1Tenter d’esquisser une typologie des lieux de conservation des produits consommés par des populations non rurales (villes, armées) sur une aussi longue période peut sembler à première vue une gageure. Cependant, la continuité des contraintes techniques qui ont pesé sur le ravitaillement des sociétés méditerranéennes d’Ancien Régime permet de dégager des constantes dans l’aménagement et l’utilisation des structures de stockage. C’est pourquoi, si l’on ne peut négliger les données de la conjoncture des différentes périodes dans l’étude qui va suivre, on privilégiera cependant une étude diachronique. La conjoncture reste un élément essentiel ; mais elle donne lieu à une variété non infinie de réponses qui se déclinent sur la longue durée.

2Les entrepôts destinés en partie ou en totalité à la conservation de denrées échappant à la consommation privée pour approvisionner les populations urbaines et militaires présentent une grande variété de formes et il faut souligner d’emblée un paradoxe : ils ne sont pas toujours aisés à identifier à première vue.

3Par exemple, on sait qu’à Rome et Ostie une des formes dominantes en matière d’édifices de stockage à la fin de la République et sous l’Empire était l’alignement de pièces sur trois ou quatre côtés d’une cour centrale1. Cependant tout bâtiment présentant ce plan d’ensemble n’est pas obligatoirement un entrepôt : les marchés construits, les casernements, pouvaient revêtir le même aspect2. À l’inverse, des espaces à première vue peu adaptés à une fonction de stockage ont pu être utilisés au moins temporairement à cette fin. C’est le cas par exemple des cryptoportiques d’Aoste édifiés à l’époque augustéenne comme substruction à la terrasse de l’area sacra, qui subirent à la fin de l’Antiquité, en raison de probables mutations des conditions économiques, des réaménagements internes en ce sens3, ou, dans la Rome moderne, des premiers entrepôts du quartier actuel de la gare de Termini à Rome, établis par le pape Grégoire XIII dans les thermes de Dioclétien4.

4Il n’est pas facile de faire précisément coïncider aspects et fonctions des entrepôts, même si ces dernières ont bien eu une influence sur les premiers. La typologie planimétrique permet de souligner la multiplicité des formes revêtues par les structures de stockage et peut faciliter, pour la période antique en particulier, l’identification de bâtiments en cours de fouilles par rapprochement avec le plan d’entrepôts déjà connus. Mais elle a ses limites, on vient de le voir : le plan d’un édifice présentant des alignements de pièces centrées autour d’une cour n’est pas à coup sûr celui d’un entrepôt. À l’inverse, le seul aspect planimétrique de certaines structures pourrait ne pas les qualifier comme lieux de stockage si on ne disposait de sources écrites les désignant clairement comme tels5. Pour mieux cerner la place et l’organisation du stockage dans ces sociétés d’Ancien Régime, il nous semble donc important de croiser le plus de données possible : époque, positionnement géographique du bâtiment (à grande et petite échelle), place dans un réseau, superficie et capacité de stockage, type de produits emmagasinés, structure de propriétés et d’exploitation de l’édifice… C’est toute l’entreprise du volume dans lequel s’insère cette contribution qu’il faudrait pouvoir embrasser d’un seul regard. La typologie fonctionnelle que nous proposons en conclusion de ce chapitre prendra en compte ces facteurs, dans toute la mesure du possible. Auparavant, il nous paraît nécessaire de proposer une brève synthèse sur les facteurs de variation dans les formes et les fonctions des édifices de stockage. Multiples, ils présentent cependant une continuité indéniable sur la période que nous envisageons.

Les variables

Le type de marchandises

5Il faut d’abord prendre en compte le type de marchandises conservées, paramètre qui entraîne souvent des aménagements particuliers. La présence de ces derniers permettrait donc à l’historien et à l’archéologue de préciser la fonction des entrepôts. Par exemple, on comprend facilement qu’un édifice comportant au rez-de-chaussée ce que les spécialistes du monde romain antique appellent des dolia defossa, ces grosses jarres semi enterrées, pouvait être destiné prioritairement à la conservation des liquides, vin et huile6.

6De même les bâtiments destinés à la conservation des céréales, lorsqu’elles n’étaient pas ensilées, sont marqués par la nécessité de maintenir les grains dans un milieu sec et aéré7. Du point de vue architectonique il existe donc une série d’éléments de base déterminés par le type de produit et les conditions de sa conservation : dans le cas des céréales, des salles vastes et hautes aux murs épais, des ouvertures permettant la ventilation et des sols surélevés pour lutter contre l’humidité par la création d’un vide sanitaire8.

7Cependant la présence de ces différents éléments, si elle permet en général d’identifier sans trop de risque au moins un des principaux produits conservés dans de semblables lieux, n’est pas forcément d’interprétation simple. Ainsi, on a parfois cherché à expliquer l’épaisseur des murs extérieurs de ces complexes par la densité et le volume important du grain qui y était emmagasiné9. Il est certain que lorsque la conjoncture l’exigeait, on a pu entasser le grain sur une grande hauteur ce qui le mettait inévitablement en contact avec les murs. Cependant, l’épaisseur des murs répond parfois davantage à la nécessité de soutenir la toiture. Il faut se souvenir en effet que, dans des conditions normales, le blé pouvait être conservé en tas de formes coniques, de manière à pouvoir être remué périodiquement en évitant tout contact avec les murs qui auraient pu l’humidifier10. En revanche, certains murs recouverts d’enduits visant à assainir l’emplacement et à empêcher la prolifération de la vermine servaient probablement de support à l’amoncellement de tas de grains11. Il faut enfin considérer un dernier élément d’explication à l’épaisseur des murs de certains entrepôts : celle-ci permet de lutter contre l’élévation de la température à l’intérieur du bâtiment.

8Mais il faut croiser cette variable (la nature des marchandises conservées) avec celle de la conjoncture historique. Rien n’empêche certains de ces bâtiments, en particulier les structures construites, d’avoir pu servir, en fonction des événements, à d’autres usages. Rien n’empêche non plus des édifices qui ne présentaient pas ce type d’aménagement d’avoir été utilisés pour entreposer des liquides et des céréales. La possibilité de conserver des céréales en sacs, du moins pour des durées assez courtes, est toujours objet de débats entre les spécialistes. G. Rickman estimait que cette forme de stockage avait dû être la plus utilisée à Ostie12. Enfin, les témoignages écrits comme les données archéologiques prouvent que certains entrepôts n’étaient pas spécialisés dans la conservation de telle ou telle marchandise. Aux horrea Galbana, le complexe majeur de la ville de Rome dans l’Antiquité, est attestée la conservation de vin, d’huile, de céréales, de marbre…13.

9Enfin le plan d’ensemble ne détermine pas forcément la ou les fonctions. Si les structures de stockage de type silos (enterrés ou hors sol) sont dédiées d’abord à la conservation, il n’en va pas de même dès que l’on est en présence de magasins construits, à la structure plus complexe. Ainsi, dans le monde romain antique, parmi les entrepôts à cour centrale, un certain nombre sont des édifices dédiés principalement au stockage (Galbana à Rome, Grandi horrea à Ostie) mais d’autres ont un rôle mixte, lieu de conservation et lieu de vente (horrea Agrippiana et Lolliana à Rome), on va le voir.

Le facteur climatique

10D’autres variables doivent être prises en compte pour comprendre les formes et les fonctions des édifices de stockage. Les conditions climatiques en sont une. Sous cet angle, on rencontre deux formes extrêmes dans le monde méditerranéen. Dans les zones très humides et fraîches, le problème principal est de tenter de sécher le grain pour le conserver, d’où la réalisation d’édifices dont l’aération et l’isolation contre l’humidité sont fondamentales. C’est le cas des bâtiments surélevés sur piliers. Au contraire, dans les zones sèches et chaudes, le grain n’a pas de problème de séchage et nécessite des contenants frais. C’est ce que l’on constate avec les silos enterrés très répandus dans toute l’aire méditerranéenne.

11Les entrepôts surélevés se concentrent par exemple dans le nord-ouest de la péninsule ibérique à l’époque moderne, sous le nom générique de greniers. Étant données les conditions environnementales de la corniche Cantabrique, au climat humide et frais et à la forte pluviosité, le stockage des céréales se réalise dans des édifices s’étendant sur une base formée de différents piliers de pierre ou de bois, afin de les surélever par rapport au sol et d’éviter l’entrée des rongeurs14. Les murs du corps de bâtiment principal sont percés d’ouvertures de manière à faire circuler les courants d’air pour sécher les céréales. Ces greniers, de dimensions et de capacités variées, se sont implantés dans les petites bourgades et dans les cours des châteaux, seigneuries laïques et ecclésiastiques. On les voit apparaître dès le IX^e siècle. Les bâtiments présentent des variantes régionales. En Galice par exemple, leur plan est généralement rectangulaire. Tandis que dans les Asturies, le modèle le plus répandu est de plan carré. Avec l’arrivée du maïs et l’augmentation sensible de la productivité agraire dans ces régions à partir du XVII^e siècle, les entrepôts s’agrandirent et prirent des formes plus variées, mais dans certaines zones, comme le Pays Basque, ils perdirent de l’importance au profit de l’aménagement en greniers de la partie haute des fermes15.

12Les silos enterrés sont traditionnellement répandus chronologiquement et géographiquement dans toute l’aire méditerranéenne. Dans la plupart des régions où ils sont courants, les céréales ne posent pas de problème d’humidité parce que la période des moissons est chaude et permet un séchage rapide qui facilite la conservation dans ces lieux. Les blés stockés sont normalement des variétés de blés durs, moins fragiles et plus faciles à conserver que les blés tendres. De nombreux vestiges permettent de faire remonter l’existence des silos en Méditerranée à l’époque préhistorique. Ils sont courants dans l’Antiquité et se répandent sans solution de continuité pendant l’époque médiévale, tant dans l’espace musulman que dans l’espace chrétien. On les rencontre communément en Sicile dans les seigneuries rurales et les zones urbaines16, en Crète et aussi dans la péninsule ibérique, dans les latifundia arabes et d’autres zones d’influence musulmane17. De même, on rencontre des installations similaires dans le nord de l’Afrique18. Le choix de l’emplacement privilégie habituellement les zones élevées sans type de sol précis car les silos peuvent être creusés tant en terrain calcaire qu’argileux. Les parois sont en terre ou en brique, traditionnellement revêtues ensuite de paille pour que le grain ne touche pas directement le sol ou la paroi. Le grain doit occuper tout l’espace, sans laisser de vide, jusqu’à l’ouverture du silo qui doit être fermé hermétiquement. Parfois on brûle dans l’ouverture un peu de paille pour éliminer toute trace d’insectes avant de fermer. Normalement, quand on ouvre un silo, il faut le vider complètement.

13L’utilisation des silos ne diminua pas, comme on peut l’observer en Toscane, ou en Crète après l’occupation ottomane. Dans certains cas, on peut mettre leur implantation en relation avec la sécurité offerte par le maintien de réserves cachées dans des régions exposées aux guerres et aux saccages, tandis que, dans d’autres cas, comme dans les seigneuries ecclésiastiques de Moravie ou en Sicile, ils furent édifiés pour stocker les excédents des années spécialement fertiles qui ne tenaient pas dans les entrepôts existants19.

14En Espagne, on connaît la construction de silos publics pour la cité de Valence dans la localité de Burjassot à partir de 1573, en raison de la nécessité de maintenir une réserve pour la subsistance de la population en période de crise. La succession de difficultés dans la dernière décennie du siècle fit augmenter le nombre de silos jusqu’à 34 en 1600. Ils étaient situés près de la ville et du port où arrivait le grain qui provenait en bonne partie des régions exportatrices de la Méditerranée, principalement de la Sicile. Ils étaient construits sur une colline calcaire très sèche dont le sommet avait été aménagé pour former une esplanade à laquelle les bêtes et les chariots accédaient par une rampe. Les parois intérieures étaient recouvertes de briques, blanchies avec du gypse. Au sol étaient placées des nattes de sparte et les parois étaient couvertes de paille pour éviter le contact direct du blé avec la brique. L’ouverture était fermée par une couche de paille et au-dessus une autre couche de cendres, enfin une pierre qui fermait hermétiquement. Ces silos enterrés servaient de compléments à d’autres édifices de stockage. Le même phénomène semble s’être produit à Barcelone. La municipalité de Valence, les jésuites moldaves et les seigneurs siciliens comptaient avec les greniers qui étaient régulièrement utilisés pour mettre le grain en réserve pour la consommation ou le marché20.

L’insertion dans un réseau de communication

15Il faut aussi tenir compte de la place que les complexes occupent dans le réseau qui conduit des bâtiments proches des lieux de production, dans lesquels sont rassemblées les denrées en attente de transport plus lointain, aux édifices situés sur les lieux de distribution en passant par les étapes que constituent les nœuds routiers et les ports d’embarquement, de redistribution, ou de débarquement21.

16Ce facteur peut influer par exemple sur la taille des bâtiments. La capacité des magasins localisés près des voies d’eau dans un contexte de rassemblement des denrées en vue d’une exportation plus lointaine pouvait dépendre des capacités de transport fluvial ou maritime depuis ce point de partance22. Les marchandises entreposées dans ces structures « relais » ne faisaient que passer, en quelque sorte ; elles y étaient sans doute conservées moins longtemps que dans les entrepôts situés à proximité des lieux de consommation23 et le renouvellement du contenu de ces entrepôts devait être rapide24.

17Le lien avec le réseau de communication explique aussi la localisation de certains entrepôts dans les murailles ou à proximité des murailles des villes. Il y a des entrepôts qui ont utilisé des constructions antérieures de caractère défensif. Ces structures étaient parfois utilisées pour le stockage parce qu’elles étaient situées dans des endroits d’accès facile pour charger et décharger les céréales, aux portes des villes. C’est le cas par exemple, dans la Numidie antique, du complexe de Cuicul-Djemila, construit au début du III^e siècle ap. J.-C. en suivant le plan des murailles de la vieille ville, à proximité de la route principale de la ville venant du Sud et menant par Mileu aux ports de la côte, Chullu et Rusicade25. C’est aussi le cas de Madrid à l’époque moderne, qui construisit son grenier communal dans les années 1540 en utilisant partiellement une tour de la muraille, ou de Guadalajara, dont l’un des entrepôts est situé dans les fortifications. Les villes andalouses de Génave, Siles ou Almeria possèdent des complexes de ce type. La « torre Cabrera » de Pozzallo, en Sicile, ou les greniers collectifs de l’Atlas marocain peuvent être rangés dans cette catégorie qui n’est pas inconnue dans d’autres régions d’Europe26.

La conjoncture historique

18On l’a dit, la variable « temps » joue très peu sur la longue durée dans les différences de formes et de fonctions des édifices de stockage qui présentent une remarquable continuité de formes dans les sociétés méditerranéennes précédant la révolution industrielle.

19Ainsi, le plan des horrea de Milan, qui datent de l’antiquité tardive, évoque celui des entrepôts de Navas de San Antonio qui prennent place dans le système de stockage à destination de Madrid à l’époque moderne27.

20En revanche la conjoncture pesait fortement sur l’utilisation de telle ou telle structure. Les bâtiments qui, par leur technique de construction, se signalent comme spécialisés dans la conservation de telle ou telle denrée (les entrepôts romains aux sols surélevés pour les céréales par exemple), pouvaient vraisemblablement en recevoir d’autres lorsque leur capacité de stockage n’était pas entièrement utilisée, par exemple au moment de la soudure, avant l’arrivée des céréales de la récolte nouvelle. Les contrats de location dans les horrea de Pouzzoles antique nous montrent en effet que certains espaces étaient loués pour de courtes durées, quelques mois tout au plus28. Et le stockage pouvait à l’inverse se faire au besoin dans des espaces non prévus pour cela au départ, tels les cryptoportiques d’Aoste dans l’Italie de l’Antiquité tardive. Dans les bâtiments conçus dès l’origine pour le stockage, certains espaces de circulation ont pu être à leur tour consacrés à la conservation des denrées lorsque le besoin s’en faisait sentir. Ainsi, les Grandi Horrea d’Ostie antique sont dans leur dernier état29 un complexe suroccupé, dont la cour et le portique intérieurs ont été peu à peu gagnés par la fonction de stockage. De même la halle aux blés de Valence était un édifice à cour centrale entourée d’un portique, qui fut couverte au cours du XVI^e siècle pour doter le bâtiment d’une plus grande capacité de stockage30.

21Dans les périodes de croissance de la population urbaine, pouvoirs publics et particuliers cherchent à augmenter les capacités de stockage des bâtiments existants ou à en créer de nouveaux. Dans l’Italie antique, la croissance inédite de la population urbaine et surtout de la ville de Rome dans les deux derniers siècles de la République et au début de l’Empire correspond à l’édification des grands complexes privés et publics dont l’existence est attestée à Rome, Ostie, Pouzzoles… C’est aussi pendant cette période que se développe le type de l’entrepôt à cour centrée dont nous avons déjà souligné qu’il est très fréquent à Rome et Ostie, même si on le rencontre aussi en d’autres lieux et à d’autres époques31. L’intervention plus importante de la puissance publique dans les questions de ravitaillement paraît ainsi aboutir à une certaine normalisation des formes architecturales comme on le verra plus loin aussi pour la période moderne. À cette époque, la population urbaine augmente de nouveau. Dès le XVI^e siècle, Venise renforce ses entrepôts, qu’elle a construits dès la période médiévale. Rome, à partir du dernier quart du XVI^e siècle, entame un mouvement rapide de construction dès le pontificat de Grégoire XIII32, choisissant la zone de Termini en raison de sa situation élevée qui offrait de meilleures conditions pour l’aération du grain, son éloignement des zones humides et des éventuelles inondations du Tibre. Dans la première moitié du XVII^e siècle, la réalisation de Grégoire XIII est augmentée de deux bâtiments créés ex nihilo dans la continuité du premier, sous les pontificats de Paul V et Urbain VIII. La structure interne des édifices était la même : de plan rectangulaire, sur trois niveaux dont les deux premiers étaient formés d’immenses salles percées de fenêtres et rythmées par plusieurs files de colonnes unies par des arcs, le troisième présentant un seul espace exempt de pilastres. La distribution des stocks de grains se faisait par descente progressive d’étage en étage pour contribuer à leur aération. Chaque édifice comportait une rampe d’accès. Le grain, monté en sac au deuxième étage à son arrivée, étalé et mis à sécher dans la pièce la plus haute, était ensuite envoyé aux étages inférieurs par des trappes pratiquées dans le plancher de la salle du dessus et remis en sac au rez-de-chaussée33.

22Le XVIII^e siècle voit une nouvelle phase d’expansion démographique dans des nombreuses régions riveraines de la Méditerranée alors que les lois de la croissance agricole ne varient pas. Les politiques annonaires des cités et des souverains doivent s’adapter à ces problèmes croissants de subsistances. Du point de vue qui nous intéresse ici, il en résulte d’importantes transformations. En Espagne, celles-ci ont des répercussions sur la typologie des bâtiments qui sont adaptés à la situation et normalisés selon un même modèle. Ce mouvement d’unification se consolide avec l’arrivée de la dynastie des Bourbons en Espagne, désireuse d’encourager la diffusion des greniers publics dans toutes les terres de la Couronne, en les plaçant sous une législation et une instance communes. C’est dans ce cadre qu’est créée la Surintendance Générale du Pósito (1751) qui contrôle la gestion et le fonctionnement de ces derniers, aussi bien en Castille que dans les territoires de l’Aragon, et adopte des critères de construction qui se maintiennent pendant la seconde moitié du siècle.

23Les règles qui se diffusent comme modèles sont très proches de ce qui se pratiquait dans les années 1740 pour résoudre les problèmes de ravitaillement de Madrid. En ce sens, il faut prendre en compte le fait que la capitale avait renforcé sa politique d’approvisionnement avec l’institution de la Junte du Ravitaillement. Reconnaissant qu’il était important de disposer d’informations très précises et visibles sur le marché du blé, le Pósito développa ses équipements, avec un nouveau bâtiment du Peso de la farine, des boulangeries qui se substituèrent aux structures antérieures pour la mouture et la fabrication du pain, et d’autres bureaux, telle une halle aux blés concentrant les échanges privés entre négociants de l’extérieur et boulangers, ainsi que les achats réalisés par les communautés et les particuliers. Sa fonction de marché des céréales, où l’on pouvait garder les grains des particuliers, demeure légalement approuvée par les ordonnances en 1755. Pourtant en 1745 on commence à édifier sur le même terrain du Pósito madrilène un des exemples les plus curieux d’installation liée au commerce des céréales, projeté par Nicolas de Churriguera et nettement influencé par l’architecture romaine. Il s’agit d’un édifice de plan elliptique, à deux étages, le premier voûté et le second avec une structure de bois destinée à recevoir des céréales, cherchant un équilibre entre les formes et les fonctions que devait remplir un bâtiment qui contenait cent mille fanegas de grain (55 500 hl). En réalité, ce type de construction n’est pas insolite dans la typologie des lieux de stockage si nous prenons en compte les adaptations aux plans de type circulaire qui furent réalisés à Rome34.

24Dans certaines conjonctures politiques et sociales, la monumentalité des entrepôts renvoie moins à de nouveaux besoins de stockage ou à des transformations techniques, qu’à l’expression symbolique des pouvoirs qui assument le bon ravitaillement des populations sujettes et désirent en exalter l’image. La construction tardive, sur commande royale en 1779, à un moment où l’administration annonaire était déjà très fortement endettée, par l’architecte Ferdinando Fuga, d’un immense grenier aux marges de la ville de Naples, sur la côte orientale, en offre un exemple saisissant. L’édifice présentait une forme linéaire, alignant une façade longue de 560 m. Un long corridor central carrossable distribuait une série de cellules rectangulaires (87 sur la via di Portici, 70 sur la façade maritime), communicant les unes avec les autres par deux ouvertures ; ces salles étaient voutées et éclairées par une fenêtre carrée. Du côté de mer se situait un avant-corps pour les rampes et escaliers, avec un môle en correspondance (fig. 1)35. Cette structure monumentale, du reste mal située en bordure du rivage pour une saine conservation du grain, ne servit jamais effectivement de grenier public, d’autant que l’administration publique du ravitaillement céréalier urbain vivait ses dernières années d’activité. Mais la construction revêtait une fonction politique, le souverain manifestant ainsi son souci du bien public et son rôle nourricier.

Essai de typologie

25Cet essai de typologie concerne essentiellement l’époque antique. Il complète une étude publiée en 201136. Les comparaisons avec les phases successives ne donneront lieu qu’à des observations ponctuelles dans les pages qui viennent.

26Il n’est pas possible d’opter pour une typologie selon la forme d’ensemble des entrepôts car un grand nombre de variables entre en ligne de compte pour déterminer celle-ci, qui ne détermine pas pour autant à son tour les fonctions des édifices. Ce sont ces fonctions que l’on privilégiera pour proposer une typologie, en étant bien conscient qu’un même édifice a pu en changer selon la conjoncture du temps, on l’a dit, et que même dans des lieux où le premier impératif est celui de la conservation, le rôle de l’entrepôt ne se limite pas toujours à cela. Par les biens qu’ils renferment, les entrepôts, même ceux qui matériellement ne servent qu’au stockage, sont des éléments importants du marché économique : le contenu d’un magasin ou d’un silo peut être vendu en gros ou donné en gage dans des opérations de prêts d’argent37. On a privilégié, dans la typologie qui suit, la fonction dominante de l’édifice : stockage dominant (A), usage mixte (stockage, vente, éventuellement production, B). Par ailleurs, on a tenté de croiser ce classement par fonction principale avec la variable de localisation géographique du bâtiment de stockage : sur le lieu de rassemblement des produits (a), en un lieu d’étape dans l’acheminement vers le lieu de distribution (b), sur le lieu de distribution lui-même (c). Les exemples les mieux documentés cités dans ce chapitre sont rassemblés dans un tableau synthétique, repris et complété de l’étude publiée en 2011, où figurent leurs principales caractéristiques et notre proposition de classement.

Fonction de conservation dominante (type A)

27Celle-ci ne dépend pas d’une forme unique de bâtiment, nous l’avons dit. Les réutilisations conjoncturelles de structures dont la fonction première était différente rendent une grande diversité de formes architecturales éligibles comme lieu de stockage, moyennant quelques aménagements intérieurs, comme dans le cas déjà cité des cryptoportiques d’Aoste dans l’Antiquité tardive.

28Cependant, un certain nombre de structures sont prédisposées par leur forme même au seul rôle de stockage. Il s’agit de celles dans lesquelles les denrées sont conservées en milieu clos (type A1), pour des durées moyennes (un an) ou longues (plus d’une année). C’est le cas des silos enterrés auxquels il a été longuement fait allusion dans les pages qui précèdent, ou des silos hors sol, comme le type « ruche » connu dans l’Égypte pharaonique (A1a)38.

29Ces sortes de lieux de stockage supposent des mouvements peu fréquents. Le principe du silo enterré est d’enfermer les denrées à conserver dans un monde clos, particulièrement adapté à la conservation des céréales sur des durées moyennes (au moins un an) ou longues, ce qui permet entre autres d’éviter le développement des charançons et l’humidité. Dans ce cas, remplissage et vidage se font généralement en une seule fois. Dans le type « ruche » le chargement se fait par une fenêtre en hauteur, accessible au moyen d’une échelle39 et le local est vidé par une ouverture à mi-hauteur ou en bas. Ces conditions d’accès, même si elles sont moins contraignantes que dans le cas des silos enterrés, ne sont tout de même pas propices à des manipulations fréquentes des réserves conservées.

30D’autres structures bâties plus complexes (hangar, grandes salles, enfilade de vastes pièces accolées, pièces accolées alignées autour d’une cour centrale…) n’en conservent pas moins ce rôle premier de stockage, avec cependant une plus grande accessibilité aux marchandises. Ces complexes peuvent être fréquentés quotidiennement, les mouvements des marchandises qui y séjournent sont plus fréquents (type A2). Plusieurs d’entre eux, peut-être la majorité, en fonction de leur localisation, peuvent être considérés à la fois comme des lieux de stockage d’étape (A2b) et de distribution pour la population locale (A2c). C’est en particulier le cas de ceux qui se trouvent dans les villes et les ports (pour l’Antiquité, Pouzzoles, Ostie…), où existe un marché de consommation de proximité qu’ils peuvent desservir en même temps qu’ils servent au stockage de denrées destinées à des marchés plus éloignés. On optera pour un choix net entre stockage d’étape (b) ou de distribution sur place (c) seulement dans les cas où l’un de ces éléments domine nettement. Dans un certain nombre de cas, il n’est pas possible de trancher. Ainsi l’entrepôt construit par les soins d’Hadrien à Myra en Lycie, qui se présente comme une enfilade de huit pièces accolées, a longtemps été considéré comme un bâtiment servant au seul stockage d’étape pour le blé d’Égypte expédié vers Rome ou éventuellement les cités de Grèce ou d’Asie Mineure. À la fin des années 1990, la reprise d’une étude du complexe sous la direction du regretté Th. Marksteiner a mis en valeur sa position en bordure de cours d’eau qui le relie à l’arrière-pays ainsi que les liens étroits qu’il entretient avec une agora qui le jouxte. On ne peut donc pas exclure qu’il ait servi aussi (peut-être même avant tout ?) au stockage pour l’approvisionnement régional et local40. Dans un cas semblable, qui est encore l’objet de débat, on préférera classer le bâtiment en A2b/c. Dans les grandes villes, le problème ne se pose pas, les entrepôts de ce type servent au stockage en vue de la distribution sur place (c). Dans la Venise médiévale et moderne, les fonctions de conservation des céréales sont dédiées à des édifices spécifiques situés à proximité des lieux de transformation de celles-ci41.

31Dans leur forme la plus simple, ces édifices sont constitués par un ou deux magasins de grande taille, de plan généralement carré ou rectangulaire, parfois basilical42 : par exemple Thamusida (A2b), dans la Tingitane antique, à un seul magasin ; certains horrea des camps militaires romains (tel ceux de Caerhum (A2c) ou Ambleside (A2c) en Grande Bretagne43), Milan dans l’Antiquité tardive (A2c), ou Navas de San Antonio (A2 b) dans la Castille moderne. Cette même forme est adoptée aussi dans la Rome pontificale, encore que sur une très grande échelle et sur plusieurs niveaux, dans les entrepôts de Grégoire XIII, Paul V et Urbain VIII (A2c), situés près des thermes de Dioclétien auxquels nous avons déjà fait allusion plus haut44. Dans ce type d’entrepôt à pièce unique, lorsque les denrées conservées sont des céréales, elles pouvaient être étalées au centre de la pièce (c’est le cas dans les greniers pontificaux) avec une circulation périphérique pour la manutention, ou stockées en tas adossés ou non aux parois, avec un couloir central de circulation entre les amoncellements ainsi réalisés et éventuellement des structures intermédiaires de bois pour maintenir les tas ainsi constitués45. Quand les bâtiments ont plusieurs niveaux, tous ne sont pas toujours dédiés à la conservation : même dans les entrepôts de type A2, à conservation dominante, il faut prévoir des espaces pour la gestion du bâtiment (location d’espaces, mouvement des entrées et sorties de marchandises, etc.). Ainsi, à l’époque moderne, les entrepôts de la Mancha, situés au centre des lieux de peuplement (A2c), de plan rectangulaire, possèdent généralement deux niveaux sur des caves voûtées qui reposent sur de larges murs. Le niveau inférieur est une zone de bureaux et d’archives, avec quelques greniers, tandis que le niveau du dessus est destiné au stockage.

32Enfin, des bâtiments à fonction première de stockage peuvent aussi se présenter sous forme d’enfilades simples ou doubles de pièces rectangulaires de module souvent identique, longues et étroites, communicantes ou non entre elles, ouvrant sur un étroit couloir. Ainsi se présentent, pour la Numidie antique, les horrea de Cuicul-Djemila auxquels on a déjà fait allusion (A2b/c), ou ceux, mentionnés également ci-dessus, de Myra et Patara (A2b/c) en Lycie. Une variante de ce type est constituée par le groupement de cette même sorte de pièces autour d’une cour centrale46. L’ensemble comporte fréquemment un ou plusieurs étages, comme en témoignent le plan de marbre d’époque sévérienne pour Rome47 (horrea Galbana A2c), les recherches archéologiques aux Grandi Horrea d’Ostie (A2b/c), ou les témoignages écrits pour les horrea publica Bassiana et horrea Barbatiana de Pouzzoles (A2b/c)48. La forme d’ensemble de ces derniers complexes à cour centrée est très proche de celle que nous rencontrerons plus loin dans les structures d’usage mixte. C’est la faiblesse des ouvertures vers l’extérieur et des espaces de circulation (avec occupation éventuelle des portiques murés des cours intérieures comme espaces de stockage, comme dans les Bassiana de Pouzzoles ou dans les Grandi Horrea d’Ostie), ainsi que les dimensions et l’aspect des seuils d’accès à chaque pièce49, qui permettent dans ce cas de déterminer la fonction première de lieu de stockage jouée par ces complexes.

33Ce type de structures de stockage en cellules séparées, très fréquent dans les horrea d’époque romaine, pourrait répondre à un mode de gestion spécifique fondé sur la location ou la sous-location d’espaces au sein des entrepôts50. Il se prête mieux également à la conservation de produits variés, au gré de la conjoncture à court ou moyen terme, même si certains entrepôts paraissent par leur aménagement intérieur plus fréquemment dédiés à la conservation des céréales, comme on l’a déjà vu.

Usage mixte, stockage et distribution (type B)

34Certains édifices présentent dans le même ensemble des lieux de conservation et de vente au détail. Ils sont évidemment localisés sur des lieux d’étape (b) et/ou de distribution (c). Il n’est pas exclu que certains aient abrité aussi des lieux de transformation, des ateliers si l’on préfère, mais on n’en a pas, à notre connaissance, d’exemples sûrs51. C’est pourquoi nous avons limité la fonction mixte au stockage et à la distribution.

35Dans l’Antiquité, ce sont majoritairement des structures de plan à cour centrée qui ont pu jouer ce double rôle52. Pour l’époque romaine, on peut citer deux entrepôts exemplaires de ce type. Il s’agit des horrea Agrippiana (Bc) et des horrea Lolliana à Rome (Bc), les premiers étant connus par des fouilles archéologiques53, les autres par le plan de marbre d’époque sévérienne54. Les pièces qui s’ouvrent sur la cour ont des formes moins allongées que celles du type précédent, présentent de larges entrées et des systèmes de fermeture avec panneaux coulissants du type de ceux que l’on rencontre dans les tabernae. Le rez-de-chaussée des Agrippiana était donc dédié à l’accueil du public et servait de lieu à des activités commerciales, pendant que la fonction d’entrepôts (car l’épigraphie révèle qu’il s’agit bien d’horrea) devait être tenue par les pièces à l’étage. Dans le plan des Lolliana, on est frappé par le nombre des ouvertures vers l’extérieur et la facilité de circulation d’une cour à l’autre. On peut donc penser que l’agencement des lieux était destiné à faciliter l’accueil du public.

36On retrouve cette dualité de fonction dans les entrepôts de l’époque moderne. Les lieux de stockage font partie d’édifices aux fonctions multiples qui abritent aussi les abattoirs, la prison ou les salles du conseil, et sont situés dans les centres de peuplement. Dans le Campo de Calatrava, dans la Manche, ces édifices, de plan rectangulaire, sur deux niveaux dont le premier était édifié sur un sous-sol voûté, possédaient des greniers au niveau élevé. En Andalousie, dans des modèles mixtes semblables, les greniers étaient en bas55.

37La plupart des entrepôts de type mixte se trouvaient naturellement en « bout » de réseau, sur les lieux de distribution que constituent les villes. C’est le cas des deux exemples antiques que l’on vient de citer (type Bc). Mais il n’est pas impossible qu’un certain nombre d’édifices localisés dans des lieux d’étape, en particulier lorsque ceux-ci étaient des villes et des ports importants, aient pu aussi avoir cette double fonction (type Bb).

38On peut se poser la question par exemple pour le bâtiment connu sous le nom d’horrea d’Hortensius dans Ostie antique. Localisé plus loin du Tibre, de l’autre côté du decumanus maximus, inséré dans le tissu urbain, il pourrait avoir eu un double rôle de stockage et de vente. Les pièces qui le composent se déploient autour d’une vaste cour à portique qui devait permettre la fréquentation du public. Elles sont de formes variées si bien qu’il est difficile, en l’état actuel, de savoir si elles ont toutes servies au stockage ou si elles ont pu tenir lieu de boutiques ; en tout cas, il y avait clairement des boutiques sur un côté de l’édifice, celui qui ouvrait sur le decumanus maximus56. Reste à déterminer si ce complexe, qui a clairement un usage mixte, doit être considéré comme en situation d’étape vers le marché romain, du moins pour une partie de sa fonction de stockage, ou si le stockage qui y était pratiqué était entièrement destiné à la consommation d’Ostie, ce qui ramènerait au type Bc. Il est impossible de trancher cette question57. On peut d’ailleurs se demander si la destination des marchandises conservées dans des entrepôts comme les horrea d’Hortensius ne dépendait pas encore une fois de la conjoncture. Dans les structures mixtes localisées sur des lieux d’étape et de redistribution, si la vente ne s’adressait guère qu’à la population locale, le stockage pouvait concerner tant les besoins du lieu que ceux de la redistribution vers des centres de consommation plus éloignés et varier dans sa destination en fonction de la conjoncture.

39Séparer ainsi les entrepôts consacrés exclusivement au stockage de ceux qui accueillent d’autres activités en lien avec ce dernier, en particulier des activités commerciales, revient à simplifier la réalité, il faut le souligner pour conclure. Certes, aux deux extrêmes de notre typologie, il y a des différences bien nettes tant dans la forme que dans les fonctions, entre les silos enterrés58 et les constructions à étages, ouvertes sur l’extérieur, tels les horrea Agrippiana de Rome pour reprendre un exemple antique. Mais toutes les nuances sont possibles entre ces deux cas de figure. Bien souvent des structures dont l’aspect d’ensemble les classe nettement dans une fonction unique de conservation se trouvent topographiquement dans une grande proximité avec des lieux de marchés ou de boutiques. On peut prendre l’exemple lycien du complexe de Myra59, accolé à l’agora, ou des Grandi Horrea d’Ostie, dont le flan Est est bordé d’une rangée de boutiques60. Qu’est-ce qui pousse à classer ces complexes dans le type A alors que, dans le cas de Meninx, on réunit les deux enfilades de bâtiments situées de part et d’autre de la route pour classer l’ensemble en B ? Pour l’époque antique, on est réduit à des hypothèses qui reposent essentiellement sur une étude de l’agencement des bâtiments et des circulations possibles entre eux. Les boutiques accolées aux Grandi Horrea n’ont aucune communication avec ce bâtiment qui présente très peu d’ouvertures sur l’extérieur. C’est ce qui nous le fait classer dans le type A. Mais dans quelle catégorie placer par exemple le complexe antique de Nauportus, situé entre Aquilée et Emona61 ? Il présente des alignements en file simple de pièces longues et étroites groupées par deux ou quatre, auxquels on peut attribuer avec vraisemblance une fonction de stockage, mais aussi des groupes de pièces de forme plus proche des tabernae. L’ensemble est ordonné autour d’un vaste espace central rectangulaire bordé par un portique. Cela permet-il de supposer un lien de fonctionnement et de gestion entre pièces de stockage et tabernae et de classer le tout dans le type B ? C’est ce que nous proposons, mais pour répondre avec certitude, il faudrait posséder sur la vie de ces bâtiments une documentation écrite dont nous ne disposons pas. Une variable importante à prendre en compte dans une typologie fonctionnelle des entrepôts concernerait les structures de propriétés et de gestion de ces bâtiments. Il faudrait évoquer enfin la taille de ceux-ci62. Nous faisons figurer leur superficie au sol dans le tableau conclusif de ce chapitre, lorsqu’il est possible de la connaître. On constate que ces superficies présentent de grandes différences, allant de quelques centaines à quelques dizaines de milliers de m². Cependant nous centrons notre étude sur des entrepôts dont le point commun est de servir partiellement ou entièrement, à un stade ou un autre de leur acheminement, à la conservation de marchandises destinées à la consommation de populations non rurales. C’est pourquoi il ne nous semble pas que les différences de taille des bâtiments, explicables le plus souvent par leur position dans le réseau des structures de conservation qui portent du lieu de production au lieu de distribution, soient une variable susceptible de modifier la typologie fonctionnelle que nous esquissons.

40En dehors de conjonctures historiques particulières et limitées dans le temps, les édifices de stockage étaient aménagés spécifiquement en vue de remplir cette fonction63. À leur tour ces fonctions ont influé sur leur aspect matériel. Mais il est bien difficile, on l’a vu, d’exprimer ce lien de manière simple à travers une typologie fonctionnelle. La conservation de longue durée de denrées périssables, en particulier des céréales, sur les lieux de production et/ou de consommation, peut prendre des formes peu complexes, mais nécessite des milieux très fermés (comme les silos, enterrés ou hors sol). Dès lors que l’on se trouve dans une économie d’échanges, dans laquelle les marchandises circulent, la conservation de type silos est complétée par un stockage dans des structures bâties qui peuvent être de simples hangars (en particulier dans le cas de structures relais), mais prendre également des formes plus complexes. La structure est alors dépendante de la vitesse de rotation des stocks, des marchandises majoritairement conservées en son sein, du système d’exploitation (par le propriétaire, par un régisseur, par un gérant, etc.), de la possibilité de sous-location d’espaces. La conservation de denrées alimentaires a une importance économique fondamentale dans ces sociétés quelle que soit la structure dans laquelle elle se fait. Un stock de céréales a une valeur marchande et est susceptible de devenir un élément de tractations financières où qu’il se trouve. Mais les structures bâties complexes, par les possibilités de compartimentage et de circulation qu’elles présentaient, permettaient de développer davantage cette fonction commerciale (vente en gros, au détail, crédit, etc.) et les équipements qui y étaient attachés. Ces édifices prirent de l’importance dans les moments où un pouvoir politique fort, au niveau d’une cité, d’un royaume ou d’un empire, fut capable de jouer un rôle d’importance, quoique non exclusif, dans les politiques d’approvisionnement des populations non rurales64.

TABLEAU TYPOLOGIQUE DE QUELQUES ENTREPÔTS ANTIQUES CITÉS DANS LE TEXTE