Bône et ses italiens : un modèle Colonial d’intégration urbaine ? (1871-1919)
p. 171
Texte intégral
« Maint village, mainte ville salubre, où l’on voit aujourd’hui de nombreux enfants blancs et roses s’amuser dans les rues, a dans son cimetière deux ou trois couches superposées de colons qui sont morts à la peine, après avoir ameubli et assaini le sol pour leurs successeurs. Souvent des cultivateurs de nationalités diverses s’y sont essayés les uns après les autres : Suisses, Alsaciens, Mahonnais, Espagnols, Maltais, Provençaux ont pris chacun leur part de la tâche difficile. La terre a été conquise bien plus par la charrue que par l’épée ».
E. Reclus, Nouvelle géographie universelle : la terre et les hommes, t. 11, Paris, Hachette, 1886, p. 297.
1Il n’est pas surprenant qu’Élisée Reclus, faisant ici une présentation épique des premiers colons-cultivateurs européens, ne mentionne pas les Italiens à la suite des diverses « nationalités » citées. Les immigrants italiens, et encore moins ceux qui se sont sédentarisés à Bône, ne sont venus ni pour la propriété de la terre, ni pour son exploitation. Les premières décennies de la Troisième République correspondent, nous l’avons vu, à une période au cours de laquelle l’immigration italienne vers l’Algérie, principalement maritime, s’intensifie et se stabilise surtout dans les zones urbaines du Constantinois. La politique conjointe de protectionnisme et d’ouverture de la nationalité menée depuis le milieu des années 1860 a entrainé la naturalisation d’une large frange des Italiens qui forment désormais un groupe numériquement conséquent dans les villes du littoral comme Bône. Ainsi, en Algérie, la naturalisation est d’abord un phénomène urbain.
2Nous voulons interroger ici les modalités de l’implantation des Italiens à l’échelle locale en centrant notre propos sur un groupe spécifique, très représenté à Bône, celui des naturalisés. L’étude des Italiens naturalisés présente l’intérêt de pouvoir envisager les différentes étapes du processus migratoire en suivant les individus depuis leur région de départ jusqu’à leur installation et de comprendre dans quelle mesure la naturalisation a pu constituer un facteur déterminant de l’assimilation des étrangers européens à la société coloniale algérienne. En nous appuyant sur les outils forgés par l’histoire de l’immigration en France sous la Troisième République, il s’agit de mettre en évidence les enjeux spécifiquement algériens de ce processus qui se construit en marge de la population colonisée, certes minoritaire à Bône tout au long de cette période, mais largement majoritaire dans l’ensemble des trois départements.
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