1La création et la circulation de l’image sont toutes deux soumises au principe de la liberté. D’expression ou de création, la liberté est effet la règle. La liberté d’expression est consacrée par divers textes1 et elle est une liberté fondamentale, d’autant plus précieuse que, selon le Conseil constitutionnel, « son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale »2. La liberté de création, proche de la précédente au plan notionnel, mais néanmoins distincte et complémentaire, est également une liberté fondamentale3. Elle a d’ailleurs été formellement consacrée par la loi du 7 juillet 20164. En principe donc, l’image peut être librement créée et peut librement circuler.

2Mais, quoique fondamentales, libertés de création et d’expression peuvent être limitées dès lors que l’ordre public est menacé. Le principe même de ces limites est ancien : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi »5 : confrontées à l’ordre public, la création et la circulation (ou diffusion) de l’image peuvent donc être juridiquement restreintes. Pourquoi, comment et avec quelles conséquences ? On verra que l’image peut, d’une part, être contrôlée pour prévenir un trouble à l’ordre public (I) et, d’autre part, être condamnée pour préserver l’ordre public (II).

L’image contrôlée pour prévenir le trouble à l’ordre public

3Prévenir le trouble à l’ordre public, c’est faire en sorte que l’image produite et diffusée ne heurte pas la sensibilité supposée ou réelle de chacun, ou encore ne contrevienne pas à la réglementation applicable. De manière plus indirecte, et sans doute plus insidieuse aussi, c’est, en amont, prendre en considération les attentes du public pour créer et diffuser une image qui est celle qui « fonctionnera » auprès de lui6. Ainsi, qu’il opère par autorisation (A) ou par anticipation (B), le contrôle n’en est pas moins patent.

Le contrôle par interdiction ou autorisation

4Le contrôle par interdiction ou autorisation prend des formes variées, qui ne peuvent pas toutes être décrites ici. Deux méritent d’être mises en exergue.

Le contrôle par souci d’esthétique

5Quoique non consacré comme l’une des composantes de l’ordre public général puisque celui-ci se limite à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques7, l’ordre public esthétique n’en est pas moins juridiquement appréhendé. D’abord par la loi, notamment en matière environnementale, même s’il n’est pas visé en tant que tel. Ainsi les articles L. 581-1 et s. du Code de l’urbanisme encadrent-ils l’installation de publicités et d’enseignes avec le souci « d’assurer la protection du cadre de vie »8 ; ils autorisent en conséquence le maire ou le préfet à interdire toute publicité sur des immeubles présentant un caractère esthétique9. L’ordre public esthétique est ensuite saisi via une interprétation large et extensive des éléments traditionnels qui le composent. Des arrêts du Conseil d’État l’ont à ce titre favorablement accueilli au début du XX^e siècle10. Surtout, des motifs d’ordre esthétique sont au nombre de ceux qui peuvent justifier des mesures de police administrative11 et, partant, des limites aux libertés individuelles12. Ce mouvement conduit certains auteurs, comme M. Delvolvé, à parler de « police de l’esthétique » ou de « police spéciale de l’esthétique13 », laquelle consiste « à assurer le maintien de l’ordre du beau14 ».

Le contrôle par souci de protection de l’enfance, de la jeunesse et de la dignité humaine

6C’est d’image filmée dont il est ici question, à travers la procédure de délivrance des visas d’exploitation cinématographique. Selon le Code du cinéma et de l’image animée (CCIA), la représentation des films cinématographiques est subordonnée à l’obtention d’un visa délivré par le ministre chargé de la Culture15, après avis de la commission de classification du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée. Dans le but de prévenir la réalisation du délit de mise en péril des mineurs16, la diffusion des films est en effet soumise à une procédure d’autorisation qui confère au ministre de la Culture des pouvoirs de police administrative spéciale17. En pratique, il est rare que le ministre ne suive pas la proposition de la Commission. Il est également rare que la diffusion des films soit purement et simplement interdite18. Mais le visa d’exploitation peut s’accompagner de mesures de classification, voire d’avertissements. Au titre des premières, la représentation du film peut être interdite au visionnage de certains mineurs, en fonction de leur âge. L’œuvre peut conséquemment être interdite aux mineurs de moins de 12, 16 ou 18 ans19 avec, s’agissant des films à caractère pornographique ou d’incitation à la violence, des mesures restrictives complémentaires les soumettant à un régime très strict, sinon coercitif, de prohibition20. Au titre des seconds, le visa peut être assorti d’un message destiné à l’information du spectateur, portant sur le contenu ou les particularités de l’œuvre ou du document concerné21.

7La délivrance du visa d’exploitation étant succinctement rappelée, il faut dire quelques mots du contrôle opéré par le juge administratif22, lequel peut être saisi soit par les exploitants du film (producteurs et distributeurs), soit par des associations de protection de la jeunesse23. La jurisprudence, peu abondante mais mouvante24, montre qu’avant la réforme, deux critères étaient pris en considération de manière combinée : le degré de violence et la présence de scènes de sexe non simulées, d’une part25 ; l’intention artistique de l’auteur du film, d’autre part26. Ces critères ont été en partie confirmés par le décret du 8 février 2017, qui fait suite au rapport Mary27 commandé au président de la Commission de classification des films par la iinistre de la Culture Fleur Pellerin après les controverses suscitées par plusieurs annulations de visas d’exploitation, dont celle du film Love. Il en résulte que, comme par le passé, il appartiendra à la jurisprudence de fixer les critères d’appréciation des classifications les moins prohibitives (mineurs de 12 ans et de 16 ans), la loi ne les fixant toujours pas. On peut y voir une source de flexibilité (et donc d’adaptabilité à l’évolution des mœurs) mais aussi, plus négativement, une source d’insécurité juridique… Le changement est plus notable pour la classification conduisant à l’interdiction aux moins de 18 ans. En application de l’ancien article R. 211-12 CCIA, devait en effet être interdit le film qui comportait des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence mais qui, par la manière dont elles étaient filmées et la nature du thème traité, ne justifiaient pas une inscription sur la liste des films X. En d’autres termes, comme l’affaire Love l’a montré, de tels films devaient nécessairement être interdits aux mineurs, soit par le biais d’une interdiction « simple », soit par le biais d’un classement X. Le nouvel article R. 211-12 CCIA fixe des critères qui permettent une appréciation et une classification à la fois plus « fines » et plus sûres. Il met, d’une part, l’accent sur « l’accumulation » des scènes de violence, ce qui permet une gradation dans l’interdiction si ces scènes ne sont pas très fréquentes28, mais suppose d’apprécier ladite fréquence : à partir de quand sera-t-elle caractérisé ? D’autre part, il impose l’interdiction lorsque le film présente la violence sous un jour favorable ou en la banalisant : dans ce cas, le visa d’exploitation doit nécessairement être accompagné d’une mesure d’interdiction simple ou d’un classement X29. Mais, et c’est aussi une nouveauté, la classification du film peut de surcroît être modulée s’il adopte un parti pris esthétique ou si le procédé narratif sur lequel il repose le justifie : l’interdiction aux mineurs pourra alors être écartée et la représentation autorisée pour les plus âgés30, comme cela avait déjà été le cas dans l’affaire La vie d’Adèle, seulement interdit aux moins de 12 ans car les scènes s’inséraient « de façon cohérente dans la trame narrative globale de l’œuvre […] dont l’ambition [était] de dépeindre le caractère passionné d’une relation amoureuse entre deux jeunes femmes »31. Le texte confère, là encore, une importante marge d’appréciation au ministre et à la Commission de classification des films, auxquels il appartiendra de fixer des critères efficaces et cohérents pour permettre de trouver le point d’équilibre entre liberté d’expression et protection de la jeunesse.

L’autocontrôle par anticipation

8Si la création et la circulation de l’image (plus la circulation que la création d’ailleurs) peuvent être entravées par une décision d’autorité fondée sur l’ordre public, il se peut aussi que l’image soit affectée en amont, sans intervention de l’autorité publique mais par simple anticipation de contraintes liées, de près ou de loin, à l’ordre public.

9Cet ordre public « anticipé » peut d’abord être économique. Il en va ainsi des prescriptions du droit de la consommation, qui encadrent la publicité comparative : certaines images sont permises tandis que d’autres ne le sont pas, notamment lorsqu’elles dénigrent le concurrent. Tel est le cas de l’image publicitaire qui met exclusivement en avant une caractéristique négative du produit d’un concurrent en le présentant dans des conditions de nature à jeter le discrédit sur celui-ci, par exemple en stigmatisant son caractère polluant32. Afin d’éviter un litige, les annonceurs intègrent nécessairement ces règles, ce qui n’est pas sans conséquence sur la conception de l’image.

10La volonté d’éviter tout risque de contentieux peut aussi conduire à retoucher l’image déjà créée afin d’en permettre la diffusion. L’affaire de l’affiche de l’exposition Jacques Tati, deux temps, trois mouvements, à la Cinémathèque en 2009, est de ce point de vue particulièrement éloquente. On y voyait le cinéaste à bicyclette, fumant la pipe. Afin d’être en conformité avec la loi Évin du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, la RATP a refusé de voir ces affiches sur les murs du métro parisien pour ne pas risquer d’être associée à la promotion du tabac. Et si finalement les affiches ont bien été exposées, c’est sans la pipe… De même, la RATP a-t-elle refusé de voir exposées les affiches de la série Ainsi soient-ils d’Arte : en cause, des allusions sexuelles très présentes qui pouvaient heurter la religion et les bonnes mœurs…33. Là aussi, l’image affichée a été retouchée et « adoucie ». La RATP n’est d’ailleurs pas la seule à avoir fait preuve de frilosité. En octobre 2010, l’exposition Kiss The Past Hello au Musée d’art moderne de Paris, consacrée aux œuvres du photographe Larry Clark, a suscité le même type de réaction de la part de la ville, qui l’a en conséquence interdite aux moins de 18 ans. Avec cet argument : lorsque des images peuvent être contestées pour leur contenu, l’interdiction à l’égard d’un certain public est un pis-aller qui doit être privilégié afin de préserver l’intégrité de l’œuvre de l’artiste et de protéger la jeunesse. En réalité, le long feuilleton judiciaire qui, quelques années auparavant, avait suivi l’exposition Présumés Innocents n’est vraisemblablement pas étranger à cette décision. Cette exposition, organisée à Bordeaux en 2000, interrogeait sur la place de l’enfant dans l’imagerie contemporaine. Ayant provoqué l’ire d’une association catholique de protection de l’enfance, les organisateurs ont été mis en examen pour « diffusion de message violent, pornographique ou contraire à la dignité accessible à un mineur » et « diffusion de l’image d’un mineur présentant un caractère pornographique34 ». S’ils ont finalement été relaxés, leur mésaventure a sans aucun doute marqué les esprits et incité la ville de Paris à la prudence.

11Tous ces cas montrent que l’image est effectivement contrôlée pour prévenir le trouble à l’ordre public : contrôle par l’autorité publique lorsqu’elle n’autorise pas la diffusion de l’œuvre, ou la restreint ; autocontrôle quand il s’agit de se conformer au droit existant, ce qui peut conduire à l’autocensure dans la crainte d’un procès. Les libertés de création et d’expression artistiques sont alors, indéniablement, limitées. Mais l’image n’est pas seulement contrôlée ; elle est également, parfois, condamnée.

L’image condamnée pour préserver du trouble à l’ordre public

12Il s’agit ici de voir quelques manifestations de cet ordre public qui entraînent la condamnation, pénale ou civile, de l’auteur de l’image. Deux d’entre elles doivent être distinguées : l’image constitutive d’une injure religieuse (A) et l’image atteinte à la dignité humaine (B).

L’image, injure à caractère religieux

13L’image qui, exprimant une opinion, met en cause une religion peut-elle être pénalement condamnée ? On va voir que si la condamnation est possible en droit français35 (1), c’est néanmoins une voie étroite car le principe de liberté d’expression doit primer (2).

Une voie de condamnation possible

14L’image peut être pénalement condamnée par application de la loi sur la liberté de la presse. L’article 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse énonce en effet que « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure. » L’article 33, alinéa 3, tel que modifié par la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, ajoute que l’injure « envers une personne ou un groupe de personnes à raison […] de leur appartenance ou de leur non-appartenance à […] une religion déterminée » est punie d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Ces textes doivent être interprétés conformément aux règles du droit pénal, c’est-à-dire en respectant les principes de la légalité criminelle36 et d’interprétation stricte de la loi pénale37. Cela rappelé et compte tenu du principe à valeur constitutionnelle de la liberté d’expression, qui doit prévaloir38, quelle image est susceptible de tomber sous le coup de la loi pénale ?

Une voie de condamnation étroite

15La voie de condamnation est ténue en raison de strictes conditions posées par les textes.

L’élément matériel de l’infraction

16S’agissant de l’élément matériel de l’infraction, l’article 33 incrimine, on l’a dit, l’injure commise « envers […] un groupe de personnes ». Faut-il en déduire que l’image doit avoir offensé l’ensemble de tous les coreligionnaires ? Que c’est l’ensemble d’une communauté religieuse qui doit être atteinte (et non certains de ses membres) ? Et qu’à défaut, l’infraction ne serait pas constituée ? C’est clairement en ce sens que s’est prononcée la Cour de cassation dans plusieurs arrêts. Ainsi dans l’affaire dite de la Sainte-Capote. En l’espèce, un prospectus informant d’une réunion de prévention du SIDA associait la représentation d’une religieuse à celle d’un angelot avec un arc et sa flèche ainsi que deux préservatifs, le tout accompagné du slogan suivant : « Sainte Capote protège-nous ». La Cour d’appel avait retenu l’injure au motif que le tract avait eu « pour effet de créer un amalgame provocateur et de mauvais goût ayant pu être ressenti comme une offense envers la communauté catholique en raison de sa croyance et de ses pratiques39 ». La Cour de cassation a censuré son arrêt au motif que « si le tract litigieux a pu heurter la sensibilité de certains catholiques, son contenu ne dépasse pas les limites admissibles de la liberté d’expression40 », ce qui revient à écarter la qualification d’injure parce que la communauté religieuse dans son ensemble n’a pas été offensée.

17Par ailleurs, si l’on considère la ratio legis du texte d’incrimination, qui vise « une personne ou un groupe de personnes41 » en raison de leur appartenance religieuse, il faut en déduire, comme le fait la jurisprudence, que c’est bien l’honneur de la personne ou du groupe de personnes qui doit être attaqué pour que l’injure soit pénalement sanctionnée, et non le sentiment religieux en tant que tel, les croyances ou la sensibilité42. Ainsi, dans l’affaire dite des Caricatures de Mahomet, la cour d’appel de Paris a-t-elle jugé que l’injure réprimée est « une attaque personnelle et directe dirigée contre un groupe de personnes à raison de leur appartenance religieuse », ce qu’elle n’était pas en l’espèce puisque les caricatures poursuivies avaient « par leur publication, participé au débat d’intérêt général sur la liberté d’expression mise à mal par la polémique, les intimidations et certaines réactions suscitées par leur diffusion par le journal danois43 ».

18Enfin, la Cour de cassation rappelle fréquemment que les restrictions à la liberté d’expression doivent être interprétées strictement, ce qui la conduit à exclure l’injure lorsque l’image s’inscrit dans un débat. Tel était le cas dans l’affaire jugée le 2 mai 200744, faisant suite à la publication dans le journal Libération, d’un dessin représentant le Christ en gloire, nu, portant un préservatif, vers lequel se dirigeaient les regards d’un groupe d’évêques, dont l’un, blanc, déclarait à un autre, noir que « lui-même aurait sans doute utilisé un préservatif ! ». La Haute juridiction approuve la Cour d’appel d’avoir débouté la partie civile de ses demandes et d’avoir jugé que « si ce dessin a pu heurter la sensibilité de certains chrétiens ou de certains catholiques, son contenu, qui illustre un débat entre cardinaux sur la nécessité de se protéger du SIDA et entend frapper le lecteur sur le fléau que le virus représente notamment en Afrique, ne dépasse pas les limites admissibles de la liberté d’expression garantie par la Convention européenne des droits de l’homme ».

L’élément moral

19L’infraction d’injure étant intentionnelle, il ne peut y avoir injure que si l’agent a eu conscience que l’image pouvait offenser des personnes en raison de leur appartenance religieuse. L’analyse de la jurisprudence montre que, pour faire prévaloir le principe de la liberté d’expression, « les juges semblent plus exigeants quant à la définition de l’intention criminelle » puisqu’ils exigent l’intention d’offenser et non la simple conscience d’offenser45. C’est patent dans le jugement du TGI de Paris qui, à propos des caricatures de Mahomet, relève que le contexte et les circonstances de la publication de la caricature litigieuse apparaissent exclusifs de toute volonté délibérée d’offenser directement et gratuitement l’ensemble des musulmans46.

20On le voit, l’image peut en théorie constituer une injure à caractère religieux et entraîner à ce titre la condamnation de son auteur. Mais le texte pose des conditions qui, conformément aux règles d’interprétation en matière pénale, sont lues strictement par les juges, ce qui permet de préserver la liberté d’expression.

L’image, atteinte à la dignité humaine

21La dignité humaine est également protégée au titre de l’ordre public via différents textes, dont l’article 227-24 Code pénal, déjà évoqué. Mais ce n’est pas le seul texte, loin s’en faut. Ainsi, au plan civil, l’article 16-1-1, alinéa 1^er, du Code civil énonce que le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort et ajoute, dans le second alinéa que « les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence47 ». Or cette disposition a, par le passé, été invoquée par deux associations qui, à l’occasion de l’exposition Our Body, à corps ouvert48, alléguaient un trouble manifestement illicite et demandaient sa cessation par voie de référé. Selon les premiers juges, les conventions ayant pour effet de commercialiser le corps humain étant interdites, il s’en infère que la commercialisation des cadavres exposés réalise aussi, nécessairement, une telle atteinte49. Si la Cour d’appel confirme la condamnation, c’est néanmoins en menant un autre raisonnement, puisqu’elle reproche à l’organisateur de l’exposition de n’avoir pas apporté la preuve de l’origine licite du consentement des personnes à l’utilisation future de leur cadavre50. Et la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre cet arrêt en raisonnant encore différemment puisqu’elle juge que l’exposition de cadavres à des fins commerciales méconnaît l’exigence selon laquelle les restes des personnes décédées doivent être traités avec respect, dignité et décence51. Autrement dit, l’exposition à finalité commerciale de tels restes doit être censurée : comme l’a si bien dit un auteur, « le respect dû à l’humain ne peut s’accommoder d’un traitement marchand de la dépouille mortelle52 ». Mais la représentation qui poursuivrait un autre but – scientifique, par exemple – serait autorisée, ce qui montre que le juge a une analyse conciliante et compréhensive des intérêts en présence.

22Ainsi, au-delà de ces divergences dans l’argumentation, on constate, ici comme précédemment, un point de convergence : si l’image peut en principe être créée et diffusée librement, le nécessaire respect de l’ordre public, quels que soient ses contours, vient indéniablement borner cette liberté. Mais entre ces deux extrêmes, le point d’équilibre est, au gré des litiges, fixé par le juge. Or, celui-ci élabore une jurisprudence globalement bienveillante à l’égard des libertés de création et d’expression. On ne peut que s’en féliciter.