Introduction

1La partie précédente mettait en évidence la foi accordée aux images quand celles-ci pouvaient être employées dans les procès et le trouble semé par les vrais-faux procès filmés pour une émission de télévision. Le statut de preuve « véritable » repose très souvent sur la réduction des intermédiaires entre l’image produite et son émetteur. La preuve idéale serait presque une image acheiropoïète, une image-empreinte, sans intervention de la main humaine. L’idée qu’une image produise un effet de vérité se fonde très souvent sur son caractère mimétique. C’est sur lui que s’appuie bien souvent la force performative qu’on veut bien attribuer aux images et c’est souvent lui aussi qui est à l’origine d’une critique ou d’un geste iconoclaste.

2L’iconoclasme, ici envisagé à travers des exemples moins canoniques que les cas byzantins ou protestants, peut apparaître ici comme un cas limite. Pourtant c’est bien le droit canon qui, en Europe, fut un des premiers à statuer sur l’interdiction de porter atteinte aux saintes images, et plus encore ce sont, au XVI^e siècle, les villes et les principautés protestantes qui légiférèrent sur le retrait ou la conservation de celles-ci. Il ne s’agit pas ici de revenir sur les mécanismes de l’iconoclasme qui ont été parfaitement explorés, mais plutôt de voir où intervient le rejet des images, sur quels arguments juridiques se fonde leur interdiction ou leur destruction. Les images détruites ne le sont pas toujours pour des raisons religieuses. Plusieurs cas analysés ici s’intéressent bien au contraire aux portraits ou aux images-empreintes de personnes qui occupent une charge ou une fonction essentielle dans la cité ou dans un royaume. Les personnes dignes d’être remémorées ou commémorées sont aussi celles dont l’image et le nom sont les plus menacés par un geste d’effacement : la damnatio memoriae (M. Prusac) des portraits impériaux, les sceaux brisés (B. Bedos Rezak). De même, ce ne sont pas toujours les figures divines qui sont visées par les grattages étudiés par Dominique Clévenot ou par Hervé Inglebert. Le point commun de ces cas demeure la question de la ressemblance, qui se pose aussi bien dans la sculpture ou la miniature que par contact dans le cas des sceaux. Cette question de la mimesis est donc, bien avant d’être érigée en critère esthétique d’un art naturaliste, une question juridique. La destruction, dans le cas particulier des sceaux, est aussi un gage de foi, « un engagement mutuel entre la matrice du sceau, la vie et la personne » (B. Bedos-Rezak) puisque la destruction des matrices permet de garantir l’authenticité des actes signés par ce biais.

3Étudier ainsi la destruction des images ou les discours sur celle-ci permet d’envisager les enjeux juridiques d’une pratique longtemps conçue comme une question purement théologique ou anthropologique, de définir les frontières entre le légal et l’illégal, le licite et illicite (H. Inglebert), laissant entrevoir un choix d’actions infra-juridiques complexe et fécond. Les périodes de transitions entre monde païen et monde chrétien étudiées par Julio Cesar Magalhães de Oliveira ou encore par H. Inglebert sont des moments non seulement de retrait voire de destruction, mais surtout de recomposition du regard porté sur l’image, de réflexion féconde sur leur statut, leur pouvoir, parfois leur prestige et leur séduction que l’on peut réguler par le droit. Le geste iconoclaste a alors valeur d’exécution d’une sentence.