il s’agisse d’une photographie argentique (résultant de l’action de la lumière sur une surface sensible) ou d’une photographie numérique (pour laquelle un capteur électronique est utilisé comme surface sensible). Or, cette fidélité à la réalité tend à s’estomper dans l’univers numérique. L’image qui circule a souvent été modifiée, retouchée, déformée. Parfois, elle s’affranchit même complètement de la captation du réel4. Elle s’émancipe également de tout référentiel physique ; la notion de cliché disparaît, l’image se transforme en fichier de données. L’image numérique n’est donc pas toujours – ou plus seulement – une photographie et, dans ce contexte, le terme « image » apparaît plus adapté pour désigner toutes les facettes de la représentation visuelle. Au-delà des mutations techniques, l’environnement numérique induit également des mutations économiques. Le marché de l’image a connu de profondes transformations avec l’apparition de nouveaux acteurs issus du monde de l’informatique et le développement massif de la photographie amateur5. Avec la pratique du crowdsourcing6, la communauté des internautes s’impose comme un acteur du marché à part entière. L’indexation devient un enjeu majeur pour les agences et la concurrence sur les prix s’intensifie fortement7. Sur le plan juridique, l’image a toujours entretenu un double lien avec le droit. Elle est d’abord un objet susceptible d’être protégé par le droit, et plus particulièrement par le droit d’auteur. Elle est aussi un moyen de porter atteinte aux droits d’autrui, d’où l’existence d’un « droit à l’image », à savoir le droit, pour la personne, de s’opposer à la reproduction de son apparence physique sans autorisation. Ces deux dimensions sont aujourd’hui profondément renouvelées par l’essor des technologies numériques. Comment le droit appréhende-t-il les images créées par des procédés numériques ? Les règles applicables dans le monde réel s’appliquent-elles de la même manière dans le monde virtuel ? Comment assurer l’effectivité des droits dans cette gigantesque base de données planétaire qu’est Internet ? Ces différentes questions nous invitent à nous interroger sur les nouveaux enjeux du droit des images, enjeux qui concernent tant la création des images (I) que leur diffusion (II).

Les enjeux relatifs à la création des images

3En matière de création d’images, les technologies numériques offrent d’inépuisables ressources. Mais toutes les images créées par un procédé numérique ne sont pas, pour autant, protégées par le droit, et en particulier par le droit d’auteur. Il est donc nécessaire de confronter les potentialités offertes par le numérique (A) à la protection offerte par le droit (B).

Les potentialités offertes par le numérique

4Les technologies numériques permettent aujourd’hui de reproduire, de capter, de fabriquer ou de modifier une image. L’analyse juridique ne peut occulter ces considérations techniques dans la mesure où l’appréhension de l’image par le droit est susceptible de dépendre de son mode d’élaboration. Revenons donc rapidement sur ces différentes techniques8.

5Le premier défi relevé par le numérique en matière de production d’images a été celui de la reproduction, avec le procédé de la numérisation. La numérisation est une technique qui permet de transformer une image préexistante, photographie argentique par exemple, en un fichier de données. Ce procédé présente un intérêt incontestable en termes de conservation, de stockage des informations mais également en termes de diffusion. En convertissant une image en fichier numérique, la numérisation permet sa circulation sur les réseaux informatiques. Au-delà de la reproduction, les techniques numériques offrent également la possibilité de saisir le réel, c’est-à-dire de capter directement le reflet de la réalité, via un procédé numérique. Cela nous renvoie ici à l’image photographique numérique, c’est-à-dire à l’image directement saisie par un procédé d’enregistrement numérique. Par ailleurs, si l’on peut capter le réel par un procédé numérique, l’on peut également s’en affranchir en fabriquant des images purement numériques. La technique infographique permet en effet de créer des images, que l’on appelle images de synthèse. Si ces dernières reproduisent parfois la réalité avec une étonnante précision, elles peuvent aussi être de purs produits de l’imaginaire.

6Les technologies numériques facilitent, en outre, la manipulation et le traitement des images. De nombreux logiciels offrent aujourd’hui une vaste palette d’outils en matière de retouche afin de modifier la forme, la lumière ou les couleurs d’une image. Il devient possible, sans compétence technique particulière, de modifier profondément le contenu de l’image d’origine, en ajoutant ou en gommant certains de ses éléments. D’un point de vue juridique, ces techniques appellent évidemment à une grande vigilance puisqu’elles aboutissent à une distorsion du lien avec la réalité. Le vrai et le faux tendent à se confondre, avec tous les dangers que cela comporte sur le terrain du droit à l’information et des atteintes aux droits d’autrui9.

7D’autres modes de création d’images, plus complexes, sont des sortes de condensés de toutes les techniques précédentes. Les procédés de motion capture ou video morphing illustrent notamment, avec une particulière acuité, les immenses potentialités offertes par le numérique en matière d’images animées. Ces techniques, utilisées en matière cinématographique ou de jeux vidéo, consistent à créer un univers fictif avec des personnages virtuels, personnages dont la virtualité est néanmoins relative puisqu’ils utilisent le jeu et les traits physiques d’individus bien réels. La réalité et la fiction se mêlent ici grâce à la technologie numérique. Cette technique connaît de nombreuses illustrations. Elle a notamment été utilisée dans le film « L’étrange histoire de Benjamin Button » réalisé par David Fincher. Dans ce film, le visage de l’acteur Brad Pitt a été numériquement rajeuni ou vieilli afin de lui permettre d’interpréter un personnage à toutes les étapes de sa vie. Ses expressions ont été transférées sur un visage numérique en 3 dimensions puis replacées sur le corps de doublures. Ainsi, dans la motion-capture, l’image de synthèse recouvre l’image réelle mais les caractéristiques physiques, corporelles, vocales, scéniques de l’acteur restent parfaitement reconnaissables.

8De la numérisation au morphing video, l’image connaît donc de profondes mutations sous l’influence des technologies numériques. Reste alors à s’interroger sur la manière dont le droit va saisir ces nouvelles images.

La protection offerte par le droit

9Si le droit d’auteur a naturellement vocation à protéger de nombreuses images (1), sa place – et plus largement celle de la propriété – est souvent remise en question dans l’univers numérique (2).

L’image et le droit d’auteur

10Le droit d’auteur est techniquement neutre. Les conditions d’accès à la protection sont donc inchangées dans l’univers numérique. Quel que soit le mode de création de l’image, celle-ci est protégée par le droit d’auteur dès lors qu’elle peut recevoir la qualification d’œuvre de l’esprit originale.

11L’œuvre de l’esprit n’est pas définie par le législateur mais le Code de la propriété intellectuelle fournit néanmoins, à l’article L. 112-2, une liste indicative de créations susceptibles de constituer des œuvres protégées sous réserve d’originalité. Au sein de cette liste, plusieurs entrées concernent assez directement l’image. Le texte évoque notamment les œuvres de dessins ou de peinture10 ainsi que les œuvres graphiques11. Le portrait d’une personne pourra ainsi accéder à la protection, qu’il soit réalisé au trait du crayon ou à l’aide d’une palette graphique. Le Code de la propriété intellectuelle est en mesure d’accueillir assez largement les images de synthèse, bien que celles-ci ne soient pas toujours réductibles à une seule catégorie12. Au gré de leur processus de création, ces images pourront constituer des œuvres graphiques, des œuvres logicielles13 ou encore des « œuvres consistant dans des séquences animées d'images14 ». Dans tous les cas, l’automatisation du processus de création est indifférente et le principe de protection semble acquis à ces créations numériques. Le législateur évoque également « les œuvres photographiques, et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie15 ». Cette dernière précision, longtemps considérée comme mystérieuse par les commentateurs, a finalement offert au texte une souplesse bienvenue en lui permettant d’appréhender largement les reproductions visuelles au-delà de l’ère de l’argentique : « la capture numérique des formes est manifestement similaire à la fixation chimique de la lumière16 ». La photographie numérique accède donc à la protection du droit d’auteur, exactement dans les mêmes conditions que la photographie argentique. À cet égard, il n’est pas inutile de préciser que la protection des photographies par le droit d’auteur ne s’est pas, au départ, imposée avec évidence. Il a fallu attendre 1985 pour qu’elles soient soumises au droit commun du droit d’auteur17.

12La condition d’originalité se définit traditionnellement comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Ainsi entendue, l’appréciation de l’originalité ne suscite guère de difficultés en matière de dessins, de peinture ou d’œuvres graphiques. Elle est en revanche plus délicate pour les photographies. En ce domaine, l’empreinte personnelle du créateur résulte d’un ensemble de choix arbitraires opérés par le photographe : le cadrage, l’instant de la prise de vue, le contraste des couleurs, le jeu des lumières, des volumes, ou encore le choix de l’objectif ou de la pellicule. Cette conception de l’originalité a souvent conduit le juge à une grande indulgence à l’égard des photographies18 dans la mesure où tout photographe (le néophyte compris) effectue des choix. Ainsi, pendant longtemps, seule l’hypothèse où le photographe ne disposait d’aucune liberté, d’aucune marge de manœuvre, semblait en mesure d’écarter l’originalité d’une photographie. La jurisprudence fait désormais preuve de davantage de sévérité, en particulier sur le terrain de la charge de la preuve19. Il n’en demeure pas moins qu’une grande partie des images en circulation sont des œuvres de l’esprit originales, c’est-à-dire des créations protégées par droit d’auteur. La seule exclusion de principe concerne finalement l’image numérisée. En tant que « simple travail de reproduction mécanique20 », la numérisation ne s’inscrit pas, par définition, dans un processus créatif. Dépourvue de l’empreinte de la personnalité de celui qui l’a réalisée, l’image numérisée reste aux portes du droit d’auteur.

13Malgré cette exclusion, le droit d’auteur démontre une grande souplesse et une grande capacité d’adaptation. Sa neutralité technique lui permet facilement d’accueillir de nouvelles images.

L’image et les communs numériques

14Dans l’univers numérique, l’emprise du droit d’auteur est régulièrement contestée. Cette remise en cause se manifeste en particulier par un appel aux « communs ». En effet, l’émergence d’une culture de partage et de collaboration s’accommode parfois difficilement du modèle propriétaire, et notamment du droit d’auteur, qui entrave la libre utilisation des contenus. Certains prônent donc un accès ouvert, c’est-à-dire un large partage des utilités des biens immatériels. Un commun, ou bien commun, peut alors être défini comme « une ressource dont les droits d’usage sont partagés21 ». Ces biens se caractérisent par leur non-rivalité : leur utilisation ne les épuise pas et n’en prive pas d’autres utilisateurs.

15Plusieurs modèles juridiques sont susceptibles d’accueillir les communs : l’inappropriabilité, l’appropriation collective ou encore une voie médiane tendant à concilier propriété individuelle et accès aux tiers22. Cette dernière voie, qui prend appui sur la propriété, s’illustre avec le développement des licences libres. Cette expression désigne les « licences par lesquelles l’auteur autorise la copie, la modification et la diffusion de l’œuvre modifiée ou non, de façon concurrente, sans transférer les droits d’auteur qui y sont attachés et sans que l’utilisateur ne puisse réduire ces libertés tant à l’égard de l’œuvre originelle que de ses dérivés23 ». En offrant des droits étendus aux utilisateurs, une telle mise en partage des œuvres s’apparente ainsi à un « commun numérique consenti24 ». Plus fondamentalement, elle démontre que « le propre et le commun ne sont pas fatalement contradictoires25 ».

16Les licences libres sont fréquemment utilisées en matière d’images, notamment sous la forme particulière des Creative Commons. De présentation simplifiée, ces dernières offrent à l’auteur quatre options, présentées sous forme de pictogrammes, pour préciser les usages qu’il autorise. Le réseau Internet regorge aujourd’hui de banques d’images sous Creative Commons, permettant aux internautes d’utiliser, plus ou moins librement, les œuvres proposées. Dans l’univers numérique, la protection offerte par le droit d’auteur n’est donc pas toujours synonyme de réservation privative et exclusive ; elle peut s’ouvrir au partage, afin d’assurer une large diffusion des œuvres protégées.

Les enjeux relatifs à la diffusion des images.

17En matière de diffusion des images, l’enjeu principal consiste à assurer l’effectivité du droit applicable. C’est une véritable gageure au vu de la masse quasi incontrôlable d’images en circulation, de la facilité de leur reproduction, de la rapidité de leur diffusion et de l’absence de frontière sur les réseaux. Dans ce contexte, si la liberté d’expression – liberté de s’exprimer par l’image – s’épanouit pleinement sur Internet, les possibilités d’atteintes aux droits d’autrui se multiplient, sans qu’il soit toujours facile de les faire sanctionner. Ces atteintes touchent autant le droit d’auteur (A) que les droits de la personnalité (B).

Les atteintes au droit d’auteur

18Les atteintes aux droits d’auteur sont innombrables sur le réseau. Les droits moraux sont concernés au même titre que les droits patrimoniaux.

19Les droits moraux de l’auteur sont souvent malmenés dans l’univers numérique. Le recours à la technique accentue d’abord les atteintes au droit au respect de l’œuvre. Pour faciliter la circulation, le stockage et une apparition rapide à l’écran, les images sont souvent compressées. Or cette compression de l’image a des répercussions sur sa qualité et peut ainsi constituer une atteinte à l’intégrité de l’œuvre. Cette intégrité est également mise à mal par les procédés de traitement de l’image ; la jurisprudence a pu considérer par exemple que le procédé de recentrage d’une photographie, même justifié par des nécessités techniques, était attentatoire au droit moral26. Il en est de même lorsqu’une photographie est inversée, recadrée et colorisée27. De manière générale, les retouches comportent un risque d’atteinte à l’intégrité de l’œuvre.

20Le droit de paternité est également bousculé ; son respect est assez aléatoire sur le réseau. En pratique, il est vrai qu’il n’est pas toujours aisé de respecter ce droit en présence d’un produit multimédia comprenant plusieurs milliers de photographies. Le Code des usages de l’illustration photographique exige néanmoins que le nom de l’auteur soit apposé dans un environnement proche de l’œuvre ou dans une table des illustrations28. Et la jurisprudence considère qu’un crédit photographique équivaut à une absence de signature dès lors que celui-ci ne permet pas de déterminer les clichés dont chaque photographe est l’auteur. Tel est le cas par exemple lorsque le crédit photographique est mentionné en dernière page d’un ouvrage ou dans les conditions générales d’utilisation d’un site internet29.

21Enfin, pour terminer sur le droit moral, le droit de respect et de repentir se conçoit difficilement sur le réseau. Ce droit permet à l’auteur, malgré la cession de ses droits d’exploitation, de faire cesser l’exploitation de l’œuvre. Si ce droit est peu usité, il se heurte, sur Internet, à un obstacle pratique et technique. Il est en effet quasiment impossible d’effacer toute trace de ce qui circule sur les réseaux, comme l’illustre d’ailleurs le débat sur le droit à l’oubli numérique. La mise en ligne apparaît presque comme irréversible et il sera matériellement très difficile de retirer une image du web pour exercer ce droit de retrait.

22Sur le terrain des droits patrimoniaux, le droit de reproduction est fréquemment mis en cause sur Internet. La reproduction est définie par l’article L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle comme « la fixation matérielle de l’œuvre qui permet de la communiquer au public d’une manière indirecte ». Toute reproduction de l’image, sans autorisation de l’auteur, en vue de sa communication au public, constitue donc un acte de contrefaçon. En matière photographique, la reproduction s’effectue souvent par la voie de la numérisation30. À cet égard, la jurisprudence admet depuis longtemps que « la numérisation d’une œuvre […] constitue une reproduction de l’œuvre qui requiert en tant que telle, lorsqu’il s’agit d’une œuvre originale, l’autorisation préalable de l’auteur ou de ses ayants droit31 ». Si la reproduction et la représentation tendent parfois à se confondre dans l’univers numérique, certaines atteintes concernent plus spécifiquement la seconde. La représentation, qui désigne « la communication au public de l’œuvre par un procédé quelconque32 », est notamment interrogée par la pratique des hyperliens. En la matière, les juges français et européens doivent répondre à la délicate question de savoir si l’établissement d’un lien hypertexte pointant vers des œuvres protégées constitue une communication au public. Un arrêt récent, qui illustre cette problématique en matière de photographies, a donné l’occasion à la Cour de Justice de l’Union européenne de préciser sa jurisprudence33. En l’espèce, des photographies de nues, destinées à être publiées dans un magazine, avaient été mises en ligne sans autorisation, sur un site confidentiel. Un site très fréquenté dans le domaine de l’actualité avait ensuite inséré des liens hypertextes renvoyant vers ces œuvres. Dans son arrêt du 8 septembre 2016, la Cour considère que l’insertion de liens hypertextes constitue une communication au public dès lors qu’ils sont fournis dans un but lucratif, hypothèse dans laquelle la connaissance du caractère illégal de la publication doit être présumée. À l’inverse, elle décide que la personne qui appose un lien sans but lucratif ne sera responsable que lorsqu’elle savait ou devait savoir que le lien donne accès à une œuvre illégalement publiée sur Internet. Cette jurisprudence relative aux liens hypertextes illustre le subtil équilibre qui doit prévaloir lorsqu’il s’agit d’assurer la protection des droits d’auteur dans l’environnement numérique, sans pour autant entraver le réseau en soumettant tout lien cliquable à une autorisation des titulaires de droits.

Les atteintes aux droits de la personnalité

23L’essor des technologies numériques a considérablement multiplié les risques d’atteintes à la personnalité des individus. La vie privée est malmenée par les collectes massives de données issues de procédés techniques comme la géolocalisation, les RFID, le bluetooth ou les nanotechnologies. Les réseaux sociaux conduisent, quant à eux, à une permanente exposition de soi, qui brouille les frontières entre la vie privée et la vie publique. La protection des droits de la personnalité dans l’environnement numérique constitue donc un enjeu majeur pour le législateur. À côté des outils juridiques traditionnels, dont l’efficacité ne se dément pas, les textes spéciaux tendent donc à se multiplier.

24Le droit à la vie privée et le droit à l’image sont classiquement sollicités pour connaître des atteintes aux droits de la personnalité sur les réseaux. Dès 1999, les juges ont pu affirmer l’indifférence du support de publication à propos de la diffusion sur Internet de photographies du mannequin Estelle Halliday34. Depuis, ils sanctionnent régulièrement, sur le fondement de l’article 9 du Code civil, des diffusions d’images non consenties, hors du domaine de l’information légitime. Le développement des réseaux sociaux n’a d’ailleurs pas provoqué d’inflation du contentieux dans la mesure où c’est souvent la personne elle-même qui met à la disposition du public des informations relatives à sa vie privée – notamment des images – en les publiant dans le cadre du réseau social. Nombre d’images sont néanmoins publiées par des tiers, en particulier des « amis », sans que le consentement de la personne représentée ne soit recueilli. Dans cette hypothèse, il n’est pas toujours facile d’obtenir le retrait de l’image litigieuse. Facebook, par exemple, se contente d’offrir la possibilité de supprimer l’identification par tag, c’est-à-dire la possibilité de couper le lien entre l’image publiée et le nom de la personne représentée. Le meilleur moyen reste alors d’obtenir le retrait de l’image par la personne à l’origine de la mise en ligne. Outre les diffusions non autorisées de photographies, le fondement du droit à l’image est également utilisé pour sanctionner les manipulations numériques d’images. Ainsi en est-il pour une salariée qui avait accepté que son employeur utilise sa photographie pour une publicité sur le site Internet de la société, sans admettre pour autant une animation de son visage, par un procédé informatique, lui faisant faire des clins d’œil35.

25Indépendamment du droit à l’image, d’autres fondements classiques peuvent prospérer en présence de retouches numériques. La responsabilité civile de l’article 1240 est, par exemple, susceptible d’être mobilisée lorsqu’un montage est attentatoire à l’honneur ou à la considération d’une personne. Le droit pénal offre, quant à lui, un fondement intéressant avec le délit « de montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne sans son consentement36 ». Ce texte n’est toutefois applicable que « s’il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un montage ou s’il n’en est pas expressément fait mention ». Le montage doit donc être suffisamment subtil pour induire le doute dans l’esprit du public. Pour un montage grossier, il faudra se tourner vers d’autres incriminations pénales comme la diffamation ou l’injure publique, quitte à les entendre assez largement37.

26Au-delà de ces fondements classiques, le législateur multiplie les interventions ponctuelles pour tenter de contenir les dangers que recèlent les innovations technologiques en matière d’atteintes à la personnalité. Tel est le cas en particulier avec la création du délit d’usurpation numérique, issu de la loi du 14 mars 201138 ou encore, plus largement, avec la loi pour une République numérique du 7 octobre 201639. Ce dernier texte comporte un titre relatif à « la protection des droits dans la société numérique », au sein duquel un chapitre est consacré à « la vie privée en ligne ». De nouveaux droits sont ainsi reconnus aux individus dans l’univers numérique. Le législateur consacre notamment un droit à l’autodétermination informationnelle en affirmant que « toute personne dispose du droit de décider et de contrôler les usages qui sont faits des données à caractère personnel la concernant, dans les conditions fixées par la présente loi ». Cette disposition trouvera facilement à s’appliquer en matière d’image, cette dernière s’apparentant sans difficulté à une donnée à caractère personnel. Le législateur consacre également un droit à l’oubli numérique pour les mineurs40 ainsi qu’un emblématique droit à la mort numérique. Indépendamment de ces nouveaux droits, la loi crée un délit spécifique en matière de vengeance pornographique, introduit à l’article 226-2-1 du Code pénal. Ce nouvel arsenal législatif offre un certain nombre de réponses adaptées à l’état actuel de la technologie. Nul doute néanmoins qu’il évoluera encore – bientôt, et sans doute souvent – pour tenter de suivre le rythme effréné de la technique.