Chapitre 7. Le devenir des boutiques
p. 103-115
Texte intégral
1Si les études de G. Calza ou de G. Girri étaient dénuées de perspectives diachroniques, C. Pavolini et A. Gering ont pleinement intégré les boutiques à leur réflexion sur la période tardive d’Ostie. L’étude de l’archéologie du bâti et des sources archivistiques permet de connaître les grandes évolutions des boutiques après leur construction et plus particulièrement la période tardive.
7.1 Le maintien des boutiques
2Les opérations visant au maintien du fonctionnement des boutiques sont nombreuses. Nous avons choisi d’écarter de cette étude les réfections mineures opérées sur la maçonnerie dont le nombre rend toute exhaustivité impossible et qui ne peuvent déboucher vers des conclusions pertinentes pour notre propos. La variété des autres opérations traduit la coexistence de mouvements et de logiques distinctes qu’il faut situer dans le temps. S’il est extrêmement difficile de leur assigner systématiquement une datation absolue, ces opérations furent réalisées dans leur quasi-totalité après le IIe siècle.
7.1.1 Restaurer
3Un premier groupe d’interventions concerne les modifications opérées en vue de la réfection ou de la restauration des boutiques.
7.1.1.1 Les piédroits
4Le type de réfection le plus répandu dans les boutiques d’Ostie est la réduction partielle de la baie par la construction d’un ou deux piliers contre les piédroits. L’objectif de cette opération apparaît clairement dans les boutiques dont l’élévation conservée est suffisante. La boutique r1i01b02 est pourvue d’un tel dispositif : un pilier est construit contre le piédroit afin de soutenir l’arc de décharge endommagé de la baie (fig. 28). Il s’agit donc d’une opération visant à renforcer les façades menaçant de s’écrouler, en intervenant sur la baie. La construction à même le seuil implique une modification de son usage. C’est pourquoi cette intervention s’accompagne du creusement d’une nouvelle feuillure si le pilier est édifié de son côté.
7.1.1.2 Les piliers d’angles
5Dans une optique assez proche, des piliers sont construits aux quatre angles intérieurs de certaines boutiques. Il s’agit ici de fournir un système de support à l’étage d’une boutique ou à l’étage supérieur. Ce type d’intervention a été identifié par exemple dans le Caseggiato dell’Ercole (IV, ii) dont la façade a été reconstruite. Lors de cette intervention, le système de support à corniches a été partiellement détruit, nécessitant la mise en place des piliers pour maintenir l’étage des boutiques.
7.1.1.3 Les seuils surélevés
6Un autre type de réfection témoigne d’une occupation prolongée durant l’Antiquité Tardive. A. Gering a remarqué que certains seuils de boutique étaient surélevés durant cette époque de manière à faire coïncider le niveau de l’entrée du local avec celui de la rue (fig. 29). Cette situation peut être observée par exemple sur la via dei Balconi : sept boutiques du Caseggiato di Diana (I, iii, 3-4) ont un seuil qui a été surélevé de 17 à 31 centimètres, tandis que les seuils de trois boutiques de l’îlot I, iv, 1 ont été surélevés de 22 à 35 cm1. Ce rehaussement devait s’accompagner d’un nouveau pavement, au même niveau que le seuil. Ces pavements tardifs ne sont que très rarement conservés, étant donné les conditions de conservation et la volonté des fouilleurs de trouver des niveaux « en dur ». Un témoignage de cette pratique est observable dans l’une des boutiques du Caseggiato dell’Ercole Bambino (II, VI). Dans le coin nord-ouest de ce local subsistent les vestiges d’un pavement en mortier situé 7,5 centimètres au-dessus du niveau du pavement originel en opus spicatum. Si cette méthode ne permet pas d’établir la date absolue de cette modification, elle n’en éclaire pas moins la période tardive, encore très peu connue.
7La majorité de ces réfections a été entreprise pour faire face à des situations spécifiques à l’Antiquité Tardive : la dégradation des façades et des étages, l’accumulation de débris dans les rues. Toutefois, certaines modifications tardives n’ont pas été opérées dans l’unique but de prévenir la dégradation du bâti, mais participent à un remaniement de l’édifice. Cette période se caractérise par une résistance à la dégradation du tissu urbain, mais aussi par une recomposition du bâti existant. Si la mise en œuvre en opus vittatum tient lieu de terminus post quem daté du milieu du IIIe siècle, aucun élément de datation ne permet de préciser les évolutions de ces réfections durant l’Antiquité Tardive.
7.1.2 Restructurer
8Le second type d’interventions vise à transformer les boutiques dans leur structure ou leurs relations avec les espaces voisins. Ces modifications traduisent donc des changements dans le fonctionnement des boutiques.
7.1.2.1 Les changements structurels
9D’importants remaniements ont été entrepris dans certaines boutiques. Par exemple, la rangée de boutiques III, i, 14 (r3i01b02-12) fut l’objet d’interventions lourdes postérieures au milieu du IIIe siècle (fig. 30). Les murs latéraux des boutiques sont percés en vue de la construction de pilastres destinés à supporter un nouveau système de couverture. Ces interventions doivent être rapprochées de la construction d’un escalier à l’ouest de l’îlot. L’emploi d’opus vitattum dans ces deux interventions indique leur probable contemporanéité. Cet ensemble de modifications traduit la construction d’un étage doté d’appartements au-dessus des boutiques qui étaient organisées à l’origine en simple rangée dénuée d’étage.
7.1.2.2 Les empiétements
10L’extension de boutiques sur la rue, le portique ou le trottoir se trouvant devant leur façade est attestée dans de nombreux cas à Ostie. Si différents modes opératoires sont à distinguer, il s’agit toujours d’annexer une partie de l’espace situé en avant des boutiques par la construction de murs et le déplacement du seuil. L’emploi d’opus vittatum dans la majorité de ces modifications indique qu’il s’agit pour l’essentiel d’un phénomène tardif.
11Ces modifications témoignent de la vitalité du petit commerce durant l’Antiquité Tardive. La restructuration ou l’agrandissement de certaines boutiques indiquent qu’elles pouvaient faire l’objet d’investissements encore intéressants durant cette période.
7.1.2.3 Le bouchage ou le percement de baies entre boutiques
12Des baies faisant communiquer des boutiques entre elles, prévues dès la construction initiale ou percées lors d’une phase postérieure, ont parfois été obstruées. Ainsi, un groupe formé initialement de trois boutiques occupant la partie nord-est du Caseggiato del Termopolio (I, iii, 5) a été subdivisé en deux groupes suite à l’obstruction d’une de ces ouvertures. Les deux boutiques occidentales forment alors un débit de boissons, tandis que la boutique restante est isolée des autres par l’édification d’un mur de partition en opus mixtum à bandes.
13Inversement, le percement d’une baie séparant deux boutiques peut être entrepris en vue de les faire communiquer. Ce type d’ouverture est souvent dépourvu de piédroits maçonnés : la découpe du parement originel, ainsi que l’exposition de son blocage confère à ces opérations un aspect vétuste (fig. 31). Il est toutefois impossible de dater de manière absolue ces percements, sans oublier qu’il peut s’agir de spoliations post-antiques, voire de dégradations modernes2. L’objectif de ce percement est de permettre une circulation entre deux boutiques. Ainsi, dans la Casa del Soffitto Dipinto (II, VI, 5-6), un mur est percé de manière à faire communiquer un débit de boissons (r2i06b14) avec une boutique voisine (r2i06b13). Cette dernière est alors pourvue d’une banquette maçonnée servant à la consommation des produits vendus dans l’autre local. Cet exemple révèle que cette communication peut traduire l’annexion d’un local à un autre, partageant alors tous deux une même activité.
14Dans l’impossibilité de dater de manière absolue le percement d’une baie ou son obstruction, les ouvertures pratiquées dès la construction des édifices seront considérées séparément des modifications – percement ou la condamnation d’une porte – postérieures. Sans pouvoir retenir une datation absolue pour ces modifications, la comparaison de ces deux effectifs permet de dégager les grandes évolutions des liens entre boutiques. Tandis que 128 baies de communications étaient prévues dès la phase initiale des édifices, 24 sont percées plus tardivement, alors que 42 sont obstruées. De ces opérations résulte une légère diminution des boutiques communicantes passant de 176 à 159 unités, ce qui représente une diminution de 10 %. Une certaine persistance est observable : la très grande majorité des percements est opérée dans des unités construites au sein desquelles d’autres boutiques communiquaient déjà entre elles. Ainsi, le phénomène des boutiques communiquant entre elles est circonscrit à quelques îlots, tandis que l’aménagement de telles baies dans d’autres unités construites se fait très rare.
7.1.2.4 Le bouchage ou le percement de baies entre une boutique et un logement
15Les baies faisant communiquer des boutiques et des logements sont également en évolution. Si les raisons de ces interventions sont souvent inconnues, elles apparaissent clairement dans certains cas. Par exemple, l’obstruction des baies reliant les boutiques aux appartements situés à l’arrière de la Domus del Ninfeo correspond à sa transformation en maison, probablement au cours du IVe siècle3. La condamnation d’une baie permettant la communication entre une boutique et une pièce de la Casa di Diana correspond à la conversion de celle-ci en abreuvoir entre le IIIe et le IVe siècle selon A. Marinucci4. Au total, 8 bouchages sont attestés à partir de la deuxième partie du IIe siècle, dont deux sont tardifs5.
16Le percement d’une baie reliant une boutique à un logement après la construction de l’édifice n’est attesté que dans un cas à Ostie : dans le Caseggiato del Mitreo di Menandro (I, III, 5), des portes sont aménagées durant le IIIe siècle afin de faire communiquer deux boutiques avec les appartements situés à l’arrière6.
17Qu’elles soient présentes dès la construction de l’édifice ou le résultat de modifications postérieures, les baies permettant la communication entre boutiques et logements se caractérisent par une grande stabilité. Depuis le IIe siècle, jusqu’à la période tardive, leur effectif est compris entre 25 et 27. Cette remarquable constance ne permet pas de conclure, à la suite de C. Pavolini, à une mutation profonde du lien unissant boutiques et habitat durant l’Antiquité Tardive7. Ces modifications traduisent davantage des recompositions de relation entre les boutiques.
18L’étude des réfections des boutiques met en évidence la coexistence de deux logiques parallèles. La moitié des interventions vise au maintien des locaux commerciaux préalablement construits. Il s’agit de faire face au déclin général de la ville ou à l’usure normale des édifices. D’autre part, des modifications ayant pour but de restructurer les locaux constituent la seconde moitié des interventions. La majorité (64 %) des interventions inventoriées sont datées de l’époque tardive. Celles-ci traduisent la vitalité de la période tardive durant laquelle 225 boutiques sont modifiées ou restaurées (pl. XI). À cela s’ajoutent de nouveaux équipements maçonnés en opus vittatum identifiés dans 32 boutiques, de nouveaux décors dans 6 boutiques et du mobilier tardif dans trois boutiques. Au moins 266 boutiques (21 % du total) étaient donc encore actives durant la période tardive. Étant donné les lacunes de notre documentation, il s’agit là d’un ordre de grandeur qu’il faut considérer comme une estimation basse. Par ailleurs, le manque de données ne permet pas d’esquisser plus précisément l’évolution des boutiques durant la période tardive.
19Ce dossier suggère un probable enrichissement de certains boutiquiers se traduisant par l’extension des boutiques ou par l’installation de décors beaucoup plus élaborés. Cette idée est renforcée par le fait que les empiétements de boutiques sont souvent l’occasion de réunir plusieurs locaux. Le devenir de ces boutiques se distingue des autres qui sont de plus en plus isolées par la condamnation des portes qui les faisaient communiquer entre elles. Ces données incitent à soutenir l’idée d’une grande vitalité de certaines boutiques, tandis que d’autres déclinent. Ici encore les informations manquent pour tenter de relier ces mouvements à des secteurs d’activités spécifiques ou à des périodes précises. La vitalité des boutiques d’Ostie durant l’Antiquité Tardive doit toutefois être nuancée grâce à l’étude des abandons des boutiques d’Ostie.
7.2 Fermer boutique
20Le déclin urbain amorcé au milieu du IIIe siècle à Ostie est un phénomène communément admis dans lequel les boutiques s’inscrivent pleinement. C. Pavolini estime qu’une centaine de locaux ont cessé de fonctionner durant cette époque, ce qui en fait une période de crise des boutiques8. Si la crise urbaine d’Ostie est assez bien connue, le sort des boutiques durant l’Antiquité Tardive n’a fait l’objet que de très rares études9. La cessation, archéologiquement observable, de l’activité d’une boutique correspond à deux situations : la reconversion du local ou son abandon.
7.2.1 Les reconversions et les condamnations
21La reconversion ou la condamnation des boutiques implique l’arrêt de leur fonctionnement commercial, mais ceci ne coïncide pas nécessairement avec l’abandon des édifices dans lesquels elles se trouvaient.
22La condamnation des boutiques est un phénomène propre à la période tardive. Le mode opératoire employé est l’obstruction de la baie des boutiques par un mur. Les boutiques deviennent alors des pièces inaccessibles. L’objectif de cette opération est probablement de prévenir l’effondrement des façades par comblement des baies10. Des boutiques du Caseggiato del Sole (V, vi, 1) furent condamnées après avoir subi un incendie daté de la fin du IIIe siècle11. La volonté d’interdire l’occupation illicite de locaux laissés à l’abandon pourrait être une autre explication plausible. En revanche, l’hypothèse selon laquelle certaines boutiques ont été condamnées pour laisser place à des politiques d’embellissement doit être rejetée. Plusieurs archéologues ont relié la condamnation des boutiques II, viii, 1 à l’édification d’un portique de façade12. Le grand nombre de réfections en opus mixtum à bandes identifiées sur l’ensemble de ces boutiques et le rehaussement du pavement de l’une d’entre elles indiquent au contraire que ces murs correspondent à une phase de réfection des boutiques.
23Au total, 35 condamnations de boutiques ont été inventoriées. Dans leur grande majorité (31, soit 88 %), celles-ci sont attribuées à la période tardive.
24Les interventions visant à changer la destination des boutiques sont plus rares.
25Certaines boutiques ont été converties en boulangeries. Leur baie principale est alors condamnée, tandis que des baies secondaires leur permettent de communiquer entre elles et de former un ensemble plus vaste. Ainsi, les baies des boutiques (r1i03b07-11) du Caseggiato del Pantomimo Apolausto et du Caseggiato del Balcone Ligneo (I, ii, 2-6) ont été bouchées en opus mixtum à bandes, tandis qu’un four, des pétrins et un pavement de blocs de basalte fut installé dans la cour interne13. La conversion de ces boutiques en une vaste boulangerie entraîne l’altération de leurs caractéristiques architecturales : le mur de séparation des boutiques occidentales est reconstruit, mais est dénué de système de support d’étage de boutique, la boulangerie est accessible par le biais d’une porte étroite munie d’un seuil à deux vantaux (fig. 32).
26La conversion des boutiques formant la boulangerie du Molino del Silvano (I, ii, 1) suit un autre mode opératoire14. Le cœur de la boulangerie est installé dans les arrière-boutiques dont les murs de partition sont abattus pour être remplacés par des arcs. Les baies de trois boutiques sont obstruées entre l’époque antonine et sévérienne afin de les intégrer à la boulangerie. Deux boutiques sont pavées de blocs de basalte, marquant une continuité avec l’intérieur de la boulangerie et une meule à grain est installée dans l’une d’entre elles15. Un cas analogue a été relevé dans l’édifice I, ix, 216.
27Certaines boutiques sont converties en habitation. Elles intègrent alors une unité plus vaste ou constituent à elles seules un logement. Cette opération peut être identifiée grâce à la conversion d’un seuil à rainure longitudinale en seuil à deux vantaux, comme dans l’une des boutiques du Caseggiato dell’ Ercole (IV, ii, 2-4).
28Au cours du IIIe siècle, sept boutiques de la Caserma dei Vigili (II, v, 1-2) sont également converties17. Les baies ouvrant sur la Via della Fontana sont bouchées tandis que des ouvertures sont ménagées dans les murs orientaux afin de faire communiquer ces boutiques avec l’intérieur de la caserne. La fonction exacte de ces pièces est inconnue, toutefois, tout concorde pour indiquer la fin de leur fonction commerciale.
29Les deux boutiques flanquant l’entrée principale du théâtre sur le decumanus ont été probablement converties en réservoirs d’eau. Tandis que les baies ont été bouchées en opus testaceum, l’intérieur est revêtu d’un mortier hydraulique. D. Vaglieri rapporte la découverte d’une strate de terre et d’argile dans ces boutiques, preuves de leur utilisation comme citernes18. Selon G. Traversari, cette conversion serait à dater de la fin du IVe siècle, à l’époque de fin d’activité de l’aqueduc19. Dans la boutique orientale, un mur fut édifié au-dessus des strates de destruction, à 1m30 du niveau originel. Il s’agirait, selon D. Vaglieri d’une habitation médiévale.
30Enfin, deux boutiques occupant la façade méridionale du Caseggiato dei Triclini (I, xii, 1) ont été converties en latrines (fig. 33). Le mur de partition a été abattu, les baies sont réduites et munies de seuils à crapaudine centrale, tandis qu’une banquette, une fosse et un nouveau pavement sont installés dans le local.
31Ce phénomène est avant tout attesté durant le Haut-Empire (47 conversions, soit 60 %). La première partie du IIIe siècle se démarque avec 32 conversions (41 % du total) qui découlent pour une grande part de l’installation de boulangerie dans d’anciennes boutiques. Les conversions de l’époque tardive sont moins nombreuses et plus isolées.
32Toutes ces opérations – en particulier les reconversions – touchent les caractéristiques propres aux boutiques : la large baie principale, le seuil à rainure longitudinale et parfois l’étage de boutique. Ceci témoigne d’une difficulté à changer la destination des boutiques sans en modifier l’architecture. Les conversions sont plus fréquentes durant le Haut-Empire qu’à l’époque tardive où les condamnations prédominent, témoignant d’un véritable déclin général des activités économiques.
33Si les condamnations et les conversions des boutiques entraînent bel et bien la fin de leur fonctionnement, elles sont opérées en vue d’une continuation d’occupation de l’édifice. Il s’agit donc d’un abandon sélectif. En cela ces interventions s’opposent à un autre type d’abandon.
7.2.2 Abandonner ou détruire
34Certaines boutiques ont été abandonnées ou détruites, même si les deux processus sont difficiles à distinguer. Les phases d’abandon et de destruction du tissu urbain ont été étudiées par C. Pavolini et A. Gering20. Ce dernier a inventorié et décrit tous les abandons documentés de la ville qui se concentrent dans une large mesure aux abords du Tibre21. D’autres zones ne sont pas pour autant épargnées : certaines parties de la Regio III22 ; les abords du Tempio Rotondo23 ; le long de la Semita dei Cippi24 et les parties reculées de la Regio V25. Si ces abandons ne peuvent être systématiquement datés avec précision, ils sont tous attribués à la fin du IIIe siècle ou au courant du IVe siècle. Une étude de la documentation d’archive permet d’approcher plus en détail les raisons de certains abandons, ainsi que leur chronologie.
35De nombreux édifices comprenant des boutiques ont été touchés par des incendies provoquant leur abandon définitif. L’abandon du Caseggiato dei molini (I, iii, 1) a fait l’objet d’une étude détaillée de J.T. Bakker, fondée sur une riche documentation d’archive. L’incendie général de l’immeuble est daté du dernier quart du IIIe siècle grâce à la découverte de monnaies datant du règne de Probus26. L’absence de niveau d’occupation entre la couche rubéfiée et un niveau composé de débris de constructions – d’une hauteur comprise entre 1 et 3 mètres – indique que l’abandon de l’édifice est consécutif à son incendie.
36L’intégralité du Caseggiato del Larario (I, ix, 3) comporte des traces d’incendie, tandis que sa destruction résulte de l’effondrement des étages supérieurs27. Les fouilleurs ont estimé que l’effondrement de l’édifice est la conséquence de l’incendie. Sans se fonder sur des arguments stratigraphiques, R. Finelli évoque la découverte, dans la strate d’incendie, d’un ensemble de 1169 pièces de monnaie à proximité d’un squelette humain dont la tête est manquante. La mort violente, ainsi que l’absence de sépulture de cet individu indiqueraient que l’édifice était encore occupé lors de son incendie et de son effondrement.
37Les boutiques du théâtre connurent un sort analogue, bien qu’aucune datation ne soit possible : les fouilleurs indiquent la présence dans certaines boutiques d’une strate d’incendie d’un mètre d’épaisseur au-dessus de laquelle les débris des étages et des fragments de décors de marbre furent découverts28. Ces trois cas indiquent que l’effondrement des édifices peut être provoqué par un incendie. Le bâtiment est alors laissé à l’abandon, traduisant une importante incurie.
38L’abandon de la Casa di Diana (I, iii, 3-4) et de ses boutiques est daté, depuis G. Calza, du IVe siècle, grâce à la découverte de monnaies datant du règne de Probus29. L’effondrement de l’édifice ne coïncide pourtant pas avec l’abandon du quartier : au-dessus de cette couche de destruction, un niveau de circulation sur terre-battue situé quatre mètres au-dessus du pavement a été daté entre le VIe et le VIIIe siècle30.
39Les boutiques occupant l’angle sud-est du Piccolo Mercato (I, viii, 10) portent les traces d’un effondrement survenu alors que les pièces étaient encore probablement occupées. Les fouilleurs signalent la découverte, immédiatement sous les décombres des étages supérieurs, d’une vingtaine d’amphores disposées verticalement, dont six étaient intactes31. Il s’agit d’une disposition caractéristique du stockage des amphores ; la boutique devait donc probablement être encore utilisée lors de sa destruction. Celle-ci ne peut être datée car la typologie des amphores n’est pas mentionnée par les fouilleurs. Par ailleurs, le reste du matériel inventorié ne peut être utilisé pour dater cet abandon car cet endroit fut le lieu de dépôt du déblai des fouilles lancées par Pie IX et réalisées dans une zone voisine. En l’absence de repères stratigraphiques, il est impossible de distinguer le mobilier de ces boutiques de celui du déblai. En revanche, les amphores semblent appartenir à la boutique puisqu’elles étaient entreposées sur le pavement lors de leur mise au jour32.
40L’îlot II, ii ne porte aucune trace d’incendie ou d’effondrement. Des sépultures et un four à chaux furent installés dans les boutiques et les thermes suite à leur abandon. Ce dernier serait à dater du IVe siècle selon R. Finelli33. L’abandon de la noria des Terme dei Cisiarii (II, ii, 1-3) est daté du même siècle, mais elle n’a d’implications que sur le fonctionnement des thermes et ne peut donc être utilisée pour dater l’abandon des boutiques de l’îlot. De même, la dernière strate d’occupation mise au jour dans les boutiques du Portico a tetto spiovente (II, ii, 6) est composée de terre battue34.
41L’abandon d’un édifice et des boutiques qu’il abrite peut être beaucoup plus complexe. Le portique de Neptune (II, iv, 2) aurait été touché par un incendie concordant avec la fin de son occupation. Les fouilleurs indiquent que les strates d’incendie n’ont pas été nettoyées durant l’Antiquité35. Dans la strate d’incendie d’une des boutiques, un ensemble de monnaies du IIe et surtout du IIIe siècle fut découvert36. Dans un autre local, un album collégial des fontani daté de 232 a été remployé comme revêtement pariétal37. L’incendie date donc probablement de la fin du IIIe ou du IVe s. ap. J.-C.38. Toutefois, ce dernier ne semble pas avoir touché toutes les boutiques du portique. Les fouilleurs ne mentionnent pas de trace d’incendie dans le débit de boissons situé à l’ouest de l’entrée principale des thermes. Au contraire, un sarcophage de marbre couvert de tuiles et contenant un squelette infantile y fut découvert39. Si cette sépulture ne peut être datée précisément, son installation constitue le terminus ante quem de l’abandon de la boutique.
42Cet exemple indique les grandes difficultés auxquelles se heurte l’établissement d’une chronologie des abandons. Il apparaît toutefois que ceux-ci sont propres à la période tardive à laquelle 316 abandons peuvent être attribués.
7.2.3 Les causes du délabrement d’Ostie
43La négligence et l’absence d’opérations de restauration sont à la source du développement de friches urbaines dans la ville. Mais le phénomène n’est pas nouveau à Ostie : la foulerie occupant l’arrière de l’îlot du Tempio dei Fabri navales (III, ii, 1-2) a été employée comme décharge durant la seconde moitié du IIe siècle, avant qu’un temple n’y soit édifié40. Si les friches urbaines temporaires sont attestées lors des périodes antérieures, certaines deviennent définitives à partir du milieu du IIIe siècle. Les Terme del Nuotatore (V, x, 3) constituent le premier édifice abandonné sans intervention de restauration. Les dernières strates d’occupation sont datées de 230-250, après quoi l’édifice est utilisé comme décharge. Des incendies sont également attestés avant le milieu du IIIe siècle, sans entraîner l’abandon définitif des édifices41.
44Dans les cas précédemment évoqués, la dégradation physique des boutiques est provoquée par des incendies ou des effondrements. Toutefois, ces phénomènes peuvent intervenir une fois la boutique abandonnée. Il est donc très difficile de déterminer s’il s’agit là des causes de l’abandon d’une boutique. Quelques boutiques sont dépourvues de strate intermédiaire entre le niveau rubéfié et celui d’effondrement, ce qui indique un très probable lien de causalité entre les deux phénomènes. Ceci étant, l’incendie a pu se déclarer dans une boutique abandonnée depuis peu. Le manque d’informations stratigraphiques rend très difficile la restitution de l’enchaînement des évènements.
45L’effondrement de certains édifices d’Ostie à partir de la seconde partie du IIIe siècle s’explique sans nul doute par une série de séismes42. Saint-Jérôme rapporte que ces derniers auraient été ressentis à Rome durant trois jours et trois nuits43. Ces deux tremblements de terre se trouveraient sans doute à l’origine de l’effondrement de certains édifices d’Ostie et de Portus44. La date de ces deux séismes coïncide avec les éléments datants mis au jour dans certaines boutiques. Il est donc raisonnable de conclure que certaines boutiques se sont effondrées suite à l’un d’entre eux. En revanche l’hypothèse de crues du Tibre déclenchant l’abandon de tout ou partie de la ville a été rejetée45.
46Au total, 316 abandons de boutiques sont attestés à Ostie. Deux effets de source doivent être pris en considération. D’une part, les journaux de fouilles indiquant un abandon ne mentionnent pas s’il concerne tout ou partie de l’édifice. D’autre part, les journaux rédigés entre 1938 et 1942 ne font que très rarement état des données permettant de déterminer la date et la modalité d’abandon des édifices. Cet effet de source explique la rareté des abandons attestés dans la partie de la ville située au sud du Decumanus. Il est donc impossible de prendre la mesure de l’ampleur totale des abandons des boutiques d’Ostie.
47Au sein de notre documentation, ce type d’abandon n’est attesté qu’à partir de la fin du IIIe siècle. Inversement, seules trois boutiques portent des traces d’occupation datant du IVe siècle et au-delà. Les fouilleurs des années 1938-1942 indiquent la découverte d’un ensemble de 4975 monnaies de bronze d’époque constantinienne découvert dans une boutique voisine de la Schoa del Traiano46. Des monnaies datant de 337-340 ont été mises au jour dans une boutique de l’îlot I, x, 347. Enfin, le mobilier découvert dans les sondages opérés dans le macellum (IV, v, 2) daterait de la même période48. En ne considérant que les abandons datés (60 cas, soit 19 % des abandons), il apparaît que 18 % sont datés de la fin du IIIe siècle, 60 % de la première moitié du IVe siècle et 21 % de la seconde partie du IVe siècle. La majorité des abandons des boutiques est donc à dater du IVe siècle.
7.3 Perspectives chronologiques
48La période tardive est dominée par deux mouvements contraires : la vitalité de certaines boutiques et l’abandon ou la destruction des autres. Ceci trouve une illustration éloquente dans les évolutions des boutiques du portique de Neptune. Une grande partie des boutiques du Portico di Nettuno porte les traces d’un abandon – incendie, effondrement et installation de sépultures – qui devrait dater des IIIe-IVe siècles. L’abandon des Terme di Nettuno est postérieur car il s’étend entre le IVe et le début du Ve s.49. Suite à la fin de son fonctionnement, le four des Terme di Nettuno est utilisé comme lieu de stockage ou, moins probablement étant donné l’absence de moule, comme lieu de production de lampes comme l’indique la découverte de 27 lampes de type Cil XV 2850. Néanmoins, le portique porte les traces d’une grande vitalité dans la « Caupona di Fortunato », occupant l’angle sud-ouest de l’îlot. Elle présente les traces d’une occupation datée du IVe siècle51. Un nymphée et un dallage de marbre sont installés sous le portique et sont accessibles depuis trois boutiques. La construction de cette structure en empiétement a été opérée suite à la destruction du portique dans cette zone et à l’arasement de ses piliers. Enfin, à une date inconnue, une rangée de 27 boutiques a été édifiée en avant du portique, sur le Decumanus. Elles furent par la suite arasées. L’exemple des boutiques du Portico di Nettuno montre que le phénomène d’abandon se caractérise par une grande hétérogénéité dans ses modalités et sa chronologie. Ainsi, dans un même édifice un commerce alimentaire richement décoré coexiste avec des boutiques effondrées, incendiées ou employées comme sépulture.
7.3.1 Les causes du déclin des boutiques entre le milieu du IIIe siècle et la fin du IVe siècle
49Toutes causes et périodes confondues, 427 boutiques ayant cessé de fonctionner ont été inventoriées. La très grande majorité (376 boutiques, soit 88 %) de ces abandons a été attribuée à la période tardive (pl. XII et tab. 9). Malgré les difficultés posées par leur datation absolue, il apparaît que la plupart ont cessé de fonctionner au cours du IVe siècle.
50Le déclin des activités économiques ne semble intervenir qu’après la crise touchant les immeubles collectifs qui cessent d’être édifiés et tombent en ruines52. Il faut y voir les signes d’un déclin démographique que les archéologues situent à la fin du IIIe siècle. Celui-ci se traduit également dans les mutations des cimetières d’Ostie : les nécropoles de la Porta Romana, de la Porta Laurentina, de Pianabella et de l’Isola Sacra. L’arrêt de l’édification de tombes monumentales au profit de sépultures individuelles est attesté dès le milieu du IIIe siècle dans toutes les nécropoles53. La nécropole de l’Isola Sacra est abandonnée au cours du IVe siècle, suite à son ensablement54.
51Si le déclin démographique d’Ostie initié au milieu du IIIe siècle est clairement établi, ses causes demeurent obscures. Le rôle portuaire d’Ostie pousse à croire à de lourdes conséquences des épidémies des IIe et IIIe siècles sur la population de cette ville. La peste antonine serait à l’origine de la saturation des nécropoles d’Ostie durant le règne de Marc-Aurèle55. Toutefois, C. Bruun rejette l’idée d’une importante crise démographique à Ostie causée par cette épidémie en constatant que le nombre d’inscriptions n’est pas affecté par une baisse significative56. Or, la pratique épigraphique et l’évolution démographique doivent être considérées comme deux phénomènes distincts. Une seconde série d’épidémies serait attestée au milieu du IIIe siècle57. Ceci concorde avec les mutations affectant les immeubles collectifs et les nécropoles. Il s’agit là probablement de facteurs ayant entraîné la chute de la population d’Ostie.
52Enfin, C. Pavolini a mis en évidence la grande rareté des interventions des autorités, comme l’attestent l’absence de mention de magistrats locaux dans les inscriptions postérieures au milieu du IIIe siècle, l’abandon de la Caserne des vigiles du feu et l’absence de construction d’entrepôts58.
53Par ailleurs, la fin du IIIe siècle se caractérise par une importante négligence des structures urbaines. Certains édifices effondrés ne sont ni restaurés ni dégagés ; l’état des rues suit un mouvement similaire59. L’accumulation de débris architecturaux dans les rues est attestée dès la fin du IIIe siècle sur la Via dei Molini60. Ce processus n’affecte pas uniformément la totalité de la ville, mais se poursuit durant toute la période tardive61.
54L’abandon des boutiques n’intervient que plus tard, au IVe siècle pour l’essentiel et coïncide donc avec celui des grandes boulangeries d’Ostie, que J.T. Bakker date entre le IVe et le début du Ve siècle62. De même, l’abandon des grands entrepôts de la ville est également daté de la fin du IVe siècle par A. Gering63. Les activités économiques d’Ostie sont donc affectées, au IVe siècle, par une crise de grande ampleur. En plus des abandons, de nombreux incendies et effondrements sont attestés, résultant de l’incurie de cette catégorie d’édifices.
55Ce déclin des activités économiques d’Ostie s’explique par des facteurs d’ordre général et local. Il s’agit d’abord de la très débattue « crise » du IIIe siècle64. Celle-ci aurait eu de grandes répercussions sur le système formé par Rome, Ostie et Portus65. Selon C. Pavolini, les autorités, affaiblies par cette crise et ne pouvant plus assurer le fonctionnement de deux ports, auraient transféré une grande partie des activités portuaires à Portus, au détriment d’Ostie66. Ce déplacement des fonctions d’une ville à l’autre aurait renforcé le dynamisme de Portus, ne tardant pas à devenir indépendant d’Ostie en recevant vers 340 le nom de Ciuitas Flauia Constantiniana Portuensis67. Les fouilles archéologiques menées par S. Keay à Portus ont mis en évidence une activité portuaire du site jusqu’au VIe siècle, voire jusqu’au Haut Moyen Âge68. Au contraire, Ostie aurait alors perdu son statut d’avant-port de Rome, déclenchant le déclin de ses activités économiques, au profit de quelques résidences de luxe69. C’est donc le lien même unissant Rome à Ostie qui serait touché à cette époque.
7.3.2 Le IVe siècle : la place des boutiques dans une ville en mutation
56Les immeubles collectifs comprennent un grand nombre de boutiques, le fort déclin de ces deux types d’édifices entre la fin du IIIe siècle et le IVe siècle participent donc d’un seul et même phénomène. La forte présence d’entrepôts, d’ateliers et d’immeubles collectifs semble spécifique à Rome et à Ostie. Cette dernière perd donc à cette époque son caractère de grande ville, pour entrer dans une seconde phase.
57Au IVe siècle, alors que la majorité des boutiques est abandonnée, un petit nombre demeure encore occupé, tandis que d’autres sont édifiées, comme dans la Domus delle Gorgoni (I, XIII, 6). Si le milieu du IIIe siècle se caractérise par une crise des immeubles collectifs, il est aussi marqué par l’essor des maisons. Certaines se substituent même aux immeubles, comme c’est le cas dans les maisons de l’îlot V, ii, ou dans la Domus di Amore e Psiche (I, xiv, 5)70. Ce mouvement traduit un retour vers les formes d’habitats plus traditionnels, comprenant un nombre plus réduit de boutiques. Une grande vitalité des maisons peut être observée jusqu’au début du Ve siècle, tandis que certaines sont encore restaurées au VIe siècle71. Le contraste formé par cette vitalité et le déclin des immeubles collectifs a constitué le socle de la thèse du développement d’un fort antagonisme social au IVe siècle, opposant les propriétaires des maisons aux couches plus humbles paupérisées72. Toutefois, l’existence de boutiques associées aux maisons porte à nuancer ce phénomène. Il faut aussi voir dans ce contraste l’expression d’un retour à des formes d’habitats antérieures à la parenthèse du IIe siècle, et par extension à des configurations socioéconomiques plus traditionnelles.
58Seule la boutique r4i05b42 porte encore des traces de fonctionnement au Ve siècle. Le déclin des boutiques semble donc précéder la seconde crise qui frappe Ostie au Ve siècle73. Les historiens imaginent volontiers que les Wisigoths en 409 ou les Vandales en 455 trouvèrent une ville sans défense74. L’arrêt de fonctionnement de l’aqueduc d’Ostie est attribué au courant du Ve siècle, nécessitant la construction de puits dans la ville75. En outre, la dernière strate d’occupation de la Via Severiana – reliant Ostie à Terracine est datée du milieu du Ve siècle76. L’arrêt d’utilisation de cette voie de communication marque sans nul doute le déclin des échanges économiques entre Ostie et les villes du Latium situées plus au sud. Si Ostie est coupée de son port au IVe siècle, elle l’est aussi des régions avoisinantes au Ve siècle, époque durant laquelle presque aucune boutique ne semble en activité.
59La fin des boutiques est donc à situer dans le cadre d’une seconde vague de profondes mutations urbaines. Celle-ci se caractérise en premier lieu par le développement des sépultures intra-muros. Il s’agit en grande partie de remplois de sarcophages du IIe et du IIIe siècle, dont l’installation en ville est datée entre le Ve et le VIIIe siècle77. Enfin, des niveaux d’occupation se développent, au Ve siècle, au sommet des épaisses strates de matériel de destruction. C’est alors que le premier étage de certains édifices est employé comme rez-de-chaussée78. Toutefois, Ostie est encore occupée : la basilique de Pianabella n’est abandonnée qu’au début du IXe siècle79. L’abandon définitif d’Ostie concorderait avec la fondation de Gregoriopolis au IXe siècle. Ostie est alors utilisée comme carrière de marbre par les chaufourniers80.
60L’évolution des boutiques d’Ostie suit deux tendances. D’une part, la structure des boutiques est maintenue, tandis que certaines interventions traduisent une vitalité de quelques petits commerces durant l’Antiquité Tardive. Parallèlement s’amorce dès le milieu du IIIe siècle un mouvement d’abandon des boutiques qui s’affirme au siècle suivant. Ce processus fait suite à un déclin démographique et économique d’Ostie. Le IVe siècle se démarque par la destruction de nombre d’édifices : immeubles, grands entrepôts et ateliers. L’étiolement du lien entre Ostie et la capitale, et par là même de sa centralité économique en tant qu’avant-port se trouve à la source de ce mouvement d’abandon de grande ampleur. Au contraire, la vitalité de certaines boutiques durant le IVe siècle est fortement liée à celle des domus. Cette survivance de quelques locaux commerciaux procède donc du maintien et du dynamisme d’un type d’habitat et de configurations socio-économiques qui furent éclipsées durant le beau IIe siècle.
Conclusion de la première partie
61La vision traditionnelle d’un épanouissement du IIe siècle opposé au vide de la période tardive masque des réalités que seule une approche plus contextualisée permet d’entrevoir. Les configurations architecturales des boutiques d’Ostie les éloignent du modèle connu ailleurs qui se caractérise par un lien plus étroit entre les locaux commerciaux et les maisons. Le cas d’Ostie se démarque au contraire par une forte relation entre les boutiques, se traduisant par des liens topologiques entre différents locaux ou des arrière-salles communes. Ces spécificités découlent des processus intervenant dans la fabrique de ces espaces. Le nombre et la densité des boutiques d’Ostie s’expliquent par les grandes constructions entreprises durant le IIe siècle, qui procèdent elles-mêmes du lien privilégié unissant Rome à son avant-port. C’est dans ce cadre que les immeubles collectifs ont été construits en grand nombre à Ostie, ainsi que les boutiques qui en occupent le rez-de-chaussée. L’édification en grande quantité de ces deux types d’espaces procède d’un seul et même phénomène. L’accroissement démographique – probablement suscité par la construction, puis l’activité du port de Trajan – a généré une demande en logements accrue, ainsi que des besoins quotidiens plus importants qui furent pourvus par l’édification de boutiques et d’immeubles. Les immeubles collectifs ne se retrouvent, dans ces proportions, que dans la capitale. Les fonctions portuaires d’Ostie l’ont fait entrer en résonnance avec Rome, favorisant l’émergence de caractéristiques urbaines qui la distinguent des villes situées hors de l’orbite de la capitale. Toutefois, cette situation ne dure qu’un temps : au siècle suivant s’amorce le déclin de ces édifices, et par là même des boutiques, traduisant un étiolement du lien entre Ostie et la capitale. La majorité des boutiques est abandonnée au cours du IVe siècle, tandis que dans la ville, des formes architecturales plus locales fleurissent. Le principal facteur explicatif de la forme et de l’évolution des boutiques d’Ostie est donc sa fonction portuaire, relation privilégiée avec la capitale qui a duré un long siècle. Il apparaît donc que les boutiques sont non seulement le produit de la ville d’Ostie, mais que leur histoire résulte fortement, bien que de manière indirecte, des relations unissant Ostie à Rome.
Notes de bas de page
1 Gering 2004, p. 348 et p. 357.
2 Bukowiecki, Dessales, Dubouloz 2003, p. 523.
3 Pensabene 2007, p. 502.
4 Marinucci 2001, p. 238.
5 La datation des autres est incertaine, tandis que le bouchage d’une baie dans la Schola del Traiano a été daté de l’époque moderne : Bukowiecki, Dessales, Dubouloz 2003, p. 521.
6 Oome 2007, p. 241.
7 Pavolini 1986, p. 263.
8 Pavolini 1986, p. 249-252 ; Pavolini 2005, p. 257.
9 Pavolini 1986 ; Bakker 1994, p. 79 ; Pavolini 2002.
10 Gering 2001, p. 20.
11 Gering 2004, p. 338.
12 Rieger 2004, p. 55-56 ; Gering 2004, p. 318.
13 Bakker 1999, p. 93-94.
14 Bakker 1999, p. 16-60.
15 Bakker 1999, p. 16-58.
16 Bakker 1999, p. 95-97.
17 Vaglieri 1910, p. 47-52 et p. 161-173 ; Zevi 1970, p. 7 et svtes, Sablayrolles 1996, p. 291-294.
18 Vaglieri 1910, p. 172.
19 Traversari 1960, p. 43.
20 Pavolini 1986 ; Pavolini 2002 ; Gering 2004.
21 Gering 2004, p. 314-321 et 342-349. Les îlots I, ii ; I, iii ; I, iv ; I, v ; I, vi ; I, vii ; I, viii ; I, ix ; I, xiv ; I, xx ; II, ii ; II, iii ; II, iv ; II, v ; II, vi ; II, viii ; II, ix ; II, xii sont affectés par ce phénomène dans cette zone de la ville.
22 III, i ; III, ii ; III, ix ; III, xii ; III, xiv ; III, xvi.
23 I, x ; IV, iv.
24 Gering 2004, p. 342-349. I ; xii ; I ; xiii ; IV, ii ; V, ii ; V, v.
25 V, iii ; V, vii ; V, x ; V, xi et V, xii.
26 Bakker 1999, p. 53 ; Gering 2004, p. 321.
27 Gds 1919, 2-4 janvier, p. 1 ; 2 mars, p. 17, 5 avril, p. 28.
28 Vaglieri 1910, p. 47 ; 107 et Vaglieri 1913, p. 80.
29 Calza 1917b p. 323. Cette datation fut dans un premier temps critiqué par Pavolini 1986, p. 464, n. 71 : Calza aurait utilisé les monnaies mises au jour dans le Caseggiato dei Molini voisin. Toutefois, dans son étude de ce dernier édifice, Bakker 1999, p. 53 rejette cette hypothèse en se fondant sur les rapports de fouilles. La datation proposée par Calza fut reprise par Marinucci 2001, p. 239.
30 Pavolini 1986, p. 281-282 ; Paroli 1993, p. 167-168 ; Marinucci 2001, p. 239.
31 Gds 1911, 24-29 Juillet, p. 163.
32 Vaglieri 1911c, p. 371.
33 Gds 1919, 13 juillet, p. 58-59. Les éléments de datation demeurent toutefois implicites dans ce rapport.
34 Gds 1921, p. 231.
35 Gds, 1908, p. 148 ; p. 163 ; p. 189.
36 Vaglieri, 1909a, p. 47.
37 CIL XIV, 4573.
38 Pavolini 2006, p. 58.
39 Vaglieri, 1909b, p. 90.
40 De Ruyt 1996, p. 12.
41 Hermansen 1982, p. 216-217 ; CIL xiv, 376.
42 Guidoboni 1994, p. 239 et 245.
43 Saint-Jérôme, Chroniques, 2362 Ab, Ol.281.2, 9 Constantius.
44 Gering 2004, p. 322 et P. Pensabene 2007, p. 67 ; sur Portus : Scrinari 1984, p. 218 ; Scrinari, 1987, p. 182.
45 Paroli 1993, p. 166 indique que les seules traces de crue ont été identifiées dans la zone située au nord des Grandi Horrea.
46 Gds 1938, p. 77.
47 Silberstein Trevisani 1989, p. 129-131.
48 Kockel, Ortisi 2000, p. 362-363.
49 Poccardi 2006, p. 171 et Pensabene 2007, p. 234.
50 Vaglieri 1911c, p. 364.
51 Scrinari, Ricciardi 1996 p. 201.
52 Pavolini 1986, p. 252 ; Gering 2001, p. 209 ; Pavolini 2002, p. 343.
53 Morselli 1996, p. 10 ; Baldassarre 1996, p. 17-18 ; Heinzelmann 2001, p. 382 ; Paroli 1993, p. 154-155.
54 Baldassarre 2001, p. 390.
55 Carbonara, Pellegrino, Zaccagnini 2001, p. 142.
56 Bruun 2003, p. 433-434. Il inventorie au total 30 inscriptions datant du règne d’Antonin le Pieux, 34 de Marc-Aurèle et 12 de Commode.
57 Voir la synthèse de Giardina 2008, p. 757.
58 Pavolini 2002, p. 343. L’archéologue va plus loin en parlant d’un « collasso delle strutture civili ».
59 Calza, 1914a p. 248 ; Calza 1920, p. 327 ; Pavolini 1986, p. 281.
60 Gering 2004, p. 335. Il s’agit d’une datation numismatique.
61 Pavolini 1986, p. 280-281 ; Paroli 1993, p. 166 identifie le même processus le long de la Via Severiana entre le IVe et le VIIe siècle ; Gering 2004, p. 348.
62 Bakker 1999, p. 111-112 ; cette datation est également retenue par Gering 2004, p. 322, 324 et 334.
63 Gering 2004, p. 340.
64 Voir la synthèse d’A. Giardina (Giardina 2008, p. 743-768).
65 Pavolini 2002, p. 348-349.
66 Pavolini 1986, p. 274.
67 CIL XIV, 4449. Wilson 1938, p. 162 ; Pavolini 1986, p. 275.
68 Keay 2005, p. 291.
69 Sur le déclin des activités économiques, voir Wilson 1935, p. 159-160 ; Février 1958, p. 326-328 ; Pavolini 1986 et 2002.
70 Sur le phénomène à l’échelle d’Ostie, voir Gering 2001, p. 208-209 ; sur l’îlot V, ii, voir Boersma 1985 et sur la Domus di Amore e Psiche, voir Becatti 1948, p. 6 et Packer 1967b.
71 Pavolini 1986, p. 254-273 ; Boersma 1985, p. 8 et p. 221-228 ; Pavolini 1986, p. 279.
72 Cette thèse a été formulée par Février 1958, p. 324- 326 ; puis reprise par Pavolini 1986, p. 275 et par Gering 2001, p. 210.
73 La thèse de cette seconde crise est attribuée à P. Février 1958, p. 328-330 ; elle a été reprise par Pavolini 1986, p. 279-283.
74 Pavolini 1986, p. 279.
75 Pavolini 1986, p. 280 ; Bukowiecki, Dessales et Dubouloz 2008, p. 187 indiquent que le château d’eau de la Porta Romana cesse d’être entretenu au cours du IVe siècle.
76 Pavolini 1986, p. 280.
77 Paroli 1993, p. 161 ; P. Lenzi 1998, p. 250 ; Heinzelmann 2001, p. 382 ; Gering 2004, p. 348.
78 Calza 1917, p. 248 ; 1915 p. 27 ; 1917 p. 323 1940 p. 37 ; Février 1958, p. 329 ; Veloccia Rinaldi 1971 p. 169 ; Gering 2004, p. 319-321.
79 Paroli 1993, p. 160 et 170.
80 Lenzi 1998.
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