Introduction

1Le droit romain et ses interprétations inscrivent dans la durée l’idée qu’il existe des images qui produisent des effets de droit. L’une d'elles apparaît à l’époque romaine : elle est à l’effigie de l'empereur. Ce droit puissant accordé à une image est réaffirmé dans l’Antiquité tardive pour les statues impériales, destinées à protéger l’esclave en fuite puis le citoyen. Il est explicité dans les discours d’une statue parlante, prenant vie comme une autorité véritable (C. Michel d'Annoville et A. Stoehr-Monjou)

2Le socle antique que constitue le ius imaginis est plus que jamais convoqué à la fin du Moyen Âge et surtout à l’époque moderne. Porté par la reviviscence du droit romain dans une grande partie des cours et des universités européennes, ce droit est largement réinvesti par les juristes de l’époque moderne pour repenser leur propre usage des images. Non pas tant pour réfléchir au portrait qui, certes connaît un retour en force à la Renaissance, mais surtout pour qualifier, définir et penser des pratiques visuelles qui jalonnent la vie sociale du Moyen Âge et de l’époque moderne : insignes, emblèmes, mais surtout blasons ou encore sceaux, font partie d’un ensemble de signes visibles lestés d’une signification et d’une force juridiques. Ce droit des images, dont le droit d’armoirie constitue une des branches, régit l’usage, la forme, la possession de bannière, d’armoiries, de trophées qui sont disposés tant dans les espaces domestiques que publics.

3Les armoiries, tout particulièrement, du fait de leur « abstraction héraldique1 » condensent une généalogie familiale et combinent à elles seules, le nom, le lignage et la maison (A-L. Connesson). C’est pour cette raison qu’elles sont au cœur de nombreux litiges et de conflits : contestation des armoiries, usurpation de celles-ci, elles sont aussi la cible privilégiée des condamnations juridiques des personnes bannies. Même si la sentence n’est pas toujours exécutée par le magistrat, ce sont souvent les partisans du camp adverse qui se chargent de la mettre en œuvre à travers des bûchages ou des destructions. Parce que ces images agissent comme des preuves du lignage, des preuves d’autant plus fortes qu’elles semblent se passer de mots, parce qu’elles rendent visibles ce qui est difficile ou du moins fastidieux de faire voir par d’autres moyens (le lignage, la détention d’une charge ou d’une dignitas), elles sont par excellence l’objet de réflexion des juristes. Bartole de Sassoferrato et son traité De Insigniis et armis constitue la référence incontournable à la fin du Moyen Âge en proposant des définitions précises des significations et fonctions de l’héraldique (N. Ramsay). À la fois marque d’une personne absente et d’une lignée invisible, l’armoirie dit aussi la légitimité d’une famille à exercer une charge au sein d’une cité ou d’un gouvernement, « l’expression publique et juridiques de prérogatives sociales, politiques ou fiscales » (L. Hablot). C’est pour cette raison qu’elles doivent être montrées, diffusées, exposées, puisque comme l’a souligné Peter Goodrich, la « représentation de la légitimité doit se faire par le moyen de signes légitimes2 » rendant visible l’organisation et la structuration d’un ordre invisible.

4Fortement associés à l’héraldique qu’ils utilisent parfois, les tableaux et arbres généalogiques, bien qu’ils soient le plus souvent disposés dans des livres coûteux commandés par les familles elles-mêmes, entendent eux aussi faire voir une succession d’ancêtres prestigieux, sélectionnés et hiérarchisés – n’est retenue en général que la branche agnatique. Ils permettent aussi de faire preuve sans pour autant posséder un statut juridique comparable au droit d’armoirie (V. Bauer). Dans tous les cas, ce type d’image qui fait preuve, soit dans un conflit juridique soit dans une querelle territoriale, met en jeu de manière cruciale la question du pouvoir de ces images, lequel repose sur ce que l’image rend présent. Cette question des marques de présence ne concerne que des personnalités juridiques ou des individus issus de catégories socialement situées. En effet, l’image qui produit des effets juridiques (devises, sceaux, insignes, armoiries) ne renvoie et ne rend présents que ceux qui par leur naissance, leurs actions, leurs œuvres ou leurs vertus possèdent une dignité sociale dans les deux sens du terme : celui d’office ou de charge mais aussi celui de reconnaissance, ceux qui sont dignes de rester en mémoire et d’occuper les espaces public et privé.