Version classiqueVersion mobile

De l’Étrurie à Rome. Mécène et la fondation de l’Empire

 | 
Clément Chillet

Partie II. Pilier d’empire et main droite d’auguste

Chapitre 4. Rallier l’Italie

Texte intégral

  • 1  Volponi, 1975, p. 37 sq. montre que l’état d’esprit des municipes était plutôt favorable aux césar (...)
  • 2  RGDA, 25, 2 ; avec tolérance d’exemption du serment pour des villes anciennement liées à Antoine, (...)

1Les chapitres précédents nous ont permis d’étudier la manière dont les revendications identitaires de Mécène s’inscrivirent dans l’entreprise de ralliement idéologique de l’Italie à Auguste. Si, en cela, il fut un élément important de la politique augustéenne en la matière, il est apparu qu’il appartenait à un mouvement italien assez généralement suivi et qui prit de l’ampleur à sa suite. Il est temps maintenant d’observer le rôle que Mécène put jouer, non plus sur le plan idéologique, mais dans le ralliement politique concret de l’Italie pendant la période de la guerre civile, du Triumvirat, et du début du Principat d’Auguste. Cette politique en acte trouve sa place dans plusieurs domaines. En l’espèce, l’Étrurie n’occupe plus une place centrale, même si elle garde un poids important, car Mécène eut une action politique dont l’échelle doit être élargie à l’Italie entière, telle qu’elle était en train de se définir idéologiquement, géographiquement et administrativement. L’Italie fut, en effet, dans cette période trouble, un des appuis de la prise du pouvoir de César le Jeune qu’il était tout aussi important de maîtriser que les champs de bataille extérieurs. Une vision simplifiée de la dernière guerre civile laisse entrevoir le passage d’une Italie en une certaine mesure pro-sénatoriale1, ou antonienne, mais très superficiellement favorable à un César le Jeune encore inconnu en 44 a.C., à une Italie qui, de manière plus ou moins contrainte, jura fidélité2 à ce même César le Jeune en 32 a.C. avant qu’il ne se lance dans la guerre qui aboutit à la destruction du dernier royaume hellénistique en même temps que de son dernier rival romain. Ce schéma simplificateur ne prétend bien évidemment pas rendre compte de la complexité de la période, mais simplement mettre en évidence le fait qu’il avait fallu rallier l’Italie et en faire un soutien solide et sûr. Ce qui pourrait apparaître comme un revirement – mais dont la portée doit bien entendu être nuancée tant par l’absence d’unanimité durant toute la période, que par la contrainte que la propagande augustéenne fit peser à la fois sur les Italiens et sur l’historiographie dont nous dépendons – ne put, bien entendu, être réalisé que grâce à l’appui fourni par l’entourage politique d’Auguste dont Mécène faisait partie. Ce ralliement de l’Italie fut le résultat d’un travail politique auprès des populations de la péninsule dont il nous faut étudier les modalités au regard de l’action de Mécène. Cette action politique peut être étudiée selon deux modalités qui se complètent : il s’agissait de tenir l’Italie, et de l’intégrer. Les rapports entre ces deux manœuvres ne sont pas simplement de conséquence chronologique, ni même logique, ce qui dispense d’un exposé diachronique des événements.

  • 3  On se gardera d’appliquer à cette expression les connotations impérialistes du terme de Greater Br (...)

2Tenir l’Italie était bien sûr une nécessité du fait de sa proximité avec le centre de l’empire, et de la résonance tout à fait particulière que prenaient les conflits politiques dans cette zone privilégiée, peuplée de citoyens, du moins théoriquement, depuis 89 a.C. César le Jeune avait pour cela les moyens traditionnels de la maîtrise aristocratique des territoires et des populations. Il ne semble pas que la guerre civile, ni même le Principat en cela changèrent beaucoup le fond des pratiques du pouvoir. Intégrer l’Italie demandait en revanche de mettre en place des moyens administratifs et politiques nouveaux. La péninsule en effet souffrait de la particularité de son statut vis-à-vis de Rome depuis que l’empire avait vu le jour : ni province, ni territoire de Rome, mais gérée par les magistrats de la Ville et les magistrats locaux, cette « plus grande Rome »3 avait revendiqué son intégration pleine et entière dans le système politique de la cité de Rome depuis longtemps. Rome n’avait cédé que devant le danger militaire qu’elle courut pendant la Guerre sociale, et regimba ensuite à satisfaire pleinement les promesses des lois prises dans la foulée. Les soubresauts de la fin de la République étaient une nouvelle occasion, pour les notables comme pour les Italiens des municipes, de revendiquer cette place qu’ils attendaient depuis longtemps. Mais, pour César le Jeune, ces soubresauts introduisaient la nécessité de traiter avec cette partie du corps civique, car ses seules assurances politiques à Rome en 44 a.C. étaient l’héritage d’un homme dont une frange de l’aristocratie romaine aux contours incertains (pour nous, mais aussi très certainement pour les contemporains), venait de se débarrasser, et un noyau turbulent de troupes fidèles au nom de César qu’il faudrait bientôt licencier et qui prendraient leur place en Italie à travers leur demande de terres qu’il faudrait bien satisfaire. L’Italie, en pleine recomposition donc, était plus que jamais une force politique qui comptait et voulait compter : parmi les événements à l’échelle de l’empire et de sa gestion politique générale, la guerre de Pérouse resserra la perspective sur des faits italiens, de politiques locales.

  • 4  Yavetz, 1990, p. 124-150, n° 18-25 et 27.
  • 5  Selon la chronologie établie par Canfora, 2001, entre 49 a.C. et sa mort en 44 a.C., César resta à (...)
  • 6  En 37 a.C., avant l’expédition parthe, c’est de légionnaires italiens qu’Antoine avait un besoin u (...)
  • 7  Dès le réajustement après Philippes en 42 a.C. : DC., XLVIII, 2, 1 ; voir aussi en 40 a.C. aux acc (...)

3Il convenait donc à celui qui voudrait parvenir au sommet de la République, de s’appuyer sur cette partie de la population. Cela fut sans doute une des forces de César le Jeune de l’avoir compris et intégré tôt et véritablement dans son action politique. César, dans le dernier lustre de sa puissance, l’avait compris qui, avant de lancer l’expédition parthe, cause bien paradoxale de sa perte, engagea un certain nombre de réformes administratives de Rome et de l’Italie qui n’étaient pas que de circonstance4. C’est l’Italie, centre de l’empire, concentration géographique la plus forte de citoyens, sur quoi il porta son attention législative en particulier et qu’il confia, pendant son absence, à ses créatures – son éloignement physique pouvait d’ailleurs éventuellement être compté au nombre des causes de son échec5. Antoine, en s’éloignant de Rome, en choisissant délibérément depuis le second règlement triumviral après Philippes, la pars orientalis de l’empire pour asseoir son pouvoir – calcul qui remontait à Sylla au moins – négligea l’importance de la présence auprès de la classe politique romaine et les aspirations de ceux qui faisaient le socle de la classe aristocratique : l’Italie, foyer de citoyens aux ambitions diverses qui ne devaient pas être envisagés uniquement comme un vivier de légionnaires6 ou un territoire sur lequel installer des vétérans. L’absence physique d’Antoine laissait le champ libre à César le Jeune et à ses partisans pour rallier la péninsule aux visées du fils adoptif de César qui ne se priva pas d’occuper un terrain que les règlements triumviraux étaient censés laisser neutre7.

Tenir l’Italie

4Dans les premiers siècles de l’histoire de son empire, Rome avait conquis l’ensemble de l’Italie, puis une grande partie du bassin méditerranéen. Elle avait pour cela élaboré, au gré des contingences, des outils de domination et de gestion des territoires. Ces outils, crées au niveau de l’État, trouvaient leur répondant à l’échelle individuelle des hommes de pouvoir.

5Quels étaient les moyens dont disposait un homme politique du Ier s. a.C. pour tenir un territoire ?

La propriété foncière

6Les mentalités aristocratiques accordaient une importance capitale à l’implantation terrienne. Certes, la civilisation romaine était avant tout urbaine, et c’est dans et par les centres civiques que Rome diffusait son influence, en s’appuyant sur les notables pour gouverner, mais la constitution même du groupe des notables était toujours fondée, et pour longtemps encore, sur la terre. Tenir un territoire passait avant tout par la maîtrise de la propriété foncière qui permettait la mise en valeur d’une région et donc son développement économique. Et même si l’accès aux ordres supérieurs de la société, romaine comme municipale, n’était pas uniquement censitaire, ce critère gardait son importance. Cela permettait par ailleurs un certain contrôle social, d’une part grâce à la population d’affranchis, d’esclaves, de petits colons dépendants installés sur les domaines, d’autre part grâce aux modes de propriété et de production.

  • 8  Sur cette question, voir infra, p. 457.

7À ce titre, il est extrêmement difficile d’évaluer l’impact des activités de Mécène car ses propriétés en Italie ne sont connues ni par les textes, ni par l’archéologie. L’Étrurie n’a livré aucun vestige qui puisse faire soupçonner l’existence de domaines dans la région ; peut-être avait-il des propriétés en Sabine, si l’on estime que le domaine offert à Horace était auparavant sa propriété personnelle8… Seul un petit groupe d’inscriptions trouvées aux alentours de Pola, et une brève mention de Pline l’Ancien, difficilement interprétable, donnent matière à réflexion.

L’implantation en Cisalpine

  • 9  L’existence d’un « filon étrusque » dans l’onomastique de la Transpadane n’est pas douteux, mais l (...)
  • 10  Les numéros donnés ci-après correspondent aux lignes de notre tableau des affranchis (tableau 2, p (...)
  • 11  N° 13, 25, 26.
  • 12  CIL, I2, 2519. Voir chapitre 1 p. 27 et 2 p. 100-102.
  • 13  C’est la restitution proposée par les Inscriptiones Italiae pour n° 25. L’éditeur de la pierre, We (...)
  • 14  Les Inscr. It. penchent pour ces liens, même si les datations proposées sont toutes au moins une g (...)
  • 15  Voir Tassaux, 1983-1984 et plus rapidement, dans 2005, qui recense les proches d’Auguste implantés (...)
  • 16  La pierre mentionne un libertus Augusti, accensus de son patron, donc de l’empereur, pendant son c (...)
  • 17  Voir Inscr. It., X, 1, 585, datée d’Auguste (ou de Néron, selon Degrassi) ; 593. Des liberti Augus (...)

8Quatre inscriptions d’Istrie font apparaître le nomen Maecenas, qui n’est pas susceptible d’être indigène9, dans la cité de Pola10 ou ses environs. Les individus concernés sont dans trois cas11 des affranchis dont on ne peut pas toujours identifier le patron. Deux fois, on a affaire à un Titus Maecenas qui appartenait peut être à une autre branche de la famille que nous ne connaissons pas (on rappellera que le patron de la societas cantorum Graecorum de Rome12 était un Decimus), à moins qu’il ne se soit agi d’un affranchi d’affranchi d’une autre génération, puisque les pierres semblent toutes datables d’au moins un demi-siècle après la mort de Mécène. Mais on trouve aussi sur une inscription de lecture contestée une Maecenatia Cai liberta aux côtés d’un Maecenas Titi libertus13 : le prénom de Mécène n’est donc pas absent de ce milieu d’affranchis istriens. La crédibilité du lien avec Mécène14 est renforcée par la présence de domaines d’autres aristocrates augustéens dans cette région15, ainsi que par les relations qui semblent avoir existé entre une Maecenatia et un affranchi impérial qui fut sans doute accensus de son patron pendant son consulat16. On sait qu’Auguste lui-même avait des possessions dans la péninsule17 dont témoignent les épitaphes des esclaves ou affranchis impériaux.

  • 18  R. Chevallier explique l’occultation des centuriations autour de Parentium par la présence de gran (...)

9La localisation des pierres sur un territoire resserré entre Pola et Nesactium permet de supposer un foyer d’affranchis installés soit dans la première cité, soit dans les domaines agricoles étendus sur les territoires des deux cités. L’inscription trouvée dans l’ager Polensis, au cœur d’une zone non-urbanisée malheureusement non fouillée lors de la découverte des inscriptions, peut laisser présager cependant qu’il s’agissait d’une des nombreuses villae agricoles de la péninsule istrienne18.

  • 19  Plin., III, 20, 115 pour le Rubicon, attesté explicitement comme ancienne frontière de l’Italie et (...)
  • 20  La citoyenneté latine avait été accordée à la Cisalpine, mais bien sûr pas à l’Illyrie, par une le (...)
  • 21  App., Civ., III, 30, 115 : projet d’abandonner le statut provincial en 44 a.C., finalement repouss (...)
  • 22  App., Civ., IV, 2, 7 ; DC., XLVI, 55, 4-5.
  • 23  App., Civ., V, 65, 175 ; DC., XLVIII, 28, 4.
  • 24  Bologne : App., Civ., IV, 1, 7 ; DC., XLVI, 55,5. Philippes : DC., XLVIII, 1, 3.
  • 25  Contre Chevallier, 1983, p. 68, qui suit Degrassi, 1942-43, il semble qu’A. Fraschetti ait bien dé (...)
  • 26  Aujourd’hui, torrent de la Recca (selon H. Zehnacker : Pline, Histoire naturelle, livre III note a (...)
  • 27  Plin., III, 23, (19), 129. Str., VII, 5, 3 = 314C précise que la frontière fut déplacée « par les (...)
  • 28  Voir Inscriptiones Aquileiae, II, 2825-2852 qui indiquent une présence longue et continue de cohor (...)

10Si l’on admet la présence de domaines de Mécène dans cette partie de l’Istrie, la question se pose de savoir comment replacer cette propriété dans l’histoire des rapports de Pola, et de la Cisalpine en général avec Rome. La zone, jusque là en marge politiquement et géographiquement, intégra peu à peu la définition administrative de l’Italie à partir de César. Jusque-là, la célèbre frontière du Rubicon marquait la limite au nord-est de l’Italia et le fleuve Macra sur la côte ouest19. Tout le nord, jusqu’aux Alpes, constituait la province de Gaule Cisalpine. L’octroi de la citoyenneté romaine aux Cisalpins en 49 a.C. par César alors gouverneur de la province20, ne la fit pas pour autant entrer dans l’Italie et ce n’est qu’en 42 a.C. que la province fut, du moins théoriquement, rattachée à l’Italie par les triumvirs21. Comme l’octroi de la citoyenneté romaine, la décision était politique et elle s’insérait dans le jeu des luttes entre César le Jeune et Antoine. La Cisalpine qui contrôlait l’accès nord à l’Italie et à Rome avait en effet été adjointe au domaine d’Antoine lors du règlement de Bologne en novembre 4322. La rattacher à l’Italie, c’était faire entrer la région dans la zone théoriquement neutre23 que constituait l’Italie et mettait les Alpes entre l’Italie et les Gaules, plus proche province armée par ailleurs confiée à Antoine après la victoire de Philippes24. La péninsule d’Istrie et Pola, fondée par César25, resteraient cependant dans la province d’Illyricum, au-delà du Formio26 qui marquait alors la frontière de la Cisalpine. Ce n’est qu’entre 18 et 12 a.C. que la frontière fut définitivement repoussée à l’Arsia (Arsa / Raša) pour intégrer l’Istrie, et donc Pola, dans l’Italie administrative27. Entre-temps, la colonie appartint à la province d’Illyrie dans laquelle César le Jeune passa un certain nombre d’années, en particulier lors des guerres de Pannonie et d’Illyrie entre 35 et 33 et qui lui valurent un de ses triomphes de 29. Il semblerait qu’Auguste ait possédé dans la région, près d’Aquilée précisément, une villa dans laquelle il séjourna assez longtemps pour que des membres des cohortes prétoriennes qui l’accompagnaient y mourussent et y fussent enterrés28. L’installation de domaines impériaux et de domaines de proches d’Auguste participe pleinement à cette politique de constitution géographique d’une nouvelle Italie, plus large, dont il fallait marquer les frontières.

  • 29  Hypothèse de Keppie, 1983, p. 204.

11Dans ce cadre de chronologie régionale, à quand doit-on faire remonter l’installation de Mécène ou des Maecenates à Pola ? On peut envisager que la famille qui se trouvait dans l’entourage de César depuis au moins 49 a.C. obtint des terres en 45 au moment de la fondation de la colonie qui fut apparemment peuplée de civils29. Si c’est à cette époque que l’on doit faire remonter l’installation des domaines des aristocrates romains dans la région, il n’est pas exclu que l’intégration du territoire à l’Italie n’ait pas eu de simples raisons fiscales destinées à favoriser ces possesseurs de grands domaines.

  • 30  Voir note supra n. 15.

12Il est plus vraisemblable, cependant, que l’installation des Maecenates ait eu lieu sous Auguste. La poursuite de l’œuvre césarienne d’intégration pour des raisons stratégiques après la guerre en Illyrie et en Pannonie semble bien s’accorder à la politique du premier Princeps et aux circonstances des années 30-20. Par ailleurs, les noms des grands propriétaires attestés dans la région appartiennent tous au cercle des élites augustéennes plus que césariennes30.

  • 31  Volponi, 1975, p. 64-68.
  • 32  Voir supra n. 20. La lex Julia de 90 avait donné la citoyenneté romaine aux anciennes colonies lat (...)
  • 33  Voir pour la période suivant la mort de César : Cic., Phil. III, V, 13 ; X, 5, 10 ; IV, 9-10. Cic. (...)
  • 34  Vell., II, 89.

13L’Istrie constitue une zone d’intérêt stratégique premier pour la défense de l’Italie à l’époque augustéenne. Mais l’attention portée à la région eut aussi des raisons politiques. D’une part, il s’agissait de rallier cette zone qui ne devait pas être entièrement conquise à la cause césarienne, et partant triumvirale. Certes, César avait en 49 accordé la citoyenneté romaine aux Transpadanes, mais cette décision n’avait pas forcément rallié tout le monde à son camp31 : dès 90, les colonies latines de la province reçurent la citoyenneté romaine ; en 89, les autres communautés reçurent le droit latin qui permettait aux élites des cités d’accéder à la citoyenneté romaine32. L’extension générale du droit de cité avait peut-être été mal perçue par ceux qui en étaient déjà détenteurs. Par ailleurs, la tradition plutôt pompéienne de la région n’avait peut-être pas été entièrement balayée et des fidélités pro-républicaines se manifestèrent jusque sous l’Empire33. Faire de la province entière une partie de l’Italie, avec tous les privilèges que l’assimilation au sol italien comporte, n’était sans doute pas sans arrière-pensée politique. Mais il s’agissait aussi, les différents changements de frontière en attestent, de définir pleinement ce qui constituait l’Italie administrative. L’enjeu était l’accession de cette zone, jusque-là de confins, à un statut de région politiquement privilégiée. S’installer dans cette région, c’était contribuer à définir géographiquement l’Italie, au-delà des intérêts stratégiques et économiques immédiats. Le Prince, aidé de ses proches – comme il le fut à Rome, sur ses encouragements, pour l’embellissement de la Ville34 – parachevait ainsi en pratique son œuvre politique sur l’Italie.

D’autres implantations ?

a) Les vignobles

  • 35  Plin., XIV, 8 (6), 67.
  • 36  Dans la liste, après ces deux crus, s’ajoute le vin palmensia dont Pline rattache l’origine, dans (...)
  • 37  Nous sommes donc dès lors dans la région VIII, voir Plin., III, 20 (15), 115.
  • 38  André dans l’édition de Pline, semble établir une différence entre l’ancienneté de l’implantation (...)

14Une brève mention de Pline35 signale des vignobles qui portaient le nom de Mécène. L’insertion dans une liste, qui, selon la manière plinienne, suit d’abord le tracé des côtes avant de s’enfoncer dans les terres, nous autorise à une localisation générale. La notice nous situe sur les côtes de la mer Supérieure, au nord de l’Adriatique. Sont cités sur la côte Praetutia puis Ancona, qui donnent l’orientation de la liste36 : vers le nord. À l’intérieur des terres, Pline cite ceux de Caesena37, puis le fameux Maecenatiana, avant de passer au Véronais. Le domaine doit donc se situer quelque part entre Caesena et Verona, sans doute plus près de la première ville que de la seconde. En effet, les contreforts des Apennins se développent dans cette région depuis la côte en suivant une ligne sud-est / nord-ouest jusqu’à Bononia, l’étrusque Felsina. Cette région de coteaux se prête bien à la culture de la vigne, plus que la région située entre Caesena et Verona, occupée par la vaste et humide plaine du Pô. J. André ainsi que R. Chevallier ont tous deux nié tout lien entre ce vin et le conseiller d’Auguste, arguant l’un et l’autre que les Étrusques s’étaient installés dans cette région à une date assez haute38. En réalité, le nom ne semble pas attesté dans la zone, ni dans l’épigraphie étrusque, ni dans l’épigraphie romaine. N’y aurait-il pas quelque vraisemblance à ce que le renseignement fourni par l’encyclopédiste témoignât réellement d’un domaine possédé par le conseiller d’Auguste ou sa famille ? Un autre argument que nous développerons plus bas aurait tendance à corroborer cette affirmation : qu’il nous suffise pour le moment de dire que l’emplacement supposé des vignobles de Mécène se trouve à proximité de Ravenna et d’Ariminum.

b) Les domaines issus des confiscations

  • 39  Schol. ad. Juv. S., V, 3, 1. Pour un commentaire de ce texte, voir infra, p. 408-409 et Chillet, L (...)
  • 40  Voir : Suet., Aug., XIII, 3 ; DC., XLVII, 49, 4. RE, VI.2 (1909), s.v. Favonius, n° 1.
  • 41  Quelques inscriptions mentionnent des M. Favonii, mais il est douteux d’en faire à tout prix des a (...)

15Mécène est un des rares cas pour lesquels on pourrait étudier le transfert des propriétés à la faveur des proscriptions de 43. Nous savons en effet, grâce à une scholie des Satires de Juvénal39, qu’il fut sector des biens de M. Favonius, sénateur pompéien, ou, plus exactement, catonien ou républicain, qui fut exécuté à l’issue de la bataille de Philippes sur les ordres de César le Jeune40. Malheureusement, les enseignements que l’on peut tirer de ce texte s’arrêtent là, faute de sources supplémentaires. Il est en effet impossible de déterminer l’emplacement des propriétés de Favonius, et, a fortiori celles qui, parmi elles, purent passer, grâce aux confiscations, à Mécène. L’épigraphie est quasi-muette sur la question et ne nous permet pas de déceler des biens de famille41.

  • 42  La localisation des domaines de Favonius en Italie paraît vraisemblable puisqu’il était sénateur : (...)
  • 43  Voir Ferriès, à paraître.

16Il nous est donc impossible de conclure favorablement sur l’installation de Mécène dans telle ou telle région. Il va sans dire que si de telles confiscations avaient fait passer dans les mains d’un proche d’Auguste les domaines italiens d’un adversaire acharné contre sa personne42, l’enjeu politique n’était pas absent dans une telle redistribution43.

Clientèles

La faiblesse des traces habituelles de clientèles

  • 44  Le cas des liens de dépendance, éventuellement clientélaire, avec les poètes seront étudiés au cha (...)

17Un autre moyen aristocratique de maîtrise du territoire à des fins politiques est la constitution de clientèles. L’enquête pour ce qui concerne Mécène est décevante sur ce point : il n’existe pas de preuve évidente et immédiatement perceptible de l’existence de sa clientèle car les moments privilégiés pour déceler dans nos sources les rapports induits par ce statut social particulier que sont les affranchissements, les procès et les campagnes électorales, ne sont d’aucun secours pour le cas de Mécène44.

18De carrière des honneurs, Mécène n’en eut point et il n’apparaît donc jamais en campagne.

  • 45  DC., LIV, 30, 4.
  • 46  CIL, VIII, 24583 (très restaurée) ; ILS 8783 = IGRR, IV, 323 : mentionne Octavie avec son titre de (...)
  • 47  Rohden, dans RE., II.2 (1896), s.v. Appuleius, n° 17 Hall, 1984, n° 10.2 : il pourrait en réalité (...)
  • 48  CIL, XI, 1362. Hall, 1984, n° 10.
  • 49  Voir le cas de Cassius Severus qui accusa des proches d’Auguste : Plin., XXXV, 46, 164 ; Suet., Au (...)

19Il n’apparaît par ailleurs que deux fois en contexte judiciaire, dans des procès qu’on a du mal à interpréter dans leur détail. Une première fois, Mécène se trouva témoin cité par la défense, avec Appuleius, dans un procès pour adultère. Les deux témoins furent chahutés par l’accusation pour l’ardeur qu’ils mirent à défendre l’accusé au point qu’Auguste dut intervenir en s’installant au tribunal45. Appuleius était, comme le rappelle Dion Cassius, parent d’Auguste lui-même par Octavia maior, la demi-sœur du Princeps qui avait épousé un Sex. Appuleius46. Le témoin du procès pour adultère est généralement identifié comme l’un des deux fils connus de ce couple, qui fut consul en 29 a.C.47. La famille des Appulei parente d’Auguste était apparemment d’origine étrusque et plus particulièrement de la cité de Luna48. L’intervention de Mécène et d’Appuleius côte à côte dans ce procès peut s’expliquer de deux manières différentes, sans qu’il soit possible de privilégier l’une ou l’autre. Attendu que les deux personnages avaient des origines familiales étrusques, il est possible que l’Étrurie ait joué un rôle dans leur défense commune. Peut-être dans ce cas-là agirent-ils comme patrons pour un client commun. Mais il est aussi possible, au vu du milieu dans lequel le procès sembla se dérouler, qu’il se soit agi de témoigner pour un un ami commun, ou du moins pour un homme appartenant au cercle d’Auguste dont on ne peut pas exclure qu’il ait été lui-même visé indirectement par le procès, comme cela arrivait parfois49. L’identité de l’accusé du procès nous restant inconnue, il n’est pas possible de conclure à l’existence de liens d’une clientèle d’origine étrusque, partagée avec Appuleius, à la base de l’intervention de Mécène comme témoin.

  • 50  DC., LV, 7, 1-2.
  • 51  Bauman, 1982, qui signale cependant que l’épisode n’est sans doute pas véridique et qu’il fut recr (...)

20Le second épisode judiciaire est celui qui vit Mécène tempérer Auguste qui prononçait des condamnations à mort à la chaîne dans un contexte judiciaire pour nous inidentifiable. Mécène ne faisait apparemment pas partie du jury, puisqu’il dut jeter une tablette sur laquelle il était écrit « Lève la séance bourreau ! » par delà la foule qui entourait Auguste, pour que celui-ci reprenne ses esprits et rompe la série des condamnations50. La forme même du procès n’est pas vraiment claire et elle pourrait faire référence à deux épisodes particuliers : les condamnations qui suivirent la guerre de Perusia, ou bien la répression de la conspiration de Murena en 2351. Si on retient la première solution, à nouveau, on pourrait soupçonner des liens entre Mécène et la cité étrusque châtiée par César le Jeune pour avoir servi de refuge à L. Antonius. Nous avons vu cependant qu’il fallait déconnecter l’épigraphie pérugine de la famille étrusque de Mécène. L’argument perd donc de son poids.

  • 52  Cf. infra, p. 395.

21Enfin, hors les multiples inscriptions des affranchis de Rome, qui ne témoignent de rien d’autre que de l’importance de la maison de Mécène52, et le foyer de celles de Pola qui marquent l’emplacement vraisemblable d’un domaine, la moisson est nulle. Comme nous n’avons pas trace non plus de commandement à imperium de la famille de Mécène qui aurait permis d’accorder la citoyenneté à des pérégrins, le dernier moyen habituel de constitution des clientèles s’avère, lui aussi, décevant pour étudier le cas de Mécène. En revanche, à défaut de véritables liens de dépendance, juridiquement fondés, il semble possible de supposer l’existence d’influences locales plus diffuses. On peut en effet imaginer des implantations rurales des Maecenates ou des Cilnii dans les environs d’Arretium.

Le cas des recrutements de 44 a. C.

22De fait, si ces attaches terriennes de la famille de Mécène sont peu connues, le rapprochement entre deux textes pourrait laisser supposer l’existence de liens de dépendance qui furent mobilisés par Mécène pour le service de César le Jeune.

  • 53  Cic., DCCCXXVI = Att. XVI, 15, 3 datée du 13 novembre (Cicéron a eu le temps, à cette date, de rec (...)
  • 54  App., Civ., III, 42, 174 (trad. pers.). Notons que P. Goukowsky, corrige le texte Ῥάβενναν en Τυρρ (...)
  • 55  Les auteurs du CIL, sans chercher à définir précisément les bornes du territoire de la cité, étend (...)

23Le 10 novembre 44, après quelques mois d’hostilité latente avec Antoine, César le Jeune convoqua par l’intermédiaire du tribun C. Cannutius53, hostile à Antoine, une contio qui fut un échec retentissant : le Sénat, malgré la pression d’une première marche sur Rome, lui refusa l’octroi d’un imperium, et il fut en partie abandonné par les vétérans de Campanie qu’il avait remobilisés. Après cet événement, dit Appien, il quitta Rome, puis « parcourut Ravenne et tous ses environs, engageant recrue sur recrue. Puis il envoya tout le monde à Arretium »54. Ce sont précisément deux zones dans lesquelles nous avons repéré l’implantation de la famille de Mécène : les environs de Ravenna, dont le territoire s’étendait sans doute jusqu’à Caesena, localité au nord de laquelle nous avons proposé de localiser les vignobles de Mécène55, et bien sûr Arretium. N’est-ce pas l’indice que Mécène possédait une certaine influence dans ces régions dont il fit profiter César le Jeune, alors en quête de recrues destinées à l’armée qu’il levait pour affronter Antoine ?

  • 56  App., Civ., III, 12, 40-41.
  • 57  Sur la popularité d’Antoine parmi les soldats, voir Scuderi, 1978b. Une des multiples manifestatio (...)
  • 58  Cic., DCCXXXI = Att., XIV, 12, 2.
  • 59  Pour la campagne d’Afrique : Octave reste à Rome pour cause de santé, mais reçoit malgré tout des (...)
  • 60  App., Civ., III, 40, 164.
  • 61  Cic., DCCXLIV = Att., XIV, 21, 2 ; Phil., I, 2, 6 ; II, 42, 108 ; V, 3, 7 ; 7, 20 ; 12, 33 ; VII, (...)

24Un rapide parcours des événements contemporains de la notice d’Appien permettra de mieux comprendre le contexte et le poids particulier de ces recrutements. La situation militaire, celle des recrutements en particulier et notamment la position respective des deux héritiers présomptifs de César vis-à-vis des vétérans est capitale pour comprendre les événements de novembre 44. Il est clair que, si en mars avril 44, le jeune Octave, du fait de son adoption inspira la symathie des vétérans sur son chemin vers Rome56, c’est Antoine qui jouissait auprès d’eux de la plus solide réputation : consul pour l’année 44, ce qui lui accordait un imperium dont César le Jeune était totalement dépourvu, il avait par ailleurs combattu pendant les campagnes césariennes et nombre des vétérans installés en Campanie, nombre des soldats encore sous les armes dans les légions de Macédoine57 avaient dû combattre à ses côtés ou sous ses ordres directs, notamment en Gaule. Ce n’était bien évidemment pas le cas de César le Jeune. Il pouvait certes se targuer de porter le nom que le dictateur perpétuel lui avait laissé par testament, et que les républicains comme Cicéron refusèrent de lui accorder58, mais les choses n’allaient guère plus loin. César n’avait jamais pu mettre à exécution les intentions qu’on lui prête, d’associer son petit neveu à ses campagnes59. La campagne contre les Parthes aurait peut-être remédié à ce manque si César avait pu la mener, mais l’élan avait été brisé net par les ides de Mars. Et même les subsides que César le Jeune distribua dans les colonies campaniennes60 ne purent faire oublier aux vétérans que c’est Antoine qui avait soutenu la loi agraire destinée à les lotir, loi dont il surveilla lui-même la mise en application en se rendant en Campanie au début de l’été 4461. Cette première faiblesse, que le nom de César ne parvenait pas à cacher, explique en partie l’échec de la contio du 10 novembre 44.

  • 62  Dès le 25 avril, Antoine quitta Rome pour la Campanie (Cic., DCCXLIV = Att., XIV, 21 ; Phil., II, (...)
  • 63  App., Civ., III, 40, 164. César le Jeune suivit le même parcours qu’Antoine au mois d’avril et vis (...)
  • 64  App., Civ., III, 12, 40.
  • 65  Cic., DCCCXXVI = Att. XVI, 15, 3.
  • 66  En Cic., DCCCXXII = Att., XVI, 10, 1, on apprend que le bruit courait qu’Antoine s’était arrêté à (...)

25L’état d’esprit des vétérans fut aussi en cause dans cette défection massive. La faveur dont jouissait Antoine auprès d’eux, ne doit pas masquer la versatilité de ces soldats licenciés qui cherchaient certainement encore leur place dans la société civile. Antoine avait fait la tournée des colonies campaniennes en avril-mai62, et son retour à Rome avait été accompagné de nombreux vétérans dont le soutien avait été décisif pour le vote de la loi agraire du mois de juin. Il y a fort à parier pour qu’un grand nombre de ceux que César le Jeune recruta, sans doute à prix d’argent, au mois d’octobre aient été les mêmes hommes que ceux qu’Antoine avait « recrutés » quelques mois plus tôt63 et qui, passés les votes du mois de juin, avaient dû rejoindre les terres qu’ils venaient de recevoir – ou qu’ils attendaient de recevoir, car il est presque certain que la commission agraire qui avait commencé sa tâche fin juin au plus tard, n’avait pas encore bien avancé dans ses distributions. Dans ces conditions, il était hors de question pour eux de songer à affronter les troupes d’Antoine, d’autant que comme le rappelle Appien64, ils étaient pressés de venger la mort de César. Or quoi que son héritier eût promis le 10 novembre lors de la désastreuse contio, et dont Cicéron s’effraya tant65, il était clair qu’il se rangeait politiquement aux côtés du Sénat et de D. Brutus, parent du césaricide ! Les vétérans se révélaient une masse pour l’instant trop versatile et trop proche personnellement et politiquement d’Antoine pour être vraiment fiable66.

  • 67  En raison de l’afflux des vétérans au mois de juin pour le vote de la loi agraire la séance du Sén (...)

26Parallèlement à ce jeu avec les vétérans, une autre force militaire pesait dans la balance. En juin, grâce à une lex de mutatione provinciarum, Antoine devait recevoir le gouvernement des Gaules au lieu de celui de la Macédoine, tout en obtenant le droit de conserver les légions de Macédoine. Il organisa donc, dès le vote de la loi, rendu chaotique par l’opposition du Sénat67, le transfert des légions. Parmi les quatre légions qui devaient passer sous son commandement, deux passèrent à César le Jeune quelques jours après la contio du 10 novembre, pendant que ce dernier prenait la route de Ravenna et d’Arretium.

  • 68  Syme, 1967 [1939], p. 125-126.
  • 69  Sordi, 1972, p. 3-9.
  • 70  App., Civ., III, 42, 173-174 : l’historien alexandrin reconnaît que les chiffres ne sont pas clair (...)
  • 71  En fait, César le Jeune comptait sur les légions de Macédoine avant qu’elles ne fissent effectivem (...)
  • 72  RGDA, I, 1.

27Ce déplacement stratégique de César le Jeune a été très diversement apprécié. Aux uns, abandonner Rome alors qu’il aurait pu s’appuyer sur les masses populaires qui lui étaient, aux dires de Cicéron, plutôt favorables, témoignerait de la situation désespérée dans laquelle il se trouvait, avant la défection providentielle d’une partie des légions de Macédoine68. Aux autres, la situation militaire paraît entièrement sous son contrôle69 : le philantonisme d’Appien devrait conduire à nuancer la portée de l’échec de la contio du 10 novembre, tandis que la défection des légions de Macédoine aurait été prévue de longue date. En réalité, et comme souvent, aucune de ces deux positions extrêmes n’est satisfaisante. La contio fut sans conteste un révélateur net du peu de crédit que l’on pouvait accorder aux vétérans, soldats sortis de charge pour lesquels la perspective d’une lutte civile dans le nord de l’Italie ne devait pas avoir beaucoup d’attrait, surtout face à l’espérance de lotissement en Campanie dont Antoine était le garant. En revanche, il n’est pas juste de porter au crédit du seul Antoine le bénéfice de ces vétérans : Appien lui-même admet qu’après la contio du 10 novembre une partie d’entre eux resta au service de César le Jeune70. La défection des légions de Macédoine ne fut pas, par ailleurs, soudaine et inespérée : l’opération fut le résultat de longues tractations et peut-être avec l’appui de quelques membres du Sénat qui n’avaient aucun intérêt à ce qu’Antoine fût trop puissant. En tout cas, Cicéron en reçut la nouvelle de la part de César le Jeune en octobre, bien avant qu’elle ne soit effective donc71. À cette date en tout cas, il était nécessaire à César le Jeune de procéder à des recrutements de troupes qui lui soient propres et fidèles, non liées à Antoine, même par l’intermédiaire de César. C’est ce recrutement stable de troupes engagées à frais nouveaux qui constitua les troupes privées qu’il se targua, dans les res gestae, d’avoir levées à l’âge de dix-neuf ans72. Et c’est donc vers le nord, vers Arretium et Ravenna qu’il choisit d’y procéder.

28Ce choix peut ainsi être expliqué par des motivations de plusieurs ordres qui n’impliquent évidemment pas tous Mécène au même degré.

  • 73  Plin., III, 52.
  • 74  Cic., Caec., VII, 18, XXXV, 102 ; Dom. 30, 79.
  • 75  Cic., XXV = Att., I, 19, 4 du 15 mars 60.
  • 76  Cic., DLIII = Fam., XIII, 4, 2.
  • 77  Cic., DLIII = Fam., XIII, 4 (entre le début du 2e intercalaire de 46 a.C. et septembre 46 a.C.) à (...)
  • 78  Voir Keppie, 1983, p. 52-55.
  • 79  César, à cette occasion, promit de ne pas procéder par grandes expropriations comme Sylla l’avait (...)
  • 80  Firpo, 2009, p. 181.
  • 81  Voir Ciampoltrini, 1981, p. 50-52 et Fatucchi, 1979-80, p. 240. Cicéron laisse entendre qu’en 44 a (...)

29Malgré sa réticence face à la versatilité des vétérans, est-ce parce que César le Jeune savait trouver dans cette zone au nord de Rome des soldats de César démobilisés ? À Arretium, la présence de colons de César est attestée par la dénomination d’une partie de la population sous le vocable d’Arretini Julienses73. L’histoire de la cité dans la seconde moitié du Ier s. a.C. est cependant complexe. On la reconstruit généralement en parallèle à celle de Volaterrae, car le sort des deux cités semble avoir été lié depuis l’époque syllanienne : toutes deux avaient perdu une grande partie de leur territoire et de leur droit de cité, à la suite d’une mesure contestée par Cicéron74. Leur sort continua d’être lié pendant plusieurs années encore, puisque Cicéron obtint l’exemption de Volaterrae et d’Arretium de toute menace de distribution du territoire apparemment non partagé depuis Sylla75, lorsqu’en 60, le tribun de la plèbe L. Flavius proposa une loi agraire destinée à lotir les vétérans de Pompée. Pendant le premier consulat de César, Cicéron obtint, grâce à une loi agraire, la confirmation de cette exemption pour Volaterrae76. La mesure concernait-elle aussi Arretium ? Les lettres qui nous apprennent sa confirmation par César en 59 sont consacrées plus particulièrement au cas de Volaterrae, ce qui ne veut pas dire qu’Arretium n’était pas concernée. Jusqu’en 46-45 au moins, le territoire de Volaterrae fut effectivement été épargné par César77. La nouvelle fournée de lotissements effectuée pendant les années 45-4478 eut peut-être raison de l’état de grâce qui durait depuis plus d’une décennie. L’assurance, de la part de César, de n’installer des vétérans que sur l’ager publicus ou des terrains rachetés à leur légitime propriétaire, sans concentration trop massive des vétérans79, explique peut-être le caractère discret de la colonisation à Arretium qui prit tout de même prit le titre de colonie sans doute sous César80 . Les traces de centuriation à l’ouest de son territoire81, ainsi que la présence des Arretini Julienses trahissent certainement un foyer de vétérans césariens. Toutefois, les soldats installés à Arretium, plus isolés, et donc moins nombreux, que dans les colonies en bonne et due forme de Campanie, étaient peut-être moins sensibles aux effets de masse auxquels les colons campaniens étaient soumis.

  • 82  L. Keppie, en tout cas, ne signale rien : Keppie, 1983, p. 49-58 sur les installations de César. I (...)

30Pour ce qui est de la zone de Ravenna, on n’a pas trace d’installation de vétérans82. En revanche, c’est une région qui n’appartenait pas à l’Italie avant la réforme administrative engagée par César, mais qui était comprise dans le gouvernement cisalpin qui fut le sien pendant dix ans, et obtint la citoyenneté à son initiative. Dans les deux cas, en définitive, nous nous trouvons dans des zones d’influence césarienne, dans lesquelles le lien colonial n’était pas aussi fort que dans la région campanienne.

  • 83  Des raisons militaires firent que la cité fut investie par les troupes de César lors de l’invasion (...)
  • 84  Liv., XXXI, 21, 1 : en 200, l’armée fut transférée d’Arretium à Ariminum pour combattre à Crémone. (...)
  • 85  Arretium jouit d’une position favorable qui met en liaison les différentes parties de l’Italie cen (...)
  • 86  La nouvelle de la désertion de la légion Martia parvint à Antoine avant la séance du Sénat prévue (...)
  • 87  On pourrait ajouter une raison logistique, si l’industrie métallurgique, active dans la cité au II (...)

31Le choix d’Arretium comme quartier général avait-il des raisons de pure stratégie militaire83 ? Il va sans dire que ce type de critère entra en ligne de compte, surtout puisqu’il s’agissait d’empêcher Antoine de rejoindre la Gaule Cisalpine qu’il s’était choisie comme province pour l’année 43. Arretium servait en effet depuis longtemps de point d’appui aux légions romaines dans les opérations dirigées vers le nord de la péninsule. Depuis la deuxième Guerre Punique au moins, la cité ou ses environs furent occupés, généralement pour des opérations à destination soit de la plaine padane, soit de la Romagne, soit de la Cisalpine en général84. Sa position sur la via Cassia en faisait un accès facile vers le nord par la côte tyrrhénienne. Par ailleurs, elle contrôle le passage des Apennins qui faisait le lien entre les deux rives de l’Italie85. Cependant, replacé dans le contexte militaire de la fin de l’année 44, le choix d’Arretium ne paraît pas seulement s’expliquer par des raisons de stratégie. Après la nouvelle de la défection des deux légions de Macédoine, les 24 et 28 novembre86, Antoine se dirigea, sans doute par la via Flaminia à partir de Rome, vers Ariminum, pour gagner la province de Cisalpine qu’il revendiquait. Dans ses conditions ce n’était peut-être pas la meilleure des tactiques pour César le Jeune que de poster son armée à Arretium alors que les recrutements avaient eu lieu dans les environs de Ravenna. Il aurait pu bloquer la progression vers le nord des armées antoniennes par la côte adriatique alors qu’Arretium, au contraire, est située dans les Apennins toscans. En revanche, il est vrai que la position était plus facilement défendable, surtout s’il devait attendre les légions de Macédoine qui avaient fait défection (IVa et Martia). La Cassia offrait à ces légions une alternative à la Flaminia pour joindre César le Jeune. Arretium pouvait alors se révéler, pour César le Jeune, une solution d’attente plus confortable que Ravenna, d’autant que s’assurer par la présence des deux légions de Macédoine, de la Cassia, lui laissait le champ libre pour redescendre vers Rome si le besoin s’en faisait sentir87.

  • 88  Constatant que les sources perdent la trace de César le Jeune entre le siège de Sentinum et son ar (...)

32Cependant, ni l’influence césarienne, ni les raisons stratégiques ne peuvent expliquer à elles seules les choix faits par César le Jeune au sortir de la contio du 10 novembre 44. La présence de dépendants – sinon de clients – de Mécène dans ces deux zones (Arretium et Ravenna) où sa famille était implantée, semble elle aussi à même d’expliquer le départ vers l’extrême nord de l’Étrurie. Pour fonder le noyau de la force militaire grâce à laquelle il comptait lutter contre Antoine en se mettant temporairement au service du Sénat, César le Jeune choisit les régions où l’implantation d’un de ses proches dans le tissu local devait lui assurer des soutiens, alors qu’il n’existait aucune raison évidente et déterminante pour qu’Arretium devienne le centre des opérations. Il est donc vraisemblable que Mécène ait favorisé le premier recrutement de troupes qui fût propre à César le Jeune et dépendît uniquement de lui88.

  • 89  Sordi, 1972, p. 13-17. M. Sordi fait la liste des corps de troupe à la disposition de César le Jeu (...)
  • 90  Cic., DCCCLXIV = Fam., X, 30, 5 ; App., Civ., III, 69, 282.
  • 91  Keppie, 1996, p. 117 citant Durry, 1938, p. 238 sq. et Passerini, 1969, p. 159 sq. Si l’hypothèse (...)
  • 92  La première mention historique de la cohorte prétorienne se trouve, à notre connaissance, chez Cic (...)
  • 93  César n’en eut vraisemblablement pas. Le terme n’apparaît dans ses œuvres qu’une seule fois à titr (...)
  • 94  Le terme technique désignant la cohorte prétorienne (σπείπα στρατηγίς) n’apparaît que tard (entre (...)
  • 95  Tac., A., IV, 5, 3. Le texte est confirmé par l’épigraphie, selon les relevés effectués par Passer (...)
  • 96  À cette époque, les cohortes furent démobilisées et loties à Augusta Praetoria (Str., IV, 6, 7 et (...)
  • 97  Sen., Ep., 114, 6. Cf. infra chapitre 5.

33M. Sordi a renforcé encore la portée de ces premiers recrutements en croyant pouvoir en faire le noyau de la première cohorte prétorienne89 qui fut entièrement décimée quelques mois plus tard, lors des premiers engagements contre les armées antoniennes à Forum Gallorum90. En réalité, il est bien difficile de pouvoir suivre exactement à quels corps de troupe furent affectées les levées faites par César le Jeune, car les effectifs des légions devaient être lacunaires et durent en partie être complétés par les nouvelles recrues. De plus, il est peu vraisemblable que de jeunes soldats aient été recrutés dans la cohorte prétorienne. En effet, si les cohortes prétoriennes impériales furent recrutées directement parmi de jeunes civils91, pendant le Triumvirat, elles le furent toujours auprès de vétérans. Elles étaient encore considérées comme des troupes d’élite engagées au combat92 plus que comme des cohortes destinées à protéger la personne du proconsul93. Leur premier recrutement se perd dans nos sources, d’autant qu’elles eurent tendance à se multiplier pendant la période des Guerres civiles tant pour Antoine que pour César le Jeune94. Vu la nécessité pour César le Jeune de s’appuyer à cette date sur des troupes qui lui étaient fiables personnellement, vu aussi le lien entre les zones de recrutement et celles où Mécène et sa famille possédaient des terres, il n’est pas inenvisageable que les cohortes prétoriennes aient compté, à cette date, quelques éléments étrusques, si l’on considère que la préférence accordée, entre autres régions, à l’Étrurie dans le recrutement des cohortes impériales est un héritage de ces premiers recrutements95. Le lien de Mécène avec les cohortes prétoriennes, même après la refonte globale qu’elles subirent après Actium96 n’est par ailleurs pas à exclure si l’on comprend que c’est précisément aux prétoriens que Mécène donnait le mot d’ordre en l’absence d’Auguste97.

Le contrôle des cités

  • 98  Castrèn, 1975, p. 95 sq.
  • 99  Keppie, 1983, ne signale Arretium que comme lieu de colonisation probable sous César, cf. supra, p (...)
  • 100  AE, 2011, 1703.

34L’étude de la composition des élites municipales de la colonie de Pompei avait permis à P. Castrèn98 de mettre en valeur le renouvellement drastique de la classe dirigeante de la colonie opéré par César le Jeune / Auguste grâce à l’installation de vétérans qui lui étaient politiquement redevables. Le corpus épigraphique d’Arretium, assez réduit, ne nous permet pas une telle étude sociale et l’on a pour l’instant échoué à repérer des traces épigraphiques certaines de l’installation de vétérans dans la cité où Mécène semble avoir eu le plus d’attaches99. La présence de pôles de dépendants de Mécène, qui porteraient son nom, et auraient pu participer à une réorganisation de ce genre, n’est par ailleurs attestée nulle part, nous l’avons vu. À cette restriction, il faut peut-être opposer cependant une une inscription fragmentaire récemment trouvée sur la colline de Byrsa à Carthage100 :

[---Mae]cenas Iuncus C. Memmius
aed (iles)
[---c]oer (averunt) idemq (ue) vias derexser (unt)
« ? Maecenas Iuncus et C. Memmius, édiles, ont pris soin de [---] et, de même, ont organisé le tracé des rues ».

  • 101  CIL, VIII, 20213 : le formulaire au génitif pourrait laisser penser à une date haute, d’autant plu (...)
  • 102  Voir CIL, X, 6104 (de Formiae). Sur le personnage, voir Gascou, 1984 ; Fischwick, 1994 ; Alelly, 2 (...)
  • 103  CIL, VIII, 26274.
  • 104  Ce qui est sûr est que la préfecture mentionnée dans l’inscription de Formiae est de nature fiscal (...)
  • 105  Voir définition de l’OLD, s.v. dirigere, 1, c.
  • 106  Fischwick, 1994, p. 72-73.
  • 107  Voir Saumagne, 1962. Le lieu de découverte de l’inscription, sur la colline de Byrsa, semble plus (...)
  • 108  Au rang desquels il faut compter Lépide dont il ne faut pas négliger les réalisations en Afrique : (...)
  • 109  Voir par exemple à Pola, le nom des deux premiers duumvirs est inscrit sur une des portes de la vi (...)
  • 110  DC., LII, 43, 1.
  • 111  Le nomen du second édile peut toutefois renvoyer à une famille plus ancienne à Carthage : voir Las (...)
  • 112  Voir la fortune de sa famille sous le principat d’Auguste : Ferriès, 2007, n 129, p. 470.

35Le nomen a été restitué avec vraisemblance dans la première ligne, tandis que la paléographie et l’orthographe permettent de dater l’inscription de la seconde moitié du Ier s. a.C. Les liens avec Mécène ne sont bien sûr pas assurés, mais on peut s’appuyer sur la rareté du nomen Maecenas en Afrique (nous n’en connaissons pour l’instant qu’une seule attestation, plus tardive, à Igilgili101) et son absence totale du répertoire onomastique de Carthage en particulier, pour supposer une origine extérieure à la colonie, sans doute italienne. L’absence du praenomen et de la filiation qui aurait permis de fonder un éventuel lien de famille ou de dépendance avec Mécène de type patron-affranchi empêche de conclure. Sa fonction d’édile de Carthage n’est pas un obstacle à cette dernière hypothèse, car on connaît un autre édile de la cité ayant occupé des fonctions assez proches de répartition (fiscale ?) du territoire, et qui était, lui aussi, d’origine affranchie. Il s’agit de M. Caelius Phileros102, ancien accensus du gouverneur T. Sextius, devenu édile de Carthage, puis praefectus iure didicundo vectigalibus quinquennalibus locandis in castellis LXXXIII dans la pertica de Carthage. C’est sans doute le même individu que le Phileros connu pour ses entreprises de répartition de terres entre coloni et habitants du castellum Uchitanorum103. Cet arbitrage, vraisemblablement de nature fiscale, est très certainement un indice de la restructuration générale de la pertica de Carthage dont la date est discutée104. La carrière de Phileros, quoique substantiellement différente de celle de Maecenas Juncus, permettrait alors d’éclairer quelque peu celle de ce dernier, en liant leurs deux parcours à la (re)fondation de la colonie. En effet, le terme employé pour décrire l’action de Maecenas Juncus (derexe (runt) < dirigere) fait référence non pas à la simple construction de voies, mais à la définition de l’orientation d’un réseau viaire105. Comme pour Phileros, on bute sur la date de la restructuration urbaine de Carthage, qui pourrait avoir eu lieu, soit en 44 a.C., sous l’égide de César, entre 40 et 36 sous le gouvernorat de Lépide, ou bien en 29-28 sous Auguste. Si certains considèrent l’opération augustéenne comme une simple augmentation d’une colonie refondée par César106, d’autres insistent sur les opérations urbanistiques menées par Auguste qui auraient eu pour conséquence une nouvelle orientation de la trame viaire de la colonie rompant avec celle, plus ancienne, du territoire107. Dans tous les cas, même si la refondation officielle intervint en 44 a.C., ou que son idée en soit due à César, la mise en œuvre fut postérieure108, sans que l’on puisse vraiment apprécier le rôle de Lépide dans ces opérations. Si l’on admet l’hypothèse que Maecenas Juncus lança les travaux augustéens sur la trame urbaine, il est possible qu’il ait appartenu à une élite choisie et contrôlée par le (re)fondateur : la réorganisation de la configuration générale de la cité demandait une équipe de magistrats coopératifs. Peut-être même peut-on faire l’hypothèse que les deux édiles ici nommés faisaient partie du premier collège d’édiles installés à la tête de la colonie après sa refondation : on connaît le rôle urbanistique que tenaient les premiers magistrats lors de la fondation, ou de la refondation d’une cité109. Si l’on retient la date augustéenne pour Maecenas Juncus comme pour Phileros, il faut noter qu’en 28-27, après la victoire d’Actium, Auguste réorganisa considérablement le territoire de la colonie de Carthage, ce dont témoignait Dion Cassius110 , mais aussi qu’il le fit par l’entremise de deux affranchis parvenus jusqu’aux magistratures de la cité. Par là même, il introduisait des éléments nouveaux dans son élite politique111, comme il l’avait fait en Italie, sans doute par le biais d’élections soutenus par des vétérans. Si l’on fait par ailleurs l’hypothèse que ce personnage appartenait à un degré quelconque à la familia de Mécène, on aurait la preuve qu’Auguste se servit de son entourage pour mener une politique de reprise en main de certaines cités d’intérêt : un affranchi de Mécène (?), l’accensus d’un ancien gouverneur favorable au Triumvirat, peut-être rallié à Auguste112, furent ses relais dans une zone de colonisation qu’il était important de maîtriser à la fois pour des raisons pratiques (pression des vétérans), mais aussi symbolique : dans la continuité césarienne, la colonie de Carthage avait fait partie de la zone d’un Lépide qui avait été loin d’y être inactif, et dont il fallait faire oublier le souvenir.

  • 113  Sur le sort de Perusia, voir chapitre 5, p. 237. On connaît un autre cas d’un magistrat qui fut en (...)
  • 114  CIL, XI, 1943.
  • 115  CIL, IX, 4205 et 4455.
  • 116  Voir chapitre 8, p. 385-388.
  • 117  Hall, 1984, n° 73.

36Cette conclusion pourrait être soutenue pour un autre dossier épigraphique dans une autre cité refondée par Auguste. Perusia en 41 a.C. était une cité ruinée, car son territoire fut en grande partie confisquée et ses élites politiques exécutées, avant d’être restituta par Auguste autour de 2 a.C.113 L’épigraphie locale témoigne cependant d’un couple de magistrats qui occupèrent leur fonction avant et après un changement de statut (passage du quattuorvirat et duumvirat), ce qui laisse supposer qu’ils furent en poste une première fois entre la destruction de la ville par César le Jeune (et non pas avant, d’une part parce que les sources précisent que les élites politiques furent éliminées en 41, d’autre part parce que les deux hommes auraient été très âgés pour occuper une fonction avant 41 et l’autre après 2 a.C.) et sa restitution puis après cette dernière. De ces deux magistrats, l’un était un L. Proculeius, Auli filius, Titia gnatus114. Le nomen de Proculeius n’est pas particulièrement rare et n’est en tout cas pas d’origine étrusque, mais latine. Parmi les foyers de diffusion épigraphique du nom, on trouve la cité d’Amiternum115. On connaît par ailleurs un C. Proculeius, fils de L. Proculeius, dans le cercle très étroit de familiers d’Auguste, et par ailleurs beau-frère de Mécène116. Rien dans les éléments biographiques que nous possédons sur ce Proculeius ne permet de le relier cependant à l’Étrurie, sinon que les Proculeii d’Amiternum, la branche la plus repérable pour ce nomen, ne portent jamais le praenomen de Lucius dont la seule attestation se trouve précisément à Perusia117. Tentons à nouveau une fragile hypothèse, reposant sur ce rapprochement onomastique. Si le Proculeius étrusque doit effectivement être rapproché de la famille du Proculeius beau-frère de Mécène, auquel Auguste envisagea de donner Julie en mariage, nous aurions un nouveau cas de cité dont César le Jeune modifia la classe dirigeante en y introduisant, à un moment capital, des hommes dont il était sûr. Puisque les membres du sénat local de Perusia furent exécutés massivement à la suite de la prise de la ville en 40 a.C., il n’y a rien d’invraisemblable à ce que César le Jeune ait pourvu à leur remplacement avant même la « restitution » de 2 a.C. Dans ce cas-là, on comprend aussi pourquoi ce furent précisément ces mêmes individus qui furent choisis pour occuper les nouvelles fonctions municipales à la suite de la refondation de la cité.

  • 118  Lequel utilise un modèle d’urne très ancien, sur lequel l’épitaphe est une bilingue, qu’il place d (...)

37De plus, L. Proculeius se décrit comme Titia gnatus. Comme dans le cas de P. Volumnius Violens118, autre magistrat re-fondateur de la cité de Perusia, L. Proculeius fit profession d’étrusquisme, de manière ostentatoire, en utilisant un procédé épigraphique clairement marqué. Violens qui n’était peut-être pas même pérugin avant l’épisode de la guerre de 41-40 a.C., ni d’ascendance étrusque, mais qui fut peut-être installé par Auguste lors de la reprise en main de la cité, fournit un exemple de construction élaborée d’une identité étrusque, et paraît caractéristique du mouvement politique augustéen, dans cette cité en particulier, mais aussi dans l’Italie entière. Eu égard aux circonstances spéciales qui entourèrent la vie politique pérugine, c’était faire acte d’apaisement pour ces élites, sans doute imposées de l’extérieur après un épisode très violent, que de s’intégrer dans les coutumes locales. Quand bien même les élites de la cité refondée auraient fait partie antérieurement de la population locale, faire une telle profession d’étrusquisme était manifestement un signe adressé aux Pérugins de l’apaisement qu’Auguste comptait installer entre lui et les Italiens.

38Avec le Maecenas de Carthage et le Proculeius de Perusia, nous aurions – avec toutes les limites que le simple argument onomastique apporte à notre propos – le cas de deux membres de familles très proches d’Auguste pendant la période triumvirale et de l’immédiat post-Actium, utilisés pour mener à la fois une politique d’apaisement, mais aussi de contrôle des cités, tout à fait semblable aux grandes opérations de renouvellement des populations des colonies telles Pompei.

Éviter la colonisation : un atout politique

La répartition des colonies en Italie

  • 119  L’étude la plus complète est celle de Keppie, 1983. On notera une fois pour toutes la très importa (...)
  • 120  Les déductions de Philippes ayant été décidées en 43 a.C. à Bononia, faut-il voir là la raison de (...)
  • 121  Panciera, 1977, p. 191-211 ; Keppie, 1983, p. 70-71. Au sujet de cette colonie, G. Mundubeltz fait (...)
  • 122  Après Philippes : Bononia, Concordia, Cremona, Tergeste ; après Actium : Ateste, Augusta Taurinomr (...)
  • 123  Dans l’ordre en partant du sud : Hadria, Asculum (à l’intérieur des terres), Firmum, Ancona. On pe (...)

39À partir de l’étude de L. Keppie, il est possible de dresser un tableau relativement complet des installations de vétérans dans la péninsule italienne dans la dernière moitié du Ier s. a.C. : même s’il faut être conscient des lacunes énormes de la documentation119, en particulier celle qui trahirait les installations viritim, le croisement des sources archéologiques, épigraphiques et littéraires, permet d’arriver à un état presque complet. Sur la carte des installations entre 44 et 30 a.C., on note que la Campanie, fut, depuis César jusqu’aux installations augustéennes de 14 p.C., une terre privilégiée pour le lotissement de vétérans. César comme les triumvirs, sans doute à la demande des vétérans eux-mêmes, lotirent un grand nombre d’hommes dans les cités de l’ager Campanus et dans tout le territoire campanien. Capua, par exemple, subit des déductions en 47-44, puis après Philippes120, après Nauloque où elle perdit sans doute une partie de son territoire au profit de la fondation de la colonie de Puteoli121. La Cisalpine fut aussi très sollicitée122 en particulier après Philippes, et plus encore après Actium. La région, nouvellement intégrée à l’Italie, disposait par ailleurs de larges territoires fertiles, parmi lesquels la plaine padane tient le premier rang, et fournissait le compromis le plus confortable pour César le Jeune qui procéda aux installations à la fois après Philippes et bien sûr après Actium. Le Picenum enfin accueillit de nombreux vétérans, surtout après Philippes : la côte adriatique fut semée d’un réseau d’implantations coloniales presque continu123.

  • 124  Keppie, 1983, considère ce cas comme douteux (p. 77) ; sur l’établissement césarien, justifié par (...)
  • 125  Cic., DII, 2 = Fam, IX, 17, 2, lettre à L. Papirius Paetus, envoyée début septembre 46 a.C. : il y (...)
  • 126  Keppie, 1983, p. 168-169.
  • 127  Keppie, 1983, p. 77 note ce cas de colonisation comme douteux après Actium ; voir aussi p. 170-171
  • 128  CIL, XI 3254 et XI, 3322. Diverses interprétations ont été données au nom : Duncan, 1958, p. 68 n. (...)
  • 129  Pour cette dernière citée : l’argument retenu est celui du renouveau architectural à la fin du Ier(...)
  • 130  Suet., Caes., 24, 1.
  • 131  Keppie, 1983, p. 175-176.

40Reste le cas de l’Étrurie. Les cartes de L. Keppie témoignent d’un certain nombre d’implantations triumvirales, en particulier après Actium, sur le territoire de la future regio VII qui occupait un immense domaine, côtier et intérieur, sur le flanc ouest de la péninsule. Toutes ces installations repérées se situaient en périphérie de la région, soit à l’extrême nord, soit au contraire tout au sud, très près du Latium. Au-delà de cette première vue générale, il faut se pencher plus précisément sur le cas des cités dont la liste a été établie par L. Keppie. Lors des installations de 31-30 a.C., sont ainsi comptés : Sutrium, Saena, Castrum Novum, Lucus Feroniae, Falerii, Pisae et Rusellae, ce qui en nombre absolu d’implantations, égale à peu près le chiffre atteint en Cisalpine. Cependant, cette liste appelle un commentaire : il apparaît que la plupart des cités étrusques qui subirent très probablement l’installation de vétérans démobilisés après Actium n’étaient en réalité pas de nouveaux sites, choisis à frais nouveaux comme ce put être le cas pour les cités de Cisalpine par exemple : nombre des cités avaient été choisies par César, et si les travaux de cadastration, de centuriation et d’expropriation avaient sans nul doute commencé du vivant du dictateur perpétuel, il n’est pas du tout certain que les colons avaient été installés à l’issue de ces opérations préliminaires des commissions agraires. L’installation après Actium s’apparenterait donc en quelque sorte à la « réactivation » de colonies césariennes dont les terres n’avaient pas été distribuées, pour des raisons variables : abandon pur et simple des projets du dictateur, réengagement des colons auxquels elles étaient destinées… Parmi elles, on peut compter Castrum Novum qui fut probablement un petit établissement césarien, sans que rien ne vienne prouver l’installation de colons après Actium124 ; Lucus Feroniae, faisait partie, au cours du Ier s., du territoire de Capena, or on sait qu’en septembre 46 a.C. on procédait sur le territoire de cette cité à des mesures d’arpentage125, ce qui a conduit G. Jones à penser que Lucus Feroniae était une colonie issue des travaux césariens. L. Keppie a balayé cet argument injustement, pour faire de Lucus une colonie augustéenne se fondant sur les aménagements de la cité datés du règne du premier Princeps126. Mais le cas de Lucus Feroniae peut être rapproché de celui, mieux connu par les textes, de Volaterrae et d’Arretium sur lesquels nous nous sommes déjà arrêté. Il apparaît que nombre de cités choisies par César pour installer des vétérans de ses campagnes subirent l’épreuve de l’arpentage, et sans doute aussi de l’expropriation des anciens occupants de la terre, sans pourtant qu’elle soit finalement distribuée, du moins à la mesure des prévisions du dictateur. Dans certains cas, des protections firent que les cités furent préservées dans leur intégrité territoriale pendant un certain temps. Dans le cas de Lucus Feroniae, rien n’interdit de penser que ce petit territoire, fondé en colonie sous César, ait été ensuite augmenté sous Auguste après Actium, alors que toutes les terres n’avaient pas été distribuées lors des premières assignations. À Falerii127 encore, le renouveau architectural sous Auguste n’empêche pas L. Keppie de laisser ouverte l’hypothèse d’une fondation césarienne, réinvestie ensuite par Auguste, éventuellement après Actium, ou plus tard encore. Sutrium, enfin, porte dans les inscriptions successivement le titre de colonia Conjuncta Iulia Sutrina, puis de colonia Augusta Iulia Sutrina128 : le changement semble pouvoir prouver que la colonia Julia Conjuncta était césarienne. Le changement de nom ne put avoir lieu qu’après 27 a.C., après donc l’installation des vétérans d’Actium. Seules les cités de Saena, Pisae et Rusellae129 peuvent finalement être retenues, comme foyer d’installation de vétérans après la bataille d’Actium. Dans les vagues précédentes, seule la cité de Lucca semble avoir reçu des soldats démobilisés après la bataille de Philippes. Mais il convient de rappeler qu’elle n’était administrativement italienne que depuis peu : en 56 a.C., elle était encore sous la juridiction de la province de Cisalpine, puisque César en avait le contrôle130. Quant à Florentia, la colonisation semble bien avoir remonté jusqu’à César131.

  • 132  Voir estimation de Keppie, p. 76, d’après RGDA, 16, 1.
  • 133  DC., LI, 4, 6.
  • 134  Keppie, 1983, p. 80 : des colons furent envoyés en Afrique, en Maurétanie, à Patras, Berytus, Alex (...)

41En définitive, on le voit, fort peu nombreuses furent les cités qui souffrirent de l’installation massive des vétérans à l’époque triumvirale. Un certain nombre le fit sous César qui n’hésita pas à lotir ses anciens soldats dans cette région, puis après la bataille d’Actium. À cette occasion, César le Jeune fut en mesure de lotir les plus anciens de ses soldats qui accomplissaient leur dernière année de service à ses côtés. Or, en 31-30 a.C., ces jeunes vétérans devaient représenter les « jeunes légions » que César le Jeune recruta en 43-41 a.C., quand Antoine avait à ses côtés une bonne partie des vieilles légions de César, lesquelles furent loties plus tôt, en 41 a.C. principalement. Or on se souvient qu’une partie de ces recrutements avait été effectuée en Étrurie du Nord : l’installation des vétérans d’Actium à Pisae et Saena pourrait alors avoir été motivée par la proximité du lieu d’origine d’une partie des vétérans alors libérés. Par ailleurs, la colonisation italienne des années 31-30 a.C. se fit dans les meilleures conditions possibles au regard des confiscations intervenues dans les années précédentes. César le Jeune s’engagea à n’installer ses vétérans que sur des terres publiques, ou bien sur des terres que le trésor d’Alexandrie lui permit d’acheter en masse132. Par ailleurs, les représailles sur les cités antoniennes – mais non pas sur les vétérans des légions d’Antoine, avec lesquels César le Jeune cherchait l’apaisement depuis les événements de la guerre de Pérouse – fournirent des terrains133. Quant aux vétérans antoniens d’Actium, une partie d’entre eux fut lotie outre-mer134.

Les raisons de l’exemption

  • 135  Ce qui contribua sans doute à renforcer le parti de Lucius Antonius pendant la guerre de Perusia m (...)
  • 136  App., Civ., IV, 3, 10.
  • 137  À suivre la description du territoire dans l’introduction du CIL, on aboutit effectivement à un te (...)

42En plus de l’Étrurie, seul l’extrême sud de l’Italie fut épargné par la colonisation ce qu’explique la pauvreté des terres de la Grande Grèce, alors que les vétérans demandaient avant tout des terres cultivables et rentables. De même, une partie du Samnium, pourtant assez favorisée, ne fut jamais la proie des arpenteurs et des confiscations. Alors que les vastes plaines de la Campanie furent très largement mises à contribution, et que même des zones plus restreintes comme la pianura Umbra sur laquelle se trouvaient Perusia, Asisium et Hispellum, étaient touchées135, quelles sont les raisons qui peuvent expliquer cette très faible représentation de l’Étrurie (totalement absente des lotissements décidés après les accords de Bononia en 43 a.C., et réalisés en 41 a.C., après Philippes, par César le Jeune), alors que, de l’avis même d’Appien, un des critères de choix des terres à distribuer était l’étendue du territoire des cités et la richesse agricole du lieu136 ? La région, pourtant, avait la réputation d’être un des greniers à blé de l’Italie, et elle ne manquait pas de cités au très vaste territoire, Arretium en premier lieu137. Attendu qu’il n’est pas assuré du tout que l’on puisse donner à l’implantation de vétérans une vocation purement militaire, on ne peut évoquer le danger que constituait la menace de Sextus Pompée dans les années qui suivirent la bataille de Philippes car la Campanie, par exemple, était bien plus exposée, et pourtant elle fut lotie d’importance.

  • 138  DC., LXVIII, 6, 3 : exemption de confiscation des lots déjà reçus ; 8, 5 : exemption pour les bien (...)
  • 139  Manacorda, 1981, p. 28-41 ; Carandini et alii (dir.), 1985.
  • 140  Il semble que la famille des Valerii Messallae avait un domaine sur le territoire de la cité. En e (...)
  • 141  Voir AE, 1972, 174 = AE, 1982, 268.
  • 142  I. Shatzman recense pour la période allant de Sylla à Auguste près de dix-neuf familles sénatorial (...)
  • 143  Torelli, 1982, p. 281-282 ; Hall, 1984, p. 110-119.
  • 144  Voir le Curtius, sénateur de création césarienne, pour lequel Cicéron intercède auprès de Q. Valer (...)

43Plusieurs explications à la situation privilégiée de l’Étrurie face à l’installation de vétérans sont possibles. Il faut envisager d’abord les protections légales. En effet, les sénateurs, les parents des démobilisés, ainsi que les familles des soldats tombés au front reçurent de César le Jeune le privilège d’être exemptés des confiscations après la bataille de Philippes138, ce qui eut pour effet de faire supporter le poids des expropriations au bénéfice des vétérans à la seule moyenne propriété et à une partie de la petite (celle qui n’était pas de famille de militaires et dont les terres n’étaient pas plus petites que les lots distribués aux vétérans). Fut-ce au regard de ces exemptions que l’Étrurie fut épargnée par les lotissements en 42-41 a.C. ? La région ne devait pas être exempte de grandes propriétés sénatoriales et parfois organisées sur le modèle de la villa esclavagiste. L’exploitation de Sentius près de Cosa en fournit un exemple bien connu139. On sait que sur le territoire d’Arretium, la famille des Valerii possédait des terres à l’époque augustéenne140, les Volusii Saturnini à Lucus Feroniae141. On pourrait multiplier les exemples que les inscriptions ne manquent pas de nous fournir142. On sait par ailleurs que César avait fait entrer au Sénat nombre d’Italiens parmi lesquels les Étrusques occupaient une place non négligeable143. Est-ce à dire que les propriétés sénatoriales étaient si importantes qu’elles suffirent à épargner la région entière ? Cela n’est pas certain, car nombre des sénateurs de second ordre, dont la fortune par ailleurs suffisait à peine à atteindre le cens sénatorial144, devaient précisément se trouver dans les rangs de ces hommes nouveaux et même si des sénateurs d’autres régions possédaient des terres en Étrurie, l’absence de colonisation laisserait supposer que la grande propriété sénatoriale composait la majorité des terres, car la loi ne prévoyait d’exempter que leurs domaines et non pas leur cité. Or ce n’était pas le cas : l’ Étrurie conserva pendant assez longtemps une petite et moyenne propriété, qui aurait dû se trouver victime des confiscations triumvirales.

  • 145  Dans ce cas, les terres qu’ils avaient reçues une première fois étaient redistribuées.

44Le second groupe des exemptés était l’entourage des soldats vétérans qui allaient recevoir les distributions. On ne connaît pas exactement la répartition des levées, mais on a vu qu’en 44, le nord de la région fut touché par des recrutements. Mais, la Campanie fournit un contre-exemple frappant : alors que les vétérans déjà lotis et leur famille ne pouvaient légalement pas se voir confisquer leurs terres, la région resta toujours, malgré des implantations répétées, une zone privilégiée pour les distributions. Cette situation ne peut s’expliquer uniquement par le fait que d’anciens evocati retournaient après leur service supplémentaire sur les terres qu’ils avaient déjà reçues : d’une part ils n’étaient pas assez nombreux pour correspondre à toutes les mentions de lotissement dans nos sources, d’autre part parce que certains d’entre eux choisirent de recevoir des terres dans d’autres régions145.

45La dernière catégorie d’exemptés rassemblait les familles des soldats tombés sur les différents fronts alors ouverts dans l’Empire. Sur ce chapitre, il est possible que l’Étrurie, du moins une partie, ait été bénéficiaire de la mesure. Les recrutements effectués en 44-43 dans le nord de la région, pour les combats meurtriers de Mutina en particulier, durent endeuiller un certain nombre de familles, mais là encore, le rapprochement avec la Campanie n’explique pas pourquoi l’Étrurie fut à ce point épargnée.

  • 146  Voir Brunt, 1971, p. 300-312.
  • 147  Santangelo, 2007, p. 147-157.
  • 148  Voir Brunt, 1971, p. 305-309.

46Il faut alors envisager d’éventuelles raisons politiques. Il est possible de supposer que les triumvirs puis Auguste aient envisagé d’épargner des régions déjà touchées auparavant par des implantations coloniales dans un souci de répartition du poids des confiscations. On connaît assez mal les colonies implantées par Sylla sur le territoire italien146, avec une exception pour Arretium et Volaterrae dont on sait cependant que leur territoire fut confisqué, mais non pas distribué. Cette situation, qui se répéta peut-être sur d’autres territoires, devait, pour les anciens occupants, constituer une menace permanente, mais en définitive, ne devait pas changer concrètement leur situation : sans doute restèrent-ils sur leurs terres en attendant que le colon vienne en prendre possession. Une meilleure recension des interventions territoriales syllaniennes pourrait permettre de mieux cerner et de mieux comprendre la politique césarienne en premier lieu147. Si l’on se fonde sur les cas d’Arretium et de Volaterrae, il apparaît que les projets de César soit visaient à contrecarrer les foyers de la colonisation syllanienne par l’implantation de vétérans dans les mêmes lieux, soit aient profité de l’échec relatif de la colonisation syllanienne et de l’abandon de certaines terres par les colons148.

  • 149  Il existe des cas documentés de cités qui refusèrent parfois violemment les réquisitions dont elle (...)
  • 150  Cic., Phil., II, 107.
  • 151  DC., XLIX, 15, 1.

47Y avait-il d’autres raisons politiques contingentes propres à la guerre civile ? La vague de colonies implantées par Sylla a souvent été perçue comme un moyen de châtier les villes qui s’étaient opposées à lui. Même si l’affirmation mériterait d’être nuancée, l’exemption relative de l’Étrurie dans les années 40 a.C. signifierait-elle que les cités de la région étaient en définitive moins portées à la révolte que d’autres dans la péninsule149 et que ni les républicains, ni Sextus Pompée ni Antoine, ne reçurent de soutien en Étrurie ? On connaît mal l’ampleur du soutien et la force des liens qui unissaient les tyrannicides aux cités d’Italie. On ne connaît que le soutien que leur apportèrent les habitants de Teanum et de Puteoli en les nommant patrons de leur cité150, mais sur les deux, seule Teanum reçut des vétérans de César le Jeune après Philippes, ce qui n’est guère concluant. On sait par ailleurs qu’il y eut une révolte en Étrurie au moment de Nauloque, dont on mesure mal la portée et les raisons151. La guerre de Perusia ne peut de même pas être considérée comme une cause de la colonisation, mais au contraire, elle se déclencha en réaction aux assignations décidées aux accords de Bononia et mises en œuvre e lege Titia. Elle pourrait au contraire passer pour une des causes de l’exemption si l’on tenait pour certain que la localisation des combats en Étrurie correspondait à un soulèvement particulièrement important des populations locales contre la colonisation. Mais on sait que les raisons du siège de Perusia ne furent pas seulement d’ordre local. Par ailleurs les villes choisies à Bononia pour l’implantation des colonies ne ciblaient pas particulièrement la zone.

  • 152  Voir pourtant le beau dossier de recommandations diverses et de manœuvres politiques menées par Ci (...)

48Reste enfin une dernière hypothèse : si l’Étrurie fut à ce point épargnée par la colonisation, bien plus qu’elle ne l’avait été sous César152, c’était grâce à la protection que durent obtenir pour les diverses cités de la région, certains membres de l’entourage de César le Jeune. Parmi eux, on ne peut compter ceux que Livie amena dans son sillage : en 41 a.C., le mariage n’avait pas encore eu lieu. En revanche les accointances de la famille de Marcius Philippus son beau-père, avec de nombreuses familles étrusques, fourniraient matière à cette protection. Parmi elles, il faut compter celle de Mécène.

Les conséquences de l’exemption

49L’absence d’implantation de colons dans une région n’était évidemment pas sans conséquence pour l’autorité habilitée à lotir des vétérans. S’abstenir d’installer des vétérans dans une région permettait d’abor de maintenir une certaine paix sociale. Les réactions aux lotissements de 41 qui aboutirent à la guerre de Perusia sont une preuve suffisante de la puissance de protestation des propriétaires de l’Italie. Les exemptions légales concédées par César le Jeune montrent que les couches les plus atteintes par la menace des expropriations étaient celles de petits et moyens propriétaires, au nombre desquels il fallait compter les notables locaux, qui n’avaient pas toujours de très grandes fortunes, sans excepter bien sûr les grands propriétaires qui n’étaient pas sénateurs et ne disposaient pas d’appui au sein des milieux dirigeants. Le sort réservé aux notables de la cité de Pérouse est la preuve de leur implication dans la lutte menée, pour d’autres motifs en partie, par Lucius Antonius. S’abstenir d’implanter des colons en 41 a.C., c’était se gagner les faveurs de cette classe des possédants italiens, c’était refuser d’introduire la confusion dans les rapports sociaux bien établis au sein des cités. Ce fut d’ailleurs peut-être, en négatif, une des raisons pour lesquelles la Campanie fut si souvent sollicitée. Certaines cités et une partie de l’ager Campanus n’avaient pas connu cette stabilité de la propriété depuis bien des années, quand Auguste, après les lotissements d’Actium, installa encore des colons dans la région : il était donc moins périlleux de procéder à de nouvelles installations… L’exemption de facto de l’Étrurie correspondrait alors à la volonté de ne pas bouleverser les rapports civiques dans une région dont les cicatrices laissées par la colonisation syllanienne avaient du mal à se refermer.

  • 153  Voir App., Civ. V, 128 sur la classe dirigeante créée par les centurions et les tribuns vétérans.

50Cette absence de colons permet aussi de supposer que les triumvirs puis César le Jeune considéraient que l’Étrurie était une zone sûre et politiquement sinon favorable, du moins peu hostile. Car s’abstenir d’implanter des colons, c’était aussi se priver d’un instrument fort commode pour créer dans les cités une nouvelle élite, une nouvelle aristocratie locale sur laquelle il était toujours possible de s’appuyer. Les centurions vétérans, implantés dans les cités italiennes, reçurent en effet des privilèges qui leur permettaient d’accéder facilement au décurionat153. Pourtant, nous l’avons vu, les élites étrusques étaient partagées quant à leur attitude envers César. Est-ce à dire qu’un changement était intervenu depuis et que, leur intérêt bien entendu et surtout bien défendu, par un certain nombre de représentants de leur aristocratie auprès de César le Jeune, leur avait fait renoncer à s’opposer au triumvir présent en Italie ?

  • 154  DC., LI, 4, 6.
  • 155  L’inscription de Clusium, en admettant qu’elle soit une dédicace à Mécène fut-elle érigée en remer (...)

51Peut-être le mouvement fut-il en réalité inverse. Comme nous le signalions, le soutien politique n’était jamais acquis et en tout cas « hérité ». Il fallait le gagner par un discours politique valable auprès de populations dont la conscience politique était bien assez développée pour leur permettre de ne pas suivre tel ou tel chef de parti pour d’obscures raisons presque ataviques. Une manière de gagner ou de récompenser des cités qui avaient soutenu politiquement César le Jeune aurait pu être effectivement de leur épargner la rude épreuve des confiscations, parfois injuste, comme en 41 a.C. où la plupart des propriétaires alors expulsés n’étaient « coupables » d’aucune prise de position particulière (comme ce put être le cas ensuite après Actium quand les populations favorables à Antoine furent chassées de leur cité154). Le lien politique à l’Étrurie était donc double. D’une part des notables comme Mécène durent jouer de leur influence pour détourner le spectre des confiscations155, d’autre part le pouvoir en place, pour se ménager le soutien des classes de propriétaires italiens évita de modifier les rapports sociaux fondés sur la propriété foncière qui existaient dans certaines régions. Car, si l’installation de vétérans pouvait modifier les rapports de force dans une cité donnée, la manœuvre n’était pas sans danger, et les exemples de mauvaise entente entre colons et habitants des municipes n’étaient pas rares. Le rôle de charnière entre le pouvoir romain, fortement personnalisé sous le Triumvirat et plus encore sous le Principat, et les cités, était bien sûr dévolu aux membres du cercle formé autour d’Auguste dans lequel Mécène joua, bien évidemment et dès 44 a.C., un rôle non négligeable.

Intégrer l’Italie

52Ainsi donc, pour tenir l’Italie, César le Jeune disposait des moyens aristocratiques traditionnels. La mobilisation des réseaux – qui n’étaient jamais fixes et nécessitaient un travail politique permanent – permettait de mailler en quelque sorte le territoire de relations de clientèles ou de liens – moins formels, mais pas pour autant moins solides – de dépendance personnelle. Mais outre ce mode d’action, s’appuyant à la fois sur l’aura et le charisme social du chef politique, mais aussi et surtout sur ceux de son entourage, les structures administratives de la cité permettaient aussi de contrôler un territoire par des moyens plus réglementaires. L’emprise territoriale d’une administration dépendant d’un centre politique principal pouvait servir effectivement à s’assurer d’une région.

53À Rome, cette emprise administrative passait par la mobilisation civique, comprenant entre autres les devoirs militaires, et la mobilisation fiscale des habitants au service d’un centre politique qui n’était pas forcément celui de la cité (dans le cadre d’un rapport qui serait d’exploitation, dans les provinces par exemple, ou dans le cadre d’une communauté d’intérêts, la cité romaine étant alors comprise comme communauté des citoyens romains). Même si l’empire de Rome était largement « sous-administré » au sens où le nombre de fonctionnaires de l’État central était minime par rapport au territoire contrôlé, cela n’empêcha pas Rome de mettre au point des outils administratifs pour contrôler cet échelon essentiel que constituait la cité.

54Quelle était la situation en Italie sur ce chapitre à l’époque du Triumvirat ? Les trois chefs de partis se trouvèrent face à un double héritage : celui de la Guerre sociale et des épisodes politiques qui y étaient immédiatement liés, et celui de César. La Guerre sociale avait unifié le statut juridique des personnes de condition libre. L’administration aurait dû s’en trouver facilitée grâce au nivellement des droits individuels. Plusieurs facteurs vinrent cependant freiner cette évolution. D’une part, l’égalisation juridique des personnes fut un processus ralenti par les constantes réticences d’une partie de la classe politique romaine. D’autre part, cette unification du statut juridique des personnes, ne s’accompagna pas d’une unification administrative du territoire italien qui ne fut jamais une priorité, ni même un but pour Rome dans la gestion des territoires conquis.

  • 156  CIL, I2, 593. Pour l’édition et le commentaire, voir Crawford et Nicolet, dans RS, I, n° 24, p. 35 (...)
  • 157  Le texte porte la mention récurrente des différents statuts administratifs que pouvaient porter le (...)
  • 158  On a parfois daté la loi de l’époque suivant la Guerre sociale : e.g. Moreau, 1994, p. 127 (la loi (...)
  • 159  Pour les sources, voir : MRR, II, et infra, n. 212.

55La Table d’Héraclée156 apporte la preuve de cette situation contradictoire : d’une part, le texte montre qu’il n’existait pas de volonté unificatrice des statuts des communautés en Italie157, d’autre part, elle propose malgré tout une procédure décentralisée – le cens étant effectué dans chaque cité par les magistrats locaux dotés de pouvoirs censoriaux – dont les résultats en revanche étaient centralisés à Rome, qui devait théoriquement disposer de tous les cens municipaux. Cet afflux de documents, déposés avec le cens romain, traduisait la centralisation politique et l’unification des statuts civiques personnels de la péninsule sous la loi romaine, tout en rendant possible un certain nombre d’opérations administratives capitales pour la maîtrise du territoire italien. La mise en œuvre des mesures portées par la loi, en particulier pour le cens, n’est pas bien comprise dans le détail. En effet, sa date même est discutée158, tandis que ses dispositions mêmes, qui lient les recensements locaux au cens romain, rendent difficile d’imaginer qu’elles furent un outil efficace attendu que la censure romaine eut une histoire plus que chaotique au Ier s. a.C.159. Cette procédure d’enregistrement administratif des citoyens de la péninsule était donc un travail de longue haleine, peut-être pas uniformément mis en œuvre qui devait être sans cesse remis sur le métier, tous les cinq ans théoriquement.

  • 160  Voir les discussions infra p. 221 et n. 214.
  • 161  Sur cet aspect, qui n’épuise, semble-t-il, pas la signification de ce recensus, voir Virlouvet, 19 (...)
  • 162  Suivant, nous l’avons vu, l’hypothèse de Lo Cascio, 1990.

56Le deuxième héritage sur la question au début du Triumvirat est bien évidemment l’héritage césarien. Le dictateur perpétuel avait été doté en 46 a.C. de pouvoirs censoriaux qui lui permirent sans doute de mener des opérations de recensement, hors du cadre traditionnel du cens, sans qu’on sache très bien dans quelle mesure ces opérations furent achevées, ni quelles formes elles prirent réellement160. Suétone indique seulement le recensement particulier des habitants de la Ville de Rome selon des modalités qui n’étaient pas habituelles. Chacun fut dénombré selon son domicile. Le but n’était pas vraiment de rétablir une liste complète des citoyens pour des fins militaires ou fiscales, mais de mettre en œuvre une efficace organisation de la distribution du blé public161. Envisagea-t-il des mesures semblables pour le reste de l’Italie peuplée de citoyens ? Il n’existe aucun moyen de le savoir, si ce n’est en rattachant l’article de la loi municipale d’Héraclée concernant le cens à l’époque césarienne162.

57Au début de la guerre civile qui s’ouvrit aux ides de mars, toutes ces procédures, traditionnelles ou nouvelles, étaient fortement mises à mal par les perturbations du champ politique et les événements militaires qui prirent place en Italie, alors que, dans le même temps, les besoins en hommes et en argent grandirent de manière démesurée. Certaines sources laissent entendre que Mécène participa à l’organisation administrative de l’Italie qui facilita ces levées de fonds et plus amplement à la maîtrise du territoire italien qu’elles supposaient.

Mécène et la levée des impôts

  • 163  Plin., XXXVII, 4 (10), « Bien sûr, la grenouille de Mécène était aussi fort redoutée lors des perc (...)
  • 164  Macr., Sat., II, 4, 12. Bardon, 1949 et Id., 1952-56, n’envisage cependant pas la possibilité que (...)

58Le rôle fiscal de Mécène ne nous est connu que par une très brève mention de Pline l’Ancien, dans son livre consacré aux gemmes. Dans un passage consacré aux sceaux des personnes célèbres, entre la description des deux sceaux d’Auguste, celui au sphinx, utilisé pendant les Guerres civiles, et celui à l’effigie d’Alexandre, utilisé après Actium, Pline rapporte que quippe etiam Maecenatis rana per collationes pecuniarum in magno terrore erat163. Avant de procéder à l’élucidation de la réalité historique des levées de fonds qui sont ainsi rappelées, il convient de déterminer la source possible d’une telle notice. Mécène est cité comme source du livre XXXVII consacré aux pierres et aux gemmes, ce qui n’est pas sans vraisemblance, puisque la lettre d’Auguste citée par Macrobe semble faire la preuve d’un goût prononcé de Mécène pour cette matière164. Aussi est-il possible que Pline ait tiré le renseignement sur le sceau à la grenouille d’une œuvre de Mécène consacrée aux pierres. Mais l’intégration, chronologiquement justifiée, de la grenouille dans une liste des sceaux d’Auguste, ou plutôt des usages qu’Auguste fit de ses différents sceaux, pourrait laisser à penser que la notice de Pline procèderait d’une source sinon historique, du moins qui aurait traité des sceaux des grands hommes. La grenouille de Mécène est d’ailleurs rappelée, comme les sceaux d’Auguste, pour son usage plus que pour sa description ou pour les raisons qui ont présidé au choix du motif, comme c’était le cas pour les premiers sceaux de la liste plinienne. Cette seconde hypothèse accorderait un peu plus de poids à une notice dont la brièveté rend malgré tout l’interprétation assez difficile. Il importe néanmoins de tenter de trouver quelle réalité elle peut recouvrir.

Quels impôts ?

  • 165  Le terme de pecunia, dont l’étymologie renvoie aux biens non monétaires, est toujours polyvalent, (...)
  • 166  Liv., XXX, 44 à Carthage : il y est question de réunir des fonds pour payer les indemnités imposée (...)

59Le fragment est court, et donne peu de précision, son vocabulaire ne désigne pas techniquement et immédiatement de procédé de levée de fonds en particulier. Le terme de pecunia oriente cependant vers des levées en valeur numéraire et non pas en nature165. Quant à l’appariement du terme avec celui de collatio, il ne se trouve, dans la littérature classique qu’une seule fois hors de ce passage, dans un contexte non romain166. Ce n’est donc pas une réalité administrative précise qui est décrite par Pline, et il est possible que ce flou soit volontairement entretenu par le naturaliste, de manière à englober soit des opérations variées, relevant toutes de la collecte de fonds, soit des opérations inhabituelles, n’entrant dans aucune des catégories administratives alors en cours, et le terme masquerait alors l’irrégularité de ces impôts.

  • 167  Le dictionnaire de Gaffiot dans les acceptions fiscales du mot donne deux sens : contribution, sou (...)
  • 168  L’association pecunia + collata n’apparaît pas très souvent dans les textes, mais ne désigne jamai (...)
  • 169  Quelques exemples suffiront à montrer la diversité des groupes dont émanent les collectes de fonds (...)

60Le terme de collatio n’est pas univoque : il peut à la fois désigner des contributions des cités ou des individus, volontaires ou non, pour répondre à une situation de pénurie de fonds de l’État, ou bien désigner simplement le paiement des impôts décrétés par les magistrats167. Lorsque l’épigraphie, plus prolixe en cela que les sources littéraires168, atteste l’expression pecunia collata (ou sa variante aere collato), qui n’est pas exactement celle utilisée par Pline, c’est généralement pour désigner une collecte spontanée, mais néanmoins organisée, effectuée par un groupe qui prend soin de se définir dans le texte (ordo décurional, populus, tribu…), pour engager une dépense ponctuelle (généralement pour honorer un bienfaiteur). L’inscription souligne parfois même le caractère volontaire de la démarche169.

61Dans le cas de Mécène, évoqué par Pline au moyen du magnus terror provoqué par les documents portant le sceau à la grenouille, il va sans dire que le caractère volontaire serait quasi inexistant. Les « dons » qui auraient ainsi été provoqués, s’il faut bien garder l’idée de don dans l’expression collatio pecuniarum, auraient en réalité eu un caractère éminemment arbitraire et comminatoire, parfois vexatoire, et auraient été rendus obligatoires par la menace d’exactions triumvirales, d’où le terror soulevé par la grenouille. En quelque sorte, ils auraient constitué un pendant aux confiscations des proscriptions, et Mécène aurait alors été chargé de réguler les « cadeaux » offerts par les cités ou certains particuliers aux triumvirs. Il se serait trouvé dans une fonction de type aristocratique et non plus administratif, puisqu’il s’agissait de soutiens qui n’étaient pas officiels, mais personnels, et qui relevaient plus de l’exaction que de l’imposition. Cela signifierait qu’il existait alors un réseau privé de financement sous contrainte – ce que l’on pouvait supposer – et que ce réseau était organisé et contrôlé de manière rigoureuse par l’intermédiaire d’un spécialiste des questions de finances.

  • 170  CIL, I2, 3031 = CIL, XIV, 375. Pour une description générale de l’inscription, voir en dernier lie (...)
  • 171  Interprétation de Zevi, 1973, p. 575 et 2004, p. 62-63 ; contra Lepore, 2005, I p. 242 et II p. 11 (...)
  • 172  Pour la datation du bellum navale en 37 : Meiggs, 1973, p. 499 ; Panciera, 2004. d’Arms, 2000, p.  (...)
  • 173  Voir l’analyse convaincante de Berrendonner, 2010, p. 309-310.
  • 174  Le verbe polliceri est employé par Gamala et Cic., Phil., VII, 8, 23 ; VIII, 2, 4 et XII, 3, 7 qui (...)
  • 175  Cf. pour les sources, le tableau 1, lignes 18-20. D’après une source tardive, le scholiaste de Vir (...)
  • 176  App., Civ., V, 27, 106.
  • 177  Voir Coudry, 2009, p. 172-173 qui montre que l’or coronaire, dont les sources précisent très régul (...)

62Cette première hypothèse nous place sur un degré de collecte de fonds presque entièrement privée. Mais la collatio pouvait aussi, deuxième hypothèse, prendre un tour beaucoup plus officiel. Il ne s’agissait pas à proprement parler d’un impôt, mais d’un effort officiellement demandé à des cités. Un cas de ce type est documenté à Ostie par une inscription, aujourd’hui perdue, mais dont le texte, bien connue constitue une pièce majeure de l’épigraphie de la colonie170. P. Lucilius Gamala (dit senior) offrit à Ostie de payer pour elle la somme promise (à Rome sans doute) pour un bellum navale, évitant ainsi à la cité pour lui éviter d’avoir à aliéner des terres publiques171. Même si on ne peut attribuer cette contribution à l’époque triumvirale172, l’inscription de Gamala senior constitue un précédent intéressant à divers épisodes de la période triumvirale. La procédure semble alors avoir été la suivante173 : un ordre ou une lettre d’invitation devait arriver de Rome imposant à la cité une contribution à l’effort de guerre (sur le modèle des contributions imposées aux Alliés avant la Guerre sociale ?), et la cité promettait174 ensuite d’y répondre contractant alors une dette envers le trésor de Rome, puis s’en acquittait auprès d’un envoyé de Rome qui pouvait être un magistrat. On sait que pour préparer la guerre de Pérouse, César le Jeune et L. Antonius recoururent aux « emprunts » aux temples de la péninsule italienne, et reçurent des contributions des cités de Gaule cisalpine depuis peu rattachée à l’Italie175. Certains de percepteurs envoyés dans les cités furent mal reçus, d’autres même tués176. À ces contributions qui n’étaient pas un impôt véritable, doit aussi se rattacher l’or coronaire devenu, depuis César, une véritable contribution imposée non plus seulement aux vaincus mais aux différentes zones contrôlées par un imperator, Italie comprise177.

  • 178  Appien semble signifier que César le Jeune remboursa effectivement ces temples puisqu’il précise q (...)

63Fut-ce dans ce genre de levées, qui relevaient plutôt de la contribution exceptionnelle, parfois déguisée sous la forme d’un emprunt178, que le sceau de Mécène trahit son activité tant redoutée ? Attendu que ces contributions n’avaient rien d’officiel et trouvaient leur légitimité dans l’arbitraire des édits triumviraux, il était tout à fait possible aux triumvirs d’en déléguer la levée à un proche qui était peut-être même chargé de susciter ces contributions et d’en choisir les victimes.

  • 179  C’est bien ce que le vocabulaire employé par Appien (par exemple en Civ., V, 67, 282), laisse ente (...)
  • 180  Plin., XXXVII, 4 (10), DC., LI, 3, 5-7, et, sur l’usage de ce sceau au sphinx, chapitre 6, p. 324- (...)
  • 181  Tout au plus, eut-il à en confirmer l’abolition totale (pour les hommes libres) ou partielle (pour (...)

64Troisième hypothèse enfin, on peut envisager que Mécène ait aussi participé à la levée de véritables impôts, les collationes de Pline désignant alors le moment précis de leur versement. Mais se poserait alors le problème de l’autorité nécessaire à Mécène pour que ce soit son sceau qui produisît un tel terror sur les contribuables touchés. Il faut d’emblée exclure que Mécène lui-même ait ordonné les levées générales qui semblent avoir relevé de l’édit des triumvirs179, ce qui ne laisse pas de place au sceau à la grenouille. La seule période où il est possible que Mécène en personne ait eu à lever des impôts qui n’étaient pas ponctuels, est sans doute l’intervalle pendant lequel Agrippa et lui reçurent le sceau de César le Jeune pour faciliter ses rapports avec le Sénat entre autres, pendant qu’il était en Égypte180. Mais dans cette période, d’une part, Mécène disposait du sceau du triumvir et n’usait pas du sien, d’autre part, 31 a.C. correspond à la fin des prélèvements fiscaux extraordinaires du triumvirat : Mécène n’eut sans doute pas à expédier d’ordre de collatio avec ce sceau181.

65Il est cependant possible que Mécène soit intervenu à un échelon inférieur de l’organisation de la levée des impôts triumviraux. Poursuivre sur la voie de cette hypothèse demande de dénombrer, dans la jungle des prélèvements attestés sous le Triumvirat, ceux dans lesquels il eut des chances d’intervenir.

  • 182  Pour les sources, nous renvoyons systématiquement à l’avant-dernière colonne du tableau.
  • 183  App., Civ., IV, 3, 9.
  • 184  App., Civ., IV, 32-34, 135-146.
  • 185  Nicolet, 1988 [1976], p. 245.
  • 186  DC., XLVIII, 5, 1.
  • 187  DC., XLVIII, 2, 2, nuancé par Allély, 2004, p. 143-148.
  • 188  App., Civ., V, 27, 106.
  • 189  DC., XLVIII, 10, 1 à Plaisance par les troupes de Salvidienus Rufus.
  • 190  Lors de la création de la vicesima hereditatium en 6 p.C.
  • 191  App., Civ., V, 67, 282.
  • 192  Cf. chapitre 6, p. 315-321.

66Peut-on essayer de préciser la chronologie d’une telle action ? Grâce au tableau des impôts triumviraux182, nous pouvons écarter un rôle de Mécène dans les premières lignes (1 à 6) car il s’agit d’impôts ou de taxes levées avant l’instauration du Triumvirat, par le Sénat, pour une part sur proposition de Cicéron. À partir du 23 novembre 43 et l’instauration du Triumvirat, une série de décisions d’ordre fiscal furent prises à une date non déterminée avec précision, mais qu’on peut sans grande difficulté placer à la toute fin de l’année 43 a.C. ou au début de l’année 42 a.C. À cette date, Lépide était en charge de la ville de Rome et de l’Italie183 selon les dispositions prises lors des accords de Bologne sanctionnés par la lex Titia. Consul et triumvir, il pouvait effectivement s’appuyer sur les magistratures traditionnelles pour décréter les impositions. Le collège des triumvirs, alors présent au complet à Rome subit l’opposition des femmes qu’il voulait taxer184 – sans doute parce que parmi elles se trouvaient un grand nombre d’héritières de grands patrimoines, qui ne pouvaient être imposées par le tributum puisqu’elles n’étaient pas sui juris185. Il fut contraint de reporter une partie des recettes escomptées sur deux mesures touchant les individus à la fortune supérieure au cens équestre / sénatorial républicain. Une autre série de taxes sur les immeubles (10), sur les ventes (11), sur les propriétés foncières (en Italie sans doute : 12), sur les esclaves (15) fut mise en place, ainsi qu’une dîme infamante qui prit la forme des redoutables proscriptions à cause d’un affichage sur table blanche (17). Peut-être dès ce moment, Mécène fut-il chargé de l’organisation de la collecte. César le Jeune en tout cas n’était pas présent : la bataille de Philippes le retint jusqu’en janvier 41 a.C. (il avait différé son retour à Rome pour cause de mauvaise santé186). Les levées de fonds pour la guerre de Pérouse durent lui être imputées plus qu’à Lépide, rendu assez terne pendant cette période par nos sources187 concentrées sur l’opposition d’Antoine et de César le Jeune. Pendant cette période, nous l’avons vu, les levées prirent la forme « d’emprunt » aux temples du Latium et de Rome (18-19) et de « demandes » reçues par les cités sur le modèle de celle qu’Ostie avait déjà reçu en 67 a.C. La levée fut chaotique et certains envoyés de César le Jeune payèrent de leur vie l’impopularité de ces prélèvements188. Au cours de ces événements militaires, certaines réquisitions par les chefs de guerre, auxquelles Mécène ne prit certainement aucune part, frappèrent des cités de garnison189. Après la guerre de Pérouse, décidant de mener la guerre contre Sextus Pompée, Antoine et César le Jeune mirent en place deux impôts le premier sur les esclaves, le second sur les héritages (21 et 22), créant un précédent dont le futur Auguste se souvint190. Antoine fut présent à Rome, jusqu’en 39 a.C. et il partagea la responsabilité de ces édits, manquant d’être lapidé, tout comme César le Jeune, lors de leur promulgation191. La perception fut à nouveau difficile et mouvementée. En 38 a.C. eut lieu le mouvement de révolte dont Dion se fait l’écho. À partir de 38 a.C., le paysage fiscal – du moins dans nos sources – s’éclaircit considérablement. C’est alors, en effet, que César le Jeune eut recours aux contributions volontaires de son entourage, plus qu’à la taxation générale pour financer cette guerre contre Sextus Pompée qui était si difficile pour lui (25). À nouveau, on peut supposer la présence de Mécène dans ces levées qui prirent leur origine dans l’entourage immédiat du triumvir, avant de s’étendre, selon les besoins, au plus grand nombre. Ces levées de fond se firent sur le mode de l’emprunt, forcé, cela va sans dire : on imagine très bien la place et le pouvoir que pouvait avoir le sceau de Mécène à l’occasion justifiant l’expression du magnus terror qu’il provoqua dans le milieu dont furent issues les sources de Pline. Enfin, après l’abolition générale des taxes en 36, une période de répit – sans doute financée à la fois par la victoire sur Sextus Pompée et Lépide qui permit d’imposer enfin la Sicile (26), et par la victoire en Pannonie – s’acheva avec la dernière lutte contre Antoine qui nécessita la levée de nouvelles taxes, sur les biens des affranchis et sur les propriétés italiennes des hommes libres (28 et 29). À ce moment-là, Mécène était chargé d’une surveillance générale de Rome et de l’Italie et avait sans doute les capacités qui permirent qu’on lui confiât la levée d’impôts, qui firent peut-être partie pleinement de ses fonctions192.

67Selon la nature des collationes auxquelles Mécène se livra en signant de son sceau à la grenouille, plusieurs dates sont probables pour ancrer chronologiquement son action. S’il eut un rôle dans les levées édictées par les triumvirs, la concentration de mesures fiscales dans les années 43-42 ou dans les années 39-38, puis dans la période 32-30, pourrait laisser place à son intervention. La première et la dernière période sont d’ailleurs plus vraisemblables : en 32-30 par exemple, la nature de sa mission à Rome et en Italie pourrait se prêter à des levées d’impôts. Pendant la deuxième période en revanche, ses missions diplomatiques s’accordent moins à un rôle fiscal. Si au contraire, on préfère penser qu’il fut à la tête d’un réseau de levées de contributions, la période qui précède la Guerre de Sicile, où César le Jeune eut recours à des emprunts privés pourrait être privilégiée.

  • 193  C. Trebonius et L. Tillius Cimber, membres de la conjuration, avaient été désignés comme gouverneu (...)
  • 194  Pour le partage après Philippes, voir DC., XLVIII, 1, 3 ; en 2, 2, il est précisé qu’Antoine irait (...)
  • 195  Agrippa fut envoyé en 39 pour pacifier l’Aquitaine, (App., Civ., V, 92, 386, DC., XLVIII, 49, 3 ; (...)
  • 196  Voir Dillon, 2007, sur la situation financière de César le Jeune au moment d’Actium.

68Dans tous les cas cependant, on remarque que le plus clair de l’effort fiscal reposa sur l’Italie comme les sources le précisent parfois (tableau 1, l. 21), pour plusieurs raisons. D’une part, les provinces orientales durent peu contribuer à abonder le trésor romain pendant toute la période : d’abord parce qu’elles se trouvaient soumises aux tyrannicides193, ensuite parce qu’elles furent confiées à Antoine194. Dans l’un et l’autre cas, cela ne signifie pas qu’elles ne furent pas mises à contribution, mais l’ensemble des prélèvements ne devait pas atteindre Rome et au contraire restait sur place pour l’entretien des armées levées par les premiers ou le second. Si Antoine mit à exécution certaines mesures décrétées à Rome, il en retira, au sens propre, tout le bénéfice, sans que Mécène ait pu intervenir. Quant aux provinces occidentales, qui tombèrent dans la zone de compétence de César le Jeune, elles contribuèrent sans doute à son effort de guerre, mais la réorganisation de leur exploitation fut sans doute longue et aléatoire195. C’est certainement par la force des choses que l’Italie fut plus taxée durant cette période sombre précédant Actium que pendant la République, dont la fiscalité ménageait Rome et la péninsule italienne : proche du centre du pouvoir que César le Jeune contrôlait de facto depuis 40 a.C. au moins, elle abritait les citoyens les plus riches, un certain nombre de pérégrins et d’affranchis aisés et, surtout, était dotée d’une structure administrative ancienne qui, pour imparfaite qu’elle fût, facilitait grandement la levée des taxes nouvellement édictées (à condition d’entendre cette structure administrative au sens de pratiques, de procédures qu’on pouvait mettre en place, même de manière éphémère, et non d’un système fixe et définitif, incarné par une administration régulière). La liste des impôts levés à cette époque confirme que les contribuables italiens furent durement touchés, surtout en 32-31 a.C. où la situation était la plus urgente, et où les provinces orientales étaient définitivement hors de contrôle (voir tableau 1 lignes 28 et 29)196. Il est donc très vraisemblable que les collationes dont Mécène eut la charge aient été réduites à l’échelle de l’Italie, et non à celle de l’empire.

69Quelle que soit la forme prise par les collationes de Mécène, la question de leur organisation doit être posée.

Mécène et l’organisation des levées

  • 197  Voir Chillet, Les impôts… en préparation.

70La question qui se pose alors est de savoir comment exactement les levées triumvirales – régulières ou ponctuelles – étaient mise en recouvrement une fois décrétées. Étaient-alles confiées à des compagnies de publicains qui en avançaient le montant ? Autrefois, le tributum n’était jamais levé au moyen de telles compagnies, mais cet ancien impôt dont le prélèvement était suspendu depuis 167 a.C., et qui fut réinstauré par le Sénat en 43 a.C. et peut-être maintenu pendant quelques années par les triumvirs jusqu’à l’abolition des taxes de 36 a.C., ne répondait peut-être plus aux usages traditionnels197. Les autres impôts et taxes furent-ils collectés par l’intermédiaire de publicains et Mécène signa-t-il de son sceau comme adjudicataire de ces levées ? Cette hypothèse, qui permettrait d’expliquer l’existence d’une signature privée sur des documents fiscaux, malgré quelques éléments positifs, rencontre en réalité plusieurs difficultés.

  • 198  DC., XLVIII, 43, 1.

71La présence de publicains et de compagnies lors des levées d’impôts avant 36 semble accréditée par plusieurs sources. Dion Cassius mentionne des τελώνες au moment des troubles causés en 38 a.C. par la levée des impôts198. Le terme désigne habituellement en grec les publicains. Mais la notice de Dion s’insère dans un passage clairement annalistique, situé dans l’introduction à l’année 38 a.C. où il semble suivre, comme souvent dans ces charnières chronologiques, une source de type fastes. Il rappelle ici les consuls de l’année, l’introduction de l’usage des questeurs des consuls, puis signale le soulèvement de la plèbe contre les τελώνες, leur personnel (servile ?) et les soldats chargés de les accompagner, avant de revenir à un exposé des magistratures, à savoir l’élection exceptionnelle de soixante-sept préteurs pour une seule année. Est-ce au titre de la délégation de puissance publique que leur abandonnait l’État en leur laissant percevoir ses revenus, que les τελώνες sont ici présents, ou bien le contexte indique-t-il que la source de Dion traitait des magistrats et non de compagnies privées, donnant au terme un sens plus commun de « percepteur » ?

  • 199  App., Civ., V, 130, 540. Pour le même épisode, avec moins de détail : DC., XLIX, 15, 3-4.

72De même, lors de la remise des impôts en 36 a.C., Appien199 fait intervenir des τελώνες aux côtés d’individus qui ont passé un contrat (μισθώματα) avec l’État. Les uns et les autres désignent-ils des publicains ? et la collecte des divers impôts réguliers remis en 36 aurait-elle été adjugée par la République à des publicains, lesquels auraient payé par tranches les sommes qui correspondaient au montant du ou des impôts levés ?

  • 200  Voir par exemple : CIL, I2, 2663 = ILLRP, 1002, sur une tessère nummulaire ; CIL, I2, 2193 = V, 79 (...)
  • 201  Voir par exemple Cic., Verr., II, 3, 71 (166-167), où il est question d’une lettre envoyée par la (...)
  • 202  Badian, 1972, p. 72-73 (en général, pour le fonctionnement des compagnies : Chapitre IV : The publ (...)
  • 203  Nicolet, 2000, p. 314, sur l’extrême morcellement des levées d’impôts confiées aux publicains en O (...)
  • 204  Destiné à pallier pendant toute la durée du bail avec la République, la solution de continuité imp (...)

73En réalité, les usages en vigueur dans les compagnies de publicains telle que nous les connaissons laissent peu de place pour une action du sceau à la grenouille. En effet, les documents émanant de telles compagnies écartent l’usage d’une signature unique comme le fut le sceau de Mécène. Les tessères de compte émanant de societates de publicains, semblent signées au nom de la societas, propriétaire des esclaves qui en assurait le fonctionnement200. Par ailleurs, quand les directeurs entreprenaient une correspondance, les lettres étaient co-signées201. Les directeurs des compagnies changeaient par ailleurs à un rythme régulier (annuel ?)202 ce que ne semble pas sous-entendre la notice de Pline qui emploie le mot collationes au pluriel, désignant ainsi soit plusieurs opérations fiscales (qui n’étaient presque jamais confiés à la même compagnie203), soit plusieurs annuités d’un même impôt (ce que démentirait le rythme annuel du renouvellement du conseil des directeurs), soit encore la levée d’un même impôt dans plusieurs villes. Lorsqu’un individu seul agit pour le compte de la compagnie, il s’agit de l’auctor, responsable légal de la signature du contrat avec les autorités, mais ne disposant pas du pouvoir de faire agir la société sans l’aval des autres directeurs204.

  • 205  App., Civ., V, 27, 106.

74En revanche, les vicissitudes de la période triumvirale laisse ouverte la possibilité que la levée des impôts ponctuels (du type de celui demandé par lettre à Ostie) ait suivi des procédures simplifiées, appuyées sur la fortune personnelle de certains individus de l’entourage des triumvirs. Ces derniers pouvaient avancer les sommes demandées par les autorités et « promises » par les cités, à charge pour eux de se rembourser ensuite. Ce genre d’opérations ponctuelles plus faciles à mettre en œuvre, permettait d’accélérer les levées de fond et expliquerait assez bien le terror suscité par la grenouille de Mécène. Les envoyés de César le Jeune dans les cités qui furent molestés ne sont pas qualifiés autrement dans Appien que par le terme κιχραμένοι, « ceux qui empruntaient »205, ce qui est trop peu précis pour nous renseigner et pourrait désigner aussi bien des publicains que des grand argentiers.

  • 206  Nicolet, 1976, p. 46-55.
  • 207  Au moins depuis le IIe s. a.C. : cf. Liv., XXXIII, 42, 3 (196 a.C.). Voir Mommsen, DP, t. 4, p. 24 (...)
  • 208  Voir par exemple, pour le monnayage de 32-31 a.C. (RRC, 544), les aurei et deniers qui portent le (...)
  • 209  RGDA, XXI, 3 : si les chiffres fournis sont exacts, on comprend ce soulagement : la remise de 29 a (...)
  • 210  Voir Klauser, 1944, part. p. 138 sq.

75Dans tous les cas, la question des impôts est en réalité peut-être mal posée. Car, sans tomber dans l’illégalisme total dont sir Ronald Syme taxait la période « révolutionnaire », il est très vraisemblable que le Triumvirat ait vu la formation de plusieurs caisses qui n’entretenaient que de lointains rapports avec le trésor de l’État. Les rentrées des triumvirs étaient avant tout destinées à la solde des légions servant sous leurs ordres, à la distribution de gratifications exceptionnelles que le butin, parfois inexistant, ne permettait pas de distribuer, et au lotissement des vétérans. Dans les débuts historiques du tributum le lien avec le stipendium, la solde des légions, était si étroit, que les mêmes individus, les tribuni aerarii étaient vraisemblablement chargés de lever l’impôt et de distribuer la solde206. Les sommes imputées au trésor n’y transitaient en réalité jamais vraiment, et certainement pas physiquement. Au cours des siècles, l’importance prise par les ressources extérieures au tributum avait permis de transférer l’ensemble de la perception des droits et impôts en tous genres, sous le contrôle des questeurs207. Il est très vraisemblable qu’en période de crise, les triumvirs n’aient pas eu matériellement le temps de laisser la levée des fonds suivre ce parcours. Les ateliers monétaires de campagne sont la trace de cette accélération du circuit des fonds publics208. Parallèlement, les organes de la République, doublés mais non abolis par le Triumvirat, continuèrent sans doute à lever les impôts et droits traditionnels (portoria restaurés par César, droits de pacage, redevance sur l’ager publicus…), et peut-être les τελώνες de Dion représentent-ils tout simplement leurs percepteurs. Les impôts particuliers levés par les triumvirs, étaient peut-être levés par des envoyés dépendant entièrement d’eux et versés immédiatement dans les caisses militaires. On comprend alors que la remise aux cités italiennes en 29 a.C.209, de l’or coronaire ait été interprétée comme un véritable soulagement de la pression fiscale triumvirale. S’il était normal que cet or soit offert au triomphateur et non pas à l’État210, les Italiens ne durent pas s’y tromper : en leur rendant leur présent, le futur Auguste signalait que le temps où sa caisse triumvirale levait des fonds était à présent révolu, et célébrait, dans le domaine fiscal aussi, la restitutio Rei publicae qui devint alors un thème politique.

76Placé dans cette position, Mécène était effectivement susceptible de susciter la terreur des contribuables : non pas en vertu du pouvoir discrétionnaire qui rendait les publicains haïssables pour s’enrichir à la fois au détriment de l’État et des contribuables, mais à cause de l’aspect arbitraire des impôts décrétés par les triumvirs et dont les modalités (liste des contribuables, sommes à verser, listes des biens à taxer…), étaient fixées soit par eux-mêmes, soit par Mécène, qui faisait expédition de sa décision authentifiée par le sceau à la grenouille.

La création de documents fiscaux

  • 211  Nicolet, 2000, p. 201.
  • 212  La loi portée par la Table d’Héraclée conditionne le cens municipal au recensement décrété à Rome (...)
  • 213  Cic., DXVIV = Fam., IX, 15, 5 le nomme praefectus morum de même que DC., XLIII, 14, 4 : ῶν τε τρόπ (...)
  • 214  Certaines sources anciennes semblent confondre le recensus des habitants de la ville de Rome desti (...)
  • 215  Fasti Amerini (Insc. It., XIII.1, p. 242), Fasti Colotiani (Inscr. It., XIII.1, p. 273, précisent (...)
  • 216  Voir les estimations de Brunt, 1971, p. 480-514.
  • 217  DLIV = Fam., XIII, 5, 2.
  • 218  Le dossier le plus volumineux dans la bibliographie est celui de Virgile. S’appuyant sur certains (...)
  • 219  App., Civ., V, 19 ; DC., XLVIII, 6, 4.
  • 220  DC., XLVIII, 6, 3.
  • 221  DC., XLVII, 16, 5 ; App., Civ., IV, 32, 135 et 34, 145.
  • 222  Voir les précisions de Nicolet, 2000, p. 108-114.
  • 223  Voir l’épisode des mille quatre cents puis quatre cents femmes les plus riches (tableau 1, l. 7) ; (...)

77Nous n’en avons pas tout à fait terminé avec le rôle fiscal de Mécène. Qu’ils fussent de répartition comme Claude Nicolet croit que le tributum le fut, ou de quotité, les impôts nécessitaient que fût connu le patrimoine du contribuable. C’était traditionnellement le rôle de la censure de dresser une liste fondée sur les estimations des biens de chacun. La professio du déclarant était enregistrée et éventuellement corrigée par le censeur211. Or la situation entre 44 et 27 était totalement chamboulée. Les recensements tels qu’ils étaient établis traditionnellement n’avait plus été menés depuis longtemps. On ne sait si, en l’absence de censeur, des listes étaient régulièrement mises à jour, ni à quels magistrats, le cas échéant, incombait cette tâche212. Les pouvoirs censoriaux de César sont mal connus et même s’il ne fut jamais censeur, on sait qu’il mena des opérations administratives de remise en ordre des documents administratifs, sans doute fiscaux213 : il avait procédé à un rencensus des habitants de la Ville pour établir une administration du blé public efficace et juste, mais rien ne dit que la mesure avait été étendue au reste des citoyens214. La période du Triumvirat fut marquée par de grands bouleversements difficilement compatibles avec la tenue précise des registres, malgré une tentative qu’il ne faut pas négliger, en 42 a.C.215 : les levées massives qui eurent lieu en Italie conduisirent à enregistrer de nombreux décès de citoyens de tous les niveaux censitaires216 ; les confiscations (hors proscriptions) et la redistribution de terres à des vétérans modifiaient de même sans cesse les fortunes à tous les niveaux. On se souvient du sénateur de Volaterrae217 qui craignait de ne pouvoir plus soutenir son rang en perdant son cens lors de confiscations césariennes, ou bien le cas de Virgile et de Properce qui perdirent tout ou partie du domaine familial dans les confiscations triumvirales218. La foule des cas anonymes venus protester à Rome219 de la violence et de l’injustice du procédé qui leur enlevait leurs terres, leurs outils, leurs esclaves220 pour les redistribuer ensuite, montre combien la situation des fortunes était instable. Aussi n’est-on pas étonné de lire dans les sources que la levée des impôts triumviraux était précédée d’une professio demandée au déclarant, lequel s’exposait à de très sévères amendes en cas de fausse déclaration221. Ainsi, plutôt que de fonder la levée des impôts sur des documents préalablement archivés, c’était la levée même de ces impôts qui produisait des documents fiscaux, enregistrant la fortune des déclarants, conservant leur professio pour pouvoir envisager un recours en cas de fausse déclaration, et pour pouvoir surtout prévoir de prochaines perceptions. La période triumvirale dut s’accompagner d’un exceptionnel effort de recensement des fortunes, lequel aboutit à la production de documents que le dysfonctionnement de la censure ne permettait plus de produire. La plupart des impôts sur lesquels nous renseignent les sources ont une assiette, voire un taux précis, qui nécessitait que fussent enregistrées des données. Les circonstances aboutirent à cette situation paradoxale que l’Italie et ses citoyens, qui ne connaissaient plus le tributum depuis fort longtemps et devinrent, au cours de l’Empire fiscalement privilégiés222, furent lourdement taxés. L’ensemble des impôts triumviraux montre bien que la charge reposa majoritairement sur les plus riches des individus223, qu’ils fussent ingénus ou affranchis, même si l’on s’abstient de prendre en compte les confiscations issues des proscriptions. La notoriété bien sûr, permettait de connaître les futurs contributeurs des mesures triumvirales, mais il fallait bien que leur fortune fût estimée correctement pour que les édits triumviraux puissent fixer des limites dans le cens des contribuables (cinquante mille deniers pour les affranchis de 32-31 a.C. ; cent mille deniers pour les hommes de tous statuts qui subirent un emprunt obligatoire en 43 a.C.) et un taux aux impositions (1/8 de la valeur des biens des affranchis et 1/4 des revenus des domaines italiens pour les hommes libres en 32-31 a.C.).

  • 224  DC., LVI, 28, 6.

78La levée des impôts s’accompagna donc de la rédaction et de la conservation de documents qui affluaient de toute l’Italie. Tout impôt nécessitait en effet que de telles tables fussent rédigées. Auguste, en 13 p.C. devant les réticences soulevées par l’impôt sur les héritages, menaça d’envoyer immédiatement des agents dresser des listes pour l’établissement du recouvrement : c’était menacer de rétablir le tributum224. Cette étude du rôle de Mécène dans la fiscalité triumvirale avait commencé par la mention de son sceau qui accompagnait manifestement des documents ordonnant le paiement de contributions dont on a tenté de décrire la nature. Il semble bien que l’on soit forcé de conclure sur la production d’autres documents, levés dans les cités mais sans doute aussi jusqu’à Rome, qu’engendra cet envoi de certaines des lettres au sceau à la grenouille. Si Mécène fut sans doute ordonnateur pour les triumvirs d’impôts exceptionnels, son implication dans les collationes pecuniae s’insère donc par ailleurs de plein droit dans une réflexion menée sur l’administration du territoire.

Mécène et les regiones Italiae d’Auguste

  • 225  Le dossier est d’importance, mais n’a pas donné jour à des synthèses complètes depuis la parution (...)
  • 226  Mommsen, Gesammelte Schriften, t. V, Berlin, Weidman, 1908, p. 189 et p. 268- 285 et sa reprise pa (...)
  • 227  Voir Nicolet, 1988, p. 181-223 (quoique dans cet ouvrage, Cl. Nicolet emploie le terme de « décisi (...)
  • 228  On s’est longtemps appuyé (Thomsen, 1966, p. 149-153) sur certaines inscriptions pour lier les reg (...)
  • 229  Peut-être pas avant les juridici créés par Marc Aurèle qui eurent compétence sur des zones regroup (...)
  • 230  Plin., VII, 162-164 cite une liste de centenaires visiblement issue directement d’un cens de la re (...)
  • 231  Nicolet, 1991, p. 88.
  • 232  Laffi, 2007, p. 113.
  • 233  Laffi, 2007, p. 111. Au contraire, à l’époque du Triumvirat, la tribu semblait conserver encore to (...)

79L’examen des questions administratives nous a conduit, assez naturellement, à celui des documents produits par l’administration chargée de mettre en œuvre un certain nombre de fonctions de l’État. L’action de Mécène sur l’Italie conduit aussi, presque naturellement, à rouvrir, temporairement, le dossier de la création des fameuses regiones augustéennes225. Car une des nombreuses questions qui subsiste à leur sujet est celle du ou des motifs de leur création. On sait que le débat fut ouvert par les deux opinions divergentes exprimées par Mommsen et Marquardt, lesquelles eurent, l’une et l’autre, une longue postérité226. Pour résumer le débat à grands traits, à la thèse de regiones dont l’utilisation n’aurait été que statistique (Mommsen, Tibiletti), s’oppose la thèse « administrative » qui voit dans les regiones, un maillage territorial utilisé pour administrer l’Italie (Marquardt, de Martino). C’est la première qui est aujourd’hui, à bon droit, la plus largement partagée227. En effet, à l’époque augustéenne – et même plus tardivement encore, les preuves manquent – les regiones ne servirent pas de support à une administration italienne. Autrement dit, pas plus qu’elles ne constituèrent une instance intermédiaire entre les cités et le pouvoir central – ce que personne ne croit – les regiones ne servirent de cadre aux services dépendants de l’État romain228. Au découpage géographique qu’elles proposent ne se surimpose en effet aucune des structures administratives stables dont l’épigraphie aurait démontré l’existence : ni la perception des impôts créés par Auguste et développés par ses successeurs, ni le recrutement des légions ni aucune autre fonction administrative romaine en réalité, ne fut effectuée selon leur maillage, et cela jusqu’à une date assez avancée dans l’Empire229. Tout au plus, peut-on supposer une utilisation des regiones dans les statistiques censoriales, quoique le document le plus ancien que nous possédions ne date que du recensement effectué par Vespasien et Titus230. Les régions, comme le supposait à juste titre Cl. Nicolet231, eurent un usage archivistique et documentaire, sans que l’on puisse prouver exactement qu’elles naquirent de ces pratiques232. Les pratiques du cens, telles qu’elles furent mises en place à une date inconnue entre la Guerre sociale et les dictatures césariennes pour faire face à l’extension de la citoyenneté à l’ensemble des hommes libres de l’Italie, nécessitèrent très vraisemblablement l’élaboration d’une technique de classement archivistique qui n’était plus seulement fondé sur la tribu. Cet échelon, quoique nécessaire à la vie politique puisqu’il fondait la répartition du corps civique dans les comices tributes, n’avait en effet plus aucune assise géographique : d’une part les cités italiennes avaient été « inscrites » dans telle ou telle tribu, sans continuité territoriale, d’autre part, des citoyens d’une cité pouvaient appartenir à une autre tribu que celle dans laquelle une cité avait été inscrite. Dans ces conditions, puisque la table d’Héraclée fixait les procédures cité par cité, c’est un classement par cité précisément que les archives durent adopter, classement dont le regroupement fut peut-être géographique, mais dont rien ne vient prouver qu’il fut augustéen233. Aucun rapport donc, ne peut être établi entre les documents fiscaux par exemple, dont les missives marquées du sceau à la grenouille furent l’origine, et le découpage en régions.

  • 234  En dernier lieu pour le travail géographique d’Agrippa, voir Arnaud, 2007-2008. L’auteur, après un (...)
  • 235  Nicolet, 1991, p. 86-87.
  • 236  Arnaud, 1983, p. 685-686 et 691-699.

80Mais le découpage en région est clairement attribué par Pline l’Ancien à Auguste lui-même, ce qui laisse supposer l’importance particulière accordée à cette nouveauté qui n’était pas que géographique et encore moins uniquement archivistique et administrative. Si Pline mentionne le découpage en régions, c’est qu’il dut y avoir autre chose, et sans doute une œuvre géographique, effectivement écrite par Auguste qui mérita ainsi son titre d’auctor. Cette œuvre, parallèlement à celle d’Agrippa qui concernait l’empire entier234, ne devait pas avoir de vocation administrative, mais uniquement descriptive. Ainsi envisagée, la discriptio d’Auguste – dont Claude Nicolet souligne bien le caractère écrit, sous-entendu par le terme même employé par Pline235 – doit être réévaluée. Dans ses buts d’abord. Si la discriptio Italiae totius d’Auguste n’avait pas de but administratif direct, à quelles motivations pouvait-elle donc répondre ? Si l’on considère l’usage qui était fait au Ier s. a.C. des ouvrages géographiques que constituaient les cartes, souvent accompagnées d’un texte qui en précisait le contenu, il est clair que cette discriptio avait avant tout un but de publicité politique dirions-nous pour ne pas employer le terme, aujourd’hui péjoratif, de propagande. Posséder une carte, décrire un territoire permettait d’en revendiquer la souveraineté plus encore que la maîtrise. Le « crime de cartographie » montre assez combien, jusqu’à une date avancée du Principat, la possession d’une carte pouvait menacer un particulier assez téméraire pour en faire un usage tendancieux236.

  • 237  Varr., R., I, 2, 1. Les données concernant cette carte ont été récemment réexaminées par Guilhembe (...)
  • 238  L’hypothèse est unanimement rejetée sur des fondements philologiques.
  • 239  C’est là un des rares exemples de l’emploi de cette expression toute cicéronienne hors l’époque au (...)

81À Rome, il existait déjà une carte d’Italia, placée dans le temple de Tellus237. Même si la discriptio d’Auguste n’était pas forcément accompagnée d’une représentation graphique (ce qu’aucune source ne précise, quand bien même si certains ont imaginé un pendant à la carte du monde abritée par la porticus Vipsania), il faut la mettre en rapport avec la carte ancienne. Qu’apportait de nouveau l’œuvre augustéenne ? Précisément la répartition en différentes régions. Cette Italia, dont les frontières furent alors redéfinies, pour la dernière fois avant longtemps, était présentée sous une nouvelle forme qui correspondait aux orientations politiques du régime. La carte mentionnée par Varron répondait à des motifs politiques – que ces derniers fussent pompéiens ou cicéroniens – qu’Auguste se devait de surpasser. Comment, dans cette bataille des représentations qui fut orchestrée contre Antoine pour justifier la guerre post eventus, laisser le bénéfice d’une représentation de l’Italie qui servait encore la gloire, soit de Pompée, père d’un adversaire dont il s’était débarrassé quelques années auparavant, soit d’une des victimes honteuses du triumvirat, alors que l’Italie constituait le fondement de la légitimité de l’action du premier Princeps ? Nous ne connaissons rien de cette représentation de l’Italie qui ne fut sans doute pas une allégorie238, mais une vraie carte peinte. Sans doute se présentait-elle comme un tout sur lequel devait se détacher Rome. La discriptio, de son côté, présentait une liste de régions numérotées, qui se démultipliait ensuite selon le statut des cités enregistrées alphabétiquement. Alors que l’on peut supposer que la carte citée par Varron accordait graphiquement une importance hiérarchique aux colonies romaines et latines liées à Rome par des liens juridiques particuliers, la discriptio adoptait un point de vue différent, qui soulignait que toutes les cités italiennes, devenues municipes, avaient le même rang face à Rome ; seules les colonies conservaient une primauté de présentation qui n’était plus qu’honorifique puisque leurs citoyens jouissaient des mêmes droits que les autres hommes libres de l’Italie. Le classement adopté, fondé sur des critères qui étaient majoritairement ethniques, signalait bien que cet ensemble uni (tota Italia239), établi dans un lien particulier avec Rome (qui brille par son absence au cœur de cette discriptio augustéenne), reposait en réalité sur des éléments culturels différents, que Rome reconnaissait, même si elle n’allait pas jusqu’à leur donner un nom. L’usage se chargea bientôt de le faire, puisque dès l’époque de Pline, le numéro attribué par Auguste à chaque région céda la place à un nom géographique, souvent tiré d’un ethnique

  • 240  La date de l’œuvre géographique d’Agrippa est fixée par P. Arnaud à l’année 13 a.C., faute de sour (...)
  • 241  Thomsen, 1966, développe cette théorie dans son premier chapitre, ce qui lui permet d’expliquer le (...)
  • 242  Thomsen, 1966, p. 149-153, puis 178-183.

82Il n’est ainsi pas anodin que la discriptio de l’Italie soit revenue à Auguste et non pas à Agrippa comme la cartographie du reste du monde. On a souvent expliqué cette différence par le fait qu’Auguste aurait terminé l’œuvre laissée inachevée par Agrippa à sa mort240. Mais rien ne vient confirmer la chronologie ainsi établie. La question de la date de la création des regiones a été diversement appréciée. Thomsen, dans son ouvrage resté la seule synthèse sur la question, compliquait inutilement le problème en fondant le texte de Pline sur deux sources augustéennes : une division en régions opérée pour des raisons administratives, et un ensemble de listes de cités classées par peuples et établies antérieurement à la division en région241. Pline ayant procédé, selon cette hypothèse, à des ajustements pour faire coïncider la série des listes avec l’organisation en région, il deviendrait extrêmement difficile de proposer une chronologie stable des deux actes fondateurs d’Auguste. Le classement en région aurait eu pour base des nécessités administratives, et en particulier l’organisation des levées de la vicesima hereditatium ce qui daterait les regiones de 6 p.C.242. Cette date doit être repoussée parce qu’aucune source ne vient soutenir le lien entre la collecte des impôts et les régions.

  • 243  Ørsted, 1988, proposait pour terminus ante quem 8 a.C., date d’un cens avant lequel il estime que (...)
  • 244  Cf. supra, p. 175.

83La date de 9 a.C.243 qui se fonde sur l’estimation chronologique de la fixation de la frontière nord-est de l’Italie a aussi été avancée. Mais l’argument, pour logique qu’il soit, n’emporte pas définitivement la conviction : on peut fort bien imaginer un agrandissement de l’Italie qui soit postérieur à la régionalisation de son territoire puisque cette dernière opération n’avait rien d’administratif. Dans ce cas, seule la région X aurait grandi quand l’Italie se trouva augmentée de la péninsule istrienne. Les séjours d’Auguste dans la région et les domaines qu’il y possédait244 ne constituent certes pas un argument définitif pour une intégration de la zone à date haute, mais prouve en tout cas qu’il ne faut pas concentrer sur la fin des guerres pannoniennes l’ensemble des mesures concernant cette frontière nord-est de l’Italie.

  • 245  Voir par exemple Polverini, 1998, p. 29-30.
  • 246  Voir l’hypothèse de Tibiletti, 1978, p. 25-30, telle qu’elle est citée par Laffi, 2007, p. 102. Si (...)
  • 247  Le Samnium seul fait exception dans ce tableau. Cette unité ethnique fut éclatée entre trois régio (...)
  • 248  Il semble que ce fut la région Transpadane qui reçut la première un nom, cela dès l’époque de Plin (...)

84Le voile de doute jeté sur chacune des hypothèses avancées jusque-là conduit à réexaminer la question en fonction des buts assignés à la création des regiones. Puisque nous admettons qu’elles n’eurent aucune vocation administrative, ni sans doute même pratique, et que leur but était, dirions-nous, purement idéologique, il nous semble que leur composition géographique même permet de fournir un élément de datation. La logique qui présida au découpage géographique de l’Italie en regiones fut avant tout ethnique245 : les regiones V (Picenum), VI (Umbria), VII (Etruria) et IX (Liguria), se composaient d’ensembles ethniques unifiés ; les regiones II, III, IV, chez Pline, sont décrites au moyen de plusieurs listes qui sont organisées par peuples. Mais des critères linguistiques furent aussi pris en compte, qui permettent d’expliquer des incongruités géographiques dans l’attribution de telle cité à telle région246. Les critères ne furent donc pas purement géographiques : il ne s’agissait pas de découper selon une logique territoriale la péninsule italienne et l’ensemble des critères pris en compte fut culturel247. La question n’est donc plus du tout celle d’une administration qui cherchait l’efficacité archivistique, laquelle ne se greffa que plus tard sur ce système instauré pour d’autres raisons. La cohérence à l’œuvre dans les régions n’est pas celle d’une maîtrise documentaire de la péninsule, mais relève au contraire de la volonté de définition et donc de fixation de diverses aires ethniques et culturelles. Les régions ne furent désignées d’abord que grâce à des numéros et les noms que nous leur attribuons aujourd’hui leur furent souvent imposés tardivement248 : cela, d’une certaine manière, empêchait de les considérer comme des entités constituées hors de Rome, comme les provinces par exemple. Mais le simple fait de les délimiter géographiquement au moyen de listes de cités et de points de repères spatiaux permettait de les définir nettement.

  • 249  Uda, 1990 et De Cazanove, 2005.
  • 250  Sur la question des identités frontalières, voir Roman, 1993.

85Or, la preuve a été faite, nous semble-t-il, très magistralement, que ces questions de frontières toutes culturelles, furent discutées dans l’entourage immédiat de Mécène, dans le groupe de ses poètes et en particulier chez Horace. Les travaux d’A. Uda et O. de Cazanove249 ont montré comment la poésie d’Horace prêtait une attention particulière aux questions d’identités culturelles, d’espaces frontières250, et comment ces questions entraient en résonnance avec la fixation des frontières régionales telle qu’elles furent arrêtées par Auguste.

  • 251  Hor., S., II, 1, 34.
  • 252  De Cazanove, 2005, p. 110, avec les critiques portées à l’encontre de cette hypothèse qui ignore l (...)
  • 253  Par exemple Thomsen, 1966, p. 81-93.

86Historiquement liée au Latium, Tibur fut pourtant « sabinisée » par Horace. Par ailleurs, le même phénomène d’identité de frontière se produit pour la cité même dont Horace était originaire. Le fameux Lucanus an Apulus anceps251 de la première satire du livre II n’est que la formulation concise d’une interrogation qui parcourt la pièce entière. Diversement compris, tantôt comme l’expression d’une identité négociable252, car identité frontalière entre deux ensembles plus marqués, tantôt comme l’expression d’une incertitude administrative253, ce vers a été interprété plus justement par O. de Cazanove, comme la traduction effective d’une réalité géographique et administrative : la colonie de Venusia dont Horace était originaire se trouvait effectivement insérée entre deux territoires, l’un lucanien, l’autre apulien. Culturellement, la colonie était latine et n’appartenait à aucune de ces deux régions dont elle assurait le rôle de verrou frontalier depuis sa création, jusqu’à ce que l’institution des regiones ne l’intègre dans la regio II.

  • 254  Horace, Satires, ed. Villeneuve, Paris, les Belles lettres, 1932, p. 8.
  • 255  Horace, Epitres, ed. Villeneuve, Paris, les Belles lettres, 1934, p. 30.
  • 256  Properce en revanche est plus discret sur ces questions techniques. L’intrusion de la géographie e (...)

87Ces deux exemples permettent de préciser un peu la chronologie des tractations qui aboutirent à la répartition des cités en regiones. Si, à la date de l’écriture du second livre des Satires (terminus ante quem : 29 a.C.254), Horace hésitait entre la Lucanie et l’Apulie, pour situer Venusia, prouvant par là que la question était d’importance, lorsque fut publié le premier livre des Épitres (20 a.C.255), la question de la « sabinité » de Tibur semblait être réglée ou en voie de règlement puisque la cité fut effectivement inscrite dans le territoire de la regio IV, et non dans la regio I. L’organisation de la péninsule en regiones semble donc s’inscrire dans un environnement intellectuel sur lequel régnait, en patron discret, Mécène256.

  • 257  Sur cet échec de la politique d’Auguste, voir Chillet, L’Italie augustéenne…, à paraître.

88Dans ces conditions, il est donc nécessaire de déplacer la date et les modalités de la discriptio augustéenne. L’œuvre géographique d’Auguste, comme il était de coutume, eut des buts idéologiques : avant tout la fixation des cultures locales, destinée à fonder – cela n’est pas contradictoire – l’identité italienne unifiée qui se créait alors. Nous retrouvons là le double mouvement que nous avons déjà étudié, de revalorisation des identités locales qui ne se fit pas contre Rome, mais en lien avec elle, revalorisation destinée à préparer l’intégration dans une identité romano-italienne qui n’existait pas encore et n’exista jamais vraiment257. Cette réflexion n’est somme toute que le pendant géographique des travaux d’autres membres de l’entourage de Mécène, tels Virgile, qui sur le plan mythologique contribua à une redéfinition de l’Étrurie alliée de Rome.

  • 258  Rappelons le vers de Martial : protinus Italiam concepit et arma virumque (Mart., VIII, 55, 19) qu (...)
  • 259  Hor., O., III, 29, 1.

89Il ne semble donc pas téméraire de conclure que ce fut autour de Mécène, entre autres, que se forma l’idée de la régionalisation258, dans un but qui était, finalement, politique. La caractérisation dans les tablettes de la description de l’Italie, des régions sur des bases ethniques, fut une des conditions qui permit de diffuser dans les premières années de l’Empire, à d’autres que Mécène, la fierté du Tyrrhena regum progenies259 dont Horace honorait son protecteur.

Conclusion

  • 260  À ce sujet, voir Chillet, Le vote par correspondance… à paraître.
  • 261  Voir notre travail annoncé supra, p. 54, n. 151.

90Mécène, comme bien d’autres membres de l’entourage d’Auguste restés dans l’ombre, contribua donc à rallier l’Italie à celui qui en vint à fonder un nouveau régime. Tandis que les deux autres triumvirs, s’éloignaient, contraints ou de leur plein gré, de l’Italie qui tendait (Rome étant débordée de toute part) à devenir le centre civique du monde, César le Jeune opéra un travail d’auto-représentation auprès des populations italiennes, qui avait pour but de l’imposer comme leur soutien politique. Cette œuvre, assidue et constante, comme le fut le travail de distribution des libelles distribués par ses agents aux légions de Macédoine en 44, déborda « la période révolutionnaire » qui aboutit à l’élimination de ses rivaux politiques directs. Ce qui fut sans doute au début une nécessité politique – s’appuyer sur les Italiens contre une partie de la noblesse romaine qui venait de se débarrasser de César – répondait malgré tout à des tendances politiques profondes qui avaient traversé tout le Ier s. a.C. César le Jeune, puis Auguste, sut en jouer tout au long de son règne. Le processus d’intégration politique de l’Étrurie, qui dépasse de loin le cadre de notre étude, car le rôle de Mécène, sans doute non négligeable, n’est plus directement perceptible dans nos sources à date postérieure, fut à l’œuvre durant tout le règne d’Auguste. Ce n’est pas ici le lieu de rappeler toutes les initiatives augustéennes, projetées ou accomplies, en faveur des Italiens qui tendaient à leur faire profiter effectivement des mêmes prérogatives que les Romains260. Cette intégration reposait sur deux éléments : d’une part sur une valorisation, une acceptation des Italiens et de leurs élites, dans les mentalités aristocratiques de Rome, qui étaient celles de la politique, d’autre part sur des procédures administratives sur lesquelles nous reviendrons261. Mécène fut actif dans la première phase de ce premier élément. Si « ministre de la propagande » il fut, c’est en aidant à diffuser l’idée que l’Italie autour d’Auguste retrouvait, ou plutôt trouvait la place qu’elle aurait toujours dû occuper.

  • 262  Le serment devint sans doute assez tôt une pratique provinciale de ralliement à l’Empire : voir Le(...)

91Cette démarche aboutit certainement à la conjuratio que les Italiens de leur plein gré, selon Auguste, jurèrent en 32 a.C. avant la guerre d’Actium et sur laquelle Auguste s’appuya, non pour revendiquer la légalité de son acte, mais sa légitimité, ce qui nous place, résolument, sur le terrain des représentations, des mentalités, et non du droit262. Et quelle masse pouvait-il opposer à Antoine et à Cléopâtre – ou plutôt à Cléopâtre et à Antoine – si ce n’est cette Italie qui ne pouvait que craindre que le centre de gravité de l’empire après lequel elle avait si longtemps langui, ne lui échappât comme le lui laissait craindre César le Jeune ? Auguste pour cela, mobilisa les moyens aristocratiques qui avaient été ceux de ses ancêtres pour rassembler à sa suite ce vivier de citoyens, contributeurs et soldats, car, tout popularis qu’il fût – le mot, après César n’a plus grand sens car la rupture apportée par le dictateur perpétuel dans le fonctionnement de la République était trop importante – tout bien disposé qu’il fût envers des individus que la morgue des familles romaines avait longtemps écarté du pouvoir, ses pratiques furent héritées de la République, et c’est comme patron qu’Auguste put s’assurer dans un premier temps de l’Italie. Son entourage à ce titre, et Mécène en particulier, eut un rôle prépondérant à jouer.

92La levée des impôts contribua aussi en Italie, zone de taxation par la force des choses la plus disponible donc très sollicitée, à niveler dans un même ensemble les habitants d’un espace géographique qui, depuis 42 a.C. était aussi un espace politique et administratif unifié. Même si ces levées, arbitraires comme le furent l’imposition des charges et les exigences de Rome envers ceux qu’elle appelait ses Alliés, faisaient resurgir de vieux souvenirs au goût particulièrement amer, l’imposition des Italiens, à concurrence avec les citoyens d’ancienne souche – touchés, pour les plus riches et les plus en vue d’entre eux par les proscriptions honnies –, contribua à créer, administrativement certes, mais aussi dans les mentalités, l’idée de cet ensemble unifié. D’une manière assez cynique il est vrai, les Italiens n’avaient-ils pas pour la première fois sans doute dans cet épisode triumviral, accédé à ce qui semblait leur désir le plus cher : avoir mêmes droits (et mêmes devoirs) que les citoyens d’ancienne souche ? On connaît l’importance, à l’époque médiévale, de l’impôt pour la création de la notion vécue d’État, au sens moderne du mot. L’imposition, même injuste, et toujours à répartition géométrique, permettait de créer la notion d’une communauté : ainsi vit-on dans les protestations que soulevèrent ces taxations à répétition les riches comme les pauvres, les Italiens comme les Romains, s’en prendre aux triumvirs qui ne cédaient que pour reprendre ailleurs ce à quoi ils avaient fait mine de renoncer.

93Mais Auguste joua aussi sur un plan plus symbolique. La revalorisation des identités italiennes que nous avons vu Mécène mettre en pratique et dont il fut à la fois promoteur et bénéficiaire, culmina dans cette œuvre du premier Princeps que fut la régionalisation de l’Italie.

94Et Mécène, à Rome même, semblait miner cette ouverture de la vieille cité qui cessait peu à peu d’être une cité-État pour devenir capitale d’empire. Les jardins de l’Esquilin n’ouvraient-ils pas une Rome qu’Auguste voulait, urbanistiquement, architecturalement, administrativement – mais pas religieusement cependant – accroître hors de ses limites ? Mécène, franchissant la muraille de ses jardins dont la signification politique n’est plus à prouver, ouvrant les barrières entre Rome l’Italie, ne se faisait-il pas passeur entre deux entités que la politique voulait rapprocher ?

Notes

1  Volponi, 1975, p. 37 sq. montre que l’état d’esprit des municipes était plutôt favorable aux césaricides et au Sénat, et opposé aux héritiers de César, même si, pour autant, ils n’étaient pas forcément prêts à s’engager dans un conflit pour les soutenir. Il lui semble que « nota più sincera, più coerente alle tendenze manifestate in passato e alla condotta che verrà scelta poi, è un certo favore per il partito senatorio », contre les vétérans et la loi agraire de César (p. 44).

2  RGDA, 25, 2 ; avec tolérance d’exemption du serment pour des villes anciennement liées à Antoine, comme Bononia : Suet., Aug., XVII, 2.

3  On se gardera d’appliquer à cette expression les connotations impérialistes du terme de Greater Britain, créé en 1868 par sir Charles Dilke pour décrire l’« empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais ». En revanche, il permet de comprendre l’idée d’élargissement à la fois territorial et civique (avec des degrés divers) qui y est attachée.

4  Yavetz, 1990, p. 124-150, n° 18-25 et 27.

5  Selon la chronologie établie par Canfora, 2001, entre 49 a.C. et sa mort en 44 a.C., César resta à Rome moins d’un an en cumulant des séjours parfois très brefs (quinze jours pendant toute l’année 49 a.C. ; le dernier, depuis le mois d’octobre 45 a.C. compte pour plus de la moitié de ces séjours romains).

6  En 37 a.C., avant l’expédition parthe, c’est de légionnaires italiens qu’Antoine avait un besoin urgent et qu’il négocia avec César le Jeune : App., Civ., V, 95, 396 ; DC., XLVIII, 54, 2. Voir aussi Plut., Ant., XXV.

7  Dès le réajustement après Philippes en 42 a.C. : DC., XLVIII, 2, 1 ; voir aussi en 40 a.C. aux accords de Brindes : App., Civ., V, 65 ; DC., XLVIII, 28, 4. Aux accords de Bologne, Dion Cassius signale que la garde de l’Italie et de Rome avait été confiée à Lépide : DC., XLVI, 56, 1.

8  Sur cette question, voir infra, p. 457.

9  L’existence d’un « filon étrusque » dans l’onomastique de la Transpadane n’est pas douteux, mais la question se pose de savoir s’il s’agissait d’un peuplement ancien ou de représentant des colons installés par Rome : voir Chevallier, 1983, p. 183. Pour la présence étrusque au nord du Pô, voir dans Camporeale, 2001, les contributions de Capuis (« The Etruscans in Veneto », p. 130-145), Aigner Foresti (« The Eruscans in the Lepontine and Raetian Regions », p. 146-157), Maggiani, (« The Etruscans in Liguria », p. 158- 167) et Bruschetti (« The Etruscans on the Po plain », p. 168-191). L’ensemble du volume concerne plutôt les périodes villanovienne et archaïque, avec quelques incursions dans la période hellénistique. Il souligne en tout cas la présence, à date haute, d’une koinè culturelle villanovienne, suivie d’une influence étrusque, qui ne permettent pas toujours de repérer ce qui relève d’une émigration étrusque dans ces régions.

10  Les numéros donnés ci-après correspondent aux lignes de notre tableau des affranchis (tableau 2, p. 498-515) : n° 13 et n° 70 (de Pola, inscriptions funéraires en remplois dans les murs de la ville) ; n° 25 (l’ager Polensis) ; n° 26 (Nesactium, cité voisine de Pola).

11  N° 13, 25, 26.

12  CIL, I2, 2519. Voir chapitre 1 p. 27 et 2 p. 100-102.

13  C’est la restitution proposée par les Inscriptiones Italiae pour n° 25. L’éditeur de la pierre, Weisshäulp, et l’Année épigraphique qui le suit, proposent en revanche : [M]aecenas S(puri) f (ilius) / [R]ufus sibi / [et T(ito) M]aecenati T(iti) l (iberto) / [Amp]hioni patri / [et Egn]atiai C(ai) l (iberta) Oplai / [matri] et Maecenatiai / [p. f ? Teoph]imai sorori. En faisant du personnage féminin, affranchie d’un Caius, une Egnatia plutôt qu’une Maecenatia, Weisshäulp rompt tout lien possible avec Mécène. Weisshäulp, 1899.

14  Les Inscr. It. penchent pour ces liens, même si les datations proposées sont toutes au moins une génération postérieure à la date de la mort de Mécène.

15  Voir Tassaux, 1983-1984 et plus rapidement, dans 2005, qui recense les proches d’Auguste implantés en Istrie. Dans les cas tardo-républicains qu’il dénombre, on ne compte que les familles liées aux Cassii et Calpurnii (p. 201-206 et 224), et peut-être les Servilii de Parentium (p. 210) qui puissent remonter à César et non pas à l’époque d’Auguste.

16  La pierre mentionne un libertus Augusti, accensus de son patron, donc de l’empereur, pendant son consulat (contra : Mommsen, dans CIL, V, 44, qui pense qu’il s’agit d’un accensus des frères Laecanii, consuls en 64 p.C., et dont l’hypothèse est justement repoussée par les éditeurs des Inscr. It, X.1, 52). S’il s’agissait d’Auguste – ce que rien ne vient confirmer – cet affranchi était encore vivant au plus tard en 2 a.C., date du treizième et dernier consulat d’Auguste. Il aurait alors fort bien pu être un de ces Maecenatiani, ancien esclave de Mécène, passés à l’empereur à la mort de leur premier maître, en 8 a.C., cf. infra p. 401 sqq.

17  Voir Inscr. It., X, 1, 585, datée d’Auguste (ou de Néron, selon Degrassi) ; 593. Des liberti Augusti apparaissent en Inscr. It., X, 1, 46-51 ; 53-54, des servi en Inscr. It., X, 1, 55-62, des vernae en Inscr. It., X, 1, 62-63, ce qui laisse supposer l’existence de domaines impériaux proches de Pola au Ier s. p. C.

18  R. Chevallier explique l’occultation des centuriations autour de Parentium par la présence de grands domaines, tels ceux de Mécène ou de l’empereur, connus dans la région mais non localisés. Cela signifierait que les domaines étaient antérieurs à l’établissement des centuries. Ces dernières n’étant pas datées précisément, l’argument ne permet pas de faire remonter la date de l’installation des domaines à César. On ne peut retenir la datation de Chevallier, 1983, p. 68 qui s’appuie sur la vieille hypothèse d’une déduction de Pola en 42-41 a.C.

19  Plin., III, 20, 115 pour le Rubicon, attesté explicitement comme ancienne frontière de l’Italie et 7, 48 pour le Macra qui est donné seulement comme la limite entre la Ligurie et l’Étrurie. La fonction de frontière de ce fleuve est mal déterminée car il est vraisemblable que, sous la République, ce fut plutôt l’Arno qui tient lieu de limites : en effet, en 56 a.C., la ville de Lucca, situé entre le Macra au nord et l’Arno au sud, se trouvait dans le territoire contrôlé par le proconsul César : Suet., Caes., XXIV, 1.

20  La citoyenneté latine avait été accordée à la Cisalpine, mais bien sûr pas à l’Illyrie, par une lex Pompeia de 89 a.C. (Ascon., in Pison., p. 12, Stangl ; Gell., IV, 4, 3). La loi de 49 a.C. fut sans doute un plébiscite porté par L. Roscius, préteur de l’année : voir DC., XLI, 36, 3 ; Caes., C., I, 3, 6 ; 8, 4 ; 10, 1 et Yavetz, 1990, p. 76-81. Malgré l’octroi de la citoyenneté, la région resta sous le régime provincial. Sur l’histoire de la Cisalpine, voir Chilver, 1975, p. 7 sqq. ; Bandelli, 1986 et Laffi, 1992.

21  App., Civ., III, 30, 115 : projet d’abandonner le statut provincial en 44 a.C., finalement repoussé ; en 41 a.C., en revanche, la Cisalpine n’a plus de gouverneur et se trouve rattachée administrativement à l’Italie : DC., XLVIII, 12, 5 ; App., Civ., V, 3.

22  App., Civ., IV, 2, 7 ; DC., XLVI, 55, 4-5.

23  App., Civ., V, 65, 175 ; DC., XLVIII, 28, 4.

24  Bologne : App., Civ., IV, 1, 7 ; DC., XLVI, 55,5. Philippes : DC., XLVIII, 1, 3.

25  Contre Chevallier, 1983, p. 68, qui suit Degrassi, 1942-43, il semble qu’A. Fraschetti ait bien démontré l’origine césarienne de la colonie : Fraschetti, 1983.

26  Aujourd’hui, torrent de la Recca (selon H. Zehnacker : Pline, Histoire naturelle, livre III note ad § 127) qui servit de frontière à l’Italie jusqu’au rattachement de la Cisalpine en 42 a.C. Suivant Pline, la frontière fut repoussée ensuite jusqu’à l’Arsia (§ 129). Le déplacement de la frontière de l’Italie qui s’effectua donc en deux temps, pose deux questions principales. La première : l’intégration de la Gaule Cisalpine à l’Italie s’accompagna-t-elle d’un changement de la ligne frontière entre ex-Gaule Cisalpine et Illyrie ? Autrement dit, la frontière de l’ancienne Gaule Cisalpine servit-elle de ligne frontière à la nouvelle Italie, ou bien y eut il redéfinition des territoires ? La solution la plus simple est d’envisager qu’en 42 a.C. l’Italie épousa exactement la frontière de l’ancienne Cisalpine, et que cette dernière reposait sur le Formio. Cependant Str., V, 1, 9 = C 215, dépendant d’Artémidore, semble signifier qu’à une date intermédiaire, le fleuve Timavus servit de frontière avec l’Istrie. On y a par ailleurs trouvé les épitaphes de deux individus travaillant dans un service de douane, ce qui laisserait à penser qu’il y avait effectivement là une frontière administrative : CIL, V, 703 et 792. Sur cette question, voir Degrassi, 1954, p. 12-18, partisan d’une frontière intermédiaire, utilisant le Timavus, qui aurait été repoussée une première fois quand César fonda la colonie de Tergeste en 46 a.C. Cet argument reste sujet à caution : on ne peut partir de la déduction de cette colonie pour fixer la frontière aux confins de son territoire, puisque la colonie de Pola, césarienne elle aussi, restait en Illyrie. Si déplacement de frontière il y eut, il est plus vraisemblable qu’il ait eu lieu en 42 a.C., lors de l’annexion de la zone à l’Italie. À moins que la proximité du fleuve Timavus (Plin., III, 22, (18), 127) et des Iapydes, sur lesquels César le Jeune triompha en 29 a.C., n’indique que le déplacement n’eut lieu qu’après les guerres d’Illyrie. Voir Hans Philipp, dans RE., VI.A.1 (1936), s.v. : Timavus. Tout cela n’est que conjecture : certains comme Vedaldi-Iasbez, 2000, p. 350 pense que le texte de Strabon qui fixe au Timavus la frontière entre l’Illyrie et l’ager Gallicus doit plus s’entendre en tant que frontière ethnique, ou géographique, qu’administrative.
La seconde question est celle du déplacement de la frontière du Formio à l’Arsia : voir note suivante.

27  Plin., III, 23, (19), 129. Str., VII, 5, 3 = 314C précise que la frontière fut déplacée « par les gouvernants actuels », ce qui ne peut désigner en toute rigueur que le couple prince et co-régent formé par Auguste et Agrippa de 18 à 12, ou Auguste et Tibère de 6 à 2 a.C. ou à partir de 4 p.C. Degrassi remarque que les éléments de datation de l’œuvre de Strabon ne sont pas déterminants pour choisir une de ces périodes puisque la Géographie fut entreprise vers 27 a.C., sa rédaction commença vers 7 a.C. et fut remaniée vers 18 p.C. (Degrassi, 1954, p. 54 sq.). En revanche, l’Arsia semble avoir servi de frontière dans l’œuvre géographique d’Agrippa (Plin., III, 150). Il faudrait donc choisir, avec Degrassi, la co-régence d’Agrippa.
Dans cet intervalle, toutes les dates ont été envisagées. Degrassi s’arrête sur 16 a.C. qui marque la réorganisation du Norique (réorganisation sur laquelle les spécialistes ne s’accordent pas : voir les notices divergentes du Dictonnaire de l’Antiquité de Leclant et l’Oxford dictionary of Antiquity, s. v. Norique / Noricum).

28  Voir Inscriptiones Aquileiae, II, 2825-2852 qui indiquent une présence longue et continue de cohortes prétoriennes à Aquileia pendant l’Empire. Certaines sont datées de la première partie du Ier s. p. C. par Brusin, éditeur des Inscriptiones Aquileiae : 2836, 2839 (époque augustéenne ; contra Durry, 1938, p. 243, qui la place à l’époque d’Othon), 2840 (les lettres sont dites antiquiores), 2844, 2845, 2847. Voir aussi Ricci, 1994, p. 17-18, Keppie, 1996, p. 115 et Donderer, 1995, p. 632-635.

29  Hypothèse de Keppie, 1983, p. 204.

30  Voir note supra n. 15.

31  Volponi, 1975, p. 64-68.

32  Voir supra n. 20. La lex Julia de 90 avait donné la citoyenneté romaine aux anciennes colonies latines, soit, dans la province à Ariminium, Aquileia, Bononia, Cremona Placentia.

33  Voir pour la période suivant la mort de César : Cic., Phil. III, V, 13 ; X, 5, 10 ; IV, 9-10. Cic., DCCCXLVI = Fam., XII, 5, 2 et DCCCXCV = Fam., XI, 19, 2, qui témoignent de rapports de clientèles avec Brutus et Cassius ; Suet., Rhet., 30, 6, et Plut., Brut., LVIII, rappellent qu’en pleine époque augustéenne, une statue de Brutus s’élevait à Mediolanum. De Patavium était sans doute originaire un contestataire d’Auguste, contre lequel ce dernier fit preuve de clémence (Suet., Aug., LI, 2).

34  Vell., II, 89.

35  Plin., XIV, 8 (6), 67.

36  Dans la liste, après ces deux crus, s’ajoute le vin palmensia dont Pline rattache l’origine, dans ce passage, à une légende liée à un palmier, mais qui doit être rapporté en réalité au toponyme de l’ager Palmensis. Cet ager se situe géographiquement entre les deux localités déjà nommées, mais à l’intérieur des terres. Est-ce à dire que le mouvement orienté vers le nord est rompu ? Sans doute non : comme toujours, Pline suit d’abord la côte, puis l’intérieur des terres.

37  Nous sommes donc dès lors dans la région VIII, voir Plin., III, 20 (15), 115.

38  André dans l’édition de Pline, semble établir une différence entre l’ancienneté de l’implantation des Étrusques et la nouveauté du nom introduit à Rome au Ier a.C. pour en déduire l’impossibilité du lien, alors que Chevallier fait remonter l’implantation à Rome du nom Maecenas au Ve s. a.C., pour en déduire qu’il aurait pu s’agir de n’importe quel autre membre de cette ancienne famille. La faiblesse de l’un et l’autre argument n’est pas à démontrer : on voit mal pourquoi la nouveauté du nom à Rome interdirait de voir un lien avec Mécène, bien au contraire. Quant à l’introduction au Ve s. du nom de Mécène, nous ne voyons pas d’où l’auteur peut tirer ce renseignement. Chevallier, 1983, p. 236, n. 61.

39  Schol. ad. Juv. S., V, 3, 1. Pour un commentaire de ce texte, voir infra, p. 408-409 et Chillet, L’Esquilin…, à paraître.

40  Voir : Suet., Aug., XIII, 3 ; DC., XLVII, 49, 4. RE, VI.2 (1909), s.v. Favonius, n° 1.

41  Quelques inscriptions mentionnent des M. Favonii, mais il est douteux d’en faire à tout prix des affranchis ou d’anciens affranchis de la famille. Nous ne pouvons que conjecturer des propriétés familiales (mais était-ce la branche même dont était issu M. Favonius ?) à Tarracina (Münzer, dans la RE s.v. Favonius, n° 1), peut-être des liens avec la Sicile (CIL, VI, 12942, de Catane). Ryan, 2002 qui a étudié la carrière de M. Favonius pense cependant qu’il faut déconnecter de M. Favonius CIL, X, 6316 qui paraissait la plus prometteuse pour localiser les attaches de la famille : s’agissant de la dédicace, élevée à Tarracina, des habitants d’Agrigente à un M. Favonius, elle permettait à la fois de localiser la famille et de mettre en évidence ses liens avec les Siciliens.

42  La localisation des domaines de Favonius en Italie paraît vraisemblable puisqu’il était sénateur : même si l’obligation de posséder des biens fonciers en Italie ne date que de Trajan (Plin., Ep., VI, 19), le problème ne se posait pas en ces termes à la fin de la République, quand les sénateurs étaient en très grande majorité, soit Romains, soit Italiens.

43  Voir Ferriès, à paraître.

44  Le cas des liens de dépendance, éventuellement clientélaire, avec les poètes seront étudiés au chapitre 9. Ils ne nous renseignent pas, dans tous les cas, sur l’implantation géographique de la famille de Mécène.

45  DC., LIV, 30, 4.

46  CIL, VIII, 24583 (très restaurée) ; ILS 8783 = IGRR, IV, 323 : mentionne Octavie avec son titre de sœur d’Auguste, en tant que mère de Sex. Appuleius. Cf. PIR2, A, 960 ; Hall, 1984, n° 10.1.

47  Rohden, dans RE., II.2 (1896), s.v. Appuleius, n° 17 Hall, 1984, n° 10.2 : il pourrait en réalité s’agir de son père, l’époux même d’Octavie, dont l’âge n’interdit pas tout lien avec Mécène : Appuleius père avait épousé la demi-sœur aînée d’Octavien, laquelle dût naître avant 65, date estimée du divorce entre Ancharia sa mère et C. Octavius (Herzog Hauser, dans RE. s.v. Octavius (Octavia) n° 95). Elle était donc de quelques années plus âgée qu’Auguste et sensiblement du même âge que Mécène.

48  CIL, XI, 1362. Hall, 1984, n° 10.

49  Voir le cas de Cassius Severus qui accusa des proches d’Auguste : Plin., XXXV, 46, 164 ; Suet., Aug., LVI, 6.

50  DC., LV, 7, 1-2.

51  Bauman, 1982, qui signale cependant que l’épisode n’est sans doute pas véridique et qu’il fut recréé par Dion Cassius comme un prolongement des conseils donnés, par la bouche de Mécène, à Sévère Alexandre, après le discours du livre LII. Pour l’épisode de Perusia, voir chapitre 5, n. 10 p. 237 et pour la conspiration de Murena, chapitre 8, p. 285.

52  Cf. infra, p. 395.

53  Cic., DCCCXXVI = Att. XVI, 15, 3 datée du 13 novembre (Cicéron a eu le temps, à cette date, de recevoir à Arpinum le texte du discours de César le Jeune) ; Vell., II, 64, 3 ; App., Civ., III, 41, 167-169.

54  App., Civ., III, 42, 174 (trad. pers.). Notons que P. Goukowsky, corrige le texte Ῥάβενναν en Τυρρηνίαν, qu’il justifie à la fois par des raisons historique (impossibilité pour César le Jeune de parcourir la Cisalpine tenue par Decimus Brutus) et philologique (περιῄει ne peut avoir de nom de ville comme complément) : Appien, Guerres civiles, livre III, P. Goukowsky et Ph. Torrens éd., Paris, les Belles lettres, 2010, n. 289, p. 135. Mais c’est corriger l’ensemble des manuscrits. Voir aussi DC., XLV, 12, 6.

55  Les auteurs du CIL, sans chercher à définir précisément les bornes du territoire de la cité, étendent le territoire épigraphique de Ravenna au sud, jusqu’à Ciampiano et S. Pietro in Vincoli, et il est probable que nous soyons là sur les marges de la cité de Ravenna qui touchaient à celle de Caesena.

56  App., Civ., III, 12, 40-41.

57  Sur la popularité d’Antoine parmi les soldats, voir Scuderi, 1978b. Une des multiples manifestations de cet attachement se trouve en 40 a.C. : alors que des vétérans avaient été remobilisés par Agrippa sous prétexte de faire campagne contre Sextus Pompée, un revirement massif eut lieu quand ils apprirent que l’ennemi réel était Antoine : App., Civ., V, 57, 240. Cet épisode prouve à la fois qu’Agrippa n’avait pas l’aura nécessaire pour emporter la conviction de ces soldats, d’autre part que la cause de César le Jeune n’était pas non plus suffisante face au seul nom d’Antoine.

58  Cic., DCCXXXI = Att., XIV, 12, 2.

59  Pour la campagne d’Afrique : Octave reste à Rome pour cause de santé, mais reçoit malgré tout des récompenses militaires : Suet., Aug., VIII, 2 ; DC., XLV, 2, 8 (sans précision) ; pour la campagne d’Espagne : il arrive après les événements : Vell., II, 59, 3 ; Suet., Aug., VIII, 3. Il faut renoncer à l’idée selon laquelle Octave aurait été désigné magister equitum pour 43 a.C. comme le prétendent App., Civ., III, 9, 30 et DC., XLIII, 51, 7 sur la fois desquels on a entièrement restauré les Fasti Capitolini (Inscr. It.., XIII, 1, p. 59). Or Pline (VII, 147) précise explicitement que cela n’avait pas été le cas, et les Fastes de Privernum, encore inédits lui donnent raison.

60  App., Civ., III, 40, 164.

61  Cic., DCCXLIV = Att., XIV, 21, 2 ; Phil., I, 2, 6 ; II, 42, 108 ; V, 3, 7 ; 7, 20 ; 12, 33 ; VII, 6, 16-17 ; VIII, 3, 9 ; 9, 26 ; XI, 5, 12-6,13 ; XII, 8, 20 ; XIII, 18, 37 ; DC., XLV, 9, 1. Cette loi agraire fut proposée dans les premiers jours du mois de juin, puisque le 8, L. Antonius qui présidait la commission agraire était déjà en poste (Cic., DCCXLIX = Att., XV, 3, 1). Sur le rôle de Lucius Antonius dans cette affaire : Roddaz, 1988, p. 329. Sur les autres membres de la commission, voir Syme, 1937.

62  Dès le 25 avril, Antoine quitta Rome pour la Campanie (Cic., DCCXLIV = Att., XIV, 21 ; Phil., II, 100), après le vote d’une loi, la veille, qui garantissait aux vétérans qu’ils allaient être lotis. Après un séjour en Campanie, il remonta à Rome en traversant le Samnium (entre le 3 et le 9 mai : Cic., DCCXLIII, 2 = Att., XIV, 20 ; DCCXLVI, 2 = Att., XV, 1 ; si Keppie, 1983, ne signale cependant aucune colonie césarienne certaine dans le Samnium, il ne faut pas exclure la présence d’implantations viritanes). Il était accompagné de nombreux anciens soldats qui venaient pour le vote définitif de la loi agraire, prévu en juin.

63  App., Civ., III, 40, 164. César le Jeune suivit le même parcours qu’Antoine au mois d’avril et visita les colonies de Calatia et de Casilinum (Nic. Dam., 31 : notons que c’est dans cette opération de recrutement auprès de la VIIa et de la VIIIa qu’apparaît pour la première fois Mécène dans nos sources ; Cic., DCCCXVIII = Att., XVI, 8, 1), puis de Cales et de Teanum, et enfin remonta à Rome par le Samnium : Cic., DCCCXX = Att., XVI, 11, 6. App., Civ., III, 40, 164-165.

64  App., Civ., III, 12, 40.

65  Cic., DCCCXXVI = Att. XVI, 15, 3.

66  En Cic., DCCCXXII = Att., XVI, 10, 1, on apprend que le bruit courait qu’Antoine s’était arrêté à Casilinum, où César le Jeune était passé une semaine auparavant : ce passage ne saurait être fortuit et explique peut-être la désertion d’une partie des vétérans alors recrutés par l’héritier de César. L’idée de la versatilité des soldats selon les sommes qu’on leur faisait miroiter est un topos qu’on retrouve fréquemment pour cette période chez Dion Cassius. Même si ces notations répétées ne sont pas toutes à prendre au pied de la lettre, il est clair que l’argument devait compter.

67  En raison de l’afflux des vétérans au mois de juin pour le vote de la loi agraire la séance du Sénat du 1er juin qui devait se pencher sur la question fut boudée par une majorité de sénateurs et l’assemblée des Pères ne put statuer, faute d’un quorum suffisant. La question fut alors transférée au vote du peuple et transformée en plébiscite, sans doute soutenu par les nombreux vétérans encore présents à Rome. Cic., DCCXXXV = Att., XIV, 14-15, 4. ; Phil., I, 7, 19 ; II, 109 ; V, 3, 7 ; Liv., Per., 117 ; App., Civ., III, 27, 102- 104 ; DC., XLV, 9, 3

68  Syme, 1967 [1939], p. 125-126.

69  Sordi, 1972, p. 3-9.

70  App., Civ., III, 42, 173-174 : l’historien alexandrin reconnaît que les chiffres ne sont pas clairement transmis par la tradition. Sur les dix mille hommes que César le Jeune avait, selon lui, recrutés en Campanie, seuls mille ou trois mille le suivirent après la contio. Sur le nombre des « déserteurs », un nombre non calculable se ravisa et le rejoignit en Étrurie.

71  En fait, César le Jeune comptait sur les légions de Macédoine avant qu’elles ne fissent effectivement défection et il l’annonça à Cicéron par le biais d’un Caecina de Volaterrae avant le 2 novembre (Cic., DCCCXVIII = Att., XVI, 8, 2). Il avait envoyé auparavant des émissaires pour acheter ces légions auprès desquelles il semblait jouir d’un certain crédit depuis son séjour à Apollonia avant les ides de mars ; ce travail de propagandiste fut effectué pendant que César le Jeune se trouvait en Campanie, c’est-à-dire avant le 10 novembre 44 (Nic. Dam., 31 ; il s’agissait d’un travail de propagande écrite car le biographe d’Auguste parle de γράμματα distribuées dans le camp des légions de Macédoine ; App., Civ., III, 31, 123). Les légions, déjà à cette date, étaient assez hostiles à Antoine qui n’avait pas acheté leur ralliement aussi cher que César le Jeune (III, 40, 165 et 44, 179). Sur ce travail de « recrutement », voir Mangiameli, 2007.

72  RGDA, I, 1.

73  Plin., III, 52.

74  Cic., Caec., VII, 18, XXXV, 102 ; Dom. 30, 79.

75  Cic., XXV = Att., I, 19, 4 du 15 mars 60.

76  Cic., DLIII = Fam., XIII, 4, 2.

77  Cic., DLIII = Fam., XIII, 4 (entre le début du 2e intercalaire de 46 a.C. et septembre 46 a.C.) à Q. Valerius Orca et DLIV = Fam., XIII, 5 (même date au même). Sur ce dossier, voir Deniaux, 1991.

78  Voir Keppie, 1983, p. 52-55.

79  César, à cette occasion, promit de ne pas procéder par grandes expropriations comme Sylla l’avait fait : App., Civ., I, 13, 94 et Suet., Caes., XXXVIII, 1.

80  Firpo, 2009, p. 181.

81  Voir Ciampoltrini, 1981, p. 50-52 et Fatucchi, 1979-80, p. 240. Cicéron laisse entendre qu’en 44 a.C., des opérations de centuriation et de confiscations sont en cours le long de la via Cassia, qui passe précisément par Arretium (Phil., XII, 9, 23). À Volaterrae, de même, une centuriation fut prévue par une loi triumvirale (Lib. Col., I, 6, 7).

82  L. Keppie, en tout cas, ne signale rien : Keppie, 1983, p. 49-58 sur les installations de César. Il précise, (p. 53) que Strabon « has an unsupported reference to Roman colonists » dans la cité (Str., V, 1, 11). La notice de Strabon ne permet effectivement pas de dater l’apport de colons ainsi renseigné. Seul le passage d’Appien concernant aussi Arretium et les mouvements de César le Jeune en novembre 44 pourrait venir soutenir l’idée d’une colonisation césarienne dans le territoire de la cité (Civ., III, 42, 174).

83  Des raisons militaires firent que la cité fut investie par les troupes de César lors de l’invasion de l’Italie en 49 a.C. Les Modernes se sont ingéniés à trouver de multiples raisons, toutes fort valables pour ce choix : pour J. Carcopino, il s’agissait de contrôler les passages des Apennins (Carcopino, 1965, p. 367) ; pour V.-A. Sirago, d’empêcher les communications entre Rome et la vallée padane (Sirago, 1985) ; pour E. Rawson, il s’agissait d’une stratégie défensive, visant à bloquer l’éventuelle avancée de Pompée sur la Cassia (Rawson, dans CAH2, IX, 1992, p. 424), pour G. Zecchini enfin, l’envoi d’Antoine avec cinq cohortes révèle l’indécision de César qui, dans l’attente de renforts, ne savait s’il allait se diriger vers Rome en empruntant la via Cassia ou la via Flaminia (Zecchini, 1998). Toutes ces opinions ont leur part de vérité, car il est certain que la position d’Arretium était avantageuse. Cf. infra n. 85.

84  Liv., XXXI, 21, 1 : en 200, l’armée fut transférée d’Arretium à Ariminum pour combattre à Crémone. Liv., XXVIII 24, 13 : en 205, les légions urbaines sont conduites à Arretium tandis que des armées d’esclaves volontaires sont conduites d’Étrurie à Ariminium : peut-être les légions suivirent-elles alors le même mouvement, dirigé vers les opérations du Nord.
App., Civ., I, 91, 419 : en 82, les restes de l’armée vaincue de Carbo se retirent à Arretium. Contrairement à ce que laisse entendre la traduction de P. Goukowsky, le texte grec ne précise pas que Carbo « regagna » Arretium qui aurait alors constitué une base pour ses légions. Appien emploie le verbe ἐπανέρχομαι dans lequel le suffixe ἀνα peut effectivement signifier « de nouveau », mais peut aussi avoir un sens topographique « monter vers ». Attendu qu’Arretium se trouve plus haut que le lieu de la bataille (Faventia dans la plaine aux pieds des Apennins) et que le texte ne précise pas qu’auparavant Carbon était à Arretium, il nous semble que le sens topographique doive l’emporter.

85  Arretium jouit d’une position favorable qui met en liaison les différentes parties de l’Italie centrale : située presque exactement à la même distance des deux mers qui baignent la péninsule italique, la cité est proche des cols qui permettent, à travers les Apennins, de mettre en communication les deux côtes. Arezzo est d’un accès direct ou proche de diverses vallées qui servent aux communications dans la péninsule : au contact de la vallée du Tibre (puisque le fleuve prend sa source sur le territoire de la cité) et proche du val di Chiana (aussi orienté vers le sud), la plaine qui s’ouvre au pied d’Arretium est en communication directe avec la haute vallée de l’Arno, qui donne donc accès à toute l’Étrurie côtière. La rivière Ambra qui descend vers l’Arno permet d’accéder par ailleurs à une autre grande vallée fluviale, celle de l’Ombrone, qui se dirige vers l’Étrurie côtière méridionale. Le territoire est aussi parcouru d’un réseau routier dense qui utilise les facilités proposées par ces vallées nombreuses : la via Cassia reliait bien sûr Arretium à Rome vers le sud, Florentia vers le nord ; la via Flaminia minor, reliait Arretium à la via Aemilia, axe dorsal pour la vallée du Pô, construite aux pieds des Apennins ; d’autres voies d’origine étrusque, reliant la cité à Ariminum empruntant divers parcours à travers les Apennins. Voir la synthèse de R. Chevallier sur le passage des Apennins : Chevallier, 1997, p. 186-188. Sur les questions topographiques, voir une bonne situation dans : Schiatti, 1995, p. 217 sqq. ; sur le système viaire romain autour d’Arretium, voir Uggeri, 2009.

86  La nouvelle de la désertion de la légion Martia parvint à Antoine avant la séance du Sénat prévue pour le 24 novembre. Il dut repousser cette dernière de quatre jours, le temps d’aller jusqu’à Alba Fucens où s’était retirée cette légion pour tenter de la ramener à lui (l’ajournement de la séance ne fut pas, comme le prétend faussement Cicéron, causé par le difficile lendemain d’un banquet orgiaque ! Phil., III, 8, 20). La nouvelle de la désertion de la légion IVa lui parvint précisément le jour prévu pour cette nouvelle séance : Cic., Phil., III, 3, 7 ; IV, 2, 6 ; XIII, 9, 19 ; DC., XLV, 13, 3. Appien semble condenser les deux défections dans le récit qu’il en donne : Civ., III, 45, 185-186.

87  On pourrait ajouter une raison logistique, si l’industrie métallurgique, active dans la cité au IIIe s. (en 205 : Liv., XXXVIII, 45, 16), était encore attestée à la fin de la République.

88  Constatant que les sources perdent la trace de César le Jeune entre le siège de Sentinum et son arrivée à Perusia, pendant la guerre de Perusia, M. Sordi fait l’hypothèse invérifiée et invérifiable qu’il s’était cantonné à Arretium pour attendre l’arrivée d’Agrippa : Sordi, 1985, p. 310-311, repris dans 2009, p. 173.

89  Sordi, 1972, p. 13-17. M. Sordi fait la liste des corps de troupe à la disposition de César le Jeune à cette date pour trouver la trace de la cohorte prétorienne qui périt dans l’engagement de Forum Gallorum. Elle conclut qu’il ne s’agit pas de la legio Martia, qui est nettement différenciée de la cohorte (Cic., DCCCLXIV = Fam., X, 30, 3 ; App., Civ., III, 69) ; pas non plus de la Quarta, qui arrive avec les vétérans de la VIIa, et au sein de laquelle on ne compta pas de perte, alors que la cohorte prétorienne périt tout entière (Cic., Phil., XIV, 10, 7 et 12, 31) ; pas non plus des trois mille vétérans recrutés en Campanie, puisqu’ils reformèrent la VIIa et la VIIIa. Resteraient donc uniquement les recrues enrôlées à Ravenna et à Arretium (Sordi, 1972, p. 14-15). En réalité, il paraît peu vraisemblable que les corps de troupes puissent être à ce point différenciés : parmi les recrues nouvelles, une bonne part fut sans doute répartie parmi les VIIa et VIIIa car, même si toutes les légions ne combattaient pas au complet, les trois mille vétérans de Campanie ne suffisaient pas à former deux légions. Rien n’interdit donc de ce fait que la cohorte prétorienne ait été composée avec les meilleurs éléments de ces légions.

90  Cic., DCCCLXIV = Fam., X, 30, 5 ; App., Civ., III, 69, 282.

91  Keppie, 1996, p. 117 citant Durry, 1938, p. 238 sq. et Passerini, 1969, p. 159 sq. Si l’hypothèse de M. Sordi était vérifiée, il faudrait voir dans les modes de recrutements impériaux un retour aux pratiques triumvirales.

92  La première mention historique de la cohorte prétorienne se trouve, à notre connaissance, chez Cicéron et concerne celle de Cn. Carbo, consul de 82 a.C., connue par les comptes déposés par son pro-questeur, Verrès (Verr., II, 1, 13 (36)). La série des discours du plaidoyer contre Verrès signale à de nombreuses reprises une cohorte (par exemple en II, 2, 30, 34, 66…) qui ne reçoit que rarement le qualificatif de praetoria (II, 3, 70), et dans laquelle l’adversaire de Cicéron recrute juges et récupérateurs : on le voit, cette cohorte n’a rien de militaire. Aussi faut-il conclure que la cohors qui accompagnait un promagistrat n’était pas entièrement composée de soldats et qu’on avait dû prendre l’habitude de comprendre sous le terme de cohors, les amis et conseillers privés qui l’accompagnaient (Cicéron lui-même semble avouer qu’il s’agit là d’une facilité de langage répandue : voir Cic., XXX = Q. fr., I, 1, 4, 12). De fonctions différentes, les deux groupes, l’un militaire, l’autre civil, constitués autour du gouverneur étaient parfois confondus sous la même désignation, celle de cohorte militaire (Tullio, 1942). Il est possible, comme le fait remarquer M. Durry, que la composition de la cohorte ait dépendu à la fois de la personnalité du promagistrat et surtout de la mission qui lui était imposée : une chose était de gouverner la Sicile, une autre de gouverner la Cilicie par exemple, où la cohorte de Cicéron, en garnison à Epiphanea, dut repousser une incursion des Parthes (Cic., CCXXIX = Fam., XV, 4, 7) : Durry, 1938, p. 71-72.
Sous le triumvirat, on les voit apparaître : pendant la guerre de Modène : Cic., Fam., X, 30, 3 = DCCCLXIV et App., Civ., III, 69 ; après Philippes : App., Civ., IV, 15, 115 ; guerre de Perusia : App., Civ., V, 24, 96. Pendant le Principat, le stationnement de cohortes prétoriennes à Aquileia, attesté par l’épigraphie, s’expliquerait par le fait que la Pannonie fut une des régions troublées pendant tout le règne d’Auguste et jusqu’à la veille de sa mort, puisque Tibère s’y rendait lorsqu’il fut rappelé par une lettre de Livie craignant la fin prochaine d’Auguste (Suet., Tib., XXI, 1 et Tac., Ann., I, 5).

93  César n’en eut vraisemblablement pas. Le terme n’apparaît dans ses œuvres qu’une seule fois à titre de comparaison : lorsque, en 58 a.C., dans la campagne contre Arioviste, la peur des Germains déclencha une panique dans l’armée qui menaçait de l’abandonner, César prononça une harangue dans laquelle il affirma qu’il marcherait malgré tout au combat se cum sola decima legione (…) e qua non dubitaret, sibique eam praetoriam cohortem futuram, « suivi seulement de la dixième légion, dont il était sûr, et qui lui servirait de cohorte prétorienne ». Il disposait en revanche d’une garde personnelle de Germains jusqu’en 44 a.C.

94  Le terme technique désignant la cohorte prétorienne (σπείπα στρατηγίς) n’apparaît que tard (entre octobre et novembre 44 a.C. pour Antoine), et les premières troupes recrutées par l’un et par l’autre des Triumvirs sont appelées par les auteurs soit φυλακὴ τοῦ σώματου soit φρουρά τοῦ σώματου (comme en App., Civ., III, 5, 13-14 où le Sénat accorde à Antoine l’autorisation de se recruter une garde personnelle). C’est sous le Triumvirat que le nombre de mentions aux cohortes prétoriennes croît considérablement. Il est d’ailleurs vraisemblable que les accords de Bologne aient prévu l’octroi d’une au moins de ces cohortes à chacun des triumvirs : lors de leur retour à Rome, après le pacte du mois de novembre 43, ils étaient chacun accompagnés d’une cohorte dans un cérémoniel visiblement solennisé : App., Civ., IV, 2, 7.

95  Tac., A., IV, 5, 3. Le texte est confirmé par l’épigraphie, selon les relevés effectués par Passerini, 1969, p. 148-156. Keppie, se fondant sur l’échantillon trouvé à Aquileia, récuse cependant ce fondement géographique au recrutement sous le Haut-Empire (Keppie, 1996, p. 118).

96  À cette époque, les cohortes furent démobilisées et loties à Augusta Praetoria (Str., IV, 6, 7 et DC., LIII, 25, 5 ; voir Barocelli, 1970 ; van Royen, 1973 ; Cavallaro, 1988), sans doute par le beau-frère de Mécène Terentius Varron (sur cette question, voir infra chapitre 8) ; à Gunugu en Maurétanie (Plin., V, 20 : les prétoriens d’Antoine ?), sans doute en 25 a.C. : Mackie, 1985, p. 337-343. L’installation de prétoriens à Philippes semble dater en revanche des suites de la bataille de Philippes : Keppie, 1983, p. 35 et 60.

97  Sen., Ep., 114, 6. Cf. infra chapitre 5.

98  Castrèn, 1975, p. 95 sq.

99  Keppie, 1983, ne signale Arretium que comme lieu de colonisation probable sous César, cf. supra, p. 187.

100  AE, 2011, 1703.

101  CIL, VIII, 20213 : le formulaire au génitif pourrait laisser penser à une date haute, d’autant plus que la cité fut probablement une colonie déduite par Auguste (voir CIL, VIII, p. 715, et Plin., V, 21). Maecenas est employé comme cognomen deux fois en Afrique, mais à des dates indéniablement plus tardives : une fois à Ammaedara (CIL, VIII, 368) et une fois dans une autre inscription de Carthage (AE, 2011, 1708). Les éditeurs de ce dernier texte font du personnage un avocat du fisc (?) et supposent, vu la rareté du nom, que le personnage concerné n’était pas africain, mais qu’il mourut en poste à Carthage (Ben Abdallah et allii, 2011, n° 183). L’AE retient la lecture [e]vocatus Aug (usti), plus que [ad]vocatus Aug (usti). En tout état de cause, la datation tardive est imposée par le fait que Maecenas avait alors évolué en fonction de cognomen.

102  Voir CIL, X, 6104 (de Formiae). Sur le personnage, voir Gascou, 1984 ; Fischwick, 1994 ; Alelly, 2000, p. 44-47 ; Ferriès, 2007, n° 24 et Aounallah, 2010, p. 59-64.

103  CIL, VIII, 26274.

104  Ce qui est sûr est que la préfecture mentionnée dans l’inscription de Formiae est de nature fiscale. La chronologie de la carrière de Phileros est en revanche discutée. J. Gascou penche pour une collecte des impôts pour le compte de Carthage dans les castella attribués à Carthage dans la réorganisation augustéenne : Gascou, 1984, p. 119 ; Fishwick, 1994 propose une date qui tient compte de l’hypothèse selon laquelle la réorganisation de Carthage et de sa pertica dateraient de 44 a.C., et il place la préfecture de Phileros pendant le gouvernorat de Lépide entre 40 et 36 a.C.

105  Voir définition de l’OLD, s.v. dirigere, 1, c.

106  Fischwick, 1994, p. 72-73.

107  Voir Saumagne, 1962. Le lieu de découverte de l’inscription, sur la colline de Byrsa, semble plus lié à la nouvelle extension (sur l’ancien territoire de la Carthage punique) augustéenne, qu’à la colonie césarienne et pourrait correspondre au centre des axes principaux de la trame urbaine. Sur ce sujet, voir en dernier lieu, Gros, 1990, p. 550 en particulier. L’auteur signale justement qu’il était important, lors de la refondation augustéenne, de modifier complètement l’aspect du lieu pour éradiquer la malédiction du sol : au bouleversement du relief, on peut ajouter la réorientation du plan de la colonie et de son territoire (p. 111). Sur la refondation de la colonie en 29- 28, voir les hypothèses de Mokni, 2008.

108  Au rang desquels il faut compter Lépide dont il ne faut pas négliger les réalisations en Afrique : Allély, 2000, p. 44-47.

109  Voir par exemple à Pola, le nom des deux premiers duumvirs est inscrit sur une des portes de la ville : CIL, V, 54 = Inscr. It., X.1, 81 = ILLRP, 639. Ces deux magistrats furent certainement responsables de la construction de la première enceinte de Pola ou de sa planification.

110  DC., LII, 43, 1.

111  Le nomen du second édile peut toutefois renvoyer à une famille plus ancienne à Carthage : voir Lassère, 1977, p. 462. Le nomen se retrouve sinon dans d’autres installations coloniales césariennes ou augustéennes, sans qu’on puisse toujours dater la première attestation du gentilice et donc l’immigration italienne dans la cité : Uchi Maius (césarienne, p. 157) ; Sicca (césarienne, p. 149-150) ; confédération cirtéenne (césarienne, p. 183) ; Thuburnica (augustéenne, p. 217 : le Memmius appartient à la tribu de Carthage et a donc probablement été envoyé de cette cité dans l’établissement de Thuburnica, cf. p. 462).

112  Voir la fortune de sa famille sous le principat d’Auguste : Ferriès, 2007, n 129, p. 470.

113  Sur le sort de Perusia, voir chapitre 5, p. 237. On connaît un autre cas d’un magistrat qui fut en fonction de part et d’autre d’un changement de statut de la cité, dans le cadre, violent, d’un sac au cours d’une guerre civile. Il s’agit de Saufeius qui fut préteur puis duumvir de Praeneste autour de sa prise par Sylla en 82 a.C. (CIL, I2, 1467 = XIV, 2994). L’étude onomastique de Degrassi montre que les Saufeii étaient présents Préneste avant le sac syllanien : Degrassi, 1969, p. 116.

114  CIL, XI, 1943.

115  CIL, IX, 4205 et 4455.

116  Voir chapitre 8, p. 385-388.

117  Hall, 1984, n° 73.

118  Lequel utilise un modèle d’urne très ancien, sur lequel l’épitaphe est une bilingue, qu’il place dans l’ancienne tombe gentilice des Velimna, auquel il se rattache, peut-être fictivement grâce à la proximité de son nomen avec celui de cette gens. Nous traiterons le cas dans notre étude en préparation sur l’expression de l’identité étrusque au Ier s. a.C.

119  L’étude la plus complète est celle de Keppie, 1983. On notera une fois pour toutes la très importante précision méthodologique donnée par l’auteur, p. 48 : seuls 0,1 % des colons installés sont connus par l’épigraphie. Toutes les remarques à venir sont donc soumises, d’une part, à la découverte potentielle de nouvelles inscriptions qui viendraient enrichir notre connaissance des vétérans en Italie, d’autre part, à la limite toujours perméable que constitue l’argument a silentio. Pour les installations en 36 a.C. après Nauloque, voir aussi Mundubeltz, 2000.

120  Les déductions de Philippes ayant été décidées en 43 a.C. à Bononia, faut-il voir là la raison de l’opposition acharnée à Antoine que manifestèrent les Capouans en 44 dont témoigne Cicéron (Phil., XII, 7) ?

121  Panciera, 1977, p. 191-211 ; Keppie, 1983, p. 70-71. Au sujet de cette colonie, G. Mundubeltz fait remarquer que les compensations offertes par César le Jeune selon Vell., II, 81, 2 et DC., XLIX, 14, 5 n’ont très vraisemblablement pas été accordées à ce moment-là mais furent destinées à lénifier le souvenir des opérations coloniales post-Nauloque en les opposant aux expropriations forcées d’après Philippes (Mundubeltz, 2000, p. 180). Son argumentaire n’emporte pas la conviction : selon lui, il était impossible qu’après Nauloque César le Jeune donne à Capua les revenus de territoires situés en Crète attendu qu’à cette époque, cette province était dans le lot d’Antoine ; de même, l’aqua Julia qui lui fut donnée ne date que de 33 a.C. Le premier argument peut être réfuté : des interférences dans les sphères des deux triumvirs pouvaient se produire, même si elles demandèrent à être confirmées par la suite. Quant à l’aqua Julia, G. Mundubeltz paraît songer à l’aqueduc de Rome inauguré par Agrippa en 33 a.C. alors qu’il s’agit, les deux textes sont clairs, d’un aqueduc capouan qui porte ce nom : on voit mal comment le bénéfice d’un aqueduc romain aurait pu profiter à Capua.

122  Après Philippes : Bononia, Concordia, Cremona, Tergeste ; après Actium : Ateste, Augusta Taurinomrum, Brixellum, Brixia, Dertona, Mutina, Parma, Placentia.

123  Dans l’ordre en partant du sud : Hadria, Asculum (à l’intérieur des terres), Firmum, Ancona. On peut rajouter sur ce cordon littoral Pisaurum qui appartint ensuite à la regio VI, et Ariminum en Cisalpine.

124  Keppie, 1983, considère ce cas comme douteux (p. 77) ; sur l’établissement césarien, justifié par l’épithète Iulia que porte la cité beaucoup plus tard (CIL, XI, 3576-78), alors que Pline ne compte pas la cité comme colonie augustéenne (p. 172). Sur le déclin de cette cité, revivifiée sous César, voir Gianfrotta, 1981, p. 410.

125  Cic., DII, 2 = Fam, IX, 17, 2, lettre à L. Papirius Paetus, envoyée début septembre 46 a.C. : il y est question d’opération d’arpentage dans les territoires de Capena et Veii et Cicéron craignait pour son domaine de Tusculum.

126  Keppie, 1983, p. 168-169.

127  Keppie, 1983, p. 77 note ce cas de colonisation comme douteux après Actium ; voir aussi p. 170-171.

128  CIL, XI 3254 et XI, 3322. Diverses interprétations ont été données au nom : Duncan, 1958, p. 68 n.9 y voit une indication d’une fondation commune des triumvirs ; Philipp, dans RE, IV.A.1 (1931), s.v. Sutrium, pense à une réunion de vétérans d’Antoine et de César le Jeune ; Pais, 1923, p. 174, est d’avis que l’épithète signale la fusion de la population locale et des vétérans. À son tour, Keppie, 1983, p. 170 pense que Conjuncta magnifie peut-être les liens forts qui existaient entre cette cité et la famille des Julii.

129  Pour cette dernière citée : l’argument retenu est celui du renouveau architectural à la fin du Ier s. a.C., qui n’est pas forcément une preuve.

130  Suet., Caes., 24, 1.

131  Keppie, 1983, p. 175-176.

132  Voir estimation de Keppie, p. 76, d’après RGDA, 16, 1.

133  DC., LI, 4, 6.

134  Keppie, 1983, p. 80 : des colons furent envoyés en Afrique, en Maurétanie, à Patras, Berytus, Alexandria Troas (?).

135  Ce qui contribua sans doute à renforcer le parti de Lucius Antonius pendant la guerre de Perusia même.

136  App., Civ., IV, 3, 10.

137  À suivre la description du territoire dans l’introduction du CIL, on aboutit effectivement à un territoire extrêmement vaste de Santa Mama au nord, à San Savino, aux portes de Perusia au sud, puis de Terranuova à l’ouest jusqu’à Borgo San Sepolcro à l’est. Le volume dirigé par Camporeale et Firpo, 2009 consacré à Arretium ne propose jamais, sinon de façon très éparse, de délimitation du territoire de la cité. Pour une approche géographique fondée sur le réseau viaire, voir Uggeri, 2009.
Benelli, 1998 [2001], p. 262-263 avait proposé de voir dans les différentes communautés d’Arétins mentionnées par Pline plusieurs groupes installés dans de petits centres ruraux sur le territoire d’Arretium. L’archéologie n’a pas encore confirmé – ni infirmé – cette hypothèse.

138  DC., LXVIII, 6, 3 : exemption de confiscation des lots déjà reçus ; 8, 5 : exemption pour les biens des sénateurs et des tout petits propriétaires (ceux dont la terre est plus petite que les lots destinés aux vétérans) ; 9, 3 : exemption des parents des vétérans et des familles des soldats tombés au front (Freyburger et Roddaz, Dion Cassius, livre 48, p. 10 n. 63, remarquent à juste titre que les familles des soldats n’étaient pas considérées comme petits propriétaires puisque ceux-ci avaient déjà été protégés par la mesure rappelée en 6, 3).

139  Manacorda, 1981, p. 28-41 ; Carandini et alii (dir.), 1985.

140  Il semble que la famille des Valerii Messallae avait un domaine sur le territoire de la cité. En effet, un poème du corpus tibullianum attribué à la poétesse Sulpicia (III, 14 = 4, 8), laisse entendre que son oncle Valerius Messalla qui devait avoir sa tutelle (III, 14 = 4, 8, 5 : Messalla mei studiose, « Messalla trop occupé de moi » ; il semble qu’à la mort de son père, en 42 (?), sa mère ne se soit pas remariée : voir Münzer, dans RE, IV.A.1 (1931), s.v. Sulpicius n° 96), avait l’habitude d’emmener la jeune fille dans sa maison de campagne d’Arretium, dont elle redoutait l’ennui… Sur le personnage, voir Kroll, dans RE, IV.A.1 (1931), s.v. Sulpicia, n° 114 car Breguet, 1946, p. 28-34 relève plus de l’analyse littéraire psychologisante. Sur les propriétés d’Arretium, voir aussi Fatucchi, 1976. Voir plus bas sur la présence du nom dans l’épigraphie arétine.
Torelli, 1969, p. 291-294, Ciampoltrini, 1984 et Hall, 1984 ont réuni les sources qui permettent de recenser les sénateurs originaires d’Arretium connus pour la fin de la République et le début de l’Empire. Pour ce qui nous intéresse, on peut signaler un premier groupe de trois individus sénateurs au milieu du Ier s. a.C. mais dont l’origine arétine repose sur des rapprochements onomastiques purement conjecturaux : Attius Celsus (préteur en 65, défendu par Cicéron), est rattaché à Arretium ou à Volaterrae sur la foi d’un homonyme connu par CIL, XI, 7487, inscrit dans la Pomptina : Hall, n° 14 ; T. Rufrenus (RE, I.A.1 (1914), s.v. Rufrenus, n° 1, légat de Lépide en Gaule Narbonnaise en 43, tribun de la plèbe en 42 a.C.), rapproché par Wiseman, 1971, p. 257 et Id., 1987, p. 6-14 du fabricant de céramique arétine [Hall, 1984, n° 77] ; et C. Vibienus (défendu par Cicéron en 58 a.C., alors qu’il était déjà sénateur), rapproché par Wiseman, ibidem, d’un autre fabricant de céramique arétine (Hall, 1984, n° 99). Torelli, 1977, p. 253-254 signale à juste titre que, même si ce rapprochement était effectif, l’origine arétine des sénateurs n’est pas assurée car les fabriques pourraient s’avérer être des investissements hors de leur cité d’origine. La présence de propriétés, liées à l’activité manufacturière, est en revanche envisageable.
Un second groupe de familles prit son essor à la fin de l’époque augustéenne : initié par les Cilnii à l’époque augustéenne, sans doute sous l’impulsion de Mécène, (Torelli, 1969, p. 291-292 ; Id., 1982, p. 289 ; Hall, 1984, n° 28), le mouvement fut poursuivi avec la famille des Martii dont l’ascension doit être fixée dès la fin de l’époque augustéenne (Ciampoltrini, 1984, p. 503-506, grâce au rapprochement de deux inscriptions dont une considérée comme appartenant à un ignotus par Torelli, 1969, p. 294, propose une datation plus ancienne que celle de Torelli, 1969, p. 292-293 ; Id., 1982, p. 289 ; Hall, 1984, n° 60).
Les autres sénateurs arétins sont datés de Claude (Ciartii, Torelli, 1969, p. 291, Id., 1982, p. 289 ; Hall, 1984, n° 27), de l’époque flavienne (Avilii : Torelli, 1969, p. 294, Id., 1982, p. 289 ; Petilii Firmi : voir l’état de la question dans Buonocore, 2009, p. 194 ; Valerii Festi, descendants de colons augustéens, connus par les urnes CIL, XI, 1863- 1864 et 1895 : Torelli, 1982, p. 289 ; Ciampoltrini, 1984, p. 506). En revanche, on ne voit pas pourquoi Hall, 1984, n° 69, p. 342, signale un Petronius Asellio de « law senatorial rank » attendu que la pierre qui fait connaître sa carrière (CIL, XIII, 6816) ne donne que des fonctions équestres. Tous ces sénateurs semblent avoir été impériaux et n’entrent donc pas en ligne de compte pour le problème qui nous intéresse ici.

141  Voir AE, 1972, 174 = AE, 1982, 268.

142  I. Shatzman recense pour la période allant de Sylla à Auguste près de dix-neuf familles sénatoriales propriétaires en Étrurie (Shatzman, 1975, p. 29), dont celle de César et d’Auguste lui-même (à Alsium, voir son catalogue prosopographique n° 152 et 153). Mais nous sommes bien loin des 71 propriétaires connus dans le Latium et 46 en Campanie (p. 29) qui auraient dû protéger bien plus encore ces régions pourtant massivement frappées par la colonisation. Même si l’on admet l’effet de source qui rend plus visible pour nous ces deux régions par rapport à d’autres moins favorisées, il est clair que la propriété sénatoriale devait y être plus importante qu’ailleurs.

143  Torelli, 1982, p. 281-282 ; Hall, 1984, p. 110-119.

144  Voir le Curtius, sénateur de création césarienne, pour lequel Cicéron intercède auprès de Q. Valerius Orca afin qu’il ne perde pas son domaine à Volaterrae qui suffisait à peine à lui assurer le cens sénatorial (Cic., DLIV = Fam., XIII, 5). Le catalogue prosopographique de Shatzman montre par ailleurs que sur les dix-neuf sénateurs propriétaires en Étrurie bien peu appartenaient aux hautes couches du Sénat et certains n’étaient pas nobiles.

145  Dans ce cas, les terres qu’ils avaient reçues une première fois étaient redistribuées.

146  Voir Brunt, 1971, p. 300-312.

147  Santangelo, 2007, p. 147-157.

148  Voir Brunt, 1971, p. 305-309.

149  Il existe des cas documentés de cités qui refusèrent parfois violemment les réquisitions dont elles étaient la proie de la part des triumvirs ou de leurs envoyés. Ainsi à Patavium en 40, les propriétaires refusèrent la remise des armes et biens exigée par Asinius Pollion, sans doute envoyé par Lucius Antonius (Macr., Sat., I, 11, 22). Voir aussi tableau 1, ligne 19. Mais le fait ne semble pas avoir eu de conséquence ensuite. La situation eût-elle été différente si Lucius Antonius avait vaincu ?

150  Cic., Phil., II, 107.

151  DC., XLIX, 15, 1.

152  Voir pourtant le beau dossier de recommandations diverses et de manœuvres politiques menées par Cicéron pour Volaterrae, étudié par Deniaux, 1991.

153  Voir App., Civ. V, 128 sur la classe dirigeante créée par les centurions et les tribuns vétérans.

154  DC., LI, 4, 6.

155  L’inscription de Clusium, en admettant qu’elle soit une dédicace à Mécène fut-elle érigée en remerciement d’une telle action ? Sur cette inscription, voir chapitre 1, n. 33.

156  CIL, I2, 593. Pour l’édition et le commentaire, voir Crawford et Nicolet, dans RS, I, n° 24, p. 355-391.

157  Le texte porte la mention récurrente des différents statuts administratifs que pouvaient porter les cités : municipe, colonie, préfecture, forum ou conciliabulum.

158  On a parfois daté la loi de l’époque suivant la Guerre sociale : e.g. Moreau, 1994, p. 127 (la loi fonctionne déjà pour le cens de 86 a.C.). Certains la considèrent comme une lex Julia aux dispositions cohérentes entre elles, prise à l’initiative de César en 45 (Lo Cascio, 1990, p. 308 sq.). Cependant, l’opinion la plus couramment admise est celle qui la considère comme un texte composé de dispositions tralatices dont l’unification et la gravure remontent peut-être à l’époque césarienne et dont, à la limite, seuls certaines dispositions constituent une partie d’une lex Julia municipalis dont l’existence est effectivement attestée par ailleurs (Yavetz, 1990, p. 133-139 en doute cependant). Sur ces différentes hypothèses, voir Crawford et Nicolet, dans RS, I, p. 360-362.

159  Pour les sources, voir : MRR, II, et infra, n. 212.

160  Voir les discussions infra p. 221 et n. 214.

161  Sur cet aspect, qui n’épuise, semble-t-il, pas la signification de ce recensus, voir Virlouvet, 1995, p. 166-195, et commentaire infra p. 221.

162  Suivant, nous l’avons vu, l’hypothèse de Lo Cascio, 1990.

163  Plin., XXXVII, 4 (10), « Bien sûr, la grenouille de Mécène était aussi fort redoutée lors des perceptions d’impôts ».

164  Macr., Sat., II, 4, 12. Bardon, 1949 et Id., 1952-56, n’envisage cependant pas la possibilité que ces mentions proviennent de traités techniques. Il est vrai qu’il se fondait avant tout sur les fragments. André, 1983, p. 1768, prétend que le Banquet écrit par Mécène était dominé par la curiosité scientifique, sans évidemment pouvoir le prouver.

165  Le terme de pecunia, dont l’étymologie renvoie aux biens non monétaires, est toujours polyvalent, et il est difficile de déterminer son sens exact hors celui de fortune, patrimoine (voir par exemple en Plin., XXXIII, 7, 29, les pecuniae indices qui permettent à un personnage d’entrer dans l’ordre équestre sont les révélateurs, les signes de la grandeur du patrimoine). Dans certaines expressions, au contraire, il semble clair que le terme désigne une somme en argent comptant en monnaie courante (Nep., Han., 9, 2 ; ou bien les pecuniae de Plin., Praef., 9 qui désignent dans ce dernier cas les sommes remises lors de tentatives de corruption électorale).

166  Liv., XXX, 44 à Carthage : il y est question de réunir des fonds pour payer les indemnités imposées par Rome à la fin de la deuxième guerre punique.

167  Le dictionnaire de Gaffiot dans les acceptions fiscales du mot donne deux sens : contribution, souscription ; en part. offrandes faites aux empereurs (ce qui sous-entend une notion d’offrande volontaire). L’OLD donne : 2°) a) : payment of a tribute, other money or goods to the state, the emperor or any common or special fund ; hence, tribute, tax, capital levy ; b) fund raised from contribution. Sur le sens du mot, voir : Nicolet, 1976, p. 20, n. 34 et p. 24.

168  L’association pecunia + collata n’apparaît pas très souvent dans les textes, mais ne désigne jamais un impôt. Elle peut faire référence à l’argent réuni pour célébrer des jeux promis pour une victoire (Cic., Flac., 55, Liv., XXXIX, 22, 8 et 9 ; XL, 44, 8) ou bien donné comme contribution exceptionnelle pendant la guerre hannibalique et dont le remboursement devait s’effectuer en trois tranches (Liv., XXIX, 16, 1 ; XXXIII, 42, 3). Dans le cas de Plin., Ep., IV, 13, 5, il s’agit des honoraires que les parents d’élèves devront payer pour l’installation de l’école de Côme.

169  Quelques exemples suffiront à montrer la diversité des groupes dont émanent les collectes de fonds. Certains mentionnent explicitement leur caractère volontaire et distinct des finances publiques : CIL, III, 12299 (ordo de Thesprotia en Macédoine, l’argent est collecté viritim) ; CIL, VIII, 5146, l’ordo splendidissimus Thagastensium réunit des fonds certatim (en luttant de générosité) ; CIL, X, 411, à Volcei, distincte de la pecunia publica, il s’agit de pecunia conlaticia (provenant d’une collecte) quam municipes et incolae sua voluntate contulerunt ; enfin en CIL, X, 689 à Surrentum l’argent issu des caisses de la cité est clairement différencié de celui provenant des dons du populus, puisque deux statues sont offertes au personnage honoré, altera ex pecunia publica, altera ex aere a populo conlato. Il semble que l’expression pecunia conlata, soit moins fréquente et d’emploi plus tardif dans les inscriptions, que celle d’aere conlato (à moins qu’elle ne soit motivée par l’opposition à la pecunia publica). Sur l’emploi de ces expressions qui n’apparaissent en tout cas pas dans l’épigraphie républicaine, voir, Ferguson, 1918, Corbier, 1983, p. 733-735, qui réfute à juste titre certaines propositions de Mrožek, 1981.

170  CIL, I2, 3031 = CIL, XIV, 375. Pour une description générale de l’inscription, voir en dernier lieu Cébeillac, Caldelli, Zevi, 2006, n° 11, p. 95-101.

171  Interprétation de Zevi, 1973, p. 575 et 2004, p. 62-63 ; contra Lepore, 2005, I p. 242 et II p. 11, n° 10.

172  Pour la datation du bellum navale en 37 : Meiggs, 1973, p. 499 ; Panciera, 2004. d’Arms, 2000, p. 199, place le bellum navale à l’époque triumvirale et refuse d’identifier les quatre temples mentionnés dans l’inscription avec ceux déjà trouvés à Ostie, comptant sur d’éventuelles nouvelles découvertes archéologiques pour résoudre le dilemme. Zevi, 1973, p. 567-71, au contraire remonte la chronologie et identifie les quatre temples offerts par Gamala senior aux quatre temples datés de l’époque de Sylla (Zevi, 2004, p. 62). Cl. Berrendonner, 2010, p. 310 et 316 ne tranche pas : tantôt elle considère le cas de Gamala comme un précédent à l’action de César le Jeune en 38-37, tantôt elle considère que le cas d’Ostie est daté de cette période. Quant à Salomies dans Arctos, LXXVII, 2003, p. 133-157 considère que le bellum navale ne désigne qu’une naumachie et pas un combat naval réel.

173  Voir l’analyse convaincante de Berrendonner, 2010, p. 309-310.

174  Le verbe polliceri est employé par Gamala et Cic., Phil., VII, 8, 23 ; VIII, 2, 4 et XII, 3, 7 qui commente les événements de 43 a.C.

175  Cf. pour les sources, le tableau 1, lignes 18-20. D’après une source tardive, le scholiaste de Virgile Servius Danielis précise que Cornelius Gallus, que J. Bayet intégrait dans une imaginaire commission agris dividundis (Bayet, 1928, p. 276), était chargé de lever des sommes dans les cités dont le territoire avait été laissé intact : s’agit-il d’un autre parallèle à ces levées « sauvages », auxquelles il fut procédé après la Guerre sociale ? Voir Serv. Dan. Ad Verg. Buc., VI, 64 (a triumviris praepositus fuit ad exigendas pecunias ab his municipiis quorum agri in Transpadana regione non dividebantur) et MRR., II, p. 377.

176  App., Civ., V, 27, 106.

177  Voir Coudry, 2009, p. 172-173 qui montre que l’or coronaire, dont les sources précisent très régulièrement le poids – donc la valeur financière – était devenu depuis les dictatures de César une contribution détachée de sa nature d’offrande en contexte de triomphe qui était la sienne à l’origine (la réglementation du versement de l’or coronaire au seul triomphateur datait pourtant de 59 a.C. avec la lex Julia de repetundis (Cic., Pis, 37, 90).

178  Appien semble signifier que César le Jeune remboursa effectivement ces temples puisqu’il précise qu’ils étaient à son époque très riches (Καὶ νῦν : App., Civ., V, 3, 24 (97)).

179  C’est bien ce que le vocabulaire employé par Appien (par exemple en Civ., V, 67, 282), laisse entendre. Cf. tableau 1. Le verbe προγράφειν est employé la plupart du temps. Le droit des triumvirs d’émettre des édits devait leur permettre de régler leur politique fiscale. Voir Laffi, 2001, p. 431. Sur le droit d’émettre des lois ou des édits : Laffi, 1993, p. 40-42.

180  Plin., XXXVII, 4 (10), DC., LI, 3, 5-7, et, sur l’usage de ce sceau au sphinx, chapitre 6, p. 324-325.

181  Tout au plus, eut-il à en confirmer l’abolition totale (pour les hommes libres) ou partielle (pour les affranchis). DC., LI, 3, 3 précise en effet que l’imposition ne fut pas entièrement rapportée pour cette dernière catégorie, mais seulement le montant des sommes encore dues fut abaissé à un quart.

182  Pour les sources, nous renvoyons systématiquement à l’avant-dernière colonne du tableau.

183  App., Civ., IV, 3, 9.

184  App., Civ., IV, 32-34, 135-146.

185  Nicolet, 1988 [1976], p. 245.

186  DC., XLVIII, 5, 1.

187  DC., XLVIII, 2, 2, nuancé par Allély, 2004, p. 143-148.

188  App., Civ., V, 27, 106.

189  DC., XLVIII, 10, 1 à Plaisance par les troupes de Salvidienus Rufus.

190  Lors de la création de la vicesima hereditatium en 6 p.C.

191  App., Civ., V, 67, 282.

192  Cf. chapitre 6, p. 315-321.

193  C. Trebonius et L. Tillius Cimber, membres de la conjuration, avaient été désignés comme gouverneurs d’Asie et de Bithynie par César. Leur office fut confirmé par le Sénat après les Ides (App., Civ., III, 2, 4 ; Plut. Brut., XIX, 2). Dès leur arrivée dans leur province ils mirent leurs ressources au service des tyrannicides (Cic. CMXIX = Fam. XII, 13, 3 ; App., Civ., III, 6, 18 ; DC., XLVII, 21, 3 et 26, 1). En automne, les deux tyrannicides occupent la Macédoine et la Syrie, puis la Cilicie. Certes, Dolabella reçut pour 43 a.C. la Syrie (Cic., DCCXXVIII = Att., XIV, 9, 3) qu’il rejoignit au mois de janvier de son année de proconsulat. Il s’y signala par sa violence à l’encontre de Trebonius qu’il assassina. Il fit force levées de troupes et de fonds, mais il paraît vraisemblable qu’elles ne lui servirent qu’à entretenir les légions qu’il poussait contre les armées des tyrannicides par lesquels il fut finalement vaincu. Sur ces épisodes, voir Magie, 1950, I, p. 418-426.

194  Pour le partage après Philippes, voir DC., XLVIII, 1, 3 ; en 2, 2, il est précisé qu’Antoine irait « réduire ceux qui avaient fait la guerre contre eux et percevoir de l’argent pour payer les sommes promises aux soldats » avant la bataille : les deux missions se situent en Orient. L’argent qu’il avait pour mission de lever en tout cas, avait un but précis qui n’était pas le trésor de Rome.

195  Agrippa fut envoyé en 39 pour pacifier l’Aquitaine, (App., Civ., V, 92, 386, DC., XLVIII, 49, 3 ; pour l’élucidation de la chronologie, voir Roddaz, 1984, p. 66-68 : il apparaît qu’Agrippa partit en Gaule dès les accords de Brindes) et combattit jusqu’au Rhin (DC., XLVIII, 49, 3) : ce parcours de la Gaule s’accompagna très certainement d’une réforme administrative, mais il est difficile, dans l’action d’Agrippa, de démêler ce qui doit être rattaché à son séjour de 40-37 a.C., et de son séjour de 20-18 a.C. Roddaz, 1984, p. 73-74, et 393 n’exclut pas que l’organisation administrative des Gaules par Agrippa ait commencé au cours de son premier séjour, même si la chronologie est difficile à établir. La fiscalité fut très certainement réorganisée à l’une de ces occasions.

196  Voir Dillon, 2007, sur la situation financière de César le Jeune au moment d’Actium.

197  Voir Chillet, Les impôts… en préparation.

198  DC., XLVIII, 43, 1.

199  App., Civ., V, 130, 540. Pour le même épisode, avec moins de détail : DC., XLIX, 15, 3-4.

200  Voir par exemple : CIL, I2, 2663 = ILLRP, 1002, sur une tessère nummulaire ; CIL, I2, 2193 = V, 792 = ILLRP, 199 ; ILLRP, 732, 733, 738, 746, ou plus intéressant encore ILLRP, 810, qui se trouve sur un sceau. Toutes ces inscriptions portent l’abréviation SOC(iorum). Pour la tessère nummulaire sur laquelle apparaît le nom de Mécène, voir chapitre 5, p. 261-264.

201  Voir par exemple Cic., Verr., II, 3, 71 (166-167), où il est question d’une lettre envoyée par la compagnie chargée de l’impôt sur le pacage et les six douanes de la Sicile. Cette missive, lue par Cicéron au cours du procès, comporte la suscription : Litterae missae P. Vetti, P. Servili, C. Antisti magistrorum, « Lettre envoyée par P. Vettius, P. Servilius et C. Antistius, directeurs ».

202  Badian, 1972, p. 72-73 (en général, pour le fonctionnement des compagnies : Chapitre IV : The public companies, p. 67-81) ; Nicolet, 2000, p. 303.

203  Nicolet, 2000, p. 314, sur l’extrême morcellement des levées d’impôts confiées aux publicains en Orient par exemple. La situation ne semble pas toujours se prêter à ce fractionnement des levées : cf. supra n. 201 en Sicile.

204  Destiné à pallier pendant toute la durée du bail avec la République, la solution de continuité impliquée par le renouvellement annuel des directeurs. Nicolet, 2000, p. 304.

205  App., Civ., V, 27, 106.

206  Nicolet, 1976, p. 46-55.

207  Au moins depuis le IIe s. a.C. : cf. Liv., XXXIII, 42, 3 (196 a.C.). Voir Mommsen, DP, t. 4, p. 249-250, et 254.

208  Voir par exemple, pour le monnayage de 32-31 a.C. (RRC, 544), les aurei et deniers qui portent le numéro et le nom des légions pour lesquelles ils furent frappés. On notera que, pour toute la période, les triumvirs frappaient leur monnaie avec un trésor itinérant. Le programme iconographique mentionnant communément les deux représentants principaux du collège s’interrompt en 39 a.C. (les deux dernières séries à les mentionner conjointement sont RRC 528, frappée par Antoine et RRC 529, frappée par César le Jeune). À partir de cette date, les frappes furent vraiment indépendantes les unes des autres.

209  RGDA, XXI, 3 : si les chiffres fournis sont exacts, on comprend ce soulagement : la remise de 29 a.C. concernait plus de dix tonnes d’or pour les seuls municipes et colonies d’Italie (35 000 livres). DC., LI, 21, 4 : c’est Dion qui insiste sur le lien avec la remise des emprunts contracté personnellement par César le Jeune auprès de particuliers, et le soulagement des Italiens.

210  Voir Klauser, 1944, part. p. 138 sq.

211  Nicolet, 2000, p. 201.

212  La loi portée par la Table d’Héraclée conditionne le cens municipal au recensement décrété à Rome par les censeurs ou le magistrat chargé du cens à Rome (l. 143-144 : censor aliusve qui magistratus Romae populi censum aget). Attendu que les censures du Ier s. a.C., hormis celle de 70, n’arrivèrent jamais à leur terme, faut-il supposer que les cités italiennes interrompirent aussi les processus de cens ? Crawford et Nicolet, RS, I, n° 34, p. 389, pensent en effet que l’attestation de quinquennales dans les cités ne traduit pas forcément l’accomplissement effectif de cens municipaux puisque ces magistrats pouvaient avoir d’autres fonctions que purement censoriales.
Pour la déshérence de la censure au Ier s. a.C., voir Wiseman, 1969, Astin, 1985 et Chillet 2014, qui complètent Pieri, 1968, rapide sur cette période. A.E. Astin nuance fortement l’idée d’obsolescence de la censure dans la dernière partie du Ier s. a.C. Il est effectivement bon de noter à sa suite qu’un certain nombre de tâches des censeurs qui ne dépendaient pas du lustrum continuèrent d’être régulièrement effectuées. Il signale par ailleurs que l’absence de lustrum ne devait pas forcément signifier l’absence de réalisation des listes de citoyens. Si tous ses arguments ne convainquent pas, en revanche, il émet l’hypothèse intéressante qu’il existait certainement des procédures parallèles indépendantes du cens pour que l’État romain puisse continuer à fonctionner. Il est permis en effet de supposer que, même si les opérations à Rome n’étaient pas terminées, du fait de leur complication et des enjeux politiques cristallisés autour des listes, les magistrats locaux pouvaient mener à bien leur tâche dans leur cité.

213  Cic., DXVIV = Fam., IX, 15, 5 le nomme praefectus morum de même que DC., XLIII, 14, 4 : ῶν τε τρόπων τῶν ἑκάστου ἐπιστάτην (οὕτω γάρ πως ὠνομάσθη ὥσπερ οὐκ ἀξίας αὐτοῦ τῆς τοῦ τιμητοῦ προσρήσεως οὔσης : « [ils le nommèrent] préfet de la conduite de chacun il reçut ce nom comme si celui de censeur n’était pas digne de lui ». Suet., Caes. XLIII ne précise pas le titre, mais montre César agir comme un censeur et protecteur des mœurs. Lo Cascio, 1990, p. 316-318, reprend l’hypothèse formulée par Zumpt en 1850 et lie l’activité législatrice de César, dont il voit une trace dans la Table d’Héraclée, aux pouvoirs censoriaux dont il aurait disposé.

214  Certaines sources anciennes semblent confondre le recensus des habitants de la ville de Rome destiné à établir les listes de bénéficiaires du blé public, avec un véritable cens, les deux ayant sans doute eu lieu sous César. Voir les remarques de Virlouvet, 1995, p. 168-169. Pour E. Lo Cascio il y eut bien un cens à l’époque césarienne, mais les dispositions de la Table d’Héraclée avaient rendu indépendantes les opérations en Italie et à Rome (ce dont témoignerait bien Dion Cassius qui distingue les deux). Les cités italiennes firent leurs cens dont elles envoyèrent les résultats à Rome, tandis que César procédait au recensus pour la Ville de Rome. E. Lo Cascio souligne sans doute avec raison qu’il ne faut pas réduire ce recensus au seul établissement des listes frumentaires. Ce fut certes un des résultats de l’opération, mais il faut bien imaginer, qu’avant d’arriver à la liste définitive, le recensus vicatim donna des « listes intermédiaires » qui, pour E. Lo Cascio, recensaient tous les cives Romani domo Roma : Lo Cascio, 1990, p. 304 sq. L’idée d’un cens césarien est cependant niée par Crawford et Nicolet, RS, I, n° 24, p. 360.

215  Fasti Amerini (Insc. It., XIII.1, p. 242), Fasti Colotiani (Inscr. It., XIII.1, p. 273, précisent cens (ores) l (ustrum) n (on) f (ecerunt)), Fasti magistrorum vici (Inscr. It., XIII.1, p. 282) ; pour leur action locale en Italie : CIL, I2, 568 = XIV, 2611 = ILLRP, 422.

216  Voir les estimations de Brunt, 1971, p. 480-514.

217  DLIV = Fam., XIII, 5, 2.

218  Le dossier le plus volumineux dans la bibliographie est celui de Virgile. S’appuyant sur certains passages de la vie de Virgile de Suétone-Donat, et sur des mentions internes présentes dans les Bucoliques, un certain nombre d’auteurs ont recomposé l’histoire de la confiscation violente (le biographe parle d’une rixe avec un vétéran qui faillit coûter la vie à Virgile, §20) : le poète aurait été protégé de la confiscation de sa terre paternelle d’Andes, près de Mantua, par le triumvirat agraire constitué par Asinius Pollio, Alfenus Varus et Cornelius Gallus (§19, 63, et interpolation dans 25). Le dossier a été repris par P. Veyne : pour lui, les mentions internes que les auteurs ont trouvées dans les première et neuvième bucoliques ne prouvent pas que Virgile avait perdu sa terre. Elles montreraient en revanche que, propriétaire dans la région, proche des cercles du pouvoir, il avait tenté d’assurer une protection à sa communauté qu’il n’était pas arrivé à lui donner : Veyne, 1980. L. Keppie a par ailleurs montré comment l’archéologie confirmait l’importance des distributions autour de Cremona : Keppie, 2000.
Sur la question du pseudo-triumvirat agraire en fonction dans le nord de l’Italie, proposé par J. Bayet (Bayet, 1928, p. 276), voir MRR, II, p. 377 : Gallus qui n’était que chevalier ne put faire partie d’une telle commission sénatoriale sur le mode des triumvirats agris dividundis gracchiens. Les sources signalent d’ailleurs qu’il n’avait pour mission que d’exiger des sommes aux cités dont le territoire n’avait pas été confisqué (Ser. Dan., ad Verg. Buc., VI, 64). Sur ces questions qui ne sont documentées que par les sources tardives que sont les scholiastes, voir Boucher, 1966, p. 16-24. Voir aussi Dirae de l’appendix vergiliana.
Pour le rapport des autres poètes aux confiscations, voir : Prop., IV, 1, 129-130 et Hor., Ep., II, 2, 49-52.

219  App., Civ., V, 19 ; DC., XLVIII, 6, 4.

220  DC., XLVIII, 6, 3.

221  DC., XLVII, 16, 5 ; App., Civ., IV, 32, 135 et 34, 145.

222  Voir les précisions de Nicolet, 2000, p. 108-114.

223  Voir l’épisode des mille quatre cents puis quatre cents femmes les plus riches (tableau 1, l. 7) ; imposition des hommes de cens équestre-sénatorial républicain, soit cent mille deniers au moins (ligne 8) ; affranchis possédant plus de cinquante mille deniers (ligne 28).

224  DC., LVI, 28, 6.

225  Le dossier est d’importance, mais n’a pas donné jour à des synthèses complètes depuis la parution de l’ouvrage de Thomsen en 1966. Notons cependant, dans l’immense bibliographie, les études suivantes, spécifiquement consacrées aux regiones : Desjardins, 1876, p. 184-202 ; Thomsen, 1966 ; Ørsted, 1988 ; Nicolet, 1991 ; Eck, 1999, p. 125-128 et 138 sqq. ; Laffi, 2007 [2006].

226  Mommsen, Gesammelte Schriften, t. V, Berlin, Weidman, 1908, p. 189 et p. 268- 285 et sa reprise par Tibiletti, 1966. Marquardt, 1892, p. 8-9, puis : de Martino, 1975.

227  Voir Nicolet, 1988, p. 181-223 (quoique dans cet ouvrage, Cl. Nicolet emploie le terme de « décision administrative ») ; Id., 1991. Voir Laffi, 2007, part. p. 104-110.

228  On s’est longtemps appuyé (Thomsen, 1966, p. 149-153) sur certaines inscriptions pour lier les regiones augustéennes à la levée de la vicesima hereditatium, en particulier CIL, VI, 1633, et AE, 1922, 122 qui mentionnent, pour la première, la Campanie pour la seconde un tractus Campaniae. Ni l’une ni l’autre, malgré les suppositions auxquelles se livre Thomsen pour y voir des désignations de la regio I entière, ne doivent se référer à la région augustéenne. De même, CIL, V, 3351, mentionnant une regio Transpadana en lien avec la vicesima libertatis ne désigne sans doute pas la onzième région augustéenne, mais un district beaucoup plus vaste défini géographiquement comme l’espace situé outre-Pô (Laffi, 2007, p. 107-198 contra de Martino, 1975, p. 146). L’inscription, qui marque la sépulture de la familia de la vicesima libertatis pour cette regio Transpadana a d’ailleurs été retrouvée en dehors des limites de la regio XI. Pour la réfutation des témoignages habituellement utilisés pour prouver une utilité administrative des regiones, voir, Eck, 1999, p. 125-128.

229  Peut-être pas avant les juridici créés par Marc Aurèle qui eurent compétence sur des zones regroupant plusieurs des régions augustéennes. Est-ce à dire que ces dernières servirent de base à la définition de leur circonscription ? L’hypothèse demanderait à être prouvée par une étude précise de cas. Marquardt, 1892, p. 19-20, signale que les circonscriptions que donnent les inscriptions aux juridici de Marc Aurèle varient continuellement, ce qui est peut-être l’indice qu’il n’existait pas de circonscriptions fixes. Voir sur ces circonscriptions des juridici Eck, 1999, p. 253-257 (essai d’Hadrien), et 257-275 (pour règlement de Marc Aurèle).

230  Plin., VII, 162-164 cite une liste de centenaires visiblement issue directement d’un cens de la regio VIII effectué par Titus et Vespasien. Les mêmes exemples sont cités par Phlegon de Tralles (Jacoby, II, B, 257, F 37), qui ne mentionne pas, dans le fragment, sa source. On ne sait s’il consulta directement une source censitaire (mais dans ce cas, il serait fort étonnant qu’il ait choisi précisément les chiffres de la regio VIII comme Pline), ou s’il eut pour source Pline, ou bien encore une source commune avec le naturaliste. Quoi qu’il en soit, il semble bien que cet exemple prouve l’existence d’un usage censitaire des regiones, confirmé par l’inscription citée et interprétée en ce sens par Laffi, 2007, p. 111 (avec bibliographie) : AE, 1968, 14 cite un personnage dont une fonction fut [ce]nsendo reg. X.
Selon Nicolet, l’usage des regiones pour le cens peut remonter jusqu’au recensement effectué par l’empereur Claude. Pline, en effet, mentionne quelques paragraphes plus haut (159) un autre centenaire, recensé à Bononia pendant le règne de cet empereur. Attendu que la cité se trouve dans la regio VIII, comme les exemples cités ensuite, sa démarche suppose l’existence de registres régionaux, ou du moins classés par régions dès cette époque, et peut être plus anciennement encore (Nicolet, 1991, p. 93, n. 58). Mais Pline ne mentionne de telles statistiques par région qu’en VII, 162-164, pour le recensement de Titus et Vespasien.

231  Nicolet, 1991, p. 88.

232  Laffi, 2007, p. 113.

233  Laffi, 2007, p. 111. Au contraire, à l’époque du Triumvirat, la tribu semblait conserver encore toute son importance : voir Chillet, La conception…, à paraître.

234  En dernier lieu pour le travail géographique d’Agrippa, voir Arnaud, 2007-2008. L’auteur, après un très utile rappel historiographique destiné à débarrasser la question des innombrables strates fossilisées d’opinions souvent indémontrables, reprend les données textuelles disponibles pour montrer que le travail d’Agrippa doit être détaché de l’idée d’une œuvre dépendante d’un projet administratif (p. 111), mais constitue une œuvre toute personnelle dirigée par Agrippa, puis reprise par sa famille, et seulement enfin par Auguste, lorsque la sœur d’Agrippa ne fut plus en mesure de terminer les travaux de la porticus où dut être exposée la carte qui accompagnait le texte (p. 119). Cette œuvre permet de situer Agrippa à la charnière des chorographes hellénistiques et des géographes impériaux (p. 121-123). Quoi qu’il en soit, cette œuvre géographique se différencie visiblement de ce que nous savons du travail d’Auguste : Agrippa pour ce que nous connaissons de sa description du monde, présentait des listes de distances, des périples, des périmètres de régions etc., toutes choses dont rien n’atteste la présence dans la discriptio augustéenne dont Pline est notre seule source.

235  Nicolet, 1991, p. 86-87.

236  Arnaud, 1983, p. 685-686 et 691-699.

237  Varr., R., I, 2, 1. Les données concernant cette carte ont été récemment réexaminées par Guilhembet, 2005, et Le Bris, 2007, qui proposent des interprétations légèrement divergentes sur des bases communes. Ils font l’hypothèse que la carte n’avait pas été peinte lors de la dédicace du temple en 268 a.C. par P. Sempronius Sophus, mais lors de la réfection dont fut chargé Cicéron en 57-54 a.C. Partant, J.-P. Guilhembet, se fondant sur la mention à Ératosthène dans la suite du dialogue de Varron, pense que la carte ne se limitait pas à la représentation de l’Italie, mais fournissait une image cartographique du monde, et interprète une telle représentation comme une revendication politique pompéienne sur l’oikoumène parallèle à celle du Champ de Mars. A. le Bris limite la représentation à l’Italie (p. 76) et trouve ses fondements dans la politique italienne de Cicéron après son retour d’exil en 57, résolument tournée contre les prétentions universelles que les deux autocrates, César et Pompée, exprimaient dans leurs programmes architecturaux respectifs (p. 80).
La mention de Varron relevant de la simple allusion, il n’existe aucune certitude en la matière et les partisans d’une datation haute de la carte n’ont pas rendu les armes : Palombi, 1997, p. 165-166, la Rocca, 2000, p. 70. La présence d’une carte d’Italie à cette époque, juste après la victoire sur les Picentins, est interprétée comme une célébration de la conquête totale de la péninsule italienne par Rome. Si cette interprétation devait être retenue, on voit bien le revirement que constituait la rédaction d’une œuvre géographique augustéenne consacrée à l’Italie.

238  L’hypothèse est unanimement rejetée sur des fondements philologiques.

239  C’est là un des rares exemples de l’emploi de cette expression toute cicéronienne hors l’époque augustéenne : c’est sans doute que la phrase de Pline est une citation de l’en-tête de la discriptio. Les corpus nous permettent d’établir les comptes suivants : chez Cicéron, elle apparaît trente-cinq fois sous sa forme tota Italia et quatorze sous la forme Italia tota, contre une fois chez Salluste ; cinq et une fois chez César ; cinq fois chez Tite-Live ; trois fois chez Velleius Paterculus ; deux chez Valère Maxime. Il est intéressant de noter qu’elle n’apparaît jamais chez Tacite, deux fois seulement chez Suétone, dans la vie d’Auguste uniquement ; quatre fois dans sa première forme et deux fois dans sa seconde chez Pline.

240  La date de l’œuvre géographique d’Agrippa est fixée par P. Arnaud à l’année 13 a.C., faute de source sans autre argument qu’une très grande vraisemblance, Arnaud, 2007-2008, p. 121-123. En la matière, les certitudes ne peuvent trouver de fondement dans les maigres sources à disposition.

241  Thomsen, 1966, développe cette théorie dans son premier chapitre, ce qui lui permet d’expliquer les erreurs manifestes de Pline dans le classement de certaines cités. Pour Nicolet, en revanche, la création des régions et la confection des listes sont « consubstantielles », (Nicolet, 1991, p. 87).

242  Thomsen, 1966, p. 149-153, puis 178-183.

243  Ørsted, 1988, proposait pour terminus ante quem 8 a.C., date d’un cens avant lequel il estime que fut fixée la frontière nord-est de l’Italie. Detlefsen, 1886, p. 516 sq. pour la fixation de la frontière en 9 a.C. D’autres hypothèses, supra n. 26.

244  Cf. supra, p. 175.

245  Voir par exemple Polverini, 1998, p. 29-30.

246  Voir l’hypothèse de Tibiletti, 1978, p. 25-30, telle qu’elle est citée par Laffi, 2007, p. 102. Si Tibiletti utilise l’argument linguistique (sans le développer beaucoup cependant), ce n’est pas au sujet de l’appartenance à la regio VI et non VII des Casuentini situés pourtant dans le bassin de l’Arno, comme le laisse entendre Laffi.

247  Le Samnium seul fait exception dans ce tableau. Cette unité ethnique fut éclatée entre trois régions : les Pentri et les Carecini dans la IVa, les Caudini et les Hirpini dans la Ia et la IIa. C’était sans doute la preuve, selon U. Laffi, que le Samnium à l’époque augustéenne ne constituait plus une entité ethnique et culturelle suffisamment forte et déterminée (Laffi, 2007, p. 102). Cependant, V. Mahé-Simon fait remarquer à juste titre que l’image des Samnites dans l’imaginaire romain changea du tout au tout à l’époque d’Auguste, selon un processus de réhabilitation proche de celui qui fut mis en œuvre pour les Étrusques. Le démembrement de cette unité culturelle entre trois régions serait alors dû à la mémoire d’un Samnium dangereux, ancrée dans l’imaginaire collectif romain (Mahé-Simon, 2008, p. 73-74, citant Galsterer, 1994 et Dench 1995 et 1996).

248  Il semble que ce fut la région Transpadane qui reçut la première un nom, cela dès l’époque de Pline (Plin., III, 123). Mais il n’est pas exclu que les autres régions, surtout celles fondées sur une seule entité ethnique, en aient reçu un très rapidement : voir Thomsen, 1966, p. 151 qui cite, pour Aemilia, Mart III, 4, 2, (que l’on ne peut à notre avis retenir puisque le poète écrit : Aemiliae dices de regione viae : le mot de regio ne suffit pas à voir ici la trace du découpage augustéen ; Nicolet avait justement rappelé que le mot peut avoir un sens vaste : Nicolet, 1991, p. 82) et VI, 85, 6 (et cette fois, c’est la traduction de H.-J. Izaac qui rend Funde tuo lacrimas orbata Bononia Rufo / et resonet tota planctus in Aemilia par « répands tes larmes Bologne, privée de ton Rufus, et que les lamentations retentissent sur tout le parcours de la voie Aemilia », qui nous paraît fautive : nous sommes visiblement dans une période de transition où le nom de la voie commence à désigner un territoire, et il n’est pas utile de suppléer dans la traduction au Aemilia du texte original en traduisant par « voie Emilienne »). Voir Laffi, 2007, p. 100-101.

249  Uda, 1990 et De Cazanove, 2005.

250  Sur la question des identités frontalières, voir Roman, 1993.

251  Hor., S., II, 1, 34.

252  De Cazanove, 2005, p. 110, avec les critiques portées à l’encontre de cette hypothèse qui ignore le fait qu’Horace se rattache clairement à l’Apulie.

253  Par exemple Thomsen, 1966, p. 81-93.

254  Horace, Satires, ed. Villeneuve, Paris, les Belles lettres, 1932, p. 8.

255  Horace, Epitres, ed. Villeneuve, Paris, les Belles lettres, 1934, p. 30.

256  Properce en revanche est plus discret sur ces questions techniques. L’intrusion de la géographie et des termes techniques dans son œuvre ne sont là que pour indiquer que l’Italie (majoritairement représentée par l’Étrurie) et Rome étaient complémentaires et qu’un certain syncrétisme était en cours. Voir, par exemple, dans l’élégie sur Vertumne (IV, 2), les éléments de conflit (notamment la conquête de l’Étrurie), sont gommés au profit d’un apaisement qui va jusqu’à une sorte de contradiction : le dieu, qui se proclame Tuscus… Tuscis or[tus], donne une étymologie de son propre nom en faisant appel à ce qu’il appelle sa lingua patria, laquelle n’est autre… que le latin (Vetumnus ← vertere) : Prop., IV, 2, 47-48. Sur cette question, voir Pinotti, 1983. Voir aussi Schilling, 1981 et Tränkle, 1983.

257  Sur cet échec de la politique d’Auguste, voir Chillet, L’Italie augustéenne…, à paraître.

258  Rappelons le vers de Martial : protinus Italiam concepit et arma virumque (Mart., VIII, 55, 19) qui semble signifier que, sous le patronage de Mécène, Virgile fut capable de « concevoir » l’Italie, ou l’idée de l’Italie. On pourrait presque aller jusqu’à dire « fut capable d’inventer l’Italie ». Cf. pour le commentaire de ce vers Chillet, 2012.

259  Hor., O., III, 29, 1.

260  À ce sujet, voir Chillet, Le vote par correspondance… à paraître.

261  Voir notre travail annoncé supra, p. 54, n. 151.

262  Le serment devint sans doute assez tôt une pratique provinciale de ralliement à l’Empire : voir Le Gall, 1990 et 1991 (traitant de la découverte épigraphique de ce qui constitue sans doute le premier serment à Auguste, trouvé en Bétique, dans la cité des Conobarienses, et daté d’entre 6-5 et 1 a.C.). Pendant la période triumvirale, nombreuses furent ces cérémonies souvent mises en scène, qui marquaient le consensus autour de l’un ou l’autre des triumvirs. Le plus marquant est celui rapporté par App., Civ., III, 46, 188 où l’ensemble des corps de la société prête serment à Antoine en plus de ses soldats à Tibur.

© Publications de l’École française de Rome, 2016

Licence OpenEdition Books

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search