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Reliques romaines

 | 
Stéphane Baciocchi
, 
Christophe Duhamelle

La relique, corps social : distinction, validation, collection

« Zu aller antiquitet lieb und naigung » : la dynastie des Wittelsbach et les débuts du culte des saints des catacombes en Bavière

Albrecht Burkardt

Texte intégral

  • 1 L. Seelig, « Dieweil wir dann nach dergleichen Heilthumb und edelen Clainod sonder Begirde tragen » (...)
  • 2 T. Appl, Der Ausbau geistlicher Zentren als Kernstück der Kirchenpolitik Herzog Wilhelms V. (1579-1 (...)

1 À la fin du XVIe siècle, en 1590 et 1593, les jésuites munichois reçoivent pour leur église de Saint-Michel, alors en cours de construction, d’abord deux, ensuite huit corps saints issus, pour la plupart, des catacombes romaines1. Pour la deuxième occasion, les reliques font l’objet d’une fête de translation dans toutes ses splendeurs. Comme s’il s’agissait d’une entrée royale, le cortège, présidé par le clergé et les membres de la congrégation mariale, est accueilli aux portes de la ville par les autorités temporelles les plus illustres : « À la porte de Sendling, la famille ducale, sa cour et l’évêque de Crémone, César Specianus, se placèrent à la tête du cortège. Au son de la musique et des cloches de toutes les églises, les corps saints furent transférés en l’église St. Michel »2.

  • 3 Die Reise von Oberaudorf nach Rom. Illustriert von Wolfgang Wright, Munich, 1997.
  • 4 Ibid., p. 14.

2À la fin du XVIIIe siècle, pour l’année du jubilé 1775, trois habitants du petit village d’Oberaudorf en Haute-Bavière, au sud de Rosenheim, se rendent en pèlerinage à Rome où ils reçoivent à leur tour, après bien des épreuves, le corps entier d’un saint des catacombes3. Péniblement, ils le transportent jusqu’à leur lieu de départ où, après deux mois de voyage, ils sont reçus avec éclat : « Le 28 octobre [1775] nous sommes arrivés chez nous avec le corps saint de Donatus, sous des milliers d’acclamations et escortés d’une procession religieuse avec croix et bannières, et une foule de gens vinrent à notre rencontre »4.

3De Munich à Oberaudorf, nous voici, semble-t-il, devant l’exemple type d’un processus d’acculturation religieuse parfaitement réussi dans la longue durée. Un culte, mis en place dès les débuts de la Contre-Réforme dans le sud de l’Allemagne sous l’égide de l’un des ordres phares du mouvement, en alliance étroite avec la maison princière, nous le verrons, se popularise de plus en plus jusqu’à s’autonomiser au sein de la population villageoise : celle-ci prend elle-même l’initiative de se procurer les corps saints du type considéré.

  • 5 Voir infra.

4D’après les données dont on dispose, les deux exemples semblent assez représentatifs du mouvement de réception des saints des catacombes dans le sud de l’Allemagne. Celui-ci se caractérise en effet par une sorte de mouvement mimétique, du haut vers le bas de l’échelle sociale. Conjointement aux ordres phares de la Contre-Réforme, à commencer par les jésuites, les ducs de Bavière sont, dès la fin du XVIe siècle et encore au début du XVIIe, les premiers adeptes de la « nouvelle vague » de corps saints que rend possible la redécouverte des catacombes romaines en 1578. Le mouvement reste, il est vrai, encore assez faible, même si la diffusion semble avoir pris plus d’ampleur dès la veille de la Guerre de Trente ans5. Celle-ci empêche en tout cas un rayonnement plus soutenu des cultes dès les premières décennies du XVIIe siècle.

  • 6 Pour des synthèses, mais qui ne se prononcent guère sur la sociologie des demandeurs et leur évolut (...)

5Cependant, la guerre et ses destructions créent aussi des besoins d’approvisionnement renouvelés. Lorsque la crise est passée, la demande de reliques se fait nettement sentir, et les élites du pays sont les premières à l’articuler. Depuis les années 1670, notamment, les corps saints des catacombes arrivent en masse dans le sud de l’Allemagne. La vague atteint son apogée à la fin du siècle, mais l’afflux reste encore considérable tout au long du premier tiers du XVIIIe siècle6. Dans cette phase, la noblesse et les hauts dignitaires de l’Église catholique, notamment au sein du clergé cloîtré, à commencer par les riches abbayes de chanoines réguliers, sont les principaux bénéficiaires des reliques. Ce n’est qu’au cours du XVIIIe siècle que, conformément à l’exemple d’Oberaudorf, les corps saints des catacombes deviennent majoritairement le fait des couches populaires, des confréries et des églises paroissiales.

  • 7 A. Burkardt, Les fêtes… cit.

6Sans doute, le modèle que nous venons de présenter mérite-t-il d’être nuancé. La dernière phase, soi-disant la plus « populaire », ne correspond pas en effet à celle de la plus grande diffusion des reliques des catacombes : dans le sud de l’Allemagne, l’importation des corps saints semble connaître, bien au contraire, un recul de plus en plus prononcé depuis les années 1730. Paradoxalement, il faut donc attendre l’heure du déclin pour voir se populariser le public des récepteurs. Déclin que connaît également la publicité des cultes, à en juger d’après la conjoncture des récits de translation imprimés : le nombre de ces documents, qui rendent compte de la venue d’une relique des catacombes et de son installation solennelle au lieu sacré où elle trouve désormais sa demeure, semble lui aussi en diminution7.

  • 8 Die Reise von Oberaudorf… cit., p. 100.
  • 9 A. Ginther, Beschreibung und Inhalt aller Begebenheiten und Anstalt bey der Erhaltung [...] der 3 h (...)
  • 10 Kurze Beschreibung der Solennen Translation [...] Felix Martyrers Victor Mart. Aurelius Mart. und E (...)

7Il est vrai que la raréfaction des importations est sans doute aussi la conséquence d’un contrôle plus strict, voire d’une limitation nette des dons de reliques à Rome même. Les pèlerins d’Oberaudorf, qui reçoivent les leurs de la main même du pape, sont en tout cas conscients du fait qu’ils ont eu la chance de leur côté : « On dit que nous avons une grâce singulière : alors que 100 personnes auraient été mises en attente et versé une somme d’argent, plus aucun corps saint n’aurait pourtant été distribué »8. Cela dit, ce dernier fait n’explique pas la popularisation même des demandes. Celle-ci a pour corollaire une désaffection des élites – sociales et religieuses – face au phénomène en question. Bien entendu, les exceptions existent – et dans les deux sens. Le fort investissement des élites au cours du XVIIe siècle et pendant la première moitié du XVIIIe n’empêche pas que, dans la même période, les reliques puissent aller, de temps à autre, au profit de groupes sociaux plus humbles. En 1687, la paroisse de Biberbach reçoit ainsi les trois corps saints « S. Fortunati, S. Laureati, S. Candidae »9. Inversement, en 1738, un récit de translation rend compte de l’arrivée de pas moins de sept corps saints des catacombes à Munich en faveur de la princesse Violaine Béatrice de Toscane10. Cependant, est-ce se tromper que de croire que la masse des corps est ici le gage d’un engagement des élites qui a désormais du mal à se mobiliser ?

  • 11 Voir également M. Haggenmüller, Als Pilger nach Rom. Studien zur Romwallfahrt aus der Diözese Augsb (...)
  • 12 Archivio storico del Vicariato di Roma (désormais ASVR), Archivio della Custode, I, 1737-1783 ; pou (...)

8Les tendances « popularisantes » du XVIIIe siècle sont confirmées en tout cas par d’autres sources11, en particulier par les suppliques adressées à la custode pour l’obtention des reliques des catacombes. De trente lettres originaires de l’aire germanique datant de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, et dont la grande majorité concerne le sud de l’Allemagne des années 1771-1782, dix-sept (56,5 %) destinent la relique à une église paroissiale, seulement cinq à celle d’un ordre religieux (16,5 %), deux à l’usage privé ; les destinations à l’usage immédiat de la noblesse sont très peu présentes. La part des nobles reste pourtant considérable parmi les suppliants (26,5 %), ce qui montre que la noblesse conserve un rôle important comme intermédiaire dans la distribution des reliques. Elle participe peu en revanche à la promotion des églises paroissiales. La très grande majorité des suppliques en faveur de celles-ci a en effet pour auteur un acteur de la paroisse elle-même, qu’il s’agisse du curé, de simples laïcs ou d’un « collectif », la supplique étant rédigée au nom de la communauté entière. Aussi ces « paroissiens » constituent-ils la majorité de l’ensemble des suppliants (50 %)12.

9 Il est impossible, dans le cadre de cette contribution, d’approcher de façon concise l’ensemble de ce mouvement de réception. Nous nous proposons donc de nous concentrer, dans les pages qui suivent, sur ses débuts, en explorant notamment le rôle que la maison ducale a pu jouer dans la promotion des reliques des catacombes. C’est constater tout d’abord, en harmonie avec l’exemple donné en introduction, que l’importation des corps saints connaît un premier apogée dès les dernières décennies du XVIe siècle, sous le règne et l’égide de Guillaume V (1579-1597), dont il s’agira d’analyser les tenants et aboutissants. Au siècle suivant, on passe d’une diffusion encore modeste dans les premières décennies, à la hausse exponentielle des importations depuis les années 1670, les deux phases étant délimitées par la « trêve » de la guerre de Trente ans. Chemin faisant, le rôle de la maison ducale dans la diffusion des cultes change. Ses membres suivent désormais le mouvement plus qu’ils n’y incitent, et leur dévotion pour les reliques est, tendanciellement, de nature privée plutôt que publique.

Du cabinet de curiosités à l’épicentre sacral

  • 13 Voir, pour ces tendances, visibles un peu partout dans les États catholiques de l’Empire, H. Molito (...)
  • 14 Voir la rapide synthèse de Philip M. Soergel, Wondrous in his saints. Counter-Reformation propagand (...)

10Si la Bavière ducale puis électorale a fait partie des premières destinations de dons de saints des catacombes depuis 1578, ce n’est guère le fruit du hasard. Il s’agit en effet d’un pays qui a très vite adopté la voie d’une Contre-Réforme résolue, même si cette position ne s’est jamais confondue avec une soumission totale aux directives romaines, ni avec une adoption sans faille des réglementations tridentines13. Bien que les premières mesures emblématiques (telles que l’installation des jésuites à Ingolstadt en 1549) se trouvent établies dès le règne de Guillaume IV (1508-1550), c’est surtout sous Albert V (1550-1579), dans les années qui suivent la paix d’Augsbourg de 1555, puis la fin du Concile de Trente, que la Bavière se lance dans un engagement de plus en plus prononcé en faveur de la Contre-Réforme visant à la fois la marginalisation du protestantisme (bien présent, jusque là, notamment au sein de la noblesse) et la réforme du clergé. Ces tendances se renforcent encore sous Guillaume V (1579-1598) et atteignent leur apogée sous Maximilien Ier (1598-1651) lorsque les mesures prises semblent de plus en plus porter leurs fruits14.

  • 15 P.M. Soergel, Wondrous in his saints… cit., passim (pour la citation, p. 80).

11Comme l’a bien souligné Philip M. Soergel, ces orientations trouvent leur point d’orgue dans la volonté des ducs de pourvoir à une sorte de sanctification de l’espace bavarois, qu’elle passe par les processions de la Fête-Dieu – fête fortement propagée par les ducs comme « une forme de sacrement populaire de réconciliation » – ou encore par la réanimation de bien des pèlerinages15. Enrichir le pays par ce capital symbolique que constituent les reliques des saints peut alors paraître une conséquence évidente (ou, tout au moins, une voie d’expression supplémentaire) de ces mêmes tendances. Aussi est-ce bien dans ce cadre qu’il convient de situer l’arrivée des saints des catacombes dans le pays. Celle-ci, en effet, n’est pas un fait isolé mais s’intègre dans une entreprise plus large, la plus nettement prononcée sous le règne de Guillaume V, qu’il s’agira de comprendre sous ses différentes facettes.

12L’engagement de ce prince en termes de reliques semble obéir en effet à quatre motifs principaux. Tout d’abord, il faut rapprocher l’attitude du duc de sa passion de collectionneur – héritage direct de son père. La collection de reliques s’unit ensuite aux orientations inspirées par la Contre-Réforme : il s’agit de sauver, dit-on, partout où c’est possible les corps saints mis en péril par les acteurs de la Réforme protestante. En troisième lieu cette attitude va de pair avec une volonté de faire état de l’ensemble du patrimoine sacral bavarois. Mais il s’agit sans doute aussi de créer, à l’intérieur de ce paysage sacral, une sorte d’épicentre. La création du trésor de reliques de Saint-Michel poursuit précisément cet objectif : c’est un cabinet de curiosité sacral au centre de ce terrain sacral que constitue la Bavière, puissant bastion de la Contre-Réforme.

  • 16 Sur ces traditions, voir J. von Schlosser, Die Kunst- und Wunderkammern der Spätrenaissance. Ein Be (...)
  • 17 K. Pilaski Kaliardos, Prodigious Relics… cit., p. 268.
  • 18 Voir par exemple B. Volk-Knüttel, Maximilian von Bayern als Sammler und Auftraggeber. Seine Korresp (...)
  • 19 Voir H. Simonsfeld (éd.), Mailänder Briefe zur bayerischen und allgemeinen Geschichte, Munich, 1902 (...)

13La collection de reliques par les princes de la maison des Wittelsbach peut paraître, dans un premier temps, comme un épiphénomène du collectionnisme dont les membres de cette famille se sont faits les champions. Notamment Albert V a été à ce propos, semble-t-il, d’une verve inépuisable, dans les meilleures traditions princières de la Renaissance16. Dès 1563, le duc est le fondateur d’un cabinet de curiosité qu’il n’hésite pas à doter d’objets parmi les plus exquis, et ce de façon si généreuse que les acquisitions ne sont pas loin de ruiner les finances publiques17. Les successeurs d’Albert n’hésiteront pourtant pas à suivre l’exemple18 – y compris, notamment chez Guillaume V, la tendance à l’endettement ruineux. Dès l’époque où il réside, en tant que prince héritier, à Landshut entre 1568 et 1579, les moyens qu’emploie le futur duc pour l’achat d’objets précieux – ceux, par exemple, que lui fournissent en continu les frères Visconti à Milan – dépassent régulièrement le budget dont il dispose. En 1575 déjà, Hans Fugger, son principal conseiller-créancier, rend compte d’une dette qui tourne autour de 300 000 florins19.

  • 20 A.L. Thomas, A house divided : Wittelsbach confessional court cultures in Bavaria, the Palatinate, (...)
  • 21 Les collections du cabinet de curiosité peuvent se reconstruire grâce à l’inventaire précis, récemm (...)
  • 22 « On suppose que ce géant a été charrié par le déluge jusqu’à cet endroit, selon le billet qui se t (...)

14Il est vrai que les pièces dont le cabinet se vit doté étaient essentiellement de nature profane : outre une avalanche de portraits de membres de la famille des Wittelsbach, une foule de témoignages généalogiques et toutes sortes d’autres Bavarica – pièces qui donnent sa teinte locale à la collection – celle-ci se composait majoritairement d’objets de l’Antiquité (s’ils n’étaient pas destinés à l’Antiquarium, fondé en 156820) auxquels s’associaient un certain nombre de mirabilia21. On y aurait cherché en vain une sous-section de reliques, à moins qu’on la réduise à cette « petite boîte en bois tourné où se trouve une grande dent extraordinaire qu’on dit provenir d’un géant découvert […] en Suisse dans un terrain sablonneux » – dent qui, selon les hypothèses dont faisait part « l’authentique » attachée à l’objet, avaient été transportée lors du Déluge au lieu de sa découverte22. L’appartenance de ce dernier objet à l’Histoire sacrée étant de faible évidence, des reliques au sens « classique » du terme se voyaient manifestement exclues de la collection : leur nature les destinait en effet à un lieu sacré.

  • 23 Voir H. Simonsfeld (éd.), Mailänder Briefe… cit.

15Il semble d’ailleurs que les fournisseurs de ces deux types d’objets – sacrés et profanes – étaient distingués assez bien les uns des autres. Les frères Visconti à Milan en tout cas étaient surtout spécialisés dans le commerce d’objets d’art profane (encore qu’ils ne dédaignaient pas de fournir, de temps à autre, des tableaux à sujet religieux). D’après la correspondance qu’entretenait avec eux Guillaume V, les reliques sacrées brillaient en revanche par leur absence. Seule exception à la règle : un clou de la croix du Christ mais dont les frères, là encore, ne livraient pas le « prototype » mais un dessin23.

  • 24 Ainsi d’un certain nombre d’objets liturgiques dont la matière renvoie à une origine sacrale, tels (...)
  • 25 C’est l’argument de K. Pilaski Kaliardos, Prodigious Relics… cit.
  • 26 Voir ibid., p. 163.
  • 27 Ainsi d’un certain nombre de mirabilia dont le statut extraordinaire était lié, soit à une interven (...)

16La collection n’était pas pour autant dépourvue de connotations confessionnelles. Elle contenait en effet de nombreux portraits de saints (« heiligenbiltl »), de même que d’autres tableaux à sujet religieux. En outre, y figuraient divers objets liturgiques qui, sans être des reliques à proprement parler, étaient dotés, de par leur origine, d’une certaine aura sacrale24. Enfin, entraient dans la collection divers prodiges (« Wunderzeichen ») dont certains étaient sans doute perçus comme des simples curiosités, mais dont d’autres avaient une signification confessionnelle certaine25. Si l’exemple de cet arbre (« Bierbaum »), transformé « par un miracle divin en pierre dure et jaune », dont un échantillon se retrouvait dans la collection, transmettait sans doute un message religieux valide dans toutes les confessions chrétiennes (le bucheron pécheur avait coupé l’arbre, malgré toutes les mises en garde, le Vendredi Saint26), d’autres mirabilia comportaient une signification dont l’empreinte catholique ne pouvait guère faire de doute27.

  • 28 Voir H. Glaser (dir.), Wittelsbach und Bayern… cit., II, p. 247 (« Die Reliquienkammer ») ; l’auteu (...)
  • 29 Pour le culte de Saint Benno, voir P.M. Soergel, Wondrous in his saints… cit., p. 181-191 ; T. Appl (...)

17Étant donné ces affinités, on comprend que le collectionnisme des Wittelsbach n’ait pas eu de mal à s’investir également dans le domaine des reliques des saints, sauf que celles-ci n’étaient pas destinées aux mêmes lieux. La tendance apparaît déjà sous Albert V qui non seulement fait entrer bien des mirabilia « confessionnalisés » dans son cabinet de curiosité mais s’efforce également de prendre possession de bon nombre de corps saints. Sous le règne de son fils cette dernière tendance s’accroît de façon exponentielle, le « décollage » s’opérant probablement dès les débuts du règne (1579), avec la réinstallation à Munich et l’influence grandissante des jésuites28. Du point de vue qui nous intéresse, le passage du père au fils n’est-il pas illustré de façon emblématique par l’exemple des reliques de Saint Benno, importées à Munich dès la fin du règne d’Albert V, en 1576, mais exposées splendidement en public (dans la Frauenkirche) seulement à partir de 1580, à la suite de l’avènement de Guillaume V29 ?

  • 30 Cela à en juger d’après les libri antiquitatum (voir supra) dont seulement deux des six volumes (HS (...)

18Ce tournant aurait-il provoqué une baisse de l’attention portée à d’autres objets de collection30 ? En tout état de cause, ce n’est pas la fin de la passion du collectionneur. Celle-ci prend des allures plus confessionnalisées, mais sans désavouer les activités analogues dans le domaine du profane. Au contraire, Guillaume n’hésite pas, semble-t-il, à conférer aux objets de ses désirs, qu’ils soient de nature sacrée ou profane, un seul et même statut : celui d’« antiquités ». Dans une lettre adressée à Melchior Jäger von Gärtringen, datée du 23 août 1591, le duc exprime parfaitement cette vision des choses, tout en faisant part de sa prédilection désormais assurée pour les « antiquités » sacrées. Au destinataire il fait en effet savoir

  • 31 F. Stieve (éd.), Wittelsbacher Briefe aus den Jahren 1590 bis 1610, Munich, 1886, section 1, p. 385 (...)

que, alors que je m’en retournais chez moi et passais par Dillingen, un rapport crédible (et donc conforme à la vérité) m’y a permis d’apprendre que mon dit cousin et frère a rassemblé, en provenance des anciens couvents, fondations et maisons religieuses qui ont été incorporés et supprimés, un nombre non négligeable d’anciens et chers corps saints et reliques (comme nous autres catholiques les appelons), qui dans ces lieux faisaient peut-être l’objet d’une piètre considération. Mais comme pour ma part, par inclination et amour pour toutes les antiquités, [ « Zu aller antiquitet lieb und naigung »] j’ai de tout temps, et encore aujourd’hui consacré tout mon soin à rassembler celles-ci, de différentes manières, avec curiosité et zèle ; comme j’en conserve donc, pour en assurer la mémoire, un grand nombre, rassemblées et convenablement entreposées aux côtés d’autres choses dignes d’attention, et en considération du fait que j’ai souvent conservé aussi des choses sans grande valeur et au contraire fort profanes qui ne sont rien en comparaison de celles-ci – j’ai donc voulu par la présente vous prier de bien vouloir ne pas me refuser votre conseil et votre aide et plutôt d’y consacrer vos efforts et de me faire savoir comment selon vous je pourrais récupérer ces antiquités (j’entends : seulement les ossements et non les ornements qui pourraient y être attenants) avec votre aide et votre concours. Comme il est également possible qu’à chaque parcelle, et singulièrement aux plus considérables et aux plus grandes d’entre elles, soit associé le nom véritable qu’elles ont porté pendant leur vie et qui a été communément en usage, de tout temps, parmi les anciens et pieux chrétiens, et qu’il y ait aussi des corps entiers, voire ceux de tels saints et martyrs des origines, cela me serait d’autant plus agréable31.

19Le texte est remarquable à plusieurs titres. Il manifeste tout d’abord la passion du collectionneur, dont Guillaume est bien conscient et qu’en 1591 il sait résumer, d’ores et déjà, de façon rétrospective (« j’ai de tout temps, et encore aujourd’hui consacré tout mon soin à rassembler celles-ci, de différentes manières, avec curiosité et zèle »). Or cette passion concerne les objets d’art profane tout autant que ceux de nature sacrée, le caractère vénérable résidant dans le dénominateur commun d’être des « antiquités ». Voilà ce qui justifie de les collectionner, la collection servant à en assurer la mémoire (« zu gedechtnus »).

  • 32 F. Stieve (éd.), Wittelsbacher Briefe... cit., p. 469

20Dans ce cadre, toutefois, la primauté revient de plein droit, désormais, aux reliques des saints – « en considération du fait que j’ai souvent conservé aussi des choses sans grande valeur et au contraire fort profanes qui ne sont rien en comparaison de celles-ci ». La collection ne se confond pas pour autant avec une adoration des mêmes objets. En effet, cette dernière attitude, qui déjà ne convient pas à l’égard des saints eux-mêmes, n’a pas la moindre raison d’être pour « leurs reliques et ossements ou cendres ». En les conservant, voilà ce qu’affirme Guillaume à la fin de sa lettre, lorsqu’il revient encore une fois sur le sujet, il s’agit « seulement de leur reconnaître et leur conserver leur honneur et leur dignité » – attitude, en revanche, que méritent ces objets « non pas moins, mais au contraire à meilleur titre que les autres antiquités et choses mémorables »32.

  • 33 Voir K. Pilaski Kaliardos, Prodigious Relics… cit., p. 289-293.

21La lettre énonce en outre un certain nombre de critères permettant de préciser quels types de reliques il s’agit de privilégier. Sont préférables tout d’abord celles à qui il est possible de conférer une identité, ne serait-ce que par la connaissance du nom du saint. C’est une exigence dont l’urgence s’accroît avec la taille de la relique (« et singulièrement aux plus considérables et aux plus grandes d’entre elles »). On n’est pas loin ici d’une volonté d’authentification des corps saints (comment en effet être sûr du nom du saint sans disposer d’informations sur l’origine de la relique ?), volonté qui n’est sans doute pas sans rappeler les décrets du Concile de Trente en la matière, mais qui, à coup sûr, est empruntée également aux pratiques du collectionneur d’antiquités profanes : pour les objets destinés à entrer dans son cabinet de curiosité, Guillaume était extrêmement exigeant – comme l’était déjà son père – quant à la garantie de leur authenticité33.

22Cela dit, la taille des corps saints est aussi en tant que telle un critère de choix. Même si Guillaume ne dédaigne pas les reliques infimes (particulis), celles d’une taille plus importante ont manifestement la priorité, la perfection étant logiquement atteinte avec un corps entier. Ce n’est donc pas un hasard si la description des reliques désirées s’achève par l’évocation des « corps entiers […] de tels saints et martyrs des origines ». Ces reliques, qui rappellent fortement celles des saints des catacombes, forment en effet l’idéal absolu : par leur intégrité autant que par leur âge, elles constituent des « antiquités » par excellence.

23Au-delà de ce qu’elle dit sur le caractère des reliques, la lettre témoigne enfin des méthodes employées pour en faire l’acquisition. Là encore, certains parallélismes avec les pratiques du collectionneur sont patents : comme pour l’obtention des objets d’art profane, Guillaume a recours à des intermédiaires plus ou moins « professionnels » ou, en tout cas, particulièrement bien placés pour servir à la tâche. Toujours est-il que les corps saints n’ont pas pu s’acquérir comme les autres objets de désir du prince : en théorie du moins, ils ne s’achetaient pas. De même, il ne s’agit pas de nier que la passion du collectionneur pouvait s’unir à ce propos à d’autres motifs. La lettre à Melchior Jäger von Gärtringen fait clairement apparaître le plus fort d’entre eux : il s’agissait de sauver les corps saints un peu partout où leur existence se trouvait menacée par la Réforme protestante.

  • 34 Voir P.M. Soergel, From legends to lies : protestant attacks on catholic miracles in late reformati (...)

24Il est pourtant remarquable de constater à quel point Guillaume sait se montrer diplomate dans ses négociations en la matière. Il s’empresse non seulement de préciser que les acquisitions désirées visent « seulement les ossements et non les ornements qui pourraient y être attenants ». Surtout, loin de toute polémique confessionnelle au sujet des cultes de saints, pourtant omniprésente dans ces décennies34, le duc ne porte aucun jugement sur le sort des lieux sacrés (« [les] anciens couvents, fondations et maisons religieuses qui ont été incorporés et supprimés ») qui avaient hébergé jusque là les corps saints qui l’intéressent, ni sur l’abandon de ces derniers eux-mêmes (si ce n’est en les désignant comme des objets « qui dans ces lieux faisaient peut-être l’objet d’une piètre considération »). Au lieu d’une opposition forte à ces dernières tendances, Guillaume va jusqu’à réduire les croyances catholiques à un point de vue : certes, il n’hésite pas à évoquer les reliques qu’il désire obtenir sous les termes « anciens et chers corps saints et reliques » ; mais il n’oublie pas d’ajouter, entre parenthèses : « comme nous autres catholiques les appelons ».

  • 35 P.M. Soergel, Wondrous in his saints… cit. ; J. Chipps Smith, Salvaging saints : The Rescue and Dis (...)
  • 36 R. Zimmerman (éd.), Evangelisch-katholische Fürstenfreundschaft. Korrespondenzen zwischen den Kurfü (...)

25Il est vrai qu’au moment où il écrit la lettre, Guillaume dispose déjà d’une longue expérience d’acquéreur de reliques, et il sait donc bien que, pour réaliser ses objectifs, il n’est guère utile de s’investir dans des polémiques acharnées avec les personnes qu’il a en face de lui. D’autant que, comme l’avait montré notamment l’acquisition des reliques de Saint Benno, le duc pouvait se voir concurrencer par d’autres princes catholiques, tout aussi désireux que lui de s’approprier le corps saint en question35. Dans ce dernier cas, c’est sans doute une amitié de longue date entre les princes de Saxe et de Bavière qui fait que ces derniers sortent finalement vainqueurs de la compétition36. Le plus souvent, toutefois, de telles affinités (et les contacts allant avec) ont dû faire défaut, et Guillaume a donc eu recours à des intermédiaires pour arriver à ses fins.

  • 37 Pour Jäger von Gärtringen, voir R. Uhland, Jäger von Gärtringen, Melchior, dans Neue Deutsche Biogr (...)
  • 38 Pour une partie de la correpondance avec Agricola, voir HStAM, GR 513/65a. Pour ce personnage et se (...)
  • 39 Pour ce cas, voir W. Ulsamer, Wolfgang Agricola… cit., p. 93 (pour la citation, ibid.) ; pour un au (...)

26Ces personnages pouvaient être des collaborateurs des princes en question, comme dans le cas de Jäger von Gärtringen, le destinataire de la lettre que l’on vient de commenter, qui n’était autre que le chancelier du Wurtemberg protestant37. Mais Guillaume a aussi régulièrement recours à des personnages qui ne sont pas loin de faire de la transmission de reliques un véritable commerce, ou qui en tout cas n’hésitent pas à faire rémunérer leurs efforts. En Franconie, notamment, terrain doté de nombreuses reliques « menacées », le duc s’assure ainsi les services d’un certain Wolfgang Agricola, doyen de la collégiale de Spalt, qui lui communique bon nombre de corps saints, souvent à la suite d’âpres négociations. Guillaume, en effet, n’est pas toujours prêt à accepter les conditions d’acquisition (en cas de doute, la hauteur des frais de « dédommagement » qu’il est censé payer), voire les objets eux-mêmes offerts par le clerc38. Les arguments employés qui, parfois, justifient aussi un refus, ne sont d’ailleurs pas de nature exclusivement pécuniaire ; on retrouve également le critère d’authenticité. Pour un certain crucifix, par exemple, tombé entre les mains des protestants, le duc renonce à l’acquisition, l’objet n’étant pas doté d’un testimonium, ce qui fait soupçonner la fraude (« Il y a beaucoup de souci à se faire qu’une tromperie s’y soit mêlée »)39.

  • 40 Les reliques sont authentifiées, la même année, par le jésuite Georg Raethius (voir HStAM, Jesuiten (...)
  • 41 Voir HStAM, Jesuiten, Urkunden, le 24 juillet 1592.
  • 42 Pour d’autres exemples de ce type, voir HStAM, Jesuiten, Urkunden, passim. Ces tendances se poursui (...)

27Inversement, dans les cas conclus positivement, le dédommagement pécuniaire n’était pas la seule technique d’acquisition de corps saints. À de nombreuses occasions, Guillaume n’avait de toute façon pas le moindre effort à faire, les reliques arrivant en sa possession par le biais d’un don. Les particules de la robe de lin de la Vierge, conservées dans la cathédrale d’Olmütz, reçues dès 1584, étaient ainsi un cadeau du conseiller Ludwig Müller à son prince, Guillaume, « qui dit-on a coutume de révérer plus que tout les reliques des saints »40. Dans ce dernier cas, ce sont donc les rapports de clientèle qui expliquent ce don, fait par un subordonné à son supérieur. Mais naturellement le même geste pouvait aussi s’effectuer sur l’axe horizontal des rapports sociaux : en 1592, le duc reçoit ainsi des reliques de la part de l’archevêque et prince-électeur de Trêves41. Il est patent enfin que ce genre de dons émanait prioritairement de membres du clergé42.

  • 43 Voir J. Chipps Smith, Salvaging Saints… cit., p. 33-34.
  • 44 Voir U. Müller, Der Versuch Herzog Wilhelms V. von Bayern, das Reichsheiltum in seinen Besitz zu br (...)

28Quant aux initiatives lancées par Guillaume lui-même, les techniques d’acquisition employées semblent avoir pu passer, elles aussi, par le don, plus précisément cependant par l’échange de dons. Naturellement, le duc n’avait guère de chances (ni la volonté) de réaliser ses objectifs en offrant à son tour des objets sacrés ; en revanche, Guillaume n’hésitait pas à investir d’autres objets précieux auxquels ses interlocuteurs étaient bien plus sensibles qu’aux vertus des corps saints : à plusieurs reprises, le duc a pu acquérir des reliques en échange de chiens de chasse, par exemple, ou encore de chevaux de race43. À d’autres occasions, toutefois, sans doute exceptionnelles, le duc semble aussi avoir eu recours aux pratiques les plus contraires au don (mais loin d’être inouïes dans le champ d’activité qui nous concerne). Dans les meilleurs traditions des furta sacra, en effet, Guillaume n’a pas hésité à passer par le vol pour s’emparer des reliques désirées, la tentative la plus connue de ce type – visant à prendre possession des insignes de l’empire – ayant néanmoins échoué44.

  • 45 Pour ce voyage, voir les commentaires de Stieve, dans F. Stieve (éd.), Wittelsbacher Briefe… cit., (...)

29Reste à ajouter que les techniques que nous venons de résumer n’étaient naturellement pas employées seulement par le duc en personne ; elles le furent tout autant par ses collaborateurs. De même, ceux-ci pouvaient être le bout de la chaîne de toute une série de médiateurs. Il arrivait, par exemple, que Guillaume confie à ses proches la tâche de faire la chasse aux reliques à sa place. Ainsi le duc a pu acquérir de nombreux corps saints grâce aux voyages de ses deux fils, Philippe et Ferdinand, voyages qui – sorte de « grand tour » fractionné – les amènent en Rhénanie (Ferdinand n’est autre que le futur archevêque-électeur de Cologne) et, plus tard, à Rome, où les rejoint également leur frère Maximilien45. Dans la ville des onze mille vierges, s’emparer de reliques semble être une tâche aisée, tant les lieux sacrés abondent de corps saints, à commencer par ceux des martyrs qui, fidèlement aux désirs du père qui nous sont désormais familiers, sont particulièrement visés par la quête :

  • 46 F. Stieve (éd.), Wittelsbacher Briefe… cit., p. 442 (13 décembre 1590, Philippe et Ferdinand de Bav (...)

Avant de quitter Cologne pour d’autres lieux, nous mettrons le plus grand soin à acquérir des reliques des martyrs. Leur grande masse fait accroître notre foi, les murs de presque toutes les églises étant vêtus d’ossements de saints à la stupeur et admiration continues. Nous avons agi à ce propos avec le Révérendissime Nonce et avec nos très aimés Pères ; ils nous assurent de tout leur soutien, et ils ont bon espoir46.

  • 47 Pour les reliques apportées par les deux frères, dont, bien entendu, des corps saints des onze mill (...)
  • 48 Pour ce dernier aspect, voir infra. Sur les activités diplomatiques de Minucci, voir, entre autres, (...)

30Comme on le voit, même dans ce milieu favorable, la recherche ne se fait pas sans l’appui de personnes sur place ; il s’agit ici des pères jésuites ainsi que du nonce apostolique, Ottavio Mirto Frangipani, et on se doute que du moins ce dernier avait besoin à son tour d’intermédiaires pour satisfaire aux désirs des jeunes princes47. Il n’en va guère autrement à Rome où les fils du duc sont confiés aux bons soins de Minutius Minucci, prévôt d’Altötting, figure de médiation importante dans les rapports entre le Saint-Siège et les territoires catholiques de l’Empire de ces années, mais qui adopte ici quasiment le rôle d’un précepteur, et prête également son assistance aux deux princes pour acquérir des reliques – issues, notamment, des catacombes – comme il l’avait déjà fait auparavant, indépendamment d’eux mais toujours en faveur des Wittelsbach48.

  • 49 Dès 1580, sont reçues par exemple certaines reliques de l’apôtre Paul d’un couvent de la ville de H (...)

31Comme le montrent ces derniers exemples, les reliques importées par Guillaume V lui parviennent aussi de pays dans lesquels le catholicisme est resté bien établi. Toujours est-il que la plus grande partie des corps saints semble originaire des territoires passés à la Réforme protestante, et notamment de ceux plus ou moins limitrophes de la Bavière. Ainsi de la Franconie, et notamment de Nuremberg, où Wolfgang Agricola était particulièrement actif. Dans ces contrées, les négociations à conduire ne concernaient d’ailleurs pas seulement les autorités protestantes. Souvent, il s’agissait de composer avec les supérieurs de tel ou tel couvent ou ordre particulier. En effet, bien des villes passées à la Réforme n’avaient pas sécularisé immédiatement les établissements du clergé régulier ; en revanche, on excluait de nouveaux recrutements ce qui condamnait les couvents à une mort lente. Lorsque la fin s’approchait, les religieux restants cherchaient ainsi à régler la succession – le capital symbolique que constituaient leurs reliques ne formant pas la moindre de leurs préoccupations. Il s’agissait de trouver des endroits garantissant protection et vénération. Naturellement, la Bavière était une destination privilégiée pour les objets de ce type, et les archives des jésuites munichois, par exemple, contiennent de nombreuses attestations de tels transferts49.

  • 50 Voir, par exemple, W. Ulsamer, Wolfgang Agricola… cit., p. 101, posant que seul Frédéric le Sage de (...)
  • 51 Voir ce don de reliques de la part de Cordila Knörin, prieure du couvent des dominicaines de Sainte (...)
  • 52 Voir W. Ulsamer, Wolfgang Agricola… cit., p. 96-100.

32Guillaume V bénéficiait donc lui aussi de ces tendances, mais faut-il en conclure que « sauver » de tels corps saints était le motif principal, voire exclusif, expliquant son comportement dans ce domaine, comme nous l’avons suggéré nous-mêmes en passant, en hommage à toute une tradition historiographique50 ? Le propos mérite sans doute d’être nuancé. Retenons en tout cas que les détenteurs de ces reliques n’étaient pas forcément tous des êtres rongés par le désespoir, comblés de joie à l’idée que Guillaume pourrait leur faire la grâce d’accueillir leurs corps saints. Aussi les authentiques rendant compte de la translation accomplie peuvent-elles paraître parfois quelque peu enjolivées, en suggérant un lien de cause à effet contraignant et sans alternative entre la menace d’une prochaine « extinction » du couvent et le transfert des reliques entre les mains du duc51. De fait, nous avons déjà vu que ces mêmes transferts étaient souvent le fruit de longues négociations, les détenteurs, telles les religieuses des couvents de Sainte-Catherine ou de Sainte-Claire à Nuremberg, ne se séparant pas sans conditions de leurs reliques. Pour les corps saints en possession de l’Ordre Teutonique dans la même ville, on sait que ces tractations se sont même déployées sur plusieurs années52.

  • 53 HStAM, 513/65a, lettre de Guillaume V à son fils Ferdinand, Landshut, le 10 août 1590, citée par U. (...)
  • 54 K. Pilaski Kaliardos, Prodigious Relics… cit., p. 268.
  • 55 G. Lazure, Posséder le sacré. Monarchie et identité dans la collection de reliques de Philippe II à (...)

33Manifestement, l’acquisition des reliques par Guillaume ne se confondait pas avec une suite d’actions charitables et désintéressées. Les « sauvetages » en question étaient inséparables de la volonté déclarée du duc de mettre toute son énergie à la collection de reliques, « les choses sacrées que je récupère et rassemble donc partout où je le peux », comme il le formule en 159053. Reste à savoir quels sont à leur tour les motifs de cette activité acharnée. Or il ne semble guère suffisant d’expliquer celle-ci par une sorte de variante de la passion du jeu. Sans vouloir exclure une telle dimension, d’autres motifs, plus « rationnels », viennent s’ajouter. En effet, si le cabinet de curiosité – lieu d’accueil principal des objets profanes collectionnés par le duc – se justifiait « en tant que dépôt central du savoir »54, la collection de reliques pouvait se concevoir comme un dépôt analogue dans le domaine du sacré. Or ce n’était pas un but en soi. Si l’on a pu constater que, de façon générale, les collections se voulaient « une matérialisation de la grandeur d’un prince »55, il est clair que les reliques avaient, selon la même optique, la fonction de souligner, voire de consolider le caractère sacré du pouvoir. En même temps, le phénomène s’inscrivait dans les démarches d’une économie du salut : celui de l’individu régnant, renforçant auprès de lui la présence sacrale et protectrice des reliques, mais aussi, et par là même, le salut du collectif présidé par le prince. Enfin, cette mobilisation du sacré comportait une forte dimension apologétique et confessionnalisante. Alors que de nombreux territoires limitrophes abandonnaient le culte des saints, il s’agissait de s’assurer des identités propres en « conjurant » la puissance sacrale des corps saints.

  • 56 Voir, pour l’édit et les réponses reçues, HStAM, GR 513/65b, ainsi que HStAM, Bestand Kurbayern, Ge (...)
  • 57 P. Burke, How to be a Counter-Reformation saint, dans K. von Greyerz (dir.), Religion and Society i (...)

34Faut-il s’étonner que la concentration de reliques à Munich soit allée de pair, là encore dès les débuts du règne de Guillaume V, avec la volonté de saisir systématiquement le patrimoine sacral de l’ensemble du pays ? Dès 1580, un édit exige en tout cas que tous les monastères de Bavière fassent l’inventaire de leurs reliques ainsi que de leurs images miraculeuses ; il s’agit également de rendre compte de l’invention, et/ou des fondateurs des cultes particuliers promus dans les différents lieux sacrés, ainsi que des indulgences et pèlerinages qui y sont liés56. Quelles raisons invoquer pour expliquer une telle enquête ? Naturellement, on peut y voir tout d’abord un reflet de la tendance générale de la Contre-Réforme, prônée déjà par le concile de Trente, à mieux contrôler les sacralités. Il s’agirait alors d’une variante in partibus de ce que Peter Burke a appelé, pour les institutions romaines, l’« accroissement du contrôle centralisé sur le sacré », caractéristique de la même période57. Mais en Bavière il s’agit sans doute aussi de faire l’inventaire de ce qui a survécu aux multiples tendances à la Réforme protestante qu’ont connues ces territoires. Ce qui débouche enfin sur la volonté évoquée de mobiliser ce patrimoine pour une « recharge sacrale » du pays, renforçant les identités confessionnelles en élevant les corps saints au rang d’un rempart contre toute tentation hérétique.

35Parsemées dans le pays entier, les reliques étaient ainsi les vedettes d’une sacralisation du territoire intégral, comme on le voit formulé quelques décennies plus tard par la Bavaria sancta, entreprise éditoriale que l’enquête évoquée n’est pas sans rappeler et qu’elle prépare sans doute à sa façon ; son auteur, le jésuite Matthaeus Rader, s’adresse ainsi au duc Maximilien Ier :

  • 58 M. Rader, Bavaria sancta Maximiliani Sereniss. Principis imperii [...] Auspiciis cœpta, descripta e (...)

Car si tu portes ton regard sur toutes les parties de la Bavière, tu peineras à trouver un lieu qui ne t’offre pas les signes d’une illustre sainteté et de la religion […]. En somme, les choses sacrées occupent une grande partie des terres de Bavière, si bien qu’il serait épuisant de les compter une à une, car toute la région n’est que religion et peut être considérée en quelque sorte comme un seul temple pour l’ensemble du peuple58.

  • 59 Voir J. Chipps Smith, Sensuous worship… cit., p. 59. Pour une comparaison plus systématique des deu (...)
  • 60 Voir, à ce propos, G. Lazure, Posséder le sacré… cit.
  • 61 Pour le projet de Saint-Michel, voir les différentes contributions dans R. Baumstark (dir.), Rom in (...)

36Il peut sembler logique que Guillaume ait été tenté de couronner ces tendances en créant au cœur de la Bavière, c’est-à-dire dans sa capitale, auprès du monarque, une sorte d’épicentre sacral. Le duc, en effet, n’a pas été le seul prince catholique à être animé de telles intentions. Sans aucun doute, l’entreprise de ce type la plus célèbre a été menée, dans la même période, par Philippe II d’Espagne, sous la forme du projet de construction de l’Escorial. La comparaison s’impose d’autant plus qu’elle a déjà été avancée par les contemporains59. Il faut toutefois rester conscient des différences. Près de Madrid se construisait un ensemble architectural qui se voulait à la fois sanctuaire et résidence princière60. À Munich, ces deux sphères restaient assez nettement séparées (à l’intérieur certes de la même ville), le noyau sacral projeté par Guillaume n’étant autre que l’église jésuite de Saint-Michel – la plus grande église construite sur les terres d’Empire depuis un demi-siècle, d’une taille comparable seulement aux plus grandes cathédrales – avec, en son sein, le « cabinet de reliques », c’est-à-dire la chapelle de la Croix (« Kreuzkapelle ») hébergeant la majeure partie des corps saints collectionnés par le duc61.

  • 62 Voir T. Appl, Der Ausbau… cit., p. 105-107.

37On ne s’étonnera pas que, dès les débuts du projet, Guillaume renforce ses efforts pour acquérir des reliques – ce n’est guère un hasard si les deux lettres citées dans les pages précédentes datent de cette période – et l’arrivée des objets acquis marque les étapes principales de l’avancée des travaux : la consécration de l’autel le 29 septembre 1590, qui rend possible l’usage de la nef centrale pour le culte ; celle de la chapelle de la Croix en juillet 1596 ; enfin, un an plus tard, celle de l’église entière62. À ce moment, en bonne partie grâce à l’acquisition des corps saints de l’Ordre Teutonique (accomplie dès 1596), la collection pouvait se vanter de tout un ensemble de reliques parmi les plus exquises, telles des

  • 63 Ibid., p. 106.

Particules de la croix du Christ, trois épines de la couronne d’épines, une parcelle de la table qui était dans la pièce où a eu lieu la cène, une goutte de sang répandue lors de la Flagellation, le voile et deux cheveux de la mère de Dieu, deux ossements de saint Pierre, un bout de la croix de saint Pierre, deux ossements de saint Paul, un tibia de saint André ainsi que des reliques d’autres apôtres et de saints considérables63.

  • 64 HStAM, Jesuiten, Urkunden, 1590-5-2 ; 1591-3-18, 1591-10-29, 1593-5-9 ; pour les licences d’extract (...)
  • 65 HStAM, GR 513/65a, pièce non paginée.

38C’est dans ce cadre que se situe également l’arrivée des corps saints des catacombes. Celle-ci marque en particulier les premières années de la mobilisation. Dès le mois de mai 1590, Minutius Minucci obtient ainsi pour Guillaume V les reliques des martyrs Crispinus et Crispianus qui sont destinées expressis verbis à l’église Saint-Michel, en vue de sa prochaine consécration ; d’autres corps, à usage analogue, sont extraits des catacombes l’année suivante, opérations facilitées par le fait que les jésuites ont eu le privilège de procéder eux-mêmes, à volonté, à l’extraction de reliques des cimetières romains64. Dès 1593, nous l’avons vu plus haut, huit autres saints des catacombes, dont les saints Euphebius, Cyrus, Saturninus, font l’objet d’une fête de translation splendide. Il peut s’agir, en partie ou exclusivement, de reliques obtenues par les fils de Guillaume au cours de leur séjour romain, comme celles des Mart. S. Theorici M. S. Felicissimi, quas Ser.ti Suae ex speciali concessione Sixti PP. V in Cœmiterio S. Calixti, sub templo S. Sebastiani extra muros, in via Appia, collegit Rev. Nicolaus de Assisi, dont fait part un catalogue de reliques établi par Philippe65. Même Maximilien, qui ne fait que venir chercher ses frères à Rome, sait rapporter à son père, en mai 1593, qu’il a obtenu des corps saints du même ressort :

  • 66 F. Stieve (éd.), Wittelsbacher Briefe… cit., p. 479-480 (9 mai 1593, Maximilien au duc Guillaume).

Sa Sainteté m’a offert le corps de saint Euphebius ou Eusebius ; je veux le laisser chez un prêtre qui sera parti après nous, car pour l’instant il ne peut être envoyé parce qu’il vient d’être déterré et n’est pas encore nettoyé, et il voyagera cum majori reverentia quand par exemple il en sera sorti et qu’on pourra l’envoyer avec les bagages ou mes frères. Si je pouvais avoir la grâce d’être présent lors de sa joyeuse entrée, j’y verrais une très grande grâce. Pour le reste, je suis un marchand avec lequel il est facile de négocier, votre Altesse le recevra de moi à vil prix, c’est-à-dire au prix d’un ego volo habere66.

  • 67 En revanche, il est vrai que le journal de voyage, établi sans doute par le précepteur du jeune pri (...)
  • 68 Voir, à ce propos, les litterae annuae de 1593 rendant compte de l’arrivée des reliques apportées p (...)

39Il est vrai que nous n’avons pas de sources indiquant l’arrivée d’autres reliques des catacombes à l’heure de l’aboutissement des travaux en 1596-1597. Mais ce n’est guère le signe d’une dépréciation de ces corps saints (qui n’auraient servi qu’à initier le démarrage de la collection à Saint-Michel). Nous savons déjà à quel point Guillaume V appréciait les integra corpora des martyrs, et il est d’ailleurs probable que le passage de sa lettre à Jäger von Gärtringen, qui nous a révélé cette attitude, s’inspire justement de l’arrivée des corps saints de Crispinus et Crispianus à Munich, à peine un an auparavant. De même, la lettre de Maximilien que nous venons de citer – rare témoignage concernant la perception des corps saints des catacombes par un acquéreur à l’heure de l’acquisition – ne respire sans doute pas un enthousiasme hors du commun. Mais l’appréciation est réelle. Le jeune prince est conscient de la valeur intrinsèque de la relique méritant un transport cum majori reverentia, et une fête de translation (« joyeuse entrée ») à laquelle il ne saurait que trop volontiers assister. Aussi ce n’est pas un hasard si le futur duc réserve le sujet pour la fin de sa longue lettre, sorte d’apogée donc qui contraste bien – effet rhétorique recherché – avec le prix (« un ego volo habere ») fixé pour céder la relique à son père67. Quant aux jésuites eux-mêmes, la gratitude qu’expriment les litterae annuae concerne certes l’ensemble des reliques reçues ; mais les saints des catacombes sont particulièrement à l’honneur68.

Les fluctuations de l’action dynastique entre déprise publique et collection privée

  • 69 À la différence près que les corps saints, dans ces années, ne sont pas encore exposés dans des cer (...)
  • 70 Voir la lettre de Philippe à son père, datant du 26 août 1593, dans F. Stieve (éd.), Wittelsbacher (...)

40Dès les années de construction de Saint-Michel, les éléments clefs semblent ainsi réunis qui caractériseront la diffusion des saints des catacombes en Bavière dans les décennies, voire les deux siècles à venir. L’on pensera en particulier aux fêtes de translation et à l’exposition ostentatoire des corps dans les églises concernées69. Est ainsi mis en place un modèle dont on dirait le succès garanti par le biais du mimétisme social. Nous avons vu plus haut que, dans l’ensemble, cette impression a des chances d’être la bonne. Et en effet, dès les deux décennies qui précèdent la guerre de Trente ans, une première réception plus large des saints des catacombes est tout à fait perceptible. Là encore d’ailleurs, dans un premier temps, non sans lien avec la famille princière. Nous savons en effet que les fils de Guillaume avaient destiné certains des corps saints obtenus à Rome à d’autres objectifs, notamment Philippe, consacré précocement évêque de Ratisbonne, qui prévoyait d’en apporter dans son diocèse70.

  • 71 Voir M. Haggenmüller, Als Pilger nach Rom… cit., p. 305.
  • 72 Pour quelques autres exemples, à Munich (église des augustins) et en-dehors de la capitale (Neuburg (...)
  • 73 Ibid., p. 918-928.
  • 74 Voir T. Johnson, Holy fabrications… cit., p. 282, note 22.

41Il faut attendre une décennie pour trouver les premiers témoignages d’une réception plus autonome des corps saints considérés. Même s’il est vrai que, dès les années 1610, d’autres lieux du territoire commencent eux aussi à être concernés – pour l’année 1613, l’extraction de reliques des catacombes est ainsi attestée en faveur d’un clerc originaire d’Augsbourg71 –, ce n’est guère un hasard si les occurrences sont particulièrement nombreuses pour la capitale. Il s’agit aussi du premier lieu d’accueil de reliques de ce type ; dès 1610, l’église de Saint-Antoine reçoit ainsi le corps de Saint Modestus72. De nombreuses autres particules des catacombes arrivent à Munich dans les années 162073. À la proximité des lieux s’ajoute ici celle des appartenances sociales. L’on sait en effet que bon nombre de ces corps saints vont au profit de dignitaires proches de Guillaume V, tel, en 1623, le chancelier de Bavière74.

  • 75 W. Ulsamer, Wolfgang Agricola… cit., p. 100.

42Toujours est-il que le nombre de tels témoignages n’est pas gigantesque, et – en attendant des sondages plus assurés – l’impression qui s’en dégage est celle d’une diffusion finalement assez modeste des cultes qui nous concernent. Or on serait tenté de lier ce rayonnement limité aux mêmes circonstances qui ont assuré l’implantation du phénomène, c’est-à-dire à la construction de Saint-Michel et la constitution d’un trésor de reliques digne d’une collection princière déposée dans ce lieu. C’est-à-dire que dès la fin des travaux pour l’église jésuite en 1597, l’engagement des Wittelsbach en termes de reliques connaît lui-même un certain déclin. Guillaume, en effet, doit désormais faire face aux retombées négatives de ses investissements : « l’état des finances, en raison des effroyables dépenses faites par le prince pour les églises et les couvents, était devenu catastrophique »75. Le duc n’hésite d’ailleurs pas à en tirer les conséquences. Ayant pu achever le projet qui, manifestement, lui tenait le plus à cœur, il abdique le pouvoir au bénéfice de son fils Maximilien Ier qui, lui, reste à la tête de la Bavière pour le demi-siècle à venir (1598-1651) et acquiert le titre de prince électeur.

  • 76 Voir R. Bireley, The Counter-Reformation prince. Anti-Machiavellianism or Catholic statecraft in Ea (...)
  • 77 Pour plusieurs exemples, voir J. Chipps Smith, Salvaging Saints… cit., p. 33-34.
  • 78 W.J. Bekh, Ein Wittelsbacher in Italien. Das unbekannte Tagebuch Kaisers Karls VII, Munich, 1971, p (...)

43Avec Maximilien accède au pouvoir un jeune prince qui a certes grandi sous la tutelle des jésuites et représentera l’exemple type d’un souverain de la Contre-Réforme. Toujours est-il qu’il est amené à mieux maîtriser que son père les règles du jeu de la raison d’État76. Aussi les dépenses exorbitantes engagées par ce dernier au profit des objets de dévotion sont-elles nettement réduites par son fils. Cela ne signifie pas que l’entreprise de « sanctification » de la Bavière ne continue plus à se mettre en place. Bien au contraire, rappelons que les volumes de la Bavaria sancta paraissent dans les deux premières décennies de son règne. De même, des reliques continuent à être acquises par le duc – non sans l’appui de Guillaume qui s’engage toujours, de temps à autre, à récupérer des corps saints depuis sa retraite munichoise77. Enfin, les saints des catacombes restent eux aussi présents, du moins dans les pensées du duc. Un curieux témoignage, d’un siècle postérieur aux événements, nous en fournit la preuve. Lorsque le grand tour du jeune Charles Albert de Bavière amène le futur empereur (Charles VII) à Rome, « son Altesse, […] l’après-midi », ainsi que le note son précepteur à la date du 11 avril, « [...] a visité les sept principales églises de Rome. À cette occasion, et entre autres curiosités, on a fait voir à son Altesse […] à saint Sébastien, après la visite des catacombes, un autel qu’a fait édifier, selon l’inscription, Maximilianus, Dux et Elector Bavariae Ao. MDCXXV »78.

  • 79 HStAM, GR 513/65a.
  • 80 Voir P.B. Steiner, Der gottselige Kurfürst… cit., p. 258.
  • 81 T. Johnson, Trionfi… cit., p. 35.

44Cette révérence envers les corps saints n’équivaut pas toutefois à leur acquisition sans bornes. Il semble, en effet, que Maximilien se soit concentré, dans ses activités de collectionneur, sur quelques corps saints particulièrement prestigieux. Dès 1601, il récupère ainsi des « particules d’épines de la très sainte couronne de notre Seigneur et Sauveur […] en provenance de l’église de Danzig »79 ; depuis Malmedy arrivent, en 1619, des reliques de Saint Jean Baptiste ; depuis Brême, en 1648, celles de Saint Côme et Damien80. Les territoires d’origine des corps saints sont donc toujours, principalement, ceux soumis à la Réforme protestante ; de même, les méthodes d’acquisition restent fidèles aux traditions. Encore dans les dernières années de son règne, Maximilien négocie avec le duc de Mecklenburg l’échange de reliques contre « une meute de chiens de chasse »81. Toujours est-il que, du moins en quantité, les acquisitions semblent reculer. On est donc loin de pouvoir exclure que l’effet mimétique que nous supposons déclenché par les conduites des protagonistes de la Maison ducale ait été à la mesure – modérée – de l’exemple que donnait Maximilien lui-même.

  • 82 Voir T. Johnson, Holy fabrications… cit., p. 283 : « À la suite d’une interruption dans les dernièr (...)
  • 83 Voir le récit de translation par H.G. Meychel, Erhebung des H. Martyrers Honorat, Welche in der Chu (...)
  • 84 Même une institution bien liée au pouvoir ducal, comme la légation bavaroise à Rome, compte bien, p (...)
  • 85 Voir la lettre du jésuite à Ferdinand Maria, datée du 4 juin 1666 (HStAM, 513/65a, pièce non paginé (...)
  • 86 C’est le cas à Amberg dans le Palatinat supérieur où Ferdinand Maria, en 1668, fait don d’un saint (...)

45Quoi qu’il en soit, ce qui ressort sans aucun doute des acquisitions de reliques mentionnées, c’est bien leur chronologie particulière. En effet, il saute aux yeux que la période de la guerre de Trente ans se caractérise par une cessation plus ou moins complète de l’afflux de corps saints. Aussi n’est-ce guère un hasard si les « derniers coups » de Maximilien en termes de reliques se situent au lendemain de la guerre, lorsque les dégâts causés par celle-ci font naître un nouveau besoin d’approvisionnement en objets sacrés. En ce qui concerne les saints des catacombes, ce besoin se fait ressentir notamment à partir du règne du successeur de Maximilien, Ferdinand Maria (1651-1679), et de sa femme, Henriette Adélaïde de Savoie (1636- 1676), duchesse depuis 165282. La première translation est sans doute celle de Saint Honorat, dès 165483. À partir de 1660, l’importation de corps saints des catacombes s’accroît de façon exponentielle. Or les deux époux restent certes très attachés au culte des saints, y compris la vénération envers les martyrs des catacombes. Il n’en reste pas moins que le statut du couple semble quelque peu modifié par rapport à ce que l’on a vu s’opérer sous Guillaume V. L’electeur et sa femme, en effet, ne semblent que participer à un mouvement de réception, désormais autonome, plutôt que de donner à celle-ci son impulsion principale84. Dans ce cadre, Ferdinand Maria peut certes chercher, de temps à autre, à se procurer des reliques du type qui nous intéresse ; en 1666, il le fait, par exemple, à l’aide d’Antonius Kircher pour le corps de Saint Sévère85. En revanche, il ne s’agit plus d’enrichir par ce biais une collection princière à « usage public », pour ainsi dire, comme c’était le cas du cabinet de reliques instauré par Guillaume à Saint-Michel, en avant-garde – et « trend-setter » – du mouvement de réception à venir. D’habitude, Ferdinand Maria se contente de donner la relique à un lieu besogneux en la matière, voire d’arbitrer des conflits déclenchés à ce propos86.

  • 87 Plus précisément, deux attitudes caractérisent l’électrice à propos des reliques. Tout d’abord, l’o (...)
  • 88 En témoignent en particulier les reliques en sa possession, qui tout en concernant des grands saint (...)
  • 89 Nous nous basons à ce propos sur la collection d’authentiques que contiennent les fonds munichois p (...)
  • 90 HStAM, 513/65bb, pièce non paginée.

46Une collection de corps saints est pourtant bien mise en place dans la maison ducale. Mais c’est le fait d’Henriette Adélaïde, qui acquiert tout un stock de reliques pour satisfaire aux besoins de sa piété, sans doute quelque peu bigote87, et orientée en tout cas bien plus vers ses origines savoyardes que vers les traditions de la pietas bavarica88. Ce qui importe, dans notre contexte, c’est que la collection est ici de nature strictement privée. Les saints des catacombes n’y manquent pas, loin de là : parmi les acquisitions dont on a une trace certaine, ils constituent une majorité relative89. En revanche, ce n’est sans doute pas un hasard si ces reliques n’arrivent pas par des voies privilégiées, plus ou moins directes depuis Rome. Ainsi que le révèlent les authentiques, qui portent normalement elles-mêmes les traces de la succession des propriétaires (chaque passage y étant endossé), les corps saints suivent souvent des itinéraires quelque peu hasardeux, et la destination finale n’est pas forcément prévue au départ. La relique de Saint Calidonius, par exemple, a déjà plusieurs années de pérégrination derrière elle avant de tomber en possession de l’électrice. Le corps saint, tiré des catacombes de Saint Cyriaque en 1663, va, à l’origine, à Marie d’Altems, religieuse à Rome même (Romane Moniali in mon. S. Mariae de Urbe) qui la transmet, dès le même jour (le 25 janvier) à une certaine Antonia Schiava ; celle-ci la donne, en 1667, à Don Giuseppe Maraviglia, religieux de l’ordre des théatins (cherici Reg. Teatini). C’est de sa main que la relique parvient enfin à Henriette Adélaïde90.

47Il est vrai que les itinéraires ne sont pas toujours de cette complexité et, à y regarder de plus près, ils ne sont pas sans récurrences. Si la duchesse n’accède jamais directement aux reliques désirées – par requête officielle –, le nombre d’intermédiaires peut parfois se réduire à un seul. Il peut ainsi s’agir d’un voyageur, de séjour à Rome, qui, après y avoir obtenu le corps saint en question, le passe ensuite à Henriette Adélaïde. En juillet 1669, des reliques des martyrs Modenus, Felix, et Peregrinus sont ainsi confiées à un certain Petrus Henricus Valentinus ; trois mois plus tard, elles changent de propriétaire, ainsi que le précise une phrase ajoutée à la main sur l’authentique imprimée : « Je cede ces Reliques a S.A.S Madame l’Electrice de baviere. Munich ce 7 octobre 1669 Henry V ». Est-ce à dire pour autant que la transmission était prévue dès le départ ? Le laps de temps qui, bien plus important que dans ce dernier cas, sépare habituellement les deux dons (à Rome, ensuite à Munich) ne semble pas conforter ce point de vue.

  • 91 Ibid., pièce non paginée.
  • 92 Ce n’est donc guère un hasard si nous voyons intervenir, dès 1666, Antonio Spinelli, supérieur du c (...)
  • 93 Elles finissent entre les mains de l’électrice par l’intermédiaire de Franciscus Jacobus Zadler, ch (...)

48S’il n’est pas exceptionnel qu’à l’instar du dernier exemple, les intermédiaires soient des laïcs, bien plus souvent il s’agit de membres du clergé, et notamment du clergé régulier, qui peuvent à cette occasion faire jouer les rapports qu’ils entretiennent d’office avec Rome, l’ordre étant représenté sur place. Il est bien connu que ce mode distributif était l’une des voies les plus efficaces de la diffusion des reliques des catacombes, les jésuites notamment étant des maîtres dans la matière, en Bavière comme ailleurs. Le cas d’Henriette Adélaïde nous montre en passant que d’autres ordres pouvaient en faire autant. Pour le cas de Saint Calidonius, nous avons vu intervenir un théatin. C’est encore le cas, la même année (1667), pour les reliques de « S. Celestino et altri santi » (Faustina, Mercurius, Cosimus), extraites des catacombes deux ans auparavant91. Or cette présence des théatins n’est pas due au hasard puisque l’ordre est introduit dès 1662 en Bavière, grâce à l’initiative du couple électoral lui-même92. À la recherche de corps saints, l’intervention d’autres religieux n’est pas pour autant exclue. Quant aux reliques des martyrs Liberatus, Donatus, Victoria et Theodora, reçues par l’électrice en 1678, elles sont cette fois dues aux franciscains : extraites Cœmeterio Cyriacae, leur premier bénéficiaire est un certain « Révérend Père franciscain, Simon Gänsler, custode de la province bavaroise de l’ordre des frères mineurs réformés »93.

  • 94 Cum facultate d.s sacras Reliquas penes se retinendi alliis donandi extra urbem transmittendi ut in (...)

49On ne s’étonnera pas d’assister, à partir de là, à une multiplication des intermédiaires, le transfert des corps saints jusqu’à leur destination finale s’allongeant naturellement par ce biais. De plus, nous voyons apparaître, parmi ces personnes, certaines qui ont licence d’exporter librement, où elles veulent, les corps saints dont elles disposent. Ainsi des reliques de San Celestino (et celles qui les accompagnent) que l’on trouve tout d’abord entre les mains d’un certain Don Ioannes Nicolaus de Comitibus, « avec licence de garder lesdites saintes reliques auprès de soi, de les donner à d’autres, de les transférer hors de Rome pour qu’elles soient installées et exposées à la vénération des fidèles dans quelque église ou chapelle publique ». C’est lui qui transmet la relique au théatin, Stephanus Capra, qui la transfère à son tour à l’électrice94.

  • 95 Authentique du 1er septembre 1662, délivrée par « Nicolo Florello Notaro dell’Em. Vicario di Roma e (...)

50Ce n’est pas le seul cas de ce genre, et parfois plusieurs intermédiaires du type que l’on vient de rencontrer s’enchaînent (en allongeant encore, si j’ose dire, les délais de livraison). Pour « quelques reliques de saints martyrs », extraites des catacombes de Saint-Calliste (Mansueto, Antonina, Claudia, Feliciano, Teodora e Gentiano), on retrouve ainsi Antonia Schiava, déjà croisée à propos de Saint Calidonius. De la main de cette dame, les reliques passent à un certain Nicolò del Lino ; passage qui comprend l’obtention de la « licence de les garder, donner, exporter et exposer », ainsi que le précise l’authentique qu’il se fait délivrer par un notaire du vicariat de Rome95.

  • 96 Ibid., pièces non paginées.

Et comme on vient de me faire part du désir qu’a le Révérend Père Gaetano Bonomo, Supérieur du couvent de Sainte Aélaïde et Gaétan à Munich en Bavière, d’avoir des reliques similaires pour sa dévotion, pour satisfaire à son pieux désir, je lui en fait librement don [...] avec leur authentique et la licence même qui m’a été donnée pour les garder96.

  • 97 Del Lino est aussi un intermédiaire en termes d’espace. S’il est clair qu’il a dû acquérir les reli (...)
  • 98 Ibid., pièces non paginées.

51L’enchaînement des intermédiaires est ici à son apogée, et il est intéressant de souligner le laps de temps séparant les différents changements de propriétaires. Une fois de plus, l’électrice reçoit ses reliques de la main d’un religieux, là encore un théatin, Gaetano Bonomo (ou « Bonhomio »), qui les fait arriver à bon port le 4 avril 1672. Nicolò del Lino date son attestation de novembre 1671 mais il a lui-même reçu les objets en question de la part d’Antonia Schiava une dizaine d’années plus tôt, en 166297. Reste à ajouter qu’Antonia, comme déjà dans le cas de Saint Calidonius, ne fait que s’approprier les reliques d’un autre personnage, ce qui laisse à penser qu’elle est, comme del Lino, une sorte de « broker » en termes de corps saints. Toujours est-il qu’elle récupère ces reliques dès 1654, alors que celui qui les donne, un certain « RPP Franc. Sperantia », les a obtenues en 164198.

  • 99 Le propos peut d’ailleurs s’entendre au sens propre du terme. De la lettre citée plus haut, nous ap (...)
  • 100 Voir H. et A. Bauer, Klöster in Bayern. Eine Kunst- und Kulturgeschichte der Klöster in Oberbayer (...)

52Est-ce se tromper que de croire que l’importance – quantitative – des intermédiaires est proportionnellement inverse à celle que revêtent les reliques acquises elles-mêmes ? On a bien l’impression en effet que, pendant des années, celles-ci ont quelque peu « traîné » avant que les désirs d’Henriette Adélaïde leur confèrent une nouvelle vie99. L’observation ne saurait que confirmer le changement de statut qui caractérise les activités des Wittelsbach dans le cadre de l’implantation des corps saints des catacombes en Bavière. Non pas que, de Guillaume V à Ferdinand Maria et Henriette Adélaïde, les continuités n’existent plus. Dans les deux cas il est clair, par exemple, que l’importation des reliques considérées ne peut guère être séparée de celle d’autres corps saints, tout autant désirés. De même, les activités dévotionnelles des différents Wittelsbach s’appuient, à chaque fois, sur (et sont épaulées par) un ordre particulier : les jésuites dans le cas de Guillaume V, les théatins deux générations plus tard. Enfin, la construction de Saint-Cajetan, « siège » de ce dernier ordre, tout près de la résidence princière, n’est pas sans analogies avec celle de Saint-Michel ; plus encore, l’église en prend en quelque sorte la succession, en tout cas en tant que nécropole de la dynastie des Wittelsbach100.

53Toujours est-il qu’elle n’accueillera pas de trésor de reliques comparable à la chapelle de la Croix. De même, la collection privée d’Henriette Adélaïde, ainsi que les activités de son époux ne risquent guère d’avoir influencé de façon significative l’expansion des corps saints des catacombes en Bavière. Il est vrai que les acquisitions de Ferdinand Maria se situent, pour la plupart, dans les années 1660, donc dans les premières années de la nouvelle vague d’importation de saints des catacombes, suite à la crise de la guerre de Trente ans. Mais ce renouveau n’est pas un commencement absolu. Tout se passe comme si, dès la fin du XVIe siècle, se seraient mis en place les modèles à suivre, et que ceux-ci se seraient suffisamment enracinés pour que, lorsque le nouveau besoin de reliques, créé par les dégâts de la guerre de Trente ans, se fait sentir, leur réception puisse emprunter des voies autonomes.

Notes

1 L. Seelig, « Dieweil wir dann nach dergleichen Heilthumb und edelen Clainod sonder Begirde tragen ». Der Reliquienschatz der Jesuitenkirche St. Michael in München, dans R. Baumstark (dir.), Rom in Bayern. Kunst und Spiritualität der ersten Jesuiten, Munich, 1997, p. 199-262, en particulier p. 208-212.

2 T. Appl, Der Ausbau geistlicher Zentren als Kernstück der Kirchenpolitik Herzog Wilhelms V. (1579-1597/98) in Bayern, Ratisbonne, 2009, p. 105-106 (l’auteur ne précise pas la date de la fête). Pour une analyse plus approfondie des fêtes de translation, voir A. Burkardt, Les fêtes de translation des saints des catacombes en Bavière, XVIIe-XVIIIe siècles, dans B. Dompnier (dir.), Les cérémonies extraordinaires du catholicisme baroque, Clermont-Ferrand, 2009, p. 79-98 ; F. Markmiller, Die Übertragung zweier Katakombenheiliger nach Niederbayern im 18. Jahrhundert, dans Jahrbuch für Volkskunde, NF 4, 1989, p. 127-159 ; T. Johnson, Trionfi of the holy dead ; the relic festivals of baroque Bavaria, dans K. Friedrich (dir.), Festive culture in Germany and Europe from the sixteenth to the twentieth century, Lewiston, 2000, p. 31-56.

3 Die Reise von Oberaudorf nach Rom. Illustriert von Wolfgang Wright, Munich, 1997.

4 Ibid., p. 14.

5 Voir infra.

6 Pour des synthèses, mais qui ne se prononcent guère sur la sociologie des demandeurs et leur évolution, voir T. Johnson, Holy fabrications : the Catacomb saints and the Counter-Reformation in Bavaria, dans Journal of Ecclesiastical History, 47, 1996, p. 274-297, p. 282 ; E. Krausen, Die Verehrung römischer Katakombenheiliger in Altbayern im Zeitalter des Barock, dans Bayerisches Jahrbuch für Volkskunde, 1966/1967, p. 37-47 ; W. Pötzl, Volksfrömmigkeit, in W. Brandmüller (dir.), Handbuch der bayrischen Kirchengeschichte. II. Von der Glaubensspaltung bis zur Säkularisierung, St. Ottilien, 1993, p. 871-962, en particulier p. 918-928. Ce qui ressort de ces études est bien la massivité du phénomène qui nous intéresse, encore que des sondages précis soient rares ; pour l’évêché de Freising, on a recencé 143 corps saints des catacombes arrivés au cours des XVIIe-XVIIIe siècles, pour le diocèse de Ratisbonne on en a compté pour la même période 105 (voir W. Pötzl, Volksfrömmigkeit… cit., p. 920, et R. Bauerreis, Kirchengeschichte Bayerns. VII. 1600-1803, St. Ottilien, 1970, p. 312) ; W. Pötzl estime à un millier le nombre de saints des catacombes importés dans l’ensemble du territoire de la Bavière dans la même période.

7 A. Burkardt, Les fêtes… cit.

8 Die Reise von Oberaudorf… cit., p. 100.

9 A. Ginther, Beschreibung und Inhalt aller Begebenheiten und Anstalt bey der Erhaltung [...] der 3 heiligen Leiber, S. Fortunati, Laureati, Candidae in [...] Biberbach, Augsbourg, 1687 ; Predigt von der Heiligen Ehe, welche bey der angestellten Ueberbringung der 3 hl. Leiber S. Fortunati S. Laureati, S. Candidae vorgetragen worden zu Biberbach, Augsbourg, 1687.

10 Kurze Beschreibung der Solennen Translation [...] Felix Martyrers Victor Mart. Aurelius Mart. und Eleuteria, Munich, 1738.

11 Voir également M. Haggenmüller, Als Pilger nach Rom. Studien zur Romwallfahrt aus der Diözese Augsburg von den Anfängen bis 1900, Augsbourg, 1993, p. 301 (pour plusieurs exemples de type analogue).

12 Archivio storico del Vicariato di Roma (désormais ASVR), Archivio della Custode, I, 1737-1783 ; pour le XIXe siècle et une présentation des archives de la custode, voir P. Boutry, Les saints des catacombes. Itinéraires français d’une piété ultramontaine (1800-1881), dans Mélanges de l’École Française de Rome. Moyen Age-Temps modernes, 91, 1979-2, p. 875-921, ainsi que la contribution de P. Boutry au présent volume.

13 Voir, pour ces tendances, visibles un peu partout dans les États catholiques de l’Empire, H. Molitor, Die untridentinische Reform. Anfänge katholischer Erneuerung in der Reichskirche, in W. Brandmüller (dir.), Ecclesia Militans. Studien zur Konzilien- und Reformationsgeschichte. Remigius Bäumer zum 70. Geb. gewidmet, II, Paderborn etc., 1988, I, p. 399-431.

14 Voir la rapide synthèse de Philip M. Soergel, Wondrous in his saints. Counter-Reformation propaganda in Bavaria, Berkeley, 1993, p. 75-80 ; pour Maximilien, voir W. Hartinger, Die Konfessionalisierung des Alltags in Bayern unter Maximilian I., dans Zeitschrift für bayerische Landesgeschichte, 65, 2002, p. 265- 291, ainsi que les différentes contributions dans H. Glaser (dir.), Wittelsbach und Bayern, II : Um Glauben und Reich, Maximilian I., Munich, 1980, en particulier P.B. Steiner, Der gottselige Fürst und die Konfessionalisierung Altbayerns (p. 252-263).

15 P.M. Soergel, Wondrous in his saints… cit., passim (pour la citation, p. 80).

16 Sur ces traditions, voir J. von Schlosser, Die Kunst- und Wunderkammern der Spätrenaissance. Ein Beitrag zur Geschichte des Sammelwesens, Leipzig, 1908 ; H.T. Roper, Princes and artists : patronage and ideology at four Habsburg courts, 1517-1633, New York etc., 1976. Pour Albert V, voir l’imposante collection d’archives des libri antiquitatum documentant les efforts du prince et de ses successeurs immédiats (Guillaume V, Maximilien Ier) en termes d’acquisition d’objets d’art (Bayerisches Hauptstaatsarchiv, München [désormais HStAM], Kurbayern, Äußeres Archiv, 4851-4856), collection qui, en bonne partie, attend toujours une exploitation systématique. Voir toutefois, désormais, les travaux de K. Pilaski Kaliardos, The Munich Kunstkammer. Art, Nature, and the Representation of Knowledge in Courtly Contexts, Tübingen, 2013 ; Ead., Prodigious Relics : Confessional Argument and the Sacralization of the Territory in the Munich Kunstkammer of Albrecht V, dans Archiv für Reformationsgeschichte, 102, 2011, p. 267-295.

17 K. Pilaski Kaliardos, Prodigious Relics… cit., p. 268.

18 Voir par exemple B. Volk-Knüttel, Maximilian von Bayern als Sammler und Auftraggeber. Seine Korrespondenz mit Philipp Hainhofer 1611-1615, dans H. Glaser (dir.), Quellen und Studien zur Kunstpolitik der Wittelsbacher, Munich, 1980, p. 83-128. Voir également H. Glaser (dir.), Wittelsbach und Bayern… cit.

19 Voir H. Simonsfeld (éd.), Mailänder Briefe zur bayerischen und allgemeinen Geschichte, Munich, 1902, p. 450 s., et H. Lietzmann, Der Briefwechsel Hans Fuggers mit Wilhelm V. von Bayern, dans Zeitschrift für bayerische Landesgeschichte, 66, 2003, p. 435-459.

20 A.L. Thomas, A house divided : Wittelsbach confessional court cultures in Bavaria, the Palatinate, and Bohemia, c. 1550-1650, Leyde, 2010, p. 88.

21 Les collections du cabinet de curiosité peuvent se reconstruire grâce à l’inventaire précis, récemment édité, dressé par J.B. Fickler au début du règne de Maximilien (voir J.B. Fickler, Das Inventar der Münchner herzoglichen Kunstkammer von 1598. Editionsband. Transkription der Inventarhandschrift cgm 2133, éd. Peter Diemer, Munich, 2004).

22 « On suppose que ce géant a été charrié par le déluge jusqu’à cet endroit, selon le billet qui se trouve avec » (ibid., p. 83, n° 745).

23 Voir H. Simonsfeld (éd.), Mailänder Briefe… cit.

24 Ainsi d’un certain nombre d’objets liturgiques dont la matière renvoie à une origine sacrale, tels qu’« une petite croix de Jérusalem, sculptée dans un bois d’olivier qui a poussé à Jérusalem sur le mont des Oliviers, et dans cette croix sont conservés toutes sortes de fragments provenant des lieux saints, disposés dans des petites boîtes rondes en bois taillé et recouvertes de verre » (J.B. Fickler, Das Inventar… cit., p. 111, n° 1 053).

25 C’est l’argument de K. Pilaski Kaliardos, Prodigious Relics… cit.

26 Voir ibid., p. 163.

27 Ainsi d’un certain nombre de mirabilia dont le statut extraordinaire était lié, soit à une intervention divine, soit au calendrier liturgique, comme dans le cas de ces « quelques noix venant d’un arbre qui pousse dans un village en territoire vénitien, nommé Campologno, à trois milles de Görz, lequel arbre chaque année dans la nuit de la saint Jean Baptiste reverdit, fleurit et porte des noix, alors que pendant le reste de l’année il reste sec. Et l’on a bien noté qu’après la publication du nouveau calendrier il n’a plus porté sa floraison et ses fruits selon l’ancien, mais selon le nouveau calendrier, comme on en voit la description détaillée dans une missive jointe » (ibid., p. 162, n° 2103) ; pour des objets semblables : ibid., n° 2102.

28 Voir H. Glaser (dir.), Wittelsbach und Bayern… cit., II, p. 247 (« Die Reliquienkammer ») ; l’auteur date les premières acquisitions de 1577, mais atteste que Guillaume se met à collectionner ces objets de façon plus systématique seulement quelques années plus tard. Selon J. Chipps Smith, Sensuous worship. Jesuits and the art of the early catholic Reformation in Germany, Princeton, 2002, p. 57-58, la conversion de Guillaume vers les arts sacrés, reliques incluses, serait due à des années de crise personnelle marquées par le « choc » financier de 1575, la mort du mentor Hans Jakob Fugger et l’expérience de deux maladies en 1575 et 1578. D’où une spiritualisation des conduites personnelles et le tournant vers les jésuites, y compris pour le choix du confesseur.

29 Pour le culte de Saint Benno, voir P.M. Soergel, Wondrous in his saints… cit., p. 181-191 ; T. Appl, Der Ausbau… cit., p. 60-66 ; pour d’autres cas datant de la période, voir R. Bauerreis, Kirchengeschichte Bayerns… cit., p. 312.

30 Cela à en juger d’après les libri antiquitatum (voir supra) dont seulement deux des six volumes (HStAM, Kurbayern Äußeres Archiv, 4854-4855) concernent aussi les efforts de Guillaume V en la matière, tous les autres documentant exclusivement l’œuvre d’Albert V.

31 F. Stieve (éd.), Wittelsbacher Briefe aus den Jahren 1590 bis 1610, Munich, 1886, section 1, p. 385-498, p. 469 ; un court extrait de la lettre est cité par L. Seelig, Dieweil wir dann… cit., p. 250.

32 F. Stieve (éd.), Wittelsbacher Briefe... cit., p. 469

33 Voir K. Pilaski Kaliardos, Prodigious Relics… cit., p. 289-293.

34 Voir P.M. Soergel, From legends to lies : protestant attacks on catholic miracles in late reformation Germany, dans Fides et Historia, 21, 1989, p. 21-29 ; R. Schenda, Die protestantisch-katholische Legendenpolemik im 16. Jahrhundert, dans Archiv für Kulturgeschichte, 52, 1970, p. 28-48.

35 P.M. Soergel, Wondrous in his saints… cit. ; J. Chipps Smith, Salvaging saints : The Rescue and Display of Relics in Munich during the Catholic Reformation, dans V. Raguin (dir.), Art, Piety and Destruction in the Christian West, 1500-1700, Farnham, 2010, p. 23-43.

36 R. Zimmerman (éd.), Evangelisch-katholische Fürstenfreundschaft. Korrespondenzen zwischen den Kurfürsten von Sachsen und den Herzögen von Bayern von 1513-1586, Berne, 2004.

37 Pour Jäger von Gärtringen, voir R. Uhland, Jäger von Gärtringen, Melchior, dans Neue Deutsche Biographie, X, Berlin, 1974, p. 278-279 (article consultable en ligne ; URL : http://www.deutsche-biographie.de/pnd123988195.html) ; si les liens avec le chancelier sont apparemment dus à la rencontre lors d’un colloque religieux, ceux avec le prince du Würtemberg semblent attester, là encore, d’une sociabilité propre à la noblesse, au-delà des appartenances confessionnelles : Guillaume n’hésite pas en effet à appeler ce dernier son « frère », ce qui laisse sous-entendre que les deux princes ont trinqué ensemble, sans doute lors d’un banquet commun précédé d’une partie de chasse (voir les commentaires de Stieve dans F. Stieve (éd.), Wittelsbacher Briefe… cit., p. 468-469).

38 Pour une partie de la correpondance avec Agricola, voir HStAM, GR 513/65a. Pour ce personnage et ses activités en termes de reliques, voir W. Ulsamer, Wolfgang Agricola. Stiftsdekan von Spalt (1536-1601). Ein Beitrag zur Geschichte des Klerus im Bistum Eichstätt, Kallmünz, 1960, p. 90-101.

39 Pour ce cas, voir W. Ulsamer, Wolfgang Agricola… cit., p. 93 (pour la citation, ibid.) ; pour un autre exemple de ce type, voir J. Chipps Smith, Salvaging Saints… cit., p. 33.

40 Les reliques sont authentifiées, la même année, par le jésuite Georg Raethius (voir HStAM, Jesuiten, Urkunden, le 5 mai 1584 ; pour la citation, HStAM, Findbuch 2134, p. 3).

41 Voir HStAM, Jesuiten, Urkunden, le 24 juillet 1592.

42 Pour d’autres exemples de ce type, voir HStAM, Jesuiten, Urkunden, passim. Ces tendances se poursuivent sous le règne de Maximilien ; le 31 mars 1600, une authentique confirme, par exemple, le don de reliques par l’abbé d’un monastère de Tegernsee.

43 Voir J. Chipps Smith, Salvaging Saints… cit., p. 33-34.

44 Voir U. Müller, Der Versuch Herzog Wilhelms V. von Bayern, das Reichsheiltum in seinen Besitz zu bringen, dans Mitteilungen des Vereins für Geschichte der Stadt Nürnberg, 72, 1985, p. 117-135.

45 Pour ce voyage, voir les commentaires de Stieve, dans F. Stieve (éd.), Wittelsbacher Briefe… cit., p. 403-418.

46 F. Stieve (éd.), Wittelsbacher Briefe… cit., p. 442 (13 décembre 1590, Philippe et Ferdinand de Bavière au duc Guillaume V).

47 Pour les reliques apportées par les deux frères, dont, bien entendu, des corps saints des onze mille vierges, voir T. Appl, Der Ausbau… cit., p. 105, et les diverses authentiques : HStAM, Jesuiten, Urkunden, passim.

48 Pour ce dernier aspect, voir infra. Sur les activités diplomatiques de Minucci, voir, entre autres, P. Carta, Nunziature ed eresia nel Cinquecento : nuovi documenti sul processo e la condanna di Francesco Pucci, 1592-1597, Padoue, 1999, p. 101-140, passim.

49 Dès 1580, sont reçues par exemple certaines reliques de l’apôtre Paul d’un couvent de la ville de Heilsbronn (sic) ; voir HStAM, Jesuiten, Urkunden, le 1er novembre 1580.

50 Voir, par exemple, W. Ulsamer, Wolfgang Agricola… cit., p. 101, posant que seul Frédéric le Sage de Saxe aurait été comparable à Guillaume V dans sa volonté de tout faire « pour mettre en lieu sûr les trésors de reliques provenant des territoires protestants et dont il avait pu repérer la trace ».

51 Voir ce don de reliques de la part de Cordila Knörin, prieure du couvent des dominicaines de Sainte-Catherine, effectué « en considération de l’extinction imminente du [...] couvent » et la sécularisation consécutive de ce dernier (HStAM, Jesuiten, Urkunden, le 17 janvier 1590 ; pour la citation, HStAM, Findbuch 2134, p. 7).

52 Voir W. Ulsamer, Wolfgang Agricola… cit., p. 96-100.

53 HStAM, 513/65a, lettre de Guillaume V à son fils Ferdinand, Landshut, le 10 août 1590, citée par U. Müller, Der Versuch… cit., p. 117.

54 K. Pilaski Kaliardos, Prodigious Relics… cit., p. 268.

55 G. Lazure, Posséder le sacré. Monarchie et identité dans la collection de reliques de Philippe II à l’Escorial, dans P. Boutry, P.-A. Fabre et D. Julia (dir.), Reliques modernes. Cultes et usages chrétiens des corps saints des Réformes aux révolutions, 2 vol, Paris, 2009, I, p. 371-404 (pour la citation, p. 401).

56 Voir, pour l’édit et les réponses reçues, HStAM, GR 513/65b, ainsi que HStAM, Bestand Kurbayern, Geistlicher Rat, Aufsicht über die Klöster.

57 P. Burke, How to be a Counter-Reformation saint, dans K. von Greyerz (dir.), Religion and Society in early modern Europe, 1500-1800, Londres, 1984, p. 45-55 (pour la citation, p. 46).

58 M. Rader, Bavaria sancta Maximiliani Sereniss. Principis imperii [...] Auspiciis cœpta, descripta eidemque nuncupata a Mattaeo Radero de Societate Iesu, Munich, 1615, p. 4 ; le texte est cité également par P.B. Steiner, Der gottselige Fürst… cit., p. 252-253, dans une traduction allemande établie par l’auteur. Pour le sens des enquêtes comme celle de Rader, voir également D. Julia, Sanctuaires et lieux sacrés à l’époque moderne, dans A. Vauchez (dir.), Lieux sacrés, lieux de culte, sanctuaires : approches terminologiques, méthodologiques, historiques et monographiques, Rome, 2000, p. 241-295, en particulier p. 257-263.

59 Voir J. Chipps Smith, Sensuous worship… cit., p. 59. Pour une comparaison plus systématique des deux projets, voir L. Altmann, Der Baukomplex um St. Michael in München – ein bayerischer Escorial ?, dans Jahrbuch des Vereins für christliche Kunst in München, 16, 1987, p. 73-80.

60 Voir, à ce propos, G. Lazure, Posséder le sacré… cit.

61 Pour le projet de Saint-Michel, voir les différentes contributions dans R. Baumstark (dir.), Rom in Bayern… cit. ; T. Appl, Der Ausbau… cit., p. 100-115 ; J. Chipps Smith, Sensuous worship… cit., p. 57-101. La séparation entre les deux sphères évoquées est à relativiser dans la mesure où la présence du duc était assurée à Saint-Michel par celle d’un oratoire, positionné au-dessus de la chapelle de la Croix, joint à une suite de chambres privées, « les Wilhelminischen Zimmer du duc » (T. Appl, Der Ausbau… cit., p. 107). De même, Guillaume avait bien le projet d’élire sépulture dans cette même église, avec l’espoir « au jour du Jugement Dernier d’être ressuscité en compagnie des corps des saints » (ibid.) ; pour ce tombeau, voir D. Diemer, Quellen und Untersuchungen zum Stiftergrab Herzog Wilhelms V. von Bayern und der Renata von Lothringen in der Münchner Michaelskirche, dans H. Glaser (dir.), Quellen und Studien… cit., p. 7-82.

62 Voir T. Appl, Der Ausbau… cit., p. 105-107.

63 Ibid., p. 106.

64 HStAM, Jesuiten, Urkunden, 1590-5-2 ; 1591-3-18, 1591-10-29, 1593-5-9 ; pour les licences d’extraction accordées à Rome, voir M. Ghilardi, Oratoriani e Gesuiti alla ‘conquista’ della Roma sotterranea nella prima età moderna, dans Archivio italiano per la storia della pietà, 22, 2009, p. 183-231, passim.

65 HStAM, GR 513/65a, pièce non paginée.

66 F. Stieve (éd.), Wittelsbacher Briefe… cit., p. 479-480 (9 mai 1593, Maximilien au duc Guillaume).

67 En revanche, il est vrai que le journal de voyage, établi sans doute par le précepteur du jeune prince, ne mentionne pas le don du corps saint, en tout cas pas pour le 9 mai et l’ensemble du séjour romain (voir Bayerische Staatsbibliothek München, Handschriften, BSB Cgm 1972 (Herzog Maximilians von Bayern italienische und lothringische Reise 1593), f° 16-22).

68 Voir, à ce propos, les litterae annuae de 1593 rendant compte de l’arrivée des reliques apportées par Philippe et Ferdinand (Archivum Romanum Societatis Jesu, G Sup 65, f° 18-20.)

69 À la différence près que les corps saints, dans ces années, ne sont pas encore exposés dans des cercueils rendus transparents par des parois de verre (voir L. Seelig, Dieweil wir dann… cit., p. 209-212).

70 Voir la lettre de Philippe à son père, datant du 26 août 1593, dans F. Stieve (éd.), Wittelsbacher Briefe... cit., p. 484-486. Le jeune évêque assure à son père qu’il a toujours destiné les reliques de Saint Saturnin à son diocèse de Ratisbonne, « j’ai alors exprimé auprès de Sa Sainteté ma demande et mon désir de ces reliques avec cette intention, et d’ailleurs l’attestation de Sa Sainteté reprend mot pour mot la supplique que je lui avais fait parvenir » (ibid., p. 486) ; comme la citation le laisse sous-entendre la destinée de la relique concrète est toutefois sujette à dispute : Guillaume la récupère finalement pour Saint-Michel (voir L. Seelig, Dieweil wir dann… cit., p. 212).

71 Voir M. Haggenmüller, Als Pilger nach Rom… cit., p. 305.

72 Pour quelques autres exemples, à Munich (église des augustins) et en-dehors de la capitale (Neuburg, Polling, Seeon), voir W. Pötzl, Volksfrömmigkeit… cit., p. 921-922.

73 Ibid., p. 918-928.

74 Voir T. Johnson, Holy fabrications… cit., p. 282, note 22.

75 W. Ulsamer, Wolfgang Agricola… cit., p. 100.

76 Voir R. Bireley, The Counter-Reformation prince. Anti-Machiavellianism or Catholic statecraft in Early Modern Europe, Chapel Hill, 1990.

77 Pour plusieurs exemples, voir J. Chipps Smith, Salvaging Saints… cit., p. 33-34.

78 W.J. Bekh, Ein Wittelsbacher in Italien. Das unbekannte Tagebuch Kaisers Karls VII, Munich, 1971, p. 76.

79 HStAM, GR 513/65a.

80 Voir P.B. Steiner, Der gottselige Kurfürst… cit., p. 258.

81 T. Johnson, Trionfi… cit., p. 35.

82 Voir T. Johnson, Holy fabrications… cit., p. 283 : « À la suite d’une interruption dans les dernières années de la Guerre de Trente ans […] les translations de saints des catacombes vers la Bavière reprirent […] sous le règne du nouvel électeur, Ferdinand Maria ». Sur ce couple et sa culture, voir les études récentes (mais qui n’abordent que très peu les aspects religieux) de B. Kägler, Frauen am Münchener Hof (1651-1756), Kallmünz, 2011, et E.-B. Krems, Die Wittelsbacher und Europa. Kulturtransfer am frühneuzeitlichen Hof, Vienne, 2012.

83 Voir le récit de translation par H.G. Meychel, Erhebung des H. Martyrers Honorat, Welche in der Churfuerstl. Hauptstatt Muenchen hochfeyertaeglich begangen worden, den 28. Weinmonat, Im Jahr 1654. In gegenwaertigen teutschen Form auffgesetzt durch Hannss Georgen Meichel in Muenchen, Munich, 1654.

84 Même une institution bien liée au pouvoir ducal, comme la légation bavaroise à Rome, compte bien, parmi les services qu’elle rend, la fourniture de reliques ; elle est loin, en revanche, d’agir à ce propos pour les seuls intérêts des Wittelsbach ; voir B. Scherbaum, Die bayerische Gesandtschaft in Rom in der frühen Neuzeit, Tübingen, 2008, p. 243 s. (les exemples donnés datent toutefois seulement du début du XVIIIe siècle).

85 Voir la lettre du jésuite à Ferdinand Maria, datée du 4 juin 1666 (HStAM, 513/65a, pièce non paginée) ; voir aussi W. Pötzl, Volksfrömmigkeit… cit., p. 921 s.

86 C’est le cas à Amberg dans le Palatinat supérieur où Ferdinand Maria, en 1668, fait don d’un saint des catacombes aux jésuites. Ce cadeau est toutefois loin de susciter le contentement général, le curé de l’église paroissiale revendiquant lui aussi la relique. La rivalité est telle qu’elle va jusqu’à entraîner le vol du corps saint, dans les meilleures traditions des furta sacra, et le duc est appelé à arbitrer la situation ; voir, pour un résumé de l’affaire, T. Johnson, Holy fabrications… cit., p. 291-294.

87 Plus précisément, deux attitudes caractérisent l’électrice à propos des reliques. Tout d’abord, l’on retrouve chez elle une volonté d’authentification des corps saints qu’elle inscrit sans hésitation dans les traditions familiales, « parce que sa piété », dit-elle à propos de Maximilien, « faisait qu’il tenait les reliques en grande vénération, alors que sa prudence ne lui permettait de n’en garder que celles authentifiées avec certitude ». Le seul fait qu’une relique, comme celle « de Sainte Cristine Vierge et Martyre qui est dans mon crucifix […] dans le cabinet », ait été en possession de ce prince, sert alors « à l’authentifier ». À partir de là, toutefois, les croyances fort « dévotes » ne connaissent guère de bornes. Voir par exemple, cette attestation non datée faisant le tour des « grâces concédées aux petits crucifix, médailles, couronnes et rosaires en possession de son Altesse », grâces qui, identiques à celles données « aux grains originaux de la Bienheureuse Jeanne de la Croix lesquels furent transportés dans le ciel par son ange gardien », font plus ou moins le tour de toutes les vertus désirables en termes de protection spirituelle et corporelle, depuis l’assistance pour bien se confesser et faire oraison jusqu’au secours en cas de maladies, accidents de voyage et catastrophes naturelles, en passant par des effets apotropaïques face aux envoûtements, sortilèges et tentations diaboliques (HStAM, GR 513/65bb, documents non paginés).

88 En témoignent en particulier les reliques en sa possession, qui tout en concernant des grands saints de la Contre-Réforme ont toutefois une teinte patriotique (savoyarde) certaine : l’électrice acquiert en effet, entre autres, des reliques de Charles Borromée et François de Sales, mais posséde aussi des corps saints du « Beato Amadeo » (rex Sabaudiae) ; voir, pour ce cas de figure d’une sainteté dynastique, A. Torre, Atti per i santi, discorsi di santità : la beatificazione di Amadeo IX di Savoia, dans Quaderni Storici, 34, 1999, p. 705-731. Ce dernier cas n’est d’ailleurs pas le seul de ce genre auquel l’électrice apporte son appui. Elle soutient également les efforts du Père Bernardino Alessio pour rédiger une Vie traitant, ainsi que l’indique l’auteur lui-même dans une lettre adressée à Henriette en 1659, « de la sainteté de la Sérénissime Madame l’Infante Marie […] sa tante », vie imprimée qui « fera un volume considérable, par la multitude des pages, et bien plus encore par le grand nombre d’actions héroïques, dignes d’être connues et imitées ». De fait, l’auteur in spe cherche à échanger sa plume contre « quelques mois de saine survivance et quelques autres commodités, étant par ailleurs un pauvre religieux » (HStAM, GR 513/65bb, lettre du 4 mai 1659 ; document non paginé) ; la recherche semble finalement couronnée de succès, parce que la Vie sera en effet imprimée quatre ans plus tard (Vita della serenissima infanta Maria di Savoia divisa in tre giornate di pellegrinaggio, Milan, 1663).

89 Nous nous basons à ce propos sur la collection d’authentiques que contiennent les fonds munichois pour les années 1639-1674 (HStAM, GR 513/65bb). Authentiques qui concernent, selon la typologie rapide que nous avons pu en établir, outre quelques reliques de saints de la tradition (Catherine de Bologne ; Roch), une dizaine de saints modernes, d’Antoine de Padoue à Philippe Neri, en passant par des saints proches de la maison de Savoie (voir la note précédente), ainsi qu’une petite quinzaine de saints des catacombes.

90 HStAM, 513/65bb, pièce non paginée.

91 Ibid., pièce non paginée.

92 Ce n’est donc guère un hasard si nous voyons intervenir, dès 1666, Antonio Spinelli, supérieur du couvent des théatins jusqu’au début du XVIIIe siècle (Domus et eccl.ae Adelaidis Monachii pro tempore Superior), pour un premier ensemble de reliques des catacombes : des particules des saints Credentis, Severini, Vincentii, Aurelii, Vitalis et Abundii, attribuées au départ, trois ans plus tôt, à un laïc noble (« Comiti Alexandro Nieboron »).

93 Elles finissent entre les mains de l’électrice par l’intermédiaire de Franciscus Jacobus Zadler, chanoine de la cathédrale de Freising (HStAM, 513/65bb, pièce non paginée).

94 Cum facultate d.s sacras Reliquas penes se retinendi alliis donandi extra urbem transmittendi ut in qua unq. Eccl.a seu Cappella publice, fidelium venerationi exponendi et collocandi ; ibid., pièce non paginée.

95 Authentique du 1er septembre 1662, délivrée par « Nicolo Florello Notaro dell’Em. Vicario di Roma e legalizato li 2 sett. 1662 » (ibid., pièce non paginée).

96 Ibid., pièces non paginées.

97 Del Lino est aussi un intermédiaire en termes d’espace. S’il est clair qu’il a dû acquérir les reliques en question à Rome, une lettre de sa part nous apprend qu’il les transmet à Bonomo à Venise, d’où ce dernier les amène à Munich (ibid., pièce non paginée).

98 Ibid., pièces non paginées.

99 Le propos peut d’ailleurs s’entendre au sens propre du terme. De la lettre citée plus haut, nous apprenons en effet que les reliques sont amenées à Munich à l’occasion d’un prochain accouchement de la duchesse. Le document confirme par ailleurs l’importance secondaire des reliques des catacombes, l’objet sacré principal transféré à la même occasion étant une relique du « beato Andrea ». Fait qui nous ramène dans le domaine des solidarités théatines : sans aucun doute, le personnage vénéré n’est autre qu’Andrea Avellino (1521-1608), théatin napolitain, béatifié en 1624 et dont l’ordre cherche à promouvoir par la suite la canonisation, obtenue au début du XVIIIe siècle. « J’ai donné à ce Père », écrit del Lino en parlant du Père Bonomo, « un petit tableau du Révérend Bienheureux Andrea, et c’est son effigie [...] naturelle [...] ; dans la cornice de ce petit tableau ensuite se trouve fixé un petit bout d’os dudit Bienheureux, lequel j’ai gardé pendant de longues années dans notre Oratoire [...], [cependant] j’ai estimé compenser mes manquements en lui procurant un culte plus fervent et dévot entre les mains de Votre Majesté, à qui je l’envoie. Le Père Bonomo m’a donné un motif entièrement désintéressé d’envoyer au Père Supérieur de ce lieu [...] quelques reliques de saints martyrs, et voulant aussi donner à Votre Majesté quelques signes de ma cordialité dévote j’ai décidé d’unir aux martyrs le confesseur. Je l’envoie volontiers dans ces circonstances de l’accouchement de la Serenissima [...] parce que le Bienheureux Andrea fait des merveilles pour les femmes en couche, et ce ne serait pas une mauvaise idée [...] de l’appliquer à cette occasion » (ibid., pièce non paginée).

100 Voir H. et A. Bauer, Klöster in Bayern. Eine Kunst- und Kulturgeschichte der Klöster in Oberbayern, Niederbayern und der Oberpfalz, Munich, 1993, p. 128-132.

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