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Un Autre Risorgimento

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Pierre-Marie Delpu

Deuxième partie. Des opposants à l’Europe de la Sainte-Alliance : entre insertion transnationale et modernisation locale (1821-1847)

Des opposants à l’Europe de la sainte-alliance: entre insertion transnationale et modernisation locale (1821-1847)

Texte intégral

  • 1 L’identification est au départ partisane, et est le fait d’un historien franquiste ultra-conservate (...)

1En se fondant sur un modèle étranger de révolution au nom de la fraternité des combats des peuples, la révolution de 1820-1821 a engagé une phase décisive d’internationalisation du monde libéral méridional. L’exil que connaît une partie de ses acteurs après la répression de l’insurrection par l’armée autrichienne en mars 1821 voit s’accélérer ce mouvement. Il produit une inflexion importante dans leurs parcours individuels et collectifs, et ouvre une étape de leur formation et de leur action politiques, par leur insertion systématique dans les circulations complexes d’une nébuleuse humaine transnationale aux contours imprécis. Celle-ci, actrice des mouvements nationaux et libéraux du premier XIXe siècle, est qualifiée par une partie des historiens d’« Internationale libérale » par référence à l’Internationale socialiste de la fin du XIXe siècle1.

  • 2 Aprile – Brice 2013.
  • 3 Lettre du duc de Blacas au vicomte de Montmorency, Paris, 4 mars 1822, citée dans Moscati 1938, t. (...)

2Cette entité apparaît difficile à saisir, parce qu’on ne dispose d’aucun document organique attestant une révolution transnationale coordonnée, et parce qu’elle est décrite dans des termes très différents par les révolutionnaires eux-mêmes et par les gouvernements. Les premiers ont produit une importante littérature attachée à prouver la fraternité des révolutions2, mais leurs écrits personnels montrent les très nombreuses divisions idéologiques et pratiques qui les opposaient. Les seconds, marqués par la peur de la contagion révolutionnaire, y voient un complot destiné à renverser les pouvoirs légitimes, orchestré par « les révolutionnaires de tous les pays » afin d’« exécuter, de concert et simultanément, des mouvements insurrectionnels partout où la mollesse des gouvernements leur en laissera la possibilité »3. Les convergences sont évidentes entre les révolutions menées des années 1820-1830 en Europe occidentale et méridionale, en Russie (1825) et en Amérique latine. L’expression paraît néanmoins abusive dès lors que le phénomène qu’elle désigne a davantage été un mode spontané de polarisation révolutionnaire qu’une construction formelle ; d’autre part, les schémas nationaux ont souvent primé sur les dynamiques proprement transnationales, réduites à des canaux communs de circulation d’idées et d’hommes.

  • 4 Bruyère-Ostells 2015.
  • 5 L’essentiel de l’historiographie sur le sujet s’est concentré sur la circulation des Piémontais dan (...)
  • 6 Godechot 1963, ou plus récemment Ronza 2013.

3Je parlerai plutôt, à la suite de Walter Bruyère-Ostells, de « contre-monde libéral » pour désigner cet espace social commun d’opposition aux monarchies restaurées4. La participation des Napolitains y est moins nombreuse que celle d’autres Italiens, notamment les Piémontais5, mais elle a été significative, et a influencé certains des débats politiques et des combats armés des libéraux. L’exil politique et l’engagement militaire en ont été les ressorts principaux, à travers l’implication à titre volontaire dans plusieurs révolutions européennes. Après quelques expériences communes, comme la participation au trienio liberal espagnol (1820-1823), l’exil napolitain a néanmoins connu une importante dispersion géographique, qui s’est faite dans l’espace large des révolutions de l’espace euro-atlantique. Celui-ci constitue le cadre commun aux révolutions occidentales depuis la fin du XVIIIe siècle6. Il voit se construire des parcours individuels et collectifs de manière empirique, non programmée, sous le double effet des évolutions politiques transnationales et d’opportunités économiques et professionnelles. Plus qu’une idéologie, ces itinéraires complexes nourrissent des projets de libération du royaume des Deux-Siciles qui s’accompagnent, dans les années 1830, de quelques réflexions sur la situation politique italienne, sans que celles-ci ne supportent un projet politique cohérent.

  • 7 Sur cette dernière, voir Aprile 2010, ch. 11, « Sorties d’exil », p. 229-255.

4Les projets patriotiques construits en exil sont en effet plus complexes, et révèlent l’enchevêtrement des appartenances nationales. D’abord constitués, dans les années 1820, à l’échelle de l’espace international des révolutions, ils se recentrent ensuite au niveau du royaume des Deux-Siciles, s’attachant à en présenter la situation politique aux libéraux étrangers et à établir des scénarios militaires de libération du royaume. Les relations épistolaires que certains exilés entretiennent avec des sujets du royaume et la perspective constante du retour dans la patrie, commune à tous les exilés européens de l’époque7, laissent à penser que les migrations libérales sont de nature diasporique. Ce sont donc les fonctions multiples de l’exil politique napolitain que cette deuxième partie se proposera d’interroger. Le chapitre 4 reconstituera les spatialités et les temporalités propres à ces parcours d’exil, en cherchant à comprendre comment ils déterminent des circulations politiques plus larges. Le chapitre 5 situera l’exil napolitain dans le cadre des combats du contre-monde libéral, entre participation à ces derniers et projets de libération du royaume des Deux-Siciles. Enfin, le chapitre 6 cherchera à évaluer les effets de l’exil sur le renouvellement des opposants à la monarchie bourbonienne, qui s’effectue principalement dans les années 1830.

Notes

1 L’identification est au départ partisane, et est le fait d’un historien franquiste ultra-conservateur (Comellas García Llera 1963). C’est une lecture idéologique qui a conduit cet auteur réactionnaire à calquer les schémas d’interprétation du monde libéral du début du XIXe siècle sur ceux traditionnellement pratiqués pour les socialismes contemporains. En dépit de ce parti pris, le terme a largement été repris par l’historiographie spécialisée, y compris internationale. Voir en particulier Isabella 2009, introduction.

2 Aprile – Brice 2013.

3 Lettre du duc de Blacas au vicomte de Montmorency, Paris, 4 mars 1822, citée dans Moscati 1938, t. 1, p. 266.

4 Bruyère-Ostells 2015.

5 L’essentiel de l’historiographie sur le sujet s’est concentré sur la circulation des Piémontais dans l’opposition à la Sainte-Alliance. Outre Isabella 2009, voir Bistarelli 2010, ou encore Butrón Prida 2006, davantage axé sur les idées politiques.

6 Godechot 1963, ou plus récemment Ronza 2013.

7 Sur cette dernière, voir Aprile 2010, ch. 11, « Sorties d’exil », p. 229-255.

© Publications de l’École française de Rome, 2019

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