L’Architecture morte ou vive
|Chapitre 4. Monstrations et démonstrations du savoir
Texte intégral
C’est un grand malheur que certains savants, s’ils se font une idée préconçue, deviennent plus obstinés que le vulgaire, parce qu’ils se mettent en tête à la fois le préjugé et les raisons superficielles qui le causèrent. C’est exactement ce qui arriva à l’occasion des nouveaux dommages découverts à la coupole vaticane.
E una grande disgrazia che alcuni dotti se si formano qualche pregiudicata opinione, riescon indi, più insistenti del popolo medesimo, perché dessi s’intestano ugualmente e del pregiudizio e delle apparenti ragioni che nascer lo fecero. Questo appunto allora avvene in occasione dei nuovi difetti scoperti nella cupola vaticana.
Luigi Vanvitelli Jr, Vita di Vanvitelli, 1976, p. 2
Le grand spectacle de la démonstration scientifique
- 1 BAV, Cicognara V-3849, int. 2, doc. 15.
- 2 Bellini 2011 : II, 433.
- 3 Chracas, 19/01/1743, n° 3975, p. 2.
- 4 Nous nommerons cette réunion « congrès », reprenant le terme employé par Bottari, afin de le disti (...)
- 5 Sur Revillas, voir Renazzi 1806 : IV, 101 et Baldini 2006 : 225.
- 6 AFSP, Arm. 50, B, 17, fol. 1023-1026.
1Le pape et le secrétaire-économe avaient initialement prévu de réunir un congrès vers la fin du mois de février 1743, laissant le temps à Vanvitelli d’achever la restauration de la maquette de Michel-Ange que l’on utiliserait pour montrer le réseau des fissures. Ils voulaient aussi composer une assemblée de douze cardinaux et de tous les architectes afin de parvenir à « une résolution plus solide et approuvée par tous »1. C’est du moins ce que l’on disait à Rome au début de l’année. Mais les événements s’accélérèrent quelque peu. Le lendemain de la présentation que les Trois mathématiciens avaient faite au pape, le soir du 9 janvier, on transporta la maquette au Quirinal2. La presse s’en fit l’écho et rapporta que « le pape pourrait observer à son aise la maquette et faire disposer les réparations opportunes »3. Les rumeurs prenant de l’ampleur, il fut décidé d’anticiper le congrès au cours duquel les Trois mathématiciens présenteraient « leur système ». Le 22 janvier, on réunit donc une assemblée d’une quinzaine de personnes4. Selon la convocation de la Chambre, elle comprenait les officiels : le majordome, Olivieri et Giacomelli. On y trouvait les architectes : Vanvitelli, Salvi, Hostini, Gregorini. Cette fois, Barigioni était présent. Santini, qui avait participé à certaines commissions, était également présent. Enfin Bottari, jusque-là soigneusement écarté, réussissait à s’introduire et se faisait accompagner d’un nouvel intervenant, le père d’origine milanaise Diego Revillas, professeur de mathématiques à La Sapienza5. Quatre autres prélats étaient présents. Les cardinaux annoncés précédemment avaient disparu6.
- 7 Lettre de Boscovich à Poleni le 22/01/1743, BNM, It. 304 (6544), non fol.
- 8 ASV, Misc. VII-82, Visita Apostolica della Chiesa Nuova (1776-77), scheda Santini, fol. 96-97.
2Boscovich considérait alors comme négligeable la présence des amateurs, erreur capitale étant donné l’impact que l’affaire aurait sur le public. Dans la lettre qu’il adressa le soir même à Poleni, il ne lui faisait part que de la présence des six architectes puis Giacomelli, Bottari, Revillas et Santini7. Il semble d’ailleurs qu’il n’eût pas exactement pris la mesure de l’affaire, estimant qu’elle resterait confinée dans un cercle de mathématiciens, consultant à l’occasion les architectes sur des questions pratiques. Il s’étonnait en effet de la présence de Santini au congrès : « je ne sais si en qualité de dilettante de l’architecture ou des mathématiques », bien que celui-ci ait déjà été invité à quelques visites de la coupole. Il voyait aussi avec crainte l’arrivée de ce personnage dans le débat, connu pour son appartenance au cercle philo-janséniste de la Chiesa Nuova dont la capacité de nuisance était notoire. Ce religieux est décrit comme un homme « fougueux mais prudent » dans le rapport de la visite apostolique qui viserait plus tard à normaliser l’institution8.
- 9 Poleni 1748 : § 218.
3Pour sa part, Poleni fournirait dans son ouvrage une composition de l’assemblée un peu différente, en signalant la participation de Theodoli et Pier Leone Ghezzi, laissant cependant planer un curieux silence sur les conclusions qui en émanèrent9. La présence de Ghezzi, dont on se souvient aujourd’hui comme infatigable caricaturiste de la société romaine, s’explique par les nombreux travaux qu’il réalisait pour la fabrique, jusqu’à prendre la responsabilité, précisément en 1743, de l’atelier de peintures en mosaïques. La description de la composition du congrès témoigne en effet du cercle de légitimité variable que les uns et les autres accordaient aux participants.
- 10 Lettre de Boscovich à Poleni le 22/01/1743, BNM, It. 304 (6544), non fol.
- 11 Un veridico compendio istorico… ., ASSM, A-1114-8, fol. 7.
- 12 Vasari-Milanesi 1906 : VII, 248-257.
4Il était difficile d’espérer un consensus. La veille au soir du congrès, Boscovich avait préparé la réunion chez Olivieri, en présence de Pietro Crispi10. La séance du Quirinal fut orchestrée par le Majordome Prospero Colonna. Olivieri dressa un bref tableau des investigations conduites à l’automne. Boscovich présenta ensuite l’expertise des Trois mathématiciens. Puis on en vint à la « démonstration des défauts ». Avec une grande solennité, « on apporta la maquette »11. Vanvitelli y désigna magistralement les fissures visibles au tambour et aux contreforts, puis on ouvrit ses entrailles et l’on observa plus distinctement tous les dommages visibles dans la coque interne. Tous avaient à l’esprit la très longue description que Vasari avait faite de cette maquette12. Plus qu’une description c’est, à vrai dire, une visite que Vasari proposait : « on entre dans la base circulaire puis on monte à la tribune par les quatre accès ». Il détaille les portes, les couloirs, les fenêtres : l’accent est mis sur les circulations, les ouvertures, les connexions. Il fournit d’autres indications spatiales sur les mesures des différents éléments et la manière avec laquelle Michel-Ange avait construit le triangle déterminant l’amplitude de la coupole. Malgré la longueur de sa description, il laisse de côté les indications ornementales et les précisions sur les ordres. Ce même mode descriptif avait inspiré Franceso Maria Torrigio pour sa Description de la basilique Vaticane, texte de la première moitié du XVIIe siècle qui, bien que resté manuscrit, fut une précieuse source d’informations pour ceux qui lui succédèrent. Alors que le récit qu’il consacre à l’église et aux chapelles est sur le mode de la perception visuelle, celui de la coupole suit le mode du déplacement :
- 13 BAV, Vat.-Lat. 9906, fol. 121.
Au moyen de quatre commodes escaliers en travertin à deux rampes, munis de balustrades métalliques, et correspondant aux quatre loggias des reliques, on monte à la base de la coupole et on y trouve un ambulacre dont l’ascension est aisée : il conduit par une spirale à une porte d’où une plate-forme permet de passer dans la corniche interne de la coupole13.
5Lors de la présentation de la maquette à l’occasion du congrès, le mode descriptif instauré par Vasari guidait la visite.
- 14 AFSP, Arm. 27, D, 412, fol. 576.
6Mais la maquette était devenue un objet historiquement hybride. Si la coque extérieure était neuve et présentait la forme actuelle de la coupole, avec son lanternon, il n’en allait pas de même pour la partie intérieure. À vrai dire, nous étions face à trois coques intérieures. En effet, on avait simplement restauré cette partie, la laissant telle que Michel-Ange avait matérialisé son projet. Au-dessus de cette coupole qui était moins élancée, Vanvitelli avait construit les deux coques comme Della Porta les avait effectivement réalisées. Ainsi, de l’intérieur, la maquette présente trois coques, curieusement enchâssées. Et le réseau des fissures se trouve reporté sur la coque intérieure de Michel-Ange qui ne correspond pas à la réalité bâtie. Les ouvriers avaient dépassé cette difficulté en réalisant une première maquette en cire, avant de transposer les indications sur la maquette de la Renaissance14. Curieusement, ce décalage ne choqua personne lors du congrès. Il semblait assez clair que chacun voyait la coupole à travers le projet de Michel-Ange, et non dans la réalité telle que Della Porta l’avait effectivement construite. Tous étaient cependant parfaitement informés que la forme de la coupole avait été largement modifiée. La conclusion officielle du congrès fut catégorique :
- 15 BAV, Cicognara V-3849, int. 2, doc 2.
Tous s’accordent sur les dommages […] Mgr. Bottari réserve son avis, après qu’il aura vu in faciem loci, sur les causes et sur la nécessité de restaurations qui font l’unanimité de leur nécessité. Sur les causes des dommages, tous sont d’accord avec le contenu de l’écrit [le Parere] et seul le père abbé Revillas propose que l’on examine exactement si les fissures des deux arcs ont quelque rapport avec les dommages cités. Messieurs les architectes sont d’accord avec l’écrit sur les remèdes prescrits ; M. Barigioni a des difficultés avec la partie qui va de l’attique vers le haut et se réserve d’écrire à ce sujet. Sur le reste, les avis variant, ils donneront leur opinion par écrit15.
7L’enjeu étant de parvenir à un consensus sur l’état de la coupole, les solutions à apporter étaient secondaires et le débat restait faussement ouvert. Pour cette raison, au cours du congrès, Bottari entra officiellement en scène pour y exposer sa position, d’une grande originalité. Avec le plus grand aplomb, il allait à l’encontre de la docte assemblée, jouissant cependant du soutien de certains qui s’étaient tus.
- 16 Costamagna 1975 : 43-63.
8Giovanni Gaetano Bottari incarne une personnalité particulière ayant joué un rôle central dans la production littéraire et artistique pendant les pontificats de Clément XII et Benoît XIV. Sans cette figure, on ne peut comprendre les rapports que les milieux culturels et l’Église entretiennent alors. Né à Florence, profondément attaché à la primauté intellectuelle de la Toscane, l’abbé Bottari commença sa carrière en publiant les œuvres de Galilée. Il lui reconnaissait certes des qualités dans le rôle de l’expérience, une avancée que presque tous partageaient désormais au début du XVIIIe siècle, mais il appréciait surtout l’importance de la géométrie dans ses travaux, en opposition à la mode du calcul qui, selon lui, dénaturait largement les sciences contemporaines. Il poursuivit également, pour le compte de la Crusca, une entreprise de revalorisation du Décameron de Boccace, le débarrassant enfin des lectures triviales qui l’avaient enlaidi. Il vint à Rome à l’appel de la famille Corsini à laquelle il resta dévoué toute sa vie. S’il s’intéressait de près aux arts figuratifs, Bottari ne disposait d’aucune expérience dans le domaine de l’architecture. Cependant, comme la plupart des intervenants de cette polémique, il avait réalisé une expertise hydraulique : en 1732, il étudia en compagnie d’Eustachio Manfredi la navigation du Tibre. Clément XII le nomma chapelain personnel, une position qui lui procurait de très nombreux contacts au sein de la Curie et il joua le rôle d’éminence grise dans les concours d’architecture alors promulgués. Le pape lui confia la chaire d’histoire ecclésiastique et de controverses à La Sapienza, ce qui lui accorda un certain crédit dans les milieux intellectuels. En 1739, alors qu’il devenait deuxième conservateur de la bibliothèque vaticane, il renonçait à l’enseignement universitaire, préférant déployer son énergie dans d’autres sphères, plus proches du pouvoir : en 1741, il entrait à la congrégation de l’Index et en 1751 au Saint Office. Cependant, Bottari tenta sans grand succès de rallier à ses idées esthétiques l’Académie des Arcades, dans laquelle une grande diversité d’opinions continua toutefois à s’exprimer16.
- 17 Pour un panorama des sociabilités jansénistes romaines voir Stella 2006 : II, 145-176.
9Les activités romaines de Bottari n’étaient pas simplement culturelles. Elles revêtaient également une grande importance politique et religieuse. Fin connaisseur des mécanismes curiaux, Bottari était particulièrement préoccupé par l’influence, selon lui croissante, dont les Jésuites jouissaient dans l’appareil d’état. Il les considérait non seulement responsables d’un relativisme culturel contaminant les argumentaires théologiques mais, d’une manière générale, complices d’une dégradation morale qui conduirait à dissocier la science de la religion. Le prestige dont ils jouissaient dans les institutions religieuses – camérales et éducatives – l’effrayait, parfois jusqu’à l’obsession. C’est au sein du palais de la famille Corsini qu’il fédéra les milieux opposés à la Compagnie, d’abord dans un cercle qui prit le nom de Burchiello et qui devint, à partir de 1749, le célèbre Archetto. Celui-ci attirait alors des personnages aussi différents que le cardinal Passionei, Di Costanzo, Foggini, Intieri17. Chez Bottari, la phobie des Jésuites se traduisit par une adhésion croissante à la pensée janséniste, seule capable à ses yeux de préserver l’unité et la pureté de l’Église.
10Lors de l’accès au trône de Benoît XIV, il n’était plus possible d’agir dans les affaires culturelles sans consulter Bottari ou sans prendre en considération ses positions. Clément XII l’avait habitué à ces prérogatives et ses soutiens étaient larges et variés. Il jouissait en particulier de la protection de nombreux cardinaux et de l’amitié de Benoît XIV dont il partageait fréquemment la table. Le pape dut composer avec lui et la lutte fut dure pour contrecarrer les assauts du réseau bottarien qui considérait sa politique à l’égard des Jésuites beaucoup trop laxiste.
- 18 Bottari retrouva ce livre à la fin des années trente à l’Oratoire de Saint-Jean-Décollé et l’intég (...)
11Dans les milieux intellectuels et artistiques les plus variés, Bottari était respecté, de ce respect qui souvent ne naît que de la crainte de l’anathème. Regardez Poleni, le Poleni de l’actualisation des connaissances vitruviennes, idéologiquement très éloigné de Bottari : il voyait en lui celui qui avait retrouvé le Vitruve contenant les annotations de Giovanni Battista da San Gallo18. Mais la supériorité morale que son clan janséniste affichait ne servait qu’à mieux masquer la férocité des moyens déployés contre ses adversaires. La sensibilité crypto-janséniste de Bottari, mêlée de l’obsession d’un complot de l’Antéchrist, le conduisit à cultiver un goût pour l’affrontement masqué, intervenant souvent dans le débat public par le moyen d’intermédiaires dont certains étaient manipulés à leur insu. Il s’engagea cependant parfois publiquement, notamment lorsqu’il prit la défense de Celestino Galiani dans les années trente. Le savant napolitain avait été en effet accusé de vouloir diffuser les idées de Locke dans sa nouvelle académie. Pareillement, l’œuvre de Bottari en défense de la véritable théologie imposant un retour à la lecture la plus stricte de saint Augustin, passait souvent par des initiatives dans des domaines que beaucoup considéraient alors comme, non pas détachés, mais du moins, éloignés de la théologie. C’est l’une des raisons de son engagement croissant dans les questions artistiques au cours du pontificat de Benoît XIV. Il avait certes réédité le Riposo de Borghini en 1730, mais son intérêt s’était concentré jusque dans les années quarante sur les questions antiquaires, plus proches de ses compétences littéraires et philologiques. À partir de cette époque, il déploya ses connaissances dans des terrains plus directement liés à la politique culturelle, avec ses volumes sur les musées capitolins, héritage certes de Clément XII mais dont l’actualité était renouvelée avec l’ouverture de la pinacothèque par Benoît XIV. Suivirent son édition des Vies de Vasari (1759-60) et son recueil de lettres d’artistes, aujourd’hui encore en usage (1757-1773). Dans ses annotations, souvent acerbes, parfois perfides, il ne manque pas de transmettre sa conception morale de la production de l’art et sa conviction de la supériorité des Toscans. Mais c’est dans les Dialogues sur les trois Arts du dessin, publiés anonymement en 1754, qu’il se livre le plus entièrement. Il y dénonce non seulement la décadence actuelle des arts mais aussi le goût morbide de ses contemporains pour la destruction des chef d’œuvres du passé. Cet ouvrage fut l’occasion d’une série de règlements de compte à l’égard de nombreux artistes dont Vanvitelli était l’une des principales victimes.
- 19 BAV, Cicognara V-3849, int. 2, doc 3. Voir également la copie, quelque peu différente, envoyée à N (...)
12La querelle autour de la restauration de la coupole constitua pour Bottari l’un de ces terrains minés dans lesquels il s’engouffrait volontiers. Il joua un rôle très important tout le long de cette polémique. Mais il est parfois difficile de faire la part des choses entre les inimitiés personnelles et les argumentations de contenus, alimentant des interventions souvent souterraines. La seule manifestation publique des opinions de Bottari peut être lue dans la déclaration qu’il fit lors du congrès du 22 janvier19.
13Ne souhaitant, ou ne pouvant se permettre d’attaquer les Trois mathématiciens sur le terrain de leurs méthodes analytiques, il préféra concentrer ses reproches sur trois points : la qualité des sources employées pour la description des faits, l’autorité des scientifiques dans le domaine de l’architecture et les violences faites à la coupole lors d’une éventuelle restauration. S’il renonça à critiquer leurs conclusions, c’est que le mode d’évaluation globale du poids de la coupole et par conséquent des forces en jeu apparaissait du plus grand conformisme leibnizien. En opposition à cette proposition, Bottari mettait en avant plusieurs fois la nécessité de procéder à une approche géométrique. Les mesures devaient être réalisées par des géomètres et proscrire l’algèbre. L’idée sous-jacente est la suivante : l’architecture, connaissant un développement dans l’espace, ne peut être réduite à un calcul. Mais la proposition des Trois mathématiciens semblant être acceptée de tous, il attaquerait sur d’autres points, liminaires et préparatoires.
14Il n’en allait pas seulement d’une querelle sur la nature des mathématiques : les modes de transmission de l’information posaient problème : tant vers les destinataires que depuis les informateurs. Selon Bottari,
- 20 Un veridico compendio istorico… ., ASSM, A-1114-8, fol. 7.
la représentation […] des lésions [présentée lors du congrès] était fausse [… elle] ne donne pas assez d’éclairages à qui n’a pas fait l’inspection [de la coupole], par conséquent, il faudrait noter de nombreux détails essentiels et les exprimer par des termes plus précis et non indéterminés afin que l’on ne se fasse pas une idée confuse des maux de cette construction et que l’on ne les croit ni plus ni moins importants qu’ils ne le sont20.
15Mais il critiquait également le recours documentaire aux rapports de tierces personnes. Au détour d’une phrase tortueuse, il avouait ne pas faire confiance à des affirmations dont il ignore la source, avouant implicitement qu’il accorde plus d’importance à la réputation des auteurs qu’aux contenus exprimés : « La personne qui a fait cet exposé, je suppose qu’elle est entièrement de bonne foi, mais pour notre part, ne sachant de qui il s’agit, il faudrait la croire aveuglément, chose étrangère à la géométrie, d’autant plus lorsque l’on peut vérifier oculairement ». Quand les Trois mathématiciens mentionnaient leurs sources, il les accusait de ne pas citer suffisamment les contenus, notamment des expertises réalisées à la mort de Bernin ; lorsqu’ils les laissaient à dessein anonymes, il les soupçonnait de falsification. Agissant visiblement à son insu, c’est-à-dire contre ses intérêts philo-toscans, il tenta de relativiser le récit de Baldinucci – source fondamentale de la polémique autour de 1680 – qui ne « fait pas un récit ex professo et dit très peu ». Mais plus que le texte de Baldinucci, c’est l’usage que les Trois mathématiciens en faisaient que Bottari critiqua. En effet, ils en retiraient l’information que de nouvelles fissures étaient apparues au XVIIe siècle.
16Pour Bottari, les faits sur lesquels reposait l’analyse n’étant pas suffisamment prouvés, il lui était difficile de partager le « système de ces excellents mathématiciens, admirable, très ingénieux et rempli de très profondes spéculations ». Perfide remarque, alors qu’il considérait que les géomètres n’étaient pas en mesure de juger des restaurations à apporter et s’étonnait qu’ils eussent rejeté les propositions des architectes. Curieux argument, lorsque l’on connaît l’opposition viscérale de Bottari au projet de Vanvitelli présenté plus tôt, à l’automne 1742. Mais si les points précédents relevaient d’un argumentaire quelque peu fallacieux, le dernier dévoilait les raisons profondes de l’opposition de Bottari non seulement au projet des Trois mathématiciens mais à tout projet de restauration quel qu’il fût.
Lorsque je m’imagine de voir ce projet mis en exécution et tant et tant d’artisans percuter et perforer la coupole et démolir les contreforts, d’un côté renforcer, de l’autre murer et augmenter les poids et réaliser d’autres opérations semblables d’une extrême violence, je suis effrayé et il me semble que si la coupole ne s’était encore mue, elle devrait le faire en cette occasion.
17La résistance qu’il opposait était liée fondamentalement à la nature unique de la coupole, un édifice ne pouvant être réduit à une simple analyse des forces et encore moins à un calcul algébrique. Sur cette unicité de la coupole selon Bottari et des conséquences sur le débat, il sera plus loin à nouveau question.
- 21 Voir les lettres de Boscovich à Poleni du 25/01/1743, BNM, It. X 304 (6544) et celle de Bottari à (...)
18En privé, Bottari développait la thèse d’un complot, conduit par Olivieri « le chef de l’intrigue ». La rumeur de la ruine imminente aurait été diffusée peut-être par intérêt », sous-entendu financier, et le Parere vise « à accroître la chose ». Dans une lettre adressée à Galiani quelques jours avant le congrès, il décrivait les deux Minimes comme des pantins n’ayant fait que signer une étude exécutée par Boscovich21. Ce dernier n’était pas seulement incompétent mais aussi malhonnête. Il aurait passé sous silence le mode de mesure des fissures, prises au-dessus des mosaïques et non dans le vif de la muraille, « ce qui fait une belle différence ». L’observation des dommages est également falsifiée :
On dit que les marbres [en queue d’aronde] sont brisés et dissociés. Qu’est-ce que cela veut-il dire ? Qu’ils sont sortis de leur logement ? Il est faux qu’ils soient rompus de telle manière qu’une petite tête ou même un doigt puisse y pénétrer ! Cela même est faux, car il ne peut y entrer la pointe de la plus fine des aiguilles !
- 22 G. Riccioli, Geographia Et Hydrographia Reformata, Bologne, 1661.
- 23 Lettre de Bottari à Galiani du 5/02/1743, BSNSP, XXX-A-7, fol. 191-192.
19Enfin, Boscovich aurait eu recours à des outils démodés, montrant sa méconnaissance du monde de l’architecture. Il employait par exemple la mesure du pied romain donnée par Giovanni Riccioli22. Ce père du siècle passé ne pêchait pas seulement par une ferveur anticopernicienne qui l’avait conduit, par orgueil, à écrire son propre système du monde, mais il était aussi Jésuite, comme Boscovich. On peut s’interroger pour savoir si Bottari ne formulait pas finalement une opposition de principe aux conclusions dressées par les Trois mathématiciens car, en réalité, il n’avait pas encore visité la coupole, comme il le déclara lors du congrès et le confiait aussi à Galiani23. Comment pouvait-il donc affirmer qu’elle n’était pas endommagée ?
- 24 AFSP, Arm. 50, B, 17, fol. 1023-1026.
- 25 Jacquier, Le Seur, Boscovich, Riflessioni, 1743b : xiv.
20Comme il avait été notifié dans la communication officielle du congrès, seul Bottari – affirmant « se faire l’écho du sentiment général » – rejetait en bloc les conclusions de la commission. Étonnamment, la notification laissait le débat ouvert, en annonçant que chacun ferait savoir par écrit ses vues. Tous les autres participants s’étaient exprimés en accord avec les Trois mathématiciens, sauf sur quelques détails. Tous s’accordèrent aussi sur une intervention qui passerait par la pose de nouveaux chaînages : combien et en quels endroits, cela restait à discuter. En effet, les restaurations des contreforts posaient débat : une intervention risquait d’en modifier la forme. Barigioni exprima ses craintes et Fuga, dont l’opinion laissa peu de traces dans les documents, aurait préféré ne pas intervenir sur les contreforts24. Certains étaient favorables à leur reconstruction, d’autres considéraient qu’il serait plus sage de les arrimer au tambour « par une sorte d’étrier en fer qui viendrait les enserrer, passant par le vif des colonnes »25.
- 26 Missirini 1823 : 210-212, 219-221 ; Spesso 1991.
- 27 Poleni 1748 : § 359-362.
- 28 Rome, Archives de l’Académie de Saint-Luc, Decreti dell’insigne Accademia di S. Luca, vol. 50, fol (...)
21Malgré l’unanimité, il fallut dire plus clairement et plus fort l’urgence d’une restauration. Lancée à l’initiative de Girolamo Theodoli, une pétition tentait de proclamer la vérité. Le marquis Theodoli était plus qu’un amateur d’architecture. On se souvient de lui comme revendiquant la paternité du premier théâtre du largo Argentina, mais il avait dirigé une série de chantiers mineurs, notamment de restauration26. Mais le marquis était très actif dans le secteur de l’évaluation : il participa à de nombreuses commissions et jurys d’architecture. Theodoli était proche de Vanvitelli et rallia Ghezzi, Hostini et Salvi à la cause de la restauration. Dans cette pétition, ils affirmaient que les « dommages de la coupole étaient certains, évidents et hors de doute et tels que leur qualité et leur quantité requièrent un remède rapide et efficace »27. Souhaitant couper court à tout débat, ils le relançaient au contraire, en soulevant une question qui jusqu’alors n’avait été qu’effleurée, celle de la cause des problèmes et des parties affaiblies. Ils en identifiaient la source soit dans « un défaut des fondations, ou dans l’affaissement des quatre arcs de soutien, ou dans l’effritement des matériaux internes pour leur mauvaise qualité ou enfin, dans un manque de contrebutement et d’appui proportionné à la poussée des parties supérieures ». Ils attribuaient donc les périls actuels à un défaut de conception ou d’exécution, renvoyant à l’histoire de l’édifice. La valeur de cette intervention était renforcée par la configuration institutionnelle. Theodoli était depuis 1741 prince de l’Académie de Saint-Luc et avait été réélu en décembre 1742 à sa tête, alors que les Trois mathématiciens préparaient leur étude qui viendrait compléter, mais peut-être aussi contredire, les rapports de Vanvitelli. Theodoli était par ailleurs ami de Jean-François de Troy qui lui succéderait en 1743. Du côté de l’Académie, la situation était verrouillée. Fuga, bien qu’il fût chaque année candidat à sa direction, n’obtenait guère plus qu’une voix28.
22D’autres participants au congrès s’exprimèrent, plus ou moins publiquement. Sante Santini avait diffusé un pamphlet manuscrit au moment même où les mathématiciens présentaient leur proposition au pape, au début du mois de janvier. Cette réponse à Domirio, curieux anagramme du pseudonyme arcadien du père Le Seur, Diofanto Milio, était alors restée anonyme. Poleni la publia sous le nom de Diofanio, pseudonyme arcadien de Sante Santini. Un secret de polichinelle pour initiés. Plus tard, au cours de l’année 1743, Santini publierait le document manuscrit sous son nom, dans une version quelque peu retravaillée, « afin que l’on voie la série des évolutions de l’auteur ». Dans le manuscrit, Santini s’en prenait notamment à Montauti, ce qu’il adoucit quelque peu pour la publication. Après avoir dressé un tableau peu engageant de l’état de la coupole, insistant sur la faiblesse des contreforts confinés désormais dans un rôle ornemental, il s’attardait à souligner la résistance des piliers, malgré les marches disjointes des escaliers en limaçon. Il en parvenait donc à la conclusion que la poussée était horizontale et que les fondations résistaient. Cette conclusion était assez semblable à celle à laquelle les Trois mathematiciens étaient parvenus, même si la méthode, imprégnée de géométrie intuitive, en différait grandement. Il convenait donc de resserer le dôme par le moyen de cerclages de fer.
23Mais son discours se distinguait par une attention particulière accordée aux fissures visibles aux arcs entre les piliers de la croisée. Pour le comprendre, disait-il, il faut revenir sur la nature de l’arc :
- 29 Santini, Lettera sopra i danni… 1743 : 6-7.
c’est un segment qui s’appuie sur ses deux extrémités comme sur deux pieds. Non seulement, il porte le poids de tout ce qui est au-dessus, mais il exige aussi que son support soit à même de supporter ce poids non pas verticalement mais horizontalement. Toutes les résistances que supportent les arcs se réduisent à trois sortes : la charge sur la base soutenant l’arc, les forces extérieures (contreforts, éperons), les chaînes de fer qui réduisent les poussées horizontales en poussées verticales29.
24Cette poussée horizontale est due en partie au poids du lanternon. Pour expliquer les raisons de ce déséquilibre, Sante Santini avait recours à un vocabulaire d’empreinte newtonienne, expliquant l’emplacement « du centre du mouvement », dans un raisonnement qui n’en avait que l’apparence.
- 30 Santini, Risoluzione… 1743 : iii.
25La thématique de la solidité des arcs constituerait désormais son argumentaire, évitant ainsi d’entrer dans une critique tant des piles que de la coupole. Durant le congrès, Sante Santini avait insisté sur les affirmations du père Revillas à ce propos. Le professeur de mathématique de La Sapienza s’était étonné : « les arcs sont fissurés et, dans cet écrit [le Parere], on n’en donne pas la raison ; je me demande si ces fissures ne sont pas liées avec les dommages que l’on voit dans la coupole ? »30. Les Trois mathématiciens n’avaient en effet signalé qu’une légère fissure dans un seul arc, au-dessus du pilier de Véronique et Sante Santini saisissait l’occasion pour les accuser de négligence. Pour autant, il reconnaissait ne plus pouvoir limiter son analyse à un mouvement horizontal mais envisager une rotation de la coupole sur elle-même, prouvée par les fissures en diagonale du tambour. Abusant de métaphores médicales (« le remède du mal », « apaiser le mouvement », les « symptômes de la masse », « assainir le vice ») au relent néo-scolastique, il se lançait dans une comparaison entre le tambour ou « panier » avec un tonneau qu’on aurait rempli jusqu’à la rupture de ses supports. Affectant les comparaisons triviales, il critiquait la pédanterie des références scientifiques des Trois mathématiciens. Il n’est point besoin de La Hire et de Newton, avançait-il, pour connaître la dilatation d’un fil de fer. Il démontrait ainsi sa lecture un peu trop rapide du Parere…, car, pour les démonstrations rhéologiques, les Minimes ne faisaient pas appel à ces deux savants mais aux travaux de Musschenbroeck. Ces imprécisions, qui témoignent d’une lecture fondée plus sur des impressions que sur des analyses, était peut-être due à une rédaction de ce pamphlet en « l’espace de trois jours seulement ». Pourquoi donc cette précipitation ?
- 31 MS, Biblioteca Corsiniana, Carteggio Bottari, 32G33, fol. 10.
- 32 Poleni 1748 : § 220.
- 33 Donato 2005 : 81-89.
- 34 AFSP, Arm. 50, B, 17, fol. 1004, 1005.
26Dans quel cercle Sante Santini évoluait-il donc ? Il y a beaucoup à s’interroger sur l’intervention d’un personnage qui se décrit lui-même comme « un misérable parmi de si grands hommes qui fut réprouvé par tous avec le mépris qu’il méritait ». Dès la fin février, la « dissertation » de Santini était envoyée à Poleni, aux bons soins de Bottari31. Elle était destinée à alimenter la bataille contre les Trois mathématiciens, espérant que Poleni serait sensible à cette voix de l’opinion qui attaquait sur un registre différent du sien. Mais elle parvenait aussi à Poleni à travers Valenti Gonzaga qui, pour sa part, attendait une riposte32. Gonzaga faisait montre d’une légendaire discrétion associée à une grande habileté politique33. Les sympathies décelables dans les écrits de Sante Santini nous rapprochent peu à peu des milieux anti-jésuites. À part bien entendu Revillas qui avait, malgré lui, donné l’aubaine à notre amateur, le seul participant au congrès cité par Santini était l’architecte de la Chambre Fuga. Celui-ci avait « excellemment prescrit la manière d’enchaîner les contreforts au tambour ». Sante Santini se présentait comme un isolé mais il disposait d’appuis à la fabrique et au chapitre. Il obtenait de Filippo Valeri, vraisemblablement sur l’ordre d’Annibale Albani lui-même, des accès à la coupole lorsqu’il le souhaitait, alors que d’autres devaient maintes fois supplier34.
- 35 BAV, Cicognara V-3849, int. 2, doc 14.
- 36 BNM, It. X 309 (6549), fol. 8r.
- 37 Lettre de Bottari à Galiani du 15/2/1743, BSNSP, XXI, B, 1, fol. 55-56.
27Sante Santini avait fait inscrire au protocole du congrès « le père Santini approuve les mathématiciens » et, quelques jours plus tard, se souvenant de l’intervention de Revillas, décida de publier ce pamphlet. Quelles sont donc les raisons de ce revirement, sinon purement tactiques ? Santini s’est en fait exprimé à la demande de Leprotti dont il se déclare, en mars 1743, « toujours plus serviteur » ; il continuait à recueillir pour lui et pour Passionei les informations et les indiscrétions les plus variées. Pour ses services, dont la publication faisait partie, il accepta de leur part quelque menu dédommagement financier35. « Il y a là matière à intrigue », écrivait Poleni à Vanvitelli36. On ne peut plus douter que Sante Santini ait été encouragé par le groupe proche du Burchiello qui, à travers Passionei, Bottari et Leprotti comme exécuteur, s’efforçait de soutenir Fuga contre Vanvitelli. D’ailleurs, Bottari ne pouvait que se féliciter de la contribution de « Santini [qui] fût certes fort mal écrite, mais excellente quant à sa substance »37.
- 38 Jacquier, Le Seur, Boscovich, Parere, 1743 : xix.
- 39 Lettre de Boscovich à Poleni du 25/01/1743, BNM, It. X 304 (6544), non fol.
- 40 Lettre de Jacquier, Le Seur, Boscovich à Leprotti du 27/01/1743, Biblioteca Corsiniana, Carteggio (...)
- 41 ASSM, A-1114-8, fol. 7.
28Les interventions de Santini, malgré les contradictions qu’elles révélaient et l’appareil argumentaire démodé auquel elles avaient recours, rencontrèrent un grand écho. les Trois mathématiciens avaient comparé la coupole à une grenade trop mûre dont le fruit se serait ouvert en son endroit le plus faible38. Cette métaphore n’avait pas été du goût de ceux qui s’opposaient aux mathématiciens. Les attaques furent violentes et la méthode parfois dénuée d’élégance. Trois jours après le congrès du 22 janvier, Boscovich faisait part à Poleni de ses craintes : « j’entends maintenant se répandre une rumeur à travers Rome qui dit que tous nos calculs sont erronés, que tout repose sur de fausses suppositions et choses semblables »39. Déjà, pendant le congrès, les échanges avaient été si vifs entre Boscovich et Bottari que les Trois mathématiciens durent s’excuser auprès de Leprotti, l’assurant ne pas avoir proféré d’offenses à l’égard du respectable pensionnaire du palais Corsini40. Le « concierge maléfique » était accusé par le clan constitué autour d’Olivieri et Vanvitelli d’avoir cherché des prête-noms pour ses écrits, « mais lui, toujours derrière la haie »41. Bottari aurait agi ainsi, selon eux, afin d’empêcher que ne s’abattît le discrédit sur Altoviti et ne l’empêchât de devenir majordome. Alors qu’il n’avait pas encore été évincé des commandes de la fabrique, celui-ci s’était en effet prononcé sur une innocuité des dommages. Et la subite nécessité de consolidation de la coupole ne pouvait que lui porter tort. Cette raison n’était sans doute pas la seule motivation de Bottari.
29En fait, les interventions publiques de Santini constituaient l’un des bras armés de l’offensive de Bottari. La démarche était d’autant plus habile que Santini attaquait les Trois mathématiciens avec des argumentaires radicalement différents de ceux employés par Bottari. Mais tous deux visaient implacablement la même cible. Dans les semaines qui suivirent la visite de février, les Trois mathématiciens publièrent un nouvel opuscule, les Riflessioni. Cet écrit revêtait trois objectifs : premièrement, asseoir la légitimité de leur mandat et de leurs travaux, répondre ensuite aux questions ponctuelles des interventions apparues depuis le début de l’année et plus particulièrement lors du congrès, et enfin, par ces deux opérations, tenter de désamorcer l’entreprise de désinformation initiée par Bottari. Tout au long de ce document, ils traitent de « l’auteur d’un certain écrit », sans nommer Sante Santini. Cette manière de procéder témoignait de deux de leurs pensées : refuser à Santini un quelconque crédit et laisser planer un doute sur l’auteur effectif de ces écrits.
30S’adressant premièrement aux officiels de la fabrique, les Trois mathématiciens citaient un autre rapport adressé à Olivieri dans lequel Barigioni s’exprimait. En effet, sa voix s’était jusqu’alors fait peu entendre. Il y exprimait son accord absolu avec eux : la description des dommages, les causes évoquées et les remèdes envisagés. Lors du congrès, la discussion avait porté principalement sur les conséquences de prescriptions si radicales en cours de restauration. Ils avaient dû rejeter aussi quelques suggestions inutiles comme le comblement du couloir de l’attique, puisque que ce n’était pas la voûte qui cédait mais qu’elle était solidaire du mur dans son déversement vers l’extérieur.
- 42 Lettre de Revillas à Poleni du 24/5/1743, BNM, It. X 312 (6552), fol. 108.
31À Revillas, sur la stabilité des arcs, ils répondaient par une enquête conduite dans une douzaine d’églises romaines à coupoles. Toutes présentaient, à des degrés variés, des fissures aux alentours de la clé de voûte de leurs arcs de support. Si un pilier s’était affaissé, il aurait dû emporter les quatre arcs. Or ils n’étaient pas tous concernés. L’examen collectif du 20 février était minutieusement détaillé. Cependant Revillas n’avait été qu’instrumentalisé par Santini. En mai 1743, il se retirerait d’ailleurs de la mêlée, laissant à Poleni le soin d’y conduire les joutes verbales42. Si les Trois mathématiciens cherchaient à asseoir le débat sur un niveau officiel, ne reconnaissant comme interlocuteurs légitimes que l’architecte de la fabrique ou le professeur de La Sapienza, ils ne s’en trouvaient pas moins contraints, bien malgré eux, de consacrer la plus grande part des Riflessioni à citer et contester Sante Santini.
Les interventions spontanées des architectes
32Pendant ce temps, la nouvelle d’un projet de restauration parcourait la ville de Rome et même l’Italie. Parallèlement aux avis « autorisés » et sollicités, plusieurs personnages prirent la parole. Contrairement aux positions diffusées par le clan Santini-Bottari, aucun d’entre eux ne contestait la nécessité d’une intervention et chacun proposait ses propres solutions.
- 43 Giornale de’ Letterati d’Italia, V, 1711 : 119.
- 44 Carli 1979.
- 45 Magnificenze vaticane, 2008 : 100-101.
- 46 Sembranti 1995 : 79-87 ; Haas, von Winterfeld 2006 : 238.
- 47 Poleni 1748 : § 230.
33Le premier était un acteur de la scène romaine, connaisseur d’architecture sans être bâtisseur, il intervenait depuis longtemps dans ce domaine ; sa participation à plusieurs concours prestigieux est attestée. Lelio Cosatti était un abbé siennois, formé en mathématiques. Dans sa ville d’origine, à la fin du XVIIe siècle, il collabora à la préparation de l’édition de la méridienne de Pirro Maria Gabrielli43. Malgré ses compétences scientifiques et le champ de ses intérêts, il possédait une conception de l’architecture plus attachée aux beaux-arts qu’à la construction. Contribuant à la gloire de sa patrie, il s’était occupé de l’impression gravée des dessins de Beccafumi pour le pavement de la cathédrale de Sienne44. Après s’être installé à Rome, il avait réalisé un projet pour la sacristie de Saint-Pierre, deux années après le concours de 1715. Celui-ci avait été alors très apprécié d’Annibale Albani45. L’intérêt qu’il cultivait pour l’architecture s’étant diffusé, le chapitre de la cathédrale de Sienne le consulta en 1726 pour recueillir à Rome, l’opinion des meilleurs mathématiciens sur l’état des voûtes de la nef centrale qui menaçaient ruine. Hostini, alors présent à Sienne pour un autre chantier, avait fourni la proposition de restauration finalement adoptée46. En 1732, Cosatti participa encore au concours pour la façade du Latran. Cosatti aimait beaucoup les maquettes, il en avait réalisé une de la coupole de Saint-Pierre, afin de pouvoir méditer plus à son aise la question des mouvements. Il la montra à Poleni lors de son voyage à Rome47. Dans les années quarante, Cosatti était un collaborateur direct de la fabrique, non pas en sa qualité d’architecte, mais de lettré. Il rédigea en effet le texte de l’ouvrage de Zabaglia, alors en préparation, dont l’une des vertus symboliques était de mettre en valeur les compétences techniques des ouvriers de la fabrique que beaucoup de fabriciens considéraient supérieures à celles des architectes.
34Cosatti considéra le travail des Trois mathématiciens avec un plus grand respect que ne l’avait fait Sante Santini. Pour autant, il ne parvenait pas aux mêmes conclusions. Il soulignait en particulier quelques incohérences. Elles se fondaient principalement sur la constatation que le tambour apparaissait fort endommagé alors que l’attique, qui se situe au-dessus de lui, était pratiquement intact. Ainsi, comment le poids du lanternon exerçant une pression sur la coupole restée solidaire aurait-il pu affecter le tambour en préservant l’attique ? Pourquoi la partie intérieure du tambour était-elle relativement épargnée alors que la partie extérieure, en particulier les contreforts, montrait des signes évidents de désagrégation ? Il semblait très clair à Cosatti que la corniche de la base du tambour et les contreforts constituaient des masses saillantes ayant déporté vers l’extérieur le massif de la base de la coupole. S’ils étaient parvenus à contredire la force centripète de la coupole, puisque celle-ci restait relativement épargnée, leur effet était trop puissant mettant en danger la verticalité de la base. Outre les problèmes statiques, Cosatti demandait que les « causes extrinsèques » fussent elles aussi prises en compte : la foudre et les tremblements de terre ainsi que la qualité et la régularité des matériaux employés.
- 48 Di Teodoro 2011 : 151-177.
35Cosatti procédait lui aussi à une comparaison avec d’autres coupoles, une méthode qui deviendrait un mode argumentaire de la polémique. Il décrit longuement la coupole de Sainte-Marie-de-la-Fleur de Florence, soulignant en particulier l’importance que son profil revêtait dans sa stabilité. Ignorant les inquiétudes qu’elle posa régulièrement, en particulier dans les dernières années du XVIIe siècle48, il soulignait la stabilité de cet édifice qui ne possède pas de contreforts bien qu’il soit pourvu de lanternon. La présence de la « fissure générale » posait la question d’un problème organique, comprenant l’ensemble de l’édifice, depuis les fondations jusqu’à la base du lanternon. Le problème des fondations (sans qu’il veuille y voir un problème dans les piliers) était confirmé par la présence d’une inquiétante fissure tout le long du corridor de la base. Cette proposition se distinguait de celle des Trois mathématiciens qui étaient parvenus à isoler l’ensemble tambour-coupole du reste de l’édifice.
36Cosatti tire les conséquences suivantes :
- 49 Cosatti 1743 : xvi.
la première est que depuis le début, on voit le système des mathématiciens qui […] affirmaient que l’arc n’avait pas souffert et sur cette supposition erronée, se mettent à la recherche d’une autre cause qui aurait atteint la coupole en elle-même. La seconde […] est que la fissure « dite générale » naît dans les fondations du temple et, depuis là, se ramifie à travers l’arc jusqu’à la coupole, comme on en voit la continuité manifeste et parfaite, ce qui ne peut en aucune manière s’expliquer selon le système des mathématiciens […] La troisième est que, étant donné l’endommagement de cet arc, il est de plus en plus évident que les contreforts du côté du pilier de Véronique sont ceux qui ont le plus souffert49.
37Cosatti n’en tire cependant pas de conséquences pratiques et ne prodigue aucun conseil de restauration. Il préfère en rester à l’analyse du problème et ne pas rentrer dans un domaine qui n’est pas seulement du domaine de compétence des architectes, mais dépend également de rivalités personnelles déjà extrêmement tendues entre les architectes de la Chambre et ceux de la fabrique.
- 50 Guerrieri Borsoi 1988 : 161-185.
- 51 Prandi 1943 : 18-20.
- 52 Comolli 1791 : III, 232-235.
38Au cœur même de la fabrique, au sein de sa branche opérationnelle, un artiste prit la parole. Niccolo Ricciolini était peintre et plus exactement spécialiste de mosaïques. Reconnu très tôt par l’Académie de Saint-Luc, il poursuivait une collaboration de longue date avec la fabrique. Celle-ci semblait cependant s’essouffler avec l’élection de Benoît XIV50. On pourrait penser que son intervention sur la coupole en 1743 visait à attirer à nouveau l’attention sur sa personne. Mais Riccioli vouait depuis longtemps un intérêt particulier à l’architecture. En 1722-23, il avait réalisé avec Antonio Valeri une maquette illustrant un possible « troisième bras » de la place Saint-Pierre et on l’avait consulté sur les projets pour la façade de Saint-Jean-de-Latran suite au concours de 173251. Il était proche, au sein de la fabrique, du secteur opérationnel. Mais les temps n’étaient plus disposés à reconnaître dans un seul homme à la fois un peintre et un architecte. Les deux arts divorçaient lentement. Ne renonçant cependant pas à cette passion, vers la fin de sa vie, il rédigerait un traité sur les proportions harmoniques52.
- 53 Poleni 1748 : § 404.
- 54 Lettre de Ricciolini à Olivieri, s.d., BNM, It. IV 660 (5521).
39La lettre de Ricciolini sur la coupole avait été rédigée « à la demande d’un prélat très estimé » dont Poleni ne dévoilait pas le nom53. Ce fut cependant Mgr. Olivieri qui s’employa à la diffuser54. Ricciolini se gardait bien de faire une description minutieuse des fissures, celles-ci n’étant « désormais que trop connues ». Il rappelait que tout édifice était soumis à l’attraction terrestre. Dans les arcs et les coupoles, ce mouvement prenait une « direction oblique, mixte entre la direction perpendiculaire et horizontale ». C’est pour cette raison que les architectes ont recours à des chaînages. Si cette ressource fut employée pour la construction de la coupole, on oublia alors d’en placer une à l’imposte. Il est donc logique que le mouvement commença dès le désarmement de la coupole. Aussi, les contreforts ne furent pas arrimés au corps de la coupole de manière appropriée et leur désunion s’accrut avec le passage du temps. Pour ces raisons, la poussée horizontale a provoqué plus de dommages qu’elle ne devait mais Ricciolini laisse le soin « à qui saura mieux le faire que lui, le calcul de l’esprit des arcs et des murs soutenus en l’air par les accotements ».
40Ricciolini suggérait à ce stade une série de mesures : en premier, il était urgent de cercler l’imposte, il fallait aussi ajouter un architrave au-dessus des contreforts, placer des arcs-boutants à l’arrivée de chaque côté, renforcer les contreforts existants, les réarmer en construisant, dans le couloir, sous chacun d’entre eux, un pilier afin qu’ils prennent totalement appui sur le vif de la maçonnerie. Signalant qu’il avait appris quelque chose du premier rapport de Poleni, Ricciolini indiquait que ces nouveaux piliers du couloir devraient être reliés par des arcades dont la forme s’apparenterait à la « caténaire obtus ». Un autre cercle extérieur, dont il ne mentionne pas l’emplacement, pourrait être placé dans le corps de la coupole. Ainsi, l’édifice serait réduit « à sa gravitation perpendiculaire » et mis à l’abri du péril.
41Cette contribution n’était pas si éloignée de celle des Trois mathématiciens, si l’on exclut la question du tambour. Il ne contestait pas leur explication de la poussée horizontale et souscrivait à leur proposition de renforcer le corps par chaînage et de porter une attention particulière aux contreforts. Si l’on accepte une modération de l’appareil de chaînage (deux cercles au lieu de trois dans le corps et aucun dans le tambour), qui constituait l’intervention la plus coûteuse, on ne peut dire que Ricciolini et le Parere avancent les mêmes idées mais ils discutent cependant sur une base commune. Cette habile intervention d’un homme de l’art, non praticien de l’architecture sans être complètement à jeun de ses savoirs, reformulait l’hypothèse des Trois mathématiciens en des termes plus simples et plus concis, débarrassant le discours du Parere de son appareil scientifico-critique et référentiel. Nul doute que cela servait les intérêts d’Olivieri qui souhaitait que, sur la base d’une description des dommages désormais acquise, on discutât des détails et non des principes de la restauration. Pour le secrétaire-économe, cela ne pouvait se faire que dans le cadre des modes d’intervention suggérés par Vanvitelli et les Trois mathématiciens.
- 55 Contribution datée du 16/02/1743, BAV, Cicognara V-3849, int. 2, doc 15. Voir Schlimme 2006 : 57-6 (...)
- 56 Mazzamuti 2003 : 129-134.
- 57 Di Fede 2010 : 93-103.
42Trois semaines après le congrès, parvenait à Rome une autre contribution, envoyée depuis Trapani55. Le père Giovanni Biagio Amico était un séculier, auteur de nombreux édifices religieux dans l’ouest de la Sicile. Il avait conduit des interventions de conservation après le tremblement de terre de Palerme en 1726 et en retirait une réputation de technicien. Sa bibliothèque, d’une respectable dimension, témoigne de ses intérêts désuets et de son attachement à la culture de la Renaissance : les ouvrages de Vignole, l’Euclide de Tartaglia, la Géométrie d’Oronce Finée ou l’Architecture militaire d’Alessandro Capra56. Aucun ouvrage scientifique moderne, pas même du XVIIe siècle. Il possédait cependant quelques livres d’architecture contemporains comme le Galli Bibiena ou le Guarini ; on y perçoit cependant son intérêt pour une conception géométrique de l’architecture. Amico était donc l’héritier d’une architecture vitruvienne dans le sens que la seconde moitié du XVIe siècle avait donné à cette discipline. Il avait rassemblé et consigné ses doctrines esthétiques dans l’Architetto pratico, deux volumes publiés en 1726 et 1750, le seul traité d’architecture publié dans l’île57. Dans cet ouvrage, après avoir brossé un grand tableau de l’exercice de l’architecture à la manière du traité albertien, il accordait une place particulière aux conditions locales de construction et spécifiquement à la qualité des matériaux disponibles en Sicile. Une matière encyclopédique et compilative, réorganisée dans une visée didactique et opérationnelle donnait à l’Architetto pratico l’indéniable caractère d’une réduction en art.
43Amico avait été informé de l’infortune de la coupole par un mystérieux ami romain, suffisamment au fait des mouvements curiaux pour lui faire part des congrégations qui s’y tenaient mais assez éloigné de la matière pour supposer Jacquier et Le Seur être deux architectes spécialement venus de France. Amico était un proche de Joaquín Portocarrero, ancien vice-roi de Sicile et désormais romain, membre des académies de Benoît XIV et de la fabrique. L’architecte se consulta avec ses « maîtres ingénieurs » qui lui suggérèrent de faire cercler la coupole mais il préféra élaborer une proposition personnelle (pl. I). Dans son texte, Amico ne fournit pas d’étude générale de la situation, n’en ayant été informé que de manière très sommaire. Il ne mentionne pas avoir pris connaissance du Parere et son étude est réalisée « d’après le dessin du plan et de l’élévation que, par chance, [il] retrouva dans ses livres ». Il lui semble en préambule nécessaire de murer les fenêtres du tambour afin de renforcer cette structure portante. Si le péril approchait, il faudrait murer toutes les ouvertures de la coupole et « plâtrer les seules fissures horizontales sans se soucier de celles verticales ». Afin d’obtenir une solution plus durable, il esquisse la possibilité de munir la coupole de quatre structures à sa base, au regard des quatre piles qui « dorment oisivement sans le moindre poids ».
- 58 BAV, Cicognara V-3849.
- 59 Matteucci 1969.
44Cette proposition n’eut pas de suite, et elle ne rencontra guère d’écho à Rome, quand bien même elle fut diffusée. Mais elle fut employée par Bottari qui constituait un dossier des avis opposés au chaînage de la coupole58. Alors que l’on attendait la contribution de Manfredi, une autre proposition était en préparation à Bologne, la ville de Benoît XIV dont il était resté évêque. Elle venait d’un architecte peu connu, du moins en dehors de sa ville d’origine. Carlo Francesco Dotti était l’architecte du sénat de Bologne, chargé d’une multitude de rénovations et de travaux d’aménagement. À plusieurs reprises, il tenta sa chance dans l’architecture d’invention, ne renonçant pas devant les projets les plus ambitieux : il participa au concours pour la façade du Latran en 1732. Son œuvre la plus célèbre est le sanctuaire de la Madonna di San Luca qui date des années vingt et domine depuis lors la ville de Bologne59.
- 60 Oechslin 1971 : 228-232.
- 61 Voir les différentes versions de ce manuscrit : Paris, BNF, MS Italiens 1666- 1667 ; ASSM, 3325-9, (...)
45Dès la publication du Parere, qui lui avait été envoyé semble-t-il par Revillas, Dotti se mis au travail. Sa contribution parviendrait malgré tout à Rome bien après que la décision de restauration ait été prise60. Il existe plusieurs versions de ce texte que l’auteur améliora jusqu’en 1749, date à laquelle il le présenta devant l’assemblée de l’Académie clémentine, visiblement sans grand succès. Nous nous fondons sur la version diffusée dans toute l’Italie par Dotti en novembre 174361.
46Dotti établit son travail sur la constatation des défauts formulée par les Trois mathématiciens. Il partage l’idée du cerclage de la coupole, mais estime une intervention sur le tambour également nécessaire. À l’extérieur, il propose de renforcer chacun des trente-deux contreforts par deux murs verticaux qui partent du couloir du tambour, ne laissant libre qu’un étroit passage, et s’élèvent jusqu’aux colonnes de l’attique. La base de ces murs devrait être renforcée par deux chaînes de fer. En outre, une chaîne de fer viendrait cercler le tambour et une autre l’imposte de la coupole extérieure, comme « celles prescrites par mm. les mathématiciens ». Au-dessus des colonnes, il placerait une balustrade « avec des piédestaux, des statues et les armes pontificales » et dans sa maçonnerie un cintre composé de deux cercles renforçant l’ensemble de l’attique. Cette intervention serait plus facile à intégrer dans une nouvelle maçonnerie alors qu’elle ne ferait que « tourmenter » l’ancienne. S’il partage avec les mathématiciens la pose de cercles dans la coupole intérieure, il n’en voit pas l’utilité à la base du lanternon, son col ne pouvant s’ouvrir, retenu par les côtes.
47La principale suggestion de Dotti consistait à renforcer le bloc tambour-attique en créant un nouvel étage, le « portique », pourvu d’ornements destinés à masquer un appareil métallique de renforcement statique. Curieusement, il affirme que « l’on conserverait néanmoins le même aspect qu’auparavant et qu’il n’enlèverait pas l’élégance de l’architecture de cette coupole ».
- 62 Oechslin 1974 : 585-590.
48Malgré une livraison trop tardive de sa proposition, l’empêchant de participer aux débats, Dotti continua cependant l’élaboration de son ouvrage, le nourrissant de réflexions, délaissant quelque peu la partie des restaurations pour accroître l’analyse historique du problème. Car en effet, le grand apport de Dotti dans ce débat fut de lancer, sur des bases claires, la question de l’élaboration de la coupole comme un objet historique62. Il engagea une lecture approfondie des sources : Vasari, le texte que tous consultaient, mais aussi les menus détails fournis par Serlio, Scamozzi et Bonanni. Il les replaça dans leur contexte et fit apparaître les contradictions de Vasari qui avait chargé injustement Bramante d’une série d’erreurs constructives. L’argumentaire historique que Poleni tenta de clore par son exposé de 1748 avait constitué le terrain de vifs affrontements à partir de l’année 1743. L’histoire du bâtiment conduisait à des échanges encore plus cinglants que les questions purement techniques. Pour rendre sa conception de la succession des opérations constructives plus claire, Dotti dessina un plan diachronique d’une grande originalité. Cet exposé visuel explicitait, à travers l’emploi de différentes couleurs correspondant aux phases de construction, une compréhension de l’édifice par accumulation de projets, contrairement aux exposés verbaux qui peinaient à se détacher d’une interprétation faite de ruptures auctoriales. À distance, il formulait également plus clairement les argumentaires du parti favorable à Bramante qui s’activait à Rome, dans une confrontation contre ceux qui défendaient à tout prix l’œuvre de Michel-Ange.
- 63 Brusatin 1976 : 152 ; Colonna-Preti 1996 : 70-71.
- 64 Maschio 1996 : 97-138.
- 65 Colonna-Preti 1996 : 36-43.
- 66 Zanella 1989 : 251-264 ; Bortolato 1996 : 321-376.
- 67 Arato 1991 : 21-23 ; 35-36.
- 68 Saggio dell’antinevutonianismo sopra le leggi del moto e dei colori, Venise, 1741.
49Non loin de Poleni, du moins géographiquement, on réfléchissait aussi à la coupole. Depuis Castelfranco Veneto, où il était né en 1676 un an après le célèbre Jacopo Riccati, le mathématicien Giovanni Rizzetti élaborait sa riposte personnelle au Parere. Elle ne verrait cependant le jour qu’en 1744, du moins sous sa forme imprimée. Le discours de Rizzetti sur la coupole de Saint-Pierre faisait partie d’un projet plus vaste de traité, les Elementi di architettura per erigerla in scienza, auquel il travailla toute sa vie mais dont on ne connaît pas d’autre fragment63. Depuis longtemps, Rizzetti cultivait un intérêt particulier pour l’architecture. En 1711, il avait dessiné les plans d’une salle selon la moyenne harmonique proportionnelle pour une villa de campagne64. La reconstruction de la cathédrale de Castelfranco en 1724 dirigée par Francesco Maria Preti constitua pour le trio composé de ce dernier ainsi que Rizzetti et Riccati, un terrain d’expérimentation des théories mathématiques appliquées à l’architecture65. Mais Rizzetti était avant tout un mathématicien dont la contribution sur le calcul des probabilités et la théorie des jeux de hasard avait été remarquée dans toute l’Europe. Il était aussi un scientifique engagé, s’étant fait remarquer grâce au combat qu’il mena publiquement contre les théories newtoniennes sur la lumière et les couleurs66. Ses lettres et ses publications attaquaient frontalement Algarotti et les tenants du newtonianisme dogmatique67. Un traité de physique des couleurs, publié en 1741, contenait cependant un chapitre en cinq scholies sur la mécanique « des corps non élastiques » dans lequel il répétait un bréviaire galiléen68.
50Selon lui, les difficultés de la coupole provenaient d’un défaut de construction du tambour, soumis aux forces qui « tirent, serrent et poussent ». Il se référait en effet aux trois natures des sollicitations par traction, compression et flexion. Les variations climatiques jouaient cependant un rôle important dans la dilatation du tambour et en particulier sur le cercle qui le comprimait. Pour cette raison, selon lui, la méthode du chaînage n’était pas conseillée. Il préférait voir la construction de seize éperons, correspondant à un renforcement de chacun des contreforts. La maçonnerie était vue comme plus fiable que les structures métalliques, du moins au regard des variations climatiques.
51Bien qu’on ne trouve pas trace d’éventuels rapports entre Bottari et Rizzetti, le texte de celui-ci venait clairement alimenter le discours contre les Trois mathématiciens et leur théorie de l’explosion de l’imposte. Il pouvait aussi être utilisé contre Vanvitelli et sa proposition de renforcement par les méthodes constructives, en l’occurrence les cercles de fer. On ne peut penser que Bottari ait souscrit aux théories anti-newtoniennes de Rizzetti dans leur ensemble, mais la simple évocation des noms des pères minimes avait pu susciter un certain agacement à Castelfranco Veneto qui s’était traduit positivement pour les amis du Burchiello.
- 69 Carraffa 2006.
52Une autre contribution arriva de plus loin encore, depuis la Saxe. Romain d’origine, élève de Nicola Michetti, Gaetano Chiaveri était parti avec son maître à Pétersbourg, où il reçut ses premières tâches d’architecte. Pendant la dizaine d’années qu’il passa dans la capitale russe, il réalisa notamment la Kunstkammer. Il travailla ensuite pour les Théatins de Varsovie avant de rejoindre la cour de la maison de Saxe en 1736-37, qui régnait sur la Pologne69.
- 70 Poleni 1748 : § 510.
- 71 Chiaveri 1767 : iv-v.
53Alors qu’il était donc à Dresde, Gaetano Chiaveri avait reçu d’Annibale Albani les publications des Trois mathématiciens. Le camerlingue était en effet protecteur du royaume de Pologne et plus exactement des Wettin. Poleni estime la rédaction de sa contribution vers la moitié de l’année 1744 ; elle était donc, quoi qu’il en soit, trop tardive pour être prise en compte70. N’étant pas sur place, Chiaveri prenait en considération l’état de la coupole tel que décrit dans le Parere. Il estimait que, lors de la réalisation, le système de forces équilibrées forze contrapposte71, une méthode selon lui employée depuis l’Antiquité, n’avait pas été mis en œuvre. Le lanternon était trop lourd, la courbure du dôme n’était pas calculée en fonction de la charge, le tambour et les contreforts étaient trop faibles. La pose de cercles de métal, sujets à la dilatation estivale, ne pourrait apporter de solution durable. Il ne voyait qu’une solution : « la destruction totale du lanternon, de la coupole, du tambour et de la plateforme » de l’édifice existant et la reconstruction, avec les matériaux réemployés, d’une forme plus solide. Celle-ci pourrait « rendre cet édifice sûr et éternel ». Dans le vocabulaire idéaliste qu’il emploie, l’« édifice » (mole), ne renvoie pas ici à la coupole dans sa réalité historique mais à la basilique Saint-Pierre dans sa dimension symbolique. Inutile de souligner l’accueil glacial qui fut réservé à cette proposition radicale. Peut-être que Chiaveri, loin de Rome, n’avait pas pris conscience de la double signification qu’avait acquis désormais l’édifice ; son importance symbolique et spirituelle mais aussi historique. En publiant un nouveau fascicule en 1767, Chiaveri au crépuscule de l’existence, tenterait une ultime offensive, baroud d’honneur d’un architecte riche d’une carrière internationale mais méprisé sur la scène nationale. Il retravailla son texte, en particulier le récit de la construction. Il ne commettrait plus l’erreur de suggérer une reconstruction complète – une proposition ne pouvant convenir à personne – et se contenterait désormais de proposer une meilleure union des deux coques de la coupole et un allégement du lanternon et des contreforts. Cette idée, plus modeste, ne serait guère mieux accueillie.
Nouvelles inspections de la coupole : le bal des anonymes
- 72 Poleni 1748 : § 408.
- 73 BNM, It. IV 675 (5536), fol. 5v.
- 74 Le chevalier attribue la coupole de la Passion à Bramante alors que ce dernier construisait dans l (...)
54Toutes les voix ne remirent pas en question l’analyse causale des Trois mathématiciens. La contribution d’un mystérieux chevalier rend hommage « à ces écrivains si célèbres qui illustrent notre siècle avec leurs très doctes commentaires des œuvres de Newton »72. Il aime faire référence à Pellegrino Tibaldi et à la cathédrale de Milan et, dans l’entourage de Poleni, on était convaincu que le chevalier venait de cette ville, sans toutefois en savoir plus73. De formation scientifique, il possédait, à l’entendre, une pratique des chantiers. Une certaine confusion dans ses références architecturales est cependant perceptible74. Versé à l’excès dans les références à Galilée, il déclare ne rien avoir à opposer aux mathématiciens sur les raisons des dommages. C’est sur les solutions proposées qu’il s’exprime, mettant clairement en doute l’utilité des cercles. Ses réticences sont d’ordre général et concernent surtout la résistance en traction des cercles de fer. Le calcul des forces ayant été réalisé en instantané, il ne peut tenir compte de l’évolution des dommages qui s’aggravent en permanence. Pour vérifier la qualité des fibres composant les structures métalliques de corsetage, il aurait fallu prendre en compte non seulement leur résistance à la traction mais aussi la durée de cette résistance. En outre, il lui semble improbable qu’on puisse restaurer, au moyen de cerclages, des lésions aussi larges et profondes à leur état d’origine.
55Le chevalier suggère de remplir les escaliers et les niches creusés par Bernin afin de renforcer les piles. Mais la solution la plus décisive réside, selon lui, à construire sur les piles quatre tours qui viendront faire contrepoint aux poussés latérales. Il empruntait cette idée à l’église de Saint-Laurent de Milan, un exemple bien mal choisi à vrai dire. Cette basilique présente en effet quatre tours extérieures à la périphérie de la coupole mais celles-ci datent du Moyen Âge et ne furent d’aucune utilité lors de l’effondrement de la coupole en 1573. Lorsqu’il la reconstruisit, Martino Bassi arma fermement la nouvelle coupole de cercles métalliques. Tout cela n’empêche pas le chevalier milanais de poursuivre son chemin. Les quatre tours d’angles dont il propose la construction à Saint-Pierre devraient contrer les forces de la coupole, devraient arrêter le mouvement du tambour et pourraient se substituer aux cercles déjà en place dans la maçonnerie si d’aventure ceux-ci venaient à rompre.
56Le chevalier appartenait à la catégorie des commentateurs qui, comme Dossi et Chiaveri, sont plus préoccupés par la promotion de leurs propres projets de restauration – souvent des interventions architecturales lourdes – que par la critique des Trois mathématiciens. Ils étaient aussi étrangers à la dispute campaniliste qui faisait rage à Rome.
- 75 BSNSP, XXXI-A-7, fol. 175r.
- 76 BNM, It. IV 679 (5558), fol. 107r.
- 77 BAV, Cicognara V-3849, int. 2, doc 4.
- 78 AFSP, Arm. 50, B, 17, fol. 1003.
57Pendant ce temps, à Rome, sur le terrain, on s’activait. Lors du congrès du 22 janvier, la décision avait été prise de réaliser une nouvelle visite, permettant un examen plus exact de l’état de certaines parties, en particulier des arcs. Bottari était convaincu qu’elle conduirait à une nouvelle description des dommages75. Le 16 février 1743, une inspection préalable eut lieu, à laquelle Revillas participa. On retrouva des clous brisés dans le tambour au-dessus de l’arc de la croisée sud, ce qui ne laissait rien présager de bon quant à l’état des structures métalliques de maintien76. Le 18 février, le secrétariat de la fabrique annonça la nouvelle visite officielle, prévue deux jours plus tard, à laquelle Bottari était enfin convié, ainsi que tous ceux qui avaient pris part au congrès77. Un échafaudage avait été commandé à Zabaglia, afin qu’on pût examiner les arcs de plus près78.
- 79 Poleni 1748 : § 318-322.
58Revillas, plus tôt instrumentalisé par Sante Santini, prit cette fois les devants. Après la visite du 16 février, il fit connaître ses observations par une lettre circulaire79. Il s’était fait accompagner de Giambattista Nolli, l’architecte qui travaillait dans ces années à la réalisation de son célèbre plan de la ville, et de plusieurs artisans. Alors qu’ils ôtèrent le plâtre recouvrant la fissure de l’arc sud, trois briques tombèrent. Cette fissure faisait environ 2,23 cm de largeur. La présence de clous attestait de restaurations passées et leur courbure originale laissait comprendre que la fissure s’était depuis élargie. Elle remontait très haut verticalement jusqu’aux gouttes de l’architrave. En comparant avec les autres arcs, ils constatèrent également un affaissement sous la corniche, d’environ 5,36 cm. Sur le doubleau de l’arc de Véronique, une fente se prolongeait vers le tambour. Aux deux autres arcs, des fissures, moins importantes, étaient visibles. Ils établirent les différences de niveaux : le pilier de sainte Hélène était le plus élevé, celui de saint André le plus bas, et l’arc de Simon et Jude était désormais le moins élevé des arcs. Ils examinèrent également la fissure du tambour. La « fissure générale » n’était pas oubliée : elle partait du sol du pilier de Véronique, remontait le long de l’autel et s’élevait verticalement jusqu’à la corniche. De cette minutieuse description, Revillas ne tirait pas de conclusions, du moins publiquement.
- 80 Matthiae 1952 : 71.
59La réaction de Revillas avait été soigneusement préparée par la publication d’un mystérieux pamphlet, la Lettera del Signor NN al Signor NN. L’opuscule s’en prenait violemment à l’étude publiée par Sante Santini, en remettant en question la théorie de la poussée horizontale et de l’affaissement des arcs. Cette réponse se référait au Sante Santini « du doute de Revillas » et non au Santini masqué sous son pseudonyme de Diofanio. Un détail capital avait attiré l’attention de l’anonyme observateur : dans le tambour, de petits blocs de travertin étaient sortis de leur logement de plus ou moins une once (1,76 cm), chassés vers l’extérieur. La raison en était que les blocs de travertin n’avaient pas été placés dans la maçonnerie dans le sens qu’il convenait. Le « Signor NN » faisait alors un rapprochement avec les piles des fondations du Palais de la Consulta qui « s’étant dessoudées et détachées en de nombreuses parties parce que le premier bloc de travertin n’avait pas été placé dans le bon sens. Par conséquent tout l’édifice en souffrit ». Lors de ce chantier, conduit une dizaine d’années plus tôt, Fuga avait été confronté à une difficulté technique similaire à celle de la basilique Saint-Pierre : le palais était construit en partie sur les restes des thermes de Constantin et, lors des fondations, on avait rencontré une voie d’eau souterraine. Mais Fuga avait alors commis une erreur manifeste qui nécessita dès 1736 une intervention de renforcement des souterrains, donc quatre ans à peine après le début des travaux80. L’attaque contre le clan des partisans de Fuga était nette et sans appel.
- 81 Sante Santini, Risoluzione di un dubbio… 1743 : vi.
60Cette offensive se dirigeait également vers un usage abusif des autorités : on ne pouvait invoquer la réputation de Michel-Ange pour expliquer des phénomènes techniques. Certes Santini s’était étonné que les contreforts ne fussent plus d’aplomb. Ils étaient désormais inclinés, selon lui vers l’intérieur. Cela ne pouvait provenir selon lui d’un choix architectural : « la position des contreforts avec un fruit intérieur est monstrueuse et contre toutes les lois de l’architecture, science que Michel-Ange maîtrisait »81. La raison résidait donc dans une poussée centripète. L’insolent « Signor NN » se demandait où il était écrit que les contreforts ne pussent être construits en talus et que ceux de la coupole étaient dans les faits inclinés vers l’extérieur, comme il l’avait mesuré. Pour avancer les causes du déversement, il reprenait l’argumentaire de la « fissure générale » qui, depuis Baldinucci, était passée de 1 à 4 doigts de largeur (1,76 à 7,04 cm). Toutes les côtes présentaient des fissures, ce qui absolvait les arcs. Car si ces derniers avaient présenté un défaut, les côtes supportées par les piles n’auraient pas présenté de fissures. Cela ne pouvait donc provenir que du poids du lanternon dont notre auteur suggérait implicitement l’ablation. Mais il réservait « son sentiment particulier sur les dommages de la grande coupole, comme aussi sur le remède qu’il estimerait opportun pour une autre contribution ». Cet écrit, grâce au ciel, ne vit jamais le jour.
- 82 Lettre anonyme reçue par Poleni le 25/04/1744, BNM It. X 304 (6544) ; Lettre de Poleni à Leprotti (...)
- 83 Fantuzzi 1789, VII : 90-93.
- 84 Garms 1974 : 155.
61Qui était donc cet anonyme « Signor NN » qui déclarait avoir effectué les relevés des fissures en compagnie d’un « professeur très expérimenté » ? On mit un certain temps avant de savoir qu’il s’agissait du père Cesareo Pozzi, et encore cette découverte resta confinée à certains cercles82. Le jeune moine olivétain, originaire de Bologne, était le fils du médecin du futur Benoît XIV, alors que celui-ci était encore à Bologne. En mai 1742, à l’âge de 24 ans, il fut nommé professeur de mathématiques remplaçant à La Sapienza, doublant ainsi la chaire de Revillas83. Dans les années 1750, il prit la défense des thèses de l’anatomiste bernois Albrecht von Haller sur l’irritabilité des muscles ; une position qui était loin de rencontrer l’adhésion des scientifiques italiens. Pozzi évolua plus tard vers une carrière plutôt administrative et diplomatique. Celle-ci ne fut pas toujours heureuse, comme en témoigne la mise à l’index espagnol en 1787 de son ouvrage sur l’éducation monastique. On peut donc penser que Revillas, par le truchement de Pozzi, aurait réglé quelques comptes avec Sante Santini. On peut s’étonner par ailleurs que Pozzi écrivit à Bottari, semblant ignorer ses liens avec Fuga, pour connaître son avis sur sa letteraccia stampata84. Après tout, Santini appartenait au cercle philo-janséniste de la Chiesa Nuova. L’explication la plus probable est que Bottari tenta de stimuler toute prise de position, quelle qu’elle fût et quelle que fût la thèse qu’elle défendît, pourvu qu’elle allât à l’encontre de l’exposé des Trois mathématiciens. Et ceci, au prix même de l’abandon de certains membres de son clan.
- 85 Poleni 1748 : § 356-358.
62Dans les semaines qui suivirent la publication du Parere, d’autres réactions apparurent sur la place publique. C’est le cas d’un mystérieux philosophe « exercé à la gymnastique scolastique » qui faisait part de ses « sentiments ». Il s’adressa dans un premier temps à Benoît XIV sous forme de manuscrit. Les partisans des Sentimenti di un filosofo estimèrent bientôt qu’il serait beaucoup plus utile qu’ils fussent diffusés dans le public sous forme d’imprimé. Cette publication, sortie dans la seconde moitié de 1744, montre que le débat s’est prolongé au sein de la Curie, bien après la prise de décision et la réalisation des travaux de restauration. On entrevoit des motivations allant au-delà des questions conjoncturelles. La version imprimée présente quelques différences par rapport au manuscrit, détaillées avec beaucoup de précautions par Poleni85. Malgré le caractère éminemment irrecevable de cet écrit – on le verra dans un instant – celui-ci lui avait accordé une très grande place dans les Memorie. Le philosophe disposait, à n’en point douter, d’appuis dans les plus hautes sphères.
63La composition du volume, qui porte le titre général de Scritture, relève d’une stratégie assez définie : il ne contient pas seulement les « sentiments du philosophe », assez proche semble-t-il du manuscrit de l’année précédente, mais reproduit aussi le Parere, dont le contenu avait été cependant complété par une seconde publication des Trois mathématiciens intervenue entre temps, et un autre texte, le Discorso di Bartolomeo Vanni sopra la stabilità della cupola di Santa Maria del Fiore, contro le false voci sparse in Firenze. L’auteur ne proposait pas seulement une comparaison entre l’analyse des Trois mathématiciens et la sienne, mais également une comparaison entre la situation présente romaine et une polémique qui aurait entouré la coupole de Florence dans les années 1720. Le débat, jusqu’alors proprement technique, se déplaçait alors sur le terrain de l’argumentation conjoncturelle et réflexive.
- 86 Scritture… 1744 : 51.
- 87 Ibid. : 57-58.
64Les Scritture présentaient une longue introduction due à éditeur non moins mystérieux que l’auteur. On y reconnaissait cependant sans peine la main ou la voix de Bottari. Celui-ci ne se contentait pas d’attaquer le Parere mais soulignait les incohérences de Vanvitelli qui, au début « avait déclaré ne plus vouloir monter sur la coupole sans avoir peur, contraint par l’effroi de marcher sur la pointe des pieds » et que pour finir, il « avait généreusement transpercé les seize pilastres de l’attique et tourmenté toute la circonférence sous les contreforts avec une énorme percussion de burins et de marteaux : frapper, secouer, creuser »86. Il dénonçait en outre les Trois mathématiciens et Vanvitelli, unis dans un même projet selon ses dires, qui auraient en réalité pillé les principes rendus publics par Sante Santini un peu plus tôt. Ils se réduisaient à cette idée simple que le mouvement était dû à une poussée horizontale et à un défaut simultané de résistance des contreforts. Les remèdes qu’ils avaient suggérés étaient eux aussi une invention de Santini. Mais la reconstruction des contreforts, la proposition la plus violente, était de leur paternité87.
- 88 Sentimenti di un filosofo dans Scritture… 1745 : 67.
- 89 Poleni 1748 : § 124.
65En ouverture de son discours, le philosophe retrace l’histoire de la basilique, montrant qu’elle a souffert depuis le début et qu’il fut nécessaire à plusieurs reprises de consolider l’existant avant de poursuivre la construction. Les interruptions de chantier exposèrent la maçonnerie aux intempéries et « nous ne devons pas nous étonner qu’en certains endroits, nous trouvions quelque altération, usure ou fente, en somme quelque accident ou, proportionnellement à l’édifice, quelque petite détérioration »88. L’explication des dommages qui causaient alors tant de bruit relevait de causes principalement météorologiques : la chaleur excessive qui « règne à ces hauteurs », l’humidité « primitive » que les matériaux retiennent et qui vient à geler, l’expansion « très violente des vapeurs aqueuses et des humeurs » que la pierre contient, les « ferments salins qui composent les métaux ». Parmi ces causes naturelles, le philosophe n’oubliait évidemment pas les séismes, en particulier celui de 1703, responsable « de l’affaissement d’une colline à Naples ». Certaines analogies, comme l’effet de la foudre étudié à l’aune des expériences de poudre à canon de Vauban, peuvent nous sembler aujourd’hui inopportunes. Cette approche était cependant qualifiée par Poleni, se gardant bien toutefois de citer le philosophe, comme la proposition des « plus doctes explorateurs de la nature […] et permet de mieux se représenter et donc de connaître […] tant l’œuvre de l’art que celle de la nature »89.
- 90 Sentimenti di un filosofo, dans Scritture… 1745 : 72.
66Mais tous les édifices subissent ces outrages, ils présentent des fissures plus ou moins grandes et ne s’en trouvent pas pour autant au bord de l’affaissement. Comment donc déterminer le seuil d’alerte ? Le philosophe propose alors d’élaborer une règle de tolérance. C’est la partie la plus originale et intéressante de sa contribution. Prenant exemple sur une fissure d’une once visible sur un mur du Collège Romain, dévoilant par-là discrètement quelque pan de son environnement quotidien pour sortir de son absolu anonymat, il calcule que la coupole possédant une surface vingt-quatre fois plus grande, elle pourrait tolérer des fissures allant jusqu’à vingt-quatre onces de largeur, c’est-à-dire plus de quarante-deux centimètres ! Et si la fissure du Collège était deux fois plus large – puisque à l’œil nu, on ne peut en déterminer précisément l’amplitude- la coupole pourrait supporter, sans risquer la ruine, des fissures d’une largeur double90. Si la démarche de fixer des seuils de tolérance dans l’architecture est neuve et serait, dans les siècles qui suivirent, destinée à un grand développement, le procédé de calcul pouvait laisser quelque peu songeur.
- 91 Ibid. : 129.
- 92 Sentimenti di un filosofo, dans Scritture… 1745 : 158.
67L’opposition se situait en réalité sur le terrain du calcul et de la place qu’il devait occuper en général dans l’architecture. Le philosophe niait en bloc la conclusion des Trois mathématiciens qui tendait à démontrer, par le calcul, l’existence d’une poussée horizontale. S’il reconnaissait leur précision et leur habilité dans cette démarche, il estimait son emploi non seulement inutile mais nuisible pour la construction. Il préférait s’en tenir à une explication « péripatétique [c’est-à-dire aristotélicienne], plus subtile, ou plus claire à la mode cartésienne ou atomiste, ou plus véritablement encore avec des éclaircissements et des idées issus de ces trois écoles »91. Il construisait une réfutation de leur exposé sur la forme, cherchant les contradictions des prémisses et traquant les contradictions. Mais sa motivation première apparaissait clairement. Comment les architectes ayant construit la coupole, « bien pourvus des préceptes de leur art mais ignorant les équations de premier et de sixième degré »92, avaient-ils pu parvenir à ce spectaculaire résultat ? Toute cette science moderne, plaquée sur un objet ancien, était purement et simplement inutile. Cette position réactionnaire allait de pair avec une vision actuelle des arts qui les dépouillait de leurs questionnements techniques pour les intégrer au nouveau paradigme des beaux-arts :
- 93 Ibid. : 163.
nulle part on ne peut lire que Brunelleschi ait étudié les mathématiques mais que, appliqué à la grammaire, il consacrait tout son temps libre au dessin […] Dans l’école de Ghirlandaio, on n’expliquait pas les points les plus obscurs des mathématiques et en particulier de la mécanique : le maître de Buonarotti, destiné par la providence à un futur miracle d’architecture, ne lui soumettait pas ces beaux problèmes de la courbe isochrone et de l’isochrone paracentrique proposés par Leibniz et résolus l’un par Jacques Bernoulli, l’autre par Varignon […] : c’est le dessin et non les mathématiques que Ghirlandaio enseignait à son jeune disciple Buonarotti93.
68La démonstration est habile, puisqu’elle va puiser chez Bellori, donc dans les années 1670, l’origine de cette conception du domaine des arts. Celui-ci avait en effet lancé la légende que Domenico Fontana aurait déplacé l’obélisque vatican,
grâce à ces principes particuliers sur lesquels les purs praticiens ont l’habitude de fonder leurs théories. Il put procéder avec assurance, sans consulter les principes plus généraux que la mécanique si chère aux mathématiciens d’aujourd’hui met en œuvre pour déduire les effets les plus composés des raisons universelles les plus simples.
69Et de reprendre la même source pour attribuer à Bernin une aversion aux mathématiques : on peut être bon architecte sans être bon mathématicien. Il exprime son horreur pour les affirmations de Christian Wolff qui attribuait aux mathématiques la régence de toutes les sciences naturelles. Mais de manière plus conjoncturelle, il s’oppose « aux newtoniens qui, plus que les autres mathématiciens aujourd’hui, s’arrogent le droit supérieur de décider sans appel dans la physique : cette secte est intolérable plus que tout autre aux bons philosophes ».
- 94 Sentimenti di un filosofo, dans Scritture… 1745 : 96.
70Malgré ces condamnations au ton dogmatique, le philosophe conclue à l’innocuité de la situation. La coupole n’étant pas en péril, ses recommandations étaient plutôt légères : il convenait de stuquer les fissures dans les règles de l’art, de « bien souder les blessures et pas seulement les couvrir »94. Il ne s’opposait pas à la pose de cercles, mais laissait le soin aux architectes de décider. Il privilégiait cependant des cercles extérieurs qui « ne seraient pas visibles depuis la grand place ».
- 95 Di Teodoro 2011 : 159.
71Les Scritture avaient été publiées par Giovanni Lami, l’éditeur florentin des Novelle Letterarie, indispensable relais local de Giovanni Bottari dans sa stratégie de mainmise sur la politique culturelle italienne et philo-janséniste lui aussi. Mais qui avait financé cette publication de plus de deux cents pages ? Des rumeurs assez informées désignaient le cardinal Neri Corsini, ce qui ne devait guère surprendre lorsqu’il s’agissait de soutenir une entreprise de Bottari. Mais on avançait également le nom d’Annibale Albani, préfet de la fabrique95.
- 96 BAV, Cicognara V-3849, int. 2, doc 14.
72Début avril 1743, Sante Santini écrivit innocemment à Bottari pour démasquer le « philosophe » qui, à cette époque, n’avait exprimé son opinion qu’à travers le manuscrit. Il s’agissait selon lui du jésuite Giovanni Battista Faure, un enseignant mais non titulaire du Collège Romain96. Plus intéressant encore, il lui signalait celui qui lui semblait être le commanditaire : celui-ci n’était autre que le cardinal Passionei, le secrétaire des brefs, un grand lettré certes, mais jésuitophobe névrotique et en relation conflictuelle avec le pape. Passionei, malgré ou grâce aux sentiments qui l’animaient à l’égard de la Compagnie, aurait alors trouvé un terrain favorable à un affrontement fratricide entre deux pères jésuites. Faure et Boscovich étaient clairement, définitivement opposés sur les plans institutionnel et intellectuel.
73Quelle que fût l’origine exacte des fonds, Bottari était parvenu à coaliser autour d’une question technique le parti de l’appareil d’état le plus hostile à Benoît XIV : Albani, progressivement dépossédé de ses prérogatives et Passionei, reprochant au pape son indulgence à l’égard des Jésuites.
- 97 Garcia Villoslada 1954 : 323, 325, 328, 331, 333.
- 98 Chracas, 7/09/1743, p. 3.
74Au collège romain, Faure avait assuré la chaire de logique en 1738-39, puis enchaîna sur celle de physique l’année suivante et passa enfin sur celle de métaphysique en 1740-41. Une polyvalence qui dénotait une certaine instabilité. En outre, il n’était pas parvenu à se maintenir sur ce poste et devrait attendre 1748 avant de retrouver une chaire de professeur, cette fois en controverses, un domaine qui convenait parfaitement à son esprit pugnace97. Pour sa part, Boscovich, nommé très jeune sur la chaire de mathesis, était fermement attaché à cette fonction qu’il occupa pendant vingt années, à l’exception d’une interruption entre 1750 et 1752. La formulation de la lettre de Sante Santini laisse à penser que Faure aurait assuré un enseignement de mathématiques, sans toutefois détenir la chaire qui avait été donc attribuée à Boscovich. En outre, après son éviction en 1741, Faure aurait aussi assuré un enseignement d’histoire, mais là encore sans disposer de chaire. En 1743, il animait au sein du Collège Romain une académie qui débattait « d’histoire ecclésiastique, de la sphère, de géographie et des antiquités », mais celle-ci ne jouissait naturellement pas d’un prestige équivalent à celui d’une chaire98. Une certaine rivalité institutionnelle séparait donc les deux hommes.
- 99 G.B. Faure, Opuscolo anti-newtoniano, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, MS 10393-10396.
75Sur le plan intellectuel, la présentation des Sentimenti di un filosofo a suffi à montrer l’attachement de Faure à une mécanique héritière de la philosophie naturelle. Ses critiques pour ce qu’il appelait « le calcul selon les méthodes modernes » étaient plus structurées : il avait développé ses théories dans un Opuscolo anti-newtoniano, d’une concision qui s’étendait sur quatre volumes, resté manuscrit99. Isolé dans cette position, du moins au sein des lettrés qui prirent part à la polémique romaine, son anti-newtonianisme visait un grand nombre d’entre eux. Mais la reconnaissance pontificale à laquelle les Trois mathématiciens avaient accédé, du moins au début de l’année 1743, fît qu’il se concentra tout entier sur leurs personnes.
- 100 BAV, Cicognara V-3849, int. 2, doc 14.
- 101 18/09/1744, n° 38, col. 595-597.
- 102 Poleni 1748 : § 475. Voir cependant les Novelle letterarie de Florence (1744, p. 595) et les Novel (...)
- 103 BAV, Cicognara V-3849, int. 7, doc 5.
- 104 Di Teodoro 2011 : 151-177.
76Un fois le secret de leur auteur dévoilé, les Sentimenti furent considérés par le Collège Romain si hostiles à Boscovich que Faure faillît en être renvoyé et Passionei dut faire savoir au recteur qu’ils avait été composés sur son ordre100. Les Scritture de 1744 seraient elles aussi publiées anonymement. Mais les Novelle Letterarie firent immédiatement connaître une rumeur sur l’identité de leur auteur, laissant planer un doute d’une évidente mauvaise foi : « qui qu’en [soit l’auteur] en vérité, il n’épargne point son docte compagnon le père Boscovich et les deux autres savants mathématiciens minimes »101. Le périodique florentin ne faisait cependant pas état du fait que, contrairement à ce qui est indiqué sur le frontispice de l’ouvrage, il n’avait pas été imprimé à Venise mais à Florence, où Bottari disposait de nombreux soutiens, notamment dans le monde de l’édition. C’est un journal vénitien qui le dévoila en 1746, comme le rapporterait Poleni102. D’une configuration qui mettait en relation Passionei et Faure pour la rédaction du premier manuscrit, le cercle des soutiens s’était élargi pour la version imprimée. Le discours de Vanni sur le dôme de Florence s’opposait vigoureusement au cerclage des coupoles : Bottari soutenait la même position pour Saint-Pierre. En outre, le manuscrit employé pour les Scritture se trouve dans le dossier de documents variés que Bottari constitua sur l’affaire de la coupole103. Mieux encore, dans les archives florentines, on ne trouve guère trace de ce manuscrit, ni même de la mystérieuse polémique de 1720104…
- 105 Lettre de Faure à Bottari du 29/08/1749, Biblioteca Corsiniana, Carteggio Bottari, 32G2, fol. 30. (...)
- 106 Lettre de Vanvitelli du 5/10/1754, cit. dans Vanvitelli Jr 1976 : 130.
77On peut s’interroger à présent sur la pernicieuse relation qui unissait Faure et Bottari. Le polémiste, dans les années quarante, n’avait pas encore mis en œuvre la puissante et violente offensive antijanséniste à laquelle il se livrerait dans la décennie suivante. Alors qu’il accéda à la chaire de controverses, Faure demandait encore l’assentiment de Bottari sur le programme de son cours105. Il se souciait même de l’opinion de Foggini. Une alliance contre nature se dessinait manifestement. Faure aspirait au soutien discret des jansénistes qu’il pouvait ponctuellement utiliser contre certains pères de la compagnie, en particulier ceux qui constituaient des obstacles personnels au sein du Collège. D’un autre côté, Bottari et Foggini trouvaient dans le virulent outsider le moyen de miner de l’intérieur l’appareil jésuite d’enseignement et la reconnaissance publique dont les Jésuites jouissaient à travers des interventions comme l’expertise sur la coupole. Il est cependant difficile de penser que Bottari ait été à l’origine des Sentimenti di un filosofo. À cette époque, Bottari et Passionei n’étaient pas dans l’étroit rapport qui leur permettrait plus tard d’animer avec succès les cercles jansénistes romains. Mais leurs intérêts s’étaient croisés avec bonheur pour l’affaire de la coupole. Pour quelle autre raison devait-on sinon publier en 1744 une attaque en règle contre le Parere des mathématiciens, alors que celui-ci n’était plus d’actualité et que l’association entre Poleni et Vanvitelli avait été préférée ? Vanvitelli lui-même ne manquerait pas de se plaindre de « Faure qui est toute la journée dans les pieds de Bottari et qui est l’un des anti-coupoles (anticupolai) »106.
Trois rapports sur commande : Poleni, Manfredi et les Napolitains
- 107 AFSP, Arm. 43, D, 84, f. 42.
- 108 BSNSP, XXX-A-6, fol. 219r.
78Les rapports commandés à Bologne, à Padoue et à Naples mirent quelques mois avant d’atteindre Rome. La maquette qui devait servir de référence au pape avait quitté le Quirinal le 4 mars pour rejoindre le Vatican107. La fabrique reprenait la main sur la direction des opérations. Poleni envoya son rapport en premier, le 21 mars, c’était aussi le plus détaillé des trois, Manfredi suivit le 24 avril et enfin, les Napolitains le 29 avril. Mais pourquoi le pape fit-il mettre ces documents sous clé, dès leur arrivée à Rome, à l’abri des regards malveillants108 ?
- 109 Voir une présentation générale des Riflessioni de Poleni dans Gema Lopez 2006 : 1957-1979.
79Les Riflessioni de Poleni constituent une évaluation à double niveau, présentée en 83 chapitres clairs et intenses109. Sur la base de deux documents, le Parere et le Doute du père Revillas, il cherche à construire sa propre compréhension du problème et décrit ses solutions. Parallèlement, il exprime un jugement très argumenté et sévère tant sur l’analyse fournie par les Trois mathématiciens que celle de Sante Santini. Dans son manuscrit, il accorde aux deux documents une importance assez comparable. Mais l’exercice est rendu périlleux par les nombreux manques et imprécisions qu’il détermine dans la description des dommages. En particulier, il regrette l’absence d’un dessin historique des fissures, montrant leur évolution diachronique, pour autant qu’elle soit documentée.
- 110 BNM, It. IV 658 (5519), fol. 5.
80Poleni ne s’était encore personnellement jamais rendu à Rome et ne connaissait la basilique Saint-Pierre que par les différents ouvrages qu’il pouvait consulter, les grands classiques auxquels chacun avait recours. Il s’agissait pour lui, « en s’appuyant sur des considérations concernant la constitution de l’édifice, de former quelques conjectures probables »110. Il en resterait donc à l’examen d’une situation qui n’était pour lui guère plus qu’un objet théorique. Pour mieux comprendre le phénomène, Poleni réalisa une maquette de la coupole. Sur quelles informations s’est-il fondé, nous l’ignorons, vraisemblablement celles issues du Fontana. Il est intéressant de noter que cette démarche ne pouvait être expérimentale, en l’absence d’un nombre suffisant de données disponibles sur la réalité actuelle de la coupole, mais elle possédait une vertu de visualisation des théories.
- 111 BNM, It. IV 658 (5519), fol. 33.
81Il ne « pouvait s’engager à établir le système [des Trois mathématiciens] comme vrai » et procédait par une vérification logique des preuves avancées. Si la rupture avait eu lieu à la naissance des reins, comme ils le croient, elle présenterait d’importantes fissures horizontales sur les voiles. Les fissures verticales partiraient de la base du tambour et se poursuivraient jusqu’au col du lanternon, elles seraient plus larges à l’imposte et s’amenuiseraient tant vers le haut que vers le bas, enfin, la coupole serait en cet endroit évasée. Les Trois mathématiciens ne faisant pas état d’une telle situation, il est par conséquent impossible qu’elle se soit fracturée en deux parties restées solidaires. Les images auxquelles ils eurent recours ne lui semblaient pas appropriées. Sur le plan méthodologique, Poleni considérait irrecevable l’analogie entre la coupole et le bâton suggérée : celui-ci étant solidaire, ce qui ne peut être le cas de la maçonnerie. En outre, une ligne et une courbe ne sont pas de même nature. La présence d’un problème dans les piles, écarté d’emblée par les Trois mathématiciens, ne lui semblait pas si négligeable. L’absence de découverte en ce lieu ne signifiait pas qu’elles fussent indemnes. Pour autant, il accordait un crédit limité à Sante Santini « dont on ne peut retirer une conclusion profitable […] si on y réfléchit avec attention »111.
82Sans même avoir visité la coupole, rappelons-le, Poleni égrainait une série de mesures de préservation : réparer les fissures en agrafant les blocs de travertin disjoints, en comblant à l’occasion les interstices par de petites pierres taillées sur mesure, enrobées d’un solide mortier. L’intervention sur le tambour lui paraissait moins urgente mais nécessaire. Il constatait dans ce cas un accord entre les Trois mathématiciens et Sante Santini sur le recours à un chaînage. Il y souscrivait également, sur le principe. Quatre cercles étaient selon lui souhaitables : un situé au cercle inférieur du tambour (entre la voûte du corridor et la base des contreforts), un second à la base extérieure de l’attique, un troisième à l’imposte (à l’extérieur, l’intérieur étant supposé être maintenu par les chaînages d’origine) et un dernier venant serrer le col du lanternon. Pour les contreforts, une simple restauration lui semblait suffisante, repoussant les complexes et pesants systèmes d’armatures proposés mais aussi les statues de contrebalancement évoquées. La proposition avait l’avantage d’une grande modération, en comparaison avec celle des Trois mathématiciens. Les emplacements de ces chaînages n’en étaient pas moins déterminés de manière empirique et ne provenaient d’aucun calcul. Aussi selon Poleni, aucun calcul ne pouvait les déterminer.
- 112 BNM, It. IV 658 (5519), fol. 2.
- 113 Ibid., fol. 28.
83Il fallait en effet pour lui distinguer l’analyse du diagnostic. Les critiques adressées au rôle que les mathématiques pouvaient jouer – elles avaient pris corps dans l’opinion – ne sont pas absentes de son esprit. Il réaffirme que « l’architecture s’est élevée en s’associant aux sciences mécaniques et à la sublime géométrie »112. Au moment de tirer ses conclusions, il déclare « qu’il ne se servirait des mathématiques que dans la mesure où elles soutiennent les choses entourant la théorie de la gravitation. Je suis persuadé que l’on peut faire grand usage des mathématiques pour l’architecture destinée à construire les édifices »113. Cette affirmation pose en réalité question, car dans le cas présent, il s’agit non d’une construction mais d’une restauration.
- 114 Benvenuto 1991 : II, 326-331 ; Kurrer 2002 : 141-143.
84Suivant ces principes, Poleni introduisit dans le débat architectural un nouvel outil d’analyse, celui de la chaînette ou caténaire, une courbe plane non algébrique : elle prend la forme d’une chaîne, composée d’éléments au poids constant, suspendue en ses deux extrémités. A la fin du XVIIe siècle, la question de la chaînette était devenue un thème populaire en physique et de nombreux physiciens avaient contribué à son étude : Leibniz, Huygens, les frères Bernoulli, une partie de l’Europe scientifique travaillait à la résolution de ce problème suggéré par Galilée. C’est en Grande-Bretagne que l’on avait envisagé l’application de cette théorie à la construction114. Depuis longtemps, on recherchait la forme courbe idéale, géométriquement dessinable, dans laquelle toutes les forces s’équilibreraient. David Gregory, un mathématicien écossais proche de Newton, montra en 1697 le lien entre la chaînette et un arc aux murs tenus. La même force s’appliquant lors du renversement de cette courbe, le modèle était applicable dans la construction. C’est à travers le canal des publications britanniques, les Philosophical Transactions, dans lesquelles Gregory avait publié ses travaux mais aussi l’ouvrage de James Stirling sorti en 1717, un autre écossais, sur les courbes de troisième degré plat de Newton, que Poleni avait été informé de ces recherches. Entre 1717 et 1722, Stirling était résident à Venise et effectua plusieurs séjours à l’université de Padoue, où il était évidemment en relation avec Poleni. C’est donc ce contact personnel qui suggéra à Poleni l’emploi de cette théorie pour l’architecture, témoignant sûrement de l’usage que Christopher Wren en aurait fait pour le calcul de la courbure de Saint-Paul de Londres en 1702.
85En développant la théorie de la chaînette dans les Riflessioni, Poleni prend conscience de s’éloigner du sujet imposé. Si la chaînette se montre utile pour les projets de coupoles, son emploi dans une restauration paraît plus délicat. On ne peut alors que procéder par analogie et non par analyse. Dans les Memorie, il s’emploierait à résoudre cette contradiction, montrant comment cette théorie pouvait néanmoins servir de guide. Pour le moment, il se contentait de contester les outils employés par les Trois mathématiciens pour calculer le point de renversement de la coupole. S’il reconnaissait leur mérite dans l’établissement de la masse de l’édifice, qui curieusement n’est pas moins arbitraire, il pensait qu’il n’était pas possible de déterminer les forces en présence géométriquement.
- 115 BAV, Cicognara V-3849, int. 7, doc 11.
- 116 BAV, Cicognara V-3849, int. 2, doc 10.
- 117 BNM, It. IV 666 (5527), non fol. [p. 2].
86Le doute sur un éventuel calcul des forces traversait également le second rapport, commandé au bolonais Manfredi. Il avait travaillé avec le Parere et le texte de Sante Santini mais disposait également de celui de Cosatti ainsi que des Riflessioni. Il déclarait cependant en privé n’avoir fait guère usage des deux derniers, faute de temps115. Manfredi « a toujours pensé que l’écrit des trois mathématiciens ne suffit pas à donner les fondements pour qu’un galant homme exprime son opinion sur la coupole »116 et rédige toute sa réflexion sur le mode conditionnel de l’hypothèse. Cependant, il annonce d’emblée « ne pouvoir souscrire apaisé à aucune » des déclarations reçues « concernant les causes des dommages de la coupole »117. Avant tout, il fait part de ses incompréhensions sur les systèmes de forces proposés. La fissure qui provient du sol vers l’autel de Simon et Jude, parcourant tout le bras sud du transept pourrait-elle être la cause de celle visible au-dessus du pilier de Véronique ? Il ne comprend pas comment ces deux corps de fabrique ont pu avoir une si grande influence réciproque. Cette pensée, provenant d’une formulation ambiguë du Parere, avait été soutenue par Brunetti et Revillas. Manfredi disposait donc sûrement de plus d’informations qu’il ne le déclarait officiellement.
87Poursuivant le raisonnement de Santini, Manfredi aimerait savoir si les voiles et les côtes de la coupole correspondant aux arcs endommagés présentent elles aussi des fissures. Selon lui, la rupture entre l’arc et l’architrave est due au poids de ce dernier et aux charges plus lointaines ayant cheminé jusqu’à l’arc. Si le tambour avait opéré une rotation, comme le disent les Trois mathématiciens, alors les charges ne seraient plus distribuées sur les piles et auraient entraîné des fissures sur les arcs.
88Mais d’où vient alors le déséquilibre des forces ? Pour Manfredi, le lanternon a pu servir la cohésion de la structure dans le cas de la coupole de Florence, en revanche, dans celui de Saint-Pierre, il a contribué à la surcharge comprimant la base du tambour. Si cette charge avait entraîné un déplacement horizontal de la coupole sur son support, comme on le lit dans le Parere, alors l’attique devrait être touché à son point de contact avec le tambour. Or les descriptions fournies n’en font pas état, même si une éventuelle fissure enfouie dans la maçonnerie peut ne pas avoir été décelée. Par conséquent, il est important de ressouder les parties intérieures et extérieures du tambour.
- 118 BNM, It. IV 666 (5527), non fol. [p. 16].
89Quand bien même de larges zones d’ombres subsistent dans la description, Manfredi estime que « le mal continue à s’accroître […, qu’il convient] de consacrer la recherche à empêcher la dissociation plus grande des parties entre elles » et fournit à cette fin un catalogue de mesures à envisager118. Il souscrit aux chaînages « proposés par les Trois mathématiciens et approuvés par le congrès ». Ces « cercles de fer tendent à procurer solidité et indissolubilité à la coupole en elle-même ». Le cerclage de l’imposte est nécessaire, celui que l’on placerait au milieu de la coupole, enserrant les côtes, salutaire, un autre au col du lanternon (au sommet de la coque interne), louable. On pourrait éviter d’en placer un dans le couloir du tambour, seulement si l’on s’est assuré que la base ne s’est pas déportée. Si c’est le cas, le remède suggéré par les Trois mathématiciens, consistant à placer un cercle à l’intérieur du couloir, relié à un second extérieur, ne pourrait qu’accélérer le renversement de cette partie déjà engagé. Enfin, les contreforts devraient être prolongés jusqu’à s’élever le long de l’attique et contribuer de façon plus décisive au maintien de la structure.
- 119 BSNSP, XXX-A-6 (n° 18), fol. 211r.
- 120 Ibid., fol. 219r.
90Dans sa correspondance avec Bottari, Manfredi avait déjà dévoilé quelques arguments généraux : il n’est pas nécessaire, pour toutes les coupoles, de respecter un équilibre des forces ; les coupoles en plein cintre, comme celles de Saint-Pierre et de Florence, tirent leur stabilité de la présence du lanternon119. Le clan du Burchiello étendit immédiatement ces arguments généraux au cas de la coupole de Saint-Pierre sans autre forme de procès. Lorsque le rapport de Manfredi arriva à Rome, les bottariens imaginaient que son contenu était assez différent. Ils commencèrent à faire savoir que Manfredi considérait « les cercles de fer comme nuisibles, à l’exception d’un seul, peut-être »120. Or si celui-ci ne partageait pas l’analyse des causes des dommages, les remèdes préconisés n’étaient pas si éloignés de ceux des Trois mathématiciens. Quoi qu’il en soit, l’intervention était conséquente : un appareillage de trois cercles au moins, une modification substantielle des contreforts et des doutes sur un maintien du lanternon. Nous étions bien loin du non-interventionnisme prôné par Bottari.
- 121 BSNSP, XXX-A-6, fol. 224r-226r.
- 122 Voir les documents BSNSP, XXX-A-6 (n° 18), fol. 210-227.
- 123 BNM, It. IV 667 (5528), § 1.
- 124 Ibid., § 4.
91Les Napolitains, par l’intermédiaire de Galiani, avaient eux aussi reçu de fréquentes lettres de Bottari. Celui-ci leur avait naturellement fourni le discours qu’il avait rédigé pour le congrès121. Di Costanzo, qui appartenait au même clan, les avait également abreuvés d’informations non dénuées de suggestions122. Le début du rapport qu’ils envoyèrent semblait cependant ne pas aller dans leur sens : « nous nous sommes finalement convaincus que la renommée des dommages de cette coupole qui fut ici et là divulguée n’était pas une pure et simple chimère comme certains étaient conduits à le croire »123. Afin de rechercher les causes de ces mouvements, deux méthodes selon eux pouvaient être utilisées. La première est spéculative, elle recourt à la « géométrie la plus fine » pour déterminer les forces puis, dans un second temps, au moyen de « théorèmes géométriques et mécaniques », elle mesure les forces contraires et compare enfin les deux. C’est la méthode employée par les Trois mathématiciens. Si elle est intellectuellement très satisfaisante, car elle parvient à une mesure chiffrée de l’accident, il « est impossible de la réduire en pratique ». En effet, on ne peut déterminer le poids réel des matériaux employés pour construire la coupole. Les calculs auxquels ils parviennent sur la base d’informations extrapolées « s’ils ne sont pas fallacieux […] doivent être vus comme suspects et douteux ». Les Napolitains pointent en outre un manque portant sur le temps auquel ces calculs se réfèrent : les forces sont-elles évaluées sur la coupole telle qu’elle dût être construite ou après qu’elle présentât déjà la fissure in orbem du plafond du corridor et la détérioration des contreforts ? Mais d’un simple point de vue logique, « la supposition est extravagante et dénuée de fondements »124. En effet, le rapport qu’ils exposent de neuf millions de livres de poussées contredites par quelques maigres six millions « aurait produit un renversement en une minute ».
- 125 BNM, It. IV 667 (5528), § 7.
92La seconde méthode est « purement expérimentale et se fonde sur l’observation ». Elle est moins « ingénieuse » que la première, mais sans aucun doute plus assurée. Elle consiste en premier à établir une description exacte des fissures, consignée dans un registre spécifique. Sur la forme que ces descriptions doivent observer et quelle part le dessin doit y tenir, ils ne livrent aucune indication. Après « un an ou deux », il s’agit de comparer l’évolution des fissures afin d’engager une éventuelle intervention. Cette proposition n’est évidemment valable que dans le cas où l’état de la coupole ne présente pas un danger urgent. Quant à savoir si la ruine est imminente – ce qui leur semble raisonnable- il leur est impossible de le déterminer. Non seulement, ils sont éloignés de Rome et ils n’ont « que peu ou point de pratique de ces choses »125.
- 126 BSNSP, XXX-A-6, fol. 220r.
- 127 BSNSP, XXX-A-7, fol. 193r-194v.
- 128 BNM, It. IV 667 (5528), § 14.
93Si l’argumentaire napolitain contre le raisonnement du Parere égrainait des remarques de bon sens dont il n’était pas nécessaire d’être mathématicien pour se saisir, les propositions de restauration provenaient pour partie des suggestions de Bottari. Di Costanzo leur avait signifié que le remède des cercles de fer « constituerait un grand tourment […] et qu’on ne peut l’appliquer sans danger et sans crainte qu’il ne fasse plus de mal que de bien »126. Ils l’écartaient eux aussi. Pour Bottari, rapportant les positions d’architectes qu’il ne nomme pas, seules deux solutions pouvaient être discutées : « soit stuquer dans les règles de l’art les fissures et attendre un an […], soit démolir et refabriquer les contreforts, les réunir et les assainir avec un cercle de fer qui les entourerait, les attachant plus étroitement au corps de la coupole. Tous les autres projets ne sont pas d’un grand poids »127. Les Napolitains se ralliaient à la proposition de Bottari de poser des témoins, mais envisageaient une éventualité beaucoup plus radicale : « nous ne pourrons éviter de dire qu’il faudra démolir complètement le lanternon (bien qu’on ôterait alors à l’édifice son principal, plus encore, son meilleur ornement) et le remplacer par un lanternon en bois »128.
Le voyage de Poleni à Rome et son second rapport
- 129 Lambertini 2011 : 50-51.
- 130 Boccolari 1782 : 88-148.
- 131 Nuova esattissima descrizione… 1792 : 37-38.
- 132 ASSM, A-1114-8, fol. 9.
94Dès l’arrivée de l’étude de Poleni, le pape prit la décision de l’inviter à Rome « afin – selon ses propres mots – qu’il confirme ou qu’il rétracte son écrit »129. Les hypothèses du marquis devaient être vérifiées par l’observation. Le 30 mars, un bref quittait le Palais pour signifier cette invitation. Le 13 avril, le sénat de Venise, à la demande du nonce, donnait à Poleni l’ordre de répondre à ce commandement. Et le 20, le mathématicien et son équipe étaient sur la route. Le voyage dura deux semaines et fut ponctué de vingt-quatre étapes : Rovigo, Bologne, Rimini, Ancône, Lorete, Terni… La route choisie n’était pas vraiment la plus directe, celle que les postes employaient habituellement. Prétendant éviter la traversée des Apennins, on contournait la Toscane, préférant la route de la côte. En échappant aux griffes des milieux bottariens à Florence, Poleni observait aussi un itinéraire recommandé par les guides130. Ils suivirent la route du courrier de Venise dite la « route du Furlo », du nom du tunnel creusé par l’empereur Vespasien sur la via Flaminia près de Fossombrone131. Mais au lieu de rentrer dans les terres à Fano et traverser ce chef d’œuvre de l’ingénierie civile de l’Antiquité, ils poursuivirent leur chemin le long de la côte. Poleni voulait en effet se rendre à Ancône132. Ce sont les ouvrages de Vanvitelli qui animaient sa curiosité dans la capitale de la Marche : le Lazaret, un immense pentagone édifié sur une île artificielle au milieu du port et l’église des Jésuites qui présente une extravagante façade.
- 133 Chracas 11/5/1743, n.4023, p. 3.
95À leur arrivée à Rome, le samedi 4 mai, ils se rendirent à la Locanda del Monte d’Oro, place d’Espagne, dont Charles de Brosse disait qu’elle était la meilleure pour les étrangers, sinon la seule. Mais la nouvelle s’étant répandue en ville, le cardinal Carlo Rezzonico, qui n’était pas éloigné du camerlingue et préfet de la fabrique Albani, le fit chercher afin de lui offrir l’hospitalité133.
- 134 BNM, It. IV 676 (5537), fol. 10r ; 15.
- 135 Ercolani 1763 : 27.
- 136 Renazzi 1806 : IV, 316-318.
96Poleni avait soigneusement préparé son séjour, en établissant une liste des personnes qu’il souhaitait rencontrer afin de connaître leurs vues sur la coupole. Elle comprenait une quarantaine de noms134. Parmi eux, les officiels que nous connaissons déjà : les frères Annibale et Alessandro Albani, Rezzonico, le secrétaire d’état Silvio Valenti, puis Olivieri, Leprotti, Livizzani. On y rencontre beaucoup de savants comme Giuseppe Bianchini et surtout d’architectes : Theodoli, qui avait été à l’initiative de la pétition pour Vanvitelli, puis Barigioni, Fuga et d’autres moins célèbres comme le cartographe et architecte Giuseppe Maria Ercolani, lyrique berger arcadien et par ailleurs ardent défenseur du lanternon de la coupole135. Ce prélat réunissait dans son palais de la place de l’horloge une docte assemblée, l’Académie des Inféconds qui distillait la poésie et la politique à deux pas du cercle janséniste de la Chiesa Nuova136. Parmi les personnes à contacter, on trouvait aussi le conte Niccola Soderini, célèbre défenseur de la peinture de Marco Benefial, le carmélite Pietro Tommaso Cacciari, professeur à Propaganda Fide, familier du Palais Corsini et proche de Bottari sans toutefois être janséniste ou Giovanni Molino, l’auditeur de la Rote pour la République de Venise et encore l’abbé Ridolfino Venuti, un savant versé dans l’épigraphie, qui évoluait dans l’entourage des Albani. On le voit, toute Rome allait pouvoir s’exprimer sur l’état de la coupole. Naturellement, Boscovich et les deux pères minimes y figuraient, sans oublier l’inévitable Bottari.
- 137 BNM, It. IV 676 (5537), fol. 7r.
97Le marquis Poleni, bien qu’il fût l’un des plus profonds connaisseurs de la science vitruvienne, ne s’était jamais rendu à Rome. Il connaissait Paris mais pas le sud de l’Italie ; un signe assez clair de sa géographie intellectuelle. La mission qu’on lui confiait sur la coupole de Saint-Pierre était donc doublée d’un intense programme de visites qu’il prépara avec sa discipline habituelle137. Nombreux sont les lieux qu’il voulait connaître de ses yeux. Il n’était pas question de faire le tour des sept églises. Parmi les sites de la Rome antique, il voulait se rendre du Colisée aux thermes de Dioclétien, du Panthéon à tous les arcs de triomphe du Forum, en passant par le taureau Farnese, alors en sursis de déportation à Naples ou les « deux grands cailloux » dans le jardin du Palais Colonna. Il y avait aussi les anciens aqueducs à proximité de Saint-Jean-de-Latran. Parmi les modernes, il ne manquait pas les grands classiques : le Capitole « intérieur et extérieur », le collège romain, les fontaines de la place Navone et Sainte-Agnès, Sant’Andrea delle Fratte. Il voulait voir Bernin et Borromini. La Renaissance attirait aussi son attention : le palais de la chancellerie, le palais Farnese et la Madonne de Lorete. Parmi les contemporains, le Latran et Sainte-Marie-Majeure. L’immense coupole de Sant’Andrea della Valle, édifiée par Maderno et celle de Pierre de Cortone à San Carlo al Corso, étaient immanquablement au programme.
- 138 Poleni 1740 : § 242.
- 139 Lambertini 2011 : 122-123.
98On peut se demander s’il eut l’occasion de réaliser toutes ces visites, tant son agenda était chargé : plus d’une dizaine d’entretiens par jour, durant les trois premières semaines de ce séjour qui s’acheva le 19 juin138. Benoît XIV chercha même à l’employer à quelque autre expertise sur les débordements du Tibre, ce qu’il déclina cependant139.
99Dès le dimanche, Leprotti lui rendit visite. Comme il avait été autorisé par le Sénat à accomplir ce voyage, ses premiers hommages furent pour l’ambassadeur de Venise. La visite revêtait un certain caractère officiel et Poleni représentait la science vénitienne qui se devait d’exhiber quelques traits de caractères différents de celle que l’on pratiquait à Rome. Il rencontra aussi Silvio Valenti et Colonna, le majordome. Parmi les visiteurs de l’après-midi, Boscovich se présenta. Enfin, il visita la basilique en compagnie de Bottari. Dès le premier jour, Poleni avait donc rencontré tous les partis. Mais il n’avait encore vu aucun architecte.
- 140 ASSM, A-1114-8, fol. 8.
- 141 Poleni 1748 : § 440.
100Le lundi, il discuta avec Olivieri de la possibilité de se faire accompagner par Vanvitelli dans ses examens de la coupole. Grâce aux ouvrages qu’il avait vus à Ancône, Poleni semblait rassuré sur ses capacités. Vanvitelli n’était cependant pas en ville, « dégoûté », selon le mot de ses adeptes, par les abominables calomnies qui pesaient sur lui, préférant se retirer à Civitavecchia où il dirigeait le chantier de restauration de l’aqueduc140. Sur l’ordre du pape, il revint cependant incontinent dès le mercredi et prit part, en compagnie d’Olivieri, aux nombreuses visites que Poleni effectua sur la coupole lors de son séjour141. Lors de certaines d’entre elles, Colonna, qui jusqu’alors se reposait entièrement sur Olivieri pour cette question, se joignit à eux.
- 142 Gennari 1839 : 45. Voir les demandes de passeports dans le MS de la BNM, It. X 312 (6552), fol. 87
- 143 Poleni 1748 : § 234.
101Les visiteurs se succédèrent aux pieds de Poleni : Olivieri lui présenta les deux pères de la Trinité-des-Monts, Sante Santini faisait antichambre dès les premiers jours, nombreux furent ceux qui tenaient à lui faire part de leur sentiment. Pour répondre à ces sollicitations et accomplir dans le même temps les examens qui donnèrent lieu à la rédaction de protocoles de travail, Poleni n’était pas seul. Il s’était fait accompagner à Rome de Vitaliano Donati, « un jeune valente en philosophie et en médecine », son assistant à l’université de Padoue142. Sur place, il profita également de la collaboration de Raimondo Cecchetti, un de ses anciens étudiants à Padoue qui servait présentement le cardinal d’Acquaviva et était soutenu par Rezzonico143.
- 144 ASSM, A-1114-8, fol. 10.
102De ces visites, Poleni retira la conviction que les fissures étaient certes nombreuses mais que la coupole n’était pas en danger immédiat, étant donné que les cercles, pourtant enfouis en grande partie sous la maçonnerie, semblaient intacts. Ce n’était pas l’opinion de Vanvitelli qui supposait qu’ils se fussent rompus en quelque endroit144.
- 145 BNM, It. IV 659 (5520), non folioté.
103Dans son rapport final, rédigé en juin après le retour à Padoue, Poleni déclarait, malgré quelques découvertes, ne pas devoir varier l’opinion exprimée dans sa première étude145. Il reconnaissait ainsi implicitement sinon l’exactitude du moins la suffisance de la description des Trois mathématiciens. Il avait trouvé les piliers « en parfait état », les fissures des arcs « minces et peu nombreuses, le renversement des contreforts « moins important qu’on ne le pensait », le nombre total des fissures « en tout lieu visible, moins considérable », en particulier au regard de l’ampleur de l’édifice. Il en conclut que la coupole « n’est pas, pour le moment, en danger ». Cependant, certaines fissures traversant l’épaisseur de la maçonnerie, certains témoins de marbre en queue d’aronde étant brisés et des failles au centre des piliers du lanternon le convainquirent que « le mal pouvait s’accroître avec le temps ». Lors de ses examens oculaires, il avait en particulier pris conscience que la plus grande part des fissures du tambour se concentrent à proximité des quatre escaliers en colimaçon « dans le vif des parties du tambour, derrière les quatre contreforts respectifs ». Il propose alors de « mettre de côté les recherches sur les causes des dommages de la coupole », pour discuter des remèdes qui arrêteront le mal « quel que soit son origine ».
104Les solutions qu’il reprend sont sensiblement les mêmes que celles proposées deux mois plus tôt. Il s’agit en premier lieu de réparer les fissures des arcs avec des pivots de fer. L’usage du bronze ne lui paraît pas nécessaire après avoir constaté « la bonne nature du fer [provenant] des mines » auxquelles la fabrique s’approvisionne. Quant au problème des fissures du tambour et de la coupole, il « croit fermement que les cercles de fer seront très utiles ». Il suggère de les réaliser tous de la même dimension et épaisseur afin qu’ils aient « la même solidité ». Ceux qui sont en place, pour autant qu’on puisse les mesurer pourrait-on lui répondre, sont de taille variable et procurent donc des réactions inégales. Mais on considérera leur constitution exemplaire. Alors qu’ils sont formés de seize parties, les nouveaux devront en compter vingt-trois ou vingt-quatre, afin de s’adapter à l’irrégularité de l’édifice en place. Il faudrait les placer l’été, au moment où ils subissent la dilatation maximale.
105Après avoir examiné la situation, il propose de placer ces cercles en des endroits stratégiques : le premier sous la cimaise du piédestal des contreforts, un autre à la base de l’attique, le troisième à la base de la coupole au niveau de la corniche supportant les blasons « à trois monts » et un dernier au niveau des occuli médians de la coupole.
106La fin du rapport s’emploie à dissiper le doute instillé par Bottari et ses hommes-lige qui sans scrupules avaient bataillé sur tous les fronts contre le chaînage. Poleni écrivait : « de très estimables sujets ont consenti à l’utilité des cercles. Il est connu de tous ceux qui s’accordent à voir la vérité ». Il concluait son texte en évoquant la pétition initiée par Theodoli en soutien à Vanvitelli, co-signée par de nombreux architectes.
- 146 Poleni 1748 : § 233.
- 147 Breve discorso… di NN Capomastro… 1744 : iv.
- 148 BNM, It. X, 309 (6549), fol. 8r.
- 149 Lettre de F. Poleni à Felice Giuseppe Cornolti du 12/08/1749 (BNM, It. IV, 670-5531, fol. 16r).
107Si les relations que Poleni entretint avec Olivieri ainsi qu’avec les proches de Benoît XIV sont assez claires, on ignore tout de ses contacts avec le camerlingue. À vrai dire, la position d’Albani est mal connue et pratiquement absente de la documentation du débat. Pour cette raison, l’apparition d’un écrit émanant de son entourage revêt un intérêt particulier. Après avoir circulé sous forme de manuscrit vers la fin du séjour romain de Poleni, le Breve discorso di NN capomastro muratore fut imprimé en 1744146. La publication d’une trentaine de pages, accompagnée de plusieurs planches gravées avait visiblement reçu un soutien financier significatif. C’était l’un des textes les plus littéraires qui fût publié sur la stabilité de la coupole, écrit avec une élégance rare faisant douter que l’auteur fût le maître maçon qu’il prétendait être. Il était difficile de croire qu’il fût absolument « dénué d’érudition, dépourvu des sciences mathématiques et de l’architecture » ainsi qu’il s’affichait147. Son discours était « conçu sans calculs, sans problèmes et avec les seules démonstrations factuelles… afin d’être compris par des personnes de toutes les qualités ». Plusieurs personnes dévoilèrent à Poleni l’identité du mystérieux auteur. Il s’agissait de Franceschino Bianchi, un des serviteurs d’Annibale Albani148. Ce personnage était l’un des plus proches collaborateurs du préfet de la fabrique et suivait pour son compte l’affaire de la coupole. Poleni l’avait rencontré à plusieurs reprises lors de son séjour romain. La publication tardive de l’opuscule visait à relancer le débat dans l’espace public et à contourner son enfermement dans les querelles de spécialistes. Cette publication intervint à un moment défavorable : alors que les choix de restauration étaient arrêtés et les opérations en cours, on remettait en cause les idées les ayant déterminés. Francesco Poleni exprima son agacement : « je vilipenderais vraiment ce genre d’écrit, en apparaissant, ils oxydent véritablement la réputation de ceux qui les génèrent »149.
- 150 Breve discorso… di NN Capomastro… 1744 : xiii.
108Le capomastro ne se livrait pas à une description des défauts de la coupole selon leur importance, comme l’avaient fait les autres contributeurs au débat. Il donnait une image générale de l’édifice « sans le démembrer » et cherchait à montrer les liens unissant les différentes parties et créant une cohésion non seulement statique mais aussi architecturale. Cet aspect avait manqué aux autres réflexions qui tendaient à isoler les parties observées, renonçant à comprendre leur enchaînement et leur solidarité. Selon lui, les descriptions des dommages, selon les époques, avaient connu des polarisations : à l’époque de Baldinucci, on s’était concentré sur les parties internes, alors que dans la controverse actuelle, on préférait étudier les surfaces externes. Il s’étonne que l’état des escaliers dans les piliers ne soit plus évoqué, « alors qu’on y reconnaît avec horreur une quantité de marches brisées », et que personne ne suggère plus leur comblement ainsi que celui des niches. Ces aménagements avaient été effectués par Bernin. Pour ce qui est du corps de la coupole, il absoudrait volontiers le poids du lanternon, puisque le Panthéon et Saint-Bernard-aux-Thermes, qui présentent des lésions similaires, n’en possèdent pas. En outre, le lanternon subit les mêmes déformations que la coupole. Les fissures verticales dans les voiles de la coupole ne témoignent pas d’un abaissement de la coupole ayant provoqué une dilatation de sa circonférence au point de renverser les contreforts. Il expose une longue série d’arguments pour avancer que « il ne peut être sujet de controverses que l’évidement des escaliers soit la véritable cause des mouvements que l’on observe quotidiennement dans le tambour »150. Pour ces raisons, il ne peut approuver le système des Trois mathématiciens.
109En ce qui concerne les restaurations, le Capomastro qui se présentait donc comme un homme de l’art, s’en remettait aux « plus experts professeurs du noble art de l’architecture (qui ne manquent pas à Rome) ». Il n’y a donc aucune position sur l’usage des cercles ou les remèdes divers qui ont été suggérés par tous les intervenants. Il n’est pas dénué d’intérêt de réfléchir sur les raisons de ce renoncement conclusif. Dans les cercles proches du préfet Albani, on préférait ne pas prendre position pour l’un ou l’autre des partis dont les solutions architecturales n’apparaissaient plus comme des propositions techniques mais plutôt comme des marqueurs claniques. Le sort symbolique de la basilique était plus important et il convenait de préserver l’intégrité de la basilique contre tous les discours qui tendaient à la réduire à un objet d’affrontement scientifique. Avec l’exposé du Capomastro, ce recentrage pouvait avoir lieu.
110Lorsque la mission romaine de Poleni s’acheva, il était clair qu’on lui demanderait de suivre la restauration. Non seulement il avait été le plus convainquant dans son étude, évitant tout dogmatisme scientifique, mais il avait aussi été le plus diplomate, écoutant chacun, ménageant les avis. On ne pourrait en dire autant du Poleni écrivant quelques années plus tard les Memorie. Sa position extérieure au microcosme romain lui rendit sans aucun doute la tâche plus facile. Sa capacité et sa disponibilité à travailler avec Vanvitelli avait constitué un argument supplémentaire. Mais Poleni avait-il présenté une analyse dont le sérieux avait convaincu le pape, ou n’avait-il fait que mettre en forme et accompagner un choix déjà fait ?
- 151 Chiaveri 1767 : iv-v.
- 152 Scritture… 1744 : 50.
- 153 ASSM, A-1114-8, fol. 6.
- 154 Jacquier, Le Seur, Boscovich, Riflessioni…, 1743b : lxii.
111La question financière n’avait pas été étrangère à la décision. Il fallait sauver cette église dont la construction avait coûté plus de quarante-six millions d’écus, selon une évaluation de Fontana. L’architecte du Roi de Pologne, Chiaveri, partisan d’une reconstruction de la calotte interne, considérait que cette très onéreuse opération était négligeable au regard d’une ruine qui aurait entraîné le temple et le palais apostolique dans un gouffre financier151. Cette opération aurait coûté moins qu’on ne pouvait le penser, les matériaux étant sur place et auraient pu être réemployés. Mais en se limitant à une intervention plus raisonnable, les coûts n’en restaient pas moins faramineux. Le philosophe et son éditeur avaient été les premiers intervenants à souligner l’aspect financier d’une restauration. Selon eux, le projet des Trois mathématiciens s’élevait à 800.000 écus152. Du moins, Bottari aurait fait savoir au pape que Vanvitelli comptait sur une telle somme153. Pour grossir le tableau, certains architectes, dont les propos étaient évoqués par le philosophe, l’auraient évalué à deux millions, au bas mot. Dans un deuxième temps, les Trois mathématiciens avaient suggéré la possibilité de réduire la dépense en ne reconstruisant pas entièrement les parties qui n’en avaient guère besoin et en réemployant les matériaux démontés. Mais ils reconnaissaient que les considérations économiques leur étaient secondaires : « s’il y a un avantage considérable, déclaraient-ils, comme il s’agit d’une coupole de Saint-Pierre, la dépense nécessaire n’est jamais une charge »154. Dans les estimations de Poleni, le coût de la restauration s’était considérablement réduit.
- 155 Lettre de Michel-Ange à Bartolomeo Bettini, 1546-1547 (destinataire identifié et daté par Guhl, I, (...)
- 156 Lettre de Benoît XIV du 19/06/1743 au marquis Magnani (Lambertini 2011 : 70).
- 157 Note du cardinal Querini du 3 août 1743 (BNM, It. X, 312 (6552), fol. 131).
- 158 ASSM, 3327-2, fol. 48.
- 159 Scritture… 1744 : 50.
112Les médisances sur le coût des entreprises architecturales avaient une longue tradition dans les cénacles romains. Michel-Ange s’était retrouvé au centre d’une polémique sur le coût de construction du tambour qu’il suggérait155. Non seulement, il affirmait pouvoir le réaliser avec 16.000 écus contre les 100.000 colportés par des commérages mais il avançait comme argument une longévité de 300 années à l’édifice… À peine deux siècles plus tard, le pape ne semblait que vaguement informé des questions financières. En juin 1743, il écrivait à un ami bolonais qu’avec la proposition des Trois mathématiciens, il se « serait embarqué » pour au moins 600.000 écus, alors qu’avec celle de Poleni, il « espérait s’en sortir » avec 18.000156. C’est cet ordre de grandeur qui devint généralement admis, comme on le voit dans une note du cardinal Querini157. Dotti estimait quant à lui la pose de chacun des cercles entre 16.000 et 20.000 écus158. Une différence non négligeable. Ainsi, en choisissant Poleni, on évitait une dépense pharaonique. L’éditeur du philosophe relatait que « la cour de Rome avait respiré devant la frayeur d’être contrainte, en des temps si calamiteux, à une si grande débauche de trésors »159.
Les raisons d’une expertise ?
113On peut s’interroger sur les motivations qui conduisirent Benoît XIV à s’adresser aux Trois mathématiciens. Il pensait peut-être que ces savants possédant une réputation internationale et dont les travaux avaient fait beaucoup pour la reconnaissance de Newton en Italie mettraient fin à une querelle qui couvait. En leur associant Vanvitelli, il leur procurait la crédibilité technique qui leur faisait défaut. S’adresser à des mathématiciens qui n’avaient qu’une idée assez vague de l’architecture et encore moins d’un chantier de construction pouvait apparaître paradoxalement comme un gage d’objectivité. Il s’agissait de répondre à une question de statique, ils étaient donc parfaitement placés pour le faire. Leur intervention ne s’apparente pas à une expertise : ils ne sont pas des hommes de l’art, mais des scientifiques appliquant un modèle mathématique à la coupole de Saint-Pierre comme ils l’auraient fait pour n’importe quel autre objet.
114La foi dans l’universalité et l’infaillibilité des modèles mathématiques ignorait les conséquences du changement de personnel entre Altoviti et Olivieri à la tête de la fabrique. La réaction s’organisa contre les Trois mathématiciens à un triple niveau. En premier, sur le plan politique, un mouvement visait à déposséder Albani, autant qu’il fût possible, des commandes de la fabrique. Avec le départ d’Altoviti, les Corsini avaient perdu aussi la main sur l’institution. On rencontrait également l’obstacle politique dans l’opposition que certains formulaient à l’intervention d’un jeune jésuite. Si on ne peut parler d’un contenu scientifique distinct entre jésuites et jansénistes, la question se posait toutefois du droit de parole des différents groupes sur une question qui, si elle n’est pas politique en soi, dépend des plus hautes sphères du pouvoir ecclésiastique.
115Le deuxième niveau de réponse concernait le statut symbolique de l’édifice. On ne pouvait étudier la coupole de Saint-Pierre comme n’importe quel autre édifice et la méthode comparative, employée par plusieurs auteurs y compris Poleni, avait ses limites. Les Trois mathématiciens avaient isolé la coupole comme on réalise une expérience dans un cabinet, ils en avaient disséqué les membres et diagnostiqué une maladie bien pire que celle dont elle semblait affligée. Ce statut particulier expliquait pourquoi une large partie des débats s’était polarisée autour des causes des maux, renvoyant à l’histoire de la construction, sans parvenir à la relier aux interventions techniques nécessaires et réalisables. Cette histoire était personnalisée et se référait, pour chacune des pierres posées, à des architectes particuliers, porteurs d’intentions esthétiques distinctes. Personne par exemple, n’avait avancé la raison d’un chaînage comme étant conforme aux méthodes de constructions employées par ceux qui l’avaient construite un siècle et demi plus tôt. Après tout, en posant de nouveaux cercles, on ne faisait que renforcer la structure avec les mêmes moyens.
116Le troisième niveau regarde les rivalités entre architectes. En poussant Vanvitelli à diriger ces travaux, plutôt que Barigioni, Benoît XIV avait consciemment ouvert la boîte de Pandore. Ce n’était pas tant une charge à la fabrique à laquelle certains aspiraient. En effet, cette position, en ce moment particulier, n’était guère enviable. Historiquement, l’accès à ces responsabilités, nous l’avons montré, n’avait pas toujours été gage d’une carrière resplendissante. Mais c’est Vanvitelli qui coalisait un certain nombre de forces adverses et pas seulement de la part de Fuga. Le plus intéressant est que cette discorde ne pouvant s’exprimer frontalement, passa à travers un conflit de références historiques. En posant chaque fois la question de l’histoire de la construction de la coupole, les différents intervenants posaient la question des responsabilités. L’image de chacun des architectes qui se sont succédés à la direction du chantier était primordiale. Cette image variait selon les intervenants, en fonction d’un ensemble de compétences correspondant à ce qu’ils attendaient d’un bâtisseur. C’est au cœur de cette construction historique que s’exprima le différend.
- 160 BAV, Cicognara V-3849, int. 7, doc 15.
- 161 AFSP, Arm. 50, B, 17, fol. 1001.
117Alors que la braise se faisait plus intense, pourquoi avoir alors commandé trois autres rapports ? Et ces rapports étaient-ils véritablement destinés à être examinés en vue de procéder à un choix ? Il n’est pas impossible que Bottari ait usé de son influence dans la sélection des trois savants. Lui qui jouait le rôle d’intermédiaire avec les Napolitains et Manfredi, maintenait parallèlement des contacts avec Poleni. S’il parvenait à orienter ces trois rapports, il était assuré de contrer les Trois mathématiciens. D’ailleurs, les avis ainsi commandés à l’extérieur ne pouvaient constituer de nouvelles « expertises » sur la coupole, mais une simple évaluation du travail livré. Cette raison est cependant insuffisante. En fait, le pape avait déjà fait son choix, très tôt. Au mois de janvier, la plupart des architectes s’accordaient sur la nécessité de placer trois ou quatre cercles de fer160. Le 16 février 1743, alors que l’on discutait d’un nouvel accès pour examiner l’état des arcs et des piles, la fabrique passa déjà commande des cercles, comme on en trouve la trace dans les comptes161. Il est donc clair que cette solution serait adoptée. Peut-être débattaiton encore sérieusement de leur nombre et de leur emplacement, mais la décision était irrémédiablement prise. Toute l’agitation de Bottari et de ses amis sur la pertinence d’une restauration était par conséquent absolument vaine.
118Poleni quant à lui l’avait bien compris. Il se distinguait de l’explication et des méthodes des mathématiciens mais adhérait à la solution du cerclage qui faisait partie de l’exubérant attirail métallique que les mathématiciens avaient présenté. Mais Benoît XIV était une personne sensible aux renommées. Comme il avait choisi les Minimes de la Trinité pour leur réputation, il était enclin à préférer Poleni pour ces mêmes raisons. Il écrivait en avril à son ami bolonais :
- 162 Lettre de Benoît XIV du 20/04/1743 à Magnani (Lambertini 2011 : 50-51).
notre espoir est dans le marquis Poleni de Padoue qui a fait une grande et belle étude à notre demande nous ayant remis du baume au cœur […] C’est un grand homme dans les mathématiques théoriques et dans l’architecture pratique. Nous avons l’intention de nous fier à lui qui possède aujourd’hui la première place en Italie162.
119Quel est donc le fondement de cette démarche, qui voit la commande d’une expertise, puis la fait évaluer par trois autres mathématiciens, pour finalement s’en remettre à celui qui suggère ce que l’architecte avait dès le début proposé et qui avait été secrètement accepté ? On ne peut y voir autre chose qu’une volonté de déléguer la responsabilité sur un tiers qui serait chargé d’absorber la critique venant de toutes parts, mais aussi de justifier et d’assumer la décision. La rédaction des Memorie confirme ce dispositif et lui procure une validité historique.
120À travers ces débats, il est difficile de dessiner des clans clairement séparés, unis par un partage d’intérêts et une cohérence d’action. On trouve cependant quatre pôles d’attraction se réduisant à deux tendances construisant des alliances tactiques. Au milieu de tous, Jacquier et Le Seur, tantôt instrumentalisés, tantôt abandonnés par leurs promoteurs. Ces pôles d’attraction ne correspondent pas à des divisions institutionnelles tant les personnalités sont constamment en concurrence avec l’intérêt collectif. Au sommet de cette pyramide se trouve le pape Benoît XIV qui cherche à écouter chacun selon son habitude tout en cultivant ses propres préférences. Non loin de lui on rencontre Olivieri, puis Vanvitelli et Montauti, enfin Theodoli et ceux qui signèrent sa pétition. La fidélité du majordome Colonna di Sciarra semble acquise. À proximité de ce pôle, on constate un petit groupe réuni autour de Valenti Gonzaga qui soutient Boscovich avec détermination. Le secrétaire d’état est cependant plus perméable aux sollicitations externes, notamment à travers Giacomelli qui prête également une oreille attentive à Passionei. C’est autour du secrétaire des brefs que s’organise non pas un clan, mais un autre pôle d’intervention. Déléguant à Leprotti les basses besognes, celui-ci, renonçant à tout principe pour parvenir à ses fins, instrumentalise indifféremment le philo-janséniste Sante Santini ou le jésuite Faure et canalise l’irritation de Fuga. En communion d’action avec Passionei, mais pas nécessairement en lien direct avec lui, on trouve le pôle semi-clandestin du Burchiello, autour de Bottari. L’action du bibliothécaire de la Vaticane est plus complexe à analyser. Son engagement dans l’affaire de la coupole fut total mais ses modes d’intervention, souvent souterrains, rendent son identification parfois difficile. Plutôt que de fédérer un parti contre l’expertise des Trois mathématiciens, Bottari chercha à stimuler toute contribution qui les contredirait. Auprès de Poleni, auprès de Manfredi, auprès des mathématiciens napolitains et en particulier de Galiani, il traquait les déclencheurs, parfois tenus, qui motiveraient ses interlocuteurs à intervenir de façon négative. Bottari disposait d’une oreille attentive auprès d’Albani, qui n’avait pas pris part au choix des Trois mathématiciens. Le camerlingue, soutenant aussi Fuga contre Vanvitelli, était plus disposé que Benoît XIV à entendre ces récriminations. Fuga était quant à lui soutenu par Zabaglia qui estimait ne pas jouir de la reconnaissance qu’il méritait dans une fabrique dont le secteur opérationnel était dirigé par Barigioni et Vanvitelli. Par des intermédiaires, comme par exemple Di Costanzo, lui aussi fermement opposé aux jésuites, Bottari tenta d’instrumentaliser plusieurs personnages extérieurs à leur cercle. Revillas et Pozzi en furent victimes.
- 163 Dorati da Empoli 2008 : 284. Un commentaire similaire accompagne le portrait du père Jacquier (BAV (...)
- 164 Voir leur texte, accompagné d’autres publications, dans S. Calindri, Del porto di Rimino : lettera (...)
- 165 Jacquier-Le Seur 1769 : 279-280.
121L’exposé de cette manœuvre, dans son enchaînement logique, ne suffit cependant pas à dévoiler la nature de l’étude fournie par les Trois mathématiciens. Malgré la déconvenue conjoncturelle que nos trois compères rencontrèrent à cette occasion, ils obtinrent d’autres commandes similaires par la suite. Ils n’avaient pas perdu la face : en 1744, Ghezzi commentait la caricature qu’il fit du père Le Seur avec ces mots : « un très bon mathématicien, qui fit ce beau texte sur la coupole de Saint-Pierre »163. En 1764-65, les deux Minimes furent appelés à se prononcer sur le cours du Pò en Romagne et, en 1768, ils intervinrent dans une polémique sur la reconstruction du port de Rimini, emporté par une crue quelques années auparavant164. À l’occasion de la première, ils affirmaient dans leur rapport que, dans le domaine de l’hydraulique, « on ne recherche pas une démonstration rigoureuse mais qu’il suffit une certitude morale, et si celle-ci n’était pas suffisante, on ne pourrait entreprendre aucun projet, puisque qu’aucun ne mérite le nom de démonstration exacte »165. Leur position, riche de l’expérience des années 1742-43, avait évolué.
- 166 De Vaticani Templi apside restauranda et munienda, Rome, 1743 ; Scrittura sulli danni osservati ne (...)
122Boscovich, cette même année 1743, fut chargé d’examiner l’abside de la basilique Saint-Pierre, réaffirmant son lien avec la fabrique, puis plus tard en 1763 la bibliothèque impériale de Vienne ou la flèche de la cathédrale de Milan en 1765166. La valeur de ses avis pratiques accompagnait sa réputation scientifique sans que le lien entre les deux fût questionné. À partir de 1750, il exécuta de nombreux rapports hydrauliques : à Rome, à Rimini, à Savone, à Vérone. Dans toute l’Italie, on l’appelait pour examiner les ports, les deltas, les marais, les fleuves et les torrents de montagne.
123Malgré la relative étrangeté sous laquelle nous apparaît la contribution des Trois mathématiciens à l’affaire de la coupole, aujourd’hui jugée à l’aune des vives critiques qu’ils essuyèrent, leur mode opératoire correspondait à l’attente de certains hommes du XVIIIe siècle et témoignait d’une forme d’engagement scientifique. Celui-ci n’était pas détaché du siècle, puisqu’ils n’hésitaient pas à répondre à des sollicitations sur des cas pratiques dont ils n’ignoraient pas les implications sociales et politiques.
- 167 Battaglia 1941 : 499-512. Sur la participation de Revillas, voir Borsi 1993 : 29-31.
- 168 Les opuscules alors publiés sont regroupés dans le volume Misc. 34-9-G-17 de la Biblioteca Naziona (...)
- 169 BNCVE, Misc. 34-9-G-17, int. 11, p. 8.
124Une polémique survenue à Rome quelques années plus tôt, en 1736, nous fait réfléchir sur la nature de cet engagement et sur la demande sociale à laquelle il répondait. À cette époque, les sœurs de la Très Sainte Annonciation, plus connues sous le nom de Turchine, un ordre fondé au début du XVIIe par de pieuses et désœuvrées dames de la bonne société romaine, furent confrontées à un conflit de voisinage. En effet, près de leur couvent de l’Esquilin, les sœurs Philippines construisirent une extension de leur établissement. Cet édifice avait par malheur assombri le lumineux couvent, le spoliant d’un soleil hivernal réparateur et d’une brise estivale revigorante167. L’affaire alla devant le tribunal. Mais ce qui aurait pu être un simple conflit foncier ne s’arrêta pas au seuil de la légalité. Les sœurs philippines, bien au fait des mondanités scientifiques, commandèrent l’avis de plusieurs savants. Revillas fut sollicité. Puis les pères Jacquier et Le Seur ainsi que Brunetti s’engagèrent dans la dispute168. Une configuration prémonitoire. Avec une grande doctrine astronomique, l’usage de quadrants, de relevés sur place comparés à l’emplacement de Rome dans le système solaire, il fut démontré que lors du solstice d’hiver, au plus sombre de l’hiver, les Turchine ne perdaient qu’une heure trois quart de soleil, tout au plus (fig. 10 et 11). Cette fois, Revillas, Brunetti et les pères minimes s’étaient accordés. Bottari intervint lui aussi, laissant transparaître son scepticisme habituel. Il lui semblait impossible de déterminer la durée et la quantité d’ombre d’un corps opaque exposé au soleil « tant avec les principes de la science mathématique qu’avec la pratique expérimentale »169.
- 170 Acta Eruditorum de Leipzig, 1737, p. 458 ; 1738, p. 637-641.
125Quelques années plus tard, ce sont les mêmes que nous retrouvons au chevet de la coupole de Saint-Pierre. Certes les circonstances étaient différentes, mais la morphologie du débat était comparable. Pour un problème concernant l’administration et les architectes, on avait convoqué des scientifiques qui ignoraient bien des choses sur les techniques de construction et à peu près tout des implications du droit foncier. Ils élaborèrent un appareil expérimental et un argumentaire scientifique complexe, ayant recours au mouvement céleste pour éclairer une minuscule parcelle de terre romaine. La démarche semble disproportionnée. Elle répondait cependant aux attentes des sœurs et d’une partie du public. Qui aurait pu croire qu’on parlât des opuscules consacrés aux déboires des Turchine dans la presse scientifique internationale ? Dans les Acta eruditorum de Leipzig, on relatait avec le plus grand sérieux cette querelle de quartier170. Le besoin de scientificité – plus que de science – était fortement ancré et tous les thèmes pouvaient se prêter à une analyse mathématique, confirmant la validité de cet outil pour chaque question de la vie quotidienne. La mathématisation rassurait par son caractère objectif et l’on oubliait volontiers qu’elle était elle aussi le terrain de débats et d’affrontements. Pire encore, que les mathématiques pouvaient être génératrices des plus âpres conflits, comme on le constata en 1743 pour la coupole de Saint-Pierre.
Notes
1 BAV, Cicognara V-3849, int. 2, doc. 15.
2 Bellini 2011 : II, 433.
3 Chracas, 19/01/1743, n° 3975, p. 2.
4 Nous nommerons cette réunion « congrès », reprenant le terme employé par Bottari, afin de le distinguer de « congrégation », préféré par d’autres témoins, mais qui porte à confusion avec le sens institutionnel que ce mot revêt.
5 Sur Revillas, voir Renazzi 1806 : IV, 101 et Baldini 2006 : 225.
6 AFSP, Arm. 50, B, 17, fol. 1023-1026.
7 Lettre de Boscovich à Poleni le 22/01/1743, BNM, It. 304 (6544), non fol.
8 ASV, Misc. VII-82, Visita Apostolica della Chiesa Nuova (1776-77), scheda Santini, fol. 96-97.
9 Poleni 1748 : § 218.
10 Lettre de Boscovich à Poleni le 22/01/1743, BNM, It. 304 (6544), non fol.
11 Un veridico compendio istorico… ., ASSM, A-1114-8, fol. 7.
12 Vasari-Milanesi 1906 : VII, 248-257.
13 BAV, Vat.-Lat. 9906, fol. 121.
14 AFSP, Arm. 27, D, 412, fol. 576.
15 BAV, Cicognara V-3849, int. 2, doc 2.
16 Costamagna 1975 : 43-63.
17 Pour un panorama des sociabilités jansénistes romaines voir Stella 2006 : II, 145-176.
18 Bottari retrouva ce livre à la fin des années trente à l’Oratoire de Saint-Jean-Décollé et l’intégra à la bibliothèque Corsini. Voir BNM, It. X 173 (6617).
19 BAV, Cicognara V-3849, int. 2, doc 3. Voir également la copie, quelque peu différente, envoyée à Naples (BSNSP, XXX-A-6, fol. 224r-226r).
20 Un veridico compendio istorico… ., ASSM, A-1114-8, fol. 7.
21 Voir les lettres de Boscovich à Poleni du 25/01/1743, BNM, It. X 304 (6544) et celle de Bottari à Galiani du 15/01/1743, BSNSP, XXX-A-7, fol. 177-178.
22 G. Riccioli, Geographia Et Hydrographia Reformata, Bologne, 1661.
23 Lettre de Bottari à Galiani du 5/02/1743, BSNSP, XXX-A-7, fol. 191-192.
24 AFSP, Arm. 50, B, 17, fol. 1023-1026.
25 Jacquier, Le Seur, Boscovich, Riflessioni, 1743b : xiv.
26 Missirini 1823 : 210-212, 219-221 ; Spesso 1991.
27 Poleni 1748 : § 359-362.
28 Rome, Archives de l’Académie de Saint-Luc, Decreti dell’insigne Accademia di S. Luca, vol. 50, fol. 48r, 70v.
29 Santini, Lettera sopra i danni… 1743 : 6-7.
30 Santini, Risoluzione… 1743 : iii.
31 MS, Biblioteca Corsiniana, Carteggio Bottari, 32G33, fol. 10.
32 Poleni 1748 : § 220.
33 Donato 2005 : 81-89.
34 AFSP, Arm. 50, B, 17, fol. 1004, 1005.
35 BAV, Cicognara V-3849, int. 2, doc 14.
36 BNM, It. X 309 (6549), fol. 8r.
37 Lettre de Bottari à Galiani du 15/2/1743, BSNSP, XXI, B, 1, fol. 55-56.
38 Jacquier, Le Seur, Boscovich, Parere, 1743 : xix.
39 Lettre de Boscovich à Poleni du 25/01/1743, BNM, It. X 304 (6544), non fol.
40 Lettre de Jacquier, Le Seur, Boscovich à Leprotti du 27/01/1743, Biblioteca Corsiniana, Carteggio Bottari, 1600 (32E21), fol. 66. Voir aussi Donato 2005 : 87.
41 ASSM, A-1114-8, fol. 7.
42 Lettre de Revillas à Poleni du 24/5/1743, BNM, It. X 312 (6552), fol. 108.
43 Giornale de’ Letterati d’Italia, V, 1711 : 119.
44 Carli 1979.
45 Magnificenze vaticane, 2008 : 100-101.
46 Sembranti 1995 : 79-87 ; Haas, von Winterfeld 2006 : 238.
47 Poleni 1748 : § 230.
48 Di Teodoro 2011 : 151-177.
49 Cosatti 1743 : xvi.
50 Guerrieri Borsoi 1988 : 161-185.
51 Prandi 1943 : 18-20.
52 Comolli 1791 : III, 232-235.
53 Poleni 1748 : § 404.
54 Lettre de Ricciolini à Olivieri, s.d., BNM, It. IV 660 (5521).
55 Contribution datée du 16/02/1743, BAV, Cicognara V-3849, int. 2, doc 15. Voir Schlimme 2006 : 57-61.
56 Mazzamuti 2003 : 129-134.
57 Di Fede 2010 : 93-103.
58 BAV, Cicognara V-3849.
59 Matteucci 1969.
60 Oechslin 1971 : 228-232.
61 Voir les différentes versions de ce manuscrit : Paris, BNF, MS Italiens 1666- 1667 ; ASSM, 3325-9, 3327-2. En 1793, son fils Giovanni Giacomo publia une version condensée de ce travail.
62 Oechslin 1974 : 585-590.
63 Brusatin 1976 : 152 ; Colonna-Preti 1996 : 70-71.
64 Maschio 1996 : 97-138.
65 Colonna-Preti 1996 : 36-43.
66 Zanella 1989 : 251-264 ; Bortolato 1996 : 321-376.
67 Arato 1991 : 21-23 ; 35-36.
68 Saggio dell’antinevutonianismo sopra le leggi del moto e dei colori, Venise, 1741.
69 Carraffa 2006.
70 Poleni 1748 : § 510.
71 Chiaveri 1767 : iv-v.
72 Poleni 1748 : § 408.
73 BNM, It. IV 675 (5536), fol. 5v.
74 Le chevalier attribue la coupole de la Passion à Bramante alors que ce dernier construisait dans les mêmes années celle de Sainte-Marie-des-Grâces qui correspond plus à la description qu’il en donne et celle de Saint-Laurent à Pellegrino Tibaldi alors qu’on la doit à Martino Bassi (cf. Poleni 1748 : § 414).
75 BSNSP, XXXI-A-7, fol. 175r.
76 BNM, It. IV 679 (5558), fol. 107r.
77 BAV, Cicognara V-3849, int. 2, doc 4.
78 AFSP, Arm. 50, B, 17, fol. 1003.
79 Poleni 1748 : § 318-322.
80 Matthiae 1952 : 71.
81 Sante Santini, Risoluzione di un dubbio… 1743 : vi.
82 Lettre anonyme reçue par Poleni le 25/04/1744, BNM It. X 304 (6544) ; Lettre de Poleni à Leprotti du 1/10/1745, BNM, It. X, 309 (6549), fol. 7v.
83 Fantuzzi 1789, VII : 90-93.
84 Garms 1974 : 155.
85 Poleni 1748 : § 356-358.
86 Scritture… 1744 : 51.
87 Ibid. : 57-58.
88 Sentimenti di un filosofo dans Scritture… 1745 : 67.
89 Poleni 1748 : § 124.
90 Sentimenti di un filosofo, dans Scritture… 1745 : 72.
91 Ibid. : 129.
92 Sentimenti di un filosofo, dans Scritture… 1745 : 158.
93 Ibid. : 163.
94 Sentimenti di un filosofo, dans Scritture… 1745 : 96.
95 Di Teodoro 2011 : 159.
96 BAV, Cicognara V-3849, int. 2, doc 14.
97 Garcia Villoslada 1954 : 323, 325, 328, 331, 333.
98 Chracas, 7/09/1743, p. 3.
99 G.B. Faure, Opuscolo anti-newtoniano, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, MS 10393-10396.
100 BAV, Cicognara V-3849, int. 2, doc 14.
101 18/09/1744, n° 38, col. 595-597.
102 Poleni 1748 : § 475. Voir cependant les Novelle letterarie de Florence (1744, p. 595) et les Novelle della Repubblica letteraria de Venise (1749, p. 9).
103 BAV, Cicognara V-3849, int. 7, doc 5.
104 Di Teodoro 2011 : 151-177.
105 Lettre de Faure à Bottari du 29/08/1749, Biblioteca Corsiniana, Carteggio Bottari, 32G2, fol. 30. Plus étonnamment, cette relation se poursuivit dans les années cinquante, au plus fort de la campagne antijanséniste orchestrée par Faure, comme en témoignent plusieurs correspondances dans les papiers Bottari.
106 Lettre de Vanvitelli du 5/10/1754, cit. dans Vanvitelli Jr 1976 : 130.
107 AFSP, Arm. 43, D, 84, f. 42.
108 BSNSP, XXX-A-6, fol. 219r.
109 Voir une présentation générale des Riflessioni de Poleni dans Gema Lopez 2006 : 1957-1979.
110 BNM, It. IV 658 (5519), fol. 5.
111 BNM, It. IV 658 (5519), fol. 33.
112 BNM, It. IV 658 (5519), fol. 2.
113 Ibid., fol. 28.
114 Benvenuto 1991 : II, 326-331 ; Kurrer 2002 : 141-143.
115 BAV, Cicognara V-3849, int. 7, doc 11.
116 BAV, Cicognara V-3849, int. 2, doc 10.
117 BNM, It. IV 666 (5527), non fol. [p. 2].
118 BNM, It. IV 666 (5527), non fol. [p. 16].
119 BSNSP, XXX-A-6 (n° 18), fol. 211r.
120 Ibid., fol. 219r.
121 BSNSP, XXX-A-6, fol. 224r-226r.
122 Voir les documents BSNSP, XXX-A-6 (n° 18), fol. 210-227.
123 BNM, It. IV 667 (5528), § 1.
124 Ibid., § 4.
125 BNM, It. IV 667 (5528), § 7.
126 BSNSP, XXX-A-6, fol. 220r.
127 BSNSP, XXX-A-7, fol. 193r-194v.
128 BNM, It. IV 667 (5528), § 14.
129 Lambertini 2011 : 50-51.
130 Boccolari 1782 : 88-148.
131 Nuova esattissima descrizione… 1792 : 37-38.
132 ASSM, A-1114-8, fol. 9.
133 Chracas 11/5/1743, n.4023, p. 3.
134 BNM, It. IV 676 (5537), fol. 10r ; 15.
135 Ercolani 1763 : 27.
136 Renazzi 1806 : IV, 316-318.
137 BNM, It. IV 676 (5537), fol. 7r.
138 Poleni 1740 : § 242.
139 Lambertini 2011 : 122-123.
140 ASSM, A-1114-8, fol. 8.
141 Poleni 1748 : § 440.
142 Gennari 1839 : 45. Voir les demandes de passeports dans le MS de la BNM, It. X 312 (6552), fol. 87.
143 Poleni 1748 : § 234.
144 ASSM, A-1114-8, fol. 10.
145 BNM, It. IV 659 (5520), non folioté.
146 Poleni 1748 : § 233.
147 Breve discorso… di NN Capomastro… 1744 : iv.
148 BNM, It. X, 309 (6549), fol. 8r.
149 Lettre de F. Poleni à Felice Giuseppe Cornolti du 12/08/1749 (BNM, It. IV, 670-5531, fol. 16r).
150 Breve discorso… di NN Capomastro… 1744 : xiii.
151 Chiaveri 1767 : iv-v.
152 Scritture… 1744 : 50.
153 ASSM, A-1114-8, fol. 6.
154 Jacquier, Le Seur, Boscovich, Riflessioni…, 1743b : lxii.
155 Lettre de Michel-Ange à Bartolomeo Bettini, 1546-1547 (destinataire identifié et daté par Guhl, I, 1853 : 216-218) publiée par Bonanni (1696 : 75-76) puis Bottari (1822 : VI, 40-42).
156 Lettre de Benoît XIV du 19/06/1743 au marquis Magnani (Lambertini 2011 : 70).
157 Note du cardinal Querini du 3 août 1743 (BNM, It. X, 312 (6552), fol. 131).
158 ASSM, 3327-2, fol. 48.
159 Scritture… 1744 : 50.
160 BAV, Cicognara V-3849, int. 7, doc 15.
161 AFSP, Arm. 50, B, 17, fol. 1001.
162 Lettre de Benoît XIV du 20/04/1743 à Magnani (Lambertini 2011 : 50-51).
163 Dorati da Empoli 2008 : 284. Un commentaire similaire accompagne le portrait du père Jacquier (BAV, MS Ottoboni Lat. 3118, fol. 34v).
164 Voir leur texte, accompagné d’autres publications, dans S. Calindri, Del porto di Rimino : lettera di un Riminese ad un amico di Roma, coll’appendice di documenti, Rome, 1768.
165 Jacquier-Le Seur 1769 : 279-280.
166 De Vaticani Templi apside restauranda et munienda, Rome, 1743 ; Scrittura sulli danni osservati nell’edificio della Biblioteca Cesarea di Vienna, e loro riparazione, composta […] l’anno 1763, Vienne, 1783 ; Sentimento sulla solidità della nuova Guglia del Duomo di Milano, s.l. 1765. Sur l’intervention de Boscovich à la cathédrale de Milan, voir Benvenuto 1991 : II ; 371-374.
167 Battaglia 1941 : 499-512. Sur la participation de Revillas, voir Borsi 1993 : 29-31.
168 Les opuscules alors publiés sont regroupés dans le volume Misc. 34-9-G-17 de la Biblioteca Nazionale Centrale Vittorio Emanuele de Rome.
169 BNCVE, Misc. 34-9-G-17, int. 11, p. 8.
170 Acta Eruditorum de Leipzig, 1737, p. 458 ; 1738, p. 637-641.
Table des illustrations
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Légende | Fig. 10-11 – Expertise des Turchine, 1736. Rome, Biblioteca Nazionale Centrale Vittorio Emanuele, manuscrits, Misc. 34-9-G-17. |
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