Campo delle Piane
|Introduction
Texte intégral
1Une carte archéologique reflète avant tout un état de la recherche. En dépit d’une longue histoire de l’archéologie préhistorique dans les Abruzzes, qui s’étale sur plus d’un siècle et demi, ce constat s’applique aussi à cette région d’Italie. La carte actuelle des sites attribués au Paléolithique récent est bien pourvue mais elle fait apparaître de fortes disparités (Radmilli 1997) (fig. 1). La plus évidente est l’existence de grandes zones désertes qui contrastent avec plusieurs concentrations de points. C’est, en effet, surtout dans la partie interne des Apennins que les recherches ont été les plus soutenues : dès les années 50, autour du bassin du Fucino et dans le Massif de la Maiella et, plus tardivement, sur le plateau des « Cinquemiglia » qui a fait l’objet de prospections régulières à partir des années 70. Dans une moindre mesure, le bassin du Tavo, sur le versant oriental du Massif du Gran Sasso, montre un autre groupement de points. La plupart de ces concentrations résultent en réalité de l’activité d’un individu. C’est le cas des nombreux gisements, entourant la dépression du Fucino, découverts pour la plus grande part par le professeur Antonio Mario Radmilli. C’est également le cas du bassin du Tavo qui fut un secteur très exploré par Giovanni Battista Leopardi, l’inventeur du site de Campo delle Piane.
2Une autre disparité tient à l’attribution chronologique des sites. En fait, la carte des sites du Paléolithique récent se confond pratiquement avec celle des sites épigravettiens. Peu nombreux sont les indices d’occupations plus anciennes. Dans l’édition la plus récente de son ouvrage sur la préhistoire des Abruzzes parue en 1997, A.M. Radmilli signale seulement cinq gisements aurignaciens, dispersés sur le territoire des Abruzzes (Radmilli 1997, p. 48- 57). Précisons en outre qu’un seul, la grotte Salomone, présente une garantie solide d’attribution chrono-culturelle (avec la découverte d’un outil caractéristique de cette période : la pointe de sagaie à base fendue) ; les autres correspondent à des récoltes de surface dont l’interprétation est plus problématique. Il faut ajouter à cet inventaire restreint un habitat sous abri d’époque gravettienne, découvert en 2000 (Ruggeri, Whallon 2010). Ce site, daté par la méthode du14C, constitue l’unique témoignage sûr d’une présence gravettienne dans cette région.
3Cette nette domination des occupations épigravettiennes doit cependant être contrebalancée par la nature des sites pointés sur la carte archéologique : une majorité de ces points correspond à des collections de surface, de richesse inégale, dont l’attribution est parfois délicate. Les sites les plus fiables sur lesquels repose la connaissance de l’Épigravettien des Abruzzes sont les habitats en grotte ou sous abris, minoritaires et de surcroît nettement regroupés autour du Fucino.
4Ainsi, la carte actuelle des sites du Paléolithique récent dans les Abruzzes se résume de la manière suivante : une distribution très inégale des gisements, une majorité de découvertes de surface complétée par des habitats sous abris naturels concentrés dans la partie interne des Apennins, de rares indices d’occupations antérieures à l’Épigravettien. C’est au regard de cette réalité documentaire que doivent s’apprécier les recherches menées à Campo delle Piane.
- 1 Ou plus exactement au « Bertonien » qui serait, selon A.M. Radmilli, une tradition contemporaine r (...)
5Le site de Campo delle Piane, attribué à l’Épigravettien par A.M. Radmilli1, est donc l’un des sites repérés par G.B. Leopardi dans la vallée du Gallero, un des affluents du fleuve Tavo (Province de Pescara, fig. 2). Bien qu’il soit connu depuis plus d’un demi-siècle et se rattache à l’entité chrono-culturelle la mieux représentée dans les Abruzzes, la reprise des travaux sur ce gisement nous a paru cumuler plusieurs intérêts. Le premier était le fait d’enrichir la carte d’un nouveau type d’habitat, inconnu dans cette région pour l’ensemble du Paléolithique récent, qui est l’habitat de plein air. Jusqu’à présent en effet, en dehors du sondage (mal documenté) effectué par G.B. Leopardi à Campo delle Piane, ce choix d’implantation était exclusivement connu par le biais de vestiges lithiques trouvés en superficie et hors contexte stratigraphique.
6À ce caractère d’unicité faisant de Campo delle Piane un gisement exceptionnel dans les Abruzzes, s’ajoutent d’autres enjeux, géographique et chronologique. Malgré la présence d’un petit groupement de points sur la façade orientale du massif du Gran Sasso, l’Épigravettien reste grandement méconnu dans ce secteur des Abruzzes, faute de données chrono-culturelles sûres, car tous ces points, hormis Campo delle Piane, désignent des récoltes de matériel lithique en surface.
7La problématique qui a guidé nos travaux à Campo delle Piane est double. Le premier objectif était l’analyse palethnographique d’un habitat de plein air. Il s’agissait de découvrir et de fouiller les vestiges encore en place d’un campement temporaire, d’en préciser la datation, d’en reconnaître l’organisation et la fonction. Le second objectif visait à replacer cet habitat dans un cadre micro-régional, celui d’une petite vallée de piémont – la vallée du Gallero – dans laquelle il se situe. On se proposait ainsi de délimiter l’extension de l’occupation humaine au Tardiglaciaire (sensu lato) dans cette vallée et d’en reconstituer la chronologie. Cette recherche passait donc par une approche taphonomique nécessitant de mener en parallèle étude paléoenvironnementale et étude archéologique. À terme, nous avions le désir de donner à ce programme une valeur prospective et de contribuer ainsi au développement d’études ultérieures sur l’habitat de plein air dans les Abruzzes.
8Ces différentes perspectives – palethnographique, paléogéographique, taphonomique – commandaient une démarche intégrée et multiscalaire. Cet ouvrage, qui présente la synthèse des analyses effectuées à Campo delle Piane, illustre la complémentarité des approches et il est l’aboutissement d’une collaboration entre spécialistes de disciplines diverses ayant participé à ce programme.
9Le contenu de l’ouvrage répond donc à la double problématique que ce programme s’est fixé avec plusieurs chapitres consacrés à la vallée du Gallero et un chapitre centré sur l’analyse détaillée d’un locus particulier de Campo delle Piane ayant fait l’objet de fouilles pendant plusieurs années.
10Le premier chapitre (M. Olive et S. Agostini) replace la découverte du site de Campo delle Piane dans le contexte historique des recherches sur l’Épigravettien dans les Abruzzes. Celles-ci ont connu un développement important dans les années suivant la seconde guerre mondiale, période à laquelle Campo delle Piane a été repéré. Cette partie historique résume aussi les données disponibles sur ce gisement au moment où nous avons décidé d’en reprendre l’étude.
11Dans le second chapitre, A. Tomasso dresse un état de la recherche sur l’Épigravettien en Italie prenant en compte les données les plus récentes issues, pour la plupart, de travaux réalisés hors des Abruzzes. Les questions essentielles ont trait à l’évolution de l’Épigravettien et à sa variabilité géographique. Des études fondées sur l’analyse techno-économique de l’équipement lithique renouvellent profondément le découpage « classique » de cette culture.
12S. Agostini présente, dans le troisième chapitre, le cadre géologique et géomorphologique dans lequel se trouve Campo delle Piane et retrace l’évolution paléohydrographique du bassin du Tavo. Les grandes caractéristiques de ce milieu, en particulier une tectonique active, expliquent, en partie au moins, la taphonomie des occupations tardiglaciaires dans la vallée du Gallero.
13Le quatrième chapitre est consacré à la méthodologie mise en œuvre dans cette étude sur la vallée du Gallero (Y. Le Jeune, M. Olive). Nous avons déjà souligné que celle-ci est le résultat d’une collaboration entre plusieurs chercheurs et que diverses méthodes d’analyse ont été sollicitées pour le traitement des données, aussi bien sur le terrain, qu’ensuite en laboratoire. Le croisement d’une approche archéologique et géoarchéologique pour la recherche et l’étude d’habitats de plein air est une démarche encore peu développée en archéologie préhistorique dans les Abruzzes. Aussi, il nous a paru intéressant de détailler la manière dont nous avons travaillé pour conduire le programme sur Campo delle Piane.
14Les chapitres suivants dressent le bilan géoarchéologique et archéologique des travaux menés à Campo delle Piane. L’évolution de la vallée du Gallero depuis le Pléniglaciaire est exposée dans le chapitre 5 (Y. Le Jeune). L’analyse détaillée de la séquence tardiglaciaire, particulièrement développée dans cette vallée, en fait une stratigraphie de référence pour cette période dans les Abruzzes.
15Divers indices d’occupations humaines tardiglaciaires ont été repérés sur les deux rives du Gallero à la suite de multiples prospections. Parmi ces indices, on compte les vestiges d’un habitat épigravettien en place dont une partie a été fouillée durant plusieurs années. L’interprétation spatiale et fonctionnelle de cet habitat est développée dans le chapitre 6 (M. Olive, avec la collaboration de R. Gosselin). Si Campo delle Piane figure bien sur les cartes archéologiques depuis plusieurs décennies, rien de sûr et de précis n’était connu sur cet habitat. Un des intérêts majeurs de cette recherche réside dans les informations inédites qu’apporte cette découverte. Les autres traces d’occupations préhistoriques consistent en concentrations lithiques de surface. Dans le chapitre 7 (M. Olive, Y. Le Jeune, A. Tomasso, B. Valentin), les ensembles les plus riches font l’objet d’une analyse techno-économique couplée à des observations stratigraphiques. Ces études croisées permettent d’avancer quelques hypothèses sur la chronologie de l’occupation humaine de la vallée du Gallero depuis la fin du Pléniglaciaire.
16En conclusion (M. Olive, Y. Le Jeune, A. Tomasso), nous tentons de mettre en perspective toutes les données mobilisées par l’ensemble des analyses en replaçant Campo delle Piane dans le peuplement des Abruzzes après le Maximum Glaciaire. Enfin, ce travail s’achève sur un prolongement possible de cette recherche. Il apparaît que le modèle taphonomique, élaboré à partir de l’étude de Campo delle Piane, s’applique à d’autres vallées du versant oriental du massif du Gran Sasso laissant ainsi augurer de nouvelles perspectives de recherche et d’une conservation potentielle d’autres habitats de plein air tardiglaciaires dans cette région des Abruzzes.
17Enfin, la seconde partie de l’ouvrage réunit les résultats des études spécialisées mises en œuvre pour l’interprétation de l’habitat épigravettien et de son contexte climatique : l’analyse anthracologique (G. Fiorentino), l’étude sur le magnétisme des sédiments (E. Marmet, Y. Le Jeune), l’analyse micromorphologique du niveau d’occupation et des structures de combustion (Y. Le Jeune, C. Visset, J. Wattez), l’analyse tracéologique de l’industrie lithique (R. Gosselin).
18Sauf mention particulière, les illustrations ont été réalisées par les auteurs de chaque chapitre.
Notes
1 Ou plus exactement au « Bertonien » qui serait, selon A.M. Radmilli, une tradition contemporaine régionale.
Table des illustrations
![]() | |
---|---|
Légende | Fig. 1 – Carte des sites attribués au Paléolithique récent dans les Abruzzes. |
URL | http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/33282/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 106k |
![]() | |
Légende | Fig. 2 – La situation de Campo delle Piane. |
URL | http://books.openedition.org/efr/docannexe/image/33282/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 125k |
© Publications de l’École française de Rome, 2017