La conclusion fut que, puisque ledict Catholique ne vouloit plus de sa part garder les traictez, aussy ne faisoit le Roy très chrétien de la sienne et entendoit poursuivre par cy-après ses droictz par la force, si par amytié ne les pouvoit avoir, c’est assavoir : la commise de Flandres et Artois pour l’inobédience et ingratitude dudict Catholique, son vassal, et le fief de la comté de Bourgogne par justice ; et si icelluy Catholique ne vouloit obéir aux ordonnances de justice, feroit exécuter icelles ordonnances par armes ; aussi d’avoir la possession du Royaume de Naples et d’Arragon…2

1À propos de la politique italienne de François I^er, on a souvent parlé d’une stratégie visant à réagir contre l’encerclement du Royaume de France pris en tenaille par les Habsbourg. Cette explication est plausible, surtout après 1521, mais elle reste toutefois partielle. Selon Robert Knecht, ce n’est point tant cet encerclement qui obsédait François I^er que la perte des territoires italiens dont il revendique l’héritage3.

2En effet, François I^er a constamment poursuivi une politique soucieuse des intérêts de la couronne, mais, en même temps, il a conduit une stratégie dynastique cherchant à assurer à ses enfants, ou à leurs descendants, des territoires ultramontains pour élargir les possessions de la Maison de Valois dans la République chrétienne. Dans cette logique, et en utilisant comme prétexte les droits de succession des Visconti et des Anjou, François I^er, comme ses prédécesseurs Charles VIII et Louis XII, revendiquait la possession du Duché de Milan, de la République de Gênes et des Royaumes de Naples et de Sicile.

3Cette « obsession territoriale » du pouvoir était, selon Michel Foucault, propre à la période féodale par opposition à la période moderne où il ne s’agissait point tant d’agrandir le territoire que de faire prospérer une population à l’intérieur de frontières données. En ce sens, le territoire n’était que le plus vieil objet du pouvoir4.

4De plus, il est difficile de penser que, même après le Traité de Madrid de 1526 ou le Traité de Cambrai de 1529 qui entérinaient le renoncement aux territoires italiens, François I^er ait changé de politique. Les instructions du roi, les missions diplomatiques, les négociations des traités, les discours officiels des diplomates, les comptes rendus des agents ou des espions nous laissent plutôt penser que le roi n’abandonna jamais l’objectif de posséder ces territoires pour des raisons géostratégiques, économiques mais aussi dynastiques.

5Afin d’obtenir légitimement les territoires incorporés au Duché de Milan et à la République de Gênes, le roi de France avait besoin de l’investiture de l’empereur, puisque ces territoires étaient traditionnellement considérés comme fiefs du Saint-Empire. En revanche, pour légitimer ses droits sur les Royaumes du sud de l’Italie, il lui fallait l’investiture du pape, puisque celui-ci considérait les Royaumes de Naples et de Sicile comme fiefs de l’Église, et donc sous sa « domination directe »5. Mais lorsque la diplomatie se montrait incapable de trouver un accord, le recours à la force semblait être la seule issue.

6Force est de constater que l’arrivée de Charles Quint à la tête du Saint-Empire ne fit qu’empirer les rapports entre le roi de France et l’empereur élu car, selon François I^er, le successeur de Maximilien I^er voulait se faire « monarque » en Italie. Cette conviction poussa le roi de France, surtout après l’accord entre Léon X et l’empereur en 1521, d’une part, à s’engager dans la reconquête du Duché de Milan et, d’autre part, à apporter son soutien aux tentatives de révolte qui survinrent dans les différents États de la péninsule italienne. Les exemples de la Sicile, de Sienne, de Gênes et les tentatives répétées d’organiser des expéditions dans le Royaume de Naples montrent que François I^er poursuivait une stratégie géopolitique bien précise visant à nuire autant que possible aux projets de son éternel rival et à en tirer un maximum de profit pour ses intérêts. Dans cette intention, il n’hésita pas à engager des fonds, à mettre des forces militaires à la disposition de ses potentiels alliés ou à impliquer directement des diplomates, des agents ou des espions pour favoriser leurs plans subversifs.

7C’est au cas de la Sicile que va s’intéresser plus particulièrement la présente contribution : entre 1516 et 1523, elle connut une série de bouleversements politiques et sociaux après la mort de Ferdinand le Catholique, roi d’Aragon et de Sicile6. Sachant que le roi de France revendiquait des droits de succession sur les Royaumes de Naples et de Sicile et considérait que, par l’héritage des Angevins, ce Royaume était censé lui appartenir, nous nous attacherons à mettre en lumière le niveau d’implication de François I^er dans les vicissitudes siciliennes.

Conséquences de la mort de Ferdinand II roi d’Aragon dit le Catholique

8Après la victoire de Marignan en 1515 et la rencontre de Bologne avec le pape Léon X, François I^er avait établi et assis l’autorité royale à Milan avant de reprendre le chemin de son Royaume. L’entrevue avec le pape Médicis avait été un succès. Mises à part les négociations pour arriver au Concordat qui remplacerait la Pragmatique Sanction, le pape l’avait reconnu publiquement duc de Milan et seigneur de Gênes et voulait lui confier le commandement suprême de la croisade7. Il avait aussi été question des visées du roi de France sur le Royaume de Naples. Mais le pape, détenteur du « dominio diretto » sur ce Royaume, aurait préféré que François I^er renonçat à ses prétentions. Il nourrissait l’espoir, plus ou moins dissimulé, de donner l’investiture de ce Royaume à un membre de sa famille.

9Toutefois, en janvier 1516, la mort de Ferdinand II d’Aragon dit le Catholique – régent de Castille, roi d’Aragon, de Sardaigne, de Sicile et de Naples – et la succession disputée de son petit-fils Charles de Habsbourg, ouvraient de nouvelles perspectives pour le roi de France et lui offraient l’occasion de revendiquer ses droits sur les Royaumes de Naples et de Sicile8. Pour faire valoir ses raisons, il demanda à la Chambre des comptes de Provence (aussi appelée Archives d’Aix) de lui faire parvenir d’anciens documents attestant les droits de la maison d’Anjou9. Il libéra aussi le capitaine Prospero Colonna, qui était son prisonnier, avec la promesse que celui-ci l’aiderait à recouvrer ce Royaume10. Néanmoins, pour l’instant, la priorité était d’assurer le pouvoir sur Milan car Maximilien I^er, roi des Romains et empereur élu, avait rassemblé une armée puissante et s’apprêtait à attaquer le Duché. Depuis Lyon, François I^er envoya davantage de soldats au Connétable de Bourbon.

10Alors que son grand-père paternel Maximilien I^er assiégeait la ville d’Asola, le 14 mars 1516, dans l’église Sainte Gudule de Bruxelles, Charles de Habsbourg se déclarait roi de Castille et d’Aragon selon les vœux du dernier testament de son grand-père maternel Ferdinand le Catholique. Finalement, à court d’argent pour payer ses soldats, Maximilien I^er renonça à assiéger Milan. Une fois libéré de cette menace, François I^er aurait pu en profiter pour attaquer le Royaume de Naples et aussi la Sicile alors en pleine révolte contre le vice-roi Hugo de Moncada. Cependant, Prospero Colonna ne manifestant aucune intention de tenir sa promesse, il y renonça.

11Avant d’entreprendre le voyage vers la péninsule ibérique pour prendre possession de ses nouveaux territoires, Charles I^er roi de Castille et d’Aragon avait besoin d’établir une paix durable avec le Royaume de France. Le francophile Guillaume de Croy, seigneur de Chièvres, craignant une attaque française dans le Royaume de Naples, insista pour consolider la paix signée par le Traité de Paris en 1515. De son côté, François I^er redoutait la puissance du nouveau roi catholique, il connaissait ses ambitions et voulait y mettre un frein11. La première rencontre de Noyon entre les ambassadeurs flamands, guidés par Chièvres, et ses homologues français eut lieu le 1^er mai 1516. Les négociations durèrent plusieurs jours, mais ne donnèrent aucun résultat, les positions entre les deux partis étant trop éloignées. En ce qui concerne les Royaumes de Naples et de Sicile, les ambassadeurs français demandaient la reconnaissance de tout l’héritage des ducs d’Anjou12.

12En vue d’une nouvelle rencontre à Noyon, Antoine Duprat, chancelier de François I^er, rédigea des instructions pour ses ambassadeurs13. Pour le roi de France, la paix et l’amitié étaient préférables à la guerre ; toutefois, pour éviter celle-ci, le roi catholique devait lui céder le Royaume de Naples14. La demande concernait aussi le Royaume de Sicile puisque Charles d’Anjou avait été « premier Roy de Sicile et de Naples »15. François I^er revendiquait également des droits sur l’Aragon, la Sardaigne, le Roussillon, la Catalogne, Majorque et Minorque et exigeait le retour au Royaume de Naples des exilés profrançais, selon le traité d’Atripalda16. Si les ambassadeurs flamands faisaient allusion aux négociations entreprises à Rome, à Gênes, à Venise et au Portugal pour favoriser l’action de Prospero Colonna dans le sud de l’Italie, il fallait répondre que le roi avait fait cela puisque, avant de « venir audict amyable il avait bien voulu entendre comment, par la force, recouvreroit ce que luy appartenait »17.

13En août 1516, à Tours, François I^er apprit qu’à Noyon, les ambassadeurs avaient conclu un traité de paix18. Pour le sud de l’Italie, il était établi que Charles I^er allait épouser la fille de François I^er, laquelle, au moment des noces, apporterait le Royaume de Naples en dot. Mais en attendant la majorité de Louise19, le roi catholique devait verser cent mil écus d’or par an à son père20. Signé le 13 aout 1516, ce traité apaisa provisoirement le contentieux entre la Flandre et la France.

Révolte en Sicile contre le vice-roi

14Après la mort de Ferdinand II d’Aragon, une révolte avait éclaté dans le Royaume de Sicile. Elle était dirigée contre le vice-roi Hugo de Moncada qui avait œuvré en faveur d’une limitation des privilèges féodaux et d’un renforcement de la centralisation administrative21. Avec l’accord des juges de la Regia Gran Corte et d’une partie de la noblesse, Moncada était resté à la tête du Royaume en attendant que le successeur du roi d’Aragon décide de la marche à suivre22.

15En revanche, pour d’autres nobles siciliens, la mort du roi entraînait la déchéance du vice-roi et le pouvoir devait passer au « Maestro di Giustizia » pour sauvegarder les privilèges du Royaume23. Parmi ces nobles dissidents, Pietro Cardona, comte de Golisano, et Federico Abbatellis, comte de Cammarata, encouragèrent le peuple à se révolter24. La question centrale concernait la légitimité de Moncada à gouverner comme un roi indépendant alors que ses adversaires l’incitaient à abandonner sa fonction, puisque, avec la mort de Ferdinand, il était désormais transformé en une personne privée25. Le 5 mars, le Parlement réuni à Termini Imerese reconnut la succession de Jeanne d’Aragon, et non pas celle de Charles I^er, et désigna comme régents deux « Présidenti del Regno » : Simone Ventimiglia, marquis de Geraci, et Matteo Santapau, marquis de Licodia26.

16Moncada avait tenté d’éviter le pire en exhortant le peuple au calme, en supprimant l’impôt sur la farine et en donnant publiquement lecture des lettres du nouveau prince qui le confirmaient dans sa fonction27. Toutefois, selon Tommaso Fazello, un chroniqueur sicilien de l’époque, l’arrestation d’un jeune contestataire déchaîna la colère des Palermitains. Le soir du 7 mars, une multitude armée se présenta devant le Palais pour l’assaillir28. Les soldats ouvrirent les portes et participèrent avec la foule au pillage qui dura toute la nuit. Déguisé en serviteur, Moncada quitta le Palais par une porte dérobée. Le matin suivant, il s’embarqua en direction de Milazzo puis de Messine, où il fut reçu avec tous les honneurs29.

17Selon les juges de la Regia Gran Corte, les nobles séditieux cherchaient à répandre la révolte à travers tout le Royaume « en faisant croire au peuple qu’ils voulaient lui donner la liberté de ne plus payer les gabelles, le subside ni autres impositions »30. « Tyrannie » et « liberté » étaient les mots les plus récurrents dans la correspondance de cette période31. Catane, Syracuse, Agrigente et Trapani se révoltèrent à leur tour et chassèrent les officiers de Moncada.

18À Palerme aussi la situation était chaotique. Des pillages se perpétraient chaque jour et la révolte aux allures de plus en plus révolutionnaires risquait d’échapper au contrôle des nobles. Les comtes de Golisano et de Cammarata furent appelés au secours par les gentilshommes de la ville. L’intervention de leurs troupes permit aux nobles dissidents de restaurer l’ordre32. Le 16 avril 1516, les membres des trois bras du Parlement sicilien se réunirent dans la ville33. Cette fois-ci, ils reconnurent la légitime succession de Charles de Habsbourg et confirmèrent les deux présidents du Royaume. Dans l’attente de l’arrivée d’un nouveau vice-roi, les deux présidents prêtèrent serment le 11 mai 151634.

19Informé de la situation dans l’île, le roi de Castille et d’Aragon, qui se trouvait encore dans sa Flandre natale, envoya deux commissaires à Palerme, Diego del Águila et Fernando de Guevara. Après avoir reçu leur rapport, le roi accepta de recevoir une ambassade des nobles insurgés. Le 23 septembre 1516, les comtes de Golisano et de Cammarata, nommés ambassadeurs par les Palermitains, quittèrent la capitale du Royaume en direction de la Flandre. Accusés par Moncada d’avoir mis le feu au Royaume, les ambassadeurs siciliens durent s’expliquer devant le roi35. Celui-ci décida de garder le vice-roi et les ambassadeurs à la cour flamande, nomma Président de Sicile Giovanni de Luna, comte de Caltabellotta et partisan de Moncada, et, quelques mois plus tard, envoya dans l’île le calabrais Ettore Pignatelli, comte de Monteleone, avec la charge de Lieutenant Général. Ce dernier avait comme mission de punir les auteurs de la rébellion, de réinstaurer les gabelles, de percevoir celles qui n’avaient pas été versées et aussi de congédier les officiers nommés par le peuple.

20À cette époque, François I^er pensait encore pouvoir profiter de la situation pour tenter un coup de force dans le sud de l’Italie, si possible avec l’aide de Prospero Colonna. Néanmoins, il n’existe aucune trace d’une possible implication d’agents français dans cette révolte ou d’une quelconque promesse d’aide du roi de France aux barons siciliens dissidents.

Le partage des territoires italiens et une nouvelle révolte en Sicile

21Après le Traité de Noyon, Chièvres, le mentor de Charles I^er, proposa de poursuivre les négociations pour favoriser aussi une paix entre la France et le Saint-Empire. En mars 1517, Chièvres et le chancelier Le Sauvage arrivèrent à Cambrai pour négocier avec les ambassadeurs français un nouveau traité qui devait inclure Maximilien I^er. Il s’agissait d’asseoir officiellement la « paix universelle » en Europe en secondant le roi des Romains dans son projet de créer deux Royaumes en l’Italie – et ce au détriment des territoires de la République de Venise. Pour François I^er, il s’agissait de s’assurer légitimement le Milanais avec l’accord du Saint-Empire36. Les négociations se déroulèrent de façon secrète, sans que la papauté ni aucun autre potentat de la péninsule italienne en fussent informés37. Le partage concernait l’ensemble de l’Italie qui serait divisée en deux Royaumes : le Royaume de Lombardie serait destiné à François I^er et le Royaume d’Italie à Maximilien I^er et à Charles I^er. Le 11 mars 1517, les ambassadeurs de Charles I^er, de François I^er et de Maximilien I^er signaient le Traité de Cambrai38. La signature de ce nouveau traité empêchait François I^er de planifier quelque attaque que ce fût dans le sud de l’Italie.

22Arrivé à Palerme le premier mai 1517, Pignatelli envoya les marquis de Geraci et de Licodia en exil, fit arrêter une vingtaine d’hommes du peuple considérés comme les chefs de la rébellion et publia un ban annonçant un pardon général du roi, sauf pour « les exceptuados ». La situation était très tendue car le peuple palermitain supportait mal ces décisions et accusait le comte de Caltabellotta, les ministres et les juges de la Regia Gran Corte d’en être à origine39.

23De plus, le bruit courait qu’en Flandre les comtes de Cammarata et de Golisano avaient été exécutés par ordre du roi. Une nouvelle conjuration fut ourdie. Elle devait aboutir à l’assassinat, dans la cathédrale de Palerme, du « Maestro Razionale », de l’Avocat Fiscal et des membres de la Regia Gran Corte partisans de Moncada. Il était aussi prévu d’arrêter Pignatelli et de provoquer un nouveau soulèvement populaire.

24Le plan fut découvert, mais Pignatelli refusa de prendre des contre-mesures40. Le jour venu, les conjurés, vingt-deux selon Fazello41, entrèrent par la Porta Nuova dans une ville presque déserte et privée de gardes42. Arrivés à la cathédrale, ils s’attendaient à trouver le Lieutenant Général avec les autres ministres et les autorités. Personne n’était là. Les conjurés s’en prirent au malchanceux Paolo Gagio, archiviste de la ville, qu’ils tuèrent. Ils eurent tout le temps de s’organiser et de parcourir les rues en rassemblant des gens alors que Pignatelli restait enfermé dans son palais. Au bruit de la révolte, le comte de Caltabellotta s’enfuit avec sa famille au château d’Alcamo43. À la tombée de la nuit, le peuple attaqua le Palais Steri. Pignatelli fut arrêté, mais il eut la vie sauve. En revanche, deux hommes de loi, Niccolò Cannarella et Giovan Tommaso Paternò, furent tués, dénudés et défénestrés44. Le Palais Steri fut pillé toute la nuit45.

25Les jours suivants, les conjurés postèrent des gardes aux portes de la ville pour empêcher la fuite des partisans de Moncada et se mirent à les traquer. Priamo Capoccio, homme de loi et poète qui avait la charge d’Avocat Fiscal, fut découvert, traîné dans les rues et tué46. Gerardo Bonanno, le « Maestro Razionale » connut le même sort. Diego del Águila et Fernando de Guevara parvinrent à s’échapper. Leurs maisons, comme tant d’autres, furent saccagées ou détruites47. Quelques jours plus tard, Pignatelli fut libéré puisque considéré inoffensif. Gian Luca Squarcialupo, Cristofano Benedetti, Francesco Barresi, Baldassar Settimo, Alfonso la Rosa et Pietro Spatafora étaient à la tête de ces troubles. Membres de la petite noblesse et du patriciat urbain, désireux de participer activement à l’administration municipale, ils étaient soutenus par une partie du peuple palermitain, à la tête duquel se trouvaient Jacopo da Girgenti, Vincenzo Rizza et Vincenzo Zazaro48.

26Dans une lettre envoyée à Charles I^er le 28 juillet 1517, les insurgés parlaient de la nécessité de se débarrasser des mauvais ministres qui occultaient la vérité au roi et ne cessaient de « fari dispecti, vessactioni et veri stracii a li regnicoli e citadini di quista cita »49. Ainsi, au cri de « viva el re et moranu li mali consigleri », le peuple avait tué ces officiers tout en respectant l’autorité du Lieutenant Général50. Ils assuraient le roi de leur fidélité et lui demandaient de bien vouloir pardonner au peuple d’avoir « cédé à l’invincible impulsion de tuer »51. Ils demandaient aussi le retour des comtes de Cammarata et de Golisano encore retenus à la Cour du roi52.

27La « révolte Squarcialupo » enflamma à nouveau Catane, Agrigente, Trapani et Termine Imerese. Les raisons n’étaient pas toujours politiques. Il s’agissait souvent de guerres entre familles ou d’inimitiés personnelles53. Néanmoins, ces villes conclurent une alliance avec les conjurés palermitains54. Elles caressaient probablement l’idée de former une fédération de Communes et de retrouver « la liberté » par une administration autonome. Alors qu’on discutait de la manière de gouverner le Royaume et de la « mutation de l’État », Palerme était sous la garde d’escadrons de plébéiens armés55. Selon Fazello, ils étaient à l’origine de toutes sortes de violences et de sacrilèges56.

28Devenu arbitre de la situation à Palerme, Squarcialupo et ses alliés tentèrent de réformer les institutions de la ville et de créer un gouvernement autonome. Alarmée par cette situation qui menaçait ses propres privilèges, une partie de la noblesse, guidée par Guglielmo Ventimiglia seigneur de Ciminà, organisa la chute des révoltés avec l’accord de Pignatelli57. Le 8 septembre 1517, avant la réunion programmée du Conseil qui devait entériner les réformes, Squarcialupo et plusieurs de ses compagnons furent assassinés lors d’une messe célébrée dans l’Église de l’Annunziata au cri de « Vive le roi Charles et la reine Jeanne ! À mort les ennemis de la patrie ! »58. D’autres compagnons de Squarcialupo furent arrêtés ou tués.

29Entre-temps, Charles I^er avait envoyé une armée de 5000 fantassins commandés par Fernando d’Alarcón et 1000 chevaliers aux ordres de Giovanni Guevara, comte de Potenza, pour restaurer l’ordre dans le Royaume. À la tête de ces troupes, Ettore Pignatelli parcourut la côte entre Messine et Trapani et exerça une violente répression. Il procéda à des décapitations, des confiscations de biens et des condamnations à la prison à perpétuité. De retour à Palerme, il fit décapiter les proches de Squarcialupo, pendre plus de 30 plébéiens et condamna de nombreuses personnes aux galères ou à la prison à vie59. Les vrais vainqueurs de ces émeutes furent les membres de la haute aristocratie sicilienne. D’une part, ils réussirent à neutraliser la tentative de centralisation du pouvoir et, d’autre part, ils parvinrent à déjouer un projet politique qui aurait remis en question leurs privilèges60.

30Quelle fut l’attitude de François I^er pendant cette révolte ? Le bruit courait que les Siciliens cherchaient un accord avec le roi de France61. Depuis Saragosse, le 30 juillet 1518, l’ambassadeur français La Roche-Beaucourt avait informé la Cour de France de la répression en cours dans l’île et des contacts qu’il entretenait avec les Siciliens présents à la Cour de Charles I^er.

Aussi vous advise que les Cicilliens ont envoyé icy devers le roy catholicque, pour retourner en leurs maisons ceulx qui en sont hors pour les querelles d’icy devant, qui sont ung grand nombre. Aussi a esté couppé la tête à plus de deux cens, tous personnages dudict Cicille, et dient lesdicts Cicilliens que, s’ils trouvoient roy qui les voulsist advouer, qu’ilz le feroient roy de Cicille. Il y a icy plusieurs gens de bien dudict pays qui me visitent souvent et me disent de bonnes choses62.

31Le message était clair. Si le roi voulait tenter une action en Sicile, il pouvait compter sur l’aide d’une partie des Siciliens. Toutefois, les traités signés auparavant et le projet pontifical de trêve universelle entre tous les princes chrétiens en vue d’organiser une croisade obligea François I^er à repousser momentanément ce projet. Il se limita à demander l’application du Traité de Noyon.

Charles I^er devient l’empereur Charles Quint

32En 1518, Charles I^er nomma Ettore Pignatelli vice-roi et celui-ci, en son nom, jura de respecter les privilèges du Royaume. Ce n’est donc que deux ans après la mort de son grand-père que Charles de Habsbourg put réellement se considérer « Roi de Sicile »63. Et c’est seulement en 1519, que le roi de Sicile, désormais candidat au Saint-Empire, permit au comte de Cammarata de rentrer en Sicile. Alors qu’il se trouvait encore à Barcelone, le comte avait pris contact avec des Siciliens exilés à Rome pour commanditer l’assassinat d’un de ses ennemis, Francisco Peyrò, qu’il considérait responsable de sa longue permanence à la cour de Charles I^er64.

33En mars 1518, Léon X proclama une trêve universelle de cinq ans entre les puissances chrétiennes. Toutefois, un événement survenu au début de l’année 1519 changea le cours des événements : le 12 janvier, Maximilien I^er quittait le monde des vivants. L’élection au Saint-Empire devint alors une affaire européenne et la lutte pour la couronne impériale entre Charles I^er et François I^er mit en danger tous les accords. La croissante influence de Mercurino de Gattinara au sein du Conseil d’État de Castille conduisit à l’interruption des négociations pour l’exécution du Traité de Noyon qui se déroulèrent à Montpellier en mai 1519.

34Charles I^er voulait avant tout récupérer le Duché de Bourgogne arraché à sa grand-mère paternelle, Marie de Bourgogne, par Louis XI. Comme François I^er, il considérait que les Royaumes de Naples et de Sicile lui revenaient de droit. Pour cette raison, il s’opposait au versement des cent mille ducats annuels que lui demandait le roi de France. De son côté, ce dernier réclamait le retour de la Navarre aux Albret et il était résolu à récupérer le Royaume de Naples, sûr de pouvoir compter sur l’investiture du pape. L’échec des négociations de Montpellier ouvrit une nouvelle étape dans la confrontation entre les deux rivaux où la négociation céderait la place aux armes.

35À la même époque, en mai 1519, Léon X manifesta ouvertement son opposition à la candidature impériale de Charles I^er, prenant officiellement parti pour François I^er. Pour remercier le pape, le roi de France mit à sa disposition une armée de quatre mille fantassins et une vingtaine de navires aux ordres de Pierre de Navarre, soi-disant pour attaquer les Maures d’Afrique qui pillaient les côtes de la Méditerranée. En réalité, il s’agissait de tenter une attaque sur les Royaumes de Naples et de Sicile alors que la flotte de Charles I^er était occupée à conquérir l’île de Djerba sur la côte tunisienne. L’armée espagnole fut alors « contraincte se retirer esditz royaulmes de Naples et Sécille pour la deffence d’iceulx »65.

Alliance entre Léon X et le nouveau Roi des Romains

36Le 28 juin 1519, à Francfort, Charles I^er roi de Castille et d’Aragon fut élu empereur. L’échec de l’élection impériale engendra chez François I^er un désir de revanche et une volonté de récupérer le terrain perdu sur son rival. Comme l’a souligné R.J. Knecht, le roi français partageait l’idée, fort répandue à l’époque, que « la possession de l’Italie ouvrait la domination du monde »66. Ainsi, cette défaite ne fit que renforcer ses ambitions en Italie. D’autre part, après l’élection de Charles I^er comme roi des Romains, Juan Manuel, ambassadeur impérial à Rome, entama des négociations avec le pape pour l’investiture du Royaume de Naples. L’ambassadeur incita Léon X à changer de camp, mais le pape temporisait67. En novembre 1520, celui-ci avait entamé des négociations avec François I^er et un traité secret avait été signé à Rome. Le roi de France obtenait le Royaume de Naples qu’il destinait à son deuxième fils Henri, alors âgé d’un an.

37Deux autres événements vinrent renforcer la position de François I^er : l’alliance avec les Suisses et celle avec Robert de la Marck, seigneur de Sedan. Alors que les comuneros s’insurgeaient en Castille, François I^er appuya la tentative de Jean d’Albret de récupérer la Navarre. Au même moment, à la frontière de Flandre, le duc de Gueldre et Robert de La Marck prenaient les armes contre le nouvel empereur élu.

38Mais survint un surprenant rebondissement : Léon X changea d’allié68. Le 28 mai 1521, deux jours après l’édit de Worms contre Luther, un accord secret de défense commune entre le pape et le roi des Romains fut signé à Rome. C’était une véritable déclaration de guerre à François I^er. Comme un signe du destin, durant cette même période, Chièvres, fervent défenseur d’une alliance avec François I^er, mourut à Worms, victime de la peste.

39L’objectif de l’accord secret entre Léon X et l’empereur élu était de chasser les Français de la péninsule. Le pape promettait de couronner Charles Quint, il lui assurait l’investiture sur le Royaume de Naples et une aide militaire contre les Vénitiens. Pour sa part, Charles Quint devait restituer Parme et Plaisance à l’État de l’Église, aider le pape dans le conflit avec le duc de Ferrare, prendre les Médicis sous sa protection et appuyer les ambitions de cette famille sur la République de Sienne69.

40Ce traité resta secret quelque temps et l’information n’arriva pas à François I^er. En revanche, une lettre sur sa stratégie politique en Europe fut interceptée par des agents impériaux avant de parvenir au seigneur de Carpi, ambassadeur français à Rome. L’ambassadeur devait rassurer Léon X et lui faire savoir qu’il n’avait rien à craindre de lui, « quant l’entreprinse de Naples et Sécille seroit entre ses mains »70. C’était bien la preuve que François I^er n’avait pas renoncé à s’emparer des territoires du sud de l’Italie.

41En somme, en été 1521, un vent de guerre soufflait sur toute l’Europe, bien que François I^er eût demandé la médiation d’Henri VIII pour gagner du temps. À Calais, le cardinal Thomas Wolsey, premier ministre du roi anglais, entama des négociations entre Gattinara et les ambassadeurs français. Dans son journal, Jean de Barrillon enregistra les arguments utilisés par le chancelier impérial pour ne pas respecter le Traité de Noyon.

[…] quant au dot du Royaume de Naples, disoit [Gattinara] que le Roy très chrétien ne le pouvoit donner en dot, par ce qu’il n’y avoit lors riens en deux moyens : l’un, que le feu Roy catholique en avoit esté investy par le Pape et le feu Roy de France l’avoit donné en mariage à madame Germaine de Foix, si aucun droict y avoit. […] Quant aux Néapolitains, ilz avoient faict plusieurs secrettes conspirations pour cuider soustraire l’estat de Naples au Catholique, pourquoy n’est tenu rendre leurs biens71.

42François I^er décida alors que si l’empereur élu s’obstinait à ne pas respecter le traité, il aurait recours aux armes pour obtenir les Royaumes de Naples et d’Aragon72.

43Le 19 novembre 1521, les troupes impériales et pontificales entrèrent dans Milan. Quelques jours plus tard, Parme et Pavie subirent le même sort. En deçà des monts, la situation pour François I^er n’était guère plus facile, malgré un début de guerre qui semblait tourner à son avantage. En décembre, Tournai et sa forteresse se rendirent. Entre-temps, la conférence de Calais s’était conclue le 28 novembre 1521, sans résultat. Pour sa part, Henri VIII signa aussi un traité secret avec le pape et l’empereur élu, dans lequel le duc de Savoie, le roi du Portugal, le roi de Pologne et de Hongrie et le roi du Danemark étaient invités à rejoindre la coalition. Charles Quint ne pouvait rien espérer de mieux. Seule la mort de Léon X, survenue le 1^er décembre 1521, sembla entraver ses visées. Toutefois, l’élection au siège pontifical de son précepteur Adrien d’Utrecht, un ecclésiastique flamand d’origine modeste, fut interprétée par l’empereur comme le fruit d’une intervention divine.

Guerre de frontière et conjuration pro-française en Sicile

44La défaite de la Bicoque, le 27 avril 1522, entraîna la perte de Gênes pour François I^er. Dans cette guerre pour la suprématie au Nord de l’Italie, deux personnages étroitement liés à une conjuration pro-française qui se tramait à Rome trouvèrent la mort : le capitaine Marc’Antonio Colonna et Pietro Cardona, comte de Golisano73.

45Alors qu’en Sicile, le comte de Monteleone poursuivait ses efforts pour réduire la fracture politique et apaiser les conflits entre l’aristocratie sicilienne et le pouvoir central, les adversaires de Charles Quint n’avaient pas perdu l’espoir de déstabiliser le Royaume. Parmi eux, les frères Imperatore. Bannis du Royaume de Sicile après la révolte contre Moncada, Gian Vincenzo, Federico et Francesco Imperatore avaient rejoint leur frère, Cesare, à Rome, alors secrétaire du cardinal Pompeo Colonna. Gian Vincenzo, l’aîné, était accusé de conspiration, Federico avait été suspendu de sa fonction de juge de la Regia Gran Corte et Francesco avait dû quitter l’île après avoir blessé un rival.

46Selon des accusations postérieures, les frères avaient l’intention de faciliter à François I^er la conquête de la Sicile74. À l’époque de la révolte Squarcialupo, les frères Imperatore avaient convaincu Cola Vincenzo Leofante, trésorier du Royaume de Sicile, et Giovanni Sanfilippo, ambassadeur de la ville de Palerme, tous les deux de passage à Rome, de se joindre à eux dans l’organisation de ce projet. Ils établirent aussi des contacts avec des agents français à Rome. Parmi eux, le capitaine Marc’Antonio Colonna, neveu du cardinal Pompeo, alors au service du roi de France75. Sanfilippo assura que Palerme était si divisée qu’elle pouvait se prendre avec cinq ou six mille soldats76.

47Dans l’intention de recueillir de l’argent pour lever des soldats et impliquer les insurgés palermitains dans le projet profrançais, Giovan Vincenzo Imperatore et Cola Vincenzo Leofante arrivèrent à Palerme juste au moment où Gianluca Squarcialupo fut assassiné par Pompilio Imperatore77. Les nobles fidèles à la couronne avaient repris le pouvoir et il fallait repousser le plan. Entre-temps, Federico et Gian Vincenzo Imperatore furent amnistiés, en 1520, par Charles Quint. Le changement d’alliance du pape Léon X en 1521 exaspéra le parti français à Rome. Cesare et Francesco Imperatore reprirent contact avec Marc’Antonio Colonna qui s’était retiré à Frascati78. Ils lui assurèrent qu’outre Palerme, Messine aussi était prête à se soulever par le biais de Giacomo Spatafora, un jeune noble du patriciat urbain messinais79. Le capitaine promit de prendre contact avec le roi de France. En octobre 1521, Cesare Imperatore rejoignit Palerme dans l’intention de préparer les conditions favorables à une invasion du Royaume par Marc’Antonio Colonna80. Celui-ci devait attaquer Messine avec une armée et se proclamer seigneur de Sicile81. Cesare Imperatore avait communiqué le plan au trésorier Leofante qui s’était assuré la participation de son frère Girolamo et d’un certain Gaspare Pipi, un homme du peuple qui promettait une aide de 50 compagnons82. C’est à cette occasion que Cola Vincenzo Leofante et Cesare Imperatore auraient parlé du projet au comte de Cammarata, lequel se disait « multo prompto ad esseri cum li supradicti in revoltari la cità di Palermo per el dicto Re di Franza »83. Le comte aurait aussi entraîné dans la conjuration le baron de Cefalà, Federico Abbatellis, son homonyme et cousin84.

48En 1522, après la mort de Marc’Antonio Colonna, les conjurés durent changer à nouveau de programme. Depuis Rome, les opérations étaient probablement dirigées par le puissant cardinal de Volterra, Francesco Soderini, avec la complicité de son neveu Giuliano di Paoloantonio qui avait été nommé évêque de Saintes85. Le 10 mai, Francesco Imperatore partit pour la Cour de François I^er86. Il devait obtenir l’accord formel du roi et une première aide de 3000 écus pour recruter des soldats. En retour, il promettait que Palerme, Messine et Catane allaient se révolter et se donner à la France87.

49À la même époque, le vice-roi Pignatelli convoqua un nouveau Parlement à Palerme où le comte de Cammarata fit entendre sa voix. Il manifesta son opposition au versement obligatoire de 300.000 florins au roi d’Aragon tous les trois ans. Il affirma que le Royaume n’était pas en mesure de payer une telle somme, qu’il fallait la diminuer et en exempter les villes domaniales. C’était une nouvelle invitation aux Palermitains à se révolter.

50Pignatelli, qui avait compris le danger, se donna le temps d’informer Charles Quint et convoqua un nouveau Parlement pour le mois de juin, mais cette fois-ci à Messine88. Le 25 juin 1522, le comte se présenta à Messine accompagné d’une nombreuse suite. Craignant une nouvelle émeute, Pignatelli fit arrêter le comte, lequel fut transféré à la prison de Castelnuovo de Naples. Selon Alonso de Santa Cruz, historien officiel de Charles Quint, avec plusieurs autres membres de la noblesse sicilienne, le comte de Cammarata avait planifié de « vendre le Royaume au roi de France »89.

Arrestation de Francesco Imperatore en avril 1523

51Charles Quint voulait qu’Adrien VI déclare ouvertement que les deux plus grandes autorités de la chrétienté, l’empereur et le pape, avaient agi d’un commun accord en Italie90. Cela aurait pu freiner François I^er dans sa tentative de reconquérir le Duché de Milan91. Cependant, aspirant à la paix entre les deux princes, Adrien VI préféra garder un comportement neutre. Il souhaitait une paix générale et demanda aux princes chrétiens « de déposer des armes si pernicieuses pour la République chrétienne »92.

52De leur côté, en avril 1523, les partisans de François I^er tentèrent à nouveau d’organiser une révolte en Sicile et décidèrent d’envoyer une nouvelle fois Francesco Imperatore en France93. Avant son départ, celui-ci s’était confié à un Sicilien exilé à Rome, lequel, par le biais d’un noble sicilien, l’avait dénoncé au duc de Sessa, nouvel ambassadeur impérial auprès du pape94. L’ambassadeur, avec la complicité du cardinal Jules de Médicis, le fit arrêter à Castelnuovo, près de Rome. Francesco Imperatore portait sur lui des lettres du cardinal Soderini, grand ennemi du cardinal de Médicis. Dans une lettre adressée à la Cour de France, Soderini encourageait le roi à continuer la guerre au Duché de Milan et à attaquer la Sicile avec sa flotte95.

53Selon Guicciardini, la découverte de cette lettre mit le pape hors de lui puisque Soderini s’était toujours montré « désireux d’une paix universelle dans la Chrétienté » :

Le pontife en fut stupéfait : s’estimant abusé par ses simulations, et sur les vives instances du duc de Sessa et du cardinal de Médicis, il le fit convoquer et emprisonner au château Saint-Ange ; puis il nomma des juges afin de l’interroger sous l’inculpation de lèse-majesté pontificale, pour avoir incité le roi de France à attaquer la Sicile, fief du Siège apostolique96.

54Le cardinal de Volterra fut arrêté le 26 avril 1523. Cependant, par respect pour son titre, il fut traité avec une certaine clémence. Selon l’historien florentin, au cours des interrogatoires, il eut la possibilité de se défendre, assisté de ses procurateurs et ses avocats. Le pape, pour sa part, se contenta de lui confisquer une partie des biens97.

55Interrogé et torturé par le duc de Sessa, Francesco Imperatore révéla les noms des autres conjurés. Malgré la venue à Palerme de Claudio Imperatore, fils de Gian Vincenzo, pour les alerter, Pignatelli réussit à les arrêter. Francesco Imperatore et Cola Vincenzo Leofante, alors emprisonné à Naples à la suite d’une enquête fiscale, furent transférés en Sicile98. Le procès fut rapide et sommaire. Le tribunal du Royaume prononça sept condamnations à la peine capitale et deux à l’exil : Vincenzo di Benedetto et Claudio Imperatore. Le 18 juin 1523, sur la place du Duomo de Messine, on procéda à l’exécution des quatre premiers condamnés à mort : Federico et Gian Vincenzo Imperatore, Giacomo Spatafora et Giovanni Sanfilippo furent pendus puis écartelés.

56Trois semaines plus tard, le 11 juillet, à Milazzo où la Regia Gran Corte s’était transférée à cause de la peste, le trésorier Cola Vincenzo Leofante et Francesco Imperatore furent garrotés. Federico Abbatellis, baron de Cefalà, et son homonyme le comte de Cammarata, que l’on avait ramené de la prison napolitaine, furent décapités99. Les têtes des deux nobles furent par la suite exposées dans des cages en fer en haut du Palais Steri à Palerme où elles restèrent jusqu’en 1782100. Parmi les conjurés arrêtés, seul Pieruccio Gioiene, bien que torturé, ne confessa jamais avoir participé à la conjuration. Il resta plusieurs années en prison101.

57Entre-temps, le 30 avril 1523, Adrien VI avait proclamé une trêve de trois ans entre tous les princes chrétiens. L’ambassadeur Lodovico Canossa avait informé le roi de France de l’arrestation de Soderini et l’avait invité à dissimuler le plus possible ses intentions d’attaquer la Sicile102. François I^er écrivit au pape pour lui rappeler la constante fidélité du Royaume de France aux pontifes. Dans sa lettre, de manière assez irrespectueuse, il n’hésita pas à évoquer l’épisode de la gifle d’Anagni103. Il n’aurait pas trouvé meilleur moyen de pousser le pape dans les bras de Charles Quint104. Cependant, le pape mourut le 14 septembre 1523. Après la mort d’Adrien VI, de nombreux cardinaux demandèrent la libération de Soderini afin qu’il puisse participer au conclave. Malgré le conflit opposant les deux cardinaux, Soderini appuya la candidature de Jules de Médicis, le futur Clément VII, au siège pontifical.

Cesare Imperatore le rescapé

58Cesare Imperatore, le secrétaire de Pompeo Colonna, fut le seul des quatre frères à échapper à la mort malgré sa contamination. Selon Santa Cruz, il avait participé à la conjuration parce qu’il briguait le titre d’archevêque de Palerme. La découverte de la conspiration le força à l’exil105. Cependant, en 1527, alors que Clément VII s’était allié à François I^er, sa présence est attestée à nouveau à Rome. L’ambassadeur français, Guillaume du Bellay, seigneur de Langey, le rencontra dans cette ville quelques mois avant le Sac. Par son intermédiaire, le Sicilien envoya un discours au roi de France dans lequel il manifestait son désir de se mettre à son service106. Etait-t-il présent parmi les réfugiés siciliens et napolitains qui rejoignirent la flotte alliée devant attaquer la Sicile en novembre 1527 sous le commandement d’Andrea Doria et de Renzo da Ceri ?107 Rien ne l’atteste. En revanche, ses traces réapparaissent quelques années plus tard à la Cour du roi de France108.

59Tout comme il le fit avec les exilés napolitains, François I^er lui offrit sa protection et la somme de 300 écus soleil pour « s’entretenir au service du roi »109. En avril 1533, il lui octroya aussi une pension de 800 livres110. Deux ans plus tard, il l’envoya même en mission auprès de Barberousse et de Soliman. À cette époque, le roi français planifiait d’attaquer la Sicile avec le concours de ces deux nouveaux alliés111. En effet, en février 1535, alors que Charles Quint préparait la croisade pour reprendre Tunis, Jean de la Forêt, secrétaire de François I^er et abbé de Saint-Pierre-le-Vif, fut envoyé auprès de Soliman. Selon les instructions rédigées par le cardinal Duprat, l’ambassadeur devait présenter au sultan un « projet de pacification » qui n’en avait que le nom puisque, pour sa réalisation, il fallait nécessairement passer par la guerre contre l’empereur112.

60Pour le roi de France, il s’agissait de prendre possession de la Flandre, de l’Artois, du Milanais, de Gênes et des territoires de la Savoie qu’il disputait au duc Charles III en revendiquant les droits de sa mère Louise. De plus, il fallait convaincre Soliman d’attaquer l’empereur « en l’assaillant par le Royaume de Naples, par la Sécille, Sardaigne ou par les Espaignes »113. Pour Soliman, c’était l’occasion de consolider son pouvoir dans les territoires récemment conquis et de faire en sorte que les conquêtes du pirate Barberousse au nord de l’Afrique soient maintenues.

61Pour arriver à cette solution idéale, François I^er proposait une action commune en Méditerranée. Le corsaire devait attaquer la rivière ligurienne et la Corse aux mains des Génois puis débarquer en Sicile et en Sardaigne et y établir pour roi et seigneur un italien désigné par François I^er114. Une fois au pouvoir, celui-ci devait payer « par chacun an convenable tribut et pension audict » Sultan115. Le nouveau roi garderait la Sicile sous sa dévotion « soubz l’ombre et appuy » de François I^er. C’était le même plan que celui imaginé par Cesare Imperatore, en 1521, avant la mort de Marc’Antonio Colonna.

62L’ambassadeur partit de Marseille en direction de Tunis, puis de Constantinople, en février 1535. Cesare Imperatore était avec lui116. Il devait appuyer l’action de l’ambassadeur français et informer François I^er de l’avancement des négociations. Il devait aussi passer clandestinement par la Sicile, probablement pour préparer une éventuelle attaque117. Il pensait encore pouvoir jouir de l’aide d’amis et de parents siciliens pour fomenter une révolte et déstabiliser l’île118.

63La tentative échoua, puisque, après la victoire de Tunis, Charles Quint décida de passer par la Sicile pour enfin connaître le Royaume que son grand-père lui avait laissé en héritage. Toutefois, il est évident que même après le départ de l’empereur de la Sicile et la nomination du nouveau vice-roi Ferrante Gonzague, des Siciliens exilés continuaient à rêver d’une Sicile plus autonome sous la protection du roi de France. Tel est le cas d’un certain Francesco Ventimiglia et d’un parent de Cesare Imperatore, Girolamo, lesquels, en 1537, « ont faict le voyage devers le Turc sans argent du Roy – et sans leur venue, le Turc eus testé en chemin de retraicte avant que les princes neapolitains y fussent arrivez »119. Revenus de l’armée du Sultan, où ils avaient appuyé l’action des ambassadeurs français, ces bannis siciliens avaient été les premiers à donner des renseignements à François I^er sans que « ne leur fut jamais donné ung escu »120. Guillaume du Bellay, seigneur de Langey, depuis peu gouverneur de Turin pour le compte du roi de France, demanda à son frère Jean d’intercéder auprès du roi pour aider économiquement ces exilés121.

Conclusion

64Dans leur lutte pour l’hégémonie européenne, l’objectif majeur tant de François I^er que de Charles Quint était de préserver les territoires conquis par leurs prédécesseurs ou d’en revendiquer d’autres selon un principe d’héritage féodal, souvent invoqué comme un héritage perpétuel122. Dans cette logique s’inscrivent les revendications angevines du roi de France sur les Royaumes de Naples et de Sicile. Durant les Guerres d’Italie, le destin de ces deux Royaumes se joua dans les cours européennes et, dans un premier temps, fut plus lié aux négociations diplomatiques qu’aux exploits militaires. Après la mort de Ferdinand le Catholique, François I^er revendiqua immédiatement l’héritage sur ces territoires. Toutefois, tous les efforts diplomatiques et militaires visèrent à défendre d’abord, puis à reconquérir le Duché de Milan. Néanmoins, malgré cette priorité, pendant les premières années de son règne, il n’abandonna jamais l’idée de destiner le sud de l’Italie à l’un de ses enfants. Le Traité de Noyon le réservait à sa fille Louise, le traité signé secrètement avec Léon X, à son fils Henri.

65D’autre part, en se montrant disposé à aider la conjuration des frères Imperatore et à appuyer le projet d’envahir la Sicile en 1535, avec l’accord de Soliman et Barberousse, le roi montre que, après 1521, il restait prêt à favoriser toute entreprise destinée à déstabiliser le Royaume de Sicile. Il alla même jusqu’à accepter que, sous sa protection, un Italien exilé puisse gouverner l’île. De toute évidence, après la désastreuse expédition du duc d’Albany en 1525, la défaite de Lautrec en 1528 et la « traîtrise » d’Andrea Doria en 1528, le Royaume de France ne pouvait vraiment plus prétendre à une position hégémonique dans le sud de la Méditerranée et le recours aux alliés « infidèles » était une des différentes façons de résister à la puissance impériale.

66Entre-temps, mis à part les rêves chimériques de quelques exilés comme Cesare Imperatore, la Sicile avait perdu ses velléités autonomistes. Dans son ensemble, la noblesse féodale avait montré sa fidélité à Charles Quint et le Parlement sicilien avait toujours répondu positivement aux demandes d’argent de l’empereur pour financer la guerre en Italie. En 1525 et en 1528, deux subsides de 300.000 florins chacun avaient été accordés. En échange, le Parlement avait obtenu que la moitié des bénéfices ecclésiastiques soient réservés aux insulaires et que les bateaux siciliens soient exclusivement employés à la surveillance des côtes de l’île. La nécessité de défendre son territoire du danger turc et barbaresque liait de plus en plus la Sicile à l’empereur123. Un lien réciproque puisque la Sicile était le grenier à blé durant les périodes de guerre ou de famine.

67Le 20 août 1535, l’empereur débarqua à Trapani avec son armée, vingt-mille esclaves chrétiens libérés à Tunis, plus un nombre important d’esclaves musulmans capturés en Afrique124. À Palerme, il convoqua un Parlement extraordinaire pour obtenir un nouveau subside de 250.000 florins. En échange, il reconnut les Chapitres et les Constitutions du Royaume, limita les pouvoirs de l’Inquisition, rendit justice comme le demandait le peuple et nomma vice-roi Ferrante Gonzague pour remplacer le comte de Monteleone, mort en mars 1535125.

68Quelque temps plus tard, à Naples, l’empereur apprit la mort de François II Sforza, duc de Milan, survenue le 24 octobre 1535. François I^er envoya alors un ambassadeur à Naples pour exiger que l’inféodation du Duché soit réservée à son deuxième fils Henri, duc d’Orléans, précisant qu’il voulait en garder l’usufruit. Par ailleurs, le roi de France venait de déclarer la guerre à son oncle le duc de Savoie, beau-frère de l’empereur, revendiquant les territoires hérités de sa mère. Il préparait une armée à Lyon pour occuper la Savoie et le Piémont.

69Suivant le conseil de Nicolas de Granvelle, l’empereur proposa de donner le Duché de Milan au troisième fils de François I^er, Charles d’Angoulême, assorti d’un mariage avec l’une des filles de Ferdinand I^er. Mais il refusait d’en concéder l’usufruit au roi126. Par cette proposition, l’empereur voulait montrer ses intentions de paix et retarder les préparatifs de guerre de son adversaire. Mais, en février 1536, François I^er la refusa : il voulait le Duché de Milan pour son fils Henri et en garder l’usufruit. S’il en était autrement, une guerre serait inévitable. L’empereur demanda du temps pour réfléchir, mais en réalité il préparait son armée. Quelques mois plus tard, une nouvelle guerre éclatait au Nord de la péninsule italienne. Elle se termina par l’invasion de la Provence qui fut désastreuse pour les troupes impériales.