Chapitre 12. De l’arrière-cour à l’artère marchande
p. 233-253
Texte intégral
1S’il est vrai que les boutiques ont joué un rôle dans la structuration de l’espace bâti d’Ostie, elles ont également agit sur la constitution de territorialités urbaines1. Comment les boutiques d’Ostie et les activités qui y ont lieu sont-elles réparties ? Peut-on distinguer différentes territorialités ? Quels facteurs président à cette distribution spatiale ?
2Nous choisissons d’avoir recours à la notion de centralité telle qu’elle est définie par les géographes et plus particulièrement celle de la centralité commerciale2. Il faut donc considérer la place des commerces dans les réseaux viaires urbains et, inversement, la concentration en une même zone de différents commerces qui permet d’évaluer la centralité commerciale d’un secteur urbain.
12.1 L’inégale répartition des boutiques
3Afin d’étudier les logiques de répartition des boutiques d’Ostie à l’échelle de la ville, nous choisissons d’avoir recours à la rue comme unité d’analyse plutôt qu’à celle de quartier. Celle-ci nous semble plus pertinente que des découpages modernes artificiels tels que les regiones d’Ostie. En outre, la rue en tant qu’unité de circulation permet une approche opérante des sous-ensembles urbains3.
4Le système viaire d’Ostie n’a fait l’objet que de peu d’études. En réalité, seules trois publications lui ont été consacrées. Il s’agit d’un article d’A. Gering traitant des mutations tardives des rues de la ville, d’un article de R. Mar consacré au trafic et aux espaces publics, tandis qu’A. Kaiser consacre une partie de son livre aux rues d’Ostie dans le cadre d’une comparaison avec celles d’autres sites4.
5Le système viaire d’Ostie tel qu’il se présente aujourd’hui résulte de modifications postérieures au rehaussement entrepris à l’époque de Domitien, probablement pour faire face aux crues du Tibre5. Le tracé viaire se distingue de celui de Pompéi par son irrégularité. Ostie est un site enclavé entre le Tibre et la côte. En outre, le maillage d’Ostie est contraint par une persistance de plan : comme F. Zevi l’a souligné, la courbe formée par la Via della Foce et la section méridionale du Cardo Maximus correspond au prolongement de la Via Laurentina se dirigeant vers la bouche du Tibre6. Le castrum d’Ostie est localisé à l’intersection de la Via Ostiense et de la Via Laurentina, à l’emplacement du futur forum. Les vestiges républicains d’Ostie témoignent de la persistance du tracé des grands axes dans le maillage postérieur au rehaussement impérial. Du fait de ces contraintes, le parcellaire d’Ostie se caractérise par une certaine hétérogénéité. Si le parcellaire des zones situées au sud du Decumanus semble peu régulier, la partie septentrionale de la ville, longeant le Tibre se distingue au contraire par une forte orthogonalité.
6La densité commerciale d’Ostie est calculée par tronçon de rue, correspondant à une partie de rue délimitée par deux intersections. Trois types de rues sont distinguées : les rues très commerçantes comportent plus de deux boutiques tous les 10 mètres ; les rues moyennement commerçantes comportent entre 0,8 et 2 boutiques tous les 10 mètres et les rues peu commerçantes comportent moins de 0,8 boutique tous les 10 mètres (pl. XIV)7.
7Ces fréquences peuvent être rapportées à celles des portes de Pompéi, d’Ostie et de Rome calculées par R. Laurence. Ce dernier indique qu’on rencontre en moyenne 1,37 porte tous les 10 mètres à Pompéi, 3,12 tous les 10 mètres à Ostie et qu’elles seraient encore plus fréquentes à Rome selon les fragments de la Forma Urbis. Ces différences s’expliquent, selon R. Laurence, par le grand nombre d’immeubles d’Ostie, mais également par une circulation plus importante dans les rues8. Ajoutons à cela la densité des boutiques à l’hectare qui passe du simple au double de Pompéi à Ostie, ordre de grandeur qui coïncide avec la fréquence des portes. Cet indice semble étroitement corrélé à la densité démographique des villes.
8En premier lieu, il apparaît que les boutiques se concentrent principalement le long des artères de la ville : le long du Decumanus et du Cardo ; le long de la Semita dei Cippi qui mènent vers la Porta Marina, la Porta Laurentina et la Porta Romana9. Une forte densité de boutiques s’observe également au niveau de l’intersection entre le Decumanus et la via della Foce, située à l’ouest du Forum. En ce point, cinq rues se croisent pour former un carrefour en patte d’oie constituant un véritable commutateur urbain à la jonction des rues menant vers les différentes portes de la ville. Des rues secondaires, qui ne mènent pas directement aux portes de la ville, sont également fortement commerçantes en certaines zones. Elles se concentrent au nord du Forum : la Via Epagathiana, la via del Larario, la via delle casette repubblicane ; la via del portico di Pio IX, la via di Diana, la via dei Lari, la via dei Molini. Il existe aussi une concentration au niveau de la via degli Aurighi, la via della Fortuna Annonaria, ainsi que l’angle formé par la via della Fontana et la via delle Corporazioni. Ces dernières sont généralement directement accessibles depuis les grandes artères de la ville.
9Les rues peu commerçantes se concentrent dans les zones les plus reculées de la ville et sont souvent situées entre de grands édifices comme les Case a Giardino (III, ix) ; l’axe compris entre le Caseggiato del Serapide (III, x, 3) et l’îlot III, i ; puis entre les Terme del Mithra (I, xvii, 2) et l’aula dei Mensores (I, xix, 4) ; la voie comprise entre le Piccolo Mercato (I, viii, 1) et le Portico di Pio IX (I, v et I, vi) ; l’axe longeant la façade orientale des Grandi Horrea (II, ix, 7) et la via dei Serpenti ; enfin une dernière zone de faible concentration se situe le long des axes secondaires situés au nord du complexe de Neptune. La Via della Foce est traditionnellement considérée comme un axe très fréquenté d’Ostie10. Cependant, cette rue ne mène vers aucune porte, aucune route permettant de quitter ou de pénétrer dans la ville d’Ostie ; il s’agit par conséquent d’une rue d’une faible valeur topologique. Elle comporte différents degrés de concentrations de boutiques ; il est donc impossible de la qualifier de rue à forte densité commerciale.
10L’ensemble de ce dossier indique donc que la centralité commerciale est liée à la l’accessibilité.
11Il existe toutefois deux exceptions à cette observation. Il s’agit en premier lieu du Forum. En dépit de son emplacement central et de son statut nodal dans la circulation urbaine, cet espace apparaît comme une zone de faible ou de moyenne concentration commerciale11. Seules quelques boutiques bordent cette place principale. Selon C. Baratto, Ostie constitue une exception en la matière dans la péninsule italique : la majorité des forums des villes italiennes sont entourés de boutiques12. Par ailleurs, le forum se distingue du reste du réseau viaire d’Ostie par son caractère piétonnier13. L’absence de trafic et de commerce permettait sans doute de réserver cet espace à sa fonction politique.
12Inversement, certaines rues dont l’accessibilité et la place dans le réseau viaire d’Ostie étaient mineures se caractérisent par une très forte densité commerciale. Il s’agit d’une part des impasses et des cours d’immeubles qui ne mènent à proprement parler nulle part, mais sont bordées de nombreuses boutiques. Il en va de même pour le Portico di Pio IX qui se situe entre le forum et le Tibre et dont l’accès fut restreint au sud de manière à en faire une rue piétonnière14. Il pouvait donc s’agir d’une annexe commerciale du forum. Le faible rôle de ces rues dans la circulation urbaine couplée à leur fonction commerciale prononcée fait de ces espaces des lieux dont la fréquentation ne se justifie que par la nécessité d’effectuer des transactions.
13L’implantation d’une boutique sur une rue fortement fréquentée permet d’attirer un plus grand nombre de clients, ce qui explique l’importance du facteur de l’accessibilité.
14Pour R. Laurence, la configuration du tissu urbain de Pompéi est régie par la concurrence des acteurs pour que leur édifice ait une façade donnant sur la rue (« competition for street frontage »)15. Selon cette théorie, cette situation permettrait aux élites d’afficher l’importance de leur clientèle lors de la salutatio dans le but de renforcer leur assise politique dans la ville16. Cependant, dans le cadre de la « competition for street frontage », la victoire revient indéniablement aux boutiques étant donné leur grand nombre et par extension la part importante des façades qu’elles occupent. Ceci amène à critiquer la proposition de R. Laurence : le fait d’avoir une porte donnant sur rue n’obéit-il pas avant tout à l’impératif de l’accessibilité des édifices ? En ce cas, il n’est pas étonnant qu’à quelques exceptions près (comme les unités construites accessibles depuis une cour interne), la plupart des unités topologiques disposent d’une entrée donnant sur la rue. L’étude des densités commerciales d’Ostie nous pousse toutefois à minimiser le poids du facteur culturel dans la répartition des activités, tant le rôle joué par l’accessibilité semble important.
15Ostie constitue sans nul doute un cas isolé du fait de son rôle économique, elle se caractérise par une relative dispersion commerciale. Il semble que celle-ci résulte de facteurs multiples. Il faut en premier lieu minimiser le rôle des autorités publiques. Hormis la très faible concentration, voire l’absence de commerces sur le forum, aucune opération de planification commerciale à Ostie n’est manifeste. Au contraire, les facteurs principaux présidant à la répartition spatiale des boutiques résident dans le réseau viaire. On remarque ainsi que les boutiques se concentrent le long des rues, et plus particulièrement le long des artères et des carrefours principaux. De ce fait, la question de la circulation, et par extension de la clientèle potentielle, semble avoir joué un rôle majeur.
16D’autre part, comme nous l’avons mis en évidence au cours de la première partie, la concentration des boutiques dépend étroitement de la nature des édifices auxquels elles sont liées et des processus socio-économiques dont ils résultent. En cela, la répartition des boutiques dépend intimement du découpage parcellaire et de sa persistance dans la morphologie urbaine d’Ostie. Ainsi, la forme des parcelles détermine l’étendue de la façade et par là même, le nombre de boutiques que l’édifice est à même d’abriter. Par conséquent, la stabilité du parcellaire tend à minimiser le rôle joué par l’économie du sol. Le choix d’implantation des commerces ne s’opère pas dans un espace isotrope et sur la seule question du rapport entre le prix d’un terrain et son accessibilité comme cela a été proposé en géographie contemporaine17.
12.2 La cour d’immeuble et les bains
17À Ostie, quelques ensembles de boutiques se distinguent par leur localisation en retrait du système viaire et leurs modalités d’accès. Nous les définissons comme des ensembles de boutiques partageant un accès commun pouvant être fermé. Il faut donc s’interroger sur leurs modalités d’accès, sur la nature de leur clientèle, ainsi que sur les éventuelles formes d’organisation professionnelles qu’elles impliquent. Trois groupes sont à distinguer : les boutiques localisées autour des cours internes des immeubles ; les locaux situés au sein des édifices balnéaires, ainsi que les ensembles de boutiques intégrés à des portiques pouvant être fermés.
12.2.1 Dans les cours d’immeubles : petit commerce et voisinage
12.2.1.1 Des espaces ouverts à tous
18Certaines boutiques d’Ostie sont disposées autour d’une cour intérieure d’immeuble18. La distinction traditionnelle entre les cours simples, celles dotées de portiques et celles qui sont accessibles depuis un tablinum n’est pas pertinente dans le cadre de cette étude et ne sera donc pas retenue19. Il convient de distinguer les cours simples des cours-passages permettant de traverser l’îlot20. Au total, seules sept cours internes entourées de boutiques peuvent être identifiées. Il est possible d’identifier cinq cours simples : l’édifice I, ii, 5 intégrant 8 boutiques ; le Caseggiato del Larario (I, ix, 3) regroupant 10 boutiques ; les Case a giardino (III, ix) avec 21 boutiques ; le Caseggiato del Serapide (III, x, 3) comprenant 4 boutiques et le Caseggiato dell’Ercole (IV, ii, 2-4) avec 6 boutiques. Par ailleurs, les cours des édifices IV, v, 7 intégrant 6 boutiques et IV, v, 18 avec 12 boutiques semblent avoir été des cours-passages. Toutefois, la partie la plus reculée de ces édifices n’est pas dégagée ; il est donc impossible d’en définir les modalités de circulation. Hormis le Caseggiato dell’Ercole, daté de la seconde moitié du IIe siècle, toutes ces cours sont datées du début du IIe siècle21.
19Selon D. Scagliarini Corlàita, les cours internes font office de véritables places commerciales22. La question de leur accès et par extension de leur clientèle est cruciale.
20Les seuils permettant d’accéder aux cours des immeubles sont à deux vantaux. Par exemple, la cour interne du Caseggiato del Larario (I, ix, 3) est accessible par le biais d’un vestibule principal, situé au sud, disposant d’un seuil fragmentaire à deux vantaux (fig. 77). Le vestibule occidental possède deux seuils analogues, permettant de fermer la porte donnant sur la via del Larario et celle donnant sur la cour. Ce vestibule est également accessible depuis une petite pièce dont la fonction est inconnue. Une situation semblable est remarquable dans le Caseggiato dell’Ercole (IV, ii, 2-4). Les vestibules de la partie septentrionale sont pourvus de seuils à deux vantaux, tandis que les accès méridionaux à la cour interne en sont dépourvus. Deux situations peuvent être envisagées : soit les seuils méridionaux ont disparu : la cour pouvait alors être fermée des deux côtés. Sinon, les accès méridionaux pouvaient avoir été originellement dépourvus de seuils. Le seuil septentrional pouvait alors servir pour limiter la circulation à l’intérieur de la cour. Cette seconde hypothèse semble toutefois peu probable étant donné que les portes méridionales donnent sur un axe majeur, le cardo, tandis que la porte septentrionale donne sur la via della caupona. De ce fait, le contrôle de l’unique porte septentrionale semble peu efficace.
21Il n’y a qu’une cour interne (IV, v, 7) dont l’accès est conditionné par un seuil à rainure longitudinale (fig. 78). La présence d’un tel seuil s’explique probablement par le caractère exclusivement commercial de cet ensemble lors de sa première phase. Un escalier, menant peut-être à des appartements aux étages n’a été aménagé que dans un deuxième temps au sud de l’édifice. De ce fait, cette construction agissait probablement, dans un premier temps, comme un ensemble strictement commercial, dont l’accès était contrôlé par un seuil à rainure longitudinale.
22La présence de boutiques dans ces lieux clos indique-t-elle que ceux-ci étaient accessibles à tous ? Ce caractère public va à l’encontre de la théorie de F. De Ruyt selon laquelle la cour d’immeuble est l’héritière de l’atrium et l’ancêtre de la cour du palazzo de la Renaissance23. Au contraire, P. Gros souligne que certaines de ces cours relèvent de l’espace public, tandis que C. Saliou indique qu’elles peuvent être assimilées, dans les sources juridiques, à la rue24. Il est impossible de déterminer avec certitude si la porte d’une cour était gardée fermée et n’était ouverte que par des personnes détenant une clé ou au contraire si cette porte ne permettait pas uniquement de fermer la cour une fois les boutiques closes. Il est difficile d’envisager un groupe de plusieurs boutiques accessibles par un groupe extrêmement retreint de clients constitué par les uniques habitants de l’îlot. Une clientèle aussi réduite rendrait très difficile la génération d’un profit suffisant au maintien de ces commerces. C’est la raison pour laquelle l’idée que les boutiques des cours étaient accessibles à tous paraît plus vraisemblable. Cette hypothèse est confortée par la présence dans certaines de ces boutiques de deux baies : l’une donnant sur la cour interne, l’autre sur la rue. Il s’agit des boutiques flanquant l’entrée principale des édifices IV, v, 7 et IV, v, 18. En effet, la présence de boutiques indique que ces espaces n’étaient pas uniquement accessibles par les habitants de l’îlot.
12.2.1.2 Un lointain cousinage avec les souks et les passages parisiens
23Les modalités d’accès spécifiques de ces boutiques ont poussé les archéologues et historiens à les comparer aux macella, mais surtout à des ensembles commerciaux attestés en d’autres lieux et à d’autres époques : les souks, les passages couverts modernes et les funduqs. Toutefois, ces comparaisons reposent bien souvent sur une vision assez approximative de ces catégories architecturales. Elles méritent donc d’être revisitées.
24Le Caseggiato del Larario fut comparé à un macellum par D. Scagliarini Corlàita et par P. Gros25. La fonction de ces boutiques étant inconnue, il est impossible de les assimiler sur le plan fonctionnel à des macella, où seuls des produits alimentaires étaient vendus. Les boutiques de cours sont similaires aux macella en ce qu’elles forment un ensemble relativement clos, dont l’accès est assuré par le biais d’un couloir pourvu d’un seuil qui en assurait la clôture. Toutefois, plusieurs caractéristiques architecturales distinguent ces deux types d’ensembles. Il s’agit en premier lieu de l’absence de la tholos qui occupe traditionnellement le centre des marchés alimentaires26. D’autre part, au sein du corpus des macella élaboré par Cl. De Ruyt, seul un marché dispose d’un escalier menant à un étage probablement occupé par des appartements. Il s’agit précisément du macellum d’Ostie27. Cette particularité pourrait s’expliquer par la présence bien plus fréquente d’étages à Ostie que dans les autres villes où un macellum a été identifié.
25En 1923, G. Calza rapproche le Caseggiato del Larario à un funduq28. Sept ans plus tard, R. Meyer Riefstahl compare le marché de Trajan au funduq dans le but d’ouvrir une recherche sur les origines communes des marchés romains et orientaux29. Cette comparaison doit être rejetée. Le funduq, khan ou caravansérail est un établissement commercial destiné à abriter les marchands et leurs marchandises lors de leurs étapes le long des routes commerciales. Ces édifices sont donc pourvus de logements. S’il s’agit d’un lieu de transaction, il n’est pas comparable aux commerces des boutiques dans lesquelles les commerçants exercent leur profession de manière pérenne dans la ville30. Selon C. Tavernari, la présence de boutiques au sein de caravansérails n’est que très rarement attestée31. Ce type d’édifices ne partage avec les boutiques d’Ostie que leur organisation autour de cours internes à ciel ouvert. C’est la raison pour laquelle l’assimilation de l’une à l’autre de ces deux catégories d’édifices doit être rejetée.
26Cette comparaison entre boutiques et marchés orientaux se fonde sur deux critères principaux. Il s’agit d’une part de la question de l’accessibilité de ces boutiques. G. Calza le premier, dans le rapport de fouilles du Caseggiato del Larario publié dans les Notizie degli scavi de 1923 propose cette comparaison en se fondant sur la communication indirecte entre ces boutiques et le système viaire d’Ostie. Il y voit un nouveau type de boutiques qu’il compare au bazar32. Cette comparaison fut reprise par de nombreux archéologues et historiens33.
27D’autre part, cette comparaison repose sur la question fortement débattue du regroupement des boutiques à l’échelle de la ville, ainsi que sur celle de l’existence de quartiers spécialisés34. Ces critères poussent certains spécialistes à rejeter la comparaison. En 1939, G. Calza constate qu’à l’échelle de la ville, les boutiques d’Ostie sont trop dispersées pour être assimilées à l’organisation compacte des souks35. De manière générale, R. Martin oppose le regroupement des boutiques des villes grecques dans les zones publiques à la dispersion des commerces dans les villes romaines que l’on retrouve également dans les rues36. Toutefois, J.-P. Morel réaffirme les similitudes entre les boutiques romaines et les souks orientaux37.
28J. Andreau reprend la comparaison entre le Caseggiato del Larario et le bazar : « Lorsque les fouilles d’Ostie mettent à jour un grand bazar tel que la Maison du Laraire, il est difficile, en l’absence d’informations supplémentaires, de préciser quelle fonction économique, et quelle signification sociale avait cette juxtaposition des boutiques. Y vendait-on des produits divers, ou un seul produit ? Est-ce un témoignage du regroupement de boutiques et d’artisans qui travaillaient pour eux-mêmes, ou avaient-ils tous un même patron ? La construction du bazar est-elle le fruit de leurs initiatives, de celles de leur(s) éventuel(s) patron(s), ou d’une décision municipale ? ». Le regroupement de boutiques signifie-t-il la vente de produits identiques ? Ces boutiques étaient-elles gérées par un seul et même patron ? Enfin, ce complexe a-t-il été construit sur initiative municipale ?38 La comparaison de ces boutiques avec les souks arabes ou les bazars persans doit être nuancée. Selon F. Mermier, les édifices de ce type construits « en dur » n’apparaissent qu’au VIIIe siècle dans les villes arabes39. Le terme renvoie à des réalités différentes selon les époques et les aires géographiques. Il est toutefois généralement employé pour désigner « le complexe topographique où sont concentrées les activités artisanales et commerciales, [il] sert aussi à dénommer, au sein de celui-ci, la ou les ruelles où sont regroupés les ateliers ou boutiques d’un même métier »40. Selon P. Cuneo, ces complexes commerciaux ne se définissent pas par leurs caractéristiques architecturales qui sont trop instables, mais par leur localisation sur les grandes artères menant aux portes des villes, ainsi que par l’existence de regroupements professionnels41. Les archéologues comparant les cours internes des immeubles font ici référence aux vastes édifices commerciaux abritant un réseau de voies couvertes bordées de boutiques et d’ateliers. Selon le modèle proposé par J. Sauvaget, les souks proviennent de l’empiétement des boutiques sur les colonnades antiques42. Des boutiques sont construites d’abord par des particuliers sur l’emplacement de la rue antique, en appui contre la colonnade, formant ainsi deux rues bordées de boutiques et couvertes par le portique. Dans un deuxième temps cette solution architecturale vernaculaire a été reprise sous une forme institutionnalisée. Ce processus donne donc naissance à un espace de circulation couvert qui se distingue fortement des boutiques sur cours d’Ostie. Elles ne bordent ici qu’un unique espace central à ciel ouvert et non pas un enchevêtrement de rues couvertes. Par ailleurs, le souk ou le bazar est étroitement associé à une organisation socio-économique des métiers43. Le complexe est parfois subdivisé en zones spécialisées permettant de faciliter les contrôles et favorisant des concentrations commerciales.
29G. Calza et bien plus tard J. DeLaine, ont comparé les boutiques organisées autour d’une cour interne aux passages des capitales modernes44. À Paris, la galerie de bois construite en 1786 au Palais-Royal – également appelées « le camp des Tartares » en raison des activités suspectes qui s’y déroulaient nuitamment – préfigure les passages couverts qui se développent durant la première partie du XIXe siècle45. Il s’agit de galeries marchandes couvertes d’une verrière abritant des rues piétonnes permettant de traverser les îlots. À Paris comme à Londres, l’architecture des passages s’inspire de celle des bazars, ce qui se traduit dans certains toponymes comme celui du passage du Caire46. Selon W. Benjamin, leur apparition est conditionnée par l’apogée du commerce textile – et par extension du luxe – d’une part et par la maîtrise des constructions métalliques d’autre part47. Les passages couverts font apparaître la rue comme un intérieur par leur décoration et leur capacité de clôture, formant ainsi un cadre à la « fantasmagorie du flâneur ».
30La comparaison avec les souks et les passages se heurte aux modalités de circulation de ces complexes. Les cours d’Ostie n’agissent pas comme des passages ménagés au cœur d’un îlot reliant différentes rues. Le seul cas de ce type attesté à Ostie est la Via tecta degli aurighi reliant la via sud delle casette tipo et le Cardo ; elle est toutefois dépourvue de boutiques. Au mieux, certaines cours dont il est question sont accessibles depuis deux rues perpendiculaires (Caseggiato del Larario et Caseggiato del Serapide). Les ensembles IV, v, 7 et IV, v, 18 d’Ostie débouchent sur d’autres édifices (respectivement la domus IV, v, 8 et les vestiges d’un édifice encore inconnu), mais non sur des rues. Le point commun rapprochant les boutiques sur cour d’Ostie, les bazars et les passages réside dans leur capacité à être fermés, les coupant des voies de circulation urbaines.
31Le seld médiéval britannique constitue un autre point de comparaison possible avec ces ensembles. Il s’agit d’une structure située en arrière des rues composée de plusieurs boutiques consacrées à des activités identiques ou complémentaires48. Toutefois, aucune organisation professionnelle particulière ne semble associée à ces structures49. Le Saint Martin’s seld (fig. 79) de Londres, daté du milieu du XIIIe siècle, possède des caractéristiques analogues à celles des édifices IV, v, 7 et IV, v, 18 : des boutiques flanquent un espace de circulation axial occupant le centre de l’édifice. En revanche, les boutiques sur cours d’Ostie se démarquent des selds par les liens très forts qu’elles entretiennent avec les habitations situées aux étages. Les boutiques occupent le rez-de-chaussée des immeubles et sont organisées autour de cours d’immeubles, tandis que le Saint Martin’s seld est le seul édifice occupant l’impasse.
12.2.1.3 Au cœur du voisinage
32Suite à un examen plus précis, toutes ces comparaisons trouvent leurs limites. Les édifices commerciaux évoqués se caractérisent par une accessibilité restreinte ou par leur organisation en espace fermé. Toutefois, les cours ou impasses d’Ostie se distinguent de ces points de comparaison car elles n’agissent pas comme des passages couverts permettant de traverser un îlot. Leur utilité en termes de circulation reste très mineure.
33Les bâtiments commerciaux évoqués semblent bien moins multifonctionnels que les cours d’immeubles d’Ostie. Ces dernières accueillent des boutiques – dotées parfois de logements –, mais également des appartements aux étages. Les boutiques du Caseggiato del Larario et celles du Caseggiato del Serapide sont pourvues d’étages probablement habités. Certaines de ces cours internes sont pourvues de niches cultuelles50. De telles structures existent dans le Caseggiato del Larario, ainsi que dans le Caseggiato dell’Ercole. Cette identification semble être confortée par les études des laraires de Pompéi menée par W. Van Andringa51. Ce dernier indique toutefois que ces niches pouvaient accueillir d’autres cultes domestiques comme celui d’Hercule, de Vénus, ou encore d’un genius loci52. Le Caseggiato del Serapide est quant à lui pourvu d’un autel orné d’une statue représentant Sérapis. En outre, dans chacune de ces cours entourées de boutiques il y a une citerne ou un bassin approvisionnant en eau les habitants et boutiquiers53. De ce fait, ces édifices étaient pourvus d’installations techniques communes54. En l’absence de couverture, les cours constituent également une source lumineuse importante, ainsi qu’un cadre coupé des rues de la ville. Contrairement aux bazars et galeries modernes, la cour agit comme un pivot central de la vie en immeuble et des sociabilités de voisinage55. En cela elle se rapproche davantage de la cour d’immeuble décrite par E. Zola dans l’Assommoir dans laquelle Gervaise Macquart tient sa blanchisserie qui est directement accessible depuis la cour.
34Seule la fonction de deux boutiques sur cour peut être approchée. Dans l’édifice IV, v, 7, un commerce alimentaire (r4i05b32) a été identifié, tandis que dans l’ensemble IV, v, 18, une boutique est dotée d’un bassin maçonné de fonction inconnue. Malgré la pauvreté de la documentation archéologique, l’absence d’équipements similaires dans chacune de ces boutiques pousse à rejeter l’idée d’une spécialisation artisanale ou commerciale de ces ensembles.
35Ces boutiques se caractérisent par leur inscription dans une unité topologique à accès contrôlé, disposant d’équipements communs et se situant en retrait du système viaire de la ville.
12.2.2 Des boutiques pour les baigneurs
36Quelques boutiques d’Ostie sont situées à l’intérieur de thermes. Deux localisations sont à distinguer : les boutiques donnant sur la palestre et celles situées à l’intérieur des thermes.
12.2.2.1 Au seuil du circuit thermal
37La palestre est définie par A. Bouet comme « une zone à l’air libre destinée à la pratique du sport56». Cette définition met en évidence les difficultés que rencontre leur identification. Nous considérons ici comme palestres toutes les cours associées aux bains d’Ostie. Des boutiques sont situées sur les palestres des thermes du Forum et ceux de Neptune.
38Dans ces deux cas, l’accès à la palestre ne semble possible que depuis le complexe thermal même ou encore depuis des corridors dont certains sont encore pourvus de seuils à deux vantaux. Il semblerait donc que les palestres soient également sujettes à un accès restreint, ou tout du moins contrôlé.
39Dans les Terme di Nettuno (II, iv, 2), deux boutiques équipées d’un seuil à rainure longitudinale donnent sur une salle interne, ornée d’une mosaïque de pavement représentant Neptune parmi des monstres marins. Cette salle ne possède aucun aménagement servant directement aux activités balnéaires tel que des baignoires, piscines, hypocaustes ou tubulures. Cette pièce est précédée de trois vestibules donnant sur la Via dei Vigili, le Decumanus Maximus et la palestre, et précède une pièce froide des bains.
40Dans les thermes del bagnino Buticosus (I, xiv, 8), une boutique possède deux portes donnant d’une part sur le couloir d’entrée des thermes et d’autre part sur une vaste pièce disposant de banquettes maçonnées située au départ du circuit thermal.
41Deux boutiques sont également situées à l’intérieur des Terme dei Cisiarii (II, ii, 3). La première est probablement tardive étant donné l’opus mixtum à bandes employé dans ses piédroits. Elle donne sur une pièce identifiée par G. Poccardi comme le vestibule, tandis qu’une autre boutique donne sur une grande pièce pourvue d’une mosaïque de pavement représentant une enceinte et des conducteurs de chariots, cette pièce précède le départ de l’itinéraire balnéaire57.
42Toutes ces boutiques ne sont pas en contact direct avec la rue, mais sont accessibles depuis des salles situées à l’intérieur des thermes, précédant le circuit thermal. Ces dernières étaient des salles de distribution, correspondant à l’apodyterium tel qu’il est entendu par A. Bouet58.
43Ces boutiques associées aux thermes se caractérisent par un accès restreint. Le client est contraint de pénétrer dans l’édifice afin d’accéder aux boutiques. Celles-ci devaient donc être réservées aux clients des thermes En étudiant les thermes de Gaule Narbonnaise, A. Bouet distingue différents types de clientèles restreintes, selon des critères sociaux, professionnels ou sexuels59. Aucune preuve tangible ne permet de déterminer la restriction des accès aux thermes d’Ostie, mais R. Mar, puis G. Poccardi ont proposé l’identification de propriétaires de deux thermes d’Ostie : les Terme dei Cisiarii auraient appartenu aux charretiers d’Ostie, tandis que les thermes del bagnino di Buticosus faisaient partie du sanctuaire d’Hercule60.
12.2.2.2 Encas, huile et strigile
44La localisation de ces boutiques à l’intérieur des thermes devait avoir une influence sur les activités qui s’y déroulaient. Il est hautement probable que des biens ou services liés aux activités thermales y étaient proposés. Il pourrait s’agir d’accessoires de bain comme de l’huile, du parfum, des socques de bois, ou encore des strigiles61. Les sources écrites indiquent également l’existence de commerces alimentaires dans les thermes62. Un graffite des thermes suburbains d’Herculanum affiche le prix du vin et de la nourriture mis en vente63. Sénèque se plaint des cris des vendeurs de nourriture provenant des bains à proximité desquels il loge, tandis que Martial décrit les excès de nourriture et d’alcool auxquels certains usagers des bains s’adonnent64. Seul un commerce alimentaire (R1i12b37) donnant sur la palestre des Terme del Foro (I, xii 6) a pu être identifié. Aucune des autres boutiques ne dispose d’un comptoir ou d’installations destinées à la préparation des aliments. Ceci suggère donc que des aliments déjà préparés ou froids étaient mis en vente dans ces boutiques. Enfin, les graffites découverts dans les thermes suburbains de Pompéi suggèrent fortement la présence de prostituées, même si, comme le souligne T. McGinn, cela ne peut être généralisé à l’ensemble des bains65.
45Ces boutiques se distinguent des autres par leur accès qui n’est possible qu’une fois pénétré à l’intérieur des bains. Elles donnent soit sur la palestre, soit sur un espace précédant les salles thermales à proprement parler. Leur localisation suggère donc qu’elles étaient essentiellement tournées vers la clientèle des bains et probablement destinées à la vente d’objets nécessaires à la pratique thermale, de nourriture, de boissons, ou des services d’un barbier. Les activités de ces boutiques étaient par conséquent induites par les thermes.
12.2.3 Ces portiques qui se ferment
46Il existe à Ostie un dernier type d’ensemble de boutiques à accès restreint. Il s’agit des boutiques situées sous des portiques pouvant être fermés.
12.2.3.1 Chaînes et vantaux
47À Ostie, de nombreux piédroits de boutiques et piliers de portique sont munis de blocs de travertin. Rares sont les études qui leur ont été consacrées et leur fonction demeure, en grande partie, incertaine66. Les spécialistes ont envisagé deux fonctions principales : celle de marqueur spatial destiné à signaler l’emplacement d’édifices, ou celle de support de fixation. En effet, ces blocs de travertin peuvent être pourvus d’un orifice portant des traces d’une attache métallique (fig. 80). En revanche, un certain nombre en est dépourvu, rendant l’interprétation de leur fonction très obscure. En outre, certains de ces blocs ont été remaniés au cours de restaurations modernes. Les blocs ont donc parfois été remontés à l’envers, ou à une hauteur ne correspondant pas à leur état d’origine.
48À Ostie, 39 entrecolonnements situés face à des boutiques sont équipés de ces blocs de travertin. Hormis les blocs simples, deux types se dégagent.
49D’une part, il y a des blocs de travertin pourvus de crochets de métal équipant le portique des terme del bagno di Buticosus (I, xiv, 8). Il peut s’agir de crochets permettant la clôture de l’entrecolonnement à l’aide de chaînes67. La fonction de charnière est moins vraisemblable du fait du profil courbe de ces crochets. L’emploi de chaînes ne servirait qu’à dissuader les piétons de pénétrer sous le portique, mais ne constitue pas un obstacle physique infranchissable.
50Un autre mode de clôture est observable sur les portiques orientaux et occidentaux des thermes du Forum. Les piliers de ces portiques sont pourvus de trois séries de blocs de travertin situés à des hauteurs régulières. Les blocs inférieurs sont systématiquement creusés d’une rainure verticale d’une largeur d’une douzaine de centimètres (fig. 81). Derrière ces rainures, vers l’intérieur du portique, des traces d’usure circulaires sont observables. Les deux autres séries de blocs de travertin encastrés dans les piliers sont parfois pourvus d’orifices dans lesquels des attaches de métal furent fixées. L’alignement de ces rainures et attaches sur ces blocs suggère une fonction de maintien d’un encadrement de bois sur lequel des vantaux articulés pouvaient être installés. Ces derniers pouvaient être maintenus par un dispositif horizontal venant se placer au niveau des traces d’usures à l’intérieur du portique.
12.2.3.2 Contrôle de l’accès
51Ces exemples mettent en lumière la fonction de ces portiques clos. Il était alors possible de fermer l’espace comprenant le portique, les boutiques, la palestre et les thermes. Il devait donc s’agir d’un complexe ayant une véritable unité. Toutefois, il n’est pas certain que ce système ait été conçu pour les seules boutiques. L’effet escompté était probablement la fermeture de l’ensemble de la zone. La fonction de ces systèmes était clairement la régulation de la circulation sous les portiques. Il s’agissait d’empêcher certaines circulations ou de fermer les portiques durant la nuit. Les boutiques impliquées se distinguent donc par un accès restreint, bien que la nature de ce dernier diverge des cas précédemment étudiés.
52Des situations analogues ont été décrites par P. Vipard à Pompéi et en Gaule, concernant la présence de portiques ou de péristyles fenêtrés68. Toutefois, si ces dispositifs semblent similaires, ils n’ont pas la même fonction à Ostie. En effet, les portiques fenêtrés avaient une fonction de protection contre les inconvénients climatiques et une visée esthétique69. De plus, les exemples analysés par P. Vipard proviennent de contextes domestiques, contrairement aux cas des boutiques en contact direct avec la voie publique. Enfin, les portiques fenêtrés se caractérisent souvent par la présence d’un petit muret situé dans l’entrecolonnement des portiques, ce qui n’est pas le cas dans les exemples étudiés à Ostie70.
53Les portiques pouvant être fermés à Ostie ont pour caractéristique commune d’équiper des ensembles intégrant des espaces pouvant être accessibles au public comme des cours d’immeubles (le caseggiato dell’Ercole IV, ii, 2-4), des thermes avec ou sans palestre (Terme del Foro, I, xii, 6 et les Terme del bagnino Buticosus I, xiv, 8). Par conséquent, il apparaît que ces types de portiques jouaient indubitablement un rôle dans le contrôle de l’accès à ces espaces.
54Les boutiques donnant sur cour, accessibles depuis l’intérieur des thermes ou intégrées à des portiques pouvant être fermés ont en commun leur capacité à être coupés du système viaire général d’Ostie. Chacun de ces ensembles se distingue toutefois : les boutiques des cours d’immeubles s’inscrivent pleinement dans cette unité de voisinage, les boutiques des thermes semblent résolument tournées vers la clientèle des baigneurs, tandis que la capacité de certains portiques à être fermés ne semble obéir qu’à des questions de sécurité. Ces cas correspondent à des territorialités différenciées des boutiques au sein de la ville.
12.3 Géographie commerciale et artisanale
55La nature des activités ayant lieu en boutique semble avoir joué un rôle dans leur répartition spatiale. Notre documentation autorise l’étude de la distribution spatiale des commerces alimentaires, des boutiques pourvues d’un bassin maçonné avant d’analyser la répartition des fouleries. Si cette question n’a été que peu abordée à Ostie, elle a été abondamment traitée à Pompéi. C’est la raison pour laquelle ce site sera intégré à notre étude en tant que point de comparaison. La documentation rassemblée concernant le site d’Ostie au cours de notre travail permettra alors de tester les hypothèses élaborées par les archéologues et historiens au sujet des cités du Vésuve. Rappelons d’emblée que seul un nombre infime d’activités des boutiques a pu être identifié. Par conséquent, nous avons choisi d’étudier en priorité les activités les mieux connues telles que les commerces alimentaires et les fouleries.
12.3.1 Où se trouvent les commerces alimentaires ?
56La question des facteurs présidant à la localisation des commerces alimentaires dans les villes romaines – et plus particulièrement Pompéi – s’inscrit dans une réflexion menée par les archéologues et historiens – principalement anglo-saxons – sur le degré de rationalité économique des acteurs économiques romains. Il s’agit de l’un des principaux points d’achoppement opposant d’une part les spécialistes défendant l’idée de l’intervention de facteurs extérieurs à l’économie dans la localisation des activités et d’autre part les tenants de la thèse selon laquelle les facteurs économiques jouaient un rôle central.
12.3.1.1 Une question de morale ou de pauvreté ?
57Une observation de T. Kleberg préfigure probablement ce débat. Il remarque l’absence de commerces alimentaires dans les zones de Pompéi où se situent les temples et les édifices officiels71. Le débat ne s’amorce véritablement qu’avec la thèse défendue durant les années 1990 par A. Wallace-Hadrill et R. Laurence, selon laquelle il existait un véritable « moral zoning ». D’après R. Laurence, les sources littéraires indiquent que les commerces alimentaires abritaient des pratiques jugées déviantes par les élites comme l’ivresse, les rixes, les jeux, la prostitution et les chants populaires. Cette théorie s’appuie fortement, bien que de manière implicite, sur la notion d’hétérotopie qui correspond, selon M. Foucault, aux lieux de la déviance72. Les commerces alimentaires étaient localisés loin du forum et des zones de Pompéi abritant les plus grandes demeures73. A. Wallace-Hadrill distingue deux types d’espaces à Pompéi : il y aurait d’une part des zones de « public honour », théâtres des principales activités civiques, correspondant aux axes majeurs de la ville, ainsi qu’au forum. D’autre part, il définit les zones de « private shame », correspondant aux lieux de déviance qui sont localisées dans les rues secondaires de la ville, demeurant invisibles aux passants74. Selon l’archéologue, le maintien de cette séparation était l’une des prérogatives des édiles75.
58L’idée d’une ségrégation morale de la ville a été fortement critiquée par T. McGinn qui s’est intéressé aux maisons closes du monde romain76. S. Ellis, en se fondant sur une étude détaillée de la répartition spatiale des commerces alimentaires de Pompéi, s’oppose à l’idée d’un « moral zoning ». Il conclut à la rationalité économique des agents et à une faible ingérence des autorités dans les logiques de répartition spatiale des activités économiques dans le tissu urbain77. Il constate que la localisation des commerces alimentaires de Pompéi obéit avant tout à la recherche de la clientèle. Ces points de vente se concentrent le long des grandes artères, près des portes et des carrefours, ainsi que des thermes. En revanche, ces commerces se font rares aux alentours immédiats du forum.
59Les résultats présentés par N. Monteix dans un article récent renforcent la thèse défendue par S. Ellis selon laquelle la recherche de clientèle détermine en grande partie la localisation des commerces alimentaires. N. Monteix confirme que ces derniers se concentrent sur les grands axes de circulation, les portes, les thermes78. En revanche, il y ajoute les lieux de concentration temporaire de clientèle comme le macellum, mais surtout il met en évidence la forte présence des commerces alimentaires dans les zones occupées par les habitats les plus modestes qui devaient être démunis de dispositifs de préparation alimentaire79. Autrement dit, le cœur de la clientèle des commerces alimentaires devait correspondre aux couches les moins aisées dont les équipements culinaires étaient limités.
60La question de la localisation des commerces alimentaires d’Ostie n’a été que rarement abordée. T. Kleberg, en 1956, inventorie 14 commerces de ce type. Il identifie une concentration au sud du complexe de Neptune, le long du Decumanus80. Selon G. Hermansen, ces commerces se concentrent le long du Decumanus menant à la Porta Marina81. En se fondant sur le corpus établi par G. Hermansen, A. Kieburg estime que la localisation de ces commerces à Ostie reprend le « pompeian pattern of profit-orientation » qui a été défini par S. Ellis82. Selon A. Kaiser, les commerces alimentaires d’Ostie se situent avant tout sur les rues les plus directement accessibles depuis les portes de la ville : la portion du Decumanus menant vers la Porta Marina, ainsi que le tronçon oriental du Decumanus, vers la Porta Romana83. La plupart des archéologues et historiens s’accordent à reconnaître la forte concentration des commerces alimentaires sur les grandes artères de la ville. Toutefois, trois raisons nous poussent à reprendre ce dossier : d’une part, nous avons identifié d’autres commerces alimentaires ; d’autre part, il importe de vérifier les hypothèses émises à propos de Pompéi à Ostie. Enfin, les études antérieures reposent sur la simple observation de zones de concentration, sans adopter de méthode quantitative. C’est la raison pour laquelle nous choisissons d’avoir recours aux cartes de chaleur.
12.3.1.2 À la recherche d’un outil efficace : les cartes de chaleur
61Dans la lignée des travaux menés par W. Christaller au cours des années 1930, tout un courant de la discipline géographique – et plus particulièrement le géomarketing – a pour objet d’étude la localisation des activités économiques dans le tissu urbain84. Pour étudier les phénomènes de concentration économique, cette discipline utilise notamment des outils permettant de générer des cartes de chaleur (ou heatamp) qui indiquent les zones de concentration de points dans un espace donné.
62Cependant, les logiciels de cartographie répandus (tels que ArcGis et QGis) ne permettent que de calculer ces aires de densité dans un espace dont on postule qu’il est isotrope, c’est-à-dire dénué d’obstacles contraignant les déplacements à l’image d’une plaine sans relief85. Au sein de cet espace, il serait donc théoriquement possible de se déplacer dans toutes les directions possibles à une vitesse constante, ce qui est impossible en milieu urbain. Cette méthode ne permet donc pas de prendre en compte l’emprise du bâti ou le tracé des rues. Par conséquent, cette méthode pourrait indiquer une concentration de commerces alimentaires là où deux locaux sont proches à vol d’oiseau, mais éloignés lorsqu’on considère le cheminement des rues à parcourir pour les relier.
63Cette carte (pl. XV) est obtenue par propagation géodésique selon l’approche de la morphologie mathématique, en utilisant le logiciel ImageJ86. Les points seuils, correspondant aux commerces alimentaires, sont dilatés itérativement jusqu’à idempotence. À chaque pas d’itération, les dilatations sont contraintes à se propager dans l’espace défini par les rues, ce qui revient à la simulation de propagations d’ondes dans l’espace libre entre les bâtiments. La pseudocouleur de chaque point donne la distance au commerce alimentaire le plus proche en tenant compte de la présence des bâtiments. Les fortes concentrations sont représentées dans les tons chauds et les concentrations faibles en couleurs froides.
12.3.1.3 Au plus proche des clients
64La carte de chaleur des commerces alimentaires d’Ostie met en évidence l’existence de zones de concentration commerciale. Elles seront premièrement abordées de manière synchronique afin d’approcher les facteurs présidant à cette répartition spatiale. Dans ce cadre, la carte de chaleur doit être confrontée aux densités commerciales précédemment étudiées.
65On remarque des recoupements entre la carte de chaleur des commerces alimentaires et les zones à forte densité commerciale calculées précédemment87.
66Ainsi, des concentrations de commerces alimentaires s’observent autour de la Porta Romana et de la Porta Marina. Toutefois, l’absence de ces commerces autour de la Porta Laurentina s’explique difficilement. Cette dernière était pourtant en liaison avec la Via Severiana, axe dynamique dès le IIIe siècle, alors que la Porta Marina, située à proximité de la plage, n’était probablement pas un lieu de desserte privilégié. Des concentrations se remarquent également le long du Decumanus entre la Regio III et la Regio IV et au niveau du complexe de Neptune. Elles sont aussi attestées autour des intersections situées de part et d’autre du forum : à l’ouest, le carrefour en patte d’oie desservant le Decumanus occidental, la Via della foce, la Via Epagathiana et la Via del Pomerio. Deux concentrations s’observent à l’est du forum : le croisement entre la Via di Diana et la Via dei Molini d’une part et le croisement entre le Semita dei Cippi et la Via dell’invidioso.
67Inversement, la concentration des commerces alimentaires ne recoupe pas nécessairement les densités commerciales identifiées plus haut. On observe une forte concentration de commerces alimentaires dans des zones de faible densité commerciale : au nord-est de la Caserma dei Vigili (II, v, 1-2), dans la Via dei Molini, ainsi que dans la zone nord-ouest de la Regio V. Au contraire, certaines rues caractérisées par une forte densité commerciale se distinguent par une faible concentration en commerces alimentaires. Il s’agit de toute la zone de la ville située au nord du Forum et de la Via Epagathiana.
68Le recoupement entre la densité commerciale des rues et les concentrations des commerces alimentaires n’est donc que partiel. Les points communs indiquent que le facteur de l’accessibilité, déterminant dans la localisation des zones à forte densité commerciale est en partie opérant pour les commerces alimentaires. En revanche, les points de divergence révèlent que d’autres facteurs interviennent dans la répartition spatiale de ces locaux. Cette confrontation permet donc de vérifier les hypothèses émises par les archéologues au sujet de Pompéi.
69À Pompéi, des chercheurs ont constaté la grande distance séparant les commerces alimentaires du forum. Une situation analogue peut être observée à Ostie où aucun commerce alimentaire n’est situé à proximité immédiate du forum. A. Kieburg explique que cette rareté tient au processus de délabrement d’Ostie et aux méthodes de fouilles parfois destructrices employées88. Cette hypothèse doit être rejetée : le manque de commerce alimentaire sur le forum s’explique avant tout par la quasi-absence de boutiques à cet endroit. Il n’existe donc de fait que peu d’infrastructures susceptibles d’accueillir un commerce alimentaire en ces lieux. En revanche, la rareté des commerces alimentaires se remarque également dans les zones voisines du forum, en premier lieu au nord. De même, aucun ne se trouve dans les abords immédiats du théâtre. Toutefois, un commerce alimentaire occupe l’angle sud-ouest du Piazzale delle Corporazioni (II, vii, 4). De même, des commerces alimentaires se situent dans des édifices qui furent probablement construits sur initiative impériale comme le portique de Neptune89. Ces exemples indiquent que les commerces alimentaires ne se situent pas exclusivement dans les rues secondaires et peuvent même occuper des édifices prestigieux. Par conséquent, la thèse du « moral zoning » doit être rejetée à Ostie.
70La relation avec les thermes est difficile à déterminer tant les établissements balnéaires sont nombreux dans la ville90. Une forte concentration de commerces alimentaires s’observe à proximité immédiate de plusieurs thermes : entre les Terme dei Sei colonne (IV, v, 10-11) et ceux de la Basilica Cristiana (III, i, 2-3) ; les Terme del Pharo (IV, ii, 1) ; entre les Terme del Foro (I, xii, 6), les Terme del Imbidioso (V, v, 2) et les Terme del Filosofo (V, ii, 6-7) ; à proximité des Terme di Nettuno (II, iv, 2) et des Terme dei Cisiarii (II, ii, 3). Inversement, une faible concentration de commerces alimentaires est attestée dans des zones dépourvues de bains comme l’espace situé au nord du Forum, ainsi que celui situé en face du théâtre. Toutefois, la relation entre la présence de bains et de commerces alimentaires ne se vérifie pas dans toute la ville, puisque la via della Foce se caractérise par une concentration moyenne de ces commerces, tandis que de nombreux thermes y sont installés. Par conséquent, les thermes ne constituent pas un facteur d’implantation exclusif.
71Tout comme N. Monteix l’a démontré à Pompéi, il apparaît que les commerces alimentaires d’Ostie sont pour l’essentiel concentrés dans les zones occupées par des immeubles collectifs, tandis que les espaces abritant des demeures plus luxueuses en sont presque dépourvus. Il explique ce recoupement par la faible part de logements modestes équipés pour la cuisine ; ce qui pousse donc les habitants à se nourrir à l’extérieur91.
72Nous avons choisi de ne pas reprendre la méthode utilisée par N. Monteix pour déterminer la densité des unités d’habitation de Pompéi92. Il propose de dénombrer les unités d’habitation de chaque rue, puis de diviser ce chiffre par la longueur de la rue exprimée en mètres afin d’obtenir la fréquence des unités d’habitation par rue. Cette méthode ne peut pas être utilisée dans le cadre de notre étude étant donné les différences entre les vestiges de Pompéi et d’Ostie. Le décompte des unités d’habitation à Ostie est rendu impossible par la présence d’appartements aux étages qui ne pourraient être pris en compte dans ce mode de calcul puisqu’ils ne peuvent être dénombrés. Il apparaît que de nombreux escaliers menant au premier étage pouvaient desservir plusieurs appartements. Ce décompte ne rendrait donc pas compte des densités des unités d’habitation.
73Il est toutefois possible de constater la proximité des commerces alimentaires avec les immeubles de rapport d’Ostie. Cette relation s’observe le long du Decumanus, au niveau de l’îlot IV, v et IV, vii ; sur la Via della Foce, au niveau du caseggiato I, xvi, 1 ; sur le cardo méridional, le long du caseggiato dell’Ercole (IV, ii, 2-4) ; le croisement de la via di Diana et de la via dei Molini et la concentration de commerces alimentaires de la Regio V sont également entourés de nombreux immeubles. Une forte concentration de commerces alimentaires est attestée à proximité immédiate de la caserme dei vigili (II, v, 1-2). Cette situation s’explique probablement par la présence de vigiles du feu logés dans la caserne, représentant une clientèle non négligeable. R. Sablayrolles estime que cet édifice était suffisamment vaste pour qu’y loge une vexillatio de 600 individus93. Les commerces alimentaires sont donc localisés dans les zones de forte densité démographique et d’habitats collectifs.
74Les commerces alimentaires ne sont que rarement implantés à proximité de demeures. Cette situation s’illustre particulièrement dans les concentrations observées le long du tronçon méridional du Decumanus, vers la Porta Marina ; au croisement de la via di Diana et de la via dei Molini ; ainsi que dans la Regio II. En revanche, des demeures sont situées à proximité de deux points de concentration de commerces alimentaires. Mais chacune de ces situations trouve une explication. Les commerces alimentaires du croisement de la via della Foce et du Decumanus se trouvent non loin d’une demeure luxueuse (III, i, 4) qui n’est utilisée en tant que telle qu’au IVe siècle, soit après l’installation des commerces alimentaires94. De même, les demeures de l’îlot V, ii, ne furent aménagées que durant l’Antiquité Tardive, après l’installation des commerces alimentaires95.
75Hormis les Horrea Antoniniani (II, ii, 6), tous les entrepôts de la ville se situent dans des zones de faible concentration des commerces alimentaires. Cette répulsion ne s’explique pas par la seule emprise au sol des entrepôts car un grand nombre de ceux-ci sont pourvus de boutiques occupant leur façade. En revanche, les étages supérieurs des entrepôts étaient probablement utilisés comme lieu de stockage ou d’administration, et non d’appartements. Par conséquent, les vastes entrepôts d’Ostie autour de l’îlot ; I, viii ; I, xvii ; II, ix ; V, xi-xii constituaient sans doute des vides démographiques au sein de la ville.
12.3.1.4 Un déplacement vers le sud
76Dans le but de définir les évolutions des concentrations des commerces alimentaires à Ostie, nous avons choisi de comparer la carte de chaleur des locaux sous le Haut-Empire (pl. XVI) à celle de l’Antiquité Tardive. Cette comparaison permet de mettre en évidence les évolutions principales. Il apparaît en premier lieu qu’aucune nouvelle zone de forte concentration ne se forme durant la période tardive. Durant le Haut-Empire, moins de commerces alimentaires sont connus, leur maillage est donc plus relâché.
77Aucune nouvelle zone de densité n’apparaît en comparant les deux cartes. En revanche, on observe une densification et une extension des zones de concentration déjà existantes, notamment sur les grands axes : la portion occidentale du Decumanus menant vers la Porta Marina ; le tronçon du Cardo reliant les Thermes du Forum et la Porta Laurentina. On remarque également une extension des zones de fortes concentrations sur la portion septentrionale de la Via dei Molini et au niveau de la Caserma dei Vigili.
78Cette comparaison indique que les zones de concentration, si elles restent globalement stables, se déplacent globalement du nord vers le sud, vers la Porta Marina et la Porta Laurentina. Ces évolutions coïncident avec la thèse d’une recomposition de l’économie autour d’enjeux locaux et non plus du port.
79L’emploi de cartes de chaleur permet avant tout la mise en place d’un outil quantitatif permettant de mesurer la répartition spatiale des activités là où les archéologues se fondent traditionnellement sur une observation à l’œil nu. Toutefois, la localisation des commerces résulte de choix sur lequel s’opèrent de lourdes contraintes relevant de la structure socio-économique et plus précisément au mode d’exploitation des boutiques. Si l’on retient l’idée soutenue par J. Andreau et par J. Dubouloz selon laquelle les boutiques étaient gérées, dans leur grande majorité, en préposition, il faut considérer que les propriétaires jouaient un rôle très important dans la détermination des activités se déroulant dans leurs boutiques96. Par conséquent, le choix d’implantation d’un commerce donné était loin d’être libre, puisqu’il devait s’opérer au sein du domaine urbain du propriétaire. Par ailleurs, ce choix était également contraint par le parcellaire des unités construites.
80Il apparaît que le facteur principal présidant à la localisation des commerces alimentaires à Ostie, tout comme à Pompéi, réside dans la recherche de clientèle. De ce fait, ces boutiques se situent avant tout le long des routes principales et aux grandes intersections de la ville. D’autre part, on observe que leur distribution spatiale recoupe dans une grande mesure celle des immeubles collectifs qui se caractérisent par une forte densité démographique et abritent les couches sociales moyennes et inférieures. La localisation de la demande semblait donc jouer un rôle important. Toutefois, ce dossier ne permet pas d’identifier un principe unique et exclusif présidant à la distribution spatiale des commerces alimentaires d’Ostie. Cette dernière semble procéder d’une conjonction de facteurs de natures variées.
12.3.2 De l’eau pour les ateliers
81La répartition spatiale des boutiques pourvues d’un bassin maçonné de grandes dimensions permet de mesurer l’importance des contraintes techniques dans la localisation des activités97. Nous utilisons dans cette optique une carte de chaleur98.
82Plusieurs zones de concentration de bassins maçonnés disposant d’une grande capacité volumétrique s’observent à Ostie : l’une a pour centre l’intersection entre la via della Foce, le Decumanus et la via Epagathiana ; une autre se situe le long du Semita dei cippi et de la via dei molini ; enfin une dernière est localisé autour du comple de Neptune.
83Deux de ces concentrations se trouvent à proximité immédiate d’un château d’eau ou d’une citerne. Il s’agit de la citerne souterraine des Terme di Nettuno et de la citerne située à côté des Terme del Foro. La présence de ces points d’approvisionnement d’eau est probablement une des raisons majeures de l’implantation des activités fortement consommatrices en eau. Toutefois, notre documentation ne nous renseigne nullement sur les modalités concrètes de raccordement entre les installations hydrauliques des boutiques et ces citernes ou châteaux d’eau.
84En revanche, il apparaît que la répartition des bassins maçonnés situés en boutiques correspond en grande partie à celle des fontaines publiques d’Ostie (pl. XVII). Ce recoupement indique que la localisation de ces deux types de structures hydrauliques répond à des facteurs communs. Leur distribution le long des axes principaux de la ville correspond au tracé restitué des conduites hydrauliques de la ville proposé par R. Geremia Nucci99. Les conduites d’adduction des bassins maçonnés des boutiques étaient connectées aux conduites principales situées le long des voies. L’ensemble de ce dossier suggère qu’il s’agit là du seul impératif technique intervenant dans la localisation des activités des boutiques à Ostie.
85Cela permet par ailleurs d’infirmer l’hypothèse selon laquelle les fontaines publiques peuvent se substituer à tous les bassins maçonnés en vue de l’approvisionnement des boutiques en eau. Cette situation est décrite par Frontin à propos du droit des foulons à utiliser le trop-plein des fontaines publiques à des fins artisanales en retour du paiement d’une redevance100. Tel serait le cas si la répartition des boutiques pourvues de bassins maçonnées et celle des fontaines publiques se complétaient pour constituer un maillage régulier étendu à l’ensemble de la ville.
86Le faible recoupement entre la localisation des citernes et châteaux d’eau et celle des boutiques disposant de grands bassins maçonnés constitue l’une des spécificités d’Ostie lorsqu’elle est comparée à Pompéi. Cette différence s’explique d’une part par les modalités de raccord des boutiques au réseau hydraulique urbain. Si à Ostie la plupart des adductions dont il subsiste des traces indiquent que l’alimentation était directement connectée aux conduites urbaines, à Pompéi, la majorité des édifices artisanaux y sont connectés indirectement, par le biais de châteaux d’eau secondaires101. D’autre part, la différence de ces logiques de répartition procède de leurs caractéristiques générales. Pompéi dispose de 15 châteaux d’eau et de 42 fontaines publiques réparties de manière relativement homogène sur l’ensemble de la ville102. Ostie se distingue de ce maillage homogène par un réseau hydraulique plus central. On n’y dénombre que 6 châteaux d’eau et 23 fontaines publiques103. Les premiers se situent au sud du Forum, dans les thermes de Neptune et à la Porta Marina, tandis que les secondes se concentrent le long des axes principaux. Les infrastructures hydrauliques d’Ostie se caractérisent donc par un maillage très hétérogène, renforçant très probablement la proportion de connexions directes aux conduites principales et minimisant le rôle des châteaux d’eau. Les différences de répartition des artisanats de l’eau à Ostie et à Pompéi découlent donc directement des caractéristiques de leur réseau hydraulique et des modalités de raccordement entre ce dernier et les boutiques.
12.3.3 Les foulons dans la ville
12.3.3.1 Ces fouleries malodorantes
87L’idée selon laquelle certaines activités artisanales étaient repoussées en périphérie, voire à l’extérieure des villes antique est communément admise104. Elle se fonde sur un faisceau de textes littéraires et juridiques permettant de d’expliquer ce rejet. Deux ensembles d’arguments ressortent de ce dossier.
88D’une part, un passage de Varron cité par Nonius indique que la dignité du Forum romain fut restaurée par la substitution de boutiques de manieurs d’argent à celles de bouchers à la fin du IVe siècle av. J.-C., suite à l’intervention du censeur C. Maenius105. Comme l’indique T. McGinn, l’association opérée par Varron entre le départ des bouchers et la mise en valeur de la digntias du Forum ne doit pas être nécessairement interprétée comme une opération d’urbanisme106. La dignité du Forum semble avoir été restaurée par le départ des bouchers. Ce passage, à défaut de traduire une planification commerciale, indique par conséquent que certaines activités n’étaient pas assez dignes pour être situées dans le centre civique. Ceci suppose donc l’existence d’une hiérarchie des métiers selon leur dignité. Ces documents indiquent également que la localisation de ces différentes activités jouait un rôle important dans la formation d’espaces vécus.
89D’autre part, un ensemble de textes juridiques traduit l’existence de véritables mesures urbanistiques régissant la localisation de certaines activités. Par exemple, la Lex Ursonensis datant du Ier s. av. J.-C. en Hispanie réglemente la localisation au sein de la ville d’une tuilerie privée dont la production est supérieure à 300 tuiles par jour107. Puis, au VIe siècle ap. J.-C., Julien d’Ascalon, dans son traité d’urbanisme présente en ensemble de mesures visant à réglementer la localisation des activités artisanales au sein de la ville pour en limiter les nuisances. Ainsi, les ateliers doivent être situés à une certaine distance des édifices voisins, ou encore être localisés en fonction du sens du vent108.
90Comme l’a souligné A. Ferdière à Alésia ou à Saint-Romain-en-Gal, la localisation d’activités nuisibles – fouleries, teintureries et forges – en plein cœur des villes mène à nuancer la valeur normative et l’étendue d’application de ces mesures dans les villes de l’Empire109. Toutefois, il remarque que les artisanats du feu sont presque systématiquement situés hors les murs.
91Les sources écrites indiquent que les fouleries étaient considérées, pour une grande part, comme des lieux d’activité dérangeante. Ainsi de nombreux passages insistent sur l’utilisation de l’urine et du soufre dans le cadre de cet artisanat et des nuisances olfactives qui lui sont donc associées110. À la suite de nombreux historiens et archéologues, il est donc possible de considérer la foulerie comme une activité provoquant certaines nuisances111. C’est la raison pour laquelle les spécialistes ont souvent cherché à voir dans la distribution spatiale des fouleries l’expression d’une logique d’expulsion des activités dérangeantes. Toutefois, à Pompéi comme à Ostie, aucune exclusion spatiale des fouleries n’est manifeste, ce qui a poussé les spécialistes à mettre en évidence d’autres facteurs présidant à la localisation de ces ateliers.
92Dans son article consacré aux fouleries romaines, M. Bradley affirme, en se fondant sur un passage de Frontin, que la localisation de ces établissements à Pompéi et à Ostie était dictée par une indispensable proximité avec des latrines ou des thermes afin de profiter de l’eau qui en était évacuée112. C’est ainsi qu’il explique la localisation de certaines fouleries dans le centre d’Ostie, à proximité d’édifices publics ou de demeures luxueuses113. Il y voit la preuve que les fouleries disposaient d’aménagements permettant d’assainir les odeurs qu’elles produisaient, sans quoi elles seraient localisées aux portes de la ville114.
93Cette théorie a reçu de vives critiques. A. Wilson nuance en premier lieu la proximité entre bains, latrines et fouleries observée par M. Bradley. En outre, il indique à juste titre que la seule proximité physique ne saurait suffire à la conclusion d’une utilisation des eaux usées dans les fouleries : encore eût-il fallu que ces dernières fussent pourvues de conduites hydrauliques les reliant aux établissements balnéaires, ainsi qu’aux latrines115. Ces critiques sont également soutenues par M. Flohr qui indique que les installations malodorantes des fouleries, en particulier les stalles de foulage, étaient systématiquement cachées de la vue des passants, ce qui minimisait probablement les désagréments qu’elles pouvaient provoquer116.
94Selon N. Monteix la localisation des fouleries et plus largement celle des activités textiles de Pompéi dépendraient surtout de facteurs techniques. Ainsi observe-t-il la proximité des officines de lavage de toisons avec le macellum, lieu de vente et de découpe de boucherie, produisant donc de la laine qui devaient ensuite être traitées en foulerie. De même, elles se concentrent dans les rues équipées d’un château d’eau117.
12.3.3.2 Le quartier du textile à Ostie
95Les fouleries d’Ostie sont trop peu nombreuses pour déterminer clairement les facteurs présidant à leur localisation. Néanmoins, la documentation permet de vérifier les hypothèses formulées à propos de Pompéi, ainsi que d’étudier un cas de concentration artisanale.
96Les contextes d’implantation des fouleries d’Ostie sont variés et ne semblent pas procéder de logiques d’exclusion d’activités malodorantes de sein de la ville. Trois fouleries sont localisées sur des grands axes de la ville : le decumanus occidental, le cardo méridional et le decumanus oriental. La fullonica degli augustali (V, vii, 3) est mitoyenne de la domus dei capitelli di stucco (V, vii, 4-5) et du Sede degli Augustali (V, vii, 1-2). Par conséquent, les fouleries ne sont ni reléguées dans les endroits les plus reculés de la ville, ni éloignés des demeures luxueuses ou des édifices prestigieux.
97La thèse de M. Bradley selon laquelle les fouleries sont toutes localisées à proximité des thermes et des latrines semble inopérante à Ostie. Cela tient en premier lieu au grand nombre et à la répartition homogène des bains dans la ville à proximité desquelles les fouleries ne sont que rarement implantées. Aucun raccordement direct entre le circuit hydraulique des thermes ou des latrines et celui d’une foulerie n’a pu être constaté118. De ce fait, rien ne permet de conclure à l’utilisation des eaux usées des bains par les foulons.
98Les facteurs techniques intervenant dans la localisation des fouleries de Pompéi mis en évidence par N. Monteix ne semblent pas opérants à Ostie. D’une part, aucune activité textile n’a été identifiée à proximité du macellum d’Ostie. D’autre part, la distribution des fouleries ne semble pas coïncider avec la répartition des châteaux d’eau. Par exemple, la fullonica degli Augustali (V, vii, 3) se trouve à plus de 110 mètres du château d’eau le plus proche (situé aux thermes du Forum), tandis que la fullonica dei fabri navales (III, ii, 1-2) est distante de plus de 180 mètres du premier château d’eau (III, vi, 4). Inversement, la foulerie r1i13b22 se trouve à environ 25 mètres de la citerne du Caseggiato dell’Ercole (IV, ii, 2-4). Ces fortes variations de distance entre les fouleries et les châteaux d’eau ne permettent pas de conclure à l’importance de ce facteur dans la localisation de ces locaux. En outre, chacune des fouleries identifiées possède des conduites de plomb destinées à alimenter et à évacuer l’eau des locaux. Seule la boutique r2i11b08 possède une évacuation, mais est dénuée d’adduction. Ce qui s’explique par la faible élévation conservée de la boutique. Le raccordement au système hydraulique d’Ostie par le biais de conduites de plomb dispense les foulons d’être localisés à proximité des châteaux d’eau.
99Une nette concentration d’activités liées au textile s’observe toutefois aux alentours du complexe de Neptune. Cette zone concentre quatre fouleries – soit plus de la moitié des ateliers attestés à Ostie – ainsi que la seule teinturerie connue de la ville. L’ensemble de cette zone est occupée par d’autres activités, ce qui n’en fait pas un quartier de concentration exclusive. Ces locaux se concentrent avant tout dans l’édifice II, xi. Différentes activités y sont identifiables et correspondent à différentes étapes et modes de production du textile. On y trouve une teinturerie, une foulerie de grandes dimensions et une foulerie installée dans une boutique. Ce regroupement ne procède probablement pas uniquement d’impératifs techniques, comme le laisse supposer la disposition, dans la cour de l’édifice II, xi, 2 d’un bassin, mais relève très certainement d’une forme de concentration verticale des métiers. Il est alors possible d’imaginer que ces différents lieux correspondaient à différentes étapes de la production et que les textiles passaient de l’un à l’autre. Toutefois, rien ne permet d’étayer cette hypothèse, ni de supposer qu’il s’agissait d’une seule et même entreprise située dans différents locaux.
100Il apparaît donc que la corrélation entre distribution spatiale des fouleries et infrastructures d’approvisionnement hydraulique est moins affirmée que cela ne l’a été observé à Pompéi.
101Au terme de cette étude de la répartition spatiale des boutiques et de leurs activités, il apparaît qu’aucun quartier spécialisé ne peut être identifié à Ostie. S’il est possible de distinguer quelques concentrations d’activités, les boutiques occupant ces zones ne semblent jamais consacrées à une activité unique et exclusive.
102Ce dossier pousse à affirmer l’existence de territorialités à géométrie variable, selon la nature des activités. Les facteurs présidant à ces répartitions sont multiples et varient d’une activité à l’autre. La question de l’accessibilité joue un rôle important dans la distribution spatiale des boutiques. Divers cas de figures peuvent être observés, allant de la boutique sur cour aux fortes concentrations commerciales des principales artères de la ville. L’étude des commerces alimentaires, des fouleries et des bassins maçonnés a permis de mettre en évidence le rôle joué par l’accessibilité, la localisation de la clientèle dans la ville, par les impératifs techniques et enfin par les logiques de nature professionnelles. Si la distribution des commerces alimentaires d’Ostie et de Pompéi sont assez semblables, celle des fouleries et des boutiques pourvues de grands bassins maçonnés divergent. Ces différences semblent résulter des disparités des infrastructures hydrauliques des deux sites. L’ensemble du dossier permet de relativiser l’importance des facteurs culturels dans la localisation des activités, comme l’ont soutenu certains archéologues, comme R. Laurence.
Notes de bas de page
1 Voir par exemple Coquery 2011.
2 Sur la définition de ce terme, se référer à Fleury, Mathian, Saint-Julien 2012. Voir aussi Tannier 2003, p. 224, n. 1 qui retient la notion d’agrégat commercial : « Par agrégat commercial (retail cluster), on entend le rassemblement de commerces en un même lieu formant un ensemble compact et présentant une certaine unité morphologique. Les établissements peuvent être alignés le long d’une ou plusieurs rues, ou réunis dans un centre commercial ».
3 Voir à ce sujet Hellmann 2012.
4 Gering 2004 ; Mar 2008 ; Kaiser 2011.
5 Voir ch. V.
6 Zevi 2001a, p. 10-11.
7 Cette classification a été élaborée grâce à la méthode statistique des « natural breaks » proposée par Jenks. Cette méthode de calcul vise à définir des classes de manière à réduire l’écart séparant leur moyenne de leur valeur médiane.
8 Laurence 1994, p. 80.
9 Sur les principaux axes de la ville, voir Stoeger 2011, p. 214-219.
10 DeLaine 2005, p. 33 ; Stöger 2011, p. 219.
11 Le même constat est établi par C. Baratto 2003, p. 71, tandis que DeLaine 2005, p. 33 affirme que le forum était le lieu de concentration de nombreuses boutiques.
12 Baratto 2003, p. 71.
13 Mar 2008.
14 Gering 2004, p. 346 ; Kaiser 2011, p. 130.
15 Laurence 1994, p. 73-86.
16 Laurence 1995, p. 74-75.
17 Voir les modèles du « land use », en particulier Alonso 1964.
18 Sur ce thème, voir Sagliarini Corlàita 1994, p. 173.
19 Packer 1971, p. 15.
20 La cour se définit comme un « espace libre attenant, non ou peu planté, généralement entouré de corps de bâtiment ou enclos » Gauthiez 2003, p. 450.
21 Les boutiques de cet ensemble ont été édifiées, selon Stöger à la fin du IIe siècle (Stöger 2011, p. 92-103).
22 Sagliarini Corlàita 1994, p. 177.
23 De Ruyt 1948, p. 522.
24 Gros 2001, p. 125 ; Saliou 2008.
25 Scagliarini Corlàita 1994, p. 173 ; Gros 2001, p. 126 : « l’ambigüité fondamentale de ces constructions réside donc dans le fait que les boutiques, au lieu d’être orientées, comme dans la plupart des insulae qui subsistent à Rome, vers la rue, et de former ainsi un groupe annexe mais non intégré aux structures d’habitation, sont tournées aussi, pour beaucoup d’entre elles, vers l’espace central, ce qui a pour conséquence de transformer celui-ci en véritable macellum ».
26 De Ruyt 1983, p. 295-300.
27 De Ruyt 1983, p. 115-124.
28 Calza 1923c, p. 184.
29 Meyer Riefstahl 1932.
30 Voir la thèse inédite de Tavernari 2011, p. 133-139.
31 Tavernari 2011, p. 191-192 : leur présence n’est que rarement mentionnée dans les sources écrites, tandis qu’elles n’ont laissé aucune trace archéologique. Dans les rares cas où elles existaient, ces boutiques étaient donc probablement constituées de simples étals de bois.
32 Calza 1923c, p. 183 : « La novità del tipo consiste nella disposizione delle botteghe che, invece di essere tutte all’esterno, sono ricavate sopra un piccolo cortile aperto, accessibile dalle due strade a mezzo di androni, e che servono poi di ingresso all’abitazione, giacché ringresso della scala è sul cortile stesso » ; p. 184 : « Sicché questi cortile, con negozi intorno, si riaccosta da un lato al khan turco o al fonduk arabo, e dall’altro è giunto fino ai giorni nostri con le moderne gallerie ricavate in alcuni caseggiati moderni. È ovvio pensare che questo cortile, tipo bazar, fosse di pubblico passaggio ».
33 Boethius 1934, p. 167 ; DeLaine 2005, p. 35 : « Finally, there are the completely self-contained groups of units with their own circulation space which could be shut off from the general street system, and where the space itself could be open or covered – in other words a market or a bazaar ».
34 Eposito et Sanidas 2012 ; Hellmann 2012.
35 Calza 1939, p. 226 : « Inutile allungare la lista di tutti coloro che per la loro industria, il loro commercio, la loro professione avevano bisogno di un negozio dove lavorare o vendere la merce. Meglio constatare che non c’era strada di Roma in cui non vi fosse una lunga teoria di tabernae, giacchè le botteghe allora non erano raggruppate solo in alcuni quartieri come nei souks orientali, ma sparse un po’ dappertuttto ».
36 Martin 1987, p. 99-100.
37 Morel 1997, p. 150 : « À cet égard, et par regroupement topographique fréquent des divers types d’activités, les quartiers commerçants devaient être plus proches de souks arabes que ne l’admet un connaisseur pourtant averti de l’urbanisme antique, qui oppose trop nettement, me semble-t-il, les « secteurs spécialisés » des villes grecques et l’extrême dispersion des activités dans les villes italiques. Autre analogie avec les souks : ces tabernae étaient largement ouvertes, faute de vitres, déversant directement sur la rue leurs odeurs, leurs vacarmes, leurs fumées, et laissant ignorer bien peu de leur activité ».
38 Andreau 1974, p. 163.
39 Mermier 2011, p. 22.
40 Mermier 2011, p. 22.
41 Cuneo 1986, p. 91.
42 Sauvaget 1935, p. 99-100 et Sauvaget 1941, p. 104- 105.
43 Mermier 2011, p. 29-36.
44 Calza 1923c, p. 184 et DeLaine 2005, p. 35 « As the islamic souk or the nineteenth-century arcades and covered markets in Britain, they formed part of the street plan when open, but could be closed off when desired ».
45 Dautresme 2001 et Descat 2002, p. 82.
46 Morrison 2003, p. 93 et suivantes.
47 Benjamin 2004, p. 11-12.
48 Keene 2006, p. 19.
49 Keene 2006, p. 24-25.
50 Gros 2001, p. 126-127.
51 Van Andringa 2009, p. 217-218 sur l’identification de ces niches.
52 Van Andringa 2009, p. 256-270 ; voir supra ch. IV.
53 Sur le Caseggiato del Thermopolio, voir Scrinari et Ricciardi 1996b, p. 103 et respectivement Scrinari et Ricciardi 1996a, p. 33-34 ; p. 121-122 ; p. 134-135 ; p. 149 et p. 154-155 sur le Caseggiato del Larario, le Caseggiato del Serapide, l’édifice IV, ii, 3 ; IV, v, 7 et IV, v, 18.
54 Cette caractéristique rapproche les cours d’Ostie et des cours d’immeubles parisiens du XIXe siècle, cf. Loyer 1987, p. 125-127.
55 Voir Courrier 2014, p. 168-176.
56 Bouet 2003, p. 139.
57 Les fonctions retenues sont celles proposées par Poccardi 2008, vol. II, p. 59-65 : le vestibule correspond à la pièce 7, le frigidarium à la pièce 8.
58 Bouet 2003, p. 15 : « L’apodyterium est la première pièce dans laquelle se rend le baigneur ; c’est là qu’il se déshabille et entrepose ses vêtements. Nous ne prenons en compte ici que les salles facilement identifiables, car précédant le frigidarium ».
59 Bouet 2003, p. 307-308.
60 Mar 1996, p. 127-133 ; 158-159 ; Poccardi 2001, p. 165.
61 Sur les accessoires, voir Thébert 2003, p. 474 et Bouet 2003, p. 281-283.
62 Voir la synthèse de Yegül 2010, p. 19-21, ainsi que Holleran 2012, p. 210-211.
63 CIL, IV, 10674 : « nuc(es) biber (ia) XIIII / singa II / panem III / offellas III XII / thymatla IIII VIII / LI ».
64 Sénèque, Lettres à Lucilius, 56, 2 ; Martial, 12, 19 ; 11 ; 82 ; 11, 52 ; 12, 82.
65 McGinn 2006, p. 210-211.
66 Van Der Meer 2000 2002 ; Bakker mène actuellement une étude sur l’ensemble des blocs d’Ostie, les résultats temporaires sont disponibles sur le site www.ostiaantica.org.
67 Packer 1971, p. 32.
68 Vipard 2002, p. 42-44.
69 Vipard 2002, p. 50 s’appuyant sur Pline le Jeune, Epist. II, 17, 4.
70 Vipard 2002, p. 42.
71 Kleberg 1957, p. 52.
72 Foucault 1984.
73 Laurence 1994, p. 78-84.
74 Wallace-Hadrill 1995.
75 Wallace-Hadrill 1995, p. 49-50.
76 McGinn 2004, p. 78-111.
77 Ellis 2004.
78 Monteix 2010b, p. 151-153.
79 Monteix 2010b 2010, p. 154-156 ; Holleran 2012, p. 146.
80 Kleberg 1957, p. 45-48.
81 Hermansen 1982, p. 127-183.
82 Kieburg 2008.
83 Kaiser 2011, p. 117 : « Ostian merchants and bar owners realized, like their Pompeian counterparts, that streets with a low depth were an excellent location for business ».
84 Christaller 1933.
85 Au moment de la rédaction de ce travail de thèse, les logiciels ArcGis et QGis ne permettent que de générer des cartes de chaleur dans un espace isotrope. Il n’est possible que d’y superposer à posteriori une couche figurant les îlots qui masque alors une partie de la carte de chaleur, créant l’illusion qu’elle a été calculée au sein d’un espace contraint. Le résultat serait autre si la carte de chaleur avait été générée dans un espace contraint.
86 Lantuejoul 1981. Ces calculs ont été réalisés avec le logiciel Image J par Damien Schoevaert que je remercie ici.
87 Voir supra.
88 Kieburg 2008, p. 60.
89 Voir ch. V.
90 Poccardi 2001, p. 161 en dénombre 25.
91 Sur les cuisines dans les immeubles d’Ostie, voir Packer 1971, p. 46-47 ; 52-53.
92 Monteix 2010b, p. 154.
93 Sablayrolles 1996, p. 308-310.
94 Gobbi 1998.
95 Voir les travaux de Boersma 1985.
96 Voir ch. IX.
97 Sur ce type de bassins, voir ch. VII.
98 S’agissant d’un réseau hydraulique ne suivant pas nécessairement le tracé viaire, le calcul n’est pas opéré dans le seul espace contraint des rues.
99 Geremia Nucci 2001.
100 Frontin, 94, voir Dessales 2011, p. 140.
101 À propos de la situation à Pompéi, voir Dessales 2011, p. 144.
102 Voir Dessales 2011, p. 138.
103 Scrinari Ricciardi 1996 ; Schmölder 2001 ; Geremia Nucci 2001 ; Bukowiecki, Dessales, Dubouloz 2008.
104 Pour une synthèse récente, voir Flohr 2013, p. 184-189.
105 Varron, de vita populi romani, II fr 72 d’après Nonius « forensis dignitas creuit atque ex tabernis lanienis argentaria factae » ; Morel 1987, p. 135 ; Papi 2002, p. 45 ; Papi 1999a, p. 10-11 ; Papi 1999b, p. 12-13.
106 Mc Ginn 2004, p. 248-249.
107 Lex Ursonensis, 76 : « Figlinas teglarias maiores tegular-um CCC tegulariumque in oppido coloniae Iuliae ne quis habeto ».
108 Voir C. Saliou 1996, p. 32-44. Plus récemment et pour une approche plus générale, voir C. Saliou 2012.
109 Ferdière 2001, p. 13-14.
110 Voir les textes emblématiques de Martial, 6, 93 : « Tam male Thais olet, quam non fullonis avari Testa vetus, media sed modo fracta via » ; Suétone, Vesp. 23, 5 : « Reprehendenti filio Tito, quod etiam urinae uectigal commentus esset, pecuniam ex prima pensione admouit ad nares, sciscitans num odore offenderetur ; et illo negante : Atqui, inquit, e lotio est ».
111 Voir Bradley 2002 ; Flohr 2011.
112 Bradley 2002, p. 34-35 : « In both Pompeii and Ostia, the proximity of fulleries, public baths, and public latrines is significant ». Frontin, Aq. 94 : « Sequitur ut indicemus quod ius ducendae tuendaeque sit aquae, quorum alterum ad cohibendos intra modum impetrati beneficii privatos, alterum ad ipsorum ductuum pertinet tutelam. In quibus dum altius repeto leges de singulis aquis latas, quaedam apud veteres aliter observata inveni. Apud quos omnis aqua in usus publicos erogabatur et cautum ita fuit : “Ne quis privatus aliam aquam ducat, quam quae ex lacu humum accidit” (haec enim sunt verba legis) id est quae ex lacu abundavit ; eam nos caducam vocamus. Et haec ipsa non in alium usum quam in balnearum aut fullonicarum dabatur, eratque vectigalis, statuta mercede quae in publicum penderetur. Aliquid et in domos principum civitatis dabatur, concedentibus reliquis. ».
113 Bradley 2002, p. 36-37.
114 Bradley 2002, p. 37.
115 Wilson 2003, p. 444.
116 Flohr 2003, p. 448-449 ; Flohr 2013, p. 155.
117 Monteix, 2010b, p. 156-158.
118 Hormis la foulerie installée dans le sous-sol des thermes de Mithra (I. Nielsen et Schioler 1980), mais elle n’est pas en boutique.
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