Épilogue. Vers Livourne industrielle
p. 545-546
Plan détaillé
Texte intégral
1Le redimensionnement du port, le déclin démographique des « nations » et le départ de nombreuses firmes allogènes marquent la fin du long cycle urbain structuré par la présence des « nations » et l’existence de la franchise. L’affirmation, dans la cité et la chambre de commerce, d’entrepreneurs et de nouveaux venus, les Orlando en particuliers, fondateurs des chantiers navals qui deviennent à la fin du siècle la principale entreprise de Livourne, est un autre signe de la profonde mutation en cours à partir des années 1870-18801. Autour de ses hommes, souvent liés à la Gauche historique qui a pris le pouvoir en 1876, une orientation nouvelle se dégage, fondée sur l’industrie et la marine nationale.
2Deux lieux essentiels de la ville de la première moitié du XXe siècle, les chantiers Orlando (1865) et l’académie navale italienne (1881) s’installent ainsi aux limites sud de l’ancien centre urbain, à l’emplacement des anciens lazarets San Rocco et San Jacopo et à l’opposé d’un « point franc », vite absorbé par la mise en place du quartier industriel du nord de la ville. Cette nouvelle donne nationale et industrielle fait entrer Livourne dans un autre cycle historique, marqué par une restructuration radicale de l’espace urbain, largement remanié et ouvert (début du XXe siècle), par l’affirmation de la ville ouvrière et par la mise en place d’une vie politique dans laquelle prévaut l’affrontement entre une classe ouvrière rapidement politisée, encadrée par la gauche socialiste, et une droite locale orientée par les grands intérêts industriels.
3L’affirmation rapide de ces intérêts industriels, entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, favorise la réinsertion locale de certaines familles fortunées du XIXe siècle, comme les Bondi et les Larderel, dont le centre de gravité s’était déplacé vers Florence, mais qui se sont ensuite engagées dans les investissements sidérurgiques qui dominent l’industrialisation locale. Quoiqu’il en soit, la bourgeoisie livournaise est désormais dominée par un tout autre type d’hommes. Les Orlando, surtout, entretiennent avec la ville un rapport nouveau, construit sur l’industrie et l’insertion politique dans l’Italie libérale. Cette famille patronale, d’origine sicilienne, présente en effet une double originalité. Formés à Gênes, les frères Orlando ont, avant de s’installer à Livourne, acquis une formation technique et une expérience de direction industrielle sur le tas, en participant à plusieurs initiatives importantes dans cette ville (fonderies, chantiers navals Rubattino, chantiers navals de l’Ansaldo). Leur réussite ne tient pas à la possession d’un patrimoine préindustriel important, (ils ne proviennent pas de la grande propriété, du négoce ou de la finance), mais à leur active participation au processus d’unification politique de la péninsule, d’abord, dans les années 1830-1850, au sein de la mouvance mazzinienne, puis, après l’Unité, dans le sillage de la Gauche historique2. Les Orlando donnent à l’Italie libérale plusieurs parlementaires et participent activement, dans le sillage de Crispi, un ami des Orlando, à l’élaboration de la politique économique et industrielle de la Gauche historique3. En outre, entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, ils fournissent à la ville un maire (Rosolino Orlando, qui dirige la municipalité en 1895-1897 et en 1915-1920), ainsi qu’un président et plusieurs membres à la chambre de commerce.
4De fait, avec eux, Livourne possède désormais des notables complets, locaux et nationaux, par ailleurs cible privilégiée d’un mouvement ouvrier local lui aussi bien inséré dans les conflits politiques nationaux. La page du port franc est alors définitivement tournée et la ville, exclusivement intégrée au cadre national, en a fini avec les logiques de la limite.
Notes de bas de page
1 Relazione de la commissione locale del censimento… op. cit., p. LI-LII ; Mori 1956, p. 26 ; Spadoni 1979, p. 26-57 ; Mori, « L’industria italiana fra gli inizi del secolo e la guerra di Libia », dans La Toscana nell’Italia unità, Florence, 1962, p. 277.
2 Stefanini 1983.
3 Spadoni 1979, p. 30-47 ; Grange 1994, vol. 1, p. 24-45 et p. 365-406.
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