1 L’enquête présentée ici s’insère dans ce qui est devenu trop rare : un chantier collectif. Elle souhaite contribuer à nourrir les réflexions sur lesquelles repose le programme de recherche portant sur les listes d’attributions de reliques des catacombes (Monseigneur sacriste et la custode du vicariat) – on en rappellera les grands traits, pour situer le sens et les limites du motif germanique ajouté ici à cette mosaïque commune.

2Il s’agit, d’une part, d’établir une géographie évolutive de certains comportements religieux à partir des rapports qu’ils entretiennent avec le centre romain. Ce travail, qui peut être mis en relation avec d’autres entreprises consacrées aux flux pèlerins1 ou aux brefs pontificaux accordés aux confréries2, met en valeur le poids et l’évolution des secteurs géographiques composant la catholicité. L’aire germanique s’y caractérise au XVIII^e siècle par un maintien important, voire une progression, de pratiques dévotionnelles plus précocement dévaluées en France, par exemple. C’est dans ce cadre général que s’insèrent les remarques qui vont suivre, et qui concernent l’espace germanique au sens large, pays des Habsbourg compris.

3Il s’agit d’autre part de suivre sur place la signification précise des pratiques repérées par grandes masses dans les sources romaines. En l’occurrence, l’utilisation des reliques romaines, pour un culte public, pour un usage dévotionnel privé, voire dans des buts thérapeutiques, de même que l’évaluation de la réussite ou de l’échec connus par cette « greffe », demandent une étude de terrain axée sur quelques exemples précis, qui seule peut donner son sens à la pesée générale évoquée précédemment. Sauf de manière marginale, ce n’est pas à ce travail qu’on se livrera ici – en partie parce que la bibliographie au sujet des reliques rapportées par les nobles allemands est indigente.

4 Il s’agit enfin, à un niveau intermédiaire par rapport aux deux précédents, de replacer la diffusion des reliques romaines dans des espaces sociaux de réception. En envisageant l’ensemble de la noblesse germanique, c’est cette voie que nous avons empruntée. Une telle approche montrera que les pratiques dévotes, en particulier en Allemagne, et singulièrement dans la noblesse, sont inséparables de la construction de groupes sociaux, de leurs désirs de distinction, de leurs solidarités, de leurs hiérarchies et de leurs réseaux. Dans l’Allemagne moderne, le catholicisme n’est pas seulement acte de foi, il est également l’expression d’une référence confessionnelle qui, dans le cadre de la constitution de l’Empire (et en particulier des traités de Westphalie de 1648), est fondamentalement liée aux statuts politiques, aux orientations sociales, aux constructions culturelles. En quoi la structure complexe de la noblesse catholique germanique permet-elle de comprendre l’espace social de réception des reliques des catacombes, voilà l’interrogation qui guide notre contribution au travail collectif sur les corps saints romains.

5Pour répondre à cette question, le travail de Madame Le Hénand avait fourni 885 notices d’attributions, sélectionnées en fonction de leur origine germanique (Saint-Empire) et du caractère nobiliaire des récipiendaires. Identifier les lignages concernés par ces attributions ne fut pas chose facile. Combinant les différents accents locaux allemands et le filtre d’une oreille italienne, l’orthographe des noms mentionnés ne permet qu’assez rarement une identification immédiate. Confronté, par exemple, à l’énoncé d’un nom comme Truchsess von Waldburg-Zeil ou Truchsess von Waldburg-Wolfegg, le préposé au registre choisit tantôt de s’arrêter au début (Trachsei ou Truxes), tantôt de se contenter de la fin (De Welfegg), tantôt d’improviser une variante originale du tout (de Truxes de Zuil, Trachseph de Volfegg). Le « H » dur se transforme parfois en « G », le « W » allemand, prononcé comme notre « V », est souvent transcrit effectivement par un « V », le « Ü » (prononcé comme notre « U »), inconnu aux Italiens, est contourné par des voies diverses : les Künigl deviennent ainsi Kinigl, Khinighil, ou Kynigl. Le scribe fait parfois du zèle : entendant « von Fünfkirchen », ce qui signifie littéralement « de cinq églises », il inscrit « de Cinque Chiese », la mention du diocèse de Vienne venant heureusement sauver la mise. Grâce à la mention (souvent absente ou incomplète) du prénom, du titre, d’une dignité ecclésiastique ou autre, il a cependant été possible, en croisant les notices et en ayant recours aux listes d’évêques3, de chanoines4, d’élèves du collegium germanicum5, à un dictionnaire de noblesse6, aux généalogies disponibles7 et à une petite dose d’intuition, d’identifier la famille dont il était question pour 628 de ces 885 notices, et même de situer précisément le personnage, soit dans une institution ecclésiastique, soit dans la généalogie de sa famille, soit les deux à la fois, pour 282 notices.

6Ces 628 notices « identifiées » vont de 1657 à 1784. Cependant, si 22,13 % d’entre elles se répartissent entre 1657 et 1696 et 12,42 % concernent la période 1727-1784, près des deux tiers (65,45 %) se concentrent sur trente ans seulement, de 1697 à 1726. Les résultats qui vont suivre sont donc plus un instantané qu’une courbe de progression : ils reflètent avant tout une période cruciale pour l’histoire de la noblesse allemande catholique, celle d’une recomposition autour des Habsbourg de Vienne.

7Tous les chiffres dont il sera question par la suite portent sur ce corpus de 628 attributions identifiées, soit 70,96 % des notices disponibles – certaines des identifications étant d’ailleurs entachées d’un doute raisonnable. Voilà qui réduit la portée des indications chiffrées, mais dans une proportion qui ne semble pas dirimante. Voilà qui délimite également le contour des deux références statistiques principales : le nombre d’attributions d’une part (628), le nombre de lignages recevant ces attributions d’autre part, qui est lui de 322, certains apparaissant plusieurs fois dans la liste selon une distribution qui sera analysée le moment venu.

8Afin d’exposer le sens que nous avons essayé de conférer à ces chiffres, nous procéderons en plusieurs étapes. La première consistera à évaluer la répartition des attributions entre plusieurs groupes de noblesse et à établir ainsi une géographie spatiale et sociale de la noblesse catholique recevant des corps saints. La seconde étape s’attachera à montrer que quelques chemins vont à Rome mieux que les autres et que la liste des attributions permet de repérer des voies privilégiées d’accès aux reliques romaines. Dans un troisième temps, c’est la densité différentielle de la réception qui sera mise en avant, c’est-à-dire le nombre et le type d’attributions par lignage, qui dessinent des parallèles remarquables entre hiérarchie sociale, position institutionnelle et réception des corps saints. La dernière partie, enfin, rassemblera les résultats précédents dans une étude de réseau qui nous permettra de qualifier l’espace de réception des corps saints en relation avec l’émergence, contemporaine, d’une noblesse impériale catholique d’un nouveau type.

Une géographie sociale et spatiale

9Notre premier soin sera de présenter les différents groupes de noblesse concernés par les attributions de corps saints des catacombes. Cette répartition s’inscrit bien sûr dans l’espace de l’Allemagne catholique soit, grossièrement, le sud et l’ouest du Saint-Empire. Mais elle permet de distinguer, au sein du vaste ensemble des noblesses immédiates, c’est-à-dire relevant directement de l’empereur bien que ne vivant pas sur les terres des Habsbourg, et médiates, c’est-à-dire soumises à un prince territorial, y compris aux Habsbourg dans leurs territoires8, des groupes bien individualisés et relativement peu nombreux. Cinq groupes ont pu ainsi être isolés, regroupant à eux seuls 93 % des attributions – le reste se partage entre diverses noblesses territoriales souvent proches de celles dont il va être question.

10Le premier de ces groupes, la noblesse chapitrable de Westphalie9, permettra de mieux préciser les critères selon lesquels les groupes ont été distingués. Elle se caractérise en effet par son statut, son ancienneté, et sa spécialisation sociale. Son statut d’abord : il s’agit certes d’une noblesse médiate, celle des États ecclésiastiques westphaliens, c’est-à-dire avant tout les principautés-évêchés de Münster et de Paderborn. Mais cette noblesse territoriale dispose d’une autonomie, d’une puissance et d’une dignité particulières grâce à sa spécialisation sociale : peuplant les chapitres cathédraux westphaliens, elle fournit ces puissants chanoines qui élisaient les princes-évêques et profitaient de cette position pour consolider leur exclusivisme et la place primordiale qu’ils prenaient dans l’appareil d’État. Du coup, comme ses homologues liées à d’autres États ecclésiastiques, la noblesse chapitrable westphalienne, veillant à la pureté de ses mariages et n’acceptant presque aucun renouvellement, était une noblesse ancienne et fermée. Voilà donc un groupe bien spécifique et bien individualisé qui rassemble 10,67 % des attributions. En son sein, quelques noms se détachent, comme les Droste-Vischering, les Galen, les von der Horst, les Merveldt, les Nagel et les Velen.

11Parmi les noblesses chapitrables, celle de Westphalie était pourtant loin d’être la plus spécialisée et la plus puissante. Ces qualificatifs reviennent plutôt à la chevalerie d’Empire catholique, qui constitue le second groupe. En Souabe, en Franconie et en Rhénanie, cette noblesse, également ancienne, réduite en nombre et très fermée, domine sans partage ou presque les archevêchés-électorats de Mayence et de Trèves, ainsi que de nombreuses principautés-évêchés, comme celles de Wurtzbourg, de Bamberg, de Spire, ou d’Eichstätt. Bien qu’elle constitue l’élite politique de ces États au travers des chapitres cathédraux et qu’elle fournisse la plus grande partie des princes ecclésiastiques eux-mêmes, cette noblesse n’est pourtant pas soumise aux principautés : c’est une noblesse immédiate, organisée en corporation et relevant du seul empereur10. Ces familles, au premier rang desquelles viennent, dans la liste des attributions, les Beissel von Gymnich, les Hatzfeldt-Gleichen, les Knebel von Katzenellenbogen, les Reinach, les Schönborn et les Waldbott-Bassenheim, ne rassemblent pourtant que 12,74 % des attributions, soit à peine plus que la noblesse chapitrable westphalienne, et beaucoup moins que d’autres groupes. À cette relative abstention, quelques explications peuvent être apportées : soucieuse de préserver son monopole sur les États ecclésiastiques rhénans, la chevalerie rhénane a souvent offert une certaine résistance aux sollicitations venues de Rome. Ce fut le cas envers les principes élaborés à Trente, ce sera le cas à la fin du XVIII^e siècle, le fébronianisme naissant en Rhénanie, c’est le cas enfin, tout au long de la période, pour la collation de prébendes, les chapitres dominés par la chevalerie d’Empire étant ceux qui sont parvenus le plus efficacement à réduire à presque rien le droit que possède le Pape, depuis le Concordat de Vienne en 1448, de pourvoir aux bénéfices venant à vaquer pendant les mois impairs de l’année. Enfin, politiquement, les États ecclésiastiques rhénans ont longtemps affirmé une certaine indépendance envers Vienne, dont on va voir le rôle primordial pour les corps saints romains. La Ligue du Rhin, alliée de Louis XIV, avait ainsi été animée par Johann Philipp von Schönborn, prince-électeur de Mayence de 1649 à 167311. La noblesse westphalienne, elle, est plus proche des Habsbourg ainsi que de la dynastie bavaroise12, et elle a été plus franchement soumise aux règles tridentines par quelques princes-évêques énergiques, dont le belliqueux Christoph Bernhard von Galen, prince-évêque de Münster de 1651 à 1678. Il y a donc concordance entre l’attitude envers Vienne et Rome et le nombre d’attributions de reliques par rapport à la puissance relative de ces deux groupes bien individualisés de la noblesse chapitrable de l’Empire.

12Moins homogène, mais largement dominant, est le troisième groupe, celui de la noblesse issue des États dits « patrimoniaux » des Habsbourg, en tout cas ceux qui sont compris dans le Saint-Empire, ce qui inclue l’Autriche et la Bohême, mais exclut la Hongrie. Ces noblesses recueillent à elles seules 51,27 % des attributions, mais forment un ensemble plus disparate que les deux groupes précédents. On y retrouve, d’abord, des lignages proches à bien des égards de ceux de la noblesse westphalienne ou de la chevalerie immédiate catholique, puisqu’ils occupent de nombreuses prébendes dans les chapitres cathédraux d’États ecclésiastiques enclavés dans les terres des Habsbourg mais indépendants, au moins nominalement, de cette dynastie : Brixen, Salzbourg ou Trente13. Les Künigl, les Spaur, les Thun sont d’excellentes illustrations de cette première strate. Sont également présents dans nos listes les lignages les plus puissants de la noblesse autrichienne ou de Bohême, lignages possessionnés un peu partout, accédant aux plus hauts titres de noblesse d’Empire et dominant la cour des Habsbourg : les Dietrichstein, les Liechtenstein, les Sternberg, pour n’en citer que quelques-uns14. Mais ce groupe comprend aussi des lignages plus modestes, parfois fraîchement anoblis, comme, pour ne prendre qu’un exemple, ces Aschauer von Aschenrein und Lichtenthurn, fabricants de laiton tyroliens anoblis en 1675. Parmi toutes ces strates, enfin, les lignages issus du sud des États patrimoniaux, de Styrie, de Carinthie, de Carniole, sont particulièrement nombreux, la proximité géographique de Rome semblant jouer ici un rôle qui recoupe celui des réseaux politiques et ecclésiastiques. Cette diversité du groupe constitué par la noblesse des Habsbourg, de même que le grand nombre des reliques qui lui sont attribuées, signalent qu’ici, plus qu’ailleurs, la réception des corps saints est un phénomène répandu dans une aristocratie soumise à une recatholicisation et à une entreprise de « Contre-Réforme » sans égales dans les autres territoires de l’Empire15. On constate que l’espace de l’Église d’Empire, centré principalement sur le Rhin et le Main, et celui de l’attraction romaine, plus forte dans les territoires princiers catholiques et dans le Sud, ne coïncident pas. La répartition des réceptions de corps saints reflète à la fois ces deux espaces, et la force variable de leur tropisme romain.

13L’importance numérique du groupe « habsbourgeois » apparaît d’autant mieux lorsqu’on la rapporte à la relative faiblesse qui caractérise la présence de l’aristocratie bavaroise dans la liste des attributions de reliques romaines. Avec 4,94 % de celles-ci, la noblesse territoriale des électeurs de Bavière constitue en effet le plus étroit des cinq groupes entre lesquels se partage l’essentiel de l’espace de réception. Pourtant, la Bavière est sans doute l’État territorial allemand qui s’est consacré le plus précocement et le plus efficacement à la défense et au renouveau du catholicisme face à la Réforme, tout en ayant recours massivement aux impulsions romaines (nonciature, jésuites...)16. La noblesse bavaroise constituait également en partie une noblesse d’Église : certains chapitres cathédraux proches de la Bavière (Passau, Ratisbonne...) étaient ses chasses gardées. Que cette noblesse catholique viennent si peu chercher de corps saints à Rome ne fait que mieux ressortir, en tout cas, l’affluence des noblesses des Habsbourg.

14Reste un cinquième groupe, géographiquement plus diffus, mais fortement identifiable par son statut : celui des dynasties comtales et princières. Il s’agit là d’une noblesse immédiate (donc ne dépendant que de l’empereur), députant à la Diète de l’Empire (se distinguant par là de la chevalerie d’Empire, qui n’y était pas représentée) et disposant de territoires autonomes (à la différence des familles de la haute noblesse autrichienne qui portaient bien souvent les titres de comtes ou princes d’Empire mais ne disposaient pas primitivement de territoires inscrits à la Matricule d’Empire). Ce groupe numériquement restreint, mais dominant la hiérarchie aristocratique du Saint-Empire, obtient 13,38 % des attributions constituant notre corpus. On y trouve bien entendu la dynastie des Wittelsbach, régnant en ses différentes branches sur la Bavière, le Palatinat, et sur l’archevêché-électorat de Cologne transformé en quasi-secundogéniture ecclésiastique, la dynastie des Habsbourg, mais aussi plusieurs autres que nous détaillerons le moment venu.

15Au total, cette première approche appelle plusieurs remarques : d’une part, l’espace social de réception des reliques romaines est loin de recouvrir, de manière homogène, toute la géographie et toute la hiérarchie de la noblesse catholique germanique. Il se concentre sur quelques groupes bien individualisés, et justifie ainsi que des critères sociaux, politiques et géographiques soient appliqués à l’étude de cette réception. D’autre part, et tout au moins pour la période qui nous concerne (principalement les trois premières décennies du XVIII^e siècle), les corps saints sont encore l’apanage d’aristocraties prestigieuses. La chevalerie d’Empire, la noblesse chapitrable westphalienne, les dynasties princières et comtales, une part importante de la noblesse des Habsbourg ou de Bavière sont représentées dans la liste par des lignages anciens, fréquemment titrés, parfois extrêmement riches et puissants, soucieux de la pureté de leurs alliances et jouissant souvent d’une spécialisation sociale et confessionnelle stable et confortable. Il se confirme ainsi que la disqualification sociale des reliques, comme celle des pèlerinages, est relativement tardive en Allemagne catholique. Cet espace social enfin se signale par une importante composante ecclésiastique, révélée par le poids des noblesses chapitrables, et qui invite à s’interroger plus précisément non pas sur la répartition de l’espace de réception, mais sur les voies privilégiées qui l’irriguent.

16Après avoir en quelque sorte pris connaissance des nobles germaniques récipiendaires de reliques, en s’en tenant pour l’instant à la répartition du nombre d’attributions, il convient donc désormais, en affinant l’interrogation statistique, de dégager quelques critères efficaces permettant de comprendre pourquoi et comment certains nobles, et pas d’autres, vont à Rome et sollicitent l’obtention de tout ou partie d’un corps saint des catacombes.

Des voies privilégiées

17En effet, l’attribution d’une relique suppose d’abord un voyage. Le lien entre la conjoncture des reliques et celle des pèlerinages suffit à signaler l’importance de cette condition concrète. La chute du nombre de notices pendant les années de guerre en est, a contrario, une confirmation supplémentaire : parmi nos années « pleines » (principalement entre 1688 et 1730), les seules à connaître une baisse importante des attributions sont, sans surprise, 1689-1692, 1702-1705, 1709-1711 et 1722. La possibilité d’aller à Rome sans encourir de trop grands périls est donc une condition première ; l’occasion et la volonté d’entreprendre le voyage pèsent également lourd, et les listes de Mgr sacriste et de la custode nous permettent d’apercevoir – sans que ce résultat soit limitatif – trois voies d’accès privilégiées, quoique d’importance numérique inégale, aux reliques romaines.

18La première de ces voies est la conversion. Celle-ci tint une place croissante au sein de la noblesse et des dynasties princières du Saint-Empire : de la noblesse, car une partie d’entre elle, principalement dans les États des Habsbourg, fut fermement invitée à se convertir, selon une chronologie qui culmine cependant bien avant la période qui nous concerne17 ; des dynasties, car la progression de la primogéniture (laissant peu de perspectives aux lignées cadettes privées de l’exutoire traditionnel des carrières ecclésiastiques), l’attraction politique exercée par la cour de Vienne (qui se traduisit en particulier par le grand nombre de rejetons princiers servant dans l’armée impériale), ainsi que la paix de Westphalie (qui, figeant les frontières religieuses et excluant désormais qu’une dynastie princière ballote ses sujets d’une confession à l’autre au gré de ses conversions, facilita paradoxalement les changements de religion en en réduisant les conséquences) conjuguèrent leurs effets pour engendrer une vague de conversions qui culmina précisément pendant la période qui nous intéresse : sur 76 conversions princières ou comtales qu’il est possible de recenser à l’époque moderne, la moitié exactement eurent lieu entre 1648 et 1700 et peu de dynasties protestantes y échappèrent complètement18. Faute de pouvoir identifier avec certitude tous les lignages de noblesse autrichienne qui se sont convertis au catholicisme dans la première moitié du XVII^e siècle, on se concentrera principalement sur les dynasties comtales et princières, parmi lesquelles la conversion représente bien un critère déterminant pour la demande de reliques romaines. 42,86 % des notices concernant ce groupe se rapportent en effet soit directement à un prince converti, soit à un de ses enfants, soit à un de ses descendants.

19Rome n’était pourtant pas le seul lieu où se convertissaient les princes. Cologne, qui au début du XVII^e siècle avait acquis une position dominante dans l’espace catholique germanique, les Pays-Bas du Sud, ou même la France ont pu jouer ce rôle. Il n’en reste pas moins que Rome, passage obligé du « Kavalierstour » – le voyage de formation de la haute noblesse – abritait un réseau de convertis particulièrement efficace pour susciter de nouvelles conversions19. C’est ainsi par exemple que Christian Ulrich de Wurtemberg-Öls (1691-1734), membre d’une lignée cadette des ducs de Wurtemberg possessionnée, par héritage, en Silésie (encore régie par les Habsbourg), apparaît dans nos listes en 1723, l’année même où, le 26 janvier, il s’est converti au catholicisme à Rome. En outre, après la conversion, le pèlerinage à Rome était bien souvent l’occasion de sceller et manifester le choix fait en faveur du catholicisme20. La présence importante des Palatinat-Neubourg, dynastie convertie en 1613 pour des raisons essentiellement stratégiques et qui hérite en 1685 de la principauté-électorat calviniste du Palatinat21, ou encore des Hesse-Darmstadt22, vient confirmer le caractère déterminant de la conversion bien longtemps après qu’elle est devenue effective. Dans le cas de Friedrich de Hesse-Darmstadt (1616-1682)23, converti en 1637 à Rome, une carrière romaine (fait cardinal en 1652, il séjourne à Rome de 1655 à 1659 puis de 1666 à 1676) lui permet d’acquérir un corps entier entre 1657 et 1661, puis à nouveau en 1672, et ce sont au total six notices qui concernent les Hesse-Darmstadt ou leurs lointains cousins de Hesse-Rheinfels, eux aussi passés au catholicisme. Parmi les convertis, ou descendants de convertis, se trouvent d’ailleurs le plus grand nombre d’individus apparaissant à plusieurs reprises dans les listes, comme s’il s’agissait de rattraper par une accumulation de capital sacral un récent retour au catholicisme. Ainsi en est-il de Philipp Ernst von Hohenlohe-Waldenburg-Schillingsfürst (que nous retrouverons), né en 1663, mort en 1759 : son père s’est converti en 1667 ; lui-même, qui a abandonné une précoce carrière de chanoine pour assurer l’avenir de sa dynastie en se mariant, reçoit tout ou partie d’un corps saint en 1684, en 1695, en 1700 et en 1752.

20Liée à près de la moitié des attributions de reliques aux dynasties comtales et princières, la conversion est donc un exemple particulièrement net de voie privilégiée vers les corps saints, même si son importance numérique à l’échelle de l’ensemble des notices est plus limitée. Le second exemple est en revanche plus massif dans ses proportions. Lui aussi bien repérable, il met en scène une institution qui joua un rôle important au sein de la noblesse catholique allemande : le collegium germanicum24.

21Fondée en 1552 pour former des prêtres séculiers tanquam intrepidi fidei Athlete, selon la bulle de fondation, cette institution animée par les jésuites fut rapidement destinée à la noblesse de l’Église d’Empire, dont le catholicisme restait alors chancelant. Les statuts de 1584 précisèrent en particulier que les candidats déjà pourvus d’un bénéfice, ou ayant de bonnes espérances d’en obtenir un, auraient la priorité, ce qui accrut la présence des domicillares des chapitres cathédraux. Après un premier apogée à la fin du XVI^e siècle, la fréquentation atteint son acmé autour de 1720, période également où le pourcentage d’élèves nobles parvient à son maximum, autour des trois quarts. Au moment où les notices d’attribution de corps saints de notre corpus sont les plus abondantes, le collegium germanicum est donc le passage obligé de nombreux jeunes chanoines, venus pour accomplir les années d’études nécessaires à leur promotion comme capitulaires, mais également pour obtenir le cas échéant les prébendes à nomination pontificale, celles des mois impairs. Le rôle du Pape dans les nominations étant très variable selon les chapitres, et la distance envers Rome et le catholicisme militant fluctuant elle aussi selon les régions, la présence des différents groupes de la noblesse d’Église au collegium n’est pas répartie de manière homogène, ce qui recoupe les résultats de notre première partie. Il n’en reste pas moins que pour notre période, et juste avant la désaffection croissante, dans la suite du XVIII^e siècle, des aristocrates ecclésiastiques envers cette institution, le collegium germanicum est une sorte de passage obligé à Rome pour de nombreux nobles catholiques habitués des chapitres cathédraux, d’autant que la scolarité dans cet établissement accroît les chances d’être élu à un siège épiscopal : entre 1700 et 1749, 31,1 % des archevêques et évêques élus dans le Saint-Empire sont d’anciens élèves du collegium, alors que ce pourcentage n’est que de 16,5 % pour l’ensemble des chanoines25.

22Cette importance du collegium pour le voyage à Rome se reflète dans les attributions de corps saints des catacombes. Ceux que l’on peut à coup sûr identifier comme élèves de l’établissement représentent en effet 15,61 % des notices, tandis que les anciens élèves en représentent 4,62 % – le chiffre réel est sans doute bien supérieur, car les imprécisions des deux listes (celle des attributions de reliques et celles du collegium) se cumulent ici. On ajoutera donc un troisième indicateur, certes plus grossier et moins significatif : 44,90 % des attributions vont à des nobles qui, sans être élèves ou anciens élèves, comptent dans leur lignage au moins un élève du collegium aux XVII^e et XVIII^e siècles. Dans l’ensemble, ce sont donc 65,13 % des attributions, soit près des deux tiers, qui peuvent être reliées de façon plus ou moins directe au séminaire allemand de Rome. Les notices mentionnent d’ailleurs parfois l’appartenance du récipiendaire à l’établissement et ces élèves, généralement en fin de cursus, représentent certaines années une part non négligeable du total : en 1718, en 1723 et en 1727, ce ne sont pas moins de huit nobles élèves qui apparaissent dans les listes et, pour certains lignages, le passage au collegium est la voie prioritaire, sinon exclusive, d’accès aux corps saints des catacombes : les quatre attributions aux Reinach, issus de la chevalerie d’Empire souabe, sont toutes le fait de quatre élèves différents du collegium germanicum.

23L’importance de ce séminaire allemand à Rome constitue donc, avec la conversion, un deuxième chemin privilégié vers Rome. À travers lui, comme à travers la répartition par groupes esquissée plus haut, se dessine la troisième voie qui n’a rien d’inattendu mais qu’une rapide approche statistique confirme de manière éclatante : les familles qui viennent chercher des reliques à Rome sont en majorité familières des carrières ecclésiastiques, ou plus précisément des carrières de prélats (chanoines et évêques) dans l’Église d’Empire. 70,06 % des attributions vont en effet à des lignages représentés au moins une fois dans les chapitres cathédraux allemands entre 1600 et 1803. Or, seule une fraction minoritaire de la noblesse catholique germanique avait accès à ces empyrées riches, prestigieux et puissants, qui veillaient jalousement, en exigeant des preuves de noblesse par quartiers, à ce que leurs membres fussent de bonne et vieille noblesse et ne se mésalliassent pas avec des aristocraties plus neuves ou de statut inférieur. Seule une portion plus minoritaire encore parvenait à l’épiscopat, le plus souvent associé à une principauté temporelle. Les familles que l’on retrouve dans les listes de Mgr sacriste et de la custode du vicariat sont donc en majorité celles auxquelles leur statut et leur qualité de noblesse ouvrent la porte des chapitres, et qui font usage de cette possibilité. Cette voie privilégiée, si elle est celle qui concerne le plus grand nombre de nos aristocrates, est aussi celle qui délimite le mieux les contours de l’espace social de réception des reliques romaines et rend compte de sa géographie, mise au jour dans la première partie. L’exemple des Schönborn, qui autour de 1730 règnent sur six principautés ecclésiastiques, dont l’électorat de Trèves, après avoir compté en leurs rangs deux archevêques-électeurs de Mayence, est de ce point de vue significatif : trois des cinq attributions qui les concernent vont à un prince ecclésiastique, et quatre sur cinq ont lieu entre 1725 et 1730, au moment de l’apogée épiscopal du lignage.

24Le chemin de Rome est donc avant tout, pour reprendre une expression allemande appliquée à la moyenne vallée du Rhin, une « Pfaffengasse », une rue de clercs. Recoupant les différents groupes concernés, ce critère donne une certaine unité à l’ensemble du corpus. Mais c’est également lui qui doit nous inviter à voir les choses sous un autre angle et à tenter de hiérarchiser l’aristocratie recevant les corps saints. Entre les véritables dynasties de princes ecclésiastiques, d’un côté, comme les Schönborn qui comptèrent entre 1642 et 1756 six princes ecclésiastiques cumulant au total douze dignités princières ou électorales, ou les Thun, qui donnèrent de 1648 à 1806 douze princes évêques ou archevêques au sud de l’Empire et qui eux aussi sont bien présents dans nos listes, et d’un autre côté certaines familles plus modestes n’ayant produit qu’un ou deux chanoines dans les chapitres les moins prestigieux, le gouffre est énorme. Cette différence se reflète-t-elle dans les attributions de reliques ? Peut-on établir un rapport entre la densité des attributions et leur signification sociale en termes de hiérarchies internes à l’aristocratie catholique et canoniale du Saint-Empire ? C’est à résoudre ces questions que s’attachera la troisième partie.

Les « noyaux denses » de la réception

25On se souvient que si le chiffre d’attributions identifiées, sur lequel se fondaient jusqu’à présent les calculs, est de 628, le chiffre de lignages concernés, lui, n’est que de 322. C’est désormais sur la relation entre ces deux chiffres que l’analyse fera porter l’accent. Le chiffre moyen de 1,95 attributions de corps saints par lignage26 recouvre en effet de grandes variations dont l’examen est essentiel pour dégager la hiérarchie sociale de l’espace de réception des reliques romaines.

26Une première vue cavalière permet de dégager des zones de plus grande densité dans cet ensemble de lignages et d’attributions. La méthode est la suivante : les lignages peuvent être partagés en trois grandes divisions, que nous appellerons « cohortes » pour les différencier des « groupes » isolés en première partie, et dont la distinction obéit non à des critères géographiques, mais purement quantitatifs. La première cohorte comprend les lignages qui n’apparaissent qu’une fois dans les listes de Mgr sacriste et de la custode du vicariat ; la seconde regroupe ceux qui comptent deux ou trois attributions ; la troisième cohorte enfin accueille les lignages qui obtiennent de quatre à onze attributions. Ces trois cohortes ont été délimitées de manière à représenter grossièrement trois tiers des attributions : 30,41 % pour la première, 31,69 % pour la seconde, 37,90 % pour la troisième. Mais elles sont loin, en revanche, de comprendre chacune un tiers des lignages. La première en regroupe au contraire 59,32 %, la seconde 27,33 %, la troisième seulement 13,35 %. Cela signifie, en clair, que plus des deux tiers des attributions vont à quatre lignages sur dix, et que même un gros tiers d’entre elles vont à un petit huitième des lignages. Pour le dire encore autrement, 43 des 322 lignages obtiennent à eux seuls près de 40 % des attributions de reliques.

27Reste à savoir à quelle logique obéit cette hiérarchisation du corpus. Plus précisément, et selon le but assigné à l’enquête, il importe d’étudier si cette hiérarchisation est susceptible d’être reliée à une logique d’ordre social, ou si elle se révèle être, sous cet angle, aléatoire. La réponse ne peut être apportée qu’en croisant ce facteur de « densité différentielle » avec les autres facteurs mis précédemment en avant.

28Le nombre d’attributions par lignage peut-il ainsi être mis en relation avec la plus ou moins grande spécialisation canoniale des familles ? La réponse, à première vue, est sans appel. En effet, alors que les lignages présents dans les chapitres (qui, rappelons-le, totalisent à eux tous 70,06 % des attributions) ne représentent que 48,7 % de la première cohorte, ils constituent 64,77 % de la deuxième et 86,05 % de la troisième. Cela signifie que le facteur canonial se retrouve surtout chez les familles qui viennent le plus souvent chercher des corps saints à Rome. On peut même aller plus loin : plus ce facteur est important, plus le nombre d’attributions est élevé. Si on isole cette fois les lignages qui, entre 1600 et 1803, ont obtenu 14 canonicats et plus dans les chapitres cathédraux germaniques – soit 64 dans notre liste de 322 – ils ne représentent plus que 10,47 % des lignages de la première cohorte (ceux qui ne viennent qu’une fois), mais 26,14 % de la deuxième et surtout 48,83 % de la troisième (les lignages présents de quatre à onze fois dans les listes), et obtiennent à eux seuls presque un tiers de toutes les attributions. Ces deux calculs successifs permettent donc de constater, pour le dire d’une manière un peu grossière, non seulement que les lignages à chanoines viennent plus souvent que les autres aux « guichets » romains, mais également que plus un lignage compte de chanoines, plus il vient souvent. Il n’en reste pas moins que certains lignages hautement spécialisés dans les carrières ecclésiastiques, et avec succès, font partie de la première ou de la seconde cohorte. Le facteur canonial n’est donc pas le seul à jouer dans les hiérarchies internes au corpus. Plus précisément, ce sont souvent les familles de la chevalerie d’Empire ou de la noblesse chapitrable westphalienne qui se trouvent dans ce cas. Par conséquent, pour ces lignages, le facteur canonial isolé en deuxième partie semble être seul à jouer, sans se cumuler au facteur géographique et politique isolé en première partie. Cette impression demande à être confirmée, ce qui nécessite de croiser les cohortes par fréquence avec les groupes distingués selon leur origine.

29Nous prendrons cependant, cette fois, un autre biais, en nous concentrant sur la troisième cohorte, celle qui reçoit de quatre à onze attributions par lignage et représente 37,90 % de toutes les attributions ainsi que 13,35 % de tous les lignages. Si le facteur canonial était prépondérant pour expliquer le plus ou moins grand nombre de corps saints par lignage, la chevalerie d’Empire et la noblesse westphalienne devraient se retrouver en bonne place dans la troisième cohorte. Or, elles n’en constituent que 9,3 % pour la noblesse westphalienne (qui représente 10,25 % de l’ensemble des lignages) et 6,98 % pour la chevalerie (14,91 % de l’ensemble des lignages). Chevalerie et noblesse westphalienne ne sont donc pas seulement relativement peu présentes dans le corpus, elles y sont également présentes d’une manière assez peu dense, malgré leur grande réussite dans l’Église d’Empire. Deux groupes dominent en revanche la troisième cohorte : il s’agit des dynasties princières et comtales, qui en constituent 27,91 %, et surtout de la noblesse des territoires des Habsbourg, qui rassemble 53,49 % des lignages de la troisième cohorte. L’Autriche et les princes tiennent donc le haut du pavé.

30Comment concilier ces deux résultats, celui qui concerne les chanoines, et celui qui concerne les groupes d’origine ? Ils révèlent en effet deux critères qui sont tous les deux déterminants, mais qui ne coïncident pas complètement. En fait, cette distinction permet de souligner que les résultats de la première partie, concernant la répartition des attributions, sont en harmonie avec ceux qui concernent la densité des attributions par lignage. D’un côté, les groupes canoniaux du Rhin moyen et de Westphalie ont envers les dévotions romaines une relation qui tient avant tout à leur spécialisation ecclésiastique, puisque les autres types de noblesse de ces régions sont quasiment absents, et qui reste relativement distante, puisque ni les chevaliers ni les westphaliens ne dominent la pyramide du nombre des attributions par famille. Cette réserve faite, le nombre de reliques suit assez bien le nombre de chanoines, le lignage le mieux pourvu en reliques pour chacun des deux groupes (les Waldbott-Bassenheim pour la chevalerie, les Nagel pour la Wesphalie) ayant obtenu, respectivement, 50 et 19 canonicats dans les chapitres cathédraux germaniques entre 1600 et 1803. D’un autre côté, le caractère autrichien constitue un critère qui dépend moins de la réussite canoniale et qui recouvre un éventail plus ouvert de relations envers Rome et envers ses reliques. Certaines familles de bonne noblesse autrichienne, mais anoblies au XVI^e siècle seulement, comme les Abele ou les Riesenfels, ne comptent aucun chanoine mais font cependant partie de la troisième cohorte, celle des lignages les mieux pourvus en reliques. Cette diversité se traduit par une dispersion des lignages autrichiens dans les différentes cohortes. En effet, s’ils dominent la troisième (ils y représentent 53,49 % des lignages), ils fournissent également 48,69 % de la première et sont donc présents à tous les niveaux de densité d’attributions. La noblesse habsbourgeoise domine numériquement l’aristocratie allemande prélevant des corps saints à Rome, et elle est le seul groupe qui, au sein de cette aristocratie, connaisse une large diversité. Cela dit, le critère canonial joue aussi un grand rôle en son sein. On peut même dire que c’est lorsqu’un lignage adjoint le critère canonial au critère autrichien qu’il a le plus de chance de se retrouver dans le petit groupe de ceux qui accumulent les corps saints. Ainsi des Liechtenstein, une des plus grandes familles de la noblesse viennoise, nombreux aussi dans les chapitres, et présents en tête de liste avec onze attributions.

31Les Liechtenstein partagent cependant cette primeur avec la dynastie des princes-électeurs de Bavière. C’est là le troisième résultat de ce volet de l’étude : les dynasties, elles, cumulent tous les facteurs favorisant l’accès aux corps saints, sauf celui du collegium germanicum. Douze des vingt-deux lignages dynastiques se retrouvent dans la troisième cohorte, dont ils représentent, rappelons-le, 27,91 % des lignages et 28,15 % des attributions (alors qu’ils ne constituent que 6,83 % de l’ensemble des 322 lignages). Puisque plus de la moitié de ces lignages dynastiques (douze sur vingt-deux) ont connu la conversion du protestantisme au catholicisme, cette voie privilégiée de l’accès à Rome joue également en faveur du groupe princier. En définitive, la hiérarchie globale des noblesses allemandes est bien respectée puisque ce sont les dynasties qui se détachent le plus clairement du lot pour ce qui est du nombre de corps saints attribués à chaque lignage.

32Le nombre, mais aussi la qualité ; l’étude des 61 attributions de corps entiers, qui représentent 9,71 % de l’ensemble des attributions, complète et illustre en effet cette approche des hiérarchies au sein de notre corpus. Elle montre en premier lieu que les familles qui reçoivent le plus de reliques sont également celles qui recueillent les corps entiers, plus prestigieux. 57,38 % de ces derniers sont attribués à la troisième cohorte (qui ne reçoit, pour le redire, que 37,90 % des attributions totales), contre 29,51 % à la deuxième et 13,11 % seulement à la première, celle des lignages présents une seule fois dans les listes de Mgr sacriste et de la custode du vicariat. Parmi ces derniers, moins d’un sur vingt-quatre a reçu un corps entier, tandis qu’ils sont trois sur huit (37,21 %) dans la troisième cohorte. La convergence est également entière avec le critère ecclésiastique. En effet, si 70,06 % de l’ensemble des reliques sont attribuées aux familles présentes dans les chapitres entre 1600 et 1803, cette proportion monte à 90,16 % dans le cas des corps entiers, qui sont en particulier confiés à de nombreux cardinaux et évêques. Mais c’est dans l’analyse par groupes géographiques et sociaux que les corps entiers montrent au mieux leur caractère discriminant. En effet, seul deux de nos cinq groupes arrivent ici à un pourcentage significatif : celui des nobles habsbourgeois, avec 42,62 % des attributions de corps entiers (dont quatre pour les Dietrichstein et trois pour les Liechtenstein), et surtout celui des dynasties princières et comtales, avec 45,90 %, la dynastie de Bavière à elle seule en obtenant neuf. Ces répartitions ne sont qu’en apparence très différentes de celles qui caractérisent les corps saints en général. En réalité, elles confirment pleinement les hiérarchies déjà repérées par l’analyse des densités différentielles de l’espace de réception, et mettent en valeur le traitement spécial réservé, dans l’attribution des reliques, aux familles que leur statut nobiliaire et leur importance politique différencient nettement du reste de la noblesse.

33La logique selon laquelle certaines familles paraissent plus fréquemment que d’autres dans les listes n’est donc pas aléatoire. Au-delà des groupes et des voies privilégiées déjà repérés, une hiérarchie très nette distingue des autres les lignages qui, de manière concurrente ou cumulée, multiplient les succès ecclésiastiques, tiennent le haut du pavé à Vienne, ou jouissent de prérogatives statutaires dans le Saint-Empire. Les répartitions spatiales croisent et expliquent en partie ces stratifications verticales. Tous ces facteurs dessinent les contours d’un ensemble de lignages pour qui le recours aux reliques romaines est à la fois une pratique relativement fréquente et un signe de distinction sociale.

34Que ce peloton de tête, cependant, soit constitué à la fois de dynasties princières, en particulier converties, d’aristocrates viennois et, dans une moindre mesure, de lignages venus de l’Église d’Empire, n’est pas l’effet d’une simple juxtaposition d’élites nobiliaires isolées les unes des autres. Bien au contraire, l’ensemble des lignages les mieux pourvus en reliques correspond avec une grande netteté à la fusion alors en cours entre plusieurs fractions de noblesses pour constituer une nouvelle aristocratie catholique étendant son réseau à l’échelle de tout le Saint-Empire. C’est à ce phénomène que sera consacrée la dernière partie.

Réseau et distinction : le sens social des corps saints ?

35Souvent constaté sans avoir jamais été vraiment étudié27, ce regroupement progressif d’une haute noblesse catholique très liée aux Habsbourg, mais dépassant le cadre de leurs territoires, s’est nourrie de plusieurs évolutions concomitantes. D’une part, le prestige et l’influence des Habsbourg dans le Saint-Empire, ou plus exactement dans la partie la plus catholique et la plus morcelée du Saint-Empire, se sont fortement accrus, contrairement aux idées reçues, dans le demi-siècle suivant la Paix de Westphalie. Cette attraction s’est exercée aussi bien sur les dynasties comtales et princières (et elle explique en partie, on l’a dit, le nombre de conversions) que sur les États ecclésiastiques rhénans, qui abandonnent face aux menaces louis-quatorziennes toute velléité d’autonomie diplomatique. Nombreux sont, parmi ces lignages, ceux qui s’implantent dans les États des Habsbourg par le biais d’acquisitions foncières et de mariages. Ce mouvement concerne ainsi, au cours du XVIII^e siècle, les plus grandes familles de la chevalerie rhénane, dont les Metternich, pour citer un nom emblématique28. D’autre part, les lignages dominants de la noblesse habsbourgeoise, ayant souvent obtenu le titre nominal de princes d’Empire, cherchent à en acquérir la réalité par des alliances et des achats au sein de la haute noblesse d’Empire, encouragés d’ailleurs en cela par les Habsbourg qui promeuvent cette extension de leur clientèle nobiliaire29. C’est par exemple le cas des Sternberg, bientôt Sternberg-Manderscheid, et des Kaunitz-Rieneck, tous présents dans notre corpus, sans parler des Liechtenstein, dont la principauté qu’ils se constituent alors existe encore aujourd’hui. Enfin, les grands lignages ecclésiastiques qui ont émergé après la Réforme, alors que les dynasties princières avaient perdu leur quasi-monopole sur les sièges épiscopaux, ne commencent pas seulement à s’insérer dans ce réseau général, mais tissent également entre elles un réseau particulier, les familles comptant des princes d’Église se mettant à négliger les familles de chanoines de leur propre région pour rechercher des familles canoniales d’autres régions comptant également des princes d’Église. Les Schönborn rhénans épousent par exemple des Colloredo, régnant dans la principauté-archevêché de Salzbourg, les Greiffenclau, qui ont obtenu plusieurs sièges épiscopaux en Rhénanie et en Franconie, s’allient aux Spaur, lignage tyrolien qui compte sept princes-évêques de 1600 à 1803, dont quatre à Brixen, et qui est six fois présent dans nos listes. Tout ceci s’effectue selon des stratégies matrimoniales subtiles, qui ménagent en les gauchissant les hiérarchies et les cloisonnements existants. Cette fusion lente suscite en outre une circulation accrue de références culturelles, religieuses et familiales communes.

36Ce long excursus semble nous avoir bien éloignés de nos reliques romaines. Il nous conduit au contraire au cœur du « noyau dense » de l’espace social que les notices, centrées sur les trois premières décennies du XVIII^e siècle (tournant décisif de ce regroupement aristocratique), permettent d’apercevoir. Un schéma généalogique – qu’il a fallu répartir en quatre feuilles – fera sans doute mieux percevoir en quoi la réception des corps saints reflète ce vaste réseau nobiliaire en cours de constitution (fig. 1 a-d).

Fig. 1 a-d – Liens généalogiques et attributions de reliques romaines – la parenté de Philipp von Hohenlohe.

37Ce schéma part d’un individu, Philipp Ernst, comte puis prince d’Empire von Hohenlohe-Waldenburg-Schillingsfürst, remarquable à plus d’un titre : par son assiduité à Rome, où ses quatre prélèvements de corps saints couvrent pratiquement toute la période ; par sa qualité de fils de converti, qui nous a permis de le croiser plus haut ; par la singularité enfin de sa position : chanoine ayant abandonné ses canonicats pour se marier, il recompose sa famille en fonction de sa nouvelle catholicité. En partant de son père, sa mère, puis sa belle-mère, de son épouse, née Öttingen-Wallerstein, des alliances contractées par ses deux sœurs et enfin des deux épouses de son fils, on a cherché à reconstituer les liens familiaux existant entre Philipp Ernst von Hohenlohe et d’autres individus présents dans les listes de Mgr Sacriste et de la custode du vicariat (chaque attribution de relique étant signalée par sa date, indiquée sur fond noir). Il convient d’emblée de préciser que cette recherche est incomplète, car certains membres des familles visées ne sont pas directement identifiables, certaines généalogies ne sont pas disponibles, et nous nous sommes limité aux liens familiaux les plus proches, sans étendre la recherche à l’infini, et en ne retenant que certaines connexions (de nombreux personnages de ce schéma pourrait être reliés à plusieurs autres, et l’ensemble ressemblerait vite à la toile d’une araignée pleine de fantaisie).

38Ce schéma pourrait donc être beaucoup plus étendu. Tel qu’il est, il s’avère déjà riche d’enseignements. Malgré ses limites, il permet en effet de rassembler en un même réseau familial soixante-quatre attributions de corps saints (plus d’un dixième de l’ensemble). Le « noyau dense », comme on le voit, a donc un air de famille. La densité des attributions de reliques dans certains lignages prend ici un tour concret, puisque le schéma montre comment les générations, mais aussi à l’intérieur d’une même génération les frères ou les beaux-frères, se succèdent à Rome pour demander des reliques. À ce niveau de répétition, la relique des catacombes acquiert la physionomie d’une véritable pratique familiale. En outre, autant que la densité des attributions, c’est la diversité d’origine des lignages ici rassemblés qui doit retenir l’attention. On y trouve tout d’abord des lignées comtales et princières, souvent marquées par la conversion au catholicisme, comme les Hohenlohe eux-mêmes, mais aussi les Hesse-Rheinfels (dans la parenté de la seconde bru de Philipp Ernst), les Nassau-Siegen30 (parenté de son beau-frère) ou les Öttingen (parenté de sa femme). D’autres grandes dynasties comtales d’origine, comme les Fürstenberg, les Salm ou les Truchsess von Waldburg (parenté du père de Philipp Ernst, mais on les trouve aussi du côté de son beau-frère) sont de surcroît extrêmement présentes dans les chapitres cathédraux (35 canonicats pour les Fürstenberg entre 1600 et 1803, 53 pour les Truchsess von Waldburg, 61 pour les Salm, champions absolus) et ont donné plusieurs princes ecclésiastiques. Cette orientation canoniale est encore plus exclusive du côté de la mère de Philipp Ernst et de la seconde épouse de son père : les Hatzfeldt-Gleichen, les Schönborn, les Waldbott-Bassenheim, tous noms que nous avons déjà rencontrés, comptent au nombre des plus grands lignages de chevalerie d’Empire rhénane et sont parmi les plus gros pourvoyeurs de chanoines et de princes-évêques. Enfin, ce schéma nous conduit également du côté de Vienne, par des voies intermédiaires – comme celles des Königsegg (que l’on retrouve dans la parenté des deux beaux-frères de Philipp Ernst), un lignage de comtes d’Empire souabes plus qu’à moitié installés à Vienne, de même d’ailleurs que les comtes et princes de Salm et de Salm-Salm – et par des voies directes, puisque apparaissent, dans la parenté des deux brus de Philipp Ernst, les Dietrichstein, les Liechtenstein, ouvrant une porte, que nous ne passerons pas ici, vers les Spaur, les Thun et les autres.

39Que toutes ces strates de la nouvelle aristocratie catholique impériale soient rassemblées ici n’est pas un hasard, et ressortit à un processus dans lequel l’acquisition de reliques romaines joue à l’évidence un rôle : le processus de distinction et de reclassement par lequel chacun de ces lignages se hisse au niveau où il peut rencontrer tous les autres. La distinction est en particulier celle qui s’attache à l’acquisition d’un titre supérieur dans la complexe hiérarchie nobiliaire germanique dont l’empereur, et ce n’est pas le moindre des pouvoirs qu’il conserve, continue d’être le maître. Sans entrer dans le détail de chaque lignage31, il suffira de dire que presque toutes les familles représentées ici, et dans la période que couvre le schéma, sont en train d’acquérir un titre supérieur, celui de prince d’Empire pour les comtes, celui de comte d’Empire pour les chevaliers. Les alliances suivent scrupuleusement ces promotions, et les reliques romaines consacrent leur lustre. Si Philipp Ernst vient chercher en 1752 une quatrième relique des catacombes (un corps entier), cinquante-deux ans après la précédente, et soixante-huit ans après la première, c’est cette fois-ci en tant que prince, dignité qui lui a été conférée en 1744. Chez les Waldbott-Bassenheim au contraire, les trois attributions de reliques en 1706, 1710 et 1716 précèdent l’attribution du titre comtal en 1720. Cette remarque vaut d’ailleurs aussi à un niveau inférieur, au sein de la noblesse habsbourgeoise, où les Polheim célèbrent leur titre comtal, accordé en 1721, en allant chercher une relique à Rome en 1722, où les Werdenburg, créés barons en 1705, apparaissent deux fois dans les listes en 1707, et où même certaines attributions de corps saints sont en étroite relation avec l’accession à la noblesse : la seule mention des Benedictis von Loverberg date de 1716, année de leur anoblissement, un Florantin von und zu Plumenfels, anobli en 1716 lui aussi, apparaît en 1717, pour ne citer que les cas les plus visibles.

40Distinction, mais aussi reclassement ; il a déjà été question du rattrapage de capital sacral nécessaire aux dynasties converties, et bien visible dans ce schéma. C’est également la difficulté à recomposer un champ d’alliance après la rupture confessionnelle qui pousse un Hohenlohe à épouser une Hatzfeldt-Gleichen puis une Schönborn, d’un titre équivalent, d’un poids ecclésiastique supérieur, mais d’un rang inférieur au sien. L’insertion des Liechtenstein ou des Dietrichstein dans ce schéma tient, on l’a dit, à leur volonté de se mêler à la haute noblesse immédiate, là où leur titre, et non leur origine, les appelle. On pourrait multiplier les exemples, mais ils parviendraient tous au même résultat : la réception des reliques romaines, au sein de la noblesse allemande, prend prioritairement place au carrefour, marqué par de nouveaux réseaux d’alliances, où se rejoignent des lignages d’origine diverse troquant leurs avantages contre ce qui leur manque. Il y a donc adéquation presque parfaite entre le « noyau dense » de l’espace de réception et la fusion réticulaire de lignages en pleine évolution – ces lignages qui, au XIX^e siècle, constitueront tous ensemble la haute aristocratie viennoise.

41Cette adéquation ne nous dit rien des usages concrets et précis qui accompagnent l’acquisition des reliques, mais permet d’en esquisser la fonction sociale. Au moment où les grandes familles aristocratiques allemandes achèvent d’introduire le fidéicommis et de constituer le lignage et son patrimoine en valeurs quasiment sacrées, la relique prend place dans cette entreprise de distinction, que ce soit par le mécénat dévot ou l’instauration de chapelles privées32, ou bien par l’accumulation personnelle, en préfiguration des dévotes collectionneuses brossées par Lampedusa33. Dans le cas des reliques des catacombes, l’unicité du modèle et la centralité de sa source rendent d’autant plus sensibles la cohérence et l’éminence du réseau élitaire à la fois créé et confirmé par la diffusion de la dévotion. En ce sens, la répartition nobiliaire des corps saints est très comparable (et recoupe souvent les mêmes réseaux) aux émulations aristocratiques qui font éclore par douzaines les imitations et les répliques de Lorette34, du Saint-Sépulcre35, ou de la chapelle d’Altötting36.

42Ce faisant, cette aristocratie opère un retour aux pratiques d’ostentation du capital sacral qui avaient été celles, à la fin du Moyen Âge, des plus grandes dynasties princières, passées depuis au protestantisme. Cet usage peut être comparé aux évolutions du prénom aristocratique catholique qui lui aussi s’insère dans des renouveaux dévotionnels exprimés par les saints de référence, mais qui mobilise ces apports selon des modalités propres à exprimer avec une grande finesse la distinction et la spécialisation sociales, ainsi que le désir d’individualisation lignagère par l’adoption de « prénoms de famille » (il n’est sans doute pas indifférent, de ce point de vue, que ce soit un corps entier du nom de Florianus qu’acquiert en 1694 le prince Florian von Liechtenstein)37. Ce qui nous importe ici est que, dans ce mouvement général, les corps saints des catacombes aient été choisis comme signe distinctif et comme capital sacral conforme au rang par une portion précise de l’aristocratie germanique : la nouvelle haute noblesse catholique composite d’une part ; les groupes inférieurs de la noblesse habsbourgeoise d’autre part, préfigurant une « descente sociale » de cette pratique dévote.

Conclusion

43On ne voudrait pas donner l’impression que cette accumulation de chiffres ressortit à une conception purement mécaniste des pratiques dévotionnelles. Encore une fois, ce n’est là qu’une approche possible. Les statistiques ont cependant peut-être permis de montrer que cette approche n’était pas totalement illégitime, puisqu’elles ont fréquemment abouti à des résultats cohérents et probants. Ces derniers peuvent être rassemblés en quelques phrases : les reliques romaines ne sont pas attribuées à n’importe quels nobles, mais à quelques groupes bien définis et cohérents. Le chemin vers les corps saints emprunte certaines voies privilégiées et supporte des flux plus ou moins denses, dont la hiérarchie obéit assez rigoureusement à des logiques sociales. Le « noyau dense » de cet espace de réception nobiliaire germanique des reliques romaines correspond exactement à la fusion des élites de plusieurs noblesses différentes en une nouvelle aristocratie catholique liée aux Habsbourg, ce qui suggère une insertion du corps saint dans une logique de distinction et de création sociales au sein de laquelle la confession, par le biais en particulier de la conversion et des carrières ecclésiastiques, joue un rôle majeur.

44En définitive, c’est donc d’une histoire sociale des confessions dans le Saint-Empire qu’il a été question ici. Elle met en œuvre une réflexion sur l’espace, sur les définitions du soi social, sur les réseaux d’appropriation, sur la spécificité sociale des pratiques dévotionnelles. Elle ne prétend pas pour autant réduire le confessionnel au social, puisque précisément le confessionnel, dans l’Allemagne des XVII^e et XVIII^e siècles, est devenu un élément fondamental du social – en tout cas pour une grande partie de l’aristocratie. Cette histoire, surtout, ne veut pas réduire à un pur objectivisme l’appréhension subjective et l’usage proprement religieux des reliques. Séparer les deux serait ignorer que la force des constructions sociales repose sur les constructions subjectives qui les animent. Mais il faut parfois choisir le point de vue auquel on se place et nous espérons que celui qui est présenté ici pourra ponctuellement éclairer les autres études, hautement nécessaires, sur les modalités précises de la réception des corps saints des catacombes.

45Ce texte a été présenté au séminaire du CARE le 2 avril 2002 ; il a été retravaillé afin d’être pré-publié, le 9 mai 2007, comme n° 2 de la série « Multigraph. Pré-publications du Centre d’anthropologie religieuse européenne ». S’étant consacré depuis, avec Stéphane Baciocchi, à l’animation générale de l’enquête ainsi qu’à un nouveau chantier sur la Suisse alémanique, l’auteur est parfaitement conscient que cet article demanderait à être repris et transformé en fonction de l’évolution de l’enquête collective. Il préfère toutefois lui conserver, sans changements, sa forme élaborée entre 2000 et 2002 et fixée en 2007. Tel quel, ce texte illustre en effet une inflexion importante de l’enquête (conduisant d’un intérêt centré sur les reliques elles-mêmes vers un travail d’histoire sociale sur sa diffusion) et constitue donc un témoignage sur son long développement. Les conclusions, en outre, demeurent aux yeux de l’auteur valides pour l’essentiel. Plutôt qu’y apporter des changements partiels et limités, il a choisi de le livrer dans son état d’origine, imperfections comprises. Une partie des nobles pris en compte dans cet article sont également étudiés dans la contribution de M.-E. Ducreux – ce qui reflète parfaitement les multiples appartenances de l’aristocratie des Habsbourg. Les deux articles sont donc d’autant plus complémentaires que les approches, différentes, s’enrichissent réciproquement.