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Aliéner l’inaliénable : les biens immeubles

p. 281-283

Texte intégral

1Rendre les biens indisponibles et les transmettre selon un ordre préfixé, tels sont les deux piliers des fidéicommis. L’un ne va pas sans l’autre. Chaque héritier est tenu de garder les biens pour que les appelés suivants puissent en bénéficier et la définition d’un ordre de substitution n’a de sens que si les biens passent de génération en génération. En instituant un « strettissimo » fidéicommis, le testateur entend sceller à jamais la prohibition de vendre.

2Pourtant, ce qui a été lié peut être délié sous certaines conditions. La question de la levée de l’inaliénabilité a d’abord été une affaire de canonistes1, qui ont précocement débattu de la licité et des modalités de la vente des biens ecclésiastiques. En toute logique, alors que l’indisponibilité des biens des particuliers était fort peu répandue, les articles que les Statuts vénitiens de 1248 consacrés à l’aliénation portent presque exclusivement sur les biens d’Église2.

3Les jurisconsultes modernes, qui se sont saisis de la question de l’inaliénabilité des fidéicommis, s’accordent à reconnaître au Prince la capacité de délier les biens en cas de nécessité. La puissance souveraine s’octroie cette faculté car les fidéicommis relèvent de la seule loi positive et elle s’en réserve le monopole, ce qui signifie que la vente ne peut se faire sans son accord préalable. La doctrine s’est employée à définir les situations justifiant la levée de la prohibition3. Elles sont de trois ordres. Elles se rencontrent, d’abord, au moment de la succession du testateur, quand le remboursement des dettes et la dot des filles constituent des motifs pour lever l’inaliénabilité instituée. Elles dépendent, ensuite, de la condition personnelle de l’usufruitier contraint de vendre pour payer une rançon, racheter sa captivité, ou satisfaire d’indispensables besoins alimentaires. La nécessité est dictée par l’état du bien dont l’exposition à des innondations ou la dégradation matérielle entraîne une perte pour la valeur du fidéicommis4. À la nécessité s’ajoutent enfin, selon le cardinal Giovanni Battista De Luca (1614-1683) dans Il Dottor volgare (1673), toutes les situations que le testateur, s’il était placé à la place du substitué, jugerait favorable au patrimoine de la maison5. La libération d’un bien est donc envisageable quand elle ne remet pas en cause l’intégrité et la perpétuation du fidéicommis. C’est seulement à cette condition que l’autorité publique parvient à la concilier avec la défense du principe d’inaliénabilité qui s’exprime dans la possibilité de récupérer des biens illégalement aliénés sans délai de prescription.

4Par ailleurs, la distinction entre les biens libres et les biens assujettis ne repose pas sur une différence de nature car ils appartiennent pleinement à la sphère marchande. À la différence des biens « libres » romains qui étaient accessibles à tous et, de ce fait, indisponibles à cause de leur destination sacrée et publique6, les biens soumis à fidéicommis sont soustraits au commerce à cause de leur affectation à une famille sur volonté du testateur. Rien ne les distingue d’autres biens de même nature si ce n’est la prohibition qui les frappe. Leur libération ne rencontre donc pas d’obstacles liés à leur caractère intrinsèque.

Notes de bas de page

1  Le Décret de Gratien affirme en plusieurs endroits leur inaliénabilité (C. 12, q. 2, c. 13-16, c. 49, 52 ; C. 17, q. 4, c. 40) ; toutefois selon un dictum de Gratien lui-même, on peut vendre en présence de certaines conditions (C. 12, q. 2, c. 49). La Glose au Décret de Jean le Teutonique identifie quatre situations : la nécessité urgente, l’utilité manifeste, les dettes à recouvrir et les misères pressantes à secourir (Gl. in C. 12, q. 2 dict. ante c. 1). Au XVIe siècle, l’élasticité fut poussée encore plus loin puisque même si l’auteur de la vente était considéré comme parjure, la validité de la transaction restait intacte. Je remercie Paolo Napoli de ces indications.

2  Novissima Veneta Statuta, 1729, lib. 1°, cap. I : Chel non se dib alienar le cose stabile de li monasteri senza consentimento delle persone in le leggi comprese ; II : De La legge sopra le Piovan delle Giesie ; III : De La legge sopra li Vescovi di Venezia ; IV : De la legge sopra li Metropolitani, cioè mazori Rectori delle Giesie.

3  Sur les conditions de levée de l’inaliénabilité dans la doctrine, L. Tria, Il fedecommesso nella legislazione e nella dottrina dal XVI secolo ai giorni nostri, Milan, 1945, p. 47-49. Dans Le Theatrum (Liber X de fideicommissis, substitutionibus, primogenituris e maioratibus, § “De alienationibus”, 801-803) le cardinal De Luca expose 8 controverses judiciaires portant sur l’aliénation de biens soumis à fidéicommis pour constituer un dote spirituelle, faire face à des dépenses judiciaires, satisfaire ses besoins alimentaires, etc ; voir M. Piccialuti, L’immortalità dei beni : fedecommessi e primogeniture a Roma nei secoli XVII e XVIII, Rome, 1999, p. 255-257.

4  D. Micheli, Deli fidecommissi, Verona, 1733, Parte I, cap. V, n. 36, p. 30 : « La dizione, possa vendere per sua necessita, concede la libertà di alienare a pregiudicio del fidecommisso, quando ciò sia necessario. Questa necessità deve essere provata e conosciuta dal giudice avanti e non dopo l’alienazione. Tale necessità può originare da più motivi ; Primo dalle qualità dei beni perché soggetti alle inondazioni e non possibili possedersi di fatto per la pessima e pericolosa qualità di vicini o infami, o scandalosi, o prepotenti, oppure quando le fabbriche fossero ruinose, ed irreparabili senza gravissima spesa. Secondo nelli casi di grave infermità, indispensabile bisogno di alimentare se stesso e famiglia, dotare figliole, ricupera della libertà della schiavitù, dalla prigione per cause non volontarie, sostenimento della propria riputazione a liberazione di perpetua infamia, pericoli della vita, e simili ».

5  G. B. De Luca, Il Dottor volgare ovvero il compendio di tutta la legge civile, canonica, feudale, municipale, nelle cose più ricevute in pratica ; moralizzato in lingua italiana per istruzione e comodità maggiore di questa Provincia, Rome, G. Corvo, 1673, lib. X, cap. 31, « Delle alienazioni delle robbe fidecommissarie lecite permessa dalla legge », § 11, p. 259-260 : « o pure che l’avrebbe fatto lo stesso testatore, se fosse vivo, cioè di non esporre il tutto al pericolo della litte, ma che con un onesto partito proporzionato col suddetto dubbio evento abbia cercato di metterne parte in sicuro per fare una cosa utile a se stesso, ed alli successori ».

6  Y. Thomas, La valeur des choses : le droit romain hors la religion, dans Annales E.S.C., 6, 2002, p. 1431-1462.

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